Friday, May 29, 2009

Citation du 30 mai 2009

Léon Brunschvicg m'a raconté qu'étant jeune étudiant en philosophie, il rencontra Degas, rue de Douai, chez Ludovic Halévy, et il lui fut présenté.

Degas, apprenant qu'il avait affaire à un métaphysicien, l'attira dans l'embrasure d'une fenêtre, et lui dit vivement : "Voyons jeune homme, SPINOZA, pouvez-vous m'expliquer cela en cinq minutes ?"

Je trouve que cette question ahurissante donne à penser.

Peut-être ne serait-il pas tout à fait anti-philosophique, ni sans conséquences intéressantes de diviser toutes les connaissances en deux classes, celles qui peuvent s'expliquer en cinq minutes et les autres...

Paul Valéry – Degas Danse Dessin (1936)

Pour un philosophe – de carrière, précisons-le – ce qui est ahurissant ce serait que Valéry songe qu’il y a en philosophie des connaissances qui s’expliquent en 5 minutes (à moins qu’il ne songe à la connaissance en général…).

En réalité pas plus Spinoza que n’importe quel minuscule concept de la philosophie ne s’explique en 5 minutes.

Et cela non pas seulement parce qu’on n’a jamais affaire à des concepts isolés, mais à des réseaux, à des systèmes de concepts, mais surtout parce que la philosophie suppose une conversion de l’esprit, un retournement de la pensée sur elle-même, sur ses propres sources. Une attitude critique qui demande du temps et de l’effort.

Je n’ai besoin que d’un exemple pour illustrer cela : les Méditations métaphysiques de Descartes, qui sont découpées en six parties, réparties sur six journées. Descartes nous en avertit : il est nécessaires de lire ces méditations jour après jour, à chaque partie sa journée. Et non parce qu’elles seraient vraiment trop longues pour êtres lues en une seule fois. Mais parce qu’il faut du temps pour se défaire de ses anciennes opinions, que nos préjugés ont la vie dure et que ce sont eux qui font obstacle à la compréhension.

Le fait que nous ne prenions pas au sérieux l’avertissement de Descartes, et que nous lisions ses œuvres dans la foulée, c’est exactement la même erreur que de croire qu’on peut expliquer Spinoza en cinq minutes : on fait comme si on avait affaire à un théorème qu’il suffirait d’appliquer pour arriver à la solution.

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