Wednesday, April 30, 2008

Tuesday, April 29, 2008

Citation du 30 avril 2008

La calvitie est peut-être un signe de virilité, mais elle restreint terriblement nos chances de pouvoir le prouver.

Cédric Hardwicke

Il faut reconnaître que tous les hommes sont différents. Et que certaines de ces différences sont porteuses d’inégalités.

Ainsi de la chevelure. C’est elle qui apporte le charisme sexuel : on connaît l’obsession fétichiste des musulmans pour la chevelure féminine qui engendre l’obligation du foulard.

Mais ne rions pas trop fort : et la chevelure masculine ?

Voyez donc notre rugbyman, Sébastien Chabal, incarnation de la virilité. Sa présence sur l’affiche des parfums Caron est éloquente : quel homme ne souhaiterait être ce bel athlète au regard perçant ? Quelle femme ne voudrait remplacer le ballon de rugby entre ses mains puissantes ?

Qu’est-ce qui fait sa séduction ? Le regard magnétique ? La petite langue qui darde avec gourmandise entre les lèvres ? La barbe noire ? Le torse qu’on devine velu sous la veste noire (1). La puissance qui émane de cette charge immobile saisie par l’objectif ?

Quiconque à un peu vu Chabal sur un terrain de rugby le sait : sa marque de fabrique, ce sont ses cheveux qui sont comme un panache, comme la crinière du cheval fou ; ou comme la chevelure héroïque et blonde des Walkyries.

Nous avons déjà évoqué l’épisode biblique de Samson : à des millénaires de distances et dans des cultures différentes, on retrouve les mêmes symboles. Et si ce n’était pas un hasard : je veux dire si la virilité était vraiment solidaire des cheveux ?

Et si l’histoire de la testostérone qui les fait tomber et rend chauve était une pure invention de ceux qui n’ont plus un poil sur la tête ?

(1) J’ai un problème avec cette veste : il semble que la personnage de la photo ne porte rien en dessous ; et pourtant on voit clairement des manchette de chemise blanche aux poignets.

Monday, April 28, 2008

Citation du 29 avril 2008

Mais dis moi: "Comment fais-tu / […] Pour me faire oublier / Que les putains les vraies / Sont celles qui font payer / Pas avant mais après

Jacques Brel - L'Air de La Bêtise


celles qui font payer / Pas avant mais après… Comment ignorer que les putains les plus putassières sont les femmes qui ne se font pas payer, mais qui se font « entretenir » ? Et qu’une épouse « vertueuse » pourrait bien à ce compte ne pas valoir plus qu’une péripatéticienne ?

Je ne suis pas du genre à alimenter une quelconque obsession misogyne et ce n’est donc pas au premier degré que je prends ce couplet : entendez qu’il vaut aussi pour les hommes. Mais qui donc aujourd’hui se fait payer « pas avant mais après » ? Qui donc vous fait un « cadeau » en espérant tirer de vous les profits les plus juteux ?

J’ai un nom – parmi d’autres – Google.

Oh, certes, je profite de Google comme vous tous : chacun peut voir que ce Blog est sur un compte Google. Par ailleurs, j’avoue que j’utilise Gmail, sans parler du moteur de recherche. Suis-je entrain de mordre la main qui me nourrit ?

Pas sûr. Car, sans parler des liens sponsorisés du moteur de recherche, la messagerie, précisément n’est gratuite qu’en apparence. Voilà qu’à chaque message e-mail diffusé ou reçu, des liens apparaissent, supposés en rapport avec des mots clefs de mes messages. – Qui donc va lire mon courrier pardessus mon épaule pour me proposer des liens à chaque mail – liens supposés en rapport avec son contenu très confidentiel qui est diffusé « gratuitement » ? Qu’on me dise ce qu’on voudra, même si je suis insensible au message publicitaire, je ressens cet usage de ma correspondance comme un viol prétendument justifié par des objectifs commerciaux. Et je ne parle pas des écrans publicitaires qui clignotent dans tous les coins des pages web « gratuites ».

Y a-t-il quelque chose de gratuit dans ce monde ?

Le don est un thème de réflexion philosophique, religieux, économique, sociologique… J’en passe peut-être, mais on voit facilement que parler du « don » sans plus de précision est illusoire : ce concept est surdéterminé.

En général, et si on laisse le potlatch de côté (1), on entend que le don n’est qu’un échange différé. Dès lors, tout dépend de ce qui est exigé en retour, et pourquoi ce qu’on exige n’est pas lié à un payement directe.

Je considère pour ma part que le don est une réalité, certes, et que le Net en est une illustration frappante. Mais je dirais aussi que, s’il n’y a pas de don sans contre don, l’échange particulier qui s’institue alors ne tire son originalité que de l’absence de profit économique ou politique (2).



(1) Dans le cas du potlatch, on ne donne pas pour recevoir, mais pour démontrer sa puissance. cf. Post du 22 février 2006

(2) Car il existe aussi, ne l’oublions pas, le clientélisme : je te donnes, à condition que tu votes pour moi.


Citation du 28 avril 2008

L’âme, c’est ce qui refuse le corps. […]. Ce beau mot ne désigne nullement un être, mais toujours une action.

Alain - Définitions

Ici, nous avons un collage : j’ai mis le début et la fin du texte. Qu’on m’en excuse et qu’on aille lire ce bref paragraphe ici.


Admirable simplicité de la philosophie : là où théologiens et penseurs de tous acabits se déchirent le cortex à trouver une définition convaincante de l’âme, Alain arrive et nous prouve qu’une telle définition est d’abord ce qui nous permet de décrypter le réel (1)

- Supposons un instant que l’âme ne soit pas ce qui refuse le corps : nous ne serions que l’expression de ce qui se passe en lui. Nous serions comme une feuille morte dans le vent d’automne : non seulement nous serions remplis des représentations issues de nos besoins (le parfum du poulet rôti quand j’ai faim), mais encore nous serions conditionné à être ce que notre environnement produit (léger en été, pesant en hiver…).

Bref, l’humain (et sans doute aussi l’animal) est caractérisé par une capacité à imprimer dans la réalité quelque chose qui ne s’y trouvait pas avant lui, quelque chose qui ne résulte pas simplement des désirs ou des pulsions issues de notre organisme. Mais, comme la pression du corps est constante, alors l’humain n’existe qu’à condition de reléguer les exigences du corps au second plan. C’est cette capacité de mise à distance que Alain appelle l’« âme ».

Freud quant à lui opposait le principe de plaisir au principe de réalité : l’un consiste à donner immédiatement satisfaction aux pulsions et à leur jouissance ; l’autre impose le délai dans cette recherche en tenant compte des exigences du monde réel. Alors certes, dans l’un comme dans l’autre cas, nous sommes soumis à des déterminismes qui nous agitent comme la feuille d’automne emportée par le vent : tantôt je travaille, tantôt je jouis, suivant la pulsion qui possède la plus grande intensité. Bref, refuser le corps ça n’est pas toujours possible.

Reste que je peux choisir entre ces déterminismes : choisir l’un c’est refuser l’autre.

(1) Pascal soulignait déjà que la définition d’un terme était entièrement libre (2) : oui, encore faut-il que l’usage en révèle la fécondité.

(2) « il n'y a rien de plus permis que de donner à une chose qu'on a clairement désignée un nom tel qu'on voudra. » - De l'esprit géométrique et de l'art de persuader

Friday, April 25, 2008

Citation du 27 avril 2008

C’est par le travail que les hommes se font aimer des Dieux immortels et des hommes mortels : inactifs, ils attirent la haine.
Hésiode - Les travaux et les jours (vers 309-310)
C’est vrai, La citation du jour revient très souvent - trop souvent ? - sur la question du travail…
Mais remarquez que le veilleur qui attend de voir se lever à l’horizon les valeurs nouvelles du 21ème siècle, ne voit monter que l’éloge du travail, scintillant de mille feux : il se frotte les yeux et croit avoir la berlue.
Car enfin ! Dans notre époque qui rejette l’idéologie au point que la politique semble être devenue définitivement synonyme de gestion ; alors que la réduction du temps de travail paraît depuis Marx constituer l’indice du progrès social (1) ; voilà qu’on nous dit qu’il faut réhabiliter le travail…
Essayons un peu, pour voir où ça nous mène :
1 - L’idéologie doit être réintroduite dans le champ de la politique : il y a une morale, oui. Et cette morale préconise le travail comme valeur ; j’attends encore un peu pour définir le souverain bien, parce qu’il reste dans les limbes. Si vous l’avez rencontré signalez-le moi.
2 - La valorisation du travail ne doit plus être strictement l’apanage du christianisme (cf. St-Paul, Post du 8 mai 2007). Qu’on ne nous dise plus que l’héritage judéo-chrétien est seul responsable de cette perversion morale qu’est l’amour du travail, que les Grecs l’ont, du haut de leur sagesse, condamné comme indigne de l’homme libre (Aristote - cf. post du 29 mars 2007).
Car Hésiode, lui qui a l’autorité de l’antériorité (VIIIème siècle av. J.C.), a loué le travail dans les termes que vous constatez dans cette citation. Et qu’on ne vienne pas me dire que Hésiode n’est qu’un ignorant et un cul-terreux qui compte ses bottes de pailles et surveille que sa femme ne lui pique pas ses sous. Parce que les Dieux, Hésiode, il les connaît un peu. C’est lui qui les a inventés.
- Alors certes, les immortels ne travaillent pas. Mais les hommes doivent prendre acte du fait que leur nature est différente de celle des Dieux : dans la condition humaine, le travail est le fondement de leur dignité. Au fond, ce qu’on apprend en lisant Hésiode, c’est à ne pas se poser des questions inutiles, du genre « Vais-je faire mon salut en travaillant ? » Car si les Dieux aiment les travailleurs et haïssent les inactifs, c’est plutôt parce qu’ils détestent toutes les malhonnêtetés qu’il faut accomplir pour vivre sans travailler.
Vous tous qui vivez des aides publiques, vous voilà prévenus ; la seule vie honnête est une vie de travailleur.
Et vous qui vivez de vos fonds de pensions : idem.
(1) Voir post du 15 octobre 2007, note 1

Citation du 26 avril 2008

Il faut laisser le passé dans l'oubli et l'avenir à la Providence.
Bossuet

Que voilà un sage précepte ! Pascal lui-même le disait : le bonheur véritable consiste à vivre dans le présent sans prendre garde à l’avenir (1). Laissons-le à la Providence : si Dieu le veut…inch Allah…

Oui, mais plus prudent, Pascal disait qu’il fallait prendre appui sur le passé pour agir dans le présent. Alors, comment comprendre le rejet du passé par Bossuet ?
Posons la question différemment : que faut-il oublier du passé si nous voulons vivre pleinement le présent (supposons que ce soit le propos de Bossuet) ?

Si vous me permettez un instant de me mettre à la place de Bossuet - et si donc je devais faire un sermon sur ce thème - je dirais ceci.
- la grâce divine, succédant à un repentir authentique, est un véritable bain de jouvence, elle nous lave de nos fautes. Le passé est oublié parce qu’il est détruit, effacé. Seul doit rester le souvenir de la faillibilité humaine. Mais nul repentir pour ce qui a été pardonné.

L’oubli du passé est donc l’oubli des fautes passées. Et nos triomphes passés ? Que faut-il en faire ? Les oublier également ?
Hé bien oui, oublions-les et allègrement encore ! Déjà, sur la plan historique, parce qu’on ne compte plus les guerres et les massacres engendrés par la prétention des puissances à faire valoir des droits acquis autre fois, l’épée à la main sur d’autres peuples (2). Mais aussi, sur le plan individuel, parce que la vie est faite de ces arrachements à soi-même, du refus de l’enkystement par la répétition du passé, de cet engluement dans l’en-soi pour parler comme Sartre, pour qui le concept de la viscosité, illustrait à merveille ce rapport pernicieux au passé.
Ne pas avoir la prétention de gouverner l’avenir. Mais avoir celle de créer un présent neuf.
Merci Bossuet !


(1) Voir Post du 17 avril 2006
(2) Voir la citation de Paul Valéry : «L'histoire est le produit le plus dangereux que la chimie de l'intellectuel ait élaboré. » Voir la suite : Post du 5 avril 2006

Thursday, April 24, 2008

Citation du 25 avril 2008

Il est sans doute très louable aux princes d'être fidèles à leurs engagements; mais parmi ceux de notre temps qu'on a vu faire de grandes choses, il en est peu qui se soient piqués de cette fidélité, et qui se soient fait un scrupule de tromper ceux qui se reposaient en leur loyauté.

Machiavel – La Prince (ch. 18)

La loyauté n’est pas une vertu politique.

Faut-il rappeler que Le Prince a été écrit au début du 16ème siècle (1) ? Oui, sans doute, tant son actualité le rapproche de nous. Car, si la tromperie et le mensonge en politique paraissent aujourd’hui déplaisants et même honteux il n’en reste pas moins que la sincérité et le « parler-vrai » sont mal perçus et en tout cas mal récompensés par les électeurs.

--> Examinons d’abord la sincérité. Les exemples ne manquent pas montrant que la transparence et la sincérité sont des faiblesses politiques, non pas seulement comme le supposait Machiavel parce qu’on donne alors des armes à l’adversaire, mais aussi parce que le peuple attend autre chose de celui qui gouverne.

Ainsi : Monsieur Sarkozy affiche avec la plus parfaite transparence non seulement ses convictions (religieuses, morales, etc. – je ne parle pas des engagements politiques, parce que c’est quand même la moindre des choses), mais encore certains détails de sa vie privée. Que se passe-t-il ? Il perd des points dans les sondages de popularité et on lui reproche finalement de ne pas être le souverain lointain et parcimonieux dans la divulgation de l’image de sa personne, comme il sied au Président de la République Française. Non seulement on ne lui demande pas la transparence, mais encore on la lui reproche.

--> Et la fidélité aux promesses ? C’est un peu plus compliqué. Mais Machiavel a bien cadré la chose. On peut mentir pour gouverner, parce que

d’abord c’est permis par la « méchanceté des hommes » : tous se comportent avec fourberie, et le Prince n’a pas à déroger à cette règle sinon il met son pouvoir en danger.

– et qu’ensuite « ça marche » parce que les hommes sont naïfs et qu’ils croient plus ce qu’on leur dit que ce qu’ils voient (ou plutôt : ce qu’ils ne savent pas voir).

Pour finir, je dirai que si Machiavel a bien pointé l’efficacité de fourberie, il n’a peut-être pas suffisamment souligné que si le mensonge politique est une nécessité, même dans les démocraties, c’est parce que les gouvernants sont chargés d’une mission qui incombait autre fois aux prêtres : donner de l’espoir. A-t-on jamais reproché aux prêtres de ne pas arriver à faire tomber la pluie ou à écarter la peste par leurs prières ? Non, bien sûr. Alors pourquoi irions nous reprocher au chef de l’Etat qui nous a promis du pouvoir d’achat de ne pas y arriver ?

Du moment qu’il ne nous montre pas qu’il remplit les poches des autres.

(1) Ecrit vers 1515. Voir des extraits ici. Par ailleurs, rappelons que Prince est pris ici au sens de « celui qui gouverne », et non au sens de « fils du roi »

Wednesday, April 23, 2008

Citation du 24 avril 2008

Pourquoi ma connaissance est-elle bornée ? Ma taille ? Ma durée à cent ans plutôt qu'à mille ? Quelle raison a eue la nature de me la donner telle, et de choisir ce nombre plutôt qu'un autre, dans l'infinité desquels il n'y a pas plus de raison de choisir l'un que l'autre, rien ne tentant plus que l'autre ?

Blaise Pascal Pensées

La philosophie est-elle l’art de poser des questions ? Est-elle l’art de transformer des questions que tout le monde comprend en questions que plus personne ne comprend (cf. Post du 18 avril) – histoire de ne pas être embêté par la réponse ?

Bon, si vous y tenez… Mais disons alors que la philosophie c’est aussi l’art de réfuter les questions qu’on n’a pas à poser.

--> Et c’est vrai que lorsque l’on compare la durée de notre vie à celle de la tortue – par exemple – on est déconcerté : comment se fait-il que l’homme, le sommet de la création, ne soit pas en même temps celui qui vive le plus longtemps – déjà que pour expliquer le fait qu’il meure on est obligé de faire intervenir un fait surnaturel (comme le péché originel) (1). Si je cherche la cause de la brièveté de la vie dans la nature (et non dans la Volonté impénétrable de Dieu), aucune cause déterminante ne peut s’y trouver, et comme rien n’arrive de rien, alors, non seulement on ne comprend pas pourquoi on ne vit pas plus longtemps, mais aussi pourquoi on meurt

La métaphysique, science des causes premières, a semble-t-il répondu à ces questions, donc a accepté de les accueillir. Mais en réalité, en même temps qu’elle y répondait, elle y mettait un terme. Qu’on conteste telle ou telle métaphysique : à savoir que c’est l’Esprit qui a créé la nature et que les imperfections qu’on y trouve sont la conséquence de cette création et non du Créateur ; ou qu’on considère que la nature est le fait du hasard et que les « imperfections » n’y sont que l’expression de notre attente et non d’une disposition qui en ordonne le contenu ; il n’en reste pas moins que choisir une réponse, c’est en même temps affirmer qu’il faut savoir arrêter, qu’après cette réponse, il n’y aura plus de « pourquoi », que les « pourquoi » ne sont donc pas en nombre infini, ou alors, comme le fait observer Pascal, qu’on n’aurait jamais dans ce cas la moindre réponse.

La question philosophique majeure n’est pas le « pourquoi » : pourquoi suis-je né comme-ci ou comme-ça ? - mais le « comment » : comment je fais avec ça ?- Ou si vous préférez, ce qui compte, c’est ce que j’arrive à faire avec ce qu’on a fait de moi.

C’est d’ailleurs cela, la définition de la liberté selon Sartre.

(1) La mort comme fait naturel est parfaitement explicable, direz-vous. Pas tant que ça : expliquez déjà pourquoi les cellules souches se divisent indéfiniment, de même que les cellules cancéreuses ? Qu’est-ce qui fait qu’un tissu vivant se dégrade et meurt, est-ce un bafouillage de la reproduction ou bien y aurait-il quelque part un gène létal ?

Tuesday, April 22, 2008

Citation du 23 avril 2008

Les gens caquettent à qui mieux mieux. L'homme ne descend pas du singe, il descend de la poule.

Stefan Zweig - L'ombre du vent

Pire que le singe : la poule.

La poule… Pauvre animal encore une fois injustement décrié. Laissant de côté la calomnie portant sur la légèreté de ses mœurs, nous parlerons aujourd’hui du symbole de stupidité qu’elle incarne : en plus d’une cervelle d’oiseau, elle serait douée - pour notre malheur - de la parole : elle caquette de façon insipide.

Pour ma part, je prétend qu’il n’y a là que préjugé. Avez vous attentivement regardé une poule ? Je veux dire : en faisant attention à son regard ?

Vous comprenez ce que je veux dire ? Détermination farouche, caractère indomptable, la poule devrait incarner la force et la volonté d’aboutir quoiqu’il en coûte.

Alors, pourquoi ce caquettement de la poule nous paraît-il insupportable ?

Simplement parce qu’il n’est adressé à personne, il est gratuit, non communication, expression sans contenu.

Voyez le préjugé : qu’est-ce qui nous prouve qu’il est sans contenu ? Et le chant du rossignol, a-t-il un contenu ? Et le roucoulement du pigeon ?

Nous aimons le rossignol parce que son chant est mélodieux ; on le suppose expressif de l’harmonie de la nature. Quant au pigeon, on suppose qu’il roucoule pour sa pigeonne, ce qui le justifie. Mais le caquettement de la poule est injustifiable, parce qu’il est désagréable,

… et que tout ce qui est désagréable doit être justifié.

Monday, April 21, 2008

Citation du 22 avril 2008

Plus j'y pense, plus je me dis qu'il n'y a aucune raison pour que le carré de l'hypoténuse soit égal à la somme des carrés des deux autres côtés.

San-Antonio

Voilà la dénonciation d’un théorème qui nous fatigue inutilement les neurones, comme tout ce qui est géométrie sans doute. De quoi satisfaire les gamins qui n’y comprennent rien. Admettrons-nous, avec le Grand San Antonio, que la démonstration de Pythagore ne convainque personne ?

Bien entendu, le Grand San-A ne sait pas de quoi il parle sinon il aurait évité de dire une bêtise (1). J’y vois pour ma part la volonté de rejeter comme ne servant à rien ce qui est compliqué. C’est cela qui m’intéresse ici.

1 – Un théorème ne sert pas à répondre à une question – même si elle existe - mais à mettre en évidence des propriétés.

2 –Toutes les démonstrations de la géométrie doivent tout démontrer - à l'exception des postulats - même l’évidence.

Parce qu’on a un peu vite dit que la géométrie était issue de l’arpentage de champs dont on retraçait les contours après les crues du Nil. S’il n’y avait eu que cela, on n’aurait pas eu forcément à démontrer ce que tout le monde sait. Et Euclide n’aurait jamais eu la renommée qui est la sienne.

Les philosophes, de Platon à Pascal n’ont pas arrêté de le dire : la géométrie et l’art de la démonstration ne font qu’un. Au point que Pascal disait : « Ce qui passe la géométrie nous dépasse. », entendez qu’on ne fera jamais mieux. Mais en même temps, qu’on ne doit pas en faire moins. Et pourquoi Descartes aurait-il écrit : « … ne recevoir jamais aucune chose pour vraie que je ne la connusse évidemment être telle. » (2) ? « Evidemment », ça veut dire avec évidence, ce qu’on voit avec l’intelligence comme si on le voyait avec les yeux. Et ça, seule la démonstration le rend possible (3), puisque dans la démonstration, œuvre de l’esprit, l’esprit est face à lui-même, qu’il se meut dans un élément homogène.

Bien sûr, tout n’est pas homogène à l’esprit dans la connaissance, sans cela tout serait mathématique.

Mais comme le montre la physique contemporaine, il y a tout de même beaucoup de mathématiques dans la nature.

(1) Déjà, il ne s’agit pas du « carré de l’hypoténuse », mais du carré de la longueur de l’hypoténuse. Voyez une démonstration « moderne » de ce théorème ici

(2) Discours de la méthode, seconde partie (1er précepte)

(3) En laissant provisoirement de coté les idées claires et distinctes qui ont le même statut qye les postulats de la géométrie.


Sunday, April 20, 2008

Citation du 21 avril 2008

Les gens peuvent choisir n’importe quelle couleur pour la Ford T, du moment que c’est noir.

Henry Ford


Un anniversaire de plus à fêter : celui de la Ford-T, la voiture qui a mis l’Amérique sur des roues.

Quoi ? Vous dites qu’il n’y a pas de quoi se vanter et que la planète ne dit pas merci à Henry Ford ?

- Rétrograde, vous n’êtes qu’un rétrograde. Vous faites comme si les méfaits du progrès devaient entraîner son recul. C’est au contraire à un progrès de plus qu’il appartient de corriger les inconvénients du progrès précédent.

Point final.

Venons-en à ce qui nous intéresse pour aujourd’hui : Les gens peuvent choisir n’importe quelle couleur pour la Ford T, du moment que c’est noir. Boutade cynique ou propos sérieux ?

Relisons, mes chers amis, la fin de la République (oui : celle de Platon). (1). Devant choisir un destin nouveau pour une vie future (= réincarnation), Ulysse qui ne peut choisir qu’après tous les autres, ne trouve qu’un destin humble dont personne n’avait voulu. Il le prend en disant que s’il avait eu le choix, c’est ce destin qu’il aurait choisi, parce qu’il était le meilleur.

Vous m’avez déjà compris, Henry Ford est entrain de nous dire la même chose : la couleur idéale pour la Ford-T, c’est le noir. Convenons donc que si vous aviez le choix, c’est précisément celui-ci que vous feriez.

Donc : distinguons entre la situation du choix et le choix véritable.

La situation du choix c’est d’être en face d’une alternative ; mais on le sait si l’alternative c’est de choisir entre la peste et le choléra, ce n’est pas un choix réel.

Le choix véritable, c’est quand on considère que ce qu’on fait est le meilleur possible.

Comme de commander une Ford-T de couleur noire.

(1) Platon – République, livre 10, 614b-621d (fin de la République) : Ulysse apparaît en 620c

Saturday, April 19, 2008

Citation du 20 avril 2008

Toutes les religions ont eu leurs mystères, et il semble que, sans cela, il n’y aurait point de religion.

Montesquieu – Mes pensées

Si l’on avait déchiffré tous les mystères de la nature, la religion disparaîtrait-elle ?

Certains diront que la religion a déjà disparu, alors que les mystères de la nature ne sont pas tous dissipés.

Soit, on peut en débattre. Mais j’aimerais examiner l’hypothèse suivante : et si les mystères de la religion étaient devenus des mystères de la science ?

Bien sûr, on n’est pas près d’arriver à l’observation scientifique de la résurrection des corps, ni de la survie de l’âme ; et encore moins pour la doctrine de la création.

Et pourtant : beaucoup de théologiens se sont réjouis de la théorie du Big-bang, estimant que la création ex-nihilo préfigurait cette image d’une explosion initiale créant au moins les forces de la physique et la matière telle qu’on la connaît aujourd’hui. Au fond on en venait presque à imaginer que le principe selon le quel « un peu de science éloigne de Dieu ; beaucoup de science en rapproche » était entrain de se confirmer.

Et maintenant ? Les trous noirs qui excitent tant l’imagination des scientifiques et des vulgarisateurs ne nous fournissent-ils pas une image dont l’Enfer seul pouvait nous donner une idée ?

Si je laisse de côté les élucubrations aux quels ces étranges objets physique donnent lieu dès lors qu’on essaye de traduire les équations relativistes en image, ce dont on est certain c’est que rien de ce qui pénètre dans un trou noir n’en ressortira jamais.

Est-ce que ça ne vous rappelle rien ? Mais si, rappelez-vous : Ô toi qui entres ici abandonne tout espoir ! Voilà ce qui est écrit sur les portes de l’Enfer, selon Dante (1). De l’Enfer non plus on ne sortira jamais. C’est même ça qui le distingue de la vie terrestre, quand bien même celle-ci serait faite de souffrances inimaginables. C’est d’ailleurs ce qui était à la base de l’optimisme épicurien : si tu souffres, sache que ça ne durera pas, la mort te délivre de la souffrance. Mais pour le damné, nulle délivrance à attendre. Il y un avant et un après.

Hé bien pour les trous noirs, c’est pareil. Alors que les physiciens nous abreuvent de réversibilité du temps, laissant les phénomènes irréversible dans l’opacité des observations de l’entropie, voilà le trou noir, gigantesque machine à broyer l’individualité entrain de préfigurer la mort de l’Univers, comme des Big-crunches régionaux.

(1) Dante - La divine comédie (L’Enfer) Voir Post du 3 mars 2006

Friday, April 18, 2008

Citation du 19 avril 2008

Les vieux ? Deux fois enfants !

Aristophane - Les nuées (vers 1417)

Si comme moi, Molière vous laisse de marbre, essayez Aristophane : les Nuées ou Lysistrata me font tordre de rire. Pourquoi pas vous ?
Dans les Nuées, Philippide, le jeune héros d’Aristophane, ne se contente pas de rosser son père : il se justifie, aidé en cela par le Raisonnement-Tordu, sophisme enseigné par Socrate (1). Selon lui, rosser son père est enseigné par la nature : les animaux - les coqs en l’occurrence - étant supposé le faire.

- Quels sont les ages de la vie ?

- L’enfance, l’adolescence, l’âge adulte et la vieillesse.

- Tient ? Les vieux ne sont donc pas des adultes ?

- Ben oui, puisqu’on dit qu’ils retombent en enfance.

Tout cela n’est absolument pas de la fiction, due à un cerveau misanthropique. C’est simplement ce que j’ai entendu bien des fois, de jeunes gens sains d’esprit et pleins d’énergie vitale.

Et alors, que dit Aristophane ? Qu’on doit traiter les vieux comme on traite les enfants quand ils n’obéissent pas aux adultes : la fessée ! Et plutôt deux fois qu’une, puisqu’ils sont deux fois enfants… (2)

Bon, je reconnais qu’on n’en est pas là. Mais avouez que la vie moderne, avec son éparpillement de la famille, et donc sa restriction à la cellule familiale et provisoire est peu favorable à une vie autonome des vieillards. Dès qu’ils ne sont plus capables d’assumer leurs besoins quotidiens, ils sont rejetés par leurs enfants comme gâteux, gênant, fatigants.

Sans revenir sur une question souvent débattues ici même (3), je voudrais dire que le respect des anciens n’est pas forcément dû à leur position d’ancêtres dans la famille. D’ailleurs la famille n’est pas forcément une structure signifiante dans les sociétés traditionnelles. Si pour les romains, les Anciens constituaient une autorité c’est qu’en raison de leur proximité avec la mort, donc avec l’au-delà, ils possèdent une influence particulière : ils sont « médiateurs » privilégiées avec les Dieux. Respectés parce que craints. Dès lors qu’on ne craint plus les Dieux, on ne respecte plus les vieux.

Et chez nous, aujourd’hui ? Les vieux ne sont plus des adultes parce qu’ils ont perdu ce pouvoir de faire qui caractérise l’homme dans la force de la vie. Le respect des vieux ne tient que par l’autorité de la morale, qui comme on le sait, ne parle aujourd’hui que là où l’intérêt la soutient.

(1) Un Socrate plus sophiste que philosophe : une vraie revanche pour tous ceux que le Socrate de Platon énerve par sa fausse bonhomie (Aïe ! me tapez pas !)

(2) D’ailleurs voici la suite de la tirade de Philippide : « II est donc juste que les vieux pleurent plus que les jeunes, d'autant plus que leurs fautes sont moins excusables. »

(3) Le 16 novembre 2007 par exemple

Thursday, April 17, 2008

Citation du 18 avril 2008

Quand un philosophe me répond, je ne comprends plus ma question.

Pierre Desproges

En hommage à l’«humoriste caustique », disparu il y a 20 ans.

Les médias regorgent aujourd’hui d’hommages à Pierre Desproges, et certains le définissent comme celui qui était capable de nous faire rire de tout.

Peut-on rire de tout ? Outre que j’ai déjà rencontré la question (sans l’épuiser c’est vrai - voir index rire), je suis toujours gêné par les exemples qu’on peut envisager : la mort, l’holocauste, brrr… Rire de tout ça ce n’est pas facile.

Par contre rire des philosophes : c’est facile et ça fait rire beaucoup de gens… sauf peut-être les philosophes eux mêmes. Que les philosophes aiment faire rire, oui : mais pas à leurs dépens ! Quel malotru ce Desproges, qui donne raison à tous les imbéciles qui ne comprennent rien à la finesse du raisonnement et à la subtilité d’une problématique. « Un chèque en blanc tiré sur l’ignorance » comme disait le bon docteur Lacan.

Quoique…

Notre rire signifie que cette boutade a un sens qui n’est pas à prendre au premier degré. On ne se plaint pas ici de l’obscurité de la philosophie, ni de son jargon, ni de l’aridité de sa dialectique. Ça, beaucoup l’ont fait (à commencer par les sophistes débattant avec Socrate), et ça ne fait rire personne.

Non, ici Desproges ne se moque pas de la philosophie ; il se moque des philosophes.

Répondons lui :

- D’abord, tous les philosophes ne répondent pas à des questions, certains n’ont que faire du dialogue par le quel ils pourraient en rencontrer. Il se trouve justement que le principal dans ce genre – je veux dire Nietzsche – a classé les philosophes selon la qualité de leur rire.

- Ensuite, certains d’entre eux ont utilisé le rire pour critiquer leurs confrères (1) – il est vrai qu’il s’agissait de faire rire des autres philosophes, et non de soi.

--> Oui, me dira-t-on, mais vous ? Si vous vous mettiez dans la peau d’un philosophe, est-ce que vous accepteriez de vous sentir concerné par la boutade de Desproges ? Est-ce que ça vous ferait rire ?

Moi ? Ça dépend.

- Si je n’ai pas su me faire comprendre et surtout, si je n’ai pas tenu compte de ce que savait mon interlocuteur, et plus encore si j’ai essayé de l’impressionner (Ils ont troublé leur eau pour qu’elle paraisse profonde disait Nietzsche), alors je ne ris pas trop, parce qu’on rit à mes dépens.

- Si par contre, mon interlocuteur prouve par sa remarque qu’il ne comprend se pas lui-même, alors, OK, je veux bien rire… de lui.

… On m’aura compris : le plus difficile, c’est de rire de soi ; ou plutôt, de rire avec ceux qui se moquent de vous, quand ce n’est pas votre propre plaisanterie qui l’a déclenché.

Cyrano riait de son nez, mais il embrochait ceux qui se moquaient de lui.

Desproges, lui, riait de son cancer. Soin talent a été de nous en faire rire aussi - avec lui.

(1) On peut évoquer l’anecdote de Diogène le Cynique venant à l’Ecole d’Athènes où l’on pérorait sur les définitions de l’homme : l’homme est un bipède sans plumes, disait-on. Et Diogène de jeter un poulet plumé au milieu de l’assemblée en disant : « Voici l’homme »

Wednesday, April 16, 2008

Citation du 17 avril 2008

Mourons pour des idées, d'accord, mais de mort lente / D’accord mais de mort lente.

Paroles et Musique: Georges Brassens 1972

On a beaucoup reproché à Brassens son manque d’héroïsme : comment un anarchiste comme lui peut-il avoir si peu de panache ?

Lisons sa chanson : 6 couplets = 6 arguments.

1. Ce sont des fanatiques qui prêchent de mourir pour des idées.

2. Qui donc se rappellera demain des idées pour lesquelles on meurt aujourd’hui ?

3. Ceux qui prêchent le sacrifice vivent en général très vieux.

4. A supposer qu’il faille mourir pour des idées, les quelles choisir ?

5. Aucun progrès de l’humanité nr vient récompenser un tel sacrifie

6. Laissez nous la vie, c’est notre seul luxe.

Le seul problème, c’est qu’on trouvera toujours des gens qui vont soupeser le pour et le contre, et vous démontrer qu’il y a des causes plus glorieuses que d’autres (1)

En réalité, on n’a pas dit l’essentiel : est-ce que ça a même un sens de « mourir pour » ? La mort est un fait physiologique, pouvons-nous dédier ainsi ce qui échappe à notre volonté, ce qui arrivera de toute façon qu’on le veuille ou non ? N’est-ce pas un excès d’orgueil ? Vérifions.

- Pascal disait que nous sommes tous comme des condamnés à mort, attendant notre tour d’être exécutés. Et Sartre d’ironiser par là-dessus : « Oui, disait-il, nous nous efforçons de faire de cette mort un acte héroïque… et puis nous sommes emportés par la grippe espagnole ! »

- On ne meurt jamais pour une idée ; on meurt en faisant quelque chose pour une idée. Le succès des kamikazes tient au fait qu’ils n’hésitent pas à sacrifier leur vie ; mais ce sacrifice n’a de sens que s’ils tuent le plus grand nombre de gens possibles.

On me dira que je me trompe, parce que la mort assumée est aussi un message adressé aux vivants : seul le martyr peut donner de la valeur au fait de mourir pour des idées. On se rappellera que le mot « martyr » signifie à l’origine « témoin » (2) : mourir pour ses idées signifie alors montrer qu’on les place plus haut que la vie même.
Oui, mais mourir pour sa foi, c’est beau, et pourtant ça ne suffit pas, car cet acte héroïque peut très bien échouer : son résultat dépend des autres plus que de soi-même. Que serait devenue sainte Blandine si l’arène n’avait pas existé ? Et le Christ, si on l’avait étranglé en secret au fond de sa prison ? C’est dans la conscience des autres que la mort du héros martyrisé prend son sens. Et il peut très bien se faire que les autres se désintéressent de la cause pour laquelle on se sacrifie (3)

- Kant imaginait l’homme à qui un tyran dirait : « porte un faux témoignage pour perdre un innocent, sans quoi je t’assassine ». Et il considérait que subir la mort au nom des valeurs était toujours un devoir : mieux vaut mourir juste que survivre au prix d’une injustice.

Mais on ne renonce pas à la vie en choisissant de mourir sous les coups du tyran qui nous commande de trahir. On ne fait que réagir à la situation que le tyran nous fait subir. Les résistants martyrisés n’ont pas choisi de mourir pour leurs idées : ils ont choisi de ne pas trahir leurs amis. La mort s’inscrit dans le contexte de la contrainte, c’est donc bien quelque chose qui m’échappe, et non ce dont je dispose librement. Je ne suis pas libre quand je meurs, mais quand je vis.

C’est dans le cadre de cette liberté que la chanson de Brassens prend sa valeur : La vie est à peu près [notre] seul luxe ici bas

(1) Voyez Corneille : «Si mourir pour son prince est un illustre sort, / Quand on meurt pour son Dieu, quelle sera la mort ! » (Polyeucte)

(2) Martyr (mot du jour) : du grec martur (venant de martus-marturos), signifiait témoin (langue juridique), puis chez les auteurs chrétiens : « celui qui témoigne de la vérité par son sacrifice »

(3) C’est du reste l’un des arguments de la chanson de Brassens : « Car, à forcer l'allure, il arrive qu'on meure / Pour des idées n'ayant plus cours le lendemain »

Tuesday, April 15, 2008

Citation du 16 avril 2008

Toute philosophie dissimule aussi une philosophie ; toute opinion est aussi une cachette, toute parole aussi un masque.

Nietzsche - Par-delà le bien et le mal §289

Magnifique citation, qui disqualifie à l’avance tout commentaire, puisque celui-ci étant parole n’est qu’un masque de plus.

Mais aussi paralogisme insupportable, qui, comme le scepticisme, ne peut dire le vrai qu’à condition de se dédire (1).

Plusieurs interprétations :

- d’abord, celle de Descartes qui - rappelons-le - affirmait « Je m’avance masqué » (2). Autrement dit, le philosophe cesse d’être une personne privée, un sujet (que ce soit le sujet de la subjectivité, ou celui du monarque), pour devenir une raison que tous peuvent partager, avec la quelle la communication s’effectue sans perte ni distorsion.

- Michel Foucault a repris à son compte cette formule de Descartes, mais cette fois pour mettre en retrait l’auteur du livre : « Qu’importe qui parle ? ». Le masque est la voix off dans le film, celui que porte le narrateur dans le roman, ou le « raisonneur » dans le raisonnement. Ni auteur ni maître.

- Bien sûr, Nietzsche dit tout autre chose. Le solitaire qui parle ici (Nietzsche imagine que tout philosophe a commencé comme Zarathoustra par un retrait dans la caverne - celle de l’ours ou du Dragon ; pas celle de Platon) dit que l’on écrit des livres pour cacher ce qu’on pense vraiment.

Ce que nous avons en nous d’important n’est pas à dire. La vérité ne se partage pas ; la vérité est l’expression de la volonté, elle est commune avec ce que je peux créer par mes propres forces. Si la parole est l’interface qui me rapproche des autres, alors elle ne peut être authentique.

(1) Voir aussi le paradoxe du menteur.

(2) Cf. Post du 9 août 2006

Monday, April 14, 2008

Citation du 15 avril 2008

Enfin Malherbe vint, et, le premier en France, / Fit sentir dans les vers une juste cadence, / D'un mot mis en sa place enseigna le pouvoir, / Et réduisit la muse aux règles du devoir.

Boileau - L'Art poétique (1674)

Ah !... L’art poétique ! Que ne donnerait-on pour le posséder ?

Raison pour se précipiter sur Boileau… Raison pour en tomber sur le derrière. Baudelaire, Aragon: auraient-ils trouvé grâce aux yeux de Boileau ? On en doute (surtout pour Aragon).

Et un poète gagne-t-il à réduire sa muse aux règles du devoir ? L’art poétique n’est-il donc qu’une technique ?

Même les poètes du dimanche, qui avaient soumis leur muse aux règles énoncées par Boileau, s’en sont affranchis – ne devenant pas meilleurs pour autant. Preuve que la vérité de la poésie est ailleurs.

Déjà supposons un instant que ce poème de Boileau ait été rédigé en prose : qu’est-ce que ça changerait ? Rien du tout.

Qu’est-ce que la cadence ? Le rythme des vers ? L’alexandrin n’a certes pas le même rythme que le décasyllabique. Mais n’en est-il pas de même de la prose ? N’est-ce pas justement le propre du style de l’auteur que d’imposer un rythme lié à sa pensée ? Qu’on lise quelques pages des Mémoire d’outre tombe pour s’en persuader. Disons donc que la poésie telle que l’entend Boileau impose à la pensée un rythme défini par l’Académie (1).

Enfin, le mot mis à sa juste place. Evidemment, il y a la rime. Les assonances supposent que la juste place du mot soit gouvernée par l’assonance voulue par la rime.

Alors, certes, la poésie possède plus de liberté dans la mise en ordre des mots qui lui permet de dire plus de choses grâce à ce jeu, faisant s’entrechoquer des mots que la phrase en prose isolerait complètement. Mais justement, pourquoi vouloir brider cette liberté par la rigueur de la grammaire et du bon usage ?

Autrement dit, ce qui nous étonne c’est cette volonté de codifier la bonne expression, la tournure exacte et élégante, allant jusqu’à cette législation imposée au poète. L’Académie française venait de naître.

Le mot d’ordre du poète : ni Dieu, ni Académie.

(1) Si vous n’avez pas le poème de Boileau sous les yeux, voyez cet extrait :
Par ce sage écrivain [Malherbe] la langue réparée / N'offrit plus rien de rude à l'oreille épurée. / Les stances avec grâce apprirent à tomber, / Et le vers sur le vers n'osa plus enjamber.

Sunday, April 13, 2008

Citation du 14 avril 2008

Celui qui a péché, c'est lui qui mourra. Un fils ne portera pas la faute de son père ni un père la faute de son fils: au juste sera imputée sa justice, et au méchant sa méchanceté.

Ancien testament - Ezéchiel, XVIII, 20

Alors, la faute originelle ? Hein, qu’est-ce qu'on en fait ? C’est bien parce qu’Adam et Eve ont péché que la mort est entrée dans l’humanité et que le Paradis a été perdu.

Attention. Ezéchiel nous dit Un fils ne portera pas la faute de son père ; mais si le fils faute par la faute de son père : ce n’est plus la même chose. Et c’est donc que la filiation de la faute n’est pas exclue, même si la filiation de la punition l’est. Autrement dit, c’est la corruption de la nature humaine qui est en cause.

Et c’est ça qu’on a du mal à admettre. S’agit-il vraiment d’une filiation ? Et de quelle corruption s’agit-il ?

Le fils du voleur sera-t-il voleur ? Peut-être, mais on songe plutôt à une causalité sociale. Le fils du pédophile, victime de son propre père, sera-t-il pédophile, violant ses propres enfants ? Peut-être également, mais on pensera non à l’hérédité, mais à un traumatisme déclanchant.

--> Autrement dit, l’hérédité comme transmission d’une nature morale nous est devenue totalement étrangère.

Du moins, c’est ce qu’on aimerait croire. Car tous les racismes consistent à croire qu’il y a une hérédité de cette nature morale. On s’acharne à démontrer que les races ne sont rien de significatif, et que la couleur de la peau n’a pas plus d’importance que celle des yeux. Soit.

Mais on devrait dire aussi que le partage d’une nature morale commune transmissible héréditairement est une absurdité.

Ça nous épargnerait de dire des bêtises sur les filles d’Eve.

Saturday, April 12, 2008

Citation du 13 avril 2008

Lorsque les hommes sont amis, la justice n'est point nécessaire, mais quand ils sont justes, ils ont encore besoin de l'amitié.

Aristote

Une citation, deux idées : deux questions

1 – Que signifient ces deux idées ?

Lorsque les hommes sont amis, la justice n'est point nécessaire. Ça, c’est facile. Je vous laisse faire ? Non ? Comme vous voulez.

Par exemple, on peut dire que l’ami est celui qui peut pardonner une faute commise par son ami : ce qui n’a rien à voir avec la justice. Ça ne vous suffit pas ? Ajoutez alors que la justice est rétribution, ce qui suppose le décompte des avantages et des inconvénients dans les échanges. Entre amis nul ne songerait à calculer l’avantage qu’il a eu à donner de l’amitié ou à en recevoir.

Bon, passons à la deuxième idée.

Quand ils sont justes, ils [= les hommes] ont encore besoin de l'amitié. Qu’est-ce qui nous manquerait si, ayant la justice, on n’avait pas l’amitié ? Et d’abord, ayant la justice, qu’est-ce que nous avons ? (1)

Dans la perspective grecque, la justice entre les concitoyens est strictement distributive : elle est rétribution des mérites et des fautes, distribuant peines et récompenses.

Et lorsqu'elle concerne les rapports entre les peuples, elle suppose un contrat préalable. Par exemple, la déclaration de guerre n’est pas une injustice entre deux peuples qui n’ont pas conclu un pacte de non agression (2).

Dans les deux cas, l'amitié est un lien plus fort et plus durable que la justice.
Admettons donc que ceux qui ont besoin de l’amitié sont des hommes liés par un pacte commun, qu’ils soient concitoyens ou simples trekkeurs dans la même caravane.

Pour savoir en quoi l’amitié est un supplément nécessaire, passons à la deuxième question.

2 - Comment articuler l’amitié sur la justice ?

Bien entendu, la question porte sur l’asymétrie : l’amitié sans la justice, c’est possible ; la justice sans l’amitié, ça ne marche pas.

Les hommes doivent avoir pour vivre, un peu plus que la satisfaction des besoins vitaux et que l’assurance de la sécurité apportée par les lois. Il leur faut le partage de la pensée, des sentiments, la reconnaissance de leur être propre dans l’être de l’autre.

Les hommes ont besoin de tout ça parce que ce sont des êtres sociaux, et que la sociabilité (3) qui est besoin de l’autre, s’exprime à des degrés divers dans l’amitié. Parce que l’amitié, c’est la réciprocité parfaite.


(1) J'entends bien qu'Aristote parle de l'homme juste et non de "justice". Disons qu'être juste c'est avoir une disposition naturelle à pratiquer la justice, en l'occurrence donner à chacun son dû.

(2) Exemple : l’Allemagne qui envahit la Pologne, en 1939, ce n’est pas une injustice. La même qui attaque l’URSS malgré le pacte germano-soviétique, c’est une injustice.

(3) Sociabilité : entendue ici comme faculté de vivre ensemble.

Friday, April 11, 2008

Citation du 12 avril 2008

Prendre un enfant par la main
Pour l'emmener vers demain.

Prendre un enfant, chanson d’Yves Duteil, 1977 (paroles vidéo)

Je sens que je ne vais pas me faire des amis aujourd’hui.

- Quoi ??? Citer Yves Duteil, le symbole de la ringardise, avec une chanson dégoulinante de bons sentiments, au point qu’elle a grimpé dans tous les hits parades des œuvres de charité et des associations de culs bénits ???

- Stop ! Pas de préjugés s’il vous plaît.

D’abord, si on réfléchissait à cette citation : Prendre un enfant par la main / Pour l'emmener vers demain. N’est-ce pas là l’affirmation que l’éducation a pour mission de transformer l’enfant, de le rendre capable de vivre dans le monde qui sera demain ?

Je voudrais me poser sérieusement la question : que fait-on quand on prend en charge l’éducation d’un enfant ? Je connais des hommes qui n’ont jamais voulu avoir d’enfant parce qu’au fond d’eux-mêmes, ils ne se sentaient pas capable de répondre à cette question.

Le problème, nous l’avons déjà signalé (1), c’est que nous ne savons pas de quoi demain sera fait. Vouloir transmettre à notre enfant les valeurs qui sont les nôtres c’est peut-être le condamner à vivre complètement décalé dans un monde nouveau. Mais inversement, rejeter tout ce que notre passé contient d’essentiel selon nous, n’est-ce pas fragiliser cet enfant en le rendant sensible à tous les changements de modes, comme un bouchon ballotté par le courant ?

- Hannah Arendt nous met en demeure de savoir faire la synthèse : « C'est pour préserver ce qui est neuf et révolutionnaire dans chaque enfant que l'éducation doit être conservatrice ; elle doit protéger cette nouveauté et l'introduire comme un ferment nouveau dans un monde déjà vieux » (2) Bon voilà qui est dit : éduquer, ce n’est pas emmener un enfant vers un demain que nous aurions imaginé ; pire : que nous aurions déjà engagé. C’est le mettre en état de produire ce qui sera demain. Demain sera une création, ou ne sera pas.

Donc : tous ceux qui sont froissés par la niaiserie de la chanson d’Yves Duteil devraient faire un peu moins les malins. La question n’est pas de savoir s’il faut ou non prendre un enfant par la main, mais plutôt qu’est-ce qu’on va mettre dans son cartable.



(1) Post du 15-10-2006

(2) La crise de l'éducation, in La crise de la culture, p.247

Thursday, April 10, 2008

Citation du 11 avril 2008

« Préludes de la science. - Croyez-vous donc que les sciences se seraient formées et seraient devenues grandes si les magiciens, les alchimistes, les astrologues et les sorcières ne les avaient pas précédées, eux qui durent créer tout d'abord, par leurs promesses et leurs engagements trompeurs, la soif, la faim et le goût des puissances cachées et défendues ? Si l'on n'avait pas dû promettre infiniment plus qu'on ne pourra jamais tenir pour que quelque chose puisse s'accomplir dans le domaine de la connaissance ? »

Friedrich Nietzsche - Le Gai Savoir.

Si je ne lisais que la première partie de cette citation, je dirais qu’elle est fort courante à l’époque où Nietzsche l’écrit (1182-1887). Ainsi Auguste Comte pense que l’idée de théorie n’a pu naître que grâce à l’état théologique qui, en élaborant une cosmogonie et donc une vision du monde, a été nécessaire pour que naisse l’idée d’une science générale de la nature (état positif)

Mais depuis Nietzsche, la science s’est émancipée de notre attente, et voici qu’elle nous promet l’Apocalypse :

- Apocalypse nucléaire : certes l’énergie nucléaire est la réponse à une attente que ce soit celle de la victoire (Hiroshima) ou celle de la conquête de l’énergie inépuisable (maîtrise de la fusion nucléaire). Mais, même si nous laissons de côté les inévitables accidents, cette capacité à détruire ne saurait rester longtemps inemployée.

Qu’importe d’ailleurs la réalité du danger : le redouter suffit à montrer que la science nous fait trembler plus qu’elle ne nous fait rêver. (1)

- Apocalypse écologique : Non seulement la science nous a donné les moyens de transformer la nature, mais elle nous donne les moyens d’en prévoir les effets.

La science nous donne les moyens de prévoir notre avenir. Mais nous donne-t-elle les moyens d’y remédier ? Ne sommes-nous pas en présence - quoiqu’en un sens différent - de ce que nous dit Nietzsche : « promettre infiniment plus qu'on ne pourra jamais tenir », sachant que le résultat obtenu n’est pas tout à fait celui qu’on espérait ?

Quand à moi, j’observe un retournement total dans l’évaluation respective du savant et du politique (pour parler comme Weber) : au XIXème siècle, on jugeait que les bienfaiteurs de l’humanité étaient les savants (2) : eux seuls étaient capables d’assumer ce projet révolutionnaire d’une humanité soulagée des maux de sa condition. Ayant le pouvoir de la science, ils avaient toutes les clés en main.

Pourtant quand il s’est agit de prendre des décisions déterminantes on a cru pouvoir se passer d’eux, comme on se passe d’intermédiaires inutiles. Aujourd’hui, ce sont les politiques qui sont en première ligne ; c’est à eux qu’incombe la responsabilité de prendre les décisions nécessaires pour l’avenir de la nature. Certes ils ne savent pas ce qu’il convient de faire ; mais ils sont les seuls à pouvoir le faire. Le cas de Nicolas Hulot est révélateur : supposons qu’il représente le monde scientifique ; il ne brigue aucun mandat politique. Il interpelle les politiques. Voyez aussi l’écologie : doit-elle être politique ou apolitique ? (3)

(1) Dans la sélection du New York Times donné en supplément au journal le Monde de samedi 5 mars, on apprend que 2 scientifiques américains tentent de bloquer par voie de justice la mise en service prochaine de l’accélérateur de particules (Large Hadron Collider) du CERN de Genève. Motif : il risque de générer un trou noir qui engloutirait la terre, et – pourquoi pas ? – l’Univers.

(2) Emile Zola écrivait : « Les vrais révolutionnaires, ceux qui feront demain le plus de bien à l’humanité, ce sont les savants. »

(3) Qui donc se rappelle aujourd’hui qui est Nicolas Hulot ? J’exagère ? - A peine.

Wednesday, April 09, 2008

Citation du 10 avril 2008

Il suffit d'ajouter "militaire" à un mot pour lui faire perdre sa signification. Ainsi la justice militaire n'est pas la justice, la musique militaire n'est pas la musique.

Georges Clemenceau

Amusante, la citation de Georges Clemenceau, amusante mais discutable.

Car en un sens, la musique militaire existe, et elle est signée Beethoven (La bataille de Vittoria) ou Tchaïkovski (Ouverture Solennelle 1812) : décharges de mousquets et coups de canon font partie de ces partitions. Il faut des militaires pour les exécuter (sans jeu de mot).

On dira malgré tout que la musique ne peut pas être militaire, parce qu’elle ne peut être définie par une fonction quelconque, qu’elle soit militaire ou autre. Sa nature est d’être musicale, ou bien elle n’est rien. Le canon qui tonne dans l’Ouverture Solennelle 1812 remplace un autre instrument (grosse timbale ???). Exactement comme l’orage de la Symphonie pastorale : peut-être que Beethoven aurait mis un enregistrement du tonnerre s’il avait pu.

Prenons toutefois au sérieux ce que nous dit Clemenceau : après tout, la musique n’est qu’un exemple. Si l’adjectif militaire ne peut s’attribuer à aucun mot, c’est qu’il n’y a que le militaire qui puisse être militaire : on est dans le règne de la tautologie. Mais, c’est une tautologie qui nous apprend quelque chose : faisons un peu glisser les mots et disons « seule la guerre peut-être militaire ». L’armée ne peut avoir d’autre fonction que la violence ; l’usage de la force ne peut servir qu’à la destruction.

Il est vrai que l’armée recrute aujourd’hui sur la base de missions humanitaires et non militaires : la sécurité, l’assistance aux populations, les soldats qui secourent des foules affamées par la guerre civile ou par des calamités naturelles. Qu’en dirait Clemenceau ?

Admettons un instant qu’il ait tort, et que maintenant une armée de bienfaisance existe, et que ce ne soit pas l’Armée du salut. Cette utopie d’hier serait donc devenu réalité d’aujourd’hui. Mais alors, comment expliquer que les populations civiles continuent à redouter les soldats, voire même à leur tirer dans le dos s’ils le peuvent ? Après l’Afghanistan, l’Irak : les malheureux peuples ne se réjouissent surtout pas de voir arriver les armées de libération, car quand les libérateurs s’installent à la place des tyrans, ils deviennent eux-mêmes tyrans. Disons-le autrement : quand quelqu’un arrive avec un FM sous le bras, on commence par se cacher : être armé signifie intention de tuer ; pour quelque cause que ce soit, peu importe.

La possibilité de la violence est déjà une violence.

Citation du 9 avril 2008

L’Enfant Jésus sur les épaules de Christophe est à la fois porté et emporté. […] Dans la traversée du fleuve il y a à la fois du rapt et de la corvée.

Michel Tournier - Le roi des Aulnes (p.85-86)

Je relève dans ces lignes l’identification d’une expérience particulière : le « portage du corps humain » (qui d’ailleurs est un thème dominant du roman de Tournier). Si vous deviez porter un être humain, comment vous y prendriez vous ? S’il s’agit d’un enfant, la question se résout facilement : sur les épaules, comme une brebis ou comme un cavalier sur sa monture. Seulement, ici, c’est le ravisseur qui fait lui-même la monture.

Maintenant, les artistes ont plus souvent illustré ce thème avec celui de l’enlèvement. (1)

Voyez le cas de Rubens, avec l'Enlèvement des filles de Leucippe : on devine qu’il faut être deux, un pour les épaules et l’autre pour les jambes. Ce n’est pas très romantique. L’enlèvement romantique nécessite un animal : soit le taureau pour enlever Europe (le tableau du Titien); soit le beau cheval blanc du Prince charmant qui vient enlever sa belle (oui : il faut en plus un balcon et une échelle de soie). Mais peut-on encore parler de ravisseur ? Même les filles de Leucippe : elles ne résistent guère, comme si elles étaient complices de l’enlèvement.

Qu’est-ce qui se passe lorsqu’il faut emporter un corps qui résiste ? Voyez ce que nous propose Dürer avec l’enlèvement des Sabines : Dürer a bien compris qu’il s’agit de résoudre un problème physique : comment porter un corps humain qui résiste, quand on est seul. Et voici le résultat :

… il suffit de porter la Sabine comme un madrier sur l’épaule

(1) Porter un enfant = enlever un enfant. Tiphauges, l’ogre de Tournier en fait la découverte qui va le mener jusqu’aux enfers nazis…

Citation du 8 avril 2008

Celui qui baise la rose épouse l'épine.

Jean Dypréau - Chemin des proverbes

Ce proverbe n’est pas dirigé contre les roses; il est dirigé contre le mariage.

Que représentent les roses ? Ce sont bien sûr les femmes (1) dont la séduction donne envie de les épouser.

Quel est le bon usage de ces femmes-roses ?

- D’abord, on peut tout de même les épouser, considérant que se frotter à leurs épines est un mal pour un bien. Qu’importe de souffrir, si c’est le prix à payer pour le bonheur de vivre avec la femme de nos rêves ?

- On peut les séduire et les abandonner lorsqu’elles nous ont donné tout ce qu’elles avaient à donner. Dans ce cas, « baiser la rose » prend un sens carrément trivial (2).

- Enfin, comme le Roman de la Rose nous y invite, on peut se contenter de les admirer, de rester à leurs pieds indéfiniment, sachant qu’on ne pourra jamais se hisser au-dessus de leur cheville.

Mais surtout, ce « proverbe » nous donne à penser que l’amour alors même qu’il n’éclôt que dans la perspective de l’éternité, ne s’inscrit pourtant pas dans la durée.

Autant dire que l’éternité est ici un fantasme, une sorte d’intuition strictement imaginaire, alors que la durée relève de la réalité, de la vie concrète. On se moque gentiment des amants qui n’ont d’existence qu’à deux, qui n’ont de pensée qu’à deux, qui ignorent le monde qui les entoure. C’est qu’ils vivent dans un temps différent, dans un système où les désirs sont des réalités.

Où les femmes sont des roses sans épines.

(1) Ou les hommes ? Bon si vous insistez… mais vu que les garçons naissent non pas dans les roses mais dans les choux, ça risque de ne pas être très poétique-

(2) Trivial mais pas pornographique, tout de même !

Citation du 7 avril 2008

Limiter la pauvreté sans limiter la richesse.

Victor Hugo - Les Misérables

Donner aux pauvres sans prendre aux riches, parce que la prospérité n’est pas une affaire de partage. Voilà le message. Et comme vous le reconnaîtrez, ce n’est pas un message révolutionnaire. Victor Hugo ce n’est pas Robin des Bois.

Limiter la pauvreté sans limiter la richesse…. Facile à dire, mais comment on fait ? Faut-il admettre que ceux qui prennent aux riches pour donner aux pauvres manquent simplement d’imagination ou de courage ?

Mais… Voyez comme les habitudes sont trompeuses : qui a dit que pour limiter la pauvreté, il fallait donner aux pauvres ? Que les pauvres sortent par eux-mêmes de la pauvreté, c’est là leur dignité, et qu’ils fichent la paix aux riches, c’est là le souci des riches.

Seulement, comment est-ce qu’on devient pauvre ? Est-ce qu’il faut naître comme ça, ou bien est-ce un accident de la vie ? Est-ce qu’on est pauvre parce que les riches ont accaparés les richesses, ou bien parce qu’on n’a pas su faire fructifier le seul capital dont chacun dispose : sa force de travail ? (1). En bref, quand on parle de pauvreté est-ce qu’on n’utilise pas un vocable désignant des réalités tellement disparates qu’on devrait s’interdire de les regrouper sous un seul terme ?

Ce constat est cynique : s’il y a mille et une façons d’être ou de devenir pauvre, il n’y en a qu’une de l’être effectivement : c’est de crever de faim – ou quelque chose d’approchant.

Le succès déplorable des Restos du cœur montre que l’urgence c’est bien de donner de quoi vivre. Mais on voit aussi qu’il faut donner autre chose aux pauvres pour les sortir de leur pauvreté : leur donner un travail (2) donc une qualification, donc une instruction ; un domicile, donc des ressources ; une allure présentable, donc des vêtements, des soins dentaires, etc.

Bref : on peut si on veut critiquer le terme « pauvre » ; mais il faudrait aussi critiquer le terme « donner ». On ne donne pas une aumône comme on donne une instruction.

(1) Là-dessus, voir notre bon La Fontaine

(2) Voyez le proverbe chinois (?) mille fois ressassé : « Donne un poisson à un pauvre…etc. »

Saturday, April 05, 2008

Citation du 6 avril 2008

Nous ne demandons pas aux statistiques assez de renseignements et nous exigeons d'elles trop de conclusions.

Auguste Detœuf - Propos de O. L. Barenton, confiseur (1938) - Éditions d'Organisation 1982

Il y a de ça quelques dizaines d’années, une statistique avait corrélé le pourcentage de ménages possédant un poste de télévision avec celui des divorces. Qu’importe que le procédé soit naïf, et que la diffusion quasi universelle de la télévision nous ait détourné d’une telle interprétation ; reste qu’on continue à l’utiliser abondamment. Car nous exigeons toujours du statisticien des conclusions comme si elles n’étaient qu’une manipulation technique de plus. Comme si les chiffres parlaient d’eux mêmes.

Il y un tas de gens beaucoup plus compétents que moi pour dire que les statistiques « mentent » par tous les bouts, par exemples les sondages qui induisent les réponses par la tournure des questions, qui fournissent des possibilités de réponses (Oui - Non - Ne-se-prononce-pas) dans les quelles chacun se positionne avec une intention différente, et je ne parle pas de la façon de constituer le « panel » des sondés…

En vérité, le public ne me semble pas très gourmand de statistiques, mais il l’est en revanche d’interprétations de statistiques. Lorsque vous trouvez des statistiques dans votre journal, lisez-vous les tableaux de chiffres, avec l’indication de la méthode de sondage, ou bien vous contentez-vous des réponses dominantes en chiffre gras et des conclusions qui vont avec ?

Au fond ce qui nous intéresse, c’est la certitude, c’est la réalité « objective », entendez celle qui révèle une propriété des choses ou des êtres, quelque chose de bien essentiel et de bien caché, pour qu’on puisse ce dire : « Ah ! C’est donc ça ! ». Que cette réalité objective existe ou pas, après tout qu’importe ? Notre besoin de certitude l’emporte largement sur notre intérêt pour la validité des vérités qu’on nous propose.

Notez que ce n’est pas une caractéristique de notre époque. Déjà Nietzsche signalait que ce que nous appelons vérité, c’est ce qui calme notre inquiétude et que notre aversion des « problèmes » venait du trouble qu’on ressent à les sonder.

Friday, April 04, 2008

Citation du 5 avril 2008

Pendant douze ans on a fait chambre commune mais rêve à part.

Michel Audiard - Dialogue du film Le Sang à la tête

Quand on partage la même chambre, il peut se faire qu’on partage le même lit.

Quand on partage le même lit, qu’est-ce qu’on partage en fait ?

Leroy-Ladurie rapporte dans Montaillou, que les ariégeois du 14ème siècle couchaient à plusieurs dans le même lit pour lutter contre le froid en hiver. C’est déjà ça.

Mais à part cette réponse, qu’est-ce que vous auriez à dire ? C’est trop intime ? Alors il faudra extrapoler à partir ce cette citation.

D’abord, relevons que le partage des rêves n’est pas ce qu’on attend essentiellement de l’autre quand on couche avec, puisque selon Michel Audiard ça peut durer 12 ans sans que ça ne casse. Alors, c’est quoi ce qu’on attend de l’autre ? L’élan de la nature au début, l’habitude ensuite, la recherche de chaleur en hiver, que sais-je encore ?

… Et si en réalité les rêves communs étaient importants mais qu’en fait on croit les partager, alors qu’on ne les partage pas du tout ? La dame qui se pâme entre vos bras, qui vous dit qu’elle ne se voit pas entre les bras de Brad Pitt ? Est-ce que vous de votre côté vous ne lui murmurez pas qu’elle est « jolie » … en ajoutant en secret « Angelina » ?

Bon, passons sur ces fredaines, venons-en à l’essentiel.

La réciproque de la citation de Michel Audiard, c’est qu’on n’a pas besoin de coucher ensemble pour partager les mêmes rêves. Ouf ! Nous voici sorti de la chambre à coucher.

Et si les rêves, c’est seulement ça qu’on pouvait vraiment partager, et avec ceux-là même qu’on ne connaît pas ? Et s’il n’y avait pas d’autre partage qui vaille ?

Je ne connais que les poètes pour ce partage de rêve. Un exemple ? Lisez Aragon, par exemple Elsa. Ne croyez vous pas que vous partagez avec lui un amour infini pour une femme que vous ne connaissez pas, qui n’existe probablement pas d’ailleurs, et que cet amour partagé vous donne un peu de bonheur ?

Amour partagé… s’il s’agit d’Aragon, vous me direz que c’est un amour partagé sans doute avec beaucoup d’autres qu’Elsa. Mais que voulez-vous ? Le rêve n’a pas besoin du support de la réalité pour s’épanouir.

C’est même ça qui fait son avantage.

Thursday, April 03, 2008

Citation du 4 avril 2008

- Après la bière on ferait un traité sur Hegel. Après le champagne on montrait à l’assaut. Après le Bourgogne on ferait une femme. Après le cidre on ferait un bail.
Edmond et Jules de Goncourt – Journal littéraire (à Trouville, le 10 juillet 1864 p. 1086)
- Quand j’écoute trop de Wagner, j’ai envie d’envahir la Pologne !
Woody Allen
On constate que l’idée de relier des produits culturels aux actes ou aux comportements issus des mêmes populations n’est pas une nouveauté.
Ayant une réserve quand à l’utilité de la bière pour écrire un traité sur Hegel, je me concentrerai sur l’observation concernant les Normands, dénigrés systématiquement par les Goncourt comme un peuple de petits paysans matois et obsédé par la propriété de leur champ.
Et ne croyez pas que seuls les paysans normands leur déplaisent : voyez leur jugement sur Flaubert. Ce n’est pas un paysan, mais c’est un normand. Trop grossier, trop provincial pour plaire aux Goncourt, « aristocrates » parisiens, malgré l’amitié qui les relie à celui qui, accusé comme eux d’encourager l’immoralité, partagea l’infamie du banc des accusés.
Toutefois, les Goncourt qui ont horreur des normands vont presque chaque année passer le mois de juillet à Trouville : s’agit-il d’un exemple de masochisme ? C’est qu’en fait, sorti de Paris, la province - toute la province - leur fait horreur. Pour eux, la nature qui a fait les hommes, les a faits de « nature différente » : on n’est pas le même selon qu’on est bourgeois, aristocrate, paysans, parisien ou provincial, homme ou femme. Par exemple, la seule chose qu’on puisse espérer d’un bourgeois, c’est qu’il reste à sa place et qu’il ne vienne pas avec une morgue « prudhommesque » prétendre dicter ses mauvais goûts à la bonne société. Sûr qu’en 1789 on leur aurait coupé la tête.
Bon, direz-vous, tout ça c’est des vieilles lunes ; déjà à leur époque les Goncourt devaient passer pour des réactionnaires un peu décalés.
Quoique…
Demandez aux Parisiens ce qu’ils pensent des Ch’tis. Hein ? … Non, je me trompe : demandez aux Ch’tis ce qu’ils pensent des parisiens.

Wednesday, April 02, 2008

Citation du 3 avril 2008

On raconte que Platon, voyant quelqu'un qui jouait aux dés, lui fit des reproches. Ce dernier répondit qu'il jouait pour peu de chose. "Mais l'habitude, répondit Platon, ce n'est pas peu de chose.

Diogène LAËRCE - Vies et doctrines des philosophes illustres III 38 Platon

Bien répondu !

Quand je vais acheter mon journal, et que je suis obligé d’attendre que madame Truc-Muche, ma voisine ait fini de comptabiliser avec la marchande ses « Truc-à-Gratter », je m’énerve et je me demande qu’est-ce que je pourrais trouver de désagréable à lui dire pour me venger de cette attente.

- Mon Truc-à-Gratter, c’est un peu de rêve, si peu : quel mal à ça ?

- C’est que vous avez besoin de jouer, chaque jour : vous vous êtes donné une dépendance, vous avez vous-même rogné volontairement un peu de votre indépendance, un peu de votre liberté.

« L'habitude, ce n'est pas peu de chose. » : ce n’est pas ce dont on a l’habitude qui importe ; c’est le fait d’avoir des habitudes. D’ailleurs, c’est tellement vrai qu’on a cru devoir souligner cette vérité en inventant – ou en popularisant – le terme d’addiction. Au début, on était « addict » parce qu’on prenait de l’opium ou une drogue quelconque ; après on a été addict au jeu, ou à l’alcool, ou à la femme qu’on aime. Maintenant, on est addict à son téléphone portable ou à n’importe quoi, l’addiction est devenue si banale qu’en effet c’est un synonyme de l’habitude. Banale, mais en même temps de la même nature que les autres dépendances dont on vient de parler.

Bon, maintenant vous allez faire quelque chose : vous allez faire l’inventaire de ce que vous faites et refaites chaque jour de la même façon ; et vous allez vous demander ce qui se passerait si vous les faisiez autrement, ou à d’autres moments. Si vous répondez que ce ne sont que des commodités, et qu’après tout ça pourrait se passer tout aussi bien autrement, rien à dire. Mais si un sentiment de malaise ou même seulement d’inconfort apparaît à cette évocation, considérez qu’il faut vous libérer de vos habitudes.

- Et aller chaque jour mettre en ligne, à la même heure, un post sur son blog, comment vous appelez ça ?

- Ça, ce n’est pas de la routine, monsieur. C’est de la constance et de la détermination.

Tuesday, April 01, 2008

Citation du 2 avril 2008



Redouter ce qu’on souhaite – Souhaiter ce qu’on redoute

Miss.Tic

Et voici le tableau interprété ici par Miss.Tic, l’un des plus célèbres de Fragonard :


Fragonard – Le verrou (Musée du Louvre)

Le commentaire de Miss.Tic souligne l’attitude de la jeune femme : une main appuyée sur le menton de l’homme comme pour le repousser, le corps rejeté en arrière dans un mouvement dont la souplesse dit qu’elle consent pourtant déjà à ce corps à corps. Elle est toute entière dans cette dénégation du désir, qui la possède déjà totalement : Miss.Tic a bien vu l’essentiel. Mais en même temps, elle a modifié significativement la mise ne scène voulue par Fragonard.

Parce que, si le tableau de Fragonard nous raconte cette scène de séduction, il le fait autrement, en utilisant un accessoire, qui d’ailleurs sert de titre au tableau : le verrou, qui a disparu du pochoir de Miss.Tic.

Du bout des doigts, en douceur, le jeune homme pousse le verrou : la proie est dans la nasse, il convient qu’elle ne s’échappe pas (mais aussi : le danger peut venir de dehors, il convient également d’empêcher un intrus de pousser la porte). Et la main de la jeune femme, tendue vers ce même verrou, semble supplier pour qu’on ne le ferme pas (mais peut-être qu'en réalité elle accompagne le geste…)

Et regardez à nouveau le pochoir de Miss.Tic : supprimez le verrou, et vous avec une posture de danseurs de ballet. Le geste des mains devient un mouvement destiné à contrebalancer la posture des corps, à créer du mouvement et de l’équilibre.

--> Là où, dans le tableau de Fragonard il y a une histoire qui se raconte, on trouve dans le pochoir de l’ornementation - et non de la narration.