Friday, September 30, 2016

Citation du 1er octobre 2016

Une véritable prière ne formule pas une supplique, mais un remerciement.
Eric-Emmanuel Schmitt – L’homme qui voyait à travers les visages. p.298
Schmitt place cette phrase dans la bouche de Dieu. Badinerie ? Propos sérieux ? Comme vous voudrez, seulement je considère utile de penser que c’est très sérieux.
- Notons d’abord que ce qui est affirmé ici, c’est que la demande d’intercession doit être rejetée comme inessentielle à la prière. Supposez que vous puissiez suivre le cheminement de votre prière. La voilà qui frappe aux portes du Paradis, et c’est Saint Pierre qui la reçoit : il l’examine et il rejette toutes celles qui ne sont pas dignes d’être lues par Dieu, en particulier les demandes de grâce. Pourquoi Dieu irait-il accorder une grâce à une de ses créatures ? Par contre, si c’est un chant de louanges que porte la prière jusqu’au paradis, là c’est déjà plus acceptable – la Création n’a-t-elle pas pour rôle de glorifier Dieu ?
- Maintenant, comment remercier Dieu ? Déjà remarquons que le fidèle doit absolument être digne d’émettre ce remerciement. N’importe qui ne le peut pas, il faut que ce remerciement provienne de quelqu’un de légitime. C’est ainsi que dans la prière musulmane le croyant d’un même mouvement loue la grandeur d’Allah, se soumet à Lui et Lui demande pardon pour ses péchés. La créature indigne de son créateur doit se purifier pour oser se présenter devant Lui, ce qui ne signifie pas seulement d’avoir opéré des ablutions (symboliques il est vrai) mais surtout de mériter d’être absout de ses désobéissances et de s’engager à ne plus recommencer.
- Et maintenant, le propos du mécréant : « Pourquoi, dira-t-il, prier ? Si c’est pour obtenir une grâce, soit, on comprend. Mais pourquoi remercier ? Si vous croyez que Dieu se sentira grandi par votre gratitude c’est que vous commettez encore le péché d’orgueil, ce qui est très grave, et qui vous place en mauvaise position pour faire accepter votre prière. »

« En réalité, poursuivra notre incrédule, la prière n’a d’autre fonction que celle de vous rapprocher de Dieu, de chercher à vous glisser dans les plis de sa robe ( ?), comme le petit enfant dans les jupes de sa mère. Consommez une drogue qui vous ouvre les portes de l’au-delà, et vous n’aurez plus besoin de prière. »

Thursday, September 29, 2016

Citation du 30 septembre 2016

Si un lion pouvait parler, on ne le comprendrait pas
Ludwig Wittgenstein
L’homme ne peut que « faire l’homme », il ne peut pas « faire le lion », sauf à être lion. « Si un lion pouvait parler, on ne le comprendrait pas » : la langue que parlerait le lion renverrait à sa propre forme de vie (1), qui n’est pas la nôtre et que nous ne pourrions comprendre. 
Pour bien comprendre cela, il faut savoir que lorsque nous parlons, ce que nous disons signifie bien au-delà de l’alignement de mots qu’une machine pourrait effectuer. Parler, c’est prélever une expérience sur tout un amas confus de vécus possibles, et le mettre en lumière. Mais cet amas confus reste en arrière plan et c’est par rapport à lui que nait la signification. Même la machine produit un ensemble de significations que seul un esprit humain peut découvrir. Comprenons-nous tous de la même façon ce que nous dit Siri ?
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Laissons les machines et revenons aux animaux. Je ne parlerai pas des lions avec les quels je n’ai que très peu de contacts et songeons plutôt à nos animaux de compagnie, que nous côtoyons en permanence et qui finissent par réagir avec opportunité à certains de nos signes – ce qui nous fait regretter qu’«il ne leur manque que la parole». Erreur : il y a de toute façon une partie de leur « message » qui nous resterait hermétique si jamais nous avions le pouvoir de communiquer réellement avec eux.
Je m’explique : quand mon chat miaule devant sa gamelle vide ou quand il pousse un autre miaulement bien différent devant la porte pour sortir, je comprends son message : « J’ai faim », ou : « Je veux aller me promener ». Et je veux croire que si mon chat a faim, ou s’il veut sortir, ça doit correspondre exactement à que j’éprouve avec ces  mêmes besoins. D’ailleurs, si un lion nous disait  « J’ai envie de te croquer » ne le comprendrions-nous pas suffisamment pour partir à toutes jambes ? Saine réaction, mais qu’est-ce que je sais en réalité ? Peut-être que le lion – ou  mon chat – fantasme ( ?) quelque chose de bien différent lorsqu’il a faim. Peut-être que le lion se voit dévorant sa proie alors que sa femelle le regarde avec envie…
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Ne le cachons pas plus longtemps : ce que dit Wittgenstein, c’est encore autre chose, qui ne supprime pas ces différences fantasmées, mais qui s’ajoute à elles.
Ce que dit Wittgenstein, c’est que la signification de nos messages implique des jeux de langage proprement humains (cf. Annexe) ; ce qui structure notre pensée et nos messages, c’est ce renvoi permanent de chaque élément à d’autres éléments de langage, ce qui fait que nos messages ont une structure circulaire, chaque élément signifiant par rapport à d’autres éléments et non par simple désignation du réel.
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(1) Annexe : « Dans la forme de vie de l’être humain, l’homme pratique des jeux de langage proprement humains : commander et obéir à des commandements ; décrire un objet ; rapporter un événement ; traduire d’une langue dans une autre ; demander, remercier, maudire, saluer, prier » Phap – Wittgenstein : Le langage ou la réalité comme surface tissée

Wednesday, September 28, 2016

Citation du 29 septembre 2016

C’est Dieu qui tue.
Eric-Emmanuel Schmitt – L’homme qui voyait à travers les visages. (Page 162)

« Et le lauréat du prix Friedrich Nietzsche de l’Athéisme (1) pour 2016 est … Eric-Emmanuel Schmitt pour son dernier roman, l’homme qui voyait à travers les visages ! »
- Monsieur Schmitt, comment expliquez-vous votre succès, alors que la concurrence était cette année particulièrement élevée, en raison de l’ouverture du concours aux dessinateurs de presse ?


Couverture de Charlie Hebdo un an après le carnage de janvier 2015
- Eh bien voyez-vous j’ai osé dire que les athées étaient des dangereux idéalistes qui faisaient fi de la réalité. Moi, j’ai rétabli la vérité dans mon livre et c’est pour cela que j’ai été récompensé.
- Vous pourriez nous en dire un peu plus ?
- Selon les incroyants Dieu n’existe pas et les religions sont des systèmes d’aliénation mis en place pour manipuler les hommes et déchainer leur violence dans l’intérêt des prêtres. Or la réalité est toute autre.
Dieu existe, et c’est lui qui déchaine la violence contre les hommes qu’il a créés sans doute pour avoir un peuple à tourmenter. Pour le vérifier il n’est que de penser à toutes les cruautés de Dieu que nous conte la Bible : Adam et Eve chassés du Paradis terrestre, Sodome et Gomorrhe vitrifiés par le feu céleste, tous ces pays dévastés, ces peuples écrasés par la violence voulue par Lui ; et puis Son Fils crucifié selon Sa volonté… Et n’oublions pas l’Apocalypse et ses 4 cavaliers qui partent ravager le monde.
Toutes les religions sans exceptions ne sont que l’expression de la volonté de Dieu de détruire. Mieux vaudrait qu’il n’existe pas !
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(1) Nietzsche est celui dont le cri « Dieu est mort » retentit encore aujourd’hui.

Tuesday, September 27, 2016

Citation du 28 septembre 2016

«  Elle revient avec un gros rouquin … C'était le début d'une nouvelle vie, avec quelqu'un avec qui partager caresses, regards, instants de discussion, et des nuits, des vraies nuits entières de vrai repos bercé par son ronronnement et le pétrissage de ses papattes. »
Alors, voilà : c’est l’histoire d’une dame qui refait sa vie avec un gros rouquin avec le quel elle fait des parties de papattes-en-l’air ?
Mais non ! Ecoutez plutôt l’histoire de Charlotte (c’est la dame en question). « Charlotte a d'abord perdu son mari, « parti voir ailleurs », puis un emploi valorisant, et enfin sa santé. Ayant perdu le sommeil et l'appétit, elle fait l'erreur d'aller consulter un psychiatre, qui croit détecter en elle des troubles bipolaires. C'est parti pour un « rallye médical » : un médicament pour l'humeur, un autre contre l'anxiété, un autre pour le sommeil.
Résultat : plus cinq kilos, des migraines, des nausées, un épuisement permanent. » (Lire la suite ici).
Que faire ? Charlotte ressent le besoin de la compagnie d’un chat et au refuge de la SPA elle découvre un gros chat roux. Oui : c’était lui le « gros rouquin » - qu’alliez-vous imaginer ? Le chat est donc aussi un médecin, qui lui offre sa douce compagnie la nuit au lit et qui pardessus le marché est un « coach mental ».

Attila – Le chat que nous avions déjà rencontré le 23 juin
Bon : qu’est-ce qui nous surprend là-dedans ? Pas que le chat soit si confortable dans l’intimité, ni qu’il nous montre comment faire pour être décontracté. Mais peut-être que ce soit lui qui nous donne tant : par quel miracle manifesterait-il tant de générosité, lui, dont la réputation d’égoïsme et d’impérialisme n’est plus à faire ?
On l’a compris : le chat ne peut rien pour nous sauf à nous montrer ce que la nature a voulu et a créé pour ces animaux qui n’ont qu’elle comme source d’inspiration. Les philosophes nous l’avaient dit : Sequi naturam – Suis la nature ! Eh bien ce sont les chats qui nous montrent le chemin.

Certes le plaisir du chat n’est peut-être pas toujours celui de l’homme, mais enfin pour trouver ce qui dans l’avenir pourra encore nous en donner, il faut cesser de chercher à retrouver celui qu’on a perdu afin de pouvoir jouir du pur présent – et là, le chat peut être un excellent modèle.

Monday, September 26, 2016

Citation du 27 septembre 2016

Nourriture passe nature. L'âme de l'enfant toute neuve et blanche, tendre et molle, reçoit fort aisément le pli qu'on veut lui donner.
Pierre Charron – De la sagesse Livre 3, ch. 14

Nourriture passe nature : pour comprendre cette expression proverbiale, il faut se rappeler qu’au 16ème siècle la nourriture qui peut corriger la nature n’a rien à voir avec les aliments qu’on  peut manger, mais bien à l’éducation qu’on donne à l’enfant. (1)
Reste à considérer la suite : « L'âme de l'enfant … reçoit fort aisément le pli qu'on veut lui donner ». Est-ce vrai ?
Observons pour commencer que les régimes politiques autoritaires, là où un autocrate cherche à perpétuer son pouvoir despotique, s’efforcent de contrôler l’éducation des enfants en imposant des maitres d’école à leur solde, par exemple en faisant chanter l’hymne national à la gloire du despote la matin avant de commencer les cours. Mieux encore, les nazis, les bolcheviques ou les maoïstes ont créé des brigades d’adolescents entièrement dédiées à la gloire du régime.
L’idée est que les enfants en venant au monde sont comme une tabula rasa où l’on peut écrire ce que l’on veut, car l’âme des enfants /est/ toute neuve et blanche, tendre et molle. Ce qui va à l’encontre d’une conception plus biologisante, plus « innéiste » de l’être humain. Cet innéisme, on le rencontre aujourd’hui avec l’ADN, qu’on évoque comme origine du comportement humain (2). Il y aurait là un noyau dur du caractère – qu’on estime si dur qu’il est impossible qu’il ait été acquis par l’éducation  ou la culture familiale.
Alors nous revoilà dans le sempiternel débat qui oppose la culture à la nature, les uns considérant que tout en l’être humain vient de la première, les autres que tout procède de la seconde ? On peut quand même évoquer une position plus originale chez Kant, pour qui tout peut s’acquérir mais qu’il faut prendre garde : pas à n’importe quel âge. Ainsi du respect de la discipline qui doit s’apprendre très jeune, à l’école, dès les plus petites classes.
On peut croire Kant, le philosophe prussien : il savait de quoi il parait !
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(1) « Nourriture signifie de façon figurée éducation… On dit proverbialement « nourriture passe nature », pour dire que la bonne éducation corrige les défauts d’un mauvais naturel. » (Dictionnaire de l’Académie)

(2) Il est vrai qu’on le met à toutes les sauces, parlant de l’ADN de l’entreprise à propos de ses pratiques managériales.