Tuesday, September 30, 2008

Citation du 1er octobre 2008


Mille Posts en mille jours.

Pour ce millième message, La citation du jour s’efface devant les citations elles-mêmes et leur laisse la parole.


C'est le mérite de la poésie qui a mille petites portes de planches pour une porte de pierre, mille sorties au jour le jour pour une gloire triomphale.

Paul Eluard

Le goût est fait de mille dégoûts.

Paul Valéry – Choses tues

Lorsque l'on doit faire quelque chose de déplaisant, on trouve mille choses futiles prioritaires.

François Raux

La mort n'a qu'un instant, et la vie en a mille.

Cardinal de Richelieu – Maximes d'Etat

Un voyage de mille lieues commence toujours par un premier pas.

Lao-Tseu – Tao Te King

Pour bien faire, mille jours ne sont pas suffisants, pour faire mal, un jour suffit amplement.

Proverbe chinois

Une route peut prendre mille directions, la vérité n'en connaît qu'une.

Proverbe chinois

Monday, September 29, 2008

Citation du 30 septembre 2008

Ce qui, probablement, fausse tout dans la vie, c’est qu’on est convaincu qu’on dit la vérité parce qu’on dit ce qu’on pense.
Sacha Guitry

Je suis d’accord avec Guitry : ça veut dire je pense comme lui ?
Mais non : c’est lui qui pense comme moi. D’ailleurs, que je pense ce que je pense me suffit amplement : qu’ai-je à faire de l’opinion des autres ? C’est mon opinion et je la partage… (1)
Il est facile – trop facile – de rappeler les ridicules émissions de radio où des « vrais gens » disent leur opinion sur tel ou tel sujet d’actualité, et quand ils sont pris en flagrant délit de bêtise, paraissent tout surpris : ne leur suffisait-il donc pas de dire ce qu’ils pensaient ?
Pour ancrer cette confusion entre la vérité et la certitude dans une référence philosophique, évoquons les sophistes de Platon qui, dialoguant avec Socrate, se fâchaient d’être mis dans l’embarras par les questions du vieux sage. Ils tenaient à leur opinion plus qu’à la vérité, et ils en voulaient à Socrate de les contraindre à y renoncer, parce qu’il leur semblait qu’alors ils renonçaient à une part d’eux-mêmes.
Rappelons aussi pourquoi les philosophes s’entêtent à disqualifier l’opinion, alors même que son libre exercice est considéré comme une liberté fondamentale.
Ce qui est en cause, c’est le statut de la vérité. Comme le dit si justement Sacha Guitry, la vérité m’apparaît d’abord comme étant ce que je pense. La vérité, commence par être un état affectif dans ma conscience : j’adhère à son évidence, je sens que c’est vrai, je serais étonné et déçu si on me détrompait. Dire la vérité, c’est toujours à la première personne que ça se conjugue. Contre quoi, les esprits rationnels diront que le monde ne va pas comme je veux mais comme il veut. Et que, dans un second temps, la vérité n’est rien d’autre que sa vérification (Bachelard).
- Oui, mais tout ça, c’est bon en théorie, pas en pratique. La vérité, c’est aussi ce pour quoi je veux me battre, elle est l’expression même de ma nature, bref la vérité c’est l’authenticité de mon engagement. Et c’est ça aussi qu’on appelle « opinion ».
Et j’applaudirai : mais je ne vois plus en quoi la vérité est concernée par cette conception de l’opinion.
Les communistes d’autrefois avaient sans doute mille fois raison de dire que la révolution était l’espoir de l’avenir. Mais c’est quand ils disaient qu’elle était la vérité du mouvement de l’histoire qu’ils se trompaient, et aussi quand ils condamnaient comme penseurs bourgeois ceux qui en doutaient.
Et ils se trompaient plus encore quand ils affirmaient que le camarade Staline était le libérateur du prolétariat…



(1) Citation de Henri Monnier, Mémoires de M. Joseph Prudhomme

Sunday, September 28, 2008

Citation du 29 septembre 2008


Gouverner, c'est choisir.

Duc Gaston de Lévis. 1720-1787

Gouverner, c'est choisir, si difficiles que soient les choix.

Pierre Mendès-France – Discours à l’Assemblée nationale 3 juin 1953

Plus que la maxime du duc de Lévis, c’est l’emploi qu’en fait Mendès-France dans son discours pour l’investiture du président du conseil, qui est resté dans les mémoires et qui mérite qu’on y revienne aujourd’hui.

Première question : si cette maxime est vraie, alors on peut se demander si nos gouvernants gouvernent réellement. Ont-ils une marge de manœuvre ? Ont-ils des choix possibles ?

Et s’ils ne l’ont pas, sont-ils il encore des gouvernants ? Font-ils quelque chose de plus qu’expédier les affaires courantes ?

Face à la crise financière, on entend dire qu’ils sont comme des bouchons emportés par le courant. D’autres disent qu’ils ont pourtant encore plusieurs politiques possibles, et qu’ils font semblant d’être contraints par la crise internationale.

Mais une seconde question apparaît à la lecture du discours de Pierre Mendès-France.

Ce que Mendès-France affirmait dès 1953, c’est qu’il fallait mettre un terme à la ruineuse guerre d’Indochine – raison sans doute pour la quelle il ne fut pas investi. L’urgence était de reconstruire la France, et cela imposait donc le renoncement à l’Outre-mer.

Autrement dit, quand on fait quelque chose, alors nécessairement on ne peut plus faire autre chose. C’est ce que révèle la crise actuelle : en restreignant les choix, elle nous oblige à renoncer à certains projets. On ne peut pas tout faire, ni tout avoir. Les dirigeants politiques doivent savoir hiérarchiser les objectifs et renoncer à ceux qui, n’étant pas prioritaires, empêcheraient d’atteindre les plus urgents si l’on prétendait les poursuivre tout de même.

Le politique honnête est celui qui dira : si je fais cela, alors je ne pourrai pas faire ceci.

--> Nous y voilà : nous arrivons finalement à une formule du courage politique.

Le vrai courage politique, est non pas de faire, mais de renoncer à faire.

« Mesdames et messieurs, je veux en prenant la parole aujourd’hui devant vous, prendre l’engagement solennel de ne pas tenir certaines de mes promesses, afin de pouvoir en réaliser plus efficacement d’autres que je vous ai également faites l’an dernier en me présentant à vos suffrages. »

Ça c’est de la com !

Saturday, September 27, 2008

Citation du 28 septembre 2008



Entre volupté et vaisselle…

Miss.Tic (Adhésif permanent découpé dans la matière pour ne conserver que le trait et la finesse des détails. Silhouette 45x75cm. En vente chez Leroy-Merlin)

Grâce à Plage – moteur de tendance – leader de l’adhésif de décoration, invitez Miss.Tic dans votre salon. Collez donc un de ses pochoirs au dessus du canapé, et voilà vos amis invités à philosopher pendant l’apéro. Moi, j’aime…

Quant à vous, vous allez en profiter pour lancer un petit jeu de commentaire, histoire d’occuper le temps pendant que chacun sèche son premier whisky. Qu’a voulu dire l’artiste ?

Entre volupté et vaisselle

- Voilà qui commence bien. La Miss nous fait encore le coup de la femme jouet du fantasme des hommes : entre cuisine et plumard, aucun espoir pour la femme d’exister autrement que définie, délimitée par le besoin et le désir des mâles…

Oui, mais voilà : obligez donc vos invités à lire jusqu’à la fin : Je ménage ton bricolage existentiel… Et dites leur qu’ils ne pourront pas se resservir un autre whisky tant qu’ils n’auront pas correctement interprété le message.

Car voilà : avec la Miss, le coup de griffe n’est jamais bien loin.

- Bon, on a compris. Ça veut dire : je suis ta boniche le jour et la bobonne qu’on culbute sur le lit le soir ? Oui, mais encore faut-il qu’elle soit là, disponible. Et si elle fait grève ? La grève des bras croisés, et puis aussi la grève des jambes croisées tant qu’on y est ? (1)

- Mais ce n’est pas fini : écoute bien, le pire est à venir.

…ton bricolage existentiel : ce n’est pas pour faire plaisir à monsieur Leroy-Merlin qu’elle a mis ça, la Miss.

Voilà ce qu’elle dit sa Nana : « Boniche et Bobonne, si je ne suis pour toi que cela, c’est que toi-même tu n’es pas autre chose. Tu n’es que la somme de tes besoins et de tes désirs. Ton existence est toute dans ce pauvre bricolage qui met bout à bout la faim et puis la soif et puis le rut et puis le sommeil, et puis encore la faim… »

Gloups ! Encore un whisky qui va mal passer …


(1) Allusion à la grève du sexe des femmes colombiennes et …à Lysistrata d’Aristophane – Citation du 19 octobre 2006 (note 1)

Friday, September 26, 2008

Citation du 27 septembre 2008

La vérité est trop nue, elle n’excite pas les hommes.
Jean Cocteau
Première idée, la vérité n’est pas ce qui nous intéresse.
Deuxième idée, la vérité ne nous intéresse pas parce qu’elle est « nue » c’est à dire sans mystère ; elle est de la lumière sans ombres.
Troisième idée : ce qui excite les hommes – et les femmes – c’est plus ce qu’on devine que ce qu’on voit.
Je laisse de côté cette dernière évidence, déjà signalée ici (1).
Et tant que j’y suis, je laisse aussi tomber les deux autres, y compris le grave débat sur l’intérêt pour la vérité.
Je vais admettre que la vérité ne nous intéresse pas, et je vais me demander : mais alors, qu’est-ce qui nous intéresse ?
Ce qui nous intéresse ce n’est pas ce qui obéit à la loi de la réalité – et qui se révèle dans la vérité – mais à celle de notre désir. Et ce qui nous désirons, c’est ce qui produit en nous de l’émotion. Que ce soit dans nos rapports avec nos voisins ou nos semblables, que ce soit dans l’information qu’on nous donne, que ce soit dans les « discours » de nos politiques, ce qui compte, ce sont les battements du cœur, le souffle coupé, le geste suspendu… L’émotion est ce qui se passe dans la tête, c’est vrai, mais c’est aussi ce qui se passe dans le corps.
L’information déversée dans nos oreilles par les radios, ou mise sous nos yeux par les télés nous le prouve suffisamment : il faut de la sensation – et la sensation c’est de l’émotion : joie, peur, exultation, terreur… Un petit enfant est perdu ? Intérêt : on dresse l’oreille. Il est retrouvé mort ? Horreur, colère, et revoyons vite l’odieux assassin qu’on pousse dans la voiture des policiers. Il est retrouvé vivant ? Ah… la larmichette quand on voit la maman presser sur son cœur le tout petit, si petit…
Et l’intérêt pour les retransmissions de compétitions sportives également : ce sont des générateurs d’émotions.
Comme le soulignait Sartre (2), l’émotion est une conduite destinée à transformer le monde, sa signification est toute entière là, dans sa capacité à réaliser ce que la réalité nous empêche de faire.
Seulement, je crois que l’émotion est plus du côté du plaisir que du côté de l’utilité. Se faire jouir, plutôt que de surmonter magiquement l’obstacle.



(1) Citation du 16 septembre 2007
(2) Sartre – Esquisse d’une théorie des émotions. On peut lire éventuellement ça.

Thursday, September 25, 2008

Citation du 26 septembre2008


Croire en Dieu, c'est vivre par quelque chose qui n'existe d'aucune manière dans le monde, sinon dans le langage ambigu de ces phénomènes que nous appelons chiffres ou symboles de la transcendance.

Karl Jaspers – Introduction à la philosophie

1 – Remarquez combien il est difficile à quelqu’un qui voudrait retrouver le sens des mots, de mettre le doigt sur une citation qui emploie le mot « chiffre » dans le sens de : signe secret. (1)

Ainsi va le monde que les chiffres ne soient plus l’indice d’un secret à décrypter, mais seulement d’une quantité à dénombrer – ou à manipuler.

2 – Revenons à la citation de Jaspers.

« Croire en Dieu, c'est vivre par quelque chose qui n'existe d'aucune manière dans le monde ».

Nous sommes en plein « désenchantement du monde », Dieu ne nous fait plus la grâce de sa présence, il n’est plus derrière le buisson ardent, seuls les naïfs diront Dieu existe, je l’ai rencontré

Oui, mais… Mais Dieu existe encore, même s’il n’est plus – ou parce qu’il n’est plus – dans notre bas monde. Dieu est chiffre ou symbole de la transcendance.

Que la transcendance ne nous apparaisse qu’à travers des chiffres et des symboles, soit : après tout on n’est pas tous des mystiques, et la transcendance n’est pas forcément une affaire d’expérience vécue.

Maintenant le vrai problème à débattre est celui-ci : est-ce bien Dieu qui transparaît ainsi derrière les symboles de la transcendance ? La transcendance est-elle nécessairement divine ?

--> Voir là dessus le débat entre Luc Ferry et Marcel Gauchet (2).

Pour Marcel Gauchet, la transcendance est horizontale (au-delà de l’horizon) et donc elle n’implique nullement une référence religieuse, mais simplement à l’humanité, ou à l’histoire.

Pour Luc Ferry, il y a du religieux dans chaque expérience de la transcendance, ce qui résonne d’une façon bien particulière au moment où Notre-Président proclame l’indispensable recours à la religion pour donner du sens à la vie des pourceaux que nous sommes – nous les athées.


(1) Définition du T.L.F. :

Chiffre

- Caractères d'écriture (lettres ou chiffres) représentant par convention secrète les lettres ou les groupes de lettres des mots d'une langue.

- Code, ensemble des règles de transposition permettant à un service officiel d'écrire en un langage secret ou de le comprendre.

- Langage secret quelconque; règles permettant de le pratiquer.

(2) Luc Ferry et Marcel Gauchet - Le religieux après la religion - Livre de Poche.

Wednesday, September 24, 2008

Citation du 25 septembre 2008

Ma Germaine à moi c'est la reine du chou-business
Elle dit qu'pour s'enrichir il faut s'endetter
Quand elle a dit ça l'grand-père a ben failli claquer
Ricet Barrier / Bernard Lelou –Y'a plus d'sous (1978)
Crise financière : 700.000.000.000 de $... 1.000.000.000.000 de $... Attendez… Combien de zéros ? Je m’y perds moi …
Avouez que vous êtes comme moi : tout cet argent, vous vous mettez à douter qu’il existe. Qui donc l’a sorti de sa poche ? Où donc est-il parti, puisqu’on apprend que les banques, supposées le garder dans leurs coffres, disent qu’il n’y est plus. Est il parti en fumée ? Quelqu’un l’a-t-il emporté dans son grand sac comme les Rappetout chez Picsou ?
Ou plutôt, faut-il croire que la bourse serait tombée aux mains d’une bande de traders fous ? Jérôme Kerviel aurait-il été embauché par Wall Street ?
Là, je sens que je commence à vous intéresser : on crée des richesses avec de l’argent qu’on n’a pas, avec l’argent des autres, ou, mieux encore, avec de l’argent qui n’existera que plus tard, comme dans les opérations à terme. Plus tard… Peut-être…
L’argent n’existe que par sa circulation, comme le disait déjà Marx à propos du Capital. Seulement il peut se faire que ce qui circule ne soit que virtuel, et avant de devenir réel, il peut disparaître dans un grand accident de circulation. Un carambolage même.
pour s'enrichir il faut s'endetter, dit la Germaine de la chanson. Tout est là. Si cette devise est devenue un classique de la sagesse populaire, comment s’étonner que la finance et l’économie mondiales fonctionnent encore comme ça ?
Nos économistes prennent l’air doctoral pour dire sentencieusement que la crise actuelle est systémique et qu’il faut repenser l’ordre économique mondial sur de nouvelles bases. Qu’un dollar placé dans la finance ne doit pas rapporter plus qu’un dollar placé dans l’industrie…
Bref, comme le dit Ricet Bariller, que les sous redeviennent de l’argent, et que la bosse sous le matelas soit de nouveau l’indice de la richesse.

Tuesday, September 23, 2008

Citation du 24 septembre 2008


O fond de la boîte de Pandore! ô espérance! où êtes-vous?

Voltaire Lettre, à Mme de Lutzelbourg, 7 novembre 175


Pandore, cette créature machinée spécialement pour le malheur de l’humanité, ouvre par curiosité la boite qui contient tous les maux de l’humanité, et ne parvient à la refermer que pour bloquer l’espérance, dernier des dons à sortir de la boite. En sorte que la question de Voltaire est parfaitement rhétorique : on sait où est l’espérance – elle est inaccessible à tous jamais. Façon de dire que l’enfer est dans ce bas monde (1).

A quoi ressemblait donc Pandore ? Elle devait être assez séduisante pour qu’Epiméthée l’accepte pour épouse malgré la promesse qu’il avait faite de ne rien accepter de Zeus.

Elle fut douée de tout ce qu’une femme devait posséder pour être pleinement femme : Elle fut ainsi fabriquée dans de l'argile par Héphaïstos ; Athéna lui donna ensuite la vie, lui apprit l'habileté manuelle et l'habilla ; Aphrodite lui donna la beauté ; Apollon le talent musical, enfin Hermès lui apprît le mensonge et l'art de la persuasion.


Et pourtant…. La curiosité l’emporta sur la prudence. La curiosité ? Regardez cette représentation de Pandore (2) : on nous la montre nue, pour qu’on puisse constater que sa plastique avait effectivement de quoi séduire.

Mais regardez mieux son visage : c’est une gourde. Une idiote bornée, au regard perdu dans le vide. Médite-t-elle ? Même pas ; elle rêvasse, poussivement, la main posée mollement sur sa boite. C’est une gourde molle.

On est un peu rassuré : on avait cru que Pandore incarnait le femme idéale, tellement idéale que ses méfaits étaient l’expression de sa « perfection » en tant que femme.


Allez Voltaire : l’espoir n’est pas enfui ! On peut faire mieux que Pandore.


(1) Post du 3 mars 2006

(2) Pandore, par Jules Joseph Lefebvre, 1882

Monday, September 22, 2008

Citation du 23 septembre 2008

La paix, si jamais elle existe, ne reposera pas sur la crainte de la guerre mais sur l'amour de la paix.

Julien Benda – La Trahison des clercs

En aimant la paix, qu’est-ce qu’on aime ?

Faites cette petite expérience : prenez un dictionnaire, et cherchez le sens du mot « paix ».

Voici ce que le TLF nous donne (je résume) :

Paix – Du lat. pax, pacis «paix (après une guerre, tranquillité, repos [au propre et au fig.])»

  • Situation d'un pays, d'un peuple, d'un Etat qui n'est pas en guerre.
  • Conditions de vie fondées sur l'entente entre citoyens et groupes sociaux.
  • Absence de conflit, de querelles entre personnes; état de concorde.
  • Absence de trouble, de bruit.
  • État d'âme qu'aucune inquiétude ne vient troubler.

Voilà : à part le second sens, tous les autres définissent la paix par son contraire (guerre, conflit, trouble, inquiétude…).

Quand Julien Benda nous abjure d’aimer la paix pour elle-même et non pour éviter la guerre, c’est bien contre cela qu’il nous met en garde : il veut dire que nous devons éviter les conceptions négatives de la paix pour leur préférer les définitions positives. La paix se suffit à elle-même, elle est une réalité en soi, et non le simple intervalle entre deux conflits.

Seulement voilà : on ne sait pas trop ce que serait la paix entendue comme une réalité positive.

- Faut-il l’entendre – comme ici – comme une harmonie entre les citoyens (ou entre des gens appelés à vivre ensemble d’une façon ou d’une autre – voire même entre les composants de l’âme du même individu) ?

- Faut-il considérer que la paix est plutôt l’ensemble de ce qu’on pourra faire pendant qu’elle existe, autrement dit qu’elle serait synonyme de prospérité, de projets d’avenir, que sais-je ?

Ainsi, dans un cas (définition négative) comme dans l’autre (définition positive), la paix n’est qu’un concept classificatoire : c’est une boite, sur la quelle est écrit le mot « paix » et dans la quelle on range des cas particuliers. Que ces cas particuliers soient également susceptibles d’être rangés dans une autre boite sur la quelle serait écrit le mot « guerre », et voilà que tout est troublé.

Pour vérifier tout ça, je vous laisse chercher les cas où l’entente, l’harmonie, la justice, la liberté, passent par la guerre…

Sunday, September 21, 2008

Citation du 22 septembre 2008

La télé est dangereuse pour les hommes. Personne ne pourra empêcher maintenant la marche en avant de cette infernale machine.

Louis-Ferdinand Céline

Céline, mort en 1961 a consenti 2 interviews à la télévision, à Pierre Dumayet, en 1957 et 1961 justement (1).

Pourquoi la télévision est-elle dangereuse selon Céline ? Et pourquoi s’il en est ainsi a-t-il consenti à y paraître ?

Répondons à cette seconde question : c’est sans doute – et au moins – pour vendre ses livres. Céline le dit cyniquement : il écrit pour avoir de l’argent. C’est pour ça qu’il a écrit le Voyage ; c’est pour ça que de retour du Danemark il continue d’écrire (la chronique de sa vie, où, comme il le dit : il met sa peau sur la table). D’un château l’autre a été l’occasion de se relancer dans les ventes. Alors, pourquoi pas l’interview télévisée pour accentuer le mouvement. Par ici la monnaie !

Mais pourquoi dire que : la télé est dangereuse pour les hommes ? En 1961, il critique déjà ce qu’on a depuis appelé avec Debord la société du spectacle. Une société où ce qu’on paraît est plus important que ce qu’on fait. Une société où le joli sourire de l’écrivain et son brushing fait vendre son livre, même si celui-ci est une nullité.

La seule chose qui compte vraiment pour Céline, c’est l’objet que l’on produit. L’auteur peut-être minable physiquement, être habillé comme un clochard (comme Céline à l’époque), parler en bégayant… Ce qui compte, c’est le style de son écriture.

Alors, vous l’avez compris, la télévision nous donne en pâture ce qui n’a pas de valeur et que pourtant nous aimons.

Voilà le message du misanthrope Céline : nous aimons ce qui nous ressemble, c’est-à-dire ce qui ne vaut rien. C’est dans cette exacte mesure que le télé est dangereuse : sa nullité flatte la notre.

Et c’est aussi pour cela qu’on ne pourra empêcher maintenant la marche en avant de cette infernale machine.

(1) À visionner ici. C’était l’époque où Lectures pour tous donnait aux écrivains le temps de répondre aux questions qu’on leur posait et filmait en plan de coupe leurs mains (les griffes de Céline !). C’est vers la fin de l’interview de 1957 que Céline vitupère la lourdeur de ses contemporains.

Saturday, September 20, 2008

Citation du 21 septembre 2008

Quand on a pas d'imagination, mourir c'est peu de choses, quand on en a, mourir c'est trop.

Louis-Ferdinand Céline – Voyage au bout de la nuit


mourir c'est peu de choses : oui, évidemment, pour celui qui ne pense pas à la mort, pour celui qui meurt « par-dessus le marché » comme dit Sartre, la mort est une surprise qui s’étouffe d’elle-même.

Par contre, quand mourir c'est trop : qu’est-ce qu’on fait ?

Et trop de quoi au juste ?

Trop désespérant pour être représenté. Ni le soleil ni la mort ne peuvent se regarder en face : la sentence est attribuée à Héraclite, et elle confirme notre propos, sans dire pourquoi d’ailleurs.

On raconte que Néron au moment de se suicider s’exclama : « Quel artiste Rome va perdre » : et si c’était ça qui nous rends l’idée de notre mort insoutenable. Si c’était le narcissisme ?

Après tout mourir comme le disait Epicure ne nous concerne pas : lorsque nous sommes là, la mort n’y est pas ; et quand la mort est là, c’est nous qui n’y sommes plus.

Et si nous regrettons de quitter ce monde, rappelons-nous Marc-Aurèle : « Dusses-tu vivre trois mille ans… » (lire la suite ici). Que nous importe de ne pas revoir un printemps de plus ?

Bref, les consolations philosophiques ne manquent pas, mais jamais elles ne mettent le doigt sur ce point pourtant essentiel : ce moi qui va disparaître, il est ce qui importe le plus pour moi. Il est ce que j’aime pardessus tout, et sa disparition est un malheur à nul autre pareil.

D’ailleurs ceux qui affrontent leur mort sans trembler – les martyrs et les héros – sont ceux qui la rencontrent comme couronnement de leur vie, comme ce qui la rend encore plus resplendissante.

Donc, je me récapitule : pour ne pas trembler devant la mort, soyez dépressif ou soyez un héros.

Citation du 20 septembre 2008

L'union avec Dieu a beau être étroite, elle ne serait définitive que si elle était totale.

Henri Bergson – Les deux sources de la morale et de la religion


L’union totale avec Dieu ferait que nous serions Dieu.

Non pas un Dieu ; mais Dieu lui-même.

Bon. Ceci posé, la question qui m’intéresse, c’est : par quoi ne sommes-nous pas Dieu ?

1 – Par la mortalité ? Oui, sauf qu’on suppose quand même qu’il y a une partie de nous-mêmes qui se trouve être immortelle. Et même que le Jour du Jugement Dernier, on aura la résurrection des corps en prime.

2 – Par la science ? Certes Dieu est omniscient, rien ne lui échappe et sa lucidité lui rend visible la création depuis son début jusqu’à sa fin. Mais n’avons-nous pas décelé l’existence du Big-Bang ? Et celle du Big-Crunch ?

3 – Par la puissance ? Omniscient et surtout omnipotent : Dieu est supérieur à tout ce qu’on peut seulement imaginer. Oui, mais nous avons créé des instrument dont nous ne connaissons même pas la portée, au point que le dernier en date pourrait faire disparaître notre planète, voire même l’univers sans même qu’on le prévoie (1)

Bref, vous m’avez compris. Même si nous ne sommes pas Dieu, nous n’avons pas de preuve irréfutable que nous ne le sommes vraiment pas.

D’ailleurs beaucoup d’humains sont persuadés qu’ils sont Dieu – les plus modestes d’entre eux se contentant d’être un Dieu.


(1) Voir post du 25 août

Citation du 19 septembre 2008

L'avenir de l'humanité reste indéterminé, parce qu'il dépend d'elle.

Henri Bergson


Banale évidence ou contre vérité ? A l’heure où on ne cesse de nous casser les oreilles avec le réchauffement climatique, on aimerait savoir si l’avenir dépend encore de nous…

La phrase de Bergson est claire : l’histoire ne concerne que le passé, et sa connaissance n’engage en rien l’avenir. Le siècle de Louis XIV ne signifie pas que nous soyons ad vitam eternam les maîtres de l’Europe ; la débâcle de 40 n’implique pas que notre peuple soit un peuple de lâches prêts à toutes les compromissions pour éviter d’avoir à se battre.

Mais la pensée de Bergson est un peu plus complexe : c’est la notion de passé et celle d’avenir qui faussent tout. En réalité il n’y a que le présent qui existe – mais le présent, c’est la durée, c'est-à-dire l’aventure qui a commencé dès le commencement, et qui se poursuit en prenant corps et figure dans l’action qui vise l’avenir. Il n’y a de pur présent que dans la révolution et encore faut-il que du passé, elle fasse table rase.

Application. Comment l’humanité a-t-elle commencé, comment s’est-elle développé, qu’y a-t-il depuis le début ? Ce n’est pas la religion (qui est supposée fixe) ; ce ne sont pas les relations sociales (qui apparaissent dans des alternances cycliques) ; l’histoire, c’est la technique.

L’age de pierre ; l’age du bronze, et puis du fer ; l’ère atomique. Voilà ce qui fait l’histoire, et avec ça, ajoutons – comme disait Ricœur – la façon de nous approprier toutes ces inventions, d’en faire ou pas des progrès véritables.

1ère conséquence : il ne nous appartient pas, même pour sauver la planète, de rompre ce qui est commencé depuis si longtemps. Donc le retour à la chandelle et à la veillée au coin du feu, ce sont des rêveries niaises.

2ème conséquence : dans ces limites là, tout reste possible. Ou plutôt : tout le reste reste possible !

Ça veut dire que l’aventure humaine qui passe toujours par le progrès technique doit chercher dans celui-ci les issues à son problème. C’est à dire inventer les dispositifs qui rendront compatibles l’exploitation des ressources avec l’équilibre écologique sans le quel nous ne saurions vivre.

Mais la restriction ici est de taille : est-ce que ça dépend encore de nous ?


Thursday, September 18, 2008

Citation du 18 septembre 2008

Il n'est pas étonnant qu'on ait tant d'antipathie pour les gens qui s'estiment trop : c'est qu'il n'y a pas beaucoup de différence entre s'estimer beaucoup soi-même et mépriser beaucoup les autres.

Montesquieu – Mes pensées


Allez, bande de vicieux, c’est le moment de votre leçon de morale.

Avouez que cette citation vous touche. Confessez que le mépris des autres est l’autre face de l’estime de vous-mêmes. Que les autres sont petits quand vous les voyez depuis votre grandeur…

Certes, Montesquieu, qui est un homme bien élevé, vise ceux qui s’estiment trop. On pourrait même admettre que c’est une mesure de la juste estime de soi : celle qui ne nous mène pas à mépriser les autres. Je m’estime à ma juste valeur quand je ne me compare pas aux autres. Ma valeur est qualitative et non quantitative. La valeur n’est pas ce qui peut être mesuré en plus ou en moins sur une échelle graduée, elle est un absolu dont on peut simplement dire qu’elle existe ou qu’elle n’existe pas. Tel artiste a du talent – et il est artiste ; ou il n’en a pas – et il n’est pas artiste. Et non pas ; cet artiste est plus talentueux que tel autre.

Soit. L’estime de soi aurait ainsi deux formes. L’une qu’on vient de décrire et qui repose sur une claire conscience de soi.

L’autre (celle que critique Montesquieu) qui ferait de l’estime la forme extérieur et dérivée du narcissisme : puisqu’on est si aimable, il doit bien avoir une raison. Et tiens : oui, nous sommes admirables et aimables, parce que nous avons de la valeur.

Mais alors, pourquoi mépriser les autres ?

Serait-ce qu’ils nous refuseraient cette admiration ? Et qu’en plus ils pousseraient l’outrecuidance jusqu’à exiger que nous les admirions plus que nous ne nous admirons nous-mêmes ? (1)

Ou alors faudrait-il admettre qu’à coté du narcissisme, il y aurait en nous une autre pulsion fondamentale : la haine de l’autre – dont le mépris ne serait qu’une forme dérivée ?


(1) C’est cette perversion de l’amour de soi que Rousseau décrit comme source de l’amour propre, source de bien des conflits entre les hommes.

Wednesday, September 17, 2008

Citation du 17 septembre 2008

Sans l'ignorance, point de questions. Sans questions, point de connaissance, car la réponse suppose la demande.

Celui qui sait "tout" ne sait rien, car l'acte du savoir ne se produit pas en lui ; il manque d'une condition essentielle. Celui-là n'agit pas qui ne manque point de quelque chose.

Paul Valéry – Cahier I


Les amateurs de paradoxes citent souvent Socrate, l’homme savant de ne rien savoir (1) ; l’ignorance voilà la vraie science.

Valéry a son tour fait l’éloge de l’ignorance, ajoutant ce petit brin de séduction sans le quel une citation serait vite oubliée : vous tous, les ignorants, vous qui avez rejeté la fatigue de l’apprentissage, c’est vous qui avez eu raison, contre les prétentieux qui affirment tout savoir.

L’ignorance est bien plus précieuse que la science, car elle est l’excitant qui engendre la recherche, donc l’acte du savoir.

Observons d’abord que Valéry pose comme condition du savoir qu’il soit en acte, et on pourrait supposer qu’il voit cet acte dans l’effort de repousser ses frontières. Soit, mais pas seulement. On peut en effet admettre qu’un savoir théorique une fois possédé n’est encore pas grand-chose s’il ne s’applique pas à des cas concrets. Et que toute application d’un savoir théorique à un cas pratique suppose un minimum de recherche pour établir cette connexion qui ne serait donc pas donnée dans la science établie. Ainsi le médecin qui doit chercher à adapter son cours de pathologie au cas du malade en chair et en os qui est devant lui est bien forcé d’admettre que ce qu’il a appris ne lui suffit pas tout à fait.

Observons ensuite – et surtout – qu’il y a deux types d’ignorance :

- celle dont parle Valéry qui est une sorte de « trou » dans le savoir, quelque chose qui nous manque et dont on perçoit les contours très nettement. Mon savoir va « jusque là », mais au-delà, je ne sais plus. C’est l’ignorance consciente.

- Mais il y a aussi l’ignorance inconsciente, l’ignorance que j’ignore, soit parce que je crois savoir, soit parce que je ne sais même pas qu’il y a quelque chose à savoir.

C’est ce dernier type d’ignorance que pourchassent les philosophes par leurs incessantes questions, s’efforçant de convaincre leurs interlocuteurs qu’il y a quelque chose à chercher là où ils passent sans s’arrêter. Ainsi, Socrate avec son précepte d’ignorance n’est-il pas un sceptique. Car il est celui qui, après avoir dit « Je sais que je ne sais rien », tarabuste ses interlocuteurs pour qu’ils lui enseignent leur science.


(1) … je suis le plus savant de tous les athéniens, parce que je sais que je ne sais rien. Voir Post du 28 juillet 2008

Citation du 16 septembre 2008

Les noms de baptêmes sont faits pour être dits par ceux qui nous aiment, et pour être inconnus à ceux qui n'aiment pas.

Alfred de Vigny – Quitte pour la peur

Comment est-il convenable d’appeler les gens ?

- Par leur nom ? Ça fait un peu régiment.

- Par leur nom plus leur prénom ? Ça fait un peu populo : appelleriez-vous donc votre voisin « Dugland Marcel » comme l’instituteur à l’école communale ?

- Par le prénom plus le nom : Alfred de Vigny. Normal.

- Par le prénom seul ? Les noms de baptêmes sont faits pour être dits par ceux qui nous aiment

Et en effet : n’est-ce pas donner aux autres une prise sur notre intimité que de leur donner notre prénom ? Dans les débats politiques, on explique aux débateurs qu’ils doivent nommer leur adversaire pour le dominer. Mais si au lieu de dire « Monsieur Fabius, je ne vous comprends pas… », on disait « Laurent, je ne vous comprends pas… ». On entendrait alors « Mon petit Laurent, je ne vous comprends pas… »

Quand on me crie : « Vous, là bas, comment vous appelez-vous ? », ça me paraît menaçant. Mais encore plus menaçant serait : « Hep ! Vous là-bas, quel est votre prénom ? »

Conclusion de Alfred de Vigny : Les noms de baptêmes sont faits … pour être inconnus à ceux qui n'aiment pas. Non seulement ceux qui galvaudent l’usage du prénom sont des hypocrites ; mais encore – et réciproquement – on ne doit pas le faire connaître en dehors du cercle de nos intimes. Donc pas question de l’indiquer sur un badge non plus que sur la sonnette de l’appart. Et quand on est fâché avec un ancien ami, lui interdire désormais l’usage de notre prénom.

Hein ! Vous n’y aviez pas pensé à ça…


(1) Que l’on songe à l’usage du prénom aux U.S.A.

Citation du 15 septembre 2008

Etre amoureux, c'est se créer une religion dont le dieu est faillible.

Jorge Luis Borges - Neuf essais sur Dante


On dit que Dante a écrivit la Divine comédie pour créer un Paradis où il pourrait mettre Béatrice …

Vrais ou fausse cette légende a le mérite de nous rappeler ce que signifiait aimer au temps de Dante : c'est se créer une religion dont le dieu est faillible.

Tout le drame de l’amour est là : expérience de l’infini et de l’éternel, vécu par un être fini et visant un être également fini. L’amour total et absolu ne peut être que l’expérience d’un échec, à moins que l’aimé(e) ne disparaisse avant de décevoir. Tel est le cas de Béatrice, comme nous l’avons dit. Dans ce cas le dieu de l’amour est un dieu mortel – ce qui est de toute façon une manière d’être faillible quand on est Dieu.

Il y a encore quelque chose qui affleure dans la citation de Borges. Si l’être aimé est un dieu, c’est que l’amour est une religion.

J’aimerais souligner cette ouverture qui peut nous apporter des visées un peu plus neuves que celles de l’échec de l’amour fusionnel. C’est qu’en effet il y un lien substantiel entre amour et religion, lien que nous sommes invitées à parcourir dans les deux sens : de l’amour vers la religion – comme ici – mais aussi pourquoi pas, de la religion ers l’amour.

Nous pouvons en effet renverser la proposition, en disant : la religion est amour, non pas seulement amour mystérieux et sublime de Dieu pour l’homme, mais aussi amour humain pour Dieu.

Nous arrivons à la religion chrétienne, dans ce qu’elle a de plus profond, j’allais dire de mystique. Sans aller jusqu’à rappeler les élans amoureux de Sainte Thérèse pour Jésus, disons qu’il y a dans la foi chrétienne une composante – parfois combattue par d’autres composantes – issue de l’amour humain. (1)


(1) Sur ce sujet, voir madame Guyon (brève biographie) – Du pur amour

Friday, September 12, 2008

Citation du 14 septembre 2008

Si tu gagnes de l'argent à parler, tu gagnes de l'or à te taire.
Proverbe grec antique

Voici encore l’un de ces proverbes, incarnation de l’antique sagesse de la Grèce, berceau de la Civilisation, qui en réalité nous montre l’abîme qui nous ne sépare.
Quoi ? Tu gagnes de l'or à te taire ? Qui donc aujourd’hui oserait prétendre une pareille bêtise. Bien sûr que certains feraient mieux de se taire plutôt que d’étaler au grand jour leur ignorance. Mais justement, ça n’est pas possible.
Aujourd’hui, il faut com-mu-ni-quer. Et pour communiquer, il faut parler. Le fait de parler, du moins quand on nous en laisser le temps, est capital. Notre place dans le groupe en dépend. Se taire c’est perdre des places dans sa hiérarchie, voire même perdre sa place complètement.
J’ai remarqué que dans les groupes où la prise de parole était libre et non organisé (tour de table par exemple), les premiers à parler étaient les plus timides. Eux savent qu’accéder à la parole c’est prendre une position de pouvoir, et qu’une fois prise, cette position les soulage de leur inhibition.
Maintenant, je suppose que si on n’a rien à dire, ce n’est pas un problème : il doit y avoir des coachs qui vont vous apprendre à parler pour ne rien dire.
Hélas ! Ça veut dire qu’ils ne nous apprendrons pas à avoir quelque chose à dire à chaque fois qu’il nous faut prendre la parole.
Et les insupportables séances de « libre antenne » où les auditeurs de la station de radio interviennent sur un sujet d’actualité ? Au fond je suis certain que beaucoup de gens ont le désir de « causer dans le poste », et que savoir s’ils ont quelque chose à dire (ont-ils seulement à pousser « un coup de gueule », ou à avoir « un coup de cœur » ?) est tout à fait secondaire. Ils sont un peu comme ces gens qui apparaissent dans la plan télévisé, derrière l’interviewé, et qui gesticulent bêtement.
Voyez-vous, moi-même, je dois me forcer pour arriver à me taire quand je n’ai plus rien à dire.

Citation du 13 septembre 2008

Il faut être toujours ivre. Pour ne pas sentir l'horrible fardeau du temps qui brise vos épaules, il faut s'enivrer sans trêve. De vin, de poésie ou de vertu, à votre guise. Mais enivrez-vous !

Charles Baudelaire – Le Spleen de Paris

Ivre de poésie, ivre de vertu… S’enivrer pour ne pas s’abrutir : voilà le paradoxe développé par cette citation.

Qu’est-ce donc que l’ivresse ?

Définition du T.L.F. :

- Ivresse (Au figuré) : état d'exaltation psychique, provoqué par une passion.

Baudelaire prend acte que la vie réelle – du moins telle que la quotidienneté de l’ordre social nous la donne à vivre – est insupportable à qui dispose d’une conscience aigue de cette réalité.

On peut s’évader de cette réalité en perdant conscience de son existence, soit en perdant la conscience en tant que telle, soit en accédant à la conscience d’un autre monde

Et en effet, celui qui s’enivre de vin finit complètement abruti : il perd la conscience de ce qui l’entoure en perdant complètement conscience.

Mais Baudelaire nous suggère qu’on peut aussi s’enivrer par une surconscience, par un état qui nous permet de nous évader que quotidien et de son insupportable servitude.

Enivrez-vous ! Voilà une injonction qui est un refus absolu du monde qui nous entoure, et en même temps qui refuse de le changer. Autrefois, la jeunesse défilait dans les rues au cri de « Révolution ! »

Aujourd’hui elle attend l’heure de l’open bar.

Notre jeunesse est-elle encore baudelairienne ?

Thursday, September 11, 2008

Citation du 12 septembre 2008

Le drame quand on a pris l'habitude de gagner de l'argent c'est que plus rien n'est gratuit.

Philippe Bouvard – Journal 1992-1996

Supposez que vous soyez naufragé sur une île déserte, seul rescapé, avec une valise pleine de billets de banque (ou de lingot d’or). Vous seriez bien forcé d’admettre que l’argent ne vaut rien quand on ne peut l’échanger contre ce que d’autres ont produit, et que de ce fait, tout ce que vous allez utiliser pour vivre est absolument gratuit.

La remarque de Philippe Bouvard mène aussi à remarquer qu’être riche signifie qu’on ne produit plus rien. Il faut donc tout acheter.

… Hélas ! Ce gentil développement ne fait que masquer la triste réalité. Les riches vivent dans un monde où ils doivent acheter aussi les autres, ou plutôt leur amabilité, leur politesse, voire même – oui : leur amour. Ou si vous préférez leurs marques d’amour.

On dit en effet que les riches finissent par payer tout ce qu’on leur prodigue, le pourboire à celui qui tient la porte, le repas offert à l’inconnu qui a dépanné sur le bord de la route… parce que c’est comme ça qu’ils sont sûrs de la sincérité des gens.

Cela nous suffit-il ? Accepterons-nous de plaindre les riches et de nous féliciter d’être pauvres, parce que notre monde à nous, les pauvres, est un monde où la sincérité est la règle : celui qui me sourit le fait sans me tendre la main parce qu’il sait qu’il n’a rien à gagner ; et en plus qu’il pourrait me faire s’il en avait l’envie une grimace sans redouter de moi quoique ce soit.

Réconfortant ? Sans doute, mais de moins en moins. J’ai eu l’occasion de dépanner des gens dont la voiture était en panne de batterie : ils avaient des câbles, j’ai ouvert le capot de ma voiture, on a branché tout ça et c’est reparti. Hé bien, ils voulaient absolument me donner de l’argent et ils semblaient très déçus de mon refus. J’ai été obligé de leur dire que leur sourire me dédommageait largement : formule usée jusqu’à la corde, mais que pourtant ils ne comprenaient pas vraiment…

Wednesday, September 10, 2008

Citation du 11 septembre 2008

La citation du jour poursuit son enquête sur le baiser : un peu de tendresse dans un monde de brutes…

Baiser, cette soudure de deux tubes digestifs.

Albert Cohen – Solal

Tous ceux qui adulent Albert Cohen (Belle du seigneur !!!) vont me détester d’avoir choisi cette ignoble citation. Comment le lyrique, le bouleversant, le subliiiime peintre de l’amour peut-il avoir commis une telle pensée ?

L’amour « profond », le pur amour, celui du chevalier pour sa dame, doit-il être « sans les mains » (et sans tout le reste) ? L’amour véritable doit-il faire l’impasse sur le corps ?

Nous – Citation du jour – qui prétendons faire la promotion de la tendresse contre la brutalité, devons-nous aussi exclure ces manifestations physiques de l’amour, qui s’accompagnent du déchaînement de l’agressivité ? Les yeux dans les yeux, tout juste la main dans la main – et basta ?

Reprenons le débat.

Le baiser : bouche à bouche sinon ça ne nous concerne plus – est comme le disait un médecin, la façon la plus simple d’échanger des tissus (= salive). Pouah ! C’est dégoûtant, et les petits enfants ont raison de faire la grimace quand ils voient ça à la télé.

Bon. Mais n’oublions pas que le baiser sur la bouche a depuis les temps les plus anciens une dimension mystique (confère la Bible). Le baiser sur la bouche, c’est l’échange des souffles – et le souffle est divin (rappelons-nous que Dieu a donné la vie à Adam en lui soufflant dans les narines). Lorsque j’embrasse l’autre sur la bouche, c’est échanger nos souffles, c’est donc communier avec lui en Dieu.

Mais alors : le baiser, c’est la soudure de deux poumons.

Ça va mieux comme ça ?

Tuesday, September 09, 2008

Citation du 10 septembre 2008


La citation du jour poursuit son enquête sur le baiser : un peu de tendresse dans un monde de brutes…

L'amour humain ne se distingue du rut stupide des animaux que par deux fonctions divines : la caresse et le baiser.

Pierre Louÿs – Aphrodite

L’amour, c’est l’infini à la portée des caniches.

Céline (Post du 30 juin 2006)

Ainsi donc, en amour, il y a deux fonctions divines : la caresse et le baiser. Si je rapproche cette formule de cette citation de Céline, je constate qu’entre l’animal et Dieu, il n’y a rien.

Pas d’étage strictement humain pour l’amour ? On passe directement de l’ange à la bête – comme le suggérait Pascal ?

Inutile de fouiller dans votre bibliothèque pour ressortir votre exemplaire illustré du Kamasutra. L’amour qui nous met en communication avec le divin n’a rien à voir avec la gymnastique par la quelle Vâtsyâyana enseigne à bien vivre avec son épouse (1).

L’amour nous met littéralement hors de nous (ek-stasis), et c’est peut-être en ce sens qu’on rencontre Dieu. Ainsi, l’amour lorsqu’il est une extase, devrait-il être extase non pas des sens mais de l’âme.

Bien. Reste que Pierre Louÿs nous promet cette rencontre grâce à la caresse et au baiser – et il est un fin connaisseur de ces choses, comme vous le savez… Il y aurait donc en amour quelque chose qui serait à mi-chemin, entre le corps et l’âme.

Et donc, si le sentiment d’extase dans l’amour existe, il doit être stimulé par le corps de l’autre et plus particulièrement par ce contact si particulier que nous assurent la caresse et le baiser.

Comment ça marche ?

J’avais évoqué dans un post du 26 juin 2006 la « métaphysique de l’effleurement ». Je crois qu’il me suffira de reproduire un extrait de ce texte :

« Il y a une métaphysique de l’effleurement, qui combine la légèreté matérielle comme condition de la spiritualité (c’est la brute qui est épaisse) ; et la rencontre « effleurante » par laquelle une réalité supérieure se manifeste à celui qui reste en bas. »

Même si je n’évoquais pas alors le baiser ni la caresse, je crois que ce texte devrait éclairer notre citation de ce jour.


(1) Certains invitent à voir dans le Kamasutra une allégorie de l’union avec le divin. Que ceux qui y sont parvenu comme ça nous mettent un message pour nous l’expliquer.

Monday, September 08, 2008

Citation du 9 septembre 2008

La citation du jour poursuit son enquête sur le baiser : un peu de tendresse dans un monde de brutes…

Baiser. Que de misères n'oublions-nous pas dans ces secondes de vertiges ! Et le châtiment, au sortir de ces enlacements, c'est le retour à la lucidité, le reflux du passé qui revient, de l'avenir qui se dessine.

Rex Desmarchais (Romancier québécois contemporain) - L'Initiatrice


L’espace d’un instant, faites comme moi : transformez-vous en voyeur : matez les jeunes voisins qui se bécotent à la fenêtre. Allez-y, n’ayez pas peur : c’est pour une investigation scientifique (1).

Moi, ce qui m’intéresse avec le baiser, ce n’est pas ce qui se passe pendant, mais ce qui se passe après.

Voyez ce jeune homme, tel qu’il nous apparaît sur la troisième photographie (vous voyez mal ? Agrandissez la photo, Blogspot™ a tout prévu).

Parait-il excité ? Non. Ou bien ravi ? Pas plus. Simplement satisfait de lui ? Pas seulement.

Non, moi je lui trouve un air brouillé, flottant, vague, comme quelqu’un qui serait encore dans un autre monde, où plus rien n’a de contour, où les objets n’existent plus, tout juste leurs formes ou leurs couleurs. En bref, il est dans un monde de sensations.

Alors, ce que dit notre romancier québécois est très vrai. Le baiser (je veux dire le baiser d’amour) nous met hors du temps, hors du passé, hors de l’avenir. Mais ce qu’il oublie de nous dire, c’est : qu’est-ce que c’est que le présent qui subsiste, quand il n’y a plus de passé, et plus d’avenir.

Réponse : il ne reste que les sensations à l’état brut.

Il se publie aujourd’hui un tas de bouquins pour vous inciter à faire des expériences philosophiques.

Pourquoi pas ? En tout cas, en voici une de plus


(1) Notons quand même que ces jeunes gens qui se mettent à la fenêtre pour se bécoter s’exhibent un tantinet…

Sunday, September 07, 2008

Citation du 8 septembre 2008


Il est toujours grandiose et significatif d'atteindre, au jour prescrit, l'objectif qu'on s'était fixé. Champion olympique avec préméditation, ça ira bien chercher dans les dix ans de frisson ferme.

Antoine Blondin - Ma vie entre des lignes


Avouez que je vous ai laissé tranquille avec les Jeux Olympiques. Je n’ai pas gâché votre plaisir avec mes grommellements de vieux schnok.

Hé bien maintenant que c’est terminé, je vais les célébrer à mon tour.

Ce que je voudrais évoquer dans cette célébration, ce n’est tant l’exploit, que l’exploit avec préméditation, selon la formule de notre auteur.

Au fond, les Jeux Olympiques sont un exemple, un peu grossi mais à peine, de ce que nous rencontrons dans notre existence : la mise en œuvre de contrats.

Le champion olympique en effet s’entraîne pour réussir les minima olympiques à la date voulue, et cela dès qu’il en a fini avec les présents jeux. Il s’y engage vis-à-vis de lui-même, de son entraîneur, que sais-je encore ? Et puis il s’entraîne aussi pour arriver en finale, pour décrocher une médaille… dans 4 ans.

Tout ça fait frissonner Antoine Blondin. Mais pourquoi donc ? Ne faisons-nous pas un peu la même chose ? Croyez-vous que les agrégatifs commencent en ce moment à préparer l’agrégation pour le printemps prochain ? Pas du tout. Ils ont attendu avec impatience la publication des programmes en juin dernier, et ils s’y sont mis tout de suite.

Encore, comme les champions du sport préparent-ils un concours. Mais nous-mêmes, ne passons-nous pas des contrats avec nous-mêmes ? Je veux à 30 ans avoir réussi telle ou telle chose. Je veux, cette année obtenir tel résultat, etc. ? Nous balisons l’avenir en le découpant en tranches définies par des engagements.

Après évidemment, on fait ou on ne fait pas ce qu’il faut pour y arriver, tout comme le sportif. Mais au moins nous savons où nous allons, et nous ne croyons pas a priori utile de ne compter que sur le hasard – ou la chance – pour y arriver.

Saturday, September 06, 2008

Citation du 7 septembre 2008


Vous me demandez ce qui me pousse à l’action ? C’est la volonté de me trouver au coeur de toutes les révoltes contre l’humiliation, c’est d’être présent, toujours et partout, chez les humiliés en armes.

Che Guevara – Discours, entretiens et autres sources


Vous connaissez un peu la vie du Che ? Vous savez donc qu’il est mort parce que les paysans boliviens n’ont pas voulu le suivre dans sa lutte contre l’Etat qui les affamait.

Autrement dit, Guevara est mort pour avoir oublié qu’il y a des humiliés qui ne prennent pas les armes. A-t-il cru que l’appel à la révolte serait plus puissant que la peur des humiliés ?

Soyons un peu précis. Il s’agit ici d’humiliation, pas de peur. Dans la peur, on peut encore faire la balance entre les risques et les avantages de la révolte. Même l’âne va donner un coup de pied au vieux lion (1). L’humilié ne fait pas ça.

L’humiliation est un puissant sentiment d’infériorité entraînant la soumission à celui qui impose sa force. On voit dans les commissariats de police des femmes battues et humiliées par leur mari refusant de témoigner contre lui, même quand les barreaux de la prison les protègent. L’humiliation est une cassure dans la personnalité qui la rend incapable de rébellion. L’humilié est soumis.

C’est là la force de la violence : devenir une force psychologique, même si en réalité elle n’est jamais que physique.

Donnez une paire de gifles à quelqu’un. Sil ne vous la rend pas, c’est peut-être parce qu’il est devenu soumis.

Reste la volonté du Che de lutter contre l’humiliation. Comme il ne semble pas vouloir agir par assistance psychologique, il lui reste à agir contre les humiliateurs.

Il y aurait donc la possibilité de remplacer les gouvernants qui humilient le peuple par des gouvernants qui le respectent. Ce qui veut dire qu’on croit que la volonté d’humilier ne soit pas enracinée dans le cœur humain, qu’elle ne soit pas un plaisir qu’on s’offre dès qu’on a un peu de pouvoir.

…Moi aussi j’aimerais y croire.

(1) La Fontaine – Le lion devenu vieux

Friday, September 05, 2008

Citation du 6 septembre 2008

Un jour, au terme d'une de ces conversations sauvagement anticommunistes comme en avaient vers 1956 les intellectuels exclus du PCF ou qui l'avaient abandonné, Clara Malraux constata sur un ton de superbe tristesse : "On aura beau dire, c'est nous qui avons eu la plus grande espérance..." Qui n'a pas compris cela - et nos cadets sont mal placés pour le comprendre - ne saisira jamais ce qui a interdit au moins à deux générations de Français d'expédier le communisme aux oubliettes, fût-ce sous le nom de stalinisme. On a beau avoir été escroqué, on a beau avoir été escroc, on n'efface pas d'un haussement d'épaule cette grande espérance dont parlait Clara, le rêve aux yeux.
François Nourissier – A défaut de génie
Le communisme…
Ceux qui en disaient du mal, autrefois étaient qualifiés d’hystériques (ou de hyène dactylographe). Plus tard on a dit : « Ne tirez pas sur une ambulance ». Un peu plus tard encore : « Ne tirez pas sur un corbillard ». Aujourd’hui : « N’allez pas cracher sur une tombe ».
C’est de ce dernier registre que relève la remarque de François Nourissier.
Mais il y a un peu plus ; il y a l’explication de la force des utopies. C’est à dire l’espoir – autrement dit l’illusion.
Qu’on en ait fini avec l’illusion communiste ne signifie pas qu’on en ait fini avec l’illusion en général.
Je crois que chaque époque a ses utopies qui sont le reflet de ses espérances déçues.
Et donc, chaque utopie exprime quelque chose de la nature profonde de la société qui la construit. Après tout on ne s’étonne pas que les enfants rêvent de ville faite de nougat.
A ce compte, mieux que le communisme, le millénarisme (1). Mieux encore (si c’est possible) : la croyance que la fin des temps est proche de nous, et que préparer une société qui nous y prépare est urgent. J’ai lu quelque part que du temps de Luther on croyait que le jugement dernier aurait lieu avant 50 ans.
Dis-moi quelle est ton utopie, je te dirai qui tu es…
- De l’énergie inépuisable distribuée par les services publics.
- Des forfaits illimités gratuits.

- Des nanas qui disent toujours oui !

Qu’est-ce que c’est que ça ? L’utopie c’est pas fait pour les gorets.



(1) Croyance selon la quelle le Messie règnera sur la terre 1000 ans avant le jugement dernier

Thursday, September 04, 2008

Citation du 5 septembre 2008


Peu d’êtres sont capables d’exprimer posément une opinion différente des préjugés de leur milieu. La plupart des êtres sont mêmes incapables d’arriver à formuler de telles opinions.

Einstein – Comment je vois le monde

Permettez à l’ancien prof que je suis de rappeler un principe que nos bientôt-défunts IUFM enseignaient aux débutants : les représentations socioculturelles des enfants ont toujours plus de force que ce qu’enseigne l’école. Autrement dit, vous les profs, vous devez d’abord faire en sorte que les élèves expriment leurs préjugés (= leurs idées, leurs opinions) avant de mettre en place votre enseignement – et en tenant compte de ce point de départ.

Puisque j’y suis, permettez-moi encore de dire qu’on exige des enfants ce qu’on n’oserait jamais demander aux adultes : renoncer à leurs préjugés ! Et encore faut-il dire que ce renoncement ne signifie pas qu’on doive se mettre à penser comme ceux avec qui on n’est pas d’accord. Pas du tout.

Il s’agit simplement d’admettre de discuter de nos opinions, et pour cela de les confronter à des opinions différentes. Et c’est là que ça coince : Einstein, qui savait à quoi s’en tenir, dit même : la plupart des êtres sont mêmes incapables d’arriver à formuler de telles opinions [différentes des leurs].

Car, avant même de comprendre que d’autres points de vue sont possibles, il faut déjà admettre que soi-même on ne détient qu’un point de vue. Il faut donc abandonner la position de certitude inébranlable et indiscutable qui semblait une caution suffisante pour justifier notre certitude, et admettre justement la discussion.

Bien sûr, tout n’est pas préjugé. Les vérités démontrées n’en sont pas, et comme le disait Bachelard, il y a des erreurs qu’on ne recommence pas. Du reste Einstein prend soin de préciser qu’il parle des préjugés du milieu. Mais ça fait encore pas mal d’idées à discuter.