Tuesday, November 30, 2010

Citation du 1er décembre 2010

Il y a dans tout homme, à toute heure, deux postulations simultanées, l'une vers Dieu, l'autre vers Satan. L'invocation à Dieu, ou spiritualité, est un désir de monter en grade ; celle de Satan, ou animalité, est une joie de descendre.

Charles Baudelaire – Mon cœur mis à nu

Il y a une joie à descendre vers l’animalité, à s’enfoncer dans les entrailles de l’enfer….

Bien des poèmes de Baudelaire s’expliquent à partir de ce postulat. Et sans doute aussi Rimbaud (qui n’a pas écrit pour rien Une saison en enfer).

Il faudrait sans doute se contenter de relire ces poèmes sous cet angle – mais à côté de ce contact avec les œuvres, essayons tout de même de rencontrer la pensée.

Ce que je comprends de la pensée de Baudelaire, c’est que la foi – voire même le mysticisme – tout comme la jubilation satanique sont des sentiments – que dis-je ? ce sont des aventures de l’esprit.

La foi, chacun le sait, ne se résume pas à une simple croyance comme de dire « Je crois en Dieu, parce que sans ça, ma vie n’a plus de sens. ». Non. La foi est un sentiment qui élève l’âme de telle sorte que par lui – et par lui seul – elle se trouve au contact du divin. C’est donc bien une aventure.

Le satanisme, quand il n’est pas un banal blasphème est aussi l’expérience d’un délire, qui développe un paroxysme des sentiments. (1)

Bien. Quand donc on a compris ça, il ne reste plus qu’à évaluer le degré de satisfaction apporté par chacun de ces sentiments.

Baudelaire, faisant du premier d’avantage l’expression d’un orgueil bien bourgeois (l’âme qui s’élève monte en grade), valorise l’aventure du satanisme – ou de l’animalité (joie de descendre).

Pour Baudelaire, la poésie est l’expérience qui nous permet d’attendre un autre grand voyage, celui de la mort (2). Mais pour les impatients qui n’ont pas la fibre poétique, il reste à s’animaliser ou à aller les nuits de pleine lune à la croisée des chemins. (3)

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(1) Qu’on se reporte aux illustrations de ce Post – La femme crucifiée est bien un thème satanique, traité comme un simple blasphème par Bettina Rheims, il devient expérience hallucinante dans le tableau de Félicien Rops.

(2) Mort, vieux capitaine….

(3) Voir illustration ici

Monday, November 29, 2010

Citation du 30 novembre 2010

Toute pensée qui dure est contradiction. Tout amour qui dure est haine. Toute sincérité qui dure est mensonge. Toute justice qui dure est injustice.

Marcel Schwob – Le Livre de Monelle

Il y a des citations auxquelles nous adhérons volontiers et d’autres qui suscitent notre méfiance. Cette citation de Marcel Schwob fait partie de cette seconde catégorie :

- Comment la pensée qui est logique deviendrait-elle illogique ? Et comment l’amour, ce sentiment qui nous rend si proche du divin, pourrait-il porter la haine dans ses flancs ? Et la sincérité le mensonge ? Et la justice l’injustice ?

Si nous acceptons de nous pencher sur cette phrase, nous pourrons tout de même trouver une solution : ce que nous dit Marcel Schwob ne peut s’entendre en effet que si nous nous situons dans la perspective d’un changement constant de la réalité. Que « tout coule », qu’« on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve » comme dit Héraclite, et alors effectivement Schwob a raison.

- Que tout change, en effet, et l’amour devient haine… Quelle est donc cette femme, dont je suis éperdument amoureux ? Supposons que je la connaisse aussi bien qu’il est possible, l’être que j’aime existe en effet dans la réalité, intégralement tel que je le connais. Oui… mais cet être va changer, il va se transformer, c’est la loi du monde. Et ce changement ne va pas seulement affecter son aspect physique, sur lequel le pur amour ne saurait se focaliser ; ma belle amoureuse va aussi changer de caractère, de préoccupations, ses opinions, ses goûts, tout change. Et moi, je vais dire : Ah, mais… Je ne reconnais plus la femme que j’ai choisie – je n’ai pas signé pour ça… (1)

Et l’amour devient haine… au nom de l’amour.

- Et toute pensée qui dure, devient-elle contradiction ? Je suppose qu’on peut le dire à condition d’admettre que la pensée en question s’évalue par sa cohésion avec la réalité : aurait-on cru possible que la Chine s’éveille au capitalisme sans faire une nouvelle révolution ? Et que la Russie fasse ami-ami avec l’OTAN ?

Je vous laisse continuer pour les autres items de la citation de Schwob.

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(1) On aura reconnu le thème de la chanson de Charles Aznavour : Tu t’laisse aller

Sunday, November 28, 2010

Citation du 29 novembre 2010

Dans le plan de rigueur, il y a trop de mou dans ce qui est dur et trop de dur dans ce qui est mou.

Jean-Pierre Chevènement – Discours – 1983

Quand les riches se serrent la ceinture, les pauvres sont déjà morts de faim.

Anonyme

1983 : année de la rigueur…

2010 : année de l’effort rigoureux…

--> Puisque l’histoire se répète, demandons-lui comment faire pour éviter les erreurs commises dans le passé.

L’erreur à ne pas commettre serait de croire qu’il suffit que chacun soit mis à contribution : « Vous poussez pas, y en aura pour tout le monde » comme disait Coluche

L’idée de Chevènement, c’est que si l’austérité est pour tout le monde, par contre l’effort demandé n’a pas le même degré pour tous : trop mou pour les uns, trop dur pour les autres. Ce à quoi il faut veiller, c’est à la justice – ou plutôt à l’équité – sociale.

Equité (1) signifie qu’il y a une juste proportionnalité entre ce qui est dû par chacun et ses revenus – en non pas comme une stricte égalité (comme devant les taxes). Par exemple, quand on nous dit que le nouveau plan d’austérité concocté par le gouvernement irlandais demande à chaque citoyen un effort de 4400 euros par an, on voit que cela ne signifie pas la même chose pour tous. (2)

Maintenant, qu’est-ce qui est dur dans le mou et qu’est-ce qui est mou dans le dur ?

- Impositions : dur ; bouclier fiscal : mou dans le dur.

- Aides sociales : mou ; réduites : dur dans le mou.

Reste le coup de rabot fiscal à l’aveuglette sur les niches du même nom : mou ou dur ?

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(1) Nos amis anglo-saxons diront equity plus volontiers que fairness (justice) : il y a une leçon à prendre. Rawls explique que les inégalités sociales sont supportables là où elles sont nécessaires pour rendre possible des avantages favorables à tous : par exemple qu’un médecin reçoive des émoluments très supérieurs au salaire de l’ouvrier est équitable à la condition que le médecin ne soigne les gens que si il reçoit ce traitement.

(2) « Dans le calme mais en masse, 100 000 Irlandais ont demandé samedi un partage plus juste de l'austérité. Et un changement immédiat à la tête du pays. » (Lire la suite ici)

Saturday, November 27, 2010

Citation du 28 novembre 2010

L'assiette pleine cache une assiette vide, comme l'être cache le néant.

Raymond Queneau – Le chiendent

… tout mon dessein ne tendait qu'à … rejeter la terre mouvante et le sable, pour trouver le roc ou l'argile.

Descartes – Discours de la méthode, 3ème partie

Sous les pavés, la plage

Slogan de mai 68 (1)

Rétines et pupilles, / Les garçons ont les yeux qui brillent / Pour un jeu de dupes : / Voir sous les jupes des filles…

Alain Souchon - Chanson

Ce Post est dans la continuité du Post d’avant-hier.

Voilà : j’aurais pu continuer encore longtemps avec des citations montrant combien le caché est plus désirable que l’évident.

Mais Alain Souchon nous en avertit : c’est bien souvent un jeu de dupes. La déception ne se cache pas seulement sous les jupes : au fond de l’assiette, le vide ; sous les pavés, la plage n’est qu’une mince couche de sable sans intérêt.

On dira quand même que ce qui existe sous les jupes de filles, ça existe vraiment : ce n’est pas une légende. – Oui, mais ça n’existe pas pour satisfaire le désir concupiscent du garçon : ça n’existe que pour les filles qui en font ce qu’elles veulent. D’ailleurs maintenant elles mettent des pantalons et basta ! N’en parlons plus.

Mais l’illusion va plus loin : il ne s’agit pas simplement de dire qu’entre le désir et son objet il y a plus loin que de la coupe aux lèvres. Comment savons-nous que ce qu’on nous cache est vraiment désirable ? N’est-ce pas une grossière manipulation que de nous montrer la cachette pour nous faire désirer le caché ?

On le voit, notre illusion vient aussi de ce que nous faisons un renversement tout à fait critiquable. Puisque l’objet désiré est le plus souvent dissimulé, alors nous voudrions croire que tout ce qui est dissimulé est désirable. C’est ce qu’on appelle une induction abusive (2).

Vous avez remarqué, n’est-ce pas ? Je n’ai pas encore parlé de la citation de Descartes – c’est qu’il a raison : le roc se cache bien sous les sables mouvants, et qu’à creuser jusqu’à lui on gagne une assise ferme et solide. C’est que le caché peut aussi être en réalité le profond : et le profond est aussi le fondement.

Tout ce qui se tient derrière ou en-dessous, n’est pas forcément l’objet d’un désir,

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(1) Pour ceux qui n’ont pas encore eu le bonheur de dépaver des rues pour faire des barricades, j’explique : quand on enlève les pavés (des rues parisiennes en tout cas), on découvre en dessous une couche de sable destinée à les stabiliser. D’où, la plage qui se révélait sous les yeux émerveillés des étudiants d’alors.

(2) Bertrand Russell donnait cet exemple d’induction fautive : dans le poulailler, les poules se précipitent chaque jour vers la fermière qui a coutume de les nourrir. Sauf qu’un jour, la fermière a un grand couteau – mais les poules se précipitent encore vers elle.

Friday, November 26, 2010

Citation du 27 novembre 2010

Jadis le moi se cachait dans le troupeau ; à présent, le troupeau se cache encore au fond du moi.

Nietzsche – La volonté de puissance

Le moi – La banalité est de critiquer l’orgueil qui se révèle dans l’adoration du moi – de son propre moi. Il suffit pour s’en persuader de se reporter aux posts qui lui ont été déjà consacré ici même.

Mais voilà que Nietzsche nous en avertit : de nos jours, il n’y a plus rien à critiquer, parce que le moi est mort et enterré, qu’il a disparu dévoré par l’esprit de troupeau. Qu’il s’agisse d’un troupeau de mouton ou de la meute des loups ne change rien à l’affaire : l’individualité authentique et fière d’elle-même a disparu. Il ne reste plus que des conformismes, même si ces conformismes s’échinent à se ridiculiser les uns les autres. (1)

Il faut en effet le souligner : quand Nietzsche parle du troupeau qui se cache en nous il ne veut pas dire que nous sommes composés d’influences diverses, que notre moi serait une rhapsodie de personnalités hétéroclites. Non : le troupeau pour Nietzsche, est toujours caractérisé par l’uniformité, par le consensus qui unit les individus (moutons de Panurge) – d’ailleurs parler d’individus est un peu abusif. Il s’agit plutôt d’unités physiquement distinctes mais parfaitement interchangeables, un peu comme à l’armée où les individus, Pierre, Paul, Jacques, ne se nomment plus indistinctement que des « hommes ». Quand l’un d’eux tombe sous le feu ennemi, un autre « homme » vient et prend sa place. Aucune différence.

Ainsi, le troupeau se cache encore au fond du moi : comprenons que le moi est une illusion dont nous nous berçons, parce qu’il est quand même bien agréable de penser que nous sommes des individus uniques, irremplaçable, et qu’en nous regardant dans la glace le matin, nous pouvons vérifier non seulement que nous sommes bien le même que la veille, mais aussi que nous sommes bien différents de tous les autres.

Comment s’appelle le troupeau quoi se cache au fond de notre moi, celui qui nous guide sans qu’on le sache ?

- CSP+

- 18-25 ans

- Ménagère de moins de 50 ans

- Senior….

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(1) Finalement j’avais quand même consacré un Post non à épingler des critiques de l’orgueil, mais à relever justement ce phénomènes qui substitue des effets de modes à la personnalité originale.