Friday, February 29, 2008

Citation du 1er mars 2008

… sont désirables en elles-mêmes les activités qui ne recherchent rien en dehors de leur pur exercice.

Aristote, Ethique à Nicomaque, Livre X 1176-b 6

Aristote contre Mickey

Tout ce que nous désirons, selon Aristote, c’est le bonheur. Toute action qui nous rend heureux est donc désirable en soi et pas pour autre chose : exit le travail dont la finalité est de satisfaire des besoins vitaux.

Bon. Mais quid du jeu, de l’amusement, ou pour parler comme aujourd’hui, de l’entertainment ? Parce que l’amusement est bien une activité sans utilité autre que notre délassement.

Hé bien, Aristote rejette cette interprétation : le délassement n’existerait pas sans le travail, il est une occupation destinée à nous en reposer. Mais surtout (autre argument), l’activité humaine ne vaut comme activité libre que dans la mesure où elle permet à l’homme d’accéder à une plus grande perfection, de se réaliser pleinement : ce qui permet d’exclure les plaisirs pervers, comme ceux qui ne nous permettent pas de développer nos aptitudes. Exit Mickey

Où trouver cette activité qui nous permet d’être un peu plus nous même ?

Aristote nous dit : dans l’activité méditative (1), entendez celle qui accompagne l’acquisition de la science pure et la réflexion sur son contenu. Dans le vocabulaire grec, ça s’appelle la sagesse (et sa recherche s’appelle la philosophie).

- Bon. J’accepte de mettre à la poubelle mon stock de Journaux de Mickey et de jeter par la fenêtre mon poste de télé (à moins de bloquer la zapette sur Arte). J’enfile mes Adidas pour jogger jusqu’à la salle de Fittness pour suer un bon coup en bondissant sur une musique ad-hoc. Alors, qu’est-ce qu’il en penserait Aristote ?

- Les grecs ont inventé la gymnastique qu’ils pratiquaient au gymnase, tous nus et enduits d’huile parfumée… Je ne pense pas qu’Aristote aurait critiqué votre salle de sport. Toutefois, n’oubliez pas que c’est en partant de ce que nous sommes le plus essentiellement que nous devons nous élever. Si vous êtes essentiellement un corps, ou si c’est votre corps qui commande le reste de votre être, alors ça va. Mais si vous êtes aussi un esprit, une sensibilité, un être social, alors il faut autre chose pour vous développer. Et donc pour être heureux.

(1) Traduite par « théorétique » dans la référence disponible en ligne

Thursday, February 28, 2008

Citation du 29 février 2008

L’homme doit être occupé de telle manière qu’il soit rempli par le but qu’il a devant les yeux, si bien qu’il ne se sente plus lui-même et que le meilleur repos soit pour lui celui qui suit le travail. Ainsi l’enfant doit être habitué à travailler. Et où donc le penchant au travail doit-il être cultivé, si ce n’est à l’école ? L’école est une culture par contrainte. (1)

E. Kant, Réflexions sur l’éducation, p.110-111.

Faut-il faire apprendre aux enfants des écoles des pages entières de Kant, comme on a fait autrefois apprendre les cours de morale ou les versets de la Bible ?

Pourquoi pas, à condition de leur apprendre aussi à critiquer ces textes.

Que fait Kant ? Il montre que le travail est une bonne chose, et pas seulement pour satisfaire les besoins humains. Si Dieu l’avait voulu, Il aurait pu, en effet, nous épargner le travail : il ne l’a pas fait, et on peut supposer qu’Il aurait donné du travail à Adam et Eve au cas où ils n’eussent pas été expulsés du Paradis.

Qu’est-ce qu’il y a de bon dans le travail ? Il détourne l’homme de lui-même, lui épargne la macération psychologique, le tourne vers l’action. Tout travail est bon - même de casser des cailloux sur les chemins - puisqu’il occupe l’esprit. L’homme qui fuit le travail doit être dressé à s’y soumettre, et l’école est là pour ça : il faut commencer jeune.

Alors, qu’est-ce que vous avez à redire à ça ? L’école est là pour épanouir l’enfant ? L’éducation se fait non par la contrainte, mais par l’éveil de l’intelligence ? Dites donc, vous ne seriez pas un peu contaminé par les retombées de Mai-68 ? Vous n’auriez pas eu un instit’ chevelu avec peau de mouton et guitare sur le dos ?

Soyons un peu sérieux : le travail, on en parle ici depuis assez longtemps pour ne pas être obligé de se répéter. Si je reprends la raisonnement de Kant, je dirai à peu près ceci : dans le pire des cas - labeur éreintant, travail contraint - le travail est encore une bonne chose parce qu’il engage l’homme dans l’action et le détourne de la macération psychologique. Nous n’avons donc pas grand chose de plus à espérer de la vie, sinon le repos après le travail.

Et c’est là que je ne suis plus d’accord. La véritable action, celle qui nous permet de nous régénérer, c’est la création, même si ce mot est un peu excessif. C’est par la production de ce qui n’aurait pu être fait par un autre, par ce qui n’aurait pas existé sans nous, que nous sortons de l’animalité (cf. Hannah Arendt). Alors effectivement, le travail peut nous apporter cela. Mais s’il ne le fait pas, alors pour éviter de devenir des bêtes de somme, nous devons en venir aux loisirs.

Au sens grec.

Voir la suite demain

(1) C’est moi qui souligne

Wednesday, February 27, 2008

Citation du 28 février 2008

La France a toujours cru qu'une chose dite était une chose faite.
Henri-Frédéric Amiel (1821-1881)
On le savait déjà au XIXème siècle : les français croient qu’il suffit de dire pour faire. Et aujourd’hui ?
Prenez le célèbre discours du candidat Nicolas Sarkozy du 19 décembre 2006, à Charleville-Mézières (1). Je ne retiendrai pas la longue litanie des misères qui affligent les malheureux Ardennais (2). Je ne retiendrai que la formule suivante : «je dirai tout avant l'élection parce que je ferai tout après » (3).
On a bien compris que c’était là une nouvelle conception de la légitimité politique, l’élu de l’exécutif se réclamant d’un mandat électif le justifiant dans son action par-dessus les élus du pouvoir législatif : on essaye de mettre en place une sorte de démocratie directe, non constitutionnelle, en prise avec la « vraie France » - entendez celle qui souffre.
- Mais revenons à notre croyance dans le pouvoir des mots. Maintenant que l’état de grâce suivant l’élection s’est éclipsé, on comprend un peu mieux ce qui se passe.
…Je ferme les yeux, je me laisse aller au gré de mon imagination ; je vois la France - oui, oui - assise sous son arbre et regardant pâturer ses moutons : elle pleure. Elle pleure, parce qu’elle comprend qu’elle s’est laissée prendre à la magie des mots. Non pas comme une pauvre fille piégée par le vil séducteur qui lui a promis de la faire tourner dans une super production hollywoodienne. Non, plutôt comme l’enfant qui a cru que l’on pouvait grâce à des incantations voler dans les airs ou se doter d’armes terribles ; elle a cru qu’elle aussi pourrait devenir Harry Potter.
Dans l’étonnant succès électoral de notre candidat président, il y a eu cette croyance que des mots peuvent changer les choses. Il y a cette foi dans l’homme - car ce n’est pas à la portée de n’importe qui - capable de faire ce qui dit, parce qu’il le dit. Quand le Président Hu Jintao prononcera la phrase rituelle à Pékin, en Août prochain : « Je déclare ouverts les Jeux Olympiques de Pékin », cette phrase aura le pouvoir de faire ce qu’elle annonce : on aura reconnu là l’énoncé performatif de J.L Austin.
Hé bien, la France pleure, parce qu’elle s’aperçoit que tous les énoncés politiques ne sont pas forcément des énoncés performatifs.
(1) Il s’agit du discours sur « La France qui souffre » : lisez-le, même s’il est un peu long, c’est un beau morceau d’éloquence.
(2) Comme j’ai des amis là-bas, je précise de suite que les malheurs qui les affligent sont compensés - et au-delà - par le charme de leur pays.
(3) Extrait : « Je veux lui dire que si nous le voulons, nous ferons reculer le chômage de masse, la pauvreté, les inégalités.
Je veux lui dire que ce que les générations précédentes ont fait nous devons le faire aussi.
Je veux lui dire qu’il n’y a aucune fatalité à l’injustice et au malheur.
Je veux lui dire que l’avenir sera ce que nous saurons en faire.
Je veux lui proposer de renoncer au renoncement.
Je veux lui promettre que tout peut redevenir possible.
Je veux lui dire les yeux dans les yeux que je dirai tout avant l'élection parce que je ferai tout après. Je sais que vous vous êtes souvent sentis trahis. Je ne vous trahirai pas. Je ne vous mentirai pas. Je ne vous abandonnerai pas. »

Citation du 27 février 2008




Ce qui nous crève les yeux nous rend aveugle

Miss.Tic - A voir sur le Blog du Miss.Tic FanClub

Belle photo n’est-ce pas ?

Ouvrez les yeux à ce qui vous entoure, prenez conscience de votre myopie affective, la Miss est là pour vous le rappeler.

Oui, mais… Pour cela elle interpelle le passant du haut de son monument, elle le domine non seulement de son attitude farouche - sorte de Zarathoustra femelle - mais aussi par sa taille : faite pour être accrochée à plusieurs mètres elle écrase proprement le petit monsieur rouge qui paraît médusé par cette apparition.

Voici où je veux en venir : des œuvres comme celles-là, elles auront toujours besoin de la rue pour prendre leur sens. Pas d’interpellation sans un passant qu’on va transformer en spectateur. Mais il arrive aussi, qu’une véritable mise en scène - ou mieux : une installation - soit nécessaire pour que le sens devienne perceptible.

L’art de rue ne date pas d’hier. D’une certaine façon les cathédrales gothiques en sont les premières manifestation : leur façade chargée de statues ou de bas relief racontant la Bible agit selon les mêmes principes que l’image que nous publions ici. Voyez leur organisation dans l’espace, l’attitude des personnages, les détails qui sont reproduits ou omis : tout est fonction de la présence des fidèles, de leur culture, de ce qu’on veut leur faire passer comme message.

Alors certes, le cathédrales médiévales ne rajoutent pas de message écrit.

Mais c’est parce que les fidèles ne savaient pas lire.

(Cathédrale de Reims - Cliché J.P. Hamel)

Monday, February 25, 2008

Citation du 26 février 2008

…l'homme est un animal qui, du moment où il vit parmi d'autres individus de son espèce, a besoin d'un maître. […] Mais où va-t-il trouver ce maître? Nulle part ailleurs que dans l'espèce humaine. Or ce maître, à son tour, est tout comme lui un animal qui a besoin d'un maître.

Kant - Idée d’une histoire universelle du point de vue cosmopolitique (6ème proposition) (1)

La récente émotion à propos de « dérapage » verbal de Notre Président a conduit certains observateurs à souligner qu’un chef de l’Etat se devait d’être exemplaire, et que cet « emportement » n’en était pas très digne - ou du moins pas très « professionnel ». Mais les éleveurs de moutons du Salon de l’agriculture, lieu de l’incident, n’y voyaient pas scandale : « C’est une chaude bête » disent-ils dans leur parler du terroir.

Sans doute ne peut-on éviter qu’un chef d’Etat soit une chaude bête : nous saisirons cette occasion pour rappeler ce petit texte où Kant évoque la radicale impossibilité de trouver un chef qui soit réellement à la hauteur de sa tâche. Car cette tâche est de mener l’humanité à un plus haut niveau de civilisation, ce qui veut dire chez Kant, l’éloigner un peu plus de l’animalité qui le livre aux instincts et à la violence. Le chef a donc une fonction qui va bien au-delà de l’exemplarité : il doit voir loin en avant de l’homme d’aujourd’hui, deviner le chemin à suivre et avoir la fermeté de l’y conduire. Mais nul homme n’est jamais en avant de l’homme réel, personne ne peut grimper sur ses propres épaules pour voir au loin, nul Führer, nul Duce ne pourra jamais mériter ce nom. Que faire alors ?

Kant admet qu’on doit procéder par approximations successives, sans doute en choisissant parmi les hommes susceptibles de remplir cette fonction ceux dont les qualités permettront de réaliser un léger progrès à la société, et aussi en cherchant chez les autres ce qu’il sont fait de mieux que nous pour tirer profit de leur expérience.

En tout cas que cela nous serve à nous rappeler qu’il est très imprudent de confier tous les pouvoirs à un seul homme - qui n’est qu’un homme.

(1) Voici l'extrait - Les curieux pourront télécharger l’intégralité de l’opuscule ici

Sunday, February 24, 2008

Citation du 25 février 2008

Les inventeurs visionnaires : Les frère Goncourt et la pilule contraceptive.
Rien ne manque aux femmes, qu’une clef dans le nombril, une clef de poêle qu’on tournerait et qui les empêcherait de faire des enfants, quand on ne désirerait pas en avoir avec elles.
Edmond et Jules de Goncourt - Journal - 8 mars 1863, p. 944


Effectivement, si vous regardez de près cette eau forte de Rembrandt, vous constaterez que la clef du tuyau de poêle est sur celui-ci et non dans le nombril de la femme.
Rembrandt - La Femme devant le poêle - 1658 Eau-forte, burin et pointe sèche.


Oui, un siècle avant l’invention de la pilule, les Goncourt fantasment sur cette invention qui transformerait une femme productrice d’enfant en objet sexuel… Mais ont-ils inventé la contraception pour autant ? Là encore, l’intérêt est de retrouver dans ces projets imaginaires le sens qu’ils ont eu pour les hommes d’autrefois.
Alors que pour nous, la contraception est une moyen pour les femmes de contrôler leur fécondité et donc d’affirmer que leur corps leur appartient, en 1863 c’est avant tout pour les hommes le moyen de jouir de deux façons différentes du corps de la femme.
Car au fond, c’est ça qui est le sens de cette « invention », vue du XIXème siècle : faire d’une femme soit instrument de reproduction soit un objet de jouissance, selon le bon vouloir de l’homme.
Et en effet, cette fameuse clef aurait eu une vertu pas banale : il ne s’agit pas d’un simple interrupteur on/off, comme on l’imaginerait aujourd’hui, mais d’une commande qui aurait eu deux positions : l’une procréation ; l’autre : jouissance.
Je traduis : une position « épouse » et une position « maîtresse ». Car à l’époque des Goncourt tous les bourgeois ont une épouse pour assurer leur descendance, et une maîtresse pour la jouissance (1).
… Et si on demandait aux femmes ? Auraient-elles imaginé l’homme de leur rêve avec une clef dans le nombril, pour le rendre stérile sur commande ?
Je ne le crois pas ; elles auraient imaginé une manette avec deux positions :
- en haut : érection,
- en bas : flaccidité.
Parce que j’ai comme l’idée que la position « par défaut » de cette fameuse manette aurait été en haut, et que ces dames auraient voulu commander à volonté la position « en bas »
(1) Quant ils n’en ont pas les moyens, ils vont au bordel.

Citation du 24 février 2008

C'est vous qui êtes le nègre? Eh bien, continuez !

Mac Mahon, au major de promotion de Saint-Cyr . A Saint-Cyr, la coutume était d’appeler « le nègre » le major de la promotion


Comment peut-on être Persan ? demandait Montesquieu dans les lettres Persanes (Cf. Post du 11 avril 2006). Et nous, nous demanderons, Comment peut-on cesser d’être nègre ?

Laissons de côté les réponses superficielles du genre : « le nègre est un homme qui écrit les livres que leurs auteurs ne savent pas écrire. On cesse d’être un nègre le jour où on devient un co-auteur… » Ces finasseries de vocabulaires ne nous mènent par très loin.

Je prendrai plutôt une thèse développée par Sartre à propos des Juifs et qui s’applique tout aussi bien ici : un « nègre » c’est quelqu’un qui est considéré comme tel par les autres.

Ce qui veut dire que l’on devient ce que les autres pensent de nous – ou alors qu’il nous faut lutter contre cette tendance. Et donc, être un nègre, c’est porter toutes les tares dénoncées par le colonialisme comme étant caractéristiques de l’africain colonisé. On se débarrassera de cela en se débarrassant des colonies. Voilà qui est fait.

Mais nous en avons d’autres des « colonies » : les banlieues, avec les Beurs en forme une variété bien caractéristique. Au point que pour cesser d’être non pas un nègre, mais un Beur, on change sans cesse de dénomination. On est un jeune issu de l’immigration (comme les paralysés sont des personnes à mobilité réduite). Comme si le regard changeait avec la dénomination…

Nous voici ramené aux finasseries de vocabulaire dénoncés plus haut.

Demandez donc à un jeune « issu de l’immigration » ce qu’il doit faire pour cesser d’une Beur. Qu’il change de nom ? Qu’il déménage ? Pourquoi pas. Mais surtout, il doit réussir mieux que les autres pour un résultat souvent moindre.

C’est ce que nous expliquent Rachida, et Fadéla, et tant d’autres

Saturday, February 23, 2008

Citation du 23 février 2008

L’accès illimité à l’information ne signifie pas pour autant disposer d’un accès au savoir.

J. de Rosnay


Cela signifie que la vulgarisation ne peut être le fait de simplement disposer de l’accès à toutes les sources d’information. Il faut de plus mobiliser les ressources habituelles de l’accès à la connaissance, à savoir : une méthode de recherche, de critique de l’information et une capacité de synthèse, pour transformer celle-ci en savoir véritable.

- On a pensé que les nouvelles technologies de l’information (alias T.I.C., pour Technologie de l’Information et de la Communication) étaient un outil pédagogique, une nouvelle façon de faire travailler les élèves sur des exercices sommes toutes identiques. –

- On a pensé aussi que ces techniques seraient un intermédiaire entre le prof et l’élève, parce que le prof inhibe l’élève, alors que ce n’est pas le cas avec la machine.

- Et puis on s’est dit qu’après tout, ces «outils » (1) pourraient bien remplacer le prof.

On voit que les TIC sont plutôt un moyen pour l’élève de travailler sans le prof, et que le rôle de celui-ci est comme toujours d’apprendre à l’élève à se débrouiller tout seul. Il faut donc faire de l’ordinateur et de l’Internet un moyen en libre accès, sous le pilotage du prof, dans toutes les disciplines.

Pas si difficile, puisque les profs se servent de ces ressources pour eux mêmes (2), ils n’ont qu’à apprendre aux élèves à en faire autant, et non pas chercher à concocter des exercices particuliers requérrant l’usage de l’ordinateur.


(1) Le terme d’outil employé pour n’importe quoi me donne des boutons. Par exemple ici on aurait dû parler « d’instrument » (= ce qui instruit). Mais qui donc aurait saisi l’intention ?

(2) Allez, je balance aujourd’hui : de sources variées et concordantes, j’apprends que des jeunes néo-profs pompent leurs cours sur Internet ! On n’a plus qu’à fermer les IUFM.

Friday, February 22, 2008

Citation du 22 février 2008

Voyant que Platon désirait de s'en retourner, il [= Denys] le fit embarquer sur une galère à trois rangs de rames, qui transportait en Grèce le Spartiate Pollis Mais le tyran pria Pollis en secret de faire périr ce philosophe dans le cours de la navigation, ou du moins de le vendre : Car, lui dit Denys, il ne perdra rien à ce changement d'état : comme c'est un homme juste, il sera heureux, même dans l'esclavage.

Plutarque La vie de Dion - 1re partie


C’est dans ce passage qu’on découvre la célèbre anecdote selon la quelle Platon après avoir expliqué à Denys le tyran qu’il vaut mieux subir l’injustice que la commettre aurait été vendu comme esclave sur son ordre afin qu’il vérifie par lui-même l’exactitude de sa thèse.

Platon aurait été effectivement vendu sur le marché aux esclaves et reconnu par un athénien de passage, il aurait été racheté par lui et remis en liberté. Platon aurait-il été heureux même en esclavage ? Des philosophes esclaves, il y en a eu (Epictète). Mais on n’a jamais entendu dire qu’une fois affranchis, ils auraient demandé à y retourner. Du moins, lorsqu’ils parlaient du sort de l’esclave, on est sûr qu’ils savaient de quoi ils parlaient.

Et si tout principe était appliqué à son auteur pour qu’il en vérifie lui-même l’exactitude ? On a vu des savants expérimenter sur eux mêmes leurs hypothèses. Pourquoi pas des philosophes ?

Adapter son mode de vie aux exigences qu’on a pour autrui ; être pauvre lorsqu’on affirme que les pauvres sont les bien aimés de Dieu ; ne jamais mentir quand on prêche que c’est là la vertu ; travailler plus quand on l’exige des autres. Ce qu’on pourrait espérer d’une telle démarche, ce serait qu’on n’en parle plus à la légère, et qu’on mérite ainsi le respect de ceux qu’on prétend gouverner.

Il y eut une époque où les députés du P.C. ne conservaient de leur indemnités d’élus que l’équivalent d’un salaire d’O.S. Le reste allait au Parti.

Heu…Oui, au Parti.


Citation du 21 février 2008

J’ai pétri de la boue et j’en ai fait de l’or
Charles Baudelaire - Correspondance

Que peut la poésie ? Cette question est oiseuse si on cherche à la résoudre en parlant des petits oiseaux ou des roses à peine écloses… Par contre, si on cherche ce que la poésie fait avec les sujets les moins « poétiques » - le sexe féminin par exemple, là c’est déjà plus sérieux.
Comparez donc ces deux poèmes, parmi les plus connus :
Et sous le voile à peine clos / Cette touffe de noir jésus /Qui ruisselle dans son berceau / Comme un nageur qu'on attend plus /C'est extra c'est extra - Paroles et musique de Léo Ferré 1969
2 - Et ce texte – que je considère comme un poème en prose – d’Aragon, le Con d’Irène (1)
Et maintenant, salut à toi, palais rose, écrin pâle, alcôve un peu défaite par la joie grave de l’amour, vulve dans son ampleur à l’instant apparue. Sous le satin griffé de l’aurore, la couleur de l’été quand on ferme les yeux. Louis Aragon – Le con d’Irène
Je ne décrirai pas les métaphores dont regorgent ces textes : il ne s’agit pas de déflorer (!) une poésie qui doit se ressentir avant de se comprendre.
Je dirai simplement que toute la force de la poésie est justement de maintenir ensemble la grandeur des intuitions poétiques et la précision de l’évocation. On s’est beaucoup moqué et à juste titre de cette préciosité qui commandait d’évoquer les réalités prosaïques par des périphrases qui en rendait l’accès obscur et qui finissait par tourner au ridicule (Hugo se moquant des « longs fruits dorés » en lieu et place de la médiocre poire).
Voyez donc chez Léo Ferré, l’image développée, comment tout en étant éloignée de son objet, elle n’en reste pas moins d’une précision absolue : c’est un sexe en action qu’on évoque.
Et Louis Aragon : le titre volontairement provoquant de son texte est démenti par l’élévation des images ; oui mais l’absolue précision de la description anatomique en fait un texte qui pourrait servir à l’éducation sexuelle.
La poésie peut donc transformer en extase littéraire ce qui ne serait sans elle que borborygme pornographique.

(1) Tout le monde connaît le titre, mais l’a-t-on lu ? Le voici donc.

Wednesday, February 20, 2008

Citation du 20 février 2008

Les seules vacances de l'homme sont les neuf mois qu'il passe dans le sein maternel.

San Antonio Je le jure


Non, non… Je ne vous refais pas le coup du sein maternel (8 février).

Je veux simplement relever que les vacances, telles que San Antonio les décrit est un moment de narcissisme intense.

N’apprécieront les vacances que ceux qui savent se consacrer à eux mêmes et rien d’autre.

Vous adorez faire des confitures et pour vous, les vacances c’est ça ? Si c’est pour la gourmandises d’une ribambelle de mioches qui vous traînent dans votre cuisine et vous surveillent pour que vous n’en sortiez pas tant que les chaudrons ne sont pas pleins, avouez que ce ne sont pas des vacances.

Si par contre vous faites ça parce que vous adorez entendre les mouflets vous supplier : « Aller, Mamie, fais-nous cette confiture qu’on trouve pas à Carrefour » alors on se rapproche de la vérité des vacances.

Mais si les vacances c’est se faire plaisir, le mieux est de se consacrer uniquement à soi-même. Le fœtus, qu’est-ce qu’il fait d’autre ? Il se fabrique, point final. Toutefois, on dit qu’il suce son pouce in utero : il se donne donc du plaisir lorsqu’il en a le temps.

Donc les vacances, c’est ça : faire tout ce qui nous développe et nous améliore (1). Et quand on en a le temps, se donner du plaisir.

Vu comme ça, ça me va. Je dirai que la retraite pourrait être conçue comme des vacances poursuivies jusqu’à ce que mort s’en suive….


(1) Notez que c’est exactement la définition aristotélicienne des loisirs… et de la liberté.

Tuesday, February 19, 2008

Citation du 19 février 2008

Toutes les idées énoncées avec des sons semblables ont une même origine et se rapportent toutes, dans leur principe, à un même objet.

Jean-Pierre Brisset - La grande nouvelle



J.P. Brisset poursuit ainsi : Soit les sons suivants: Les dents, la bouche. / Les dents la bouchent, / l'aidant la bouche. / L'aide en la bouche. / Laides en la bouche. / Laid dans la bouche. / Lait dans la bouche. / L'est dam le à bouche. / Les dents-là bouche. Toutes les idées que l'on peut exprimer avec un même son, ou une suite de sons semblables, ont une même origine et présentent entre elles un rapport certain, plus ou moins évident, de choses existant de tout temps ou ayant existé autrefois d'une manière continue ou accidentelle.

Ne revenons-nous pas ici sur les « jeux de mots » dont on avait déjà parlé le 9 octobre 2006 ? Y a-t-il quelque chose de sérieux à retirer de ce bric-à-brac proposé par Brisset ? Que pouvons-nous espérer de cette hypothétique origine commune ? Existe-t-elle seulement ?

Je dirai pour commencer que nous y croyons plus qu’on ne saurait l’admettre. Voyez les noms propres, je veux dire en particulier notre nom de famille. Pourquoi lorsqu’il est déformé, parfois avec une intention maligne, nous sentons-nous atteints ? Pourquoi, sinon parce que nous sentons qu’il y a alors quelque chose de ce nom déformé qui déteint sur notre personnalité, qui normalement est exprimée par notre patronyme.

Ensuite, les jeux de mots sont pris au sérieux par des gens très sérieux : voyez Platon, avec son analogie sôma-sèma (Post cité plus haut) : ne pense-t-il pas vraiment que toutes les idées que l'on peut exprimer avec un même son(…) présentent entre elles un rapport certain ?

Par contre, J.P. Brisset s’aventure sur un terrain glissant lorsqu’il suppose une origine commune de ces assonances : les généalogistes nous ont habitués à nous méfier de ces noms trop ressemblant qui n’ont aucun rapport réel.

Monday, February 18, 2008

Citation du 18 février 2008

Quelle vanité que la peinture qui attire l'admiration par la ressemblance des choses, dont on n'admire point les originaux !

Blaise Pascal - Pensées

Si l’art consiste à représenter la réalité, on peut s’interroger : quel intérêt avons-nous à privilégier le modèle sur la copie (comme le disait déjà Platon). Et si on dit qu’il s’agit de conserver avec soi ce qui se perd dans la réalité (comme la rose) ou qui ne reste pas à notre disposition (comme un paysage lointain), on a de toute façon à répondre à la question de Pascal : qu’est-ce qui attire notre admiration par la ressemblance des choses, dont on n'admire point les originaux ?

Aristote le disait : l’homme par nature aime à représenter, ou à voir des images même de choses pénibles, tels des animaux ignobles ou des cadavres (1). Et la raison en est que ces images sont une connaissance qui vient combler notre désir de savoir. Toute représentation - et l’image en est une - produit (ou résulte d’)un savoir. Peut-être comme le disait Hegel, parce qu’alors l’esprit s’ajoute aux choses ; représenter, c’est toujours représenter selon un certain point de vue, et c’est donc un moyen de dire ce que l’on sait des choses, que de dire ou de montrer comment on les voit.

Mais je crois que l’objection de Pascal reste pertinente dans certains cas. Car il nous est difficile de soutenir que la connaissance soit au rendez-vous de certaines représentations aux quelles nous prenons du plaisir. Et donc que ce plaisir n’est pas nécessairement celui du savoir. Passons rapidement sur les exemples, je me contenterais d’inviter chacun à réfléchir aux images qui attirent irrésistiblement son regard : ce n’est pas forcément un lever de soleil sur l’Acropole.



(1) Aristote - La poétique (ch. 4 48b 5-20). On peut lire cette traduction un peu ancienne mais qui a l’avantage d’être en ligne.


Sunday, February 17, 2008

Citation du 17 février 2008

Un cuisinier, quand je dîne / Me semble un être divin / Qui du fond de sa cuisine / Gouverne le genre humain.

Antoine Désaugiers


On retrouve ici la thèse de Günter Grass dans le Turbot : la cuisine n’est pas simplement un art, c’est un pouvoir. Celui qui règne dans la cuisine, règne aussi sur ceux qui en mangeront.

Faut-il prendre au sérieux cette approche ? N’y a-t-il pas d’autres motifs pour cuisiner ?

- Le plus fréquent consiste à dire que cuisiner, c’est nourrir, et que l’on assume ainsi le rôle que la nature a dévolu aux femmes d’allaiter les petits.

Voyez les « Mères », celles qui ont fait le renom de grands restaurants ; n’ont elles pas des bras comme des jambons et une poitrine qui fait penser à une vache normande ? Conformément au destin de tous les mammifères, la mère est dévorée pas ses petits : alors autant qu’il y ait de la substance.

Mais je m’égare, pardonnez-moi.. . (1)

- On dit aussi que la cuisine est un art, qu’elle exprime le génie d’une civilisation - à moins qu’on ait affaire à la cuisine anglaise.

Mais tout ça, c’est très compliqué, et ce n’est pas sûr qu’on ait quelque chose de définitivement pertinent à en dire. En tout cas, les grand chefs (genre Bocuse) disent tous que dans la cuisine, tout l’art consiste à ce que les plats aient le goût de ce qu’ils contiennent. Et pourtant Rousseau critique la cuisine française en prétendant que son raffinement résulte du caractère immangeable de ce qu’elle contient (comme ce poisson japonais qui, s’il n’est pas bien préparé se révèle être un poison mortel). Mais Rousseau était genevois : qu’est-ce qu’il comprenait de la cuisine française ?

- Reste peut-être l’essentiel : la cuisine est un art de la séduction. Celui qui cuisine s’efforce de cuisiner pour quelqu’un de précis - du moins, le fait-il selon l’idée qu’il s’en fait. On cuisine pour le plaisir de ceux qui mangeront et le pire est le convive qui grimace ou qui laisse son assiette pleine. Même dans un restaurant courant, le serveur qui reprend une assiette à moitié pleine tâche de savoir pourquoi le plat n’a pas été apprécié.

Quand on dit qu’on cuisine pour des amis, on veut dire que c’est simplement plus facile : on connaît leurs goûts. Mais il est probable qu’on cuisine aussi pour se faire des amis.

…Se faire des amis, voilà une façon plutôt sympathique de décrire le pouvoir de la cuisine.


(1) Car en effet, la Mère Poulard : elle n’est pas obèse…


Saturday, February 16, 2008

Citation du 16 février 2008

La corrida, ce sont les abattoirs de la Villette dans les costumes du Châtelet.

Jacques Martin


Voilà un sujet qui peut passionner, comme il peut laisser indifférent : qu’un taureau soit estoqué par une épée dans une arène, que nous importe ? Seule la présence du public arrive parfois à soulever l’indignation ; ça n’a pas l’air très sain et on se dit que les gladiateurs ne sont pas loin…

Toutefois, l’existence des corridas pose le problème du droit des animaux. En effet si ce droit est reconnu, alors les corridas sont hors la loi.

Voyez l’article 3 de la Déclaration Universelle du droit de l’animal (1):
1- Aucun animal ne doit être soumis à de mauvais traitements ou à des actes cruels.
2- Si la mise à mort d’un animal est nécessaire, elle doit être instantanée, indolore et non génératrice d’angoisse.
3- L’animal mort doit être traité avec décence.

Il est clair que le déroulement de la corrida, la mise à mort ainsi que la coutume de trancher les oreilles et la queue de la bête qu’on vient de tuer est en totale contradiction avec ce texte.

Ce Droit des animaux a-t-il une quelconque validité ?

Sur l’attitude des philosophes à l’égard de cette question, on renverra au livre d’Elisabeth de Fontenay (2). Mais sait que Kant considérait qu’on pouvait disposer de l’animal comme on dispose d’une chose - vu qu’il n’a pas de conscience - alors que plus près de nous, Hans Jonas affirme que tout ce qui vit mérite de continuer à vivre. Il me semble que ce sont les anglo-saxons qui mettent en avant un Droit des animaux, droit dont la structure est assez surprenante pour être brièvement évoquée.

En effet, un droit des animaux repose ou sur la Nature, qui est alors conçue comme un Dieu dont la volonté est impliquée dans tout ce qui existe, ou sur un contrat qui dès lors impliquerait l’animal. Comme on ne s’imagine pas dire au bœuf : je te soigne bien mais en contrepartie il faut que tu acceptes d’être égorgé dans 6 mois, alors il faut admettre cette espèce de panthéisme qui fait de la Nature une grand tout dans le quel nous ne sommes qu’une infime partie, incapable de décider par nous-mêmes - et à la place des autres êtres naturels - ce qu’il en doit advenir.
La difficulté tient à ce que nous ne savons pas sur quoi fonder la limite que la cruauté envers les animaux enfreint : le plus souvent, c’est notre sensibilité qui la constitue. Voyez les bébés phoques : on doit en massacrer encore des quantités, mais tant qu’on ne nous le montre pas, ça va bien.


(1) La Déclaration Universelle des Droits de l'Animal a été proclamée solennellement à Paris, le 15 octobre 1978, à la Maison de l'Unesco. Son texte, révisé par la Ligue Internationale des Droits de l'Animal en 1989, a été rendu public en 1990. Si vous voulez animer un débat de fin de banquet dans une société de chasseurs ou de pécheurs, je vous recommande aussi l’article 4.

(2) Elisabeth de Fontenay - Le silence des bêtes Fayard - La philosophie à l’épreuve de l’animalité - 1999 (voir article de présentation ici)

Thursday, February 14, 2008

Citation du 15 février 2008

Le plus fort n’est jamais assez fort pour être toujours le maître, s’il ne transforme sa force en droit et l’obéissance en devoir.

Rousseau - Du contrat social - Livre I, chapitre III (Lisez le texte ici)

Voilà qui est dit : que voulez-vous ajouter à ça ?

1 - La force est une relation et non une essence : on est « plus-fort-que », et non « fort-par-nature ». Il faut donc montrer sa force en permanence, à chaque fois que de nouveaux venus s’insinuent dans les relations avec le groupe. Pas de force sans rapport de force.

2 - A ce compte-là, le plus fort risque à tout moment de perdre son avantage, s’il rencontre un plus vigoureux que lui, ou s’il est pris par surprise (voir le sort des justiciers dans les westerns)

3 - Il faut donc que celui qui possède le pouvoir par la force fasse oublier l’existence de ce rapport et institue une légitimité, fondée justement sur la force, disant que c’est elle qui fonde le droit. C’est dire qu’on n’est pas seulement tenu d’obéir par prudence, mais aussi par devoir.

4 -Seulement la force ne fonde jamais aucune légitimité: elle est de l'ordre du fait et non du droit. Le droit du plus fort est donc une tromperie instituée par ceux qui ont le pouvoir pour se protéger de ceux qui leur sont subordonnés.

5 - La véritable source de la légitimité démocratique ne peut donc être assimilée au plus grand nombre en tant que ce serait le plus puissant (à défiler dans les rues en braillant « On a gagné… » les soir d’élection).

6 - A remarquer, accessoirement : les minorités ont donc un droit égal à être entendues.

Wednesday, February 13, 2008

Citation du 14 février 2008

Pour Martine de la part de Jonny Le Mercredi 30 janvier à 16H12 Je t'aie longtemps cherchée. Et pendant toutes ces années d'errance,je me perdais dans la foule anonyme. Je connaissais ton nom sans en avoir les lettres. Je connaissais ton regard sans en avoir la couleur. Je connaissais ton visage sans en avoir les traits et c'est parce que je t'avais tant rêvé, tant attendue, t'imaginant tant de fois à chaque coin de rue,te désirant chaque jour à mes côtées avec une ferveur à peine dissimulée que lorsqu'enfin je t'aie vue, je t'aie aussitôt reconnue et dans un souffle j'ai pensé: Tu es là

Message de Saint-Valentin sur le site de Doctissimo

Pour Jonny et Martine, cette page librement inspirée de Sartre (1)

* A quoi bon aimer ? C'est, comme l'a déjà dit Hegel, pour être confirmé dans mon existence. Mais il y a plus : Jonny tu as été choisi par Martine (et non pas imposé par la force du combat à l’opinel avec Slimane). Pour Martine, tu es sa raison d’être, et tu vois Jonny, ça, ça justifie vachement ton existence :

" Mon existence est parce qu'elle est appelée... Je suis parce que je me prodigue. Ces veines aimées sur mes mains, c'est par bonté qu'elles existent." Sartre – opus cité

… T’as vu : en plus ça dit que tu es généreux !

* "Donne toi à moi." Là, c’est à Martine que tu parles : qu’est-ce que tu lui veux ? Qu’elle te donne quoi ? Rien de ce que tu pourrais lui prendre de force.

Ce que je demande à l'autre, c'est qu'il s'aliène à moi, qu'il me dise que je suis tout pour lui. Mais c'est à chaque instant qu'il doit réitérer ce don : l'amour est un don qui n'engage que pour l'instant où il s'affirme ; il faut que ce don puisse être réitéré d'instant en instant alors même qu'il est don total de soi ; c'est ce paradoxe que Sartre définit comme étant celui de l'appropriation d'une liberté comme liberté.

- Allez, Martine si tu m’aimes, redis-le-me-le

* "Nous étions faits l'un pour l'autre". C’est vrai, Jonny, tu as rencontré Martine dans une soirée de supporters de l’A.S. Montreuil où elle était entrée suite à un pari perdu avec des copines. C’est vrai aussi que tu ne te rappelles plus de rien, parce que les packs de Kro avaient pas mal défilé.

Mais moi, Jonny, je sais ce qui s’est passé. Je vais te le dire.

Etre aimé, c'est être élu par l'autre comme l'âme soeur. Ne crois pas Jonny que ce soit une circonstance aléatoire qui t’ait fait rencontrer Martine. Rien ne serait pire que de penser que le hasard aurait pu mettre sur ta route une autre rencontre, une autre âme tout autant "soeur". Non, Jonny, vous étiez l'un pour l'autre le seul choix possible.

* "Dis-moi que tu m'aimes" Je sens Jonny que tu as peur. Comme tous les amoureux, tu as peur d’aimer sans être aimé… Pourquoi l'amour réciproque est-il donc si important ?

L'expérience de l'amour éprouvé est celle de l'aliénation de sa fuite vers l'autre. Dans cette fuite, le but est d'accaparer la subjectivité de l'autre, pour en faire ce qui nous est acquis, ce qui ne viendra jamais à manquer. Or le projet d'accaparer la subjectivité de l'autre n'est rien d'autre que le projet d'être aimé de lui.

T’as pas compris Jonny ? Passe ton bac d’abord (2)

* "Jonny, fais-moi mal !" T’as entendu Jonny ? C’est Martine qui t’as dit ça l’autre soir : elle avait un peu picolé, c’est vrai ; mais je sais que tu l’as prise au sérieux…

Ce qu’elle voulait, Jonny, c’est devenir un pur objet, dont tu aurais disposé, par exemple en t’envoyant en l’air avec Mylène pendant qu’elle restait au pied du lit (mieux : attachée au pied du lit). Mais c’est pas la peine de te fatiguer, Jonny : les relations SM, c’est toujours un échec, surtout parce que le maso, il reste libre de choisir sont bourreau.

Allez, bonne Saint-Valentin, les amoureux !

(1) Sartre - L'être et le néant. (3ème partie, ch. 3, sec. 1, p. 413)

(2) C’est vache, je le reconnais. Mais là, c’était trop long à expliquer.

Tuesday, February 12, 2008

Citation du 13 février 2008

Les diplômes représentent un obstacle à la liberté de l'éducation, faisant du droit de partager ses connaissances un privilège réservé aux employés des écoles.

Ivan Illich - Une société sans école

J’ai longtemps hésité à donner cette citation, considérant qu’en cette époque d’autoritarisme et de retour à l’ordre, cette évocation d’un thèmes soixante-huitard, et qui plus est, dans une perspective dont on se plaît à souligner habituellement l’échec, serait donner du grain à moudre à ceux que j’exècre.

Et puis, au diable la pusillanimité. L’idée est féconde, du moins il me semble. Vérifions.

D’abord, éliminons les erreurs d’interprétation.

1ère erreur : Il ne s’agit pas de dénigrer les diplômes en disant que ceux qui réussissent dans la vie n’ont pas forcément les diplômes requis : nous avons eu un ministre de l’Education nationale qui n’avait que son certificat d’études.

Non, il s’agit de montrer que l’obtention du diplôme créait des conditions peu favorables à l’acquisition d’une véritable culture.

2ème erreur : réduction du sujet aux diplômes obtenus par les élèves. Et certes, il y a pourtant quelque chose à en dire.

Voyez ces élèves de terminale : ils calculent leurs coefficients du bac pour savoir combien il leur faut assurer dans chaque discipline pour être reçu. Nul dans une matière à faible coeff ? Au lieu de chercher à surmonter cette difficulté, essayons de grappiller un point de plus en physique - coeff. 6.

Voyez ce prof : - Je suis là pour remplir une mission. Faire que tous mes élèves aient leur examen. Après qu’ils aiment ou pas ce que je leur enseigne m’importe peu, parce que je le leur enseigne justement non pas parce que c’est essentiel à connaître, mais parce que c’est dans le programme de leur examen.

Bref, ça non plus ce n'est pas très bon pour la culture.

- Soit, mais Illich, lorsqu’il parle des diplômes, il parle de ceux qui sont requis pour enseigner. Il a donc d’autres dragons à pourfendre.

De quoi parte-t-il quand il évoque la liberté de l'éducation ? Il parle du droit de partager ses connaissances. Ce droit suppose un privilège : celui d’être un prof estampillé, reconnu par les autorités. Vous qui n’êtes pas prof, vous avez pourtant des idées sur la vie, vous avez lu Spinoza, vous voulez en parler, mieux, vous voudriez aider votre petit neveu à réviser sa philo ? Exercice illégal de la philosophie ! Crime et délit d’un incompétent qui n’a pas été intronisé par le rite initiatique des concours d’enseignement.

Et c’est vrai, mais si Illich a raison, c’est l’apprentissage qui est la vérité de l’enseignement, je veux dire que l’homme de métier, l’artisan est le mieux placé pour transmettre son savoir. Et que ce savoir est bien plus large que son métier : qu’est-ce qui empêcherait un maçon d’enseigner la géométrie ?

Mais si enseigner était aussi un métier ?

Citation du 12 février 2008

Le roi te touche, Dieu te guérisse.

Formule prononcée par la roi lors du toucher des écrouelles à l’issue de son sacre.

Ainsi, le pouvoir thaumaturge du roi de France s’exerçait par le toucher. C’est là que son pouvoir confinait au pouvoir divin, faisant réellement se lui le « lieutenant de Dieu sur terre »
Alors qu’aujourd’hui on compare toujours le président de la république française aux monarques capétiens, devons-nous croire que lui aussi vient pour toucher nos écrouelles - ou ce qui en tient lieu à présent ?

L’idée qui nous vient facilement c’est que l’époque actuelle est l’époque du virtuel. Le président est comme les hommes politiques en général, qui s’assurent la maîtrise des médias afin de ne plus avoir à dépendre du contact physique avec leurs électeurs ; non pas qu’ils en soient dégoûtés, mais parce que vous ne pouvez pas serrer des millions de mains, alors que vous pouvez être vus par des millions d’yeux - et écouté par autant d’oreilles - à condition d’avoir micros et caméras.

Mais, je vois des sourcils qui se froncent : comment comprendre alors la bougeotte des ces politiciens en campagne ? Car il ne s’agit certes pas d’aller seulement « tâter le cul des vaches », mais de serrer des mains, de « prendre des bains de foule ». Pourquoi serait-ce si important si le contact physique avec le peuple n’était pas justement un moyen de prendre un ascendant sur sa volonté ?

D’ailleurs, voyez cette photo :

Vous voyez bien que ce n’est pas le Président qui touche, c’est plutôt le peuple qui veut toucher. Comme si un pouvoir émanait de lui, rayonnait pour passer dans la main qui le touche. Bref : ce n’est pas lui qui nous touche, c’est nous qui le touchons (1)

Qu’apporte donc ce toucher ? Le Roi était nanti du pouvoir délégué par Dieu. Mais les roi africains avaient eux aussi un pouvoir qui les habitait, au point qu’il était dangereux de les toucher justement.

Au fait, toutes ces mains qui se tendent vers Notre Président, que sont-elles devenues ? Ne se sont elles pas desséchées, comme brûlées par la rayonnement du Pouvoir ?

(1) on voit d’ailleurs la même scène avec les idoles de la chanson ( = Bling-Bling ?)

Sunday, February 10, 2008

Citation du 11 février 2008

Au lieu de quoi j'ai peur de moi
De cette chose en moi qui parle

C'est en nous qu'il nous faut nous taire

Louis Aragon - Le fou d'Elsa

Au lieu de quoi j'ai peur de moi : nos principales souffrances, c’est de nous-même qu’elle viennent. Raskolnikov c’est toi, c’est moi ; c’est nous tous.

cette chose en moi qui parle : que la psychanalyse soit une science ou une philosophie, qu’importe ? En tout cas elle a pris au sérieux ces propos du poète, et avant de s’interroger sur le sens de nos pensées, elle nous interroge sur leur origine : « D’où ça parle ? »

C'est en nous qu'il nous faut nous taire. Oui. Mais comment fermer la bouche à cette voix qui parle en nous ? Autant se demander comment fermer ses yeux aux images qui surgissent de notre mémoire, ou comment endormir ces souffrances qui nous viennent en songe. Et comment fermer nos oreilles à une voix qui vient de l’intérieur ?

Le tourment de Raskolnikov était simple à surmonter : car il était conscient. Sa culpabilité était facile à déceler, son crime était bien délimité. Il lui suffisait de faire des aveux pour que son tourment prenne fin.

Mais nous, innocents citoyens, bons père de famille : qu’avons-nous à nous reprocher ? Pourquoi ces angoisses, si nous sommes innocents ? Il nous faut une faute originelle pour comprendre que nous ne soyons pas responsables, mais coupables. Freud l’a dit : éduquez vos enfants comme vous voulez, de toute façon, ça sera mal. Entendez qu’ils auront de toute façon un sentiment de culpabilité.

Seul un mythe originel - le péché d’Adam donc - peut donner du sens à tout ça.

Saturday, February 09, 2008

Citation du 10 février 2008

Selon moi, la philosophie naît de l'étonnement au sujet du monde et de notre propre existence, qui s'imposent à notre intellect comme une énigme dont la solution ne cesse dès lors de préoccuper l'humanité.
Schopenhauer, Le monde comme volonté et comme représentation, livre 1, chapitre 17
Lisez le texte de Schopenhauer (1) : vous verrez que Schopenhauer ne développe pas seulement une analyse de ce qu’est la philosophie, mais propose aussi une réflexion sur ce qu’est l’homme.
Laissons de côté l’idée que la philosophie serait l’expression de l’humanité de l’homme, pour nous en tenir à cette idée - qui n’est pas mince : l’homme est l’être qui non seulement se sait mortel, mais qui en plus se demande pourquoi il existe - et donc ce qu’il est.
Alors j’en devine qui vont s’insurger :
- Quand je picole avec mes potes - ou quand je fais du bien à une meuf - je me pose pas la question si je suis un homme. Je suis un homme et ça va comme ça !
- Bon… Hors mis le machisme de tels propos, je crois qu’on jette par dessus bord pas mal de choses. Entre autre, toutes les religions, et pas mal de mythes qui ont existé parce qu’il fallait répondre à ces questions. Si jamais personne ne se les était posées, rien de tout cela n’aurait existé.
- Quelles questions ?
- Qui suis-je ? Que puis-je savoir ? Que puis-je faire ? Que m’est-il permis d’espérer ?
- Tout ça c’est des histoires de lopettes. Ce qui compte, c’est ce que tu fais - et quand tu le fais, t’as pas le temps de te poser des questions à la con. Voilà.
- Oui, mais quand il s’agit de faire avec les autres, avant de faire, tu dois te demander si tu peux le faire. Sinon, tu n’es qu’une bête.
- C’est vrai…T’as raison. Que m’est-il permis d’espérer ?... Des fois je me la pose ta question.
- Tu es sûr ? ?
- Ouais. Y a des fois où je me demande : pourquoi elle veut pas cette salope ?

(1) A lire ici.

Friday, February 08, 2008

Citation du 9 février 2008

Quoi qu'on dise, un mariage raté est quand même plus joyeux qu'un enterrement réussi.

Yvan Audouard

un mariage raté est quand même plus joyeux qu'un enterrement réussi : la preuve, diront certains, il arrive qu’on se marie plusieurs fois, alors qu’on n’est enterré qu’un fois… Je vous l’accorde mais la question est : pourquoi ? Qu’y a-t-il dans les mariages qui fasse qu’on les compare presque systématiquement à des enterrements ?

Sans reparler de la comédie britannique (1), la coutume de l’enterrement de la vie de garçon - de fille - montre qu’on tente de resserrer les liens qui en principe les opposent. D’ailleurs, faites comme moi, explorez quelques sites (2) qui proposent des idées sur ce genre de fiesta, vous serez étonné par leur nombre (même si ce n’est pas l’imagination qui en sort vainqueur).

Je tenterai quelques hypothèses pour répondre à ma question (après tout, on n’est jamais si bien servi que par soi-même).

- D’abord, ce qui rapproche le mariage et l’enterrement, c’est qu’on y termine quelque chose. Si à l’origine l’enterrement de la vie de garçon consistait à emmener le jeune fiancé chez les prostituées pour qu’elles l’éduquent un peu, très vite l’idée a été de marquer la fin du célibat par une débauche qui en constitue l’apothéose : l’enterrement prend ici la valeur du bouquet final - ou du chant du cygne.

-Voilà un enterrement plus joyeux que l’enterrement au sens classique de funérailles. C’est donc là que se place la différence. Après la vie de garçon, donc après le célibat, il y a la vie de couple marié ; censément plus longue et moins exaltante, elle reste une vie honorable - et donc souhaitable. Lors des funérailles, même si le prêtre s’échine à répéter que c’est l’espérance du chrétien qui se réalise enfin : rejoindre son Créateur (et éventuellement les chers disparus), le cœur n’y est pas.

- Mais surtout dans le mariage, la fête est pour tous, et on dirait même que les invités font la noce bien plus joyeusement que les jeunes mariés. Par contre dans l’enterrement, c’est toujours un peu sa propre mort qu’on anticipe (Ne demande pas pour qui sonne le glas : il sonne pour toi). C’est d’ailleurs ce qui fait que les consolations de la religion ont si peu d’effet.

N’hésitez donc pas : mariez-vous ! Et si vous l’êtes déjà, divorcez, et re-mariez vous.

(1) Je veux parler du célèbre film

(2) Par exemple : celui-ci ou celui-là

Thursday, February 07, 2008

Citation du 8 février 2008

L'asile le plus sûr est le sein d'une mère.
Jean-Pierre Florian - La Mère, l'enfant et les Sarigues





Alors voilà: vous êtes un “créatif” de l’agence de pub- admettons que c’était il y a quelques années de ça . Votre manager vient de vous confier un projet pour BMW: faire une pub sur la sécurité, en particulier sur l’airbag dont est pourvu ce véhicule.
Alors vous ne vous creusez pas la tête : vous laissez filer vos souvenirs…
- sécurité = maman ;
- maman = nénés = gros nénés = nénés-rembourrés-où-vous-aimiez-plonger-votre-petite-frimousse-de-bébé…
Stop ! Du calme ! Je sens que vous allez vous exciter et ça n’est pas bon pour votre hypertension. Ni pour votre travail.
Parce que voyez vous le thème de la maman sécuritaire, ça a déjà été fait : par Florian (le fabuliste), qui a écrit L'asile le plus sûr est le sein d'une mère. S’agit-il il de votre histoire de fantasme mammaire ? Tout de même, Florian, il n’aurait pas fait ça…
Alors lisez sa fable : le sarigue, donné en exemple de tendresse maternelle est en réalité un petit opossum qui, comme les marsupiaux possède une poche ventrale où les petits sont protégés pendant les premiers mois de leur existence. Pour Florian donc, le sein (de la mère) est à prendre au sens de "milieu intérieur", mieux : "protecteur". Il s’agit la protection qu’apporte le corps d’une mère dans son entier, que ce soient ses bras ou - éventuellement - sa poitrine.
Déçu ?
Mais dites-moi, où est-ce que vous avez trouvé que les bébés se servaient des nichons de leur maman pour amortir les chocs ? En réalité, moi je crois bien que c’est une obsession des mecs qui fantasment là-dessus. Alors, laissez les bébés tranquilles. Et les mamans aussi.

Wednesday, February 06, 2008

Citation du 7 février 2008

Lire - 3

Il y a, je crois, plus d'idées réelles dans les Confessions de Rousseau que dans son Émile ; et il est rare que l'on lise des Mémoires sans en tirer quelque chose. Si vous me demandiez ce qu'il faut lire pour connaître l'homme, je conseillerais plutôt de lire Balzac ou Stendhal, qui ont recueilli et enchâssé tant de paroles échappées, que La Rochefoucauld lui-même, qui s'étudie à répéter la même chanson. Encore va-t-il jusqu'au bout de son refrain ; mais ceux qui l'ont connu entendirent sans doute des chansons plus libres. Faites attention à ceci que le vrai observateur semble toujours distrait ; c'est qu'il guette l'imprévisible chant du merle. (1)

Alain - Propos 21 juillet 1921

Lire, oui ; mais quoi ? Des romans ? Des Essais ? Des biographies ? Des mémoires ? S’il faut choisir, que choisir ?

Tout choix impose un renoncement, c’est hélas vrai (2), mais nous n’avons pas l’éternité devant nous : il faut choisir.

Alors pour ma part je serais assez d’accord avec Alain : lisons des Mémoires, ou mieux, les Journaux (ceux que les anglais nomment Diary), les Carnets, bref, toutes ces notes prises au jour le jour. Pour les Mémoires, il faut admettre qu’elles servent trop souvent d’auto-justification ou d’auto-glorification. Les Confessions de Rousseau, justement ; les Mémoires d’Outre-tombe, tout autant. Par contre, les notes prises au jour le jour sont des observations qui nous livrent aussi bien la pensée de l’auteur que ses sensations, sans le filtre de la censure imposé par le souci de créer une œuvre littéraire, ou par le désir de ne pas froisser les proches ou les amis concernés. Le Journal n’est a priori pas destiné à la publication ; les Mémoires le sont.

Mais il y a plus. Pour restituer ce qu’on observe, il faut que l’écrit soit improvisé, jamais repris ni raturé : c’est comme cela qu’il peut saisir «l'imprévisible chant du merle ». C’est dans cette proximité du sujet-écrivant et de son objet-décrit, dans le jaillissement de l’écrit qui vient se calquer sur celui du trait observé que le journal intime trouve toute sa force.

L’invention du magnétophone a apporté sa contribution à ceci. L’entretien enregistré peut très bien prendre place dans cette bibliothèque de la vie.

Lire : oui. Mais écouter aussi.

(1) C’est moi qui souligne : il s’agit de la formule qu’on pourrait retenir en guise de citation.

(2) Voir Spinoza : Omnis determinatio est negatio. On dit que c’est Hegel qui aurait ajouté « omnis » à cette formule en l’attribuant à Spinoza.

Tuesday, February 05, 2008

Citation du 6 février 2008

Lire - 2

Le grand inconvénient des livres nouveaux est de nous empêcher de lire les anciens.

Joseph Joubert - Carnets (23 juin 1808)

Regardez une bibliothèque d’autrefois (reconstituée pour le cinéma ou bien conservées dans les châteaux ou les bureaux d’apparat). N’est-on pas frappé par l’ancienneté des ouvrages qui y sont exposés ? Tous ces livres ont été édités voilà plusieurs siècles, certains depuis des millénaires.

Comparez à présent avec une bibliothèque d’aujourd’hui. Quelle est la proportion de livres antérieurs au siècle ? Et je ne vise pas seulement les ouvrages de science humaine ou ceux qui sont consacrés à la politique ; je vise aussi les romans, les essais de morale ou de philosophie, qui sont pour la plupart des ouvrages récents. On dirait même que c’est un critère de qualité : être un ouvrage récent, voilà qui en impose.

Et alors, quel mal y a-t-il à ça ? Faut-il donc prétendre avec La Bruyère que tout est dit, et l’on vient toujours trop tard… Doit-on croire ces vieux ronchons de philosophes qui prétendent qu’on n’a jamais fait autre chose que mettre des notes dans les marges des ouvrages de Platon ? Faut-il réanimer la querelle des anciens et des modernes ?

Je ferai deux remarques :

1 - D’abord, combien de temps avez vous pour lire ? Je veux dire, combien d’années de lecture devant vous, en tenant compte de l’espérance de vie qui est encore la votre. Maintenant, comparez avec les chefs d’œuvres que les générations passées nous ont légués, déduction faites de ce qui est devenu illisible pour les non spécialistes. Tenez, un exemple : rien que la Recherche du temps perdu (beau titre pour notre sujet) : combien de mois de vacances pour lire ça ? Et si Proust vous assomme, qu’importe ? Il y a des centaines d’auteurs et des millions de pages qui peuvent encore vous captiver (tiens : essayez Diderot). Ne trouvez vous pas qu’Amélie Nothomb est un peut light à coté ? Pourtant, le temps que vous allez consacrer à la lecture de son nouvel opus est du temps prélevé sur votre capital-lecture…

2 - En suite, qui prétend que lire des auteurs d’autre fois c’est s’enfouir dans le passé ? Un exemple : Montaigne. Il entreprend les Essais pour commenter les auteurs de l’antiquité grecque et romaine. Il en fait une méditation sur la vie, sur sa vie, sur son monde, sur son époque. Bref un chef d’œuvre pour ses contemporains… et pour nous !

- Une idée : demandez à votre patron une réduction du temps de travail pour avoir plus de temps pour lire.

Monday, February 04, 2008

Citation du 5 février 2008

Lire -1

Ce que le lecteur veut, c'est se lire. En lisant ce qu'il approuve, il pense qu'il pourrait l'avoir écrit. Il peut même en vouloir au livre de prendre sa place, de dire ce qu'il n'a pas su dire, et que selon lui il dirait mieux.

Jean Cocteau - La difficulté d'être

Te voilà percé à jour, paresseux lecteur, toi qui ne penses que par procuration, toi qui faute de savoir ce qu’il faut penser, te pares des plumes du paon en glissant dans tes discours les citations d’auteurs dont tu as fait ta délectation.

Et te voilà cerné : non seulement on sait ce que tu fais, mais on te comprend mieux que toi-même tu ne te comprends. Tu n’es pas seulement influençable ; tu es orgueilleux. Tu en veux au livre d’avoir dit avant toi ce que tu te découvres entrain de penser ; tu lui reproche, en étant trop brillant, de souligner ta nullité. Les meilleurs livres sont ceux que tu aurais aimé écrire, et tu reproches à l’auteur de l’avoir fait… Quelle mauvaise foi !

Mais qui donc se soucie encore de lire ? Notre époque de ténèbres illettrées, médiatisées, formatées-ménagères, n’a plus affaire au livre ; Cocteau peut remballer son pathos, on n’en a rien à faire.

Pas tout à fait quand même. Parce que, ce que Cocteau pointe ici, on le rencontre toujours. Il s’agit de cette quasi obsession chez certains - et en général, il s’agit de ceux dont la dialectique est au plus bas - d’affirmer sans démontrer, et de demander - voire même d’exiger - l’assentiment de l’auditeur, comme si ce qu’il venait d’énoncer était une évidence : « On est bien d’accord, hein m’sieur ? ». Et vous, qu’on tire par la manche, vous laissez tomber « oui, oui, bien sûr »… Seul le dégoût d’entrer dans un tel débat explique cette lâcheté !

Z’êtes bien d’accord ?

Sunday, February 03, 2008

Citation du 4 février 2008

Un rat est venu dans ma chambre / Il a rongé la souricière / Il a arrêté la pendule / Et renversé le pot à bière / Je l'ai pris entre mes bras blancs / Il était chaud comme un enfant / Je l'ai bercé bien tendrement…

Pierre Mac-Orlan - Germaine Montéro La fille de Londres 1953

Ratounettes et Ratounets, vous tous les amoureux des rats, je vous souhaite une bonne année.

Nous voici en effet dans l’année du rat : nous allons pouvoir laisser libre cours à notre amour des rats, sans avoir à nous cacher comme si c’était une passion glauque et honteuse - et sans avoir à appeler Walt Disney à la rescousse.

On a en effet tendance à cumuler sur le rat tous les dégoûts, toutes les peurs venues du fond des âges : la peste, les égouts, la vie clandestine et nocturne. Ajoutez à ça la phobie féminine à l’égard des petits animaux à fourrure qui se glissent sous les jupes, et vous aurez un tableau assez complet de l’incompréhension de l’amour porté au rat domestique.

On a cherché à éradiquer les rats, à refouler le rat des villes et à le cantonner chez son cousin le rat des champs ; les campagnes de dératisation mobilisent ressources et technologies avancées. Mais le rat a survécu à tout, il pullule dans nos égouts, maintenant il triomphe de nos dégoûts.

Mieux, il a su se faire aimer. Non seulement, chers amis des rats, il s’est fait une place dans nos foyers, mais aussi dans nos cœurs, et - chères Ratounettes avouez-le - leurs plus fidèles soutien sont les femmes. Qui n’aurait envie de faire comme Germaine Montéro, en laissant libre cours au désir maternel de bercer une rat chaud comme un enfant ?

Je vous sens rétives… alors, sans aller jusque là, convenez que le rat est un animal aussi confortable à manipuler que le chat, mais qu’étant de taille plus réduite, on peut le mettre sur son épaule, dans sa poche, dans son sac à main, dans la boite à gant de sa voiture…

Ça y est, je sens que vous aussi vous en avez envie ?

Bien, mais alors, je dois vous prévenir, moi qui ai écouté la chanson de Mac Orlan jusqu’au bout : quand la Fille de Londres drague un chinois et qu’elle le ramène dans sa chambre, il vire le rat aussi sec.

Les hommes sont jaloux des rats.

Saturday, February 02, 2008

Citation du 3 février 2008

Quand les bornes sont franchies, il n'y a plus de limite.

Christophe - Le Sapeur Camembert

Pour mémoire, c’est le Président Pompidou qui a mis en vogue cette citation.
Aujourd’hui, on la trouve fort bizarrement attribuée par Wikipedia à Pierre Dac.
Heureusement Jean-Michel Apathie est là pour restaurer la vérité.

Il est des phrases qui reviennent en tête, sans même qu’on les cherche, simplement parce que les circonstances s’y prêtent.

Ainsi de cette phrase lorsqu’on entend Jérôme Kerviel dire : « J’ai explosé ma ligne de crédit » lorsqu’il a engagé des opérations sur 50 milliards d’euros.

S’agi-il d’une lapalissade, comme le suggère Wikipedia ? Si le mot « limite » était écrit au pluriel, certes : on aurait alors affaire à un simple synonyme.

Mais vous avez noté que nous avons là un singulier : « limite », qui a une valeur absolue. Au-delà des bornes, c’est le domaine de l’illimité.

Les grecs avaient un terme pour cela : l’apeiron, signifiant illimité, qui était le seul terme de la langue grecque pour désigner ce que nous appelons l’infini. L’apeiron est le domaine de l’excès, de l’hubris, car tout ce qui existe doit répondre à des règles, à une juste mesure. Comme le cancer est une prolifération anarchique des cellules, l’action humaine libérée des contraintes est calamiteuse.

Et donc notre Trader-fou, comme n’importe quel joueur, n’importe quel « addicté » (1) - disons : n’importe quel passionné - a perdu les repères que constituent des objectifs précis, liés à des situations concrètes. La perte des bornes ce n’est pas seulement l’ouverture d’un espace non balisé, parce qu’on pourrait aussi bien être inhibé par une telle situation, en avoir le vertige. Non, c’est plutôt l’entrée dans un mode de pensée fonctionnant avec des sensations, des impressions où tout est placé sous la dépendance de l’affectif.

Certains commentateurs se rengorgent en citant une science toute nouvelle, branche de la psychologie spécialisée dans la psychologie du trader… Je ne voudrais pas faire le vieux ronchon, mais enfin, il me semble que le Sapeur Camembert suffit à nous éclairer.

(1) Si si : ça existe ! La preuve

Friday, February 01, 2008

Citation du 2 février 2008

Pendant l'insomnie, je me dis, en guise de consolation, que ces heures dont je prend conscience, je les arrache au néant, et que si je les dormais, elles ne m'auraient jamais appartenu, elles n'auraient jamais existé.

Emil Michel Cioran

Je sais que Dominique de Villepin se place, dans son récent ouvrage (1), sous la tutelle de Pessoa, d’Artaud, et bien sûr de Rimbaud et de Baudelaire. Je ne sais pas s’il évoque Cioran ; mais on voit que celui-ci a quelque chose de commun avec notre ex-premier ministre : il fait l’éloge de l’insomnie.

Etes-vous insomniaque ? Non ? Alors vous ne pourrez peut-être pas comprendre ce qui va suivre (2).

Il y a deux types d’insomniaques : les plus courant - du moins ce sont eux qui s’expriment le plus couramment - considèrent leur insomnie comme une malédiction, expérience de solitude, d’angoisse, l’enfer vécu dès notre monde. Le type de ce genre, c’est Macbeth que son crime abominable prive de l’innocence du sommeil (3). Le commentaire de cette tirade hallucinée suffirait à remplir la méditation du jour : je resterai modeste, en ne souillant les marges de ces pages immortelles d’aucune annotation.

Il y a aussi ceux qui voient dans l’insomnie une chance : celle de vivre des heures « arrachées au néant ». Le sommeil et le néant ne font qu’un, l’insomnie c’est de la vie en plus.

Oui, mais quelle vie ? Tout est là.

Pour Cioran, les affres de l’angoisse sont lucidité. L’insomnie, même angoissée vaut mieux que l’illusion de la paix du sommeil. Dominique de Villepin affirme quant à lui que l’insomnie offre un temps pour le nécessaire retrait devant l’action : elle est le moment de la réflexion qui manque à l’homme soumis aux exigences de l’action incessante. L’insomnie ne serait donc pas un état nouveau, différent en tout cas de la veille, mais simplement un prolongement de la vie.

Mais est-ce là l’insomnie véritable ? Ne fait-on pas l’expérience de tout autre chose ? Le stress de l’insomnie en est-il la cause ? Ou bien ne faudrait-il pas dire plutôt que cette angoisse est la conséquence de l’insomnie, que celle-ci est un état de réceptivité particulier, à nul autre pareil.

Les grecs considéraient que les Dieux se manifestaient à nous pendant notre sommeil : les rêves sont des oracles. Mais l’insomnie n’est-elle pas alors le moment ou les malédictions des Dieux ou des démons, qu’importe, pleuvent sur nous ? Sans doute. Mais il y a plus : l’insomnie de Macbeth n’est pas seulement la réminiscence des fautes ; elle est aussi la torture de la mauvaise conscience.

Alors : un bout de vie en plus ou l’enfer à temps partiel ? Dis-moi quelle est ton insomnie, je te dirai qui tu es.

(1) Dominique de Villepin" Hôtel de l'insomnie (Plon). L’hôtel en question est l’Hôtel Matignon.

(2) Je suis pour ma part un insomniaque de fin de nuit

(3) "Sleep no more!
Macbeth does murder sleep," the innocent sleep, / Sleep that knits up the ravell'd sleave of care, / The death of each day's life, sore labour's bath, / Balm of hurt minds, great nature's second course, / Chief nourisher in life's feast—

«Ne dormez plus! Macbeth assassine le sommeil, l'innocent sommeil, le sommeil qui débrouille l'écheveau confus de nos soucis; le sommeil, mort de la vie de chaque jour, bain accordé à l'âpre travail, baume des âmes blessées, loi tutélaire de la nature, l'aliment principal du festin de la vie.»Acte II, scène 2

La suite en anglais ; et en français