Friday, March 31, 2006

Citation du 1er avril 2006


Avis : le comité de censure et de surveillance des blogs, considérant que l’ineptie et les contre vérités contenues dans ce blog présentent un danger d’aliénation mentale pour les usagers, a supprimé le message de ce jour et l’a remplacé par un exercice de calcul et de coloriage adapté aux capacités des lecteurs habituels de ce blog.
Nous informons ceux-ci que nous les surveillons également : au cas où ils ne feraient pas l’exercice de coloriage indiqué, nous serions dans l’obligation de prendre le contrôle de leur ordinateur et d’exercer des représailles à l’encontre de leur disque dur.
Nous avons les moyens de vous faire blogger proprement.

Thursday, March 30, 2006

Citation du 31 mars 2006

« A la cour, mon fils, l'art le plus nécessaire
N'est pas de bien parler, mais de savoir se taire. »

Voltaire L'Indiscret (1725)

Avoir de l’esprit et le faire savoir : voilà ce qui nous paraît avoir été le plus important dans ce Versailles de Louis XV. Et pourtant, voici que Voltaire nous dit : le plus important c’est de savoir se taire !

De savants calculs nous expliquent que nous passons peut-être 30 ou 35 ans de notre vie à dormir ; combien d’années de notre existence passons-nous à parler ? Une supposition : vous êtes novice dans un couvent, vous devez prononcer vos vœux, et on vous donne le choix entre le vœu de chasteté et le vœu du silence. J’en connais plus d’une (et même : plus d’un), qui ne sacrifieraient pas leur bavardage, même à ce prix !

Et qu’avons-nous à dire ? Un ingénieur américain, Shannon, fut chargé à la fin des années 40 par la Bell & Howells Cie de définir un critère de tarification des communications téléphonique pour un câble transatlantique. Il répond : « il ne faut pas tarifer les communications à la durée mais à la quantité d’information transmise. Voici comment mesurer l’information ». La théorie de l’information est née ce jour là, mais ce n’est pas notre affaire aujourd’hui. Mais l’idée d’une tarification qui taxerait moins pour un inepte et interminable bavardage que pour une conversation rapide et efficace est apparue fort improbable, parce que, à ce prix, la compagnie Bell & Howells aurait selon toute évidence fait faillite

La parole a rarement pour fonction de communiquer une information ; plus essentiellement elle sert à établir un lien affectif, et l’enfant qui commence à parler ne le fait que rarement pour dire ce qu’il veut, mais bien plus souvent pour occuper l’espace familial. Son babillage n’a pas besoin de signifier grand chose : il est là pour amorcer l’échange de signes : les gestes et les mots s’enchaînent car ils remplissent la même fonction

Pour l’adulte, savoir bien parler, c’est parfois savoir se taire… Parce que savoir se taire c’est savoir écouter pour en suite mieux parler ; encore parler.

Wednesday, March 29, 2006

Citation du 30 mars 2006

« La tête perdue, ne périt que la personne ; les couilles perdues périrait toute humaine nature. »
Rabelais – Tiers livre (chapitre 8)
Qui est mécontent du langage de notre bon Rabelais n’a qu’à méditer cette autre citation du même, au Tiers livre (ch. 20 cette fois) : « Si les signes vous fâchent, ô combien vous fâcheront les choses signifiées. » On voit ce que ça veut dire ici.
Rabelais décrit l’accoutrement du chevalier qui doit renforcer son armure au niveau de la « braguette », puisque c’est là que se situe sa partie la plus précieuse. Selon cette description, on comprend que la hiérarchie des fonction humaines est à revoir de fond en comble : la raison ne fait pas l’homme : elle fait l’individu. Les « organes de la génération » (ça va mieux comme ça ?) font l’homme ou plutôt l’espèce : un homme sans tête serait moins mutilé qu’un homme sans … (dites-le vous même)
C’est donc une double humiliation que nous impose Rabelais : la faculté de raisonner est peu de chose à l’échelle de l’espèce, disons donc de l’humanité. Première humiliation.
Et les mâles si fiers de leur puissance virile et de la promesse de jouissance qu’elle comporte doivent aussi en rabattre : ça ne sert qu’à se reproduire. C’est tout. Deuxième humiliation.
Eternel conflit qui oppose l’intérêt de l’individu et celui de l’espèce. Ainsi les fleurs s’épanouissent sur les plantes qui se dessèchent ; la louve attaque la meute des chiens pour défendre ses louveteaux. Mais l’homme, n’a-t-il pas pour caractéristique de détourner ces fonctions de reproduction à son bénéfice individuel, c’est-à-dire sa jouissance ? Chacun répondra à cette question selon son opinion personnelle. Mais nous avons sans doute plus d’une raison protéger nos génitoires.

Tuesday, March 28, 2006

Citation du 29 mars 2006

"Et Dieu dit : « Que la lumière soit ! » Et la lumière fut. Dieu vit que la lumière était bonne."

Genèse, 1, v. 3-4

Cet épisode intervient au début de la création ; il n’y a rien avant : création « ex nihilo » (à partir de rien) comme on dit. Pourquoi Dieu a-t-il créé le monde et l’homme ? Les Ecritures sont silencieuses sur la genèse de la Genèse : les voies de Dieu sont impénétrables. Mais il n’est pas impie - semble-t-il - de vouloir les deviner, puisque les théologiens ont depuis longtemps dit que la création manifeste la gloire de Dieu. Le Tout-puissant, incréé et seul Dieu, a créé le monde et l’homme pour se « prodiguer », pour manifester sa puissance. Pour s’admirer lui-même dans ses œuvres ? Pour être adoré par ses créatures ? Il avait donc besoin des hommes parce qu’il avait besoin d’être adoré ? Nous n’entrerons pas dans ces querelles, on en a brûlé pour moins que ça.

Mais, grâce à la Création, nous revenons à toi, le Narcisse du coin, toi dont il était question dans la Citation d’hier, toi qui t’admires comme si tu étais Dieu. Comment peux-tu échapper à la malédiction d’être amoureux de soi-même ? C’est simple : tu te crois Dieu, alors fais comme lui. Crée une oeuvre qui te ressemble, qui porte ta marque, qui extériorise ce que tu as de plus cher : ta pensée (écris donc !), ton allure (dessine tes vêtements), tes fantasmes (dessine, peint filme, que sais-je ??). Mieux : crée ton propre corps : fais du sport, du body-building, du fitness ; bref : crée ton idole et prosterne-toi devant elle.

Bénéfice ? Déjà, tu vas éviter de casser les pieds à tout le monde : au lieu de faire le Bébé qui demande à tous de dire qu’il est le plus beau, tu vas silencieusement admirer tes œuvres en te disant que ceux qui ne les comprennent pas ne les méritent pas. En suite ça va t’occuper : tes hobbies seront créatifs ; fini les après-midis téloche, bibine et clopes. Ça sera plus sain.

Et puis avec un peu de chance, tu vas trouver une communauté de gens qui auront la même passion que toi : ils te féliciteront parce qu’ils se réaliseront dans la même activité que la tienne. Et pour peu que tu leur renvoies l’ascenseur, alors tu gagneras l’admiration de ceux que tu estimeras vraiment ; c’est mieux que d’être admiré par des imbéciles.

Mais là il ne faudra pas être égoïste !

Monday, March 27, 2006

Citation du 28 mars 2006

« L’égoïste, c’est celui qui ne pense pas à moi. »

D’après Lucien Guitry

Avant de se demander si c’est bien ou mal d’être égoïste, demandons-nous ce que c'est.

1ère hypothèse : l’égoïste se révèle dans son indifférence à mon égard. Ça suppose qu’il ne s’intéresse pas à moi, que mes soucis lui importent peu. Si je lui en fais le reproche, il me répond : « Qu’est-ce que tu crois ? Tu n’es pas seul au monde ! J’ai aussi mes soucis, mes obligations, femme, enfants etc. Bref : c’est ton égoïsme qui se révèle dans ton reproche. ». Donc, l’égoïste, c’est l’autre.

2ème hypothèse : l’égoïste, c’est celui qui agit par intérêt, qui ne donne jamais sans être sûr de récupérer sa mise. La pure générosité, l’acte gratuit, il ne connaît pas. Tout se ramène à Lui. Que répond-il ? « Et la réciprocité alors ? Qu’est-ce que tu en fais ? Donner pour recevoir c’est là que commencent nos rapports. Sois généreux avec un pauvre : tu vas l’humilier. Les œuvres charitables le savent bien qui font payer d'un 1€ symbolique les vêtements qu’elles donnent , façon de les réintégrer dans le circuit normal. ». L’égoïste, c’est un type normal.

3ème hypothèse : l’égoïste ne pense qu’à lui-même. Banal. Mais s’il ne pense qu’à lui-même, c’est par narcissisme : non seulement il n’aime que lui-même, mais encore il est tellement intéressant que le monde entier devrait le remercier d’exister, car c’est par pure bonté qu’il se prodigue comme dit Sartre. Tragique. Car voilà Narcisse, amoureux de sa propre image reflétée par le miroir de la fontaine : il va mourir de ne pouvoir ni se détacher de la contemplation de lui-même, ni s’étreindre dans ce reflet liquide.

Dur, dur d’être narcissique !

Vous voulez une solution ? Alors, rendez-vous à demain.

A suivre

Sunday, March 26, 2006

Citation du 27 mars 2006

" Raisonnez tant que vous voudrez et sur les sujets qu'il vous plaira, mais obéissez ! "

Kant - Qu’est-ce que les lumières ?

Salut les jeunes ! Alors, ça y est ? Vous en avez assez de protester dans les amphis, vous pensez qu’il est temps maintenant de faire la grève, de manifester dans la rue, de bloquer, de sit-inner, d'aller affronter CRS, Gardes mobiles etc.. Vous savez ce qu’il en pense, Kant ?

Attention. Pas de mauvais procès à Kant, s’il vous plaît. Cette phrase, il la met dans la bouche de Frédéric II de Prusse, le despote éclairé qu’il loue d’avoir une police assez nombreuse et efficace pour ne pas redouter la sédition issue de la liberté de penser et d’exprimer ses pensées, qu’il n’a de ce fait pas peur d’octroyer à ses sujets. Trop de liberté tue la liberté.

Nos dirigeants disent-ils autre chose aujourd’hui ? J’en doute. Le pompon est détenu par les marines américains d’un porte-avion qui faisait relâche à Cannes au tout début de la guerre d’Irak. Enorme manifestation française à cette occasion. Que dit le porte-parole américain ? « Nous estimons démocratique qu’on manifeste contre la guerre en Irak, et nous sommes là pour ça ! », sous entendu: pour donner aux français une occasion de manifester leur désaccord. Ça c’est la quintessence de la démocratie. Merci Oncle Sam.

Mais le soi-disant nécessaire débat démocratique, alors à quoi il sert (1) ? Légalement à rien pour le moment, puisque vous avez élu vos représentants, c’est à eux de s’exprimer, pas à vous qui leur avez donné votre voix. Ce qu’ils ont fait en votant le C.P.E.

Que dit Kant ? L’être humain a besoin de raisonner, c’est indispensable pour forger sa raison, pour passer insensiblement de l’époque de la force brute (= abrutie) à l’ère des lumières. Il faut simplement que le Prince possède une puissante police pour laisser son peuple libre de raisonner, tout en le maintenant dans le « droit chemin » quand il déraille. Mais ce long processus de maturation doit aboutir à l’homme nouveau (homo democraticus), entièrement rationnel, qui comprendra que les décisions du despote éclairé (= par la raison) sont forcément les bonnes. D’où l’absolutisme des lumières : en obéissant à la loi, c’est à soi-même qu’on obéit (là encore : voir la note).

Ce consensus, aujourd’hui, il est invoqué : c’est la nécessaire adaptation aux lois de l’économie de marché qui impose l’abandon de l’idéal d’égalité et d’assistance aux plus démunis (droits créances) : soyez raisonnable ! Raisonnez tant que vous voudrez, mais obéissez.

« Obéissez, non pas à nous, hommes politiques, parce que de la politique nous n’en faisons plus. Obéissez aux nécessités de l’économie de marché, que nous révèlent nos grands économistes, et que nous convertissons en lois. » Compris, les jeunes ?

(1) Il faudrait développer un peu l’idée selon laquelle la rationalité démocratique, c’est ce sur quoi nous tombons tous d’accord, et non une norme définie a priori, même par un premier ministre. Question de vocabulaire ? Pas seulement.

Saturday, March 25, 2006

Citation du 26 mars 2006

Jacques Rouxel

Alors ça y est ! Vous y avez pris goût à l’image du dimanche ; vous en redemandez !

Bon d’accord, on va y aller. Mais ne croyez pas vous en tirer à si bon prix. Il faudra vous décarcasser un peu si vous voulez mériter la prochaine.

Pour en avoir une autre dimanche prochain, il faudra d’abord prouver que vous vous êtes intéressés à celle-ci en répondant au questionnaire suivant :

1 - Le Shadock détourne une citation bien connue : quelle est-elle ?

2 - Donnez le nom du célèbre écrivain français qui en est l’auteur.

3 - Comment s’appelle l’objet tenu par le Shadock dans sa patte gauche ?

Question subsidiaire pour départager les ex-aequos : Quelle est la vraie-solution du soi-disant non-problème qui est ainsi évoquée ?

Postez vos réponses avant le 1er avril à l’adresse suivante :

jeanpierre.hamel@gmail.com

Bonne chance !

Friday, March 24, 2006

Citation du 25 mars 2006

« Le moi se compose d'une âme, d'un corps et d'un vêtement. »

William James

Bonjour les fashion victimes ! C’est à vous que s’adresse la Citation du jour. A vous les toxicos de la fringue, à vous les damnés de l’accessoire et de la fripe, vous qui désespérez de vous délivrer un jour de votre addiction : voici William James - soi-même - qui vient vous réconforter.

Qu’est-ce que le moi ? C’est la conscience que j’ai de moi-même. Bon. Je suis donc une âme et un corps. Oui, mais je suis aussi ce que les autres voient de moi ; et pour autant que nos sociétés le permettent, je peux tenter de traduire cette intuition dans cette apparence. Et cette apparence, c’est le vêtement.

En m’habillant, certes, je me cache : je me protège des intempéries, et je dissimule aux autres ce que ma maman m’a appris à dissimuler. Mais je ne me contente pas de cela : en m’habillant, je me montre aussi.

Alors bien sûr cette exhibition peut être dissimulation : l’habit ne fait pas le moine. Elle peut encore être une dénaturation contre laquelle a été inventée la pratique du vendredi libre (où l’on s’habille un jour par semaine comme bon nous semble). Mais elle est aussi une traduction en terme de formes de couleurs etc. de cette personnalité que nous voulons être. Et pas seulement pour moi : aussi pour les autres - surtout pour les autres.

Alors vous, les fashion victimes, qu’est-ce qui fait de vous des victimes ?

C’est le changement permanent de la mode. Depuis longtemps on l’a dit : la mode, c’est ce qui se démode. D’où la nécessité de renouveler des vêtements encore utilisables ; ruineux, mais banal. Mais surtout la mode c’est ce qui fabrique, de façon collective, une personnalité, un moi vestimentaire. Et là le changement, incontrôlable par l’individu, devient très gênant ; je ne peux plus me « traduire » dans le vêtement. Bien au contraire : c’est lui qui me traduit, c’est à dire qui me transpose dans un style qui ne m’appartient pas, qui m’est imposé, qui devient une marque d’appartenance à un groupe (par exemple celui des Djeun’z ou des Seniors ou des Ménagères de moins de 50 ans (non, là je blague)).

Bref, voilà le diagnostic : les fashion victimes ont un nous à la place du moi.

Vous le saviez déjà ? Bon je ferai mieux demain.

Thursday, March 23, 2006

Citation du 24 mars 2006

« Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée : car chacun pense en être si bien pourvu, que ceux même qui sont les plus difficiles à contenter en toute autre chose, n'ont point coutume d'en désirer plus qu'ils en ont. »

Descartes - Discours de la méthode (1ère partie)

Voici le tout début du Discours de la méthode, monument de la langue française, fondement de la philosophie, fondation des sciences modernes, arrêtez-moi sinon il n’y aura plus de place pour autre chose dans ce billet.

Nous sommes vendredi, tout le monde est déjà fatigué (vivement demain), je ne vais pas vous faire le coup de l’exposé consacré à la la pensé analytique cartésienne comparée à la pensée scolastique. Non. Simplement ceci : vous avez là un rare (peut-être unique) exemple de l’ironie de Descartes. Car quelle curieuse preuve de son principe fondamental (« le bon sens chose du monde la mieux partagée ») que le sot contentement de chacun ; même les imbéciles y participent ; et surtout eux d’ailleurs, car, comme on le sait, la bêtise se caractérise par l’orgueil.

« - Bonjour monsieur, c’est pour l’Ifop. Pourriez-vous me dire si votre capacité de juger est -bonne, -médiocre, -nulle, -ne se prononce pas. » Ridicule. A ma connaissance Coluche (gloire à lui) est le seul à avoir utilisé ce texte sur scène, histoire de dire au public -médusé évidemment - « vous venez d’applaudir Descartes ».

Mais le plus drôle, c’est qu’en réalité, c’est sérieux : même avec les andouilles ça marche. Je veux dire : le Discours de la méthode est fait pour eux, pour leur apprendre à penser juste ; sinon il ne servirait à rien : à quoi bon expliquer comment il faut mener son entendement à ceux qui le savent déjà. Non. C’est fait pour ceux dont le cerveau a été déformé, ou pas formé du tout par les parents et les éducateurs. Car Descartes le dit : sortant du Collège de la Flèche, après son (équivalent-)bac, il découvre qu’il n’a appris que des âneries, qu’il faut tout repenser et jeter à bas ce fatras d’inepties.

Descartes : les professeurs ne lui disent pas merci.

Wednesday, March 22, 2006

Citation du 23 mars 2006

"Un intellectuel assis va moins loin qu'un con qui marche."

Michel Audiard - Un taxi pour Tobrouk (Dialogue du film)

Le pouvoir de l’intelligence sur les choses reste très limité: c’est même pour cela que l’esclavage a été inventé ; c’est moins fatiguant de faire travailler les autres, parce que si on se contente d’imaginer qu’on travaille, ça n’avance pas. De là à dire que ce sont les intellectuels qui ont inventé l’esclavage, il y a un pas que je n’oserai franchir.

Néanmoins beaucoup osent malgré tout se demander à quoi sert un intellectuel, qu’il soit assis, couché ou debout. D’ailleurs vous n’en avez jamais rencontré des « intellos », et vous vous en moquez éperdument. Vous croyez donc pouvoir vous passer des intellectuels ? Erreur !

Les intellectuels d’aujourd’hui sont partout sous des formes diverses. Ils sont les conseillers, les donneurs de leçons, ceux qu’on consulte pour le plus petit bobo. Certains sont même devenus des « techniciens », des gens qui ont réponse à tout, et vous avez besoin d’eux non seulement pour ça, mais parce qu’ils font partie de la cohorte des spécialistes dont les conseils inondent la presse et les ondes ; et vous les appréciez parce que vous croyez qu’il y a un spécialiste pour tout. Pour le régime spécial qui fait perdre des fesses et pas des seins, pour le psy spécialisé qui s’occupe du bébé, ou du couple, ou du chien, ou pour le conseiller particulier qui vous permettra de dénicher le compagnon idéal...

Les intellectuels et ceux qui leur succèdent sont donc non seulement ceux qui donnent du sens à votre vie mais encore ils sont ceux qui vous donnent confiance en elle. Et ils n’ont pas besoin de vous promettre la lune (ou le paradis) ; il leur suffit de vous faire croire que ce qui ne va pas dans votre existence peut s’arranger, et surtout, fonctionnant à l’inverse des confesseurs, ils vous disent que ce n’est pas de votre faute

Bref, l’intellectuel assis n’a plus besoin de marcher pour montrer son pouvoir ; il lui suffit de dire : « Lève-toi et marche ! »

Citation du 22mars 2006

« Laissez-moi fuir la menteuse et criminelle illusion du bonheur ! Donnez-moi du travail, de la fatigue, de la douleur et de l'enthousiasme. »

George Sand - La comtesse de Rudolstadt

Le bonheur n’est qu’une illusion criminelle. Seules la fatigue et la douleur du labeur sont réelles et souhaitables. C’est clair et net. Mais l’enthousiasme, que vient-il faire là-dedans ?

Supposons que George Sand veuille dire que c’est le travail et lui seul qui apporte non seulement la fatigue et la douleur, mais aussi la joie - et à lire ses écrits autobiographique, nous n’en doutons pas - alors nous comprenons que, pour elle, la création, douloureux enfantement de soi-même comme œuvre, est la source de la seule véritable félicité qu’est l’enthousiasme.

En effet le bonheur paresseux est une illusion pour George Sand : elle n’arrête pas de maudire sa paresseuse de fille, qu’elle accuse pratiquement de se prostituer pour avoir les facilités de la vie mondaine sans effort. Quand à elle, écrivain prolifique, elle avoue pourtant rechigner à se mettre à l’œuvre : comme nous tous (peut-être), elle ne travaille que dans l’urgence. Mais le bonheur du petit matin vient récompenser ses nuits de labeur noyées dans la fumée de son cigare.

Il y a une éthique du travail dont je me défie : faire dire (à un patron comme de juste), comme le fait Pagnol dans un de ses films (La fille du puisatier je crois), qu’un ouvrier qui use une pioche par mois ne peut être un mauvais homme, ça sent l’exploitation à pleine nez. C’est à celui qui travaille de se définir par rapport à son « œuvre » : s’il s’agit justement d’une œuvre alors oui,

L’enthousiasme vient payer les efforts et la sueur.

Monday, March 20, 2006

Citation du 21 mars 2006

« Il y a deux tragédies dans la vie. L'une est de ne pas obtenir ce que l'on désire ardemment.

L'autre est de l'obtenir. »

George Bernard Shaw

Première tragédie : le désir inassouvi. Pas de problème, c’est bien tragique.

Deuxième tragédie : le désir assouvi. Là c’est moins évident. Expliquons :

- d’abord Bernard Shaw ne dit pas « assouvi » ; il dit « obtenir ce que l’on désire ». Ce n’est pas du tout la même chose, car entre ce que nous désirons et ce qui nous satisfait pleinement il y a parfois une marge importante. Donc le tragique, c’est de comprendre que toute la peine qu’on s’est donnée pour obtenir ce qu’on désirait est peine perdue parce qu’on est déçu du résultat.

- Ensuite, à supposer que notre désir soit assouvi, c’est peut-être au prix d’une tragique conséquence. Nous tremblons qu’on devine nos fantasmes tant ils sont immoraux et asociaux. Mais s’ils devaient être réalisés, quelle catastrophe ! La civilisation s’est réalisée dit Freud le jour où le Droit a contraint les individus à renoncer à leurs plaisirs : preuve de l’impossibilité de les laisser s’exprimer.

Troisième tragédie : c’est qu’il n’y a pas d’autres possibilités. Nous sommes confrontés à cette alternative ou bien la première tragédie, ou bien la deuxième. Point final. Donc la vie est tragique.

Et alors, c’est tout ? Pas de message du philosophe ? Pas de recette pour sortir de ce dilemme ?

En cette période de troubles au quartier latin, des images, réminiscences de mai 68, me reviennent. Elles disaient : « Jouissez sans entraves » Facile. Mais comment faire, puisque le désir ne se satisfait pas d’être satisfait. Les petits étudiants de 68 ne se laissaient pas troubler : sur le mur de la librairie Larousse, en face de la Sorbonne, sous le dessin du pissenlit-Larousse qui s’égrène, ils avaient écrit : « Je sperme à tous vents… »(1).

Trop facile.

(1) Pour mémoire, le slogan de Larousse était à l’époque : « Je sème à tous vents. »

Citation du 20 mars2006

« Nemo plus juris ad alium transferre potest quam ipse habet. » (Personne ne peut transmettre à autrui plus de droits qu'il n'en a lui-même.)

Maxime juridique

Dans la théorie du contrat, cette sentence explique l’origine du droit : l’autorité du Législateur résulte d’une délégation de pouvoir concédée par les citoyens, qui tracent ainsi la frontière entre le domaine de la loi et celui de la vie privée. Beccaria (Des délits et des peines - 1764) s’est servi de ce principe pour démontrer l’illégalité de la peine de mort. On sait comment il fut entendu ! Mais l’argument mérité d’être considéré.

Nul ne peut prétendre avoir reçu mandat pour condamner à mort un criminel, parce que ce droit que personne ne possède (« Tu ne tueras point. » c’est le présupposé de Beccaria) ne peut être délégué à quiconque. La suppression de la peine de mort est donc non motivée par des considérations humanitaires, ni au nom de la civilisation ; c’est un argument juridique qui prévaut ici.

Mais il y a d’autres arguments.

La barbarie est un bon argument. Par exemple, pour la justification par l’exemplarité de la peine de mort. On dit « qu’importe que la peine de mort ne soit pas bien fondée, il suffit que les criminels soient moins nombreux grâce à elle pour que ce soit légitime. » Mais on pourrait compléter : « Et si ce n’est pas suffisant ressortons le pal, la roue, la croix. Ce sont les anciens qui avaient raison. » La férocité des anciens temps risque de n’être plus au goût du jour.

Mais il y a aussi un argument « métaphysique » : que savons-nous de la mort à la quelle nous condamnons le criminel ? Qui donc en est revenu pour nous raconter comment ça se passe ? Certes, nous supprimons une existence à titre d’éradication du mal, ou a titre de punition pour avoir empêché de vivre une victime (Talion). Mais ce faisant, que faisons-nous ? Anéantissons-nous une existence ? Envoyons-nous un pécheur comparaître devant son Créateur ?

Et s’il était accueilli par les vierges d’Allah ?

Saturday, March 18, 2006

Citation du 19 mars 2006

Magritte - Les vacances de Hegel

Comme vous avez tous été très sages cette semaine, vous avez droit à une belle image, ça vous reposera des citations. Elle s’appelle « Les vacances de Hegel », et elle est de Magritte.

Une image peut-elle remplir la même fonction qu’une citation ? Sûrement pas ; mais elle peut avoir la même structure. Une phrase est faite d’une articulation de signes : le sens de chacun est tributaire du sens de tous les autres, et bien sûr c’est réciproque. C’est comme un organisme. Or, ici, nous avons aussi une articulation de signes. Ça se lit de haut en bas : un verre (plutôt élégant) rempli d’eau ; un parapluie (également élégant) ; un fond absolument neutre, espace sans structure ni profondeur, simple surface colorée et mate, comme souvent chez Magritte.

Où est l’articulation ? Quel sens peut naître qui ordonne ces signes ? Pourquoi ne pourrait-on pas commencer par le parapluie pour finir par le verre d’eau ? Eh bien simplement parce qu’il y a le titre. Hegel nous dit-il. Donc, Hegel = dialectique ; donc verre d’eau + parapluie = la pluie et ce qui s’y oppose, le parapluie donc. La thèse et l’antithèse. Mais où est donc la synthèse ? Pas dans le glacis qui sert de fond, qui n’est là qui pour signifier la non signifiance d’un espace sans structure. Nous la retrouverons dans le titre : « Les vacances de Hegel ». Voilà, qui dit vacances dit souci du beau temps, promenades sous la pluie (donc : verre d’eau = pluie), donc parapluie pour ne pas se faire mouiller. Le sens du tableau, synthèse de ces éléments serait - par exemple - « Le petit père Hegel part en vacances, mais tout philosophe qu’il est, comme n’importe qui il est enquiquiné par la pluie d’un été pourri. »

S’agit-il bien d’une synthèse ? Pas sûr : la synthèse est dépassement de l’antithèse (qui elle-même est dépassement de la thèse) : elle dit donc autre chose, quelque chose qui vient après. Or ici, le titre constitue le contexte du tableau, il est ce qui ordonne dans le même présent tous les éléments qui y apparaissent, et non ce qui serait son accomplissement dans un ailleurs et un après.

Mais qu’importe ? Magritte n’est pas au programme de l’agrégation de philosophie, et si l’on tolère des « licences poétiques », pourquoi ne tolèrerait-on pas des « licences plastiques » ?

Friday, March 17, 2006

Citation du 18 mars 2006

« Sache que la fleur la plus belle est aussi la plus tôt fanée. Sur son parfum penche-toi vite. L'immortelle n'a pas d'odeur. »

Gide - Les nouvelles nourritures

Des pensées comme celle-ci nous touchent avant même qu’on sache exactement pourquoi, ni qu’on ait analysé leur contenu. Il y a une saveur de la pensée, comme il y a un parfum de la fleur.

Parfum de la fleur, signe de sa brièveté, beauté foudroyante concentrée dans l’instant, insipide diluée dans la durée. Voilà. C’est ce qu’il y a d’émouvant dans le choix d’Achille, entre une existence longue et obscure, et la vie brève mais étincelante du héros : sa mort est en réalité une apothéose, comme si tant d’intensité n’avait aucune chance de persister dans le monde des mortels.

Peut-on souhaiter être immortel ? Les grecs imaginaient les immortels « humains » comme des ombres regrettant la chaleur du soleil et de la vie : mieux vaudrait pour eux le néant. C’est qu’on est incapable de penser l’immortalité, pas plus que de penser l’éternité. La vie éternelle, la félicité indéfinie, qu’est-ce que c’est ? Si c’est notre vie terrestre moins la mort, alors quel ennui ! Recommencer indéfiniment la même existence, personne ne peut le supporter, c’est une vie de travailleur à la chaîne. Seul Nietzsche l’a imaginé possible, mais comme la limite qu’il faudrait atteindre pour prouver qu’on possède l’amour absolu de la vie.

Façon de dire que les épicuriens avaient raison : profitons de la vie tant qu’elle est là ; et profiter de la vie, c’est savoir tirer de chaque instant le maximum de plaisir. Y aurait-il donc aussi un parfum de la fleur même fanée ?

Thursday, March 16, 2006

Citation du 17 mars 2006

« La propriété, c’est le vol. »
Proudhon
- Papa, papa, dis papa, tu m’achètes un cerf-volant ?
- Pourquoi faire ? On en a un dans le coffre de la voiture. Vas le chercher.
- Mais c’est pas le mien , c’est celui de Fabien !
- Puisqu’il te l’a prêté pour les vacances, tu n’as qu’à t’en servir.
- J’en veux un à moi !
- Ecoute c’est idiot qu’est-ce que ça te donneras de plus qu’il soit à toi ? Il volera aussi bien qu’il soit à toi ou pas.
- Mais je pourrai le garder pour moi tout seul, personne ne pourra venir me le reprendre, ni s’en servir si je ne veux pas.
- Tu veux que je t’achète un cerf-volant uniquement pour empêcher d’autres que toi de s’en servir ? Tu n’es qu’un égoïste !
- Dis papa, pourquoi tu viens d’acheter une nouvelle maison : on était bien mieux dans l’ancienne que tu avais louée.
-…
- Papa, dis papa, tu me l'achètes ce cerf-volant ?

Wednesday, March 15, 2006

Citation du 16 mars 2006

« Pour examiner la vérité, il est besoin, une fois dans sa vie, de mettre toutes choses en doute autant qu'il se peut. »

René Descartes - Règles pour la direction de l'esprit

Quatre points dans cette citation retiennent l’attention :

1 - Il s’agit d’examiner la vérité, donc de vérifier qu’elle mérite d’être considérée comme telle

2 - Qu’on doit le faire une fois dans sa vie

3 - Que ce doute doit affecter toutes choses (= toute connaissance) quelle qu’elles soient.

4 - Qu’on ne peut douter qu’autant qu’il se peut, autrement dit que le doute n’est pas une attitude mais la conséquence de solides raisons.

En cette période de regret et de débat sur l’affaire d’Outreau, l’évocation de la « culture du doute », nous convie à réfléchir au second point de cette citation.

« Une fois dans sa vie » : pas deux, pas trois, une et puis c’est fini. Le doute, il faut en sortir, sinon on est paralysé par l’hésitation, l’incertitude. Est-ce cela qu’on veut dire quand on parle de culture du doute ? Probablement, car comment des juges dont la fonction est de dire la loi pourraient-ils rester dans l’incertitude qu’ils ont pour métier de dissiper ? Imagine-t-on Salomon disant : « J’ai comme un doute, alors je vais couper l’enfant en deux parce que je ne sais pas à qui le rendre.». Bien sûr Salomon ne savait pas à qui le rendre, mais son célèbre jugement n’était qu’une ruse pour forcer la vérité à se dévoiler, autrement dit pour sortir du doute.

Douter, c’est douter d’abord de l’évidence, voilà ce que Descartes nous enseigne. On doute tant qu’on peut, tant qu’une preuve irréfutable ne nous oblige pas à y renoncer. On doute donc pour prouver.

Prouver, c’est prouver les preuves et, comme on le sait, en matière judiciaire les aveux ne sont pas preuves (sans quoi la torture serait toujours d’actualité). Quand sait-on qu’on a rencontré la preuve qui n’a plus besoins d’être prouvée ? Quand elle résiste au doute, car la vérité, c’est ce qui s’impose à qui ne veut pas la croire. Dans les affaires criminelles les preuves matérielles jouent à peu près ce rôle tant qu’elles existent ; et puis après, … on retrouve l’intime conviction des magistrats. Est-elle probante ?

Descartes quant à lui, avait cru nécessaire d’en appeler à l’infinie bonté divine pour éclairer le chemin de la vérité. Il sera difficile de faire mieux.

Tuesday, March 14, 2006

Citation du 15 mars 2006

« Connais-toi toi-même. Maxime aussi pernicieuse que laide. Quiconque s'observe arrête son développement. La chenille qui chercherait à bien se connaître ne deviendrait jamais papillon. »

Gide - Les nouvelles nourritures

Auguste Comte ironisait sur celui qui voudrait être à sa fenêtre pour se regarder passer dans la rue : cette critique de l’introspection est reprise par Gide, qui l’oriente vers sa nocivité pratique. C’est sûr que la chenille ne se demande pas si elle doit devenir papillon. Mais l’homme ne peut-il quant à lui se demander quel homme il va - il doit - devenir ? Vouloir opposer la spontanéité à la réflexion rationnelle, c’est sans doute intéressant mais est-ce réaliste ?

Bergson disait qu’on ne peut connaître l’avenir parce qu’il n’existe pas, et qu’il n’existe pas parce qu’il nous faut l’inventer. En devenir, nous mouvant sans cesse d’un passé immédiat à un avenir imminent, nous ne formons jamais une réalité stable comme un objet que nous - ou d’autres - pourrions étudier. De ce point de vue le précepte socratique est vain en effet, puisqu’on ne peut connaître ce qu’on est en train de devenir ; aucune essence éternelle à découvrir derrière le rideau des apparences, aucun statut social capable de déterminer notre nature, aucune hérédité pour nous définir.

Mais si nous ne pouvons nous définir du moins devons nous orienter notre évolution en tenant compte de ce que nous sommes devenus. Qui donc pourrait affirmer sans faire rire : « Aujourd’hui, j’étudie la physiologie des bigorneaux, mais hier je m'étais spécialisé en littérature chinoise - époque ming - ; je réfléchis à demain ; peut-être devrais-je faire une recherche sur la technique du béton pré-contraint… ». Même Sartre disant « l’existence précède l’essence » admet tout à fait que l’essence existe. D’ailleurs si la chenille n’a pas besoin de connaître le papillon qu’elle va devenir, celui-ci peut en revanche, réfléchir à sa condition papillonnante.

Le seul problème reste donc de savoir si nous sommes devenus le papillon que nous avons à être.

Monday, March 13, 2006

Citation du 14 mars 2006

"Connais-toi toi-même » et « Sois sage », c’est la même chose.

Platon Charmide

On connaît le paradoxe de la sagesse socratique ; conçue comme savoir indépassable, Socrate, au lieu de lui donner comme objet l’immensité et l’éloignement de l’Univers, lui assigne ce qu’il y a de plus proche de nous-mêmes, à savoir : nous-mêmes.

Science difficile car la proximité est justement ce qui empêche de connaître : où est le miroir qui me permettra de me voir moi-même pour m’étudier à distance d’objet ? Alors qu’Aristote conseillait de trouver un ami, fidèle reflet de nous-mêmes, Platon conseille de se tourner vers Dieu, Ame supérieure qui éclaire les âmes humaines en leur montrant ce qu'elles doivent être.

Car voilà la finesse : la sagesse n’est pas seulement science, elle est aussi art : celui d’agir opportunément par science ; le commandement socratique est au fond une maxime morale. « Connais-toi toi-même pour devenir ce que tu dois être » ; et peut-être même : « Compare donc ce que tu as fait de toi avec ce que tu aurais pu être ». La jeunesse est l’âge des projets les plus fous ; et des abandons encore plus déraisonnables. La sagesse, supposée apanage de la vieillesse est l’âge où la science n’éclaire plus que le chemin … des autres ! Car, si la sagesse et folie vont de paire, la folie du sage ne serait pas n’importe quelle folie : elle serait folie du vieillard qui croirait que le flambeau de la sagesse éclaire sa propre vie, qu’il y a encore un chemin à éclairer devant lui.

Socrate ne cherche donc pas la sagesse pour lui-même, mais pour éclairer les autres. Est-ce plus facile ? En tout cas c’est plus dangereux : qui donc aime savoir ce qu’il aurait dû être ?

A suivre

Sunday, March 12, 2006

Citation du 13 mars 2006

"S'il n'y avait pas la Science, combien d'entre nous pourraient profiter de leur cancer pendant plus de cinq ans ?"

Pierre Desproges - Extrait de Vivons heureux en attendant la mort

La morbidité est le fléau des temps modernes. Des naïfs croient que grâce à la médecine nous allons vivre très vieux et mourir en pleine santé : erreur. Plus on vit vieux, plus on a de « chances » de vivre longtemps en couches culottes, mangeant sa Blédine dans un fauteuil roulant... On demandait un jour au concours d’infirmières de réfléchir à une statistique montrant qu’en 20 ans le nombre des décès à l’hôpital (comparé à celui des décès à domicile) avait augmenté dans des proportions extraordinaires. Une candidate répond : « les gens meurent d’avantage à l’hôpital qu’à leur domicile parce qu’ils sont plus nombreux à mourir malades. C’est un problème de santé publique. » Donc autrefois, on mourait en pleine santé. C.Q.F.D.

Mais sous prétexte de lucidité n’allons pas verser dans un pessimisme encore plus morbide. Pascal comparait l’homme à un condamné à mort attendant dans sa cellule l’heure de son exécution. Mais la vie ne s’épanouit pas sur le terreau de la mort ; l’oubli, force active (Nietzsche), nous propulse vers l’avenir, ou plutôt ouvre le présent sur l’avenir de l’action. Desproges lui-même, son cancer, il en a fait un spectacle, il l’a dominé par son humour, il l’a vaincu en le ridiculisant. Bref il l’a détaché de lui-même, il en a fait une chose. On dit parfois qu’on exorcise nos démons par la parole. Ici on ne les exorcise pas, on les objective, on les englobe pour mieux les dépasser. C’est encore Pascal qui en parle le mieux.

Si le cœur vous en dit, relisez les fragments des Pensées consacrés au « roseau pensant »…

Saturday, March 11, 2006

Citation du 12 mars 2006

« C’est dur de haïr tout seul ; mais à plusieurs, c’est un vrai plaisir. »

Bernard-Marie Koltès - Dans la solitude des champs de coton

On pense au quart d’heure de la haine imaginé par Orwell dans 1984 : les fonctionnaires du ministère de la mémoire (et tous les autres sans doute) sont convoqués chaque jour dans une salle de télévision. Sur l’écran défile pendant un quart d’heure des images de l’opposant politique de Big Brother (l’opposant a un nom juif, bien sûr). Et pendant ce quart d’heure les spectateurs couvrent d’insultes et de menaces cet ennemi du pouvoir. Et cela partout dans le pays, et chaque jour.

La haine n’est pas seulement plus éruptive dans le foule, elle est aussi plus jouissive. Je ne sais pas si c’est dur de haïr tout seul parce qu’on ne choisit pas de le faire, à moins de croire à la responsabilité des passions. En tout cas, si l’amour est jouissance, la haine est une souffrance dans la mesure où elle désire l’anéantissement de son objet, mais qu’en même temps elle ne se satisfait vraiment que d’une destruction lente, indéfiniment prolongée, ce qui n’arrive pas. Par contre la haine à plusieurs donne une satisfaction : celle de se conforter dans son être par l’identification aux autres : après tout haïr n’a pas beaucoup d’importance ici, ce qui compte c’est d’exister à travers les autres, amplifié par leur nombre et leur force, identifié à la personnalité de leur leader. Car c’est à un jeu de l’identification qu’on assiste, le même que celui qui, dans l’armée, fait que le soldat est prêt à torturer et à mourir, car ce n’est pas lui qui torture ni qui meure : c’est la troupe ou c’est son chef. C’est justement parce que la haine ici n’est qu’un moyen qu’elle est si aisée à susciter, si démesurée dans ses explosions, et pour finir si facile à déplacer vers une autre victime.

Si donc on imagine que les foule sont sadiques on se trompe : elles ont une existence et elles se cherchent une identité.

Friday, March 10, 2006

Citation du 11 mars 2006

« Platon disait que les bons sont ceux qui se contentent de rêver ce que les méchants font en réalité. »

Freud.

Le Président (à l’accusé) - Les faits sont les suivants : dimanche dernier dans le bois au-dessus du village, vous avez montré votre ki-ki à une petite fille qui passait par là. Qu’avez-vous à dire pour votre défense ?

L’accusé - Mais je voulais pas, moi, monsieur le Président. Je ne sais pas ce qui m’a pris, c’était plus fort que moi, j’ai pas pu m’en empêcher… J’étais comme dans un rêve.

L’avocat - Monsieur le Président, ce que mon client a fait c’est mal, je vous l’accorde, mais faut-il le condamner sévèrement pour cela ? Oui, messieurs les juges, cet homme a succombé à une pulsion, et alors ? N’a-t-il pas simplement réalisé ce dont beaucoup de gens tout à fait normaux rêvent chaque nuit ? Et vous même, monsieur le Président, n’avez-vous jamais rêvé que vous étiez dans un jardin public, avec un grand imperméable, …

Le Président : Maître, je vous défend de parler ainsi. Sachez que mes rêves sont irréalisables, qu’ils sont bien au-delà de la réalité, et que si votre client peut confondre ses fantasmes avec elle, c’est la preuve qu’il est puéril. Il faut être un petit enfant pour rêver qu’on mange des fraises le jour où ça a été défendu (1).

Quant à moi je fais toujours de beaux rêves, parce que je lis Sade pour m’endormir.

(1) Le Président lit aussi Freud

Thursday, March 09, 2006

Citation du 10 mars 2006

« En vérité, la vérité, il n'y a pas de vérité ! »

Jean-Claude Van Damme (Acteur et cinéaste belge)

On peut être acteur et cinéaste, belge de surcroît, et rester insensible au principe de contradiction, qui interdit d’affirmer comme vérité qu’il n’y a pas de vérité.

Mais il est en bonne compagnie : tous les sceptiques, depuis Pyrrhon, ont côtoyé le même paradoxe. C'est du moins ce qu'on lit un peu partout. Voyons cela d’un peu plus près.

Le sceptique c’est celui qui doute. Il ne dira jamais « je sais avec une absolue certitude qu’il n’y a pas de vérité ». Il dira : « Certes, la vérité existe, mais je ne sais pas la distinguer de l’erreur. » Prenez un exemple : dans six mois vous serez ou bien vivant ou bien mort. L’une de ces deux affirmations est nécessairement vraie, mais vous ne savez pas la quelle (du moins je le suppose). Il ne dira pas qu’il n’y a pas de vérité, il dira qu’on ne peut pas la (re)connaître, ce qui pratiquement revient au même, mais est logiquement différent.

Tout ça, c’est une affaire de critères. Certains pensent qu’il n’y a pas de critères de vérité ou alors que, s’ils existent, ils ne s’appliquent à rien du tout. Le sceptique pense qu’il n’y en a pas qui soit indubitable et voilà tout. Les gens ordinaires croient que la vérité, c’est ce qui permet de vivre au jour le jour : le critère de la vérité, c’est la réussite. Ce sont des pragmatistes (pour le dire vite).

Restent ceux qui croient que, s’il s’agit réussir dans la vie, alors une bonne torgnole vaut mieux qu’un long discours … N’est-ce pas, Jean-Claude ?

Wednesday, March 08, 2006

Citation du 9 mars 2006

« Entre le faible et le fort, c'est la liberté qui opprime et la loi qui libère. »
Lacordaire
Lisons : « c’est la liberté naturelle qui opprime, et la loi qui garantit l’égalité des droits qui libère. »
Reversant. Sans être vraiment anarchistes, nous croyons facilement que c’est la loi qui opprime, et la liberté qui - bien sûr - libère.
C’est que nous pensons plus à l’individu qu’à son rapport aux autres. Comme si nous étions des atomes agités du mouvement brownien, ou des danseurs sur la piste surpeuplée d’une discothèque, nous ne cherchons en fait qu’à éviter les autres, non à les rencontrer. Au mieux, nous les ignorons. C’est ce qui fait que notre liberté est individualisme, et non coopération. C’est donc pour cela que nos libertés s’entregènent et se répandent au dépend les unes des autres, le fort opprimant le faible, jusqu’à ce que la loi y mette bon ordre : « La liberté consiste à faire tout ce qui ne nuit pas à autrui: ainsi l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi. » Déclaration des droits de l’homme article 4.
Mais l’anarchie a plus d’un tour dans son sac. Voyez Proudhon : «la liberté croît comme la force, par l'union ». L’équation est simple : la liberté n’existe que par la réalisation de nos projets. Seuls nous ne réalisons que ce que notre force individuelle nous permet. Nombreux, notre liberté est démultipliée par la force ajoutée des autres.
Seulement, c’est la coopération qui rend possible la préservation de la liberté. Or entre le fort et le faible, quelle coopération imaginer ? Cela n’est possible que si vous croyez que le calcul d’intérêt reste au second plan, c’est à dire si vous imaginez que le fort n’espère aucun avantage du faible.
L’anarchie n’est donc possible si la nature humaine est bonne

Tuesday, March 07, 2006

Citation du 8 mars 2006

« Les hommes éveillés n'ont qu'un monde, mais les hommes endormis ont chacun leur monde. »

Héraclite Fragment 89

Le « philosophe obscur » est (pour une fois peut-être) parfaitement clair : si la réalité est unique, l’imaginaire est multiple. Comment un présocratique tel que lui voyait-il la chose ? Nous ne pouvons probablement plus le savoir : plus de deux millénaires et demi sont passé là dessus et nous lisons Héraclite avec notre culture, notre poésie, notre psychanalyse, nos philosophes, notre monde désenchanté. Pourtant si cette citation nous touche encore, c'est sans doute sur ce point.

« L’homme éveillé » vit dans le monde matériel, celui qui appelle l’action, la coopération entre les hommes, en vue de l’affrontement avec la matière. Rien d’autre. Notre monde est en effet désenchanté : plus de génies, plus de Dieux, plus de fantômes, rien que de la matière que nous gérons comme un « stock de ressources », en tant que nous serions « comme maîtres et possesseurs de la nature ». Nous sommes maîtres du monde, peut-être, mais ce monde est plat, sans surprise ni intérêt.

En revanche le monde du rêve est propre à chacun d’entre nous, parce qu’il est fait sur mesure pour exprimer nos désirs. Si la réalité n’est pas le milieu où s’exprime notre désir, c’est parce qu’elle est soit expression des besoins vitaux, soit celui du désir formaté pour la consommation. En bref : elle est commune à tous.

Le pays des chimères est en ce monde le seul digne d’être habité dit Rousseau : non seulement nous y reconnaissons les objets que nous chérissons, mais nous en jouissons en toute liberté.

Pardessus les siècles, les millénaires, les aspirations des hommes sont les mêmes. Leurs déceptions aussi.

Monday, March 06, 2006

Citation du 7 mars 2006

« L’antisémitisme n’entre pas dans la catégorie de pensée que protège le Droit de libre opinion. »

Jean-Paul Sartre - Réflexions sur la question juive

C’est plutôt étonnant : beaucoup de gens - sincères et surtout pas antisémites - ne comprennent pas que l’opinion antisémite soit un délit (ce qu’elle n’était pas encore lorsque Sartre a écrit ces lignes). Après tout disent-ils, la liberté d’opinion couvre toutes les opinions, qu’elles soient religieuses, politiques, morales, artistiques, que sais-je encore ? Pourquoi, alors que je peux tenir des propos sur la religion de mon voisin qu’il va d’ailleurs peut-être juger offensants pour ses convictions, serais-je tenu pour pénalement condamnable si je dis du mal des juifs (ou d’autres races, ou des homosexuels…).

En fait il faut être naïf - comme moi - pour s’en étonner, car dans leur forme ces estimations sont toutes équivalents : elles énoncent un jugement de valeur, une préférence, une répugnance. Seulement, voilà, dit Sartre, ce n’est pas la même chose de dire, par exemple « Je n’aime pas la tarte aux pommes », ou «Je suis contre la politique vinicole du gouvernement (1947) », et dire « Dehors les Juifs » voire même « mort aux Juifs ».

L’opinion est un état d’esprit consistant à affirmer ce que l’on croit vrai tout en sachant qu’on peut se tromper. Dans un sens plus restreint elle désigne ces idées qui expriment ou impliquent notre personnalité (opinion personnelle). Ceux qui revendiquent un droit de libre opinion songent souvent à ce second sens : j’ai le droit d’être comme je suis (sans avoir à me justifier), j’ai donc le droit de penser ce que je veux (et qui est la conséquence de ma personnalité).

Seulement, voilà. Appeler au meurtre ou simplement à la haine, à l’exclusion, ce n’est pas une opinion ; c’est un acte. Je ne formule pas simplement ma vision philosophique du monde, je m’implique dans un effort pour exclure mes semblables de leur droits, je leur refuse ce que pourtant je réclame pour moi : la liberté d’exister et de jouir des droits fondamentaux de l’homme. Qu’ils soient Juifs, arabes, homosexuels ou ce qu’on voudra.

Exactement comme la diffamation, l’opinion antisémite ou raciste n’a d’opinion que le nom : c’est un crime perpétré par la pensée.

Sunday, March 05, 2006

Citation du 6 mars 2006

« Et le désir s’accroît quand l’effet se recule »

Corneille Polyeucte, acte I

Qui n’a pas, adolescent boutonneux, ricané au calembour contenu dans ce vers de Corneille (1) jadis étudié au lycée ?

Je ne vais pas faire un discours sur la dignité du calembour en philosophie (encore qu’avec Platon, Hegel et quelques autres il y aurait de quoi alimenter cette chronique pendant une semaine). Tournons-nous plutôt vers l’éloge de la frustration énoncée ici : si la jouissance est proportionnelle au désir, un maximum de plaisir est lié au minimum d’occasions de le satisfaire.

En cette période de Carême, il est bon de se souvenir de ce détournement d’une contrainte voulue comme pénitence et mortification de la chair. Non seulement elle se venge en jouissant deux fois plus ensuite, mais le pêcheur risque de ne penser - de ne se préparer - qu’à ça durant toute cette période !

L'abstinence n'est peut-être donc pas un bon calcul. Rappelons-nous que Freud a décrit très minutieusement le mécanisme du refoulement ; le retour du refoulé s’effectue quoiqu’il arrive, et la jouissance rendue impossible dans la réalité s’épanouit dans les rêves, dans les fantasmes, et bien sûr dans des satisfactions symboliques. La vertu elle même n’est pas à l’abri de tels détournements, et sans chercher à voir le mal partout, beaucoup se sont interrogés sur l’amour mystique (voir la vie de Sainte-Thérèse [de Lisieux]), et des esprits mal tournés y ont vu non le dépouillement de la spiritualité, mais un désordre hystérique, voire même un orgasme extatique.

Si vous pratiquez le Carême, merci de poster un message pour nous dire si c’est un bon investissement en terme de sensualité.

(1) A ne lire que par ceux qui ont le cerveau lent : « Et le désir s’accroît quand les fesses reculent »

Saturday, March 04, 2006

Citation du 5 mars 2006

Un ami, c'est quelqu'un qui sait tout de vous et qui vous aime quand même.

Anonyme

Revoilà l’Anonyme - un ami qui nous veut du bien sans doute.

Vachard avec ça. Car que dire en effet d’un ami ? C'est quelqu'un qui nous apporte son amitié. Banal. Alors, demandons-lui une preuve de son amitié. Quelle preuve d’amitié plus forte que celle-là : nous aimer tels que nous sommes et malgré ce que nous sommes - sous entendu : malgré notre abjection. Et tandis que l’amant ne verra son aimé qu’à travers le miroir déformant de sa passion, l’ami, lui, saura conserver sa lucidité à notre égard.

Qu’attendons-nous de nos amis ? Qu’ils nous aiment. Soit. Et puis quoi d’autre ? Aristote disait : l’ami c’est quelqu’un qui nous ressemble. Voilà qui restreint le mérite que lui accorde l’Anonyme : il nous aime peut-être parce qu’il s’aime lui-même à travers nous. Mais pour Aristote, le problème n’est pas là. Il est de satisfaire à l’injonction socratique : « Connais-toi toi-même ». Pas facile. Alors voilà, dit notre Philosophe, regardez-vous dans votre ami. Ce qu’il est, vous l’êtes aussi. Cette distance indispensable pour l’examen, cette objectivité qui ne se constitue que dans l’extériorité, c’est votre ami qui peut vous l’apporter.

Mais alors il ne s’agit plus de savoir si nous aimons notre ami, mais seulement de savoir s’il peut remplir cette fonction très particulière. Bref, un ami c’est quelqu’un qui nous est utile.

Et puis alors, peut-on mettre ami(s) au pluriel ?

Friday, March 03, 2006

Citation du 4 mars 2006

« Boire sans soif et faire l'amour en tout temps, Madame, il n'y a que ça qui nous distingue des autres bêtes. »

Beaumarchais, Le mariage de Figaro, acte 9, scène 21.

Nous sommes des bêtes. Mais différentes des autres. Chez nous la recherche du plaisir est découplée de la satisfaction des besoins. Nous ne cherchons pas la satiété ; nous cherchons la jouissance. Toujours prêts à boire et à faire l’amour, nous sommes ainsi supérieurs à l’animal, limité dans ce registre par la nature elle-même.

Alors voici le mari ivrogne qui rentre chez lui et qui bat sa femme. Quelle excuse a-t-il ? Celle d’affirmer haut - très haut - et fort - très fort - qu’il ne saurait se passer de cette preuve d’humanité.

Et voilà l’homme volage qui rentre aussi chez lui après un cinq à sept de folie en compagnie de sa maitresse ; il remet ça avec sa femme, et quand la malheureuse découvre son infidélité, il lui répond : « Ce que j’ai fait cet après midi, aucune bête au monde ne l’aurait fait. » Comme Guillaumet descendant des Andes !

Dès le Moyen Age, les Saints Pères de l’Eglise ont attiré l’attention sur la pudeur et la sobriété de l’animal ; en particulier l’éléphant dont on disait qu’il ne courtisait son éléphante que très rarement et en prenant la précaution de s’écarter du troupeau. Pour les Saints Pères, mieux vaudrait pour notre salut être des bêtes que des hommes.

Et Rousseau, toujours aussi misanthrope, ajoute : « l’homme qui médite est un animal dépravé ». Dépravé, oui, mais pas seulement par la méditation !

Thursday, March 02, 2006

Citation du 3 mars 2006

"Ô toi qui entres ici abandonne tout espoir !"

Dante - La divine comédie (L’Enfer)

C'est cette phrase, gravée sur la porte de l’Enfer, qui accueille les damnés; elle ouvre aussi l’œuvre de Dante. C’est un peu plus honnête que le « Arbeit macht frei » du portail d’Auschwitz…

L’enfer, et après ? Après rien. Ou plutôt si : après l’enfer, l’enfer. Il faut s’appeler Rimbaud pour ne vivre qu’« une saison en enfer » !

Nous avons là une idée de l’éternité. Outre les tortures, l’enfer est désespérant par la certitude de l’avenir. « Tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir » dit la sagesse populaire ; parce que l’irréversible de la mort ne s’est pas accompli. Mais l’enfer, c’est l’irréversible dans la vie éternelle : car les damnés vivent, c’est certain : ils vivent en tout cas suffisamment pour souffrir. Mais justement, quelle est la première souffrance en Enfer ? A celle des tourments complaisamment imaginés par l’Eglise médiévale, il ne faudrait-il pas substituer celle du désespoir ?

Dans ce cas nous aurions une idée de l’Enfer dès cette vie. De même que Sartre imaginait l’enfer comme un enfermement dans une chambre d’hôtel de trois personnes qui se détestent et se déchirent sans jamais en finir, la vie quotidienne avec son lot de lassitude, avec ses efforts bientôt abandonnés nous donne une idée de cette déprimante stagnation.

C’est Nietzsche qui a raison. Si tu veux savoir ce que c’est qu’aimer la vie, pense à l’« Eternel Retour » : vouloir que tout ce que tu as vécu, y compris les échecs et les blessures, les souffrances et les deuils, se reproduise indéfiniment, car c’est cela aussi la vie. Aimer la vie pour les sourires de l’enfant et le gazouillis des oiseaux, c’est l’imaginer comme le paradis, un jardin édénique dont on ne sortirait jamais : c’est banal. Aimer la vie au point de vouloir qu’elle se prolonge indéfiniment y compris avec ses désolations, ses chagrins et ses douleurs voilà qui l’est moins.

L’enfer c’est l’éternel retour, c’est sauf pour le Surhomme.

Wednesday, March 01, 2006

Citation du 2 mars 2006

« C'est drôle, on parle souvent du Pôle Nord, plus rarement du Pôle Sud, et jamais du Pôle Ouest ni du Pôle Est. Pourquoi cette injustice ?»

Alphonse Allais - Le sourire

Posez cette question aux géographes : ils hausseront les épaules. Demandez maintenant aux historiens ; ils souriront, mais ils vous répondront.

Réfléchissons : pôle sud/pôle nord : on sait où c’est, parce que la terre tourne autour de son axe : aux deux bouts, il y a un « nord absolu » et un « sud absolu ». Bien. Mais le « pôle ouest » : vous mettez ça où ? Au far-west ? Seulement, pour un Californien, le lointain ouest c’est Hawaï, voire même la Chine ! Bref : il n’y a pas d’ouest absolu. Idem bien sûr pour l’est.

Donc pour qu’il y ait un pôle ouest et un pôle est, il faut qu’il y ait un est ou un ouest absolu. Et c’est là que l’historien se réveille : au moyen age -dira-t-il- on considérait que la terre était plate, et donc il y avait une position absolue pour chacun des points cardinaux : l’ouest, c’est la partie gauche de la carte, l’est, sa partie droite, le nord est en haut, le sud est en bas. Mais qu’est-ce qui m’empêche de retourner la carte si je veux ?

Pour éviter cela, il faut un point de référence lui-même absolu : au moyen-age ce centre de référence ce n’est pas le soleil, c’est Jérusalem, plus précisément, c’est le Christ en croix. Le Christ a été crucifié face à l’ouest ; il est mort pour la rédemption l’humanité : donc il est tourné vers ceux qui méritent la rédemption : les hommes de l’Europe (= devenus chrétiens). Il est dos à l’est : les asiatiques ne méritent pas d’être sauvés (= ce sont des payens). A sa droite (nord) : les bons, comme les vikings (= devenus chrétiens). A sa gauche (sud), les mauvais : les africains (= payens). L’espace est donc doublement balisé, parce qu'à chaque point cardinal correspond un double absolu : à un absolu de localisation s’ajoute un absolu de signification, opposant le monde christianisé au monde payen.

Donc il n’est pas absurde de vouloir qu’il y ait un pôle ouest ou un pôle est. Simplement, les conditions ne sont plus remplies depuis que les géographes se sont emparés des points cardinaux.