Monday, April 30, 2007

Le 1er mai 2007

En raison du 1er mai, La citation du jour fait relâche. Elle vous donne rendez-vous demain, 2 mai pour la suite de ses désopilants Posts.
Au fait, qu’est-ce que vous faites vous demain ? Vous bossez ?

Citation du 30 avril 2007

Ah! qui délivrera mon esprit des lourdes chaînes de la logique ? Ma plus sincère émotion, dès que je l'exprime, est faussée.
André Gide - Les Nouvelles Nourritures

L’émotion se communiquerait-elle sans se dire ? Si l’on suit au premier degré cette formule de Gide, on devait admettre que l’expression verbale enferme l’émotion dans le corset d’une forme logique qui la détruit.
Mais à ce compte, qui donc peut prétendre communiquer son émotion ?
Bien sur, l’émotion entraîne des signes tout à fait spontanés qui sont des médiateurs pour elle. L’expression du visage, l’attitude du corps, les gestes de la main, etc…, sont autant de signes qui, en étant liés à l’émotion, la suscitent chez autrui.
Mais il y a aussi la musique. Thomas Mann dans La montagne magique, évoque la musique entendue par une fenêtre ouverte dans la nuit ; l’émotion suscitée ainsi, surgit sans crier gare, transit l’âme sans qu’on le veuille ni qu’on puisse s’en protéger. Les ennemis de la musique - à commencer par Platon - lui reprochent ce pouvoir sur nos émotions. Haendel a introduit dans certains de ses opéras (1) des scènes ou la musique montre son pouvoir en faisant d’air en air surgir des émotions multiples : le spectateur est amené à rire à travers ses larmes, à basculer de l’allégresse dans la souffrance, à aimer et écumer de rage en même temps. La musique peut tout faire, elle est la maîtresse des émotions.
Mais que dire de la poésie ? Elle ne constitue pas une« lourde chaîne de la logique », et pourtant elle passe bien par le truchement du langage.
Considérez pas exemple la phrase que je viens d’écrire : elle ne prend un sens que si vous liez tous ses mots dans un jugement synthétique ; une fois ce sens connu, vous pouvez le formuler avec d’autres mots, le traduire dans une autre langue, etc. On parle de « logique » uniquement parce qu’on articule dans un certain ordre des significations générales – donc abstraites.
Maintenant, supposez que cette phrase soit poésie : alors sa signification ne passe plus uniquement par une telle articulation. Chaque mot, par sa sonorité, va acquérir une certaine signification, qui ne dépendra pas de conventions, mais qui sera liée à l’histoire de l’individu à sa culture, à sa personnalité. Il peut alors devenir signe de l’émotion.
Peut-on séparer ces deux manières de signifier ? Théoriquement oui ; pratiquement, non.
Un langage fait uniquement d’émotions musicales n’a aucune chance d’exister (de même que la musique affranchie de toute règle finit par lasser les auditeurs). De même nous recherchons l’expression de la personnalité vivante de qui nous parle ; manière d’écrire, intonations de la voix ; même si on lisait l’annuaire du téléphone à haute voix, notre personnalité y paraîtrait.



(1) Par exemple Salomon, acte III, scène 1 où le Grand roi séduit la reine de Saba en l’ensorcelant par la musique.

Sunday, April 29, 2007

Citation du 29 avril 2007


Miss.Tic - Campagne électorale
Y a-t-il quelqu’un qui veuille porter plainte contre Miss.Tic pour incitation à la pédophilie ?
Personne ? Tout le monde sait donc que chez Miss.Tic, un sens en cache toujours un autre, et que le premier n’est là que pour inciter à découvrir le second.
Bien sûr, il ne s’agit pas de nous prévenir contre le risque d’infection que nous ferions courir à nos enfants en cas de rapports non protégés. Cette idée répugnante n’est qu’une accroche.
Lisons plutôt cet aphorisme de la manière suivante : si nous voulons éviter que nos enfants ne souffrent de la vie, évitons leur la vie. Ne les mettons pas au monde.
J’ai déjà eu l’occasion de rappeler la définition du pessimisme grec : le plus grand malheur, c’est de naître. Nous avons ici la conséquence de ce principe : pour éviter le malheur, il faut éviter de naître. Donc évitons de faire des enfants
On se rappelle peut-être de l’affaire Perruche, du nom d’un jeune homme atteint de lésions cérébrales gravissimes et congénitales, liées à une rubéole contractée par sa mère durant sa grossesse. La maladie n’ayant pas été diagnostiquée par le médecin, les parents attaquent celui-ci devant les tribunaux, demandant au nom de leur enfant qu’il soit dédommagé pour le préjudice causé par sa naissance. Car voilà l’essentiel : ce n’est pas de l’infirmité qu’on demande à être dédommagé ; c’est de l’existence elle-même.
Vous êtes malheureux ? Votre petite amie vous a plaqué, votre employeur vous vire, vous avez la jambe dans le plâtre suite à un accident de ski ? La vie est trop cruelle, mais avant de vous suicider, traînez vos parents devant les tribunaux : « Pourquoi n’avez-vous pas mis de préservatifs ? »
Bien sûr, il y a un truc. Comme je l’ai déjà indiqué (1), les pessimistes sont des gens très malins qui savent ce que l’avenir nous réserve. Non seulement tout va pour le pire, mais aussi on peut en être certain. Tout est déjà écrit, et ils ont lu le dernier chapitre alors que nous, nous n’en sommes qu’au premier.
Et si l’avenir n'était qu'une page blanche ?


(1) Voir message du 30 mars

Saturday, April 28, 2007

Citation du 28 avril 2007

Blondes – Plus chaudes que les brunes (voy. Brunes)
Brunes – Sont plus chaudes que les blondes (voy. Blondes)
Négresses – Plus chaudes que les blanches (voy. Brunes et Blondes)
Rousses – (Voy. Blondes, Brunes, Blanches et Négresses)

N.B. Il n’y a pas d’entrée « Blanches »

Flaubert – Le dictionnaire des idées reçues

Flaubert est un auteur féroce qui jouit de la bêtise de ses contemporains, un pessimiste qui ne croit décidément pas au progrès de l’humanité, à une époque où on s’enflammait pour des idées socialistes ou pour le positivisme scientiste.

Son dictionnaire des idées reçues est dans la lignée de Bouvard et Pécuchet : un jeu de massacre qui pointe les obsessions des hommes de son temps, des observations qu’il suffit d’épingler comme un papillon pour qu’elles deviennent ridicules. Voyez cette Encyclopédie hallucinante qui au lieu de créer un réseau de sens vous emmène dans un système de renvoi stérile et finalement vous plante en route.

Même si laissant ces définitions isolées on ne les rapprochait pas comme je le fais ici, on aurait le même sentiment : celui d’être en présence de gens qui ne réfléchissent pas, qui répètent ce que d’autres ont dit et qui pourtant révèlent leur petitesse d’âme sans y penser.

Les gens sont vraiment très bêtes. Pourquoi tant de haine (1)? Sartre qui a consacré un ouvrage (inachevé) de 2500 pages à la vie et l’œuvre de Flaubert, l’a appelé « L’Idiot de la famille » : le jeune Gustave aurait relevé le défi de devenir le Génie de la famille. Comment être un Génie sans être environné d’imbéciles ? Les idées reçues sont les paroles de ces imbéciles.

Maintenant, le procédé est-il honnête ? Ne suffit-il pas de priver une phrase de son contexte pour qu’elle devienne automatiquement une ânerie ? Ce déni de sens fait partie des procédés de la satyre et du comique. Les Guignols de l’info sont notre Dictionnaire des idées reçues d’aujourd’hui.

On a les références qu’on mérite.


(1) Vous voyez ce que ça fait quand on martèle la même formule mille fois : ça devient une « idée reçue »

Thursday, April 26, 2007

Citation du 27 avril 2007

Cela est bien dit, répondit Candide, mais il faut cultiver notre jardin.

Voltaire – Candide ou l’Optimisme

Même si vous avez passé plus de temps pendant les cours de français à envoyer des petits papiers à la voisine (les SMS : c’est tout de même un progrès…), vous n’avez pas pu échapper à la dernière réplique du Candide de Voltaire, et aux commentaires alambiqués de votre prof de lettres.

Parce que, c’est vrai, on est un peu déçu de cette chute, comme si la sagesse de Candide venait rompre avec le charme des aventures mirobolantes, qui se succédaient en cascades depuis le début de l’ouvrage.

C’est vrai, à quoi il pensait Voltaire en écrivant ça ? Qu’il était plus sage de rester chez soi à prendre soin des biens que Dieu nous a confiés, plutôt que d’aller courir l’aventure pour voir si la Providence est plus généreuse ailleurs ? Ou bien que décidément l’optimisme ne justifie pas tout et qu’il vaut mieux s’assurer des ressources les plus proches au lieu de chercher fortune ailleurs ? Ou encore, que la nécessité vitale impose silence aux délires de l'ambition?

N’y aurait-il pas plutôt l’idée que la culture des poireaux permet de découvrir des vérités cachées pour les aventuriers pressés de courir à travers le monde ? Se pencher sur les plantes vertes pour voir comment elles se débrouillent pour vivre et pour se reproduire ; confier un grain de blé à la terre et s’émerveiller de voir qu’elle nous rend un épi pour une graine. Les physiocrates avaient fondé toute une théorie là dessus, selon la quelle seule l’agriculture produit plus de richesse qu’elle n’en consomme, au contraire de l’industrie. Marx a encore dû combattre cette conception à l’époque où il écrit le Capital, preuve que l’idée semblait évidente. Et puis Rousseau, fabriquant son herbier à la fin de sa vie et disant que s’il avait su, il n’aurait jamais fait autre chose.

L’horticulture, un must pour la sagesse humaine. Signé Vilmorin.

Wednesday, April 25, 2007

Citation du 26 avril 2007

[Le monde] C'est une sphère infinie dont le centre est partout, la circonférence nulle part

Pascal - Pensées - Fragment 185 - ed. Le Guern (Folio)

De Boèce à Pascal en passant par Nicolas de Cues et surtout Montaigne, cette définition du monde (parfois appliquée à Dieu) met en avant ce rapport entre centre et circonférence, ou, si vous préférez entre centre et limite. Lorsque le centre de quelque chose n’est plus localisable, aucune représentation de cette chose n’est possible, parce qu’elle n’a plus aucun contour. Le centre et la périphérie sont liés : la définition du cercle nous le rappelle.

Vous me voyez venir avec mes élégantes arabesques culturelles : il s’agit bien sûr d’évoquer le centre politique, autrement dit le nouveau parti démocratique fondé par François Bayrou.

Ce que je voudrais dire en rapport avec la citation de Pascal, c’est que le centre n’existe qu’à travers une relation. Il n’est pas une entité en soi, Le Centre absolu n’existe pas, il n’y a jamais que le centre de quelque chose, défini comme centre par sa position dans cette chose.

Ce que je veux dire encore, c’est que l’idée d’un parti politique centriste qui dépasserait les clivages gauche-droite comme on le lit un peu partout, ce serait justement un centre qui serait partout. Et donc plus d’autres partis, à moins qu’on n’admette qu’il y ait plusieurs façon d’être au centre (centre-gauche, centre-droit…).

On va dire que ça, c’est de la politique-politicienne, et que nous n’avons que faire de cette tambouille électorale. Mais tout de même, il faut admettre que ça va un peu plus loin. Certains s’étaient énervé devant la prétention de quelques uns (F.B. en particulier) à vouloir faire de la politique « autrement », en abandonnant les clivages politiques. Une sorte d’union sacrée, comme en Allemagne, comme parfois en Israël, comme chez nous pendant la Grande Guerre.

Je dis : pourquoi pas ? Mais admettons que la politique n’est plus de mise alors. La politique, c’est le débat contradictoire, nourri par des options qui sont par définition multiples (sinon on est dans la théocratie).

Bref, on peut faire de la politique avec deux partis ; mais s’il y a un centre, alors il en faut – au moins - trois

Tuesday, April 24, 2007

Citation du 25 avril 2007

Dans d’autres pays (1), les pauvres mutilent (=castrent) leurs enfants pour éteindre leur postérité, afin que ces enfants ne se trouvent pas un jour dans la misère et dans l’affliction où ils se trouvent eux-mêmes lorsqu’ils n’ont pas de pain à leur donner.

Buffon - De l’homme - 1749 (in Textes choisis - Folio) p. 78

Pourquoi faudrait-il procréer ? Hier, nous avons vu que la tradition romaine considérait la procréation comme une production économique dont la société avait besoin pour continuer à vivre. Mais alors, il peut aussi y avoir surproduction d’enfants, comme il y a parfois surproduction de blé ou de café. Simplement, alors qu’on pouvait faire brûler le café dans les chaudières des locomotives (Brésil), avec les enfants c’est un peu plus compliqué (encore qu’une « bonne guerre », avec un peu plus de « chair à canon »…)

Il ne faudrait donc pas oublier la régulation des naissances évoquée ici par Buffon, qui procédait par l’interruption du processus naturel de la procréation. Buffon donne une interprétation morale de cette régulation, en évoquant l’affliction et la misère. Notez que les pauvres dont il nous parle ne sont pas très rationnels : que ne se castrent-ils eux-mêmes plutôt que leurs enfants ?

Dans la même période, Malthus devait théoriser de façon un peu plus rigoureuse cette pratique, connue depuis sous le nom de malthusianisme. De façon radicale, Malthus estime que le contrôle des naissances est indispensable, autrement dit qu’on ne peut s’en remettre à la nature pour équilibrer la population avec les ressources de son territoire. La nature produit bien un équilibre entre la démographie et les ressources ; mais cet équilibre ne s’établit qu’en dessous du seuil de pauvreté : quand la malnutrition est elle que les plus faibles périssent de faim, les plus forts ne survivent que fort péniblement.

Aujourd’hui on crie très fort contre le malthusianisme, considérant qu’il vaudrait mieux développer les ressources que supprimer des naissances. Mais c’est un combat d’arrière garde ; depuis longtemps la procréation a cessé d’être un processus naturel, lorsque chaque famille accueillait avec gratitude les enfants que le Bon Dieu lui envoyait.

D’ailleurs si vous êtes élu prochainement, et si vous voulez favoriser les familles nombreuses, n’oubliez pas d’augmenter les alloc familiales ; dès le premier enfant SVP

(1) Buffon vient de parler des Hottentots qui pratiquaient l’ablation d’un testicule pour être plus légers à la course. Reportez-vous au texte si vous ne me croyez pas.

Monday, April 23, 2007

Citation du 24 avril 2007

Etaient prolétaires ceux qui s’occupaient de mettre au monde des enfants

Saint-Augustin

Je ne vais pas faire une histoire de la notion de prolétariat. Je me bornerai à observer que chez les romains (car c’est d’eux que parle Saint-Augustin), il y avait des gens dont l’utilité sociale était de procréer, un peu comme la vache dans l’étable ou la jument dans le haras. Cette conception de l’homme qui l’aligne en fait sur l’animal paraîtra bien sûr scandaleuse : l’élevage humain, on en a entendu parler chez les Nazis. Leurs Napolas n’étaient pas seulement des pensionnats pour enfants aryens, mais aussi des lieux où des S.S. venaient rencontrer des femmes racialement pures, en vue de procréer les enfants qui allaient faire partie de l’élite du Reich.

L’idée dans tous ces cas est que les enfants sont non seulement désirés par les parents, mais encore voulus par le pouvoir, considérés comme une richesse ou un bienfait social. Pourquoi mettre au monde des enfants? Pour eux ou pour nous ?

J’entends déjà les protestations indignées de ceux qui considèrent indécent de se poser une telle question. Que si je continue comme ça je vais parler des manips génétiques, du bébé médicament, etc…Bon : j’arrête. Mais réfléchissez un peu au sens qu’il faut donner à la demande insistante de certains parents qui voudraient avoir à coup sûr un garçon ou une fille ; et s’il (ou elle) pouvait avoir les yeux bleus ? Mesurer 1,90 mètre, être champion de tennis, ou danseuse étoile, ou…, etc…

Les prolétaires romains mettaient au monde des enfants pour qu’ils travaillent au service des riches patriciens. Nous mettons au monde des enfants pour qu’ils incarnent notre rêve de bonheur. J’entends bien la différence. Mais j’entends aussi que c’est notre rêve qui compte et non pas celui qu’ils pourraient faire : on ne mets pas au monde des enfants pour leur permettre de rêver.

Dommage.

Sunday, April 22, 2007

Citation du 23 avril 2006

Those who would give up Essential Liberty to purchase a little Temporary Safety, deserve neither Liberty nor Safety (1)

Benjamin Franklin

On croit rêver…la suppression des protections des la vie privée des citoyens, les lois sur l’immigration, sur le secret bancaire, j’en passe et des meilleurs : tel est le contenu du Patriot act, ou « Loi pour unir et renforcer l'Amérique en fournissant les outils appropriés pour déceler et contrer le terrorisme » et c’est Georges W. Bush qui l’a fait voter (2)

Bon, pas la peine d’épiloguer : la question qu’on se pose est « de B. Franklin ou de Georges W. Bush, qui donc a tort ? »

Examinons d’abord le contexte :

- B. Franklin se place dans la perspective des pères fondateurs de la nation américaine (par exemple Thomas Paine). Les américains sont alors persuadés que c’est l’Etat qui risque de nuire à la liberté des citoyens. C’est pourquoi la constitution américaine comporte des lois limitant son pouvoir, afin de protéger le citoyen de ses abus.

- G.W. Bush se place dans la perspective où le danger viendrait de l’extérieur : on est donc dans une « logique de guerre ». Dans cette perspective, les limitations de la liberté ne porteraient atteinte qu’à ceux qui en sont ennemis (3). Sauf que, l’ennemi, il est en réalité à l’intérieur.

Supposons que je sois en guerre avec, disons la Chine (Bof, pourquoi pas ?). Je vais dire que tous les chinois résidant sur le sol français devront être soumis à des restrictions dans leurs déplacements, que leurs téléphones seront écoutés, leur courrier ouvert, etc.. Il y a une « muraille de chine » qui nous protège, nous citoyen français, parce que ces lois liberticides ne risquent pas de s’appliquer à nous. Maintenant supposez que nous soyons en « guerre » avec les lascars des banlieues. Essayez de faire de même : vous allez limiter aussi vos libertés, parce que, qu’on le veuille ou non, ils sont tous citoyens français, comme vous. Il n’est donc pas extraordinaire de supprimer une liberté, simplement je ne peux interdire une liberté pour autrui sans y renoncer pour moi même.

Si en effet mon ennemi est mon voisin, s’il est un de mes concitoyens, si la menace vient précisément de lui ? C’est alors que les libertés fondamentales du citoyen risquent d’être menacées : tout simplement parce que sans liberté, pas de droits. Même le prisonnier a des droits, sans quoi on pourrait lui faire subir n’importe quel sévice. (Mais là, il n’est même plus question de citoyenneté ; les limites sont celles qui sont imposées par les droits de l’homme).

On peut faire tout ce qu’on peut, pour nous protéger des terroristes. Mais quelle sécurité puis-je avoir si je suis, moi honnête citoyen, injustement soupçonné de terrorisme ?

Vous ne vous sentez pas concerné ? Et si je disais : « pédophile » au lieu de terroriste ?

(1) Traduction : “Ceux qui abandonneraient leur liberté fondamentale pour obtenir temporairement un peu de sécurité, n’auront ni l’une, ni l’autre ». Pour l’établissement de cette citation, voir cet article de Wikiquote

(2) Sur le Patriot act, lire ceci

(3) Georges Bush est un adepte de Saint-Just et de Robespierre : « Pas de liberté pour les ennemis de la liberté » voir Messages du 24 et du 25 octobre 2006

Saturday, April 21, 2007

Citation du 22 avril 2007

Le sage redoute la célébrité comme l'ignominie.

Lao-Tseu

Comment devenir célèbre ? La question est peut-être aussi vieille que l’humanité. Nous avons tendance à l’occulter en nous demandant plutôt « Comment devenir riche ? ». Mais donnez le choix à qui vous voudrez (enfin, bon, plutôt de moins de 20 ans), entre le gros lot du Loto et la victoire à la Star-Ac : beaucoup préfèreront cette dernière même si elle ne garantit pas la fortune. Célèbre, admiré… Oui, mais à quel prix ?

La réponse de Lao-Tseu est sans ambiguïté, et les évènements récents sur le Campus de Virginie donnent à penser qu’il n’a pas tort. On devient plus sûrement célèbre en massacrant beaucoup d’innocents qu’en mourant, même héroïquement (voyez là dessus la citation de Montaigne commentée le 20 mai 2006 (1))

Comment devient-on célèbre ? Qu’est-ce qui « célèbrise » le mieux ? Quant Alexandre le grand est arrivé en Egypte (2), les habitants lui ont présenté un des leurs qui était célèbre pour son adresse : il était capable lancer de fort loin des lentilles dans un vase au goulot très étroit. On dit qu’Alexandre lui fit donner un boisseau de lentille le récompensant d’un cadeau inutile pour son exploit inutile. Autant dire qu’on tient là un critère de distinction entre la fausse célébrité et la vraie : seule l’utilité publique donnerait accès à la seconde, la première étant du niveau de l’émotion publique. La célébrité devrait se mériter non par l’étonnement ou l’admiration que suscite un acte, mais par son bénéfice. Mais à ce compte, les gens obscurs ne sont-ils pas ceux qui devraient être célèbres ? Ne sont-il par les plus utiles, eux les paysans, les ouvriers, les prolétaires - au sens originel ? On est dans la paradoxe le plus total, et ça ne date par d’hier, puisque déjà Lao Tseu le soulignait : la célébrité d’émotion publique est la seule qui existe.

Finalement, dans l’idée de célébrité, on trouve deux éléments négatifs : le premier est celui d’excès (accordée sans tenir compte de la réalité) ; le second est celui de la faiblesse de l’opinion publique, qui s’accorde pour pas grand chose, et qui se détourne si facilement de ceux qu’elle a élus.

(1) Que les trop paresseux pour aller y voir trouvent ici son énoncé : « De tant de milliasses de vaillants hommes qui sont morts depuis quinze cents ans en France les armes à la main, il n’y en a pas cent qui soient venus à notre connaissance. » Montaigne Essais, II, 16

(2) Ou dans un autre pays ? Là encore ma mémoire est incertaine.


Friday, April 20, 2007

Citation du 21 avril 2007

L'indécis laisse geler sa soupe de l'assiette à sa bouche.
Miguel de Cervantès
Vous savez pour qui vous allez voter ? Non ? Vous êtes encore indécis… Vous m’intéressez.
L’Indécis est très recherché ces temps-ci. Comment va-t-il voter ? Quand va-t-il se décider ? Qu’est-ce qui va déclencher sa décision ? N’est-il pas catastrophique pour la démocratie de dépendre de gens qui sont susceptibles de changer d’avis au dernier moment ? (1)
Quelle est la différence entre l’Indécis et l’homme de décision - disons si vous voulez l’homme d’action ? Un indécis, c’est quelqu’un qui n’agit jamais, parce qu’il change d’avis tout le temps. Mais c’est à Bergson (2) que nous demanderons une analyse plus fine. L’indécis est celui qui prend les différentes étapes d’une situation les unes après les autres, qui n’en fait pas la synthèse, et qui se détermine ainsi au coup par coup, changeant d’avis à chaque fois : il se laisse donc conduire par cette succession. L’homme d’action par contre, embrasse d’un coup d’œil les événements et les domine ; de sa mémoire, qui est sélective, ne lui viennent que les souvenirs utiles à l’action. Ce que l’Indécis ne fera jamais, c’est passer à l’acte lorsque celui-ci suppose cette vue synthétique : il laisse geler sa soupe de l'assiette à sa bouche. Ou alors, il faut que la synthèse se fasse toute seule, comme par miracle, sans qu’il ait à y penser. Bref, l’Indécis doit basculer dans l’action, d’un seul coup, sinon il n’agira jamais. Comment est-ce possible ?
Lorsque s’opère un tel changement il y a ce que j’appellerai une « cristallisation » (3). Mais voilà : ce n’est que dans le présent que se rencontrent les circonstances qui lui sont propices ; et de même, les souvenirs sans les quelles on ne saurait rien faire, ne reviennent qu’en fonction des circonstances présentes. Par exemple, voyez le trac avant l’examen du candidat qui s’épouvante d’avoir tout oublié : l’instant suivant, les sujets distribués et la composition commencée, ils lui reviennent tous. C’est comme une solution qui cristallise, d’un seul coup. Vous voyez où je veux en venir : en entrant dans l’isoloir, l’Indécis prend sa décision ; comme ça, sans y réfléchir, le bon candidat lui apparaît. Il n’en démordra pas.
Autrement dit, la cérémonie du scrutin est extrêmement importante pour lui ; c’est elle qui concentre tous les éléments du choix qui, auparavant, s’éparpillaient en désordre devant lui.
N’y aurait-il pas quelque chose comme ça dans les résistances qui se font jour vis-à-vis du scrutin par machine électronique ? Je veux dire que cette nouvelle procédure, en défaisant le cérémonial du bulletin de vote dans l’urne, risque d’empêcher la cristallisation dans la conscience de l’Indécis.
Parmi ceux qui refusent le vote électronique, il n’y a peut-être pas que des paranoïaques soupçonneux.
(1) C’est ce défaut dont se moquaient les Républicains à propose du candidat John Kerry « John Kerry is a flip-flopper ». Lire
(2) Bergson - L’évolution créatrice, p. 202
(3) Le terme n’est pas chez Bergson ; comme on va le voir, il ne fait pas non plus allusion à Stendhal.

Thursday, April 19, 2007

Citation du 20 avril 2007

Rien de grand ne s'est accompli dans le monde sans passion.

Hegel - Introduction à la Philosophie de l'Histoire

Explication : Hegel oppose ici la sphère subjective de la passion à l’histoire entendue comme destin de l’humanité.

Traduction : La passion est la force du désir qui pousse les individus à l’action, à la « grande » action, celle qui nécessite des efforts surhumains, celle qui met même la vie en danger.

L’histoire est le devenir de l’humanité, tel un destin qui se révèlerait progressivement aux yeux des hommes (le philosophe hégélien aurait néanmoins le privilège de l’englober dans une vue générale).

Autrement dit, les hommes agissent par passion en poursuivant leur appétit de jouissance ; mais l’effet de cette action se retrouve dans le domaine de l’histoire bien au-dessus des individus, et ignoré d’eux.

Exemple : les soldats qui par héroïsme permettent la victoire de leur armée, le font par passion guerrière (soif de gloire, haine, désir de revanche, etc.), mais c’est l’histoire de leur pays qui en est transformée.

Application : Tout cela est assez banal. Par contre on pourrait en tirer parti pour renouveler la vision de nos hommes politiques, en cette période de surchauffe électorale.

On demande « Qu’est-ce qui fait courir nos hommes politiques ? L’amour du pouvoir ? La recherche désintéressée du bien public ? » Vous entendez un de nos candidat qui dit : « Vous pensez bien que si on n’est pas sincère en politique, si on se battait pour des idées en les quelles on ne croit pas, on ne pourrait pas les faire triompher » Et un autre qui dit : « Untel, il est allé apporter son soutien à X***, parce qu’il avait de meilleurs sondages que moi ». Comment interpréter ?

Hegel nous dit : interprétez comme vous voulez : ça ne change rien, parce que dans le domaine politique, ça revient au même. Chacun de nous ne vit jamais que dans la sphère de la subjectivité, personne ne peut dépasser sa propre individualité, ni sa propre époque. Que je veuille le bien de mon pays ou mon bien propre, ça change certes quand à l’attitude morale ; mais ça ne change rien du point de vue du résultat dans l’histoire. Les pires tyrans, les plus cruels et les plus cupides peuvent avoir laissé dans l’histoire une trace exceptionnelle - Alexandre est connu pour avoir massacré 8000 personnes lors de la prise de Tyr - Mais des rois peuvent avoir eu une attitude morale admirable et avoir ruiné leurs peuple malgré tout.

Conclusion : Alors quoi ? Les grands hommes ils n’existent pas ? De Gaulle, comment il savait que la France n’avait pas perdu la guerre ? (cf. message 18 juin 2006). Alors oui, ils existent mais leur capacité à incarner leur époque ne leur donne qu’une vision historique… du présent. Mais l’avenir n’est pas l’objet de science.

Il n’y a que le philosophe hégélien pour se croire capable d’une telle science : c’est pour ça qu’il ne faut surtout pas lui donner le pouvoir.(1)

(1) Oui, ça marche pour les marxistes aussi.

Wednesday, April 18, 2007

Citation du 19 avril 2007

Nos vies valent plus que leurs profits.

Olivier Besancenot – Slogan de campagne

Alors, vous aussi, vous êtes séduit par le lyrisme humaniste de ce slogan ? En tout cas, moi, si j’avais 16 ans, je voterais Besancenot (si j’étais lui, j’exigerais même que le droit de vote soit abaissé à 16 ans).

Parce que, c’est vrai, une telle formule paraît tellement incontestable qu’on se demande ce qu’on pourrait demander d’autre. Pétrie de justice et d’humanité, elle se dresse face à la bête immonde qu’est le capitalisme… Bref, c’est le moment de citer la Mère Denis (oui, je sais qu’on s’en rappelle encore) : « Ch'est ben vrai cha »

Toutefois, on ne fait pas de la politique avec des slogans, mais avec des idées, soutenues par des arguments : si cette formule est bonne et vraie, c’est qu’elle résiste à la critique. Essayons celle des libéraux par exemple. Faut-il supprimer les (super)profits ? Le B.A.-BA du libéralisme consiste à dire que si on veut que la part de gâteau soit plus grosse, il ne faut pas modifier la découpe, il suffit de rendre le gâteau plus gros. Sommairement on dira que l’enrichissement de quelques uns retombe en prospérité sur tous. C’est ainsi qu’on a justifié, dès le 18ème siècle le luxe (voir message du 15 janvier 2007). C’est également ainsi qu’on justifie aujourd’hui les inégalités sociales, dans la mesure où l’exigence de bien être et de sécurité resterait compatible avec elles (voir aussi message du 18 mars 2007 sur la Fable des abeilles).

Mais ça va plus loin que ça. Les libéraux ne pensent pas seulement que les profits de quelques uns sont compatibles avec la prospérités de tous ; ils estiment aussi qu’ils sont la condition de la prospérité. Voyez ce qu’on dit de la mondialisation : elle nous est globalement profitable, et si on perd des parts de marchés ici, nous en regagnons (voyez l’engouement pour le marché chinois).

Le seul problème est dans le contrôle de tout ça : parce que dans nombre de pays la corruption et le détournement des fonds publics laissent le peuple dans la plus noire misère. Rawls (1) propose la loi du maximin : les inégalités sont tolérables à condition qu’elles soient profitables aussi aux plus pauvres. Ce qui suppose donc bien qu’on ne compte pas sur la vertu des hommes pour régler les problèmes de la vie politique ; mais qu’il faut un pouvoir incorruptible pour les gouverner avec leurs vices

Finalement le problème n’est pas de savoir si les hommes sont comme l’âne qui n’avance qu’avec la carotte et le bâton. Il est de savoir qui propose la carotte et qui manie le bâton.

(1) John Rawls - Théorie de la justice - Coll. Points-Essais

Tuesday, April 17, 2007

Citation du 18 avril 2007

La politique, c’est éphémère, mais une équation est éternelle.

Einstein - Entretiens

Comment mettre en parallèle la politique et les mathématiques ? On ne peut le faire qu’à condition de trouver un point commun, qui puisse servir de base de comparaison ; or, il semblerait à première vue qu’aucun point d’intersection n’existe entre ces deux domaines.

Il est alors d’autant plus intéressant de voir comment Einstein résout cette difficulté. Pour lui, c’est la durée qui distingue la politique des mathématiques (y compris dans leurs applications physiques je suppose) : la politique est éphémère, l’équation est éternelle.

Comprenons que la politique s’inscrit dans l’histoire : ses actions ont un contexte temporel, elles ont un début et une fin. En revanche, les mathématiques n’ont pas d’histoire, ou plutôt si : mais ce qui est historique dans les mathématiques, ce sont les découvertes ; par contre, le contenu découvert est indifférent à la période historique. Le théorème de Pythagore, admettons que ce soit bien Pythagore qui l’ait découvert durant le 6ème siècle (1) ; personne pourtant ne dira que ces propriétés du triangle rectangle aient commencé d’exister le jour où elles furent énoncées la première fois ; et bien sûr personne ne soutiendra non plus qu’elles doivent cesser d’être vraies un jour (2) : c’est en ce sens qu’elles sont éternelles. (3)

Bon, qu’est-ce que ça suppose quant à la politique ? Ça suppose que rien ne dure éternellement en politique. Tout ce qui apparaît dans l’histoire doit disparaître avec l’histoire. Par exemple : la démocratie. Un historien philosophe (dont le nom m’échappe, si vous le rattrapez, envoyez-le moi), après le fin du régime soviétique, considérait que la démocratie était entrain de s’instaurer partout dans le monde (y compris en Amérique du Sud et en Afrique). Il en déduisait qu’on arrivait à la fin de l’Histoire annoncée par Hegel et par Marx, c’est à dire que la démocratie était le régime politique indépassable et donc définitif. Hé bien, en supposant qu’il ait eu raison en disant que ce régime était entrain de s’imposer partout, qu’est-ce qui nous fait croire qu’un autre régime politique inconnu à ce jour n’allait pas naître et combattre la démocratie ? Comprenez qu’en disant « la politique c’est l’éphémère », on ne dit pas simplement qu’on peut à tout moment régresser ; on peut aussi dire que si nous progressons, alors ce que nous estimons bon aujourd’hui peut disparaître demain.

Et si le progrès c’était une société sans Etat ?

(1) Sur ce point voir ceci

(2) A condition qu’on reste dans le cadre de la géométrie euclidienne.

(3) On peut vérifier alors que la réminiscence platonicienne (4) joue son rôle essentiellement dans le cas des mathématiques puisqu’on peut alors faire comme si elles avaient toujours existé.

(4) La réminiscence chez Platon concerne nos connaissances : nous ne faisons jamais que nous ressouvenir de ce que nous avons connu dans une existence antérieures. L’exemple le plus couramment cité est celui du petit esclave du Ménon : à lire ici

Monday, April 16, 2007

Citation du 17 avril 2007

Plus [le monde] se barde de divisions, de règles, de filtrages, de barrières, plus il multiplie les espèces d’hommes qui ne sont pas comme lui, des déracinés, en dehors de sa loi.

Moscovici - Hommes domestiques et hommes sauvages (p.130)

Les sans-papiers émeuvent à juste titre l’opinion, parce que nous sommes tous en puissance ou même en acte déjà des sans-papiers.

Vous ne me croyez pas ? Lisez Moscovici (en particulier Hommes domestiques et hommes sauvages). Ce que dit Moscovici, c’est que plus vous fabriquez d’interdits, et plus vous fabriquez de hors-la-loi.

Et ainsi, vous mêmes. Votre carte d’identité a plus de 10 ans ? Sans-papier ! Vous roulez à plus de 50 en ville ? Hors la loi. Votre chien, il est déclaré ? Non ? Fourrière. Vous traversez en dehors du passage protégé, qui est à moins de 50 mètres ? Contravention. Vous ne déclarez pas en douane vos acquisitions ? Sur-taxe sur la fraude. Vous dites du mal de l’arabe-du-coin ? Raciste ! Vous vous moquez du curé-de-l’imam-du rabin ? Condamné pour « offense aux personnes en raison de leur appartenance religieuses ».

Voilà la paradoxe : plus vous voulez de sécurité, plus vous faites de lois restrictives et plus vous fabriquez de hors-la-loi. Contrairement à ce qu’on pense, il n’est pas nécessaire d’être dans une dictature pour se retrouver dans cette situation. Car avec le progrès technique, les démocraties font aussi bien. Nos amis britanniques nous montrent le chemin : leurs caméras de surveillance sont couplées à des hautes parleurs : « - Monsieur, avec le blouson bleu, veuillez s’il vous plaît mettre votre journal dans la poubelle et non parterre.» Le flicage universel n’est plus une fiction d’épouvante genre 1984. C’est une réalité. Mais si elle existe, c’est parce qu’elle répond au vœu du citoyen.

Rousseau disait : dans une prison, on vivrait bien autant en sécurité.

Sunday, April 15, 2007

Citation du 16 avril 2007

Le présent n'est pas un passé en puissance, il est le moment du choix et de l'action.
Simone de Beauvoir - Pour une morale de l'ambiguïté

Vous voulez embêter un philosophe ? Demandez-lui « Qu’est-ce que c’est que le temps ? »
Kant a répondu : « C’est une forme a priori de la sensibilité» : il paraît qu’il a mis 10 ans à trouver ça, et certains de ses collègues se sont moqués de lui. Le temps, c’est la croix du philosophe.
Simone est plus prudente. Elle ne dit pas ce que c’est que le temps, mais seulement ce que c’est que le présent. C’est déjà plus facile.
Alors, il semble que pour comprendre le présent il faille de distinguer du passé. Banalité ? Oui, je sais bien qu’entre mes vacances de demain et celles de l’an dernier, il y a une sacré différence : les premières sont à vivre pour de vrai ; les autres ne sont qu’à revivre en souvenir.
Mais ça ne suffit pas. « Vivre pour de vrai », qu’est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire que c’est le moment du choix et de l'action. Dans le présent, je peux décider ce que je vais faire, est-ce que je vais à la montagne ou à lamer, est-ce que je pars seul ou avec mes enfants, est-ce que j’emporte mon vélo où les œuvres complètes de Buffon ? Dans le passé, il n’y a plus rien à faire, je ne peux que re-passer mes souvenirs : j’ai été à la mer - et pas à la montagne ; je me suis coltiné les moufflets ; etc...
S’agit-il de banalités ? Non, simplement d’évidences. Mais s’il faut les rappeler, c’est pour une raison qui n’est pas forcément très évidente : nous avons tendance à croire que le présent est un passé en puissance, ce qui veut exactement dire qu’il est immuable et déterminé : pré-déterminé, comme le passé est « post »-déterminé. J’ai en poche pour demain ma réservation pour le bungalow du Camping des flots bleus ; je n’ai donc plus le choix : je n’irai pas camper au pied de la mer de glace. Quelle différence entre ce présent et le passé ? Aucune, du moins d’un point de vue de ma liberté : je n’ai plus le choix, je pourrais déjà écrire les cartes postales que je posterai en repartant. Pourtant ce serait une erreur. Car j’ai encore à agir : le présent c’est le temps de l’action : il faut atteler la caravane et prendre la route. Le passé c’est le temps de l’inaction.
C’est pourquoi c’est le temps des vieux.

Saturday, April 14, 2007

Citation du 15 avril 2007

[Le travail], c'est la meilleure police, [parce] qu’elle tient chacun en bride et qu'elle s'entend vigoureusement à entraver le développement de la raison, des désirs, du goût de l'indépendance. Car le travail use la force nerveuse dans des proportions extraordinaires, et la soustrait à la réflexion, à la méditation, aux rêves, aux soucis, à l'amour et à la haine, il place toujours devant les yeux un but minime et accorde des satisfactions faciles et régulières.
Friedrich Nietzsche - Aurore.

Nietzsche le prophétisait déjà en 1881 : le travail et la sécurité vont de paire. Alors qu’aujourd’hui nos sondeurs de cœurs et de reins se demandent si le thème du travail (= plein emploi) l’emporterait sur celui de la sécurité dans la décision des électeurs, Nietzsche l’affirme tranquillement : la sécurité vient du travail.
On souscrirait aujourd’hui à sa déclaration pour des raisons économiques : celui qui travaille gagne honnêtement sa vie, il n’est pas un voleur ; mieux encore, ayant quelques biens à perdre, il sera un ami de la police. Et on se tromperait.
Car Nietzsche est formel : le travail dont on parle ici, c’est le labeur qui épuise toutes les forces créatrices de l’individu, c’est la besogne qui absorbe les forces humaines et empêche l’épanouissement de l’individu.
C’est une énigme qui a beaucoup interpellé les philosophes du XVIIIème siècle : pourquoi y a-t-il eu si peu de révoltes d’esclaves dans l’antiquité ? Beaucoup pensaient que la perte de la liberté conduisait à l’abandon des qualités qui font de l’homme un être capable de révolte, une sorte de corruption de l’essence humaine. Mais à ce compte, l’abolition de l’esclavage aurait dû conduire à des troubles sociaux importants. En réalité, le travail assure la sécurité parce qu’il fait de la société une fourmilière, où chaque individu est identique à tous ceux qui accomplissent la même fonction : seul l’usage normalisé des forces humaines peut s’exprimer.
Qu’est-ce qui menace la sécurité selon Nietzsche ? C’est l’individualisme ; alors que la société exige que chacun concourre au bien commun, l’individu se consacre à ses propres buts, sans se laisser détourner par ceux des autres. On objectera que notre société bat des records d’individualisme, que l’égoïsme n’a jamais eu tant de place dans la vie sociale et économique ; nous travaillons pour consommer, nous consommons pour jouir égoïstement de la vie. Où est le péril pour la société ? Nulle part, et ça, Nietzsche l’avait bien prévu : car pour cette jouissance là, il faut justement du labeur incessant, il faut épuiser nos forces vives, et sombrer ensuite dans l’entertainment. L’égoïsme dont il parle, est celui qui consiste à affirmer sa propre intelligence et développer ses propres capacités à penser et à critiquer et à produire…
Platon ironisait sur la cité des Pourceaux : nous y sommes.
Et en plus c’est l’année du cochon.

Friday, April 13, 2007

Citation du 14 avril 2007

Il faut prendre l'argent là où il se trouve, c'est-à-dire chez les pauvres. Bon d'accord, ils n'ont pas beaucoup d'argent, mais il y a beaucoup de pauvres.
Alphonse Allais

Le slogan qu’on jugeait bien ridicule : « Il faut faire payer les riches » le serait-il un peu moins si on le comparait à celui d’Alphonse Allais : « Faites payer les pauvres » ?
C’est pourtant sans doute un des thèmes du débat électoral le plus facile à comprendre : faire payer les pauvres n’est pas un programme ; c’est une réalité, et les taxes sont là pour le prouver. La TVA est la même pour tous, et elle pèse plus lourd pour les pauvres que pour les riches.
On a beaucoup parlé de l’incivisme des riches qui fuient la France pour éviter l’impôt (« …Oh oui, ça fait mal… ») ; ceux-ci répondent en alignant les sommes astronomiques qu’ils versent déjà : si un bon citoyen est celui qui paie le plus, hé bien ils paient déjà suffisamment pour être bien considérés.
Mais voyez ce que dit Allais : ce sont les pauvres qui paient le plus, ce sont eux qui alimentent le plus les caisses de l’Etat, par l’impôt indirect. D’ailleurs on entend chaque jour certains candidats déplorer que la part de l’impôt directe diminue constamment dans le budget de l’Etat : vous êtes vous demandé d’où venait le reste ? Hein ? Ça viendrait pas de votre poche, par hasard ?
Mais, riches et pauvres se retrouvent pour refuser de payer. La Fronde (1648) a été déclanchée par le refus général d’une augmentation d’impôt : la monarchie, financièrement épuisée par la guerre avec l’Espagne, doit lever de nouvelle taxes pour financer la guerre ; la guerre elle l’a eue, mais avec son peuple. Et puis, lisez Rousseau (1) : « Par tout pays, dit-il, le peuple ne s’aperçoit qu’on attente à sa liberté que lorsqu’on attente à sa bourse ». Et il ajoutait que « les usurpateurs adroits se gardent bien de le faire que tout le reste ne soit fait. »
Méfiez-vous des candidats qui vous promettent de baisser l’impôt et/ou la TVA : ils mijotent sans doute un mauvais coup contre votre liberté.



(1) Lettres écrites de la montagne, VIIème lettre

Thursday, April 12, 2007

Citation du 13 avril 2007

La plus violente douleur qu'on puisse éprouver, certes, est la perte d'un enfant pour une mère, et la perte de la mère pour un homme.
Maupassant - Les Contes de la Bécasse

Laissons si vous voulez bien la question de la mort de l’être cher, et concentrons-nous sur l’amour. Comment savoir combien on nous aime ? Voyez les enfants : pour savoir si on les aime, ils imaginent qu’ils sont morts et qu’ils regardent leurs parents les pleurer. La douleur de la mort de celui qu’on aime est la mesure de l’amour qu’on lui porte. Plus je pleure la mort d’un être cher, plus il m’était cher.
Reprenons Maupassant : en développant un peu, on arrive aux propositions suivantes :
- Une femme ne peut aimer un homme plus que son propre enfant. Est-ce que ça ne revient pas à dire que l’amour féminin quel qu’il soit, trouve son origine dans l’amour maternel ?
- L’amour d’un homme pour une femme serait, pour la même raison, toujours issu de l’amour de l’enfant pour sa mère.
Et le père dans tout ça ? Il n’aime pas ses enfants ? Ses enfants n’aiment que leur mère ? Comme on le sait, les hommes sont parfois ulcérés de voir quelle place on leur fait dans la société moderne. Est-il si défavorisé ? Comment lui faire une place ? Voyons un peu :
1 - Vous connaissez le discours des féministes (qui prolonge quelque peu cette pensée de Maupassant) : l’homme a la part belle parce que, aimé de sa mère, il n’a qu’à prolonger cette attitude infantile dans l’amour adulte. La femme en revanche, même si elle est aimée de sa mère - puisque cette mère aime tous ses enfants - n’aura pour modèle qu’un amour féminin ; en devenant adulte, elle devra transférer cet amour à l’homme. L’amour pour un homme donc est sans modèle, sans filiation. C’est un amour de rupture.
Conclusion provisoire : au jeu de l’amour, c’est l’homme qui a tiré le gros lot, mais il n’est rien d’autre qu’un Gros Bébé. Et toujours pas de père à l’horizon.
2 - Chez Freud, au contraire, le complexe d’Œdipe donne toute sa place au couple, donc au père. Selon lui, la fille a une attirance pour son père, et une hostilité pour sa mère. Normalement, le garçon, qui vit les rapports symétriques avec ses parents, liquide son complexe vers 7 ans : il renonce à considérer sa mère comme objet d’un désir amoureux, et il intériorise l’autorité du père : c’est comme ça qu’il devient adulte. Seulement la femme, quant à elle, ne parvient jamais à être vraiment adulte parce qu’elle ne liquide jamais totalement son Œdipe.
Conclusion finale :
- quant le père apparaît, c’est la femme (=adulte) qui disparaît.
- quand le père disparaît, c’est l’homme (=adulte) qui disparaît à son tour (le gros bébé).
Maupassant-Freud : Hop ! Par-dessus bord !

Wednesday, April 11, 2007

Citation du 12 avril 2007

Voulez-vous qu'on croie du bien de vous ? N'en dites pas.
Pascal - Pensée
Pas un mot de trop : ça c’est Pascal ! L’inconvénient, c’est qu’il faut choisir entre les différentes significations de ses sentences laconiques.
Ainsi : Pascal veut-il dire qu’on est désobligeant envers les autres en leur serinant nos qualités alors qu’ils préfèreraient nous abreuver des leurs ? Ou bien, qu’à dire du bien de soi-même on est immodeste et donc plein de ce vice qu’est l’orgueil ? Etre immodeste est incompatible avec le bien.
Le résultat, c’est que de toute façon on ne peut dire du bien de soi-même et être crédible. Dirais-je : « Je suis plus intelligente que vous, j’ai réussi le concours le plus difficile de France » ? Ou bien « Je suis la plus belle, j’ai été élue Miss Quelque-chose » ? Non, n’est-ce pas : toutes ces qualités se perdent dès lors que l’on se les attribue.
En effet, lorsque je dis du bien de moi, je prétends que je ne porte pas un jugement de valeur ; je porte un jugement d’existence. « Croyez-moi : je me connais bien, et si je vous dis que je suis le plus intelligent, c’est en connaissance de cause ». C’est ça qui est contesté : non seulement parce qu’il est ridicule de faire d’une comparaison (le plus…que) une réalité objective, mais surtout parce que c’est seulement dans le jugement des autres que nous possédons ces qualités. « La beauté est dans le regard et non dans la chose », dit-on. « Ce n’est que dans un regard aimant qu’on sait qu’on est beau » dit-on encore.
Mais nulle part ce fait ne paraît plus évident que pour la modestie, précisément. La modestie est cette qualité paradoxale qu’on ne peut donc s’attribuer sans la détruire. C’est aux autres de dire que nous le sommes, c’est là la vraie modestie. Voyez La Rochefoucauld : on peut toujours suspecter d’orgueil celui qui fait le modeste, ne serait-ce que par des actes modestes qui seraient exhibés comme des preuves. On se déclare « modeste » parce que c’est une qualité qui rehausse celui qui la porte ; c’est ce qu’on appelle la fausse modestie.
Alors, puisque quoique vous fassiez ça peut être mal interprété, croyez-moi plutôt que Pascal : faites vous même votre publicité.

Tuesday, April 10, 2007

Citation du 11 avril 2007

L'esprit trouve des mystères parce qu'il cherche d'instinct un but et une utilité à toute chose. Il semble qu'il lui soit interdit de concevoir les choses telles quelles - tout au moins telles qu'elles se montrent.
Paul Valéry - Cahiers I
Dis, pourquoi ?... Pourquoi les girafes ont un long cou, et les éléphant une trompe ? Pourquoi les autruches ont des ailes et qu’elles ne volent pas ?
La finalité est un concept philosophique dont l’existence fait en effet référence à un instinct puisque le petit enfant est le premier à nous bombarder de « pourquoi ». Leibniz disait que seule la métaphysique répondait à la question du pourquoi, la science ne pouvant traiter que celle du comment : c’est qu’il voyait dans le pourquoi la recherche de la cause première.
Pourquoi y a-t-il des hommes, plutôt que pas d’hommes du tout ? A cette question, si vous voulez répondre vous êtes obligé de passer par un Dieu créateur, donc par une intention, donc par une mission confiée à l’homme, ou au moins par une norme à la quelle il devra se conformer. Il faut un certain courage pour refuser la question.
Qui donc peut dire : « Je suis sur terre parce que Dieu m’a voulu. Seulement, il ne m’a pas dit ce qu’il voulait que j’y fasse. C’est un mystère… » ? En réalité, il n’y a pas de mystère, parce que je n’ai ni but, ni utilité. Je suis né du hasard : la loterie génétique m’a fait tel que je suis. J’aurais pu mourir d’une appendicite dans ma jeunesse si la médecine n’avait pas été développée comme elle l’est aujourd’hui. Demain je peux mourir d’un arrêt cardiaque sauf si j’ai la chance d’être secouru par un médecin qui passe par là. Celui-là, c’était pas son jour, dira-t-on. Mais en réalité c’est qu’on ne veut pas concevoir les choses telles quelles - tout au moins telles qu'elles se montrent, comme dit Valéry.
Alors si tout est aléatoire, c’est-à-dire si aucune cause n’explique finalement le pourquoi des choses, tout est absurde ? Non, du moins pas obligatoirement. Si vous êtes favorable à la thèse de Sartre, vous direz ceci : puisque le ciel est vide, la place et disponible pour l’homme qui doit l’occuper. Non pas pour se prendre pour Dieu, mais pour dire ce que doit être sa vie : je n’ai pas été missionné pour ceci ou pour cela. Mais c’est à moi de me missionner moi-même : ce n’est pas à moi de dire : « Tu seras un homme, mon fils » (1), mais c’est à moi de dire : « Voilà quel homme je serai »
Le message du philosophe, aujourd’hui, c’est du lourd.

(1) Voir citation du 12 septembre 2006

Monday, April 09, 2007

Citation du 10 avril 2007

Entre le soutien-gorge et la culotte, s'étend cette brève zone de chair nue, boursouflée par les élastiques : étonnante erreur de la mode qui scie en deux le tronc féminin !
Hervé Bazin - La mort du petit cheval
Thèse : pas de sous-vêtement sans vêtements par-dessus. C’est comme ça que j’interprète la phrase de Bazin, qui de ce fait devient une épouvantable banalité
Maintenant, supposez que vous n’ayez que la fin de la citation : « qui scie en deux le tronc féminin », vous allez vous dire : tiens voilà un récit de fait divers, un sadique a encore découpé en morceau un corps de femme. Et en plus, comme pour confirmer cette hypothèse, un tronc féminin, c’est une partie du corps considéré séparément du reste. C’est comme une découpe de boucherie, par exemple la culotte de bœuf.
Alors, cette banalité, ne faut-il pas l’interpréter comme signifiant que Bazin était préoccupé par des pulsions sadiques au moment où il l’a écrite ?
Je sais bien que ce genre d’interprétation est parfaitement invérifiable et ne nous donne aucune piste sérieuse pour pénétrer son œuvre. Mais… Mais supposez que ce soit précisément cette banalité qui ait de l’importance. Je pense ici à Léo Strauss (La persécution et l’art d’écrire) qui explique que dans le cas où la censure interdit toute expression libre de la pensée (en particulier toute critique du régime politique), l’écrivain peut publier sa pensée véritable à condition de la dissimuler dans un fatras de banalités, voire même la signifier allusivement par une affirmation grossièrement erronée.
Ainsi donc, tout repose sur la renommée de Bazin, et sur le fait qu’il ait assumé la publication de son ouvrage. Il y a peut-être ici une signification à tiroir.
En disant « tiroir » comme quand on dit qu’il y a un polichinelle dans le « tiroir ».

Sunday, April 08, 2007

Citation du 9 avril 2007

La chair contre la chair produit un parfum, mais le frottement dans des mots n'engendre que souffrance et division.
Anaïs Nin - Journal (1933)

Rabelais avait une formule pour évoquer les rapports amoureux : ils se « frottent le lard » disait-il (notez, je doute un peu que cela produise un parfum). Anaïs Nin oppose à ce frottement, le frottement dans des mots : deux être se rencontrent en se parlant, plus encore, ils se touchent se pénètrent en paroles.
« - Ecoute, Georges, il faut qu’on parle.
- Mais oui Mimine, ce soir à l’apéro.
- Non, Georges, c’est maintenant, là, tout de suite. Tu te défiles tout le temps dès que je veux te parler de certaines choses. Il faut pourtant le faire… »
Je n’insiste pas : tous les mecs qui lisent ces lignes m’auront compris : quand votre Dulcinée dit : « Il faut qu’on parle », c’est tout le monde aux abris !
Le frottement dans des mots n'engendre que souffrance et division : on a fait toute une théorie de l’incommunicabilité. Oui, bien sûr. Mais il y a des circonstances où se comprendre ne change rien, où les mots ne servent à rien pour régler un conflit : qu’est-ce qu’on change avec des mots ? Pire encore : plus on se comprends et plus on se déteste ; la seule façon de changer l’ordre des choses et des gens, ce n’est pas de leur parler : c’est de leur faire quelque chose.
« - Georges, tu m’as mentis quand tu m’as dit que tu allais passer la soirée chez Alex : il t’a appelé croyant te trouver à la maison. D’ailleurs quant tu es rentré à 4h du matin tu sentais un parfum de femme. Tu me trompes Georges ; dis-moi qu’est-ce que je t’ai fait pour mériter ça ?
- Tais-toi, Mimine, et viens, viens contre mon cœur. Ecoute comme il bat pour toi… »
Vous, les amoureux, copulez sans parler, les caresses se passent du verbe.
D’ailleurs il a eu besoin de se faire chair pour sauver l’humanité (1).

(1) Le verbe qui s’est fait chair : voir ceci . Sur « La chair contre la chair » : voir citation du 26 juillet. Sur l’inutilité des mots, voir citation du 11 et du 28 mars 2007.

Saturday, April 07, 2007

Citation du 8 avril 2007

Quant au péché des habitants de Sodome, je vous raconterai ça une autre fois.

La citation du jour, 28 novembre 2006

Et voilà, ça devait arriver. A force d’écrire sur les citations des autres, j’en viens à me citer moi-même… Rassurez-vous, ce péché d’orgueil ne se renouvellera pas de si tôt, parce que je vais me flageller et puis enfiler ma cilice (oui, celle avec des clous à l’intérieur)…

Alors donc, les habitants de Sodome agaçaient Dieu par leurs abominables débauches (1). Le Père Eternel envoie deux anges pour vérifier sur place la réalité de ces crimes. Les missionnaires de Dieu arrivent à Sodome, ils sont accueillis par Lot qui leur propose l’hospitalité afin qu’ils ne dorment pas sur la place publique. Mais les gens de Sodome, n’aiment pas les étrangers ; ils encerclent la maison de Lot et exigent de celui-ci qu’il leur livre ceux qu’ils prennent pour deux hommes afin de les « connaître » (oui : au sens biblique, hélas). En vain Lot leur propose-t-il de leur donner en échange ses deux filles (vierges) : rien n’y fait. Là dessus ils commencent à casser la porte, au point que l’Eternel les frappe de cécité pour les empêcher d’entrer. La suite vous la connaissez, ou sinon demandez aux survivants de Hiroshima de vous la raconter.

Ce qui est renversant, c’est que l’abominable péché des Sodomites, ce n’est pas essentiellement d’avoir des pratiques sexuelles perverses, c’est surtout d’avoir voulu, par cruauté, sodomiser des anges (2), c’est à dire les agresser par le viol.

Voilà donc ce que nous retiendrons aujourd’hui : la sodomie est importante ici surtout parce que c’est un viol et que le viol est une agression absolue, de celles qui anéantissent au-delà de leur victime directe. Voyez ce qui s’est passé avec les viols de femmes musulmanes en Bosnie, voyez ce qui se passe encore aujourd’hui un peu partout en Afrique. Le viol n’est pas destiné à la jouissance du soudard, il est fait pour humilier : c’est une souillure irrémédiable, celle dont on ne se purifie jamais.

(1) Genèse, 18 et surtout 19

(2) Notez que ça ne résout pas l’épineuse question de savoir quel est le sexe des anges

Friday, April 06, 2007

Citation du 7 avril 2007

Je lève mon verre au beau sexe des deux Hémisphères. - - - Et moi, je bois aux deux hémisphères du beau sexe.
Charles, marquis de la Vieuville (1580-1653)
[ C’et vrai : mea culpa… Comme vous je doute de l’exactitude de cette citation, du moins de son attribution à un honorable contrôleur général des finances. Mais je suis comme je suis : je ne résiste pas à ce géniaaal télescopage.]

Géographes, dites-moi : quel mode de projection convient le mieux à la représentation de la terre ? Croyez-vous détenir la vérité dans ce domaine ?
1ère Réponse - Avec un peu d’imagination, on peut parfaitement représenter la terre de telle façon que l’étude de la géographie devienne un vrai plaisir.


2ème Réponse - Elevons un peu le niveau : Voyez Lewis Carroll et sa Chasse au Snark (Seconde crise) :
L’homme à la cloche (= le capitaine du bateau) propose à l’équipage des cartes marines sans aucune terre ; l’équipage jubile : « A map they could all understand. » Puis l’homme à la cloche s’en prend à Mercator : "What's the good of Mercator's North Poles and Equators, /Tropics, Zones, and Meridian Lines ? » : « Représentations conventionnelles » hurle l’équipage. Vous l’avez compris, la carte sera pour finir une page blanche.
Reconnaissons tout de même que la géographie pose une question éminemment philosophique. Car c’est bien avec des représentations fictives que nous voyageons et découvrons ce vaste monde dans toute sa réalité. De même que les mathématiques nous font connaître l’univers avec des « x » et des « y » qu’on appelle des « inconnues », de même le franchissement de la ligne de l’Equateur surprend le voyageur qui constate qu’elle n’existe pas.
Le 2 mars 2006, nous avions résolu une étrange question concernant les pôles. N’y revenons pas ; mais permettez-moi tout de même de rappeler que la plus grande méfiance est de mise avec la prétention des géographes à nous expliquer ce qu’est le globe terrestre.

Thursday, April 05, 2007

Citation du 6 avril 2007

Il y a en nous des semences de science comme en un silex des semences de feu; les philosophes les extraient par raison, les poètes les arrachent par imagination: elles brillent alors davantage.

Descartes - Olympica (cité dans Baillet - Vie de monsieur Descartes)

La philosophie n’existe-t-elle que dans les traités de philosophie ? Descartes répond : on en trouve aussi, et de plus profonde chez les poètes, quand bien même ils ne feraient que « niaiser ».

La vérité n’est pas notre invention : on ne fait que la dévoiler, non pas dans la réalité, mais dans notre esprit, car elle n’est pas dans les choses, elle n’existe que sous forme d’idées. Il faut dire aussi qu’est-elle une création de Dieu : Il l’a placée dans notre esprit, comme le paysan place la graine dans la terre fertile (des semences de science). Nous n’y sommes pour rien, notre mérite est seulement de savoir la retrouver en notre âme et la méthode exposée dans le Discours est consacrée à cela.

Seulement, si le chemin qui est emprunté par la méthode est rationnel, et il n’est pas le seul. L’imagination est la seconde voie d’accès à la vérité ; elle est empruntée par les poètes qui savent alors la rendre plus étonnante et séduisante.

Il peut être étonnant de voir Descartes mettre ainsi sur le même pied l’imagination et la raison (1). Mais retenons l’idée féconde : poètes et philosophes marchent vers le même but : la vérité. Ils diffèrent seulement par les moyens d’y parvenir. Alors que le philosophe éclaire notre esprit en lui montrant ce qu’on sait de toute éternité, le poète étonne en faisant jaillir la vérité de la conflagration des mots (comme en un silex des semences de feu).

Une preuve de cette explosion poétique ? Faites une expérience : mettez un cache sur le texte que vous lisez de telle sorte que les lignes n’en apparaissent que l’une après l’autre. Si vous vous demandez ce que contient la ligne suivante, vous arriverez à un résultat correct en lisant de la philosophie. Mais c’est rigoureusement impossible en lisant de la poésie. Ça ne vous suffit pas ? Pour une autre preuve, voyez Baudelaire, citation du 10 février 2006

Je finirai en risquant un avis personnel. Entre poète et philosophe, la communauté de terrain est réelle : mais il ne s’agit pas selon moi, de vérité ; il s’agit de sens. Nous cherchons le sens de la nature, le sens de la vie des hommes, et même si le « pourquoi ? » est sans réponse, nous sommes capables de faire de ce silence ce qui donne un sens à la révolte humaine (Cf. Camus). Et cela, avec ses propres ressources, le poète sait très bien le faire aussi.

(1) Il est vrai qu’il écrit cela en 1619, soit 22 ans avant de publier les Méditations.

Wednesday, April 04, 2007

Citation du 5 avril 2007

Il y a de la musique dans le soupir du roseau ; Il y a de la musique dans le bouillonnement du ruisseau ; Il y a de la musique en toutes choses, si les hommes pouvaient l'entendre.

Lord Byron

Il y a de la musique seulement si les hommes peuvent l’entendre.

Quel est le mode d’existence de la musique ? Où existe-t-elle ? Dans l’oreille ? Dans la sensibilité du mélomane ? Dans les signes typographiques qui l’impriment sur du papier ?

Questions oiseuses ? Et pourtant depuis longtemps on se pose ces questions. Déjà Bergson (1) soulignait que la mélodie n’est pas une addition de notes, mais l’ensemble constitué par leur succession, c’est un changement sans rien qui bouge, une succession inanalysable. Changez une seule note de la mélodie : ce n’est plus la même. Changez la durée d’une seule note : la mélodie change. Changez le phrasé : vous n’entendez plus la même mélodie. C’est ça que les mélomanes ont du mal à faire comprendre : pour eux les diverses interprétations de la même composition renouvellent toute l’œuvre musicale, tout autant que la nouvelle improvisation de jazzman renouvelle le thème.

La musique n’existe pas simplement dans la partition musicale, d’où l’inutilité des interrogations sur l’authenticité de l’exécution d’une œuvre du passé. Jouer Mozart sur la piano de Mozart, en consultant son manuscrit : très beau. Mais prétendre qu’on joue comme Mozart voulait qu’on le joue : on ne le saura jamais (2).

Alors, la musique, si elle n’est pas sur la page imprimée, où est-elle ? Dans le gosier qui la chante ? Dans l’oreille qui l’entend ? On raconte que les ethnologues ont fait l’expérience de faire entendre à des indigènes (d’Amazonie je crois) des œuvres musicales occidentales : ils n’ont absolument pas réagi, sauf à Mozart. Le divin Amadeus… Moi qui ai horreur des vaches sacrées, je n’en crois rien. La musique n’existe que reliée à une attente, même et surtout si elle doit s’en écarter, innover par rapport à elle. Elle est solidaire d’une culture, d’une histoire, et, à l’intérieur de ça, elle est solidaire d’une action : exécution, écoute…

Là dessus ne me demandez pas en plus quelles sont les limites de la musique : les variations pour une porte et un soupir, c’est de la musique ? (3)

Et les Fatals Picards, ils font de la musique ?

Hein ? Vous êtes sourd… Bon, ça va.


(1) Bergson, la perception du changement, in la pensée et le mouvantconsulter ici : c’est la 2ème conférence, p. 105)

(2) Vous imaginez, Gustav Leonhardt qui joue les Goldberg sur son clavecin, et Bach qui sort de terre pour le traiter d’âne…

(3) Voir ici


Tuesday, April 03, 2007

Citation du 4 avril 2007

Liberté, égalité, fraternité! Paroles vaines, funestes même, depuis qu'elles sont devenues politiques; car la politique en a fait trois mensonges.

Louis Veuillot

Louis Veuillot voit dans la défaite de Napoléon III à Sedan (le 1er septembre 1870), un châtiment divin. Ça ne vous dit rien ? Mais oui, bien sûr : Pétain en 1940 affirmant que la France payait ses fautes pour les quelles il s’offrait en victime expiatoire (1).

Et pourquoi ce châtiment ? A cause de la politique étrangère de Napoléon III, qui porte atteinte à l’autorité du Très-Saint-Père… Bref, ce n’est pas un apôtre des Lumières.

Discuter sa citation, c’est néanmoins l’occasion de réfléchir au sens politique de la devise de la République.

- Veuillot : pas de liberté en dehors de celle que Dieu nous a donné : ça veut dire que nous sommes responsables de nos péchés et que notre seule véritable liberté est de choisir de se prosterner devant Lui. En revanche, politiquement, ça veut dire être maître de son avenir en tant qu’on peut choisir ce que doit être bien public, en tant que citoyen responsable. Mensonge ? Oui, à condition d’admettre que nous ne pouvons faire notre Salut tout seul. Non si on estime que le Salut n’existe pas.

- Veuillot : pas d’égalité en dehors de celle d’être tous également aimés de Dieu. Mais je ne sais pas trop jusqu’où ça va, puisque la Bible regorge d’exemple d’inégalité de traitement entre les hommes (à commencer par Caïn (2)). L’égalité politique, quant à elle, consiste simplement à ne pas tenir compte des différences entre les individus lorsqu’il s’agit de définir l’orientation politique : suffrage universel.

- Veuillot : pas de fraternité en dehors de la religion. Nous sommes tous les enfants de Dieu, nous sommes donc tous frères, parce que nous avons tous le même père ; c’est donc la seule fraternité qui vaille. Quant à la fraternité politique… mais là j’hésite : où est-ce qu’il a vu, Veuillot qu’il y avait un usage « politique » du concept de fraternité ?

Encore un qui confond la devise de la République française avec sa constitution (dans le texte de 1958 - toujours valable en 2007 - la fraternité désigne l’attitude de la France vis-à-vis … des peuples d’Outre-mer : ça ne s’invente pas : vérifiez, si vous ne me croyez pas)

(1) voir message du 17 juin 2006

(2) Voir message du 12 avril 2006

Monday, April 02, 2007

Citation du 3 avril 2007

Celui qui sans autorité tue un criminel se rend criminel lui-même.

Blaise Pascal - Les Provinciales

D’où vient le droit de tuer l’assassin ? Avons-nous le droit de tuer même celui qui mérite la mort ?

La réponse de Pascal (consulter le texte) : Dieu seul possède ce pouvoir. Les juges le possèdent aussi, mais par délégation. Tous les autres cas sont criminels.

Dans une république laïque, la justice pénale ne pourrait donc pas faire de différence entre le crime et le châtiment, lorsqu’il s’agit de la peine de mort ?

Voici une anecdote : à l’époque de la troisième république, les députés débattent d’un projet de loi visant à supprimer la peine de mort. Un député monte à la Tribune et s’écrie : « Messieurs les députés c’est l’honneur de la France que de renoncer à la peine capitale ! » Une voix dans l’hémicycle se fait entendre : « Que messieurs les assassins commencent. »

Si tuer l’assassin est un « homicide judiciaire » (l’expression désigne la cause de la mort en cas d’exécution capitale aux États-Unis), quelles sont les raisons qui justifient un tel acte ?

Je voudrais éviter les sempiternelles justifications par la "hiérarchie des peines" : laissant le pénal de côté, je me tourne vers le civil.

Au civil, la peine de mort se justifierait-elle par la réparation du préjudice causé aux parents de la victime ? Le Talion, constatant qu'on ne pouvait réparer ce préjudice avec la mort de l'assassin, l'obligeait à verser une somme d’argent (ce qui soit dit en passant rectifie l’idée que le Talion voudrait strictement «l’œil pour l’œil ») . Nous ne voulons pas d’un tel arrangement, parce que nous sommes plus moraux ; le défunt n’avait pas seulement un rôle économique par rapport à ses proches. Alors, lorsqu'on tue l’assassin, à qui - ou à quoi - cela sert-il ?

Là encore, voyez ce qui se passe aux États-Unis : on dit là-bas, que la peine de mort a pour fonction de permettre aux victimes (= aux parents de la victimes) de faire leur travail de deuil. Le deuil, par quoi les vivants se détachent des morts est un processus qui ne fait que commencer avec la mort et qui se prolonge de longs mois, voire des années après (1). Lorsque le coupable est exécuté, la dernière page est tournée, le vie peut alors recommencer. Du moins, c’est ce que les psys nous racontent ; parce que ce sont eux qui ont suggéré que la mort du coupable pouvait servir à quelque chose.

Rousseau, qui ne connaissait pas Freud, prétendait qu’il valait mieux faire ramer les criminels sur les galères: au moins c’est leur survie qui servait à quelque chose.

(1) Voir Freud - Deuil et mélancolie, Appendice à la Métapsychologie

Sur le travail de deuil, voir ceci, ou éventuellement ceci

Sunday, April 01, 2007

Citation du 2 avril 2007

Définition - Journal intime : Relation quotidienne de la partie de notre existence que nous pouvons nous raconter sans rougir.

Ambrose Bierce Le Dictionnaire du Diable (1911)

Nous tous, amis Bloggeurs, nous trouvons normal de raconter notre vie à des gens qui sont n’importe qui, parce qu’on ne les rencontrera jamais. Au point qu’on supposerait presque qu’il est moins compromettant de confier les pages de son journal au Net plutôt que de le conserver dans le tiroir de la table de nuit. Vous ne me croyez pas ? Lisez ce qui suit.

Mon cher journal,

je dois te l’avouer : aujourd’hui je t’ai fait une infidélité.

Tu te rappelle de Clara ? Tu sais, Clara, la fille aux cheveux rouges, celle dont je t’ai dit qu’elle m’avait abordé, comme ça, pour une clop, au MacDo ?

Hé bien, je l’ai revue aujourd’hui, comme ça, par hasard, et je ne sais pas pourquoi, je lui ai raconté tout ce que j’avais fait la nuit dernière quand je suis allée en boite avec Bruno. Je lui ai tout raconté, alors que je n’avais pas même osé te dire avec qui j’étais sortie. Et elle qui m’écoutait, ses yeux acérés braqués sur moi, derrière ses cheveux rouges… Je ne sais pas si tu vois ce que je veux dire : elle m’entendait, mais moi, je ne m’entendais pas : je revivais cette nuit avec Bruno, et rien d’autre.

Ecrire est-il plus compromettant que parler ? On dit : « les paroles s’envolent les écrits restent ». En réalité, c’est la personne à qui on fait la confidence qui importe : la confidence disparaît avec la confidente inconnue. Ici, face au journal intime, pas d’inconnu, c’est moi qui suis le destinataire.

Et en plus, c’est vrai, la confidence restera entre les pages du journal, dotée de cette vie quasi minérale que confère l’écriture . Le blog a pour lui la rassurante éphémérité de la parole : sitôt écrit, sitôt disparu dans les profondeurs des archives pour messages oubliés.

Mais, mon cher journal, ne te fâche pas. Je t’aime et je te préfère à la fille aux cheveux rouges : toi seul a le pouvoir d’accumuler les épisodes de ma vie, toi seul me permets de les avoir tous là sous la main. Je peux te relire, tu me donnes sans compter et avec fidélité l’impression que chaque étape est reliée à toutes les autres, que ma vie ne forme qu’un tout, qu’entre l’espoir de la première rencontre et le bonheur accompli, il n’y a qu’un pas, qu’un seul mouvement…

Et puis, tu sais, les cheveux rouges : je trouve ça affreux.