Monday, December 31, 2007

1er janvier 2008


La citation du jour vous présente ses vœux pour l’année 2008

Je ne publierai que demain la liste de ces philosophes : un peu de temps pour exercer votre sagacité !

Sunday, December 30, 2007

Citation du 31 décembre 2007

Celui qui entre s’imagine entrer le premier, …alors qu’il n’est ni premier ni dernier ni seul ni unique dans une série qui procède d’une infinité d’autres et se reproduit à l’infini.

James Joyce - Ulysse (p.655)

4…3…2…1…0 !!! bonne année !!!

Voilà ce qui va se passer ce soir, à 23 heures 59 minutes et 56 secondes. Le 31 décembre, on fait la fête, parce que ce jour est le dernier de l’année, et que cette année ne recommencera plus.

Dites donc, vous en savez des choses, vous… Comment vous savez que ce jour est le dernier ? Parce qu’il n’y a pas de 32 décembre et que le mois de décembre est le dernier de l’année ?

- Ben oui : il n’y a qu’un seul 2007, et qu’un seul 31 décembre 2007. Voilà

- Sauf que si on vous demandait ce qu’il a de spécial ce jour-là, en tant qu’il est le dernier d’une série, auriez-vous quelque chose à répondre ? Qu’est-ce qui vous dit que demain, 1er janvier sera différent d’aujourd’hui ? Y aura-t-il un autre soleil qui se lèvera ? Votre voisin aura-t-il changé ? Et vous même ? Oui, pardon : vous serez différent puisque vous allez prendre un tas de bonnes résolutions qui vont vous faire radicalement autre. Hum…

Alors, voilà ce que dit Joyce : supposez un instant que rien ne change, ou alors que si ça change, ce changement ne soit que cyclique - donc répétitif - et qu’en plus, il se trouve pris dans un cycle long, très long, infini même (un cycle de cycles). Même si nous admettons que quelque chose finisse ce soir (encore que ce soit purement arbitraire, le début de l’année ayant été très longtemps fixé au 1er avril), on n’aurait encore qu’un maillon d’une série plus vaste ; et que cette série qui se reproduise à l’infini. Autant dire que dans ce cas il n’y aurait pas de différence entre ce jour-là et le suivant.

On sait que Platon avait défini le temps céleste, celui du mouvement des étoiles et des cieux, comme « image mobile de l’éternité ». Car entre une année céleste et la suivante, il n’y a aucune différence, sauf une différence de numéro : à la 2007ème année succèdera la 2008ème.

bonne 2008ème année !!!

Saturday, December 29, 2007

Citation du 30 décembre 2007

Gourmandise, paresse, luxure : ce sont les trois vertus cardinales, les vertus de la Fête. Le Paradis sur terre.

Jean-Louis Bory - Ma Moitié d'orange

Gourmandise, paresse, luxure … sont trois vertus cardinales. La provocation de Jean-Louis Bory est un peu grosse, mais enfin elle a le mérite de poser la question.

Faut-il donc désespérer de la vie pour ne pas céder au péché ? Heureux les malheureux, parce que la royaume des cieux leur appartient !

Pour vous, qui préparez votre Réveillon gourmand et qui demain, allez paresser au lit et peut-être en profiter pour goûter à la lux… (mes doigts frémissent sur le clavier) : je vous poserai deux questions.

- D’abord, avez-vous l’impression que ces joies soient ce qu’on peut espérer du Paradis, du moins du paradis terrestre ? N’attendez-vous que ça ? Estimez-vous que si on atteint déjà à ces plaisirs, on doit s’estimer satisfait ? Où bien si vous recherchez autre chose, pensez-vous que l’espoir apporté par la Nativité du Rédempteur soit ce vers quoi vous devez vous tourner ?

- Le ventre, le bas-ventre et le repos du corps : pensez-vous que la fête consiste à leur donner satisfaction ? Sans les sentiments, sans la pensée, mais avec le paroxysme de la jouissance, sommes-nous au Paradis, c’est à dire les plus heureux possible ?

Vous pensez peut-être qu’hypocritement j’emprunte le masque de J.L. Bory pour venir vous tourmenter avec la perte de sens du Noël religieux. En réalité, je suis sincère quand je demande s’il faut jeter par dessus bord les sentiments et la pensée pour être enfin heureux.

Parce que s’il n’y a que ça à faire, c’est facile.

Faisons-nous bidasses.

Friday, December 28, 2007

Citation du 29 décembre 2007

Ce n’est qu’au début du crépuscule que la chouette de Minerve prend son vol. (1)

Hegel, Georg Wilhelm Friedrich (Principes de la philosophie du droit).

Et voilà… Encore une de passée… Qu’est-ce qui nous attend en 2008 ? A qui le demander ? Et même, tiens : savons-nous seulement ce qui s’est passé en 2007 ? Que tirons-nous des innombrables rétrospectives dont nous abreuvent nous journaux, télé, radios ? Vite : demandons au philosophe !

Alors voilà, le philosophe n’est pas madame Irma. Il n’est pas non plus conjoncturiste, ni historien.

Et, même Hegel, ne voit la chouette de Minerve (= la philosophie) que comme l’oiseau qui vient après coup (voyez son texte, note 1) : il y insiste sur l’incapacité de la philosophie à prédire le cours à venir de l’histoire du monde. Il faut que celle-ci soit accomplie pour que l’heure de la philosophie puisse sonner.

Oui, mais alors, qu’est-ce que la philosophie peut bien trouver à dire, qui ne soit pas simplement de la description, du reportage de journaliste ?

Selon Hegel, il y a des époques dans l’histoire, des périodes qui accomplissent quelque chose qui constitue un tout. On penserait alors en terme de siècle : le « siècle de Périclès », le « siècle de Louis XIV », etc.. Ce qui importe dès lors c’est de comprendre ce qui caractérise ce siècle, ce qui s’y révèle, par delà les évènements brefs et changeants. Tels est le rôle de la philosophie, par opposition à celui de l’historien qui est de relater simplement les faits (2). Bien entendu pour en arriver là, il faut attendre que la période ait fini de produire ses fruits, qu’elle ne rayonne plus, qu’on en soit à son crépuscule.

Sommes-nous en demande des mêmes choses aujourd’hui ? Oui, sans doute, car notre demande n’est pas seulement celle d’une prévision, mais aussi celle d’une signification. Seulement la découverte de signification n’est plus l’apanage du philosophe : au delà de l’historien (cf. note 2) ; vous avez les économistes, les médecins, les biologistes… Et voilà maintenant même les climatologues qui s’y collent.

Et chacun avec sa leçon de morale…

(1) Voici le texte en question :

Pour dire encore un mot sur la prétention d’enseigner comment doit être le monde, nous remarquons qu’en tout cas, la philosophie vient toujours trop tard. En tant que pensée du monde, elle apparaît seulement lorsque la réalité a accompli et terminé son processus de formation. Ce que le concept enseigne, l’histoire le montre avec la même nécessité : c’est dans la maturité des êtres que l’idéal apparaît en face du réel et après avoir saisi le même monde dans sa substance, le reconstruit dans la forme d’un empire d’idées. Lorsque la philosophie peint sa grisaille dans la grisaille, une manifestation de la vie achève de vieillir. On ne peut pas la rajeunir avec du gris sur du gris, mais seulement la connaître. Ce n’est qu’au début du crépuscule que la chouette de Minerve prend son vol. - Hegel, Georg Wilhelm Friedrich (Principes de la philosophie du droit).

Pour en lire un peu plus : voyez ici

(2) On notera le changement de perception du rôle de l’historien tel qu’il nous apparaît aujourd’hui.

Thursday, December 27, 2007

Citation du 28 décembre 2007

Quiconque jouit trop est bientôt dégoûté ;
Il faut au bonheur du régime.

Florian - Le cheval et le poulain (Fables livre 2)

Alors, il est passé ce réveillon ? Et le repas de Noël ? La dinde, le foie gras, les huîtres, vous n’en avez plus la nausée ?

Bon.. Je vois que vous êtes prêt à recommencer le 31 ? Et puis le 1er aussi, chez Belle-Maman ?

Non ? A cause de Belle-Maman ? Non plus ?

Ah… Je vois. Vous n’avez plus très envie de toutes ces bonnes choses, vous êtes saturé : vous êtes donc comme ce poulain de la fable de Florian.

Alors ? Débrouillez-vous, restez chez vous, dites que vous avez chopé la gastro, ou bien que le petit dernier fait une otite purulente, ce n’est pas mon problème. Mais ce que je peux pour vous c’est vous remémorer le message du fabuliste : Il faut au bonheur du régime.

Comprenons bien le sens du message : il faut de la privation pour jouir de l’abondance. Le Poulain de la fable ne profite de son gras pâturage qu’après avoir brouté l’épine et le chardon bibliques. Point de plaisir sans la rupture d’un déplaisir. Au point que la vertu serait suspecte d’être au service du vice… (1)

Que dites-vous ?! Vous n’avez pas le choix, vous devez aller chez Belle-Maman ? Et en plus elle a prévu du filet de bœuf en croûte arrosé d’un Pomerol 1976 (dites-donc elle ne se fiche pas de vous la belle-doche !).

Voici ma prescription pour être en mesure d’en profiter : pas question de vous goinfrer la veille. Menu pour le réveillon du 31 :

- Entrée : potage poireaux pommes de terres (sans beurre ajouté)

- Plat principal : 1 tranche de jambon blanc (fine) avec feuille (une seule SVP) de salade

- Fromage : pas de fromage.

- Dessert : une barquette de Jockey 0 % (vous avez droit à l’Aspartam)

… Oui, je sais ce n’est pas folichons. Mais le bonheur est à ce prix.

(1) Voir Post du 6 octobre 2006

Wednesday, December 26, 2007

Citation du 27 décembre 2007

Un gouvernement c'est comme un bébé. Un tube digestif avec un gros appétit à un bout et aucun sens des responsabilités de l'autre.

Ronald Reagan - Saturday Evening Post - 1965

C’est connu : Reagan avait des gagmen appointés qui lui écrivaient ses vannes, histoire de faire croire qu’il avait de l’esprit.

Seulement ces gens-là manquent d’imagination : ils vont piquer des blagues déjà faites par d’autres pour les présenter comme étant les leurs au Président, afin qu’il puisse briller comme s’il venait de les inventer. Mais enfin, le discours de Dakar qu’on aurait cru écrit par Hegel... ? On n’a pas à se moquer…

Bref. Ce mot d’auteur est une adaptation d’une définition amusante du nourrisson : « Un tube muni d’un côté d’un hurleur et de l’autre d’un échappement libre »

Mais bon. Prenons au sérieux son propos : ainsi donc un gouvernement absorbe beaucoup - quoi donc ? Le pouvoir ? L’argent ? Je pencherai pour l’argent. Le gouvernement est burgétivore. Et qu’en fait-il ? Rien qu’il puisse justifier par des résultats.

J’y vois comme un credo libéral, avec l’idée que tout ce que fait l’Etat serait mieux fait par des entreprises privées - à l’exclusion de ses fonctions régaliennes : la sécurité intérieure et extérieure, la justice, et puis selon certains l’éducation.

Dans l’effort exigé de réduire le coup des services publics, associé à la réduction des prélèvements obligatoires, on trouve des traces de cet aphorisme. Mieux vaut transférer au privé ce que le service public fait mal.

Et le sens des responsabilités qui manque au service public (du genre : « il est 16h30, repassez demain pour me parler de votre problème fiscal») est supposé remplacé par la concurrence (du genre : « je vais chez le percepteur concurrent, lui il ne ferme qu’à 18heures »).

Résultat : Moins d’argent pour les services publics = moins d’impôts. C’est bon ça !

- Sauf que ce que tu ne donneras pas en impôt, tu le donneras en rétribution du service privé.

Lui aussi a un gros appétit.

Tuesday, December 25, 2007

Citation du 26 décembre 2007

Les racines de la France sont essentiellement chrétiennes

Nicolas Sarkozy, Président de la république française, discours au Latran devant Benoït XVI (Jeudi 20 décembre 2007)

Notez bien la date : il y a moins d’une semaine que Notre Président, nouveau Chanoine de Latran, a prononcé ce discours, jugé par certains « laïcicide » : vous en avez entendu parler ? Quelle station de radio en a proposé le débat aux auditeurs (« La question du jour : pensez-vous que les racines de la France soient essentiellement chrétiennes ? ») Non : trop peur que les chers auditeurs zapent sur RTL…

Pour faire bref : dans ce discours, il s’agit de maintenir les deux bouts de la chaîne : d’une côté les racines chrétiennes, de l’autre la laïcité. Quel mal y a-t-il à ça me direz-vous ?

Simplement que ça ne marche pas avec la laïcité militante des républicains, qui veut la séparation stricte et générale de l’Eglise et de l’Etat. Par contre ça marche avec une laïcité à l’anglo-saxonne, née dans les combats religieux du XVIIème siècle, pour qui il s’agit de tolérance, la laïcité étant l’acceptation de la religion des autres (1).

Là encore, quel mal à ça ? Aucun si ce n’est qu’on fait alors l’impasse sur la Révolution française, sur le rationalisme et sur le matérialisme qui l’a imprégné depuis 1789.

Ce qui m’apparaît, c’est que la Révolution de 89 n’a pas pu - ou pas su - anéantir la culture qui l’a précédée. Mais elle a tout de même engendré une attitude intellectuelle qui a aussi imprégné l’histoire de France. Voltaire et Diderot font partie de cette histoire, au même titre que «saint Bernard de Clairvaux, saint Louis, saint Vincent de Paul, sainte Bernadette de Lourdes » (même discours).

Alors, peut-être que le propre de notre Révolution est justement d’avoir induit cette contradiction que nous avons à vivre : plonger nos racines dans la chrétienté et bouffer du curé ?

Parce que notre laïcité, c’est aussi ça.

(1) En Témoigne ce passage du discours cité, que je reprends ici au cas où vous n’auriez pas le temps de le lire en entier : « C’est pourquoi j’appelle de mes vœux l’avènement d’une laïcité positive, c’est-à-dire une laïcité qui, tout en veillant à la liberté de penser, à celle de croire et de ne pas croire, ne considère pas que les religions sont un danger, mais plutôt un atout. »

Monday, December 24, 2007

Citation du 25 décembre 2007 - N°2


Carton d’invitation à une exposition de crèches mis à disposition du public dans certains commerces de Reims (celui-ci : dans un bureau de tabac) (1) (2)

Doux Jésus ! A Reims, on peut lire Hannah Arendt dans les bureaux de tabac ! Et pas n’importe quoi, comme vous pouvez en juger d’après le texte reproduit ici (voir la note).

Alors comme j’ai été un peu partial avec le monde des crèches et avec la Nativité, j’y reviens…

Arendt voit dans la naissance un fait inaugural qui amorce le processus de la liberté. Etre libre, ce n’est pas choisir sans contrainte, c’est rompre avec le déterminisme, pour créer quelque chose de nouveau, quelque chose qui n’aurait pas été sans cette rupture. Et la naissance d’un être humain c’est en effet une espérance de nouveauté.

Je ne développerai pas, mais je voudrais dire que si les chrétiens veulent donner un sens à leur foi avec ce passage d’Hannah Arendt, ils risquent d’être déçus.

- Selon ce texte en effet, dans tout enfant qui vient au monde il y a du petit Jésus ; ou plutôt, la Nativité ne fait que styliser, mythifier cette rupture que constitue la naissance de n’importe quel enfant.

- d’autre part, le petit Jésus, est Jésus Christ, c’est à dire le Messie. Autant dire que s’il est rupture, il est aussi et surtout restauration et non invention d’une quelconque nouveauté. C’est tellement vrai que, dès la naissance, il est promis à la crucifixion. La Passion est inscrite dans Noël.

Allez, on ne va pas se quitter là dessus : écoutez plus Haendel - For unto us a child is born (le Messie). (3)


(1) Je reproduis le texte ci-dessous. Occasion aussi de rappeler que la citation « Un enfant nous est né », n’est pas tirée des Evangiles, mais du livre d’Isaïe 9-5, qui figure dans l’Ancien Testament (voir également le Chœur du Messie donné plus bas)

Le miracle qui sauve le monde de la ruine naturelle, c’est finalement le fait de la natalité, dans le quel s’enracine ontologiquement la faculté d’agir. C’est la naissance d’hommes nouveaux, le fait qu’ils commencent à nouveau l’action dont ils sont capables par droit de naissance. Seule l’expérience totale de cette capacité peut octroyer aux affaires humaines la foi et l’espérance… C’est cette espérance et cette foi dans le monde qui ont trouvé sans doute leur expression la plus succincte, la plus glorieuse dans la petite phrase des Evangiles annonçant leur bonne nouvelle : un enfant nous est né.

Hannah Arendt - La condition de l’homme moderne (ch. 5)

(2) Précisons que cette exposition n'a rien à voir avec celle dont nous avons parlé hier.

(3) Non, ce n’est pas l’Alléluhia… Ce titre reprend la citation fournie par Arendt à la fin de son texte

Citation du 25 décembre 2007 - N°1

Elle a fait un bébé toute seule
Elle a fait un bébé toute seule

Paroles et Musique: Jean-Jacques Goldman 1987 (pour la vidéo, voir ici)

Aujourd’hui, quand une femme fait un bébé toute seule, on ne dit pas que c’est un miracle. Mais rappelez-vous, il y a de ça 20 siècles, dans une étable de Bethléem…

Noël ! Fête de la Nativité… Seulement de la nativité ?

Crèche d’Italie - Reims - Palais du Tau

Voyez ce détail d’une crèche italienne

Ça, c’est une crèche bien convenable, mais qui n’évoque rien que la Nativité, c’est-à-dire une tradition de Noël, avec cet enfant que chacun contemple sans oser le toucher.

Qui donc va le nourrir ? Qui donc va changer ses langes ? Regardez mieux l’image : le petit Jésus ne dort pas ; il fait signe, oui. Mais c’est à l’Ane-Gris qui est couché près de lui.

Voyez maintenant cette autre crèche italienne (toujours exposée à Reims)

Pas de commentaire, n’est-ce pas ?

A « Noël, fête de la Nativité » nous proposons de substituer :

« Noël, fête de la maternité »

N.B. Nous avons déjà eu l’occasion d’évoquer le sein de la Sainte Vierge le 21 juillet 2007

Sunday, December 23, 2007

Citation du 24 décembre 2007

Devenir adulte, c'est reconnaître, sans trop souffrir, que le "Père Noël" n'existe pas.
Hubert Reeves - L'Espace prend la forme de mon regard
- HOU-HOUOUOUOUHou….
- Qu’est-ce qu’il y a mon petit ? Pourquoi pleures-tu?
- HOUHou… Je pleure parce que le Père Noël il va partir…
- Comme ça il va partir ? Non, tu te trompes : il va venir au contraire. Et il va t’apporter plein de beaux joujoux. Tu sais, tout ceux que tu lui as demandés.
Allez sèche tes larmes et va décorer ton sapin pour qu’il puisse y déposer tes cadeaux.
- Mais oui, je sais qu’il va venir.
Mais je sais aussi - HOUHOUHOUHou !!! - qu’il va repartir tout de suite, et que jusqu’à l’année prochaine il ne reviendra plus.
- Et alors, qu’est-ce que ça fait ? Il t’aura en passant laissé tes cadeaux, c’est ça qui compte, non ?
- Non, y a pas que ça qui compte.
- Alors c’est quoi ?
- C’est que le Père Noël - BOUH-HOUhou - c’est le seul qui m’aime.
- Enfin, comment ça « le seul qui t’aime » ? Et tes parents ils ne t’aiment pas peut-être ?
- Eux ? Y m’engeulent tout le temps… Maman m’a dit l’autre jour qu’elle ne m’aimait plus parce que j’avais fait pipi au lit.
- Et ton papa ?
- Mon papa, il est jamais là sauf le dimanche … et alors si je vais dans leur chambre en me levant, y me jettent dehors et il y a une drôle d’odeur dans la chambre…
- Qu’est-ce que tu fais alors ?
- Je vais regarder la télévision jusqu’à ce qu’ils aient pris leur douche.
Tandis que le Père Noël, il ne pense qu’à me faire plaisir, et il ne vient que pour moi.
- Ecoute, mon petit, je vais te dire un secret : le Père Noël n’existe pas. Le Père Noël, c’est tes parents qui l’ont inventé. Donc si le Père Noël t’aime, c’est en réalité tes parents qui t’aiment.
- Le Père Noël… Y existe pas ???
BOUHHOUHOUHOUhouhou…

Saturday, December 22, 2007

Citation du 23 décembre 2007

J'aimerais être une cigarette pour naître au creux de tes mains, vivre sur tes lèvres et mourir à tes pieds.

Anonyme

Voilà : cette citation étant anonyme, vous pouvez vous l’approprier sans scrupule, et la resservir à votre bonne amie comme si vous veniez de l’inventer.

Non ? Décidément ça ne vous dit rien ?

C’est qu’il n’est pas très valorisant aujourd’hui, de se comparer à une cigarette… Et surtout pas comme ça !

Pas besoin d’être psychanalyste pour décoder l’image - que dis-je ? le symbole - contenu dans cette citation. Fumer un cigare ou même une cigarette, ça a quelque rapport avec le phallus. Bien sûr vous l’aviez déjà deviné en lisant l’Anonyme : se développer au creux des mains d’une femme - hein… vous m’avez compris… Et puis vivre - frémir ? - sur ses lèvres, avant de mourir à ses pieds - flaque ! C’est pas très valorisant. Et c’est un peu dégoûtant.

Comment voulez-vous draguer une nana avec ça ?

Et puisqu’on en parle, vous arrivez à fumer tranquille votre clope vous ? (1)

Si vous êtes fumeur, vous avez sans doute ressenti le changement de mentalité qui accompagne l’acte de fumer.

Autrefois, fumer posait la personne, c’était un acte viril, au point que les femmes qui fumaient étaient suspectes de virilité (2). Fumer après l’amour comme pour montrer qu’on l’avait fait et bien fait… Aujourd’hui, on est un assassin asphyxieur de son prochain, et en plus on revendique ça comme une liberté.

Mais enfin, s’il n’y avait que ça, les toxicos de la nicotine n’en seraient pas vraiment impressionnés. Non, ce qui les a définitivement détruits, c’est l’obligation de fumer dehors.

Tous les fumeurs de balcon ou de pas-de-porte le savent : quand il fait moins 5 dehors et que les fumées crachées par les pots d’échappements nappent chaussée et trottoirs, alors la survie devient précaire.

(1) Un curieux phénomène sémantique concerne le terme de clope désignant la cigarette : ceux qui ont … 50 ans et plus ont dû l’observer. Dans les années 60, clope était du masculin : on disait un clope. Vérifiez dans les films de la nouvelle vagues. Ce n’est que dans les années 80 que le clope est devenu la clope. Sans doute parce que ce mot signifiait d’abord un mégot (masculin donc) avant de désigner, comme aujourd’hui, la cigarette.

- Et voilà le travail : votre science va étonner vos amis.

(2) Par exemple Georges Sand qui a fumé tout ce qui pouvait se fumer (je ne parle que du tabac, pour le reste je n’en sais rien) et qui dans sa jeunesse parisienne s’habillait en homme.

Friday, December 21, 2007

Citation du 22 décembre 2007

"Qui a dit : "Un roi sans divertissement est un homme plein de misères"?".

Jean Giono Un roi sans divertissement

Qu'on laisse un roi tout seul sans compagnie, penser à lui tout à loisir ; et l'on verra qu'un roi sans divertissement est un homme plein de misères.

Blaise Pascal - Pensées Fragment 142 Brunschvicg

Le héros de Giono est pascalien jusque dans son mystère (pour s’en convaincre, qu’on jette un coup d’œil sur l’article de Wikipedia, exceptionnellement développé) : il organise des actes de violence montés comme des spectacles - qui ne lui épargnent pourtant pas l’autodestruction finale. Pourquoi ? Pour se « divertir » ?

A propos du divertissement, Pascal emploie un raisonnement par l’exemple : pour démontrer qu’un principe est universel, il suffit de montrer qu’il s’applique jusque dans le cas le plus défavorable. Si même un roi est un homme plein de misères lorsqu’il est sans divertissement, alors a fortiori il en va de même pour tous les autres hommes.

Petit rappel : le divertissement c’est l’effort que l’on fait pour éviter de penser à [soi] tout à loisir, donc pour échapper au face à face avec nous-mêmes, pour éviter de contempler notre effroyable corruption. L’homme n’est rien sans Dieu.

Bon, alors que faut-il pour qu’un roi ait des divertissements ? Pascal nous dit : « un roi tout seul sans compagnie » est sans divertissement ; il lui faut donc une cour et des courtisans - des courtisanes - et des comédies et des ballets et la chasse…

Et pourquoi pas le travail ? Oui, le travail est aussi un divertissement - du moins il peut l’être. Qu’on lise Flaubert. En voilà un qui clame qu’il s’embête. L’embêtement est le mal de sa vie. Et il travaille, il travaille jusqu’à 12 heures par jour sur ses manuscrits ; et il propose à ses correspondant d’en faire autant pour échapper à l’ennui.

Qu’on ne cherche pas là une allusion à l’hyperactivité de certains. Je propose simplement qu’on réévalue le travail - comme activité - en le comparant à la vie contemplative : les moines ne travaillaient pas nécessairement, du moins ce n’est pas comme cela qu’on définirait leur méditation de la Bible. Au cas ou on ne serait pas d’accord, voyez les moines Zen : leur méditation est immobile, sans production matérielle, sans communication. Sans doute parce qu’ils acceptent le face à face avec Dieu, quand bien même ce serait au prix de l’humiliation de leur orgueil.

Et vous, pourquoi travaillez-vous ? Pour avoir des sous, ou pour échapper à l’ennui ?

Thursday, December 20, 2007

Citation du 21 décembre 2007

Le printemps est la saison où les garçons commencent à comprendre ce que les filles ont su tout l'hiver.

O. Henry

Laissons - provisoirement - tomber la référence aux filles et aux garçons : on s’intéressera d’abord à l’ordre de succession des saisons : l’hiver précède le printemps, celui-ci n’est donc pas la première saison de l’année.

- La belle affaire ! Les saisons forment un cycle et selon qu’on le prend à telle ou telle étape, on a toujours une saison avant et une saison après. On pourrait tout aussi bien dire que ça commence par l’été, par l’automne, que comme ici par l’hiver.

- Hé bien non. Ou plutôt il n’est pas dans l’usage de considérer l’hiver comme le début de quoique ce soit, et surtout pas le début d’un cycle annuel.

Prenons l’exemple de l’oratorio de Haydn : les Saisons. Ça commence par le printemps et ça se termine par l’hiver. Et comme ici le cycle des saisons est la métaphore de la vie, on a tout naturellement la jeunesse qui vient avant la vieillesse et la mort. On comprend donc ma surprise de voir notre auteur considérer qu’en amour l’hiver précède le printemps.

Revenons donc au propos de notre citation : il s’agit de manifestations amoureuses, ou pour dire les chose exactement, de la libido. On peut donc penser à la phase de latence par la quelle Freud imagine que passe nécessairement la libido des garçons à partir de 6-7 ans, jusqu’à la puberté.

Ainsi, la permanence du complexe d’Œdipe chez la fille - thèse freudienne bien connue - expliquerait l’absence de cette phase de latence, et donc les manifestations permanente de la libido : celle-ci n’a pas à s’éveiller puisqu’elle ne s’est jamais endormie.

On peut quand même supposer que la libido les garçons, avant de s’endormir comme la Belle au Bois Dormant, a connu un été de particulièrement torride…

Wednesday, December 19, 2007

Citation du 20 décembre 2007

C’est Noël avant Noël ! La citation du jour vous offre ce florilège de citations emprunté au Dictionnaire du parfait cynique de Roland Jaccard (1).

*AIDE*

« Celui qui a besoin d'une aide, ne mérite pas d'en recevoir. » (Ségolène Royal)

*AMANT*

« Il est plus facile d'être amant que mari, pour la raison qu'il est plus difficile d'avoir de l'esprit tous les jours que de dire de jolies choses de temps en temps. » (Balzac)

*AMOUR (du prochain)*

« Si les regards pouvaient enfanter ou tuer, les rues seraient remplies de femmes enceintes et jonchées de cadavres. » (Paul Valéry)

*ARRIVISTE*

« Un homme qui, par ambition, passerait sur son propre cadavre. » (Michel Thévoz)

*BONHEUR*

« Le bonheur n'existe pas. En conséquence, il ne nous reste qu'à essayer d'être heureux sans. » (Jerry Lewis)

*CHRETIEN*

« Bouddha a dit : « Ne flatte pas ton bienfaiteur. » Répétez ces paroles dans un église chrétienne…elles nettoient l'air immédiatement de tout ce qui est chrétien. » (Nietzsche)

*DIEU*

« Si Dieu existait, cela se saurait. » (Michel Contat)

« Dieu aime les pauvres et donne aux riches. » (Proverbe juif)

*DOUTE*

« Quand on est aimé, on ne doute de rien, quand on aime, on doute de tout. »

(Colette)

*EDUCATION*

« Une bonne éducation consiste à concilier le grand bien que vous pensez de vous-même avec le peu de bien que vous pensez des autres. » (Mark Twain)

*ELEGANCE*

« L'art de ne pas se faire remarquer. » (Brummel)

*ENFANTS*

« Les enfants, c'est comme les actes manqués ; si on savait pourquoi on les fait, on ne les ferait pas. » (Michel Schneider)

*FEMME*

« Dans un monde bien fait, on devrait pouvoir échanger un femme de quarante ans contre deux de vingt. » (Roland Jaccard)

*FIDELITE*

« Les jeunes gens voudraient être fidèles et ne le sont pas. Les vieux voudraient être infidèles et ne le peuvent plus. » (Oscar Wilde)

*JESUS*

« Depuis deux mille ans, Jésus se venge de ne pas être mort sur un canapé. »

(Cioran)

*MASTURBATION*

« Si je fais bien l'amour, c'est que je me suis longtemps entraîné tout seul. » (Woody Allen)

*MEDISANCE*

« Si ceux qui disent du mal de moi savaient exactement ce que je pense d'eux, ils en diraient davantage. » (Sacha Guitry)

*PARLER*

« Q'on parle de vous, c'est affreux. Mais il y a une chose pire : c'est qu'on n'en parle pas. » (Oscar Wilde)

*POLITIQUE*

« La politique est l'art d'empêcher les gens de s'occuper de ce qui les regarde. » (Paul Valéry)

*REMARIAGE*

« Le triomphe de l'espérance sur l'expérience. » (Roland Jaccard)

*RIRE*

« Si tu n'es pas capable de rire de toi-même, il est temps que les autres se mettent à rire de toi. » (Thomas Szasz)

*SYMPATHIE*

« N'importe qui peut sympathiser avec les souffrances d'un ami. En revanche, sympathiser avec les succès d'un ami exige une très délicate nature. » (Oscar Wilde)

*TEMPS*

« Si le temps ne changeait jamais, la moitié des hommes n'aurait aucun sujet de conversation. » (Jules Renard)

*TENTATION*

« Dépêchons-nous de succomber à la tentation avant qu'elle ne s'éloigne. »

(Epicure)

*TEST D'INTELLIGENCE*

« Les tests d'intelligence ne prouvent qu'une chose : la piètre idée que nous nous faisons de l'intelligence. » (Albert Jacquard)

*TRADUCTION*

« Les traductions sont comme les femmes. Lorsqu'elles sont belles, elles ne sont pas fidèles, et lorsqu'elles sont fidèles, elles ne sont pas belles. » (Tahar Ben Jelloun)

*VANITE*

« Ce qui nous rend la vanité des autres insupportable, c'est qu'elle blesse la nôtre. » (la Rochefoucauld)

*VIE*

« La vie est le plus grand des vices ; c'est pourquoi on a tant de peine à s'en débarrasser. » (Cioran)

« La première moitié de notre vie est gâchée par nos parents et la seconde par nos enfants. » (Clarence Darrow)

*VIEILLESSE*

« La punition d'avoir vécu. » (Cioran)

*VOYAGE*

« A propos d'un sot qui disait n'avoir rien appris d'un voyage, Montaigne, caustique, observa : « Ce n'est pas étonnant, il s'était emporté avec soi. » (Michel Thévoz)

Dictionnaire du parfait cynique de Roland Jaccard, Zulma, 2007

(1) « …Roland Jaccard a rassemblé ici un feu d'artifice de citations aussi féroces que drôles. Et pas toujours authentiques, en parfait cynique qu'il prétend être… » (Extrait de l’Avertissement de l’Editeur)

Tuesday, December 18, 2007

Citation du 19 décembre 2007

Je désirerais, dit le vieillard … avoir un désir. Ce n’est pas un vieillard, ce vieil homme, c’est la Vieillesse.

E. et J. de Goncourt - Journal - 9 avril 1859 (p. 443)

Ce vieil homme, c’est la Vieillesse : les Goncourt n’ont pas dit « … c’est l’homme, qu’il soit jeune ou vieux. » : ils sont donc moins misanthropes qu’on l’aurait cru. Et pourtant nous savons bien que ce « désir du désir » hante aussi le cœur de plus jeunes.

Il faudrait déjà ne pas commettre l’erreur de croire que cette absence de désir débouche sur l’indifférence supérieure du sage, que ce soit l’apatheia des stoïciens ou l’ataraxie des épicuriens. Ceux-là sont des hommes qui ne désirent rien parce qu’ils ont tout - du moins tout ce qui est désirable - et qu’ils sont devenus inaccessibles à ce trouble que constitue le désir.

Le vieil homme des Goncourt, lui, il serait plutôt dans le registre de la nostalgie, c’est à dire que le souvenir des délices du désir entraîne le désir de le voir réactivé, désir à vide, désir d’un état perdu. Chacun comprend la différence entre désirer posséder une femme aimée et désirer être amoureux une fois de plus.

Etrange désir que celui-là : pourquoi en effet ne pas se considérer comme le sage antique, et se dire qu’on est bien heureux de ne plus avoir ce genre de besoin ?

Pour ma part je considèrerai que c’est là une caractéristique de l’existence humaine : à moins d’avoir atteint la sagesse du Bouddha, nous oscillons entre le plus et le moins de vie, entre l’intensité et le relâchement de l’élan vital (1).

La nostalgie de la Vieillesse serait alors liée à la retombée de la vie dans la végétativité physiologique, les fonctions les plus quotidiennes du corps étant le seul défi qu’il y aurait encore à relever.

Entre les latrines et la Blédine….

(1) Elan vital pris au sens littéral et non au sens bergsonien.

Monday, December 17, 2007

Citation du 18 décembre 2007

Voici venir inévitable, hésitant, redoutable comme le destin, le grand impératif, la grande question : comment faudra-t-il gouverner la terre prise, comme un tout ? Et en vue de quoi l’humanité, prise comme un tout – non plus en tant que peuple ou race- devra-t-elle être dirigée et dressée ?

Nietzsche - La Volonté de puissance (1)

Nietzsche le visionnaire - du moins pensait-il l’être - avait-il pris la mesure de l’imminence de la mondialisation ? Ce monde de l’humanité que les stoïciens avaient appelé de leurs vœux (2), voici que Nietzsche le voit s’approcher - et il tremble.

Mais ce magnifique texte ne laisse pas l’ombre d’un doute : ce n’est pas ce rassemblement qui fait trembler ; c’est la recherche de la valeur qui devra rassembler, guider l’humanité. Et en permettre le dressage (3). Et si Nietzsche tremble, c’est parce qu’il ne voit aucun Dieu, ni aucune valeur de l’ancien monde capable de soulever un monde nouveau.

Quel nouveau Dieu serait capable de mobiliser l’humanité, de l’aimanter par les valeurs qu’il fait rayonner ? A quelle nouvelle table de la loi assujettir cette multitude qui n’est plus celle des esclaves soumis à un maître, mais celle des égaux animés par le même espoir ? Comme Nietzsche, nous savons que si Dieu est mort, alors le temps des idoles n’est pas loin. Nul horizon pour l’humanité.

Examinons l’histoire du XXème siècle : elle nous montre que nos grands empires - empires totalitaires en tête - n’ont cessé de chercher une réponse à cette question.

A présent, nous vérifions chaque jour d’avantage l’exactitude de la prophétie de Nietzsche : nous avons réussi à assembler les hommes. Et nous n’avons pas su leur dire pourquoi.

La mondialisation existe. La technique a réussi là où les politiques et les philosophes des siècles passés avaient échoué : mettre en interaction, en interconnexion, l’humanité entière. Seulement on a laissé l’objectif en blanc ; de fait, chacun y a mis ce qui préoccupe l’humanité depuis très longtemps : la sécurité et la puissance. Bref, cet instinct qui permet d’identifier notre espèce, et non l’humanité, prise comme un tout.

Demandons aux zoologues de nous éclairer : dans une meute, les loups se respectent parce qu’il faut se battre contre les autres meutes. Mais qu’adviendrait-il s’il ne restait plus qu’une meute ?

(1) La volonté de puissance est le titre d’un recueil de fragments posthumes, réunis par la soeur de Nietzsche. Les spécialistes de Nietzsche contestent la conformité de ce montage avec sa pensée ; pourtant cet ouvrage reste édité de nos jours.

(2) Rappelons que ce sont eux qui ont inventé le cosmopolitisme ( les « citoyens du monde »). Seulement pour eux il n’y avait pas à choisir de lois ni de valeurs : la nature l’a fait une fois pour toutes.

(3) Ça, c’est la signature de Nietzsche : quand bien même son nom ne figurerait pas à la suite de cette citation, on l’aurait deviné en lisant ça

Sunday, December 16, 2007

Citation du 17 décembre 2007

Ce temps qui te paraît si long maintenant, dans quelques mois te semblera avoir passé vite ; tu ne te rappelleras plus alors que de l’uniformité de ton inquiétude, sans toutes les intermittences qui peuvent maintenant en mesurer l’étendue.

Flaubert - Correspondance (à sa mère) 14 décembre 1849

(C’est durant le voyage d’Orient qui va de 1849 à 1850)

Que faire pour vivre longtemps ?

Le 10 février 2006, étudiant un citation de Baudelaire, nous disions que pour accroître la durée, il suffit de la diluer, et que la dilution de la durée était liée à l’ennui, et nous supposions même qu’elle en était l’effet. Plus je m’ennuie, et plus le temps me paraît long. Je concluais : Pour vivre longtemps : ennuyez-vous souvent.

Peut-être, mais pas seulement.

Que dit Flaubert ? Une durée scandée par de nombreux évènements paraît plus longue que la même durée vécue dans l’uniformité d’une action unique. La durée vécue est donc fonction de la multiplicité des actions. Dans la routine, lorsque les mêmes actes se répètent indéfiniment, chacun paraît se superposer à tous les autres, ne formant plus qu’un, la durée se contracte. Exemple : voyagez deux jours ; et puis comparez avec un autre voyage, avec un séjour statique d’une semaine. Vous verrez que le second ne vous paraîtra pas tellement plus long que le premier.

Bref ; la durée vécue est bel et bien fonction non seulement de notre action, mais aussi de la façon dont nous intégrons cette action à notre vie. Ce qui signifie que ce n’est pas seulement une expérience de la longueur du temps.

Ce que dit encore Flaubert, c’est que la durée vécue - au présent donc - et la durée remémorée, ce n’est pas la même chose. Ce qui suppose que dans notre existence il y a au moins deux dimensions : l’existence présente et l’existence passée.

Or, voilà Bergson - encore lui : comment parler de la durée sans faire appel à Bergson ? - qui n’est pas d’accord. Il dit que notre vie n’a ni passé ni futur, mais seulement un présent. C’est que toutes nos actions font partie d’une seule et même action qui n’est autre que la construction de notre vie. En sorte que lorsque nous croyons avoir tourné la page, c’est une erreur, parce que le sens de ce qui s’est passé ne peut se décrypter que rapporté à l’ensemble de notre vie - ou du moins à une période longue. Supposez que vous veniez de faire la douloureuse expérience d’un échec. Qu’est-ce qui dira que c’est un malheur ou une chance ? Bien entendu, tout dépendra de ce que vous ferez avec ça.

Si les évènements qui scandent notre vie peuvent paraître se confondre dans le passé, c’est qu’ils ne constituent qu’un seul et même devenir.

Saturday, December 15, 2007

Citation du 16 décembre 2007


L’émoi passe - Miss.Tic - Rue de la Butte aux cailles (Cliché Hadrien Hamel)

- Allo… Claire ? C’est Patrick.

- Patrick ? C’est encore toi ? Mais tu viens juste de m’appeler il y a une minute.

- Mais, Claire, j’ai besoin d’entendre ta voix, de t’imaginer… Où es-tu ?

- Je suis rue de la Butte aux cailles, devant le restaurant et j’attends que ma copine revienne après avoir garé la voiture. Ça te va ?

- Claire, tu te souviens, tout à l’heure dans ta chambre… Enfoui dans tes cheveux, je respirais leur parfum ; et puis après, étendu sur ton corps…

- Ecoute, Patrick, ça va comme ça. Pour le moment, je vais passer la soirée au restaurant avec Christiane, et ce que tu me racontes, c’est pas d’actualité.

- Pas d’actualité ! Mais pour moi, Claire, tu es l’actualité de chacun de mes instants. J’ai envie d’ouvrir la fenêtre de crier aux passants : « Vous n’existez pas ! Il n’y a sur terre que nous deux, qu’elle et moi. »

- Quel émoi ? Tu sais Patrick, l’émoi passe.

- Mais, Claire on ne se connaît que depuis une semaine !

Friday, December 14, 2007

Citation du 15 décembre 2007

Tout portrait qu'on peint avec âme est un portrait non du modèle, mais de l'artiste.

Oscar Wilde - Le Portrait de Dorian Gray

Quoiqu'on fasse, c'est toujours le portrait de l'artiste par lui-même qu'on fait.

Jean Giono - Noé

Faut-il croire que l’autoportrait soit la vérité de l’œuvre d’un peintre, au point que toutes ses autres œuvre soient moins authentiques que lui ?

Bon, ça paraît un peu succinct comme idée. Essayons de réfléchir un peu.

On va se dire d’abord que le portrait n’est pas un reflet de l’artiste, mais l’extériorisation de quelque chose qui ne se montre pas dans la vie quotidienne. Peut-être même n’est-il qu’une invitation à passer derrière les apparences. Ainsi, ce portrait de Courbet par lui-même comporte 2 mystères :

- le premier, c’est : que cachent ces paupière mi-closes ? Sont elle la condition d’un regard plus acéré sur la réalité ? Sont elles un paravent qui permet de voir sans être vu ?

- le second, c’est : quel problème Courbet a-t-il voulu résoudre en se peignant dans cette toile ? Dans quelle mesure était-il quelqu’un de différent après l’avoir peinte ?

Ce qu’on peut au moins supposer, c’est qu’il n’est pas tout à fait exact de dire que l’œuvre du peintre, quelle qu’elle soit - même un paysage - soit son reflet, quoiqu’il arrive. Mais par contre il est sans doute plus exact de penser que l’œuvre du peintre crée l’artiste - ou, si vous préférez, le fait évoluer en même temps que le tableau.

En sorte que, comme le supposent nos auteurs, n’importe le quel de ceux-ci nous dit quelque chose de l’artiste. Mais c’est parce que celui-ci apparaît (comme l’enfant lors de l’accouchement) en même temps qu’il se fait, dans l’œuvre qu’il produit.

Vous me suivez ?

Non ? Alors voyez ceci :

Qui dessine quoi ? Est-ce une main droite qui dessine une main gauche ? Est-ce une main gauche qui dessine une main droite ?
Les deux en même temps, bien entendu. L’artiste en créant son œuvre, crée en même temps le créateur : l'œuvre crée donc aussi l'artiste.

Après tout, ce n’est pas si extraordinaire que ça.
C’est un peu ce qui nous arrive lors que nous produisons pour la première fois quelque chose.

N’importe quoi : un dessin, un texte ou une crème anglaise.

Thursday, December 13, 2007

Citation du 14 décembre 2007

Et qui des deux, à votre avis, fait un plus grand outrage à Jésus-Christ, ou celui qui l'abandonne dans les tourments, ou celui qui le renonce dans les délices ?

Louis Bourdaloue - Sermon sur l'impureté

Je sais : depuis le 24 février 2007 nous n’avons pas évoqué notre prêcheur préféré ; et encore l’avions-nous fait en l’associant à cet urinoir ridicule qui fait s’esclaffer des gens qui se prétendent cultivés…

Siècle d’obscurantisme, de péché et d’orgueil : que le démon t’engloutisse !

Même le Christ, dans les affres de l’agonie, perd confiance : « Mon père ! Mon père, pourquoi m’as-tu abandonné ? » (1) ; qui donc pourrait reprocher à un homme de se croire abandonné de Dieu dans les tourments ? On lit quelque part que lorsqu’on infligeait un supplice mortel, comme la roue, le bourreau devait étrangler le moribond pour abréger son agonie afin que son âme ne « désespère pas de Dieu ».

Brrr !.... Pas gai. Mais pas plus gaie le suite de la citation de notre prédicateur : dans les délices aussi nous renonçons Jésus-Christ (2) : c’est alors un horrible péché, un de ces péchés qui vous damnent à coup sûr.

- Mais alors, dites-moi, comment ça marche le péché ? Comment les plaisirs nous détourneraient-ils de Dieu au point qu’il faudrait plutôt souffrir mille morts que d’éprouver la moindre jouissance ?

- Allez demander ça à votre confesseur. Moi, je sais simplement que l’époque de Bourdaloue, c’est encore la période de la contre-réforme, celle qui oppose la quête de la grâce à la recherche du bonheur. L’homme est sur terre pour faire son salut et non pour être heureux.
Au point que dans le plaisir et la jouissance, nous nous damnerions, simplement parce que dans le plaisir qu’on se donne à soi-même (héhé !), nous voyons la preuve que nous pouvons nous passer de Dieu, alors que seule la grâce divine peut nous sauver.

Allez en paix, mes frères.

Et bonnes souffrances.

(1) "Eli, Eli, lamma sabacthani ?" c'est-à-dire : "Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ?" Matthieu, XXVII, 45-47

- En ces temps de disette idéologique, on cite de plus en plus les dernières paroles du Christ ; en témoigne cette répartie de Madame Royale : « Pardonnez-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font… » (Luc, XXIII, 34). Façon de se présenter comme la victime expiatoire, à moins que ce ne soit pour paraître dans la posture du Messie ?

(2) Renoncer : verbe transitif. Abandonner ce que l'on désavoue

Wednesday, December 12, 2007

Citation du 13 décembre2007

Nos démocraties électives ne sont pas, ou de façon inaccomplie, des démocraties représentatives.

Paul Ricoeur - Entretien avec Daniel Bermond - Juin 1998

La Libye est arrivée à bon port en instaurant la démocratie populaire directe, il n'y a pas d'élections en Libye parce que les Libyens n'élisent pas leurs dirigeants, ce sont les Libyens qui se dirigent eux-mêmes.

Mouammar Kadhafi – Déclaration à la presse mardi 11 décembre 2007

Le régime politique de la Libye est celui de la Jamahiriya, « Etat des masse » : la Libye est un Etat sans parti politique, sans élections de représentants, définie par ses dirigeants comme une démocratie directe. De fait, l’absence de séparation des pouvoirs, et le rôle joué par le colonel Kadhafi, conduit les pays occidentaux à considérer ce pays comme une dictature militaire.

Le colonel Kadhafi a-t-il des conseillers capables de lui expliquer ce qu’il faut dire aux français pour rabattre leur orgueil ? En opposant la démocratie directe à notre démocratie représentative, il joue sur notre inconscient culturel, qui fait de nous, les descendants des sans-culottes, des citoyens qui aspirent justement à cette démocratie sans représentants.

La démocratie participative, inventée par quelques candidats de la récente élection présidentielle laisse en tout cas entendre que, comme le dit Paul Ricoeur, plus de deux siècle après sa naissance, la démocratie représentative reste imparfaite.

La démocratie directe ne permettrait-elle pas de résoudre ces imperfections ?
C’est bien ce que laisse supposer l’évolution actuelle de la Vème république, avec la présidentialisation du régime qui se met en place ; le Président de la république peut gouverner en affirmant aux citoyens : « Vous m’avez élu pour mettre en place les mesures qu’applique mon gouvernement». La campagne électorale remplace ainsi la session parlementaire, et le vote des lois par les députés est un luxe facultatif.

L’important n’est pas qu’on n’ait plus qu’un seule représentant - le Président. L’important est que cet homme se présente comme mandaté par le peuple pour réaliser les volontés du peuple, et non pour décider à sa place. Il n’y a plus alors de pouvoir législatif élu, il n’y a qu’un exécutif élu.

On a compris : la démocratie directe n’est plus très loin, et comme la Libye, nous serons bientôt arrivés à bon port.

Les esprits chagrins considèrent le « bouillant colonel » Kadhafi comme un dictateur : en réalité, en nous montrant le bon chemin, il est un despote éclairé.

Tuesday, December 11, 2007

Citation du 12 décembre 2007

Noël est là, / Ce joyeux Noël, des cadeaux plein les bras, / Qui réchauffe nos coeurs et apporte la joie, / Jour des plus beaux souvenirs, /Plus beau jour de l'année.

Washington Irving

Chers petits enfants,

C’est moi : le Père Noël ! Si je vous écris comme l’an dernier, ce n’est pas pour répondre à vos lettres. Sachez que la seule réponse que je vous ferai sera le 25 décembre à 0h 00 lorsque je déposerai vos cadeaux dans vos petits souliers.

Je viens de lire ce poème de ce monsieur américain que je ne connais pas. Il est très gentil, mais il oublie simplement que moi, le Père Noël, je vis toute l’année, et que je continue donc de vivre après le 25 décembre.

C’est pourquoi je voudrais vous montrer ma maison, là où je vis tant que je ne suis pas entrain de vous distribuer vos joujoux.

Vous me voyez sur cette photo déjà assez ancienne, prise au mois de juillet je crois. Que remarquez vous ? De la neige. Partout. Ce n’est pas un hasard si je vis en Laponie : sans le froid et la neige, comment croyez-vous que je puisse supporter ce manteau, ces bottes, et même cette barbe ?

Et mes rennes ? Hein, comment ils feraient mes rennes dans la chaleurs de l’été ?

Alors, si je vous écris, c’est parce qu’avec le réchauffement climatique, tout ça va disparaître. Vous, les enfants, vous n’aurez plus personne pour vous apporter des joujoux. Parce que, le Père Noël en maillot de bain, avec un traîneau tiré par des dromadaires, ça n’existera jamais.

Or, quand j’entends les discours qui se font à Bali, avec ces gens qui vont se faire dorer sur la plage le dimanche quand les négociations font relâche, je constate que personne ne pense à moi. On pense aux ours blancs, aux pingouins, aux esquimaux, que sais-je encore ? Mais jamais on ne se soucie du Père Noël.

C’est vous, mes chers petits enfants, vous seuls qui pouvez y faire quelque chose.

Menacez vos parents de quelque faire quelque chose de terrible s’ils ne font rien pour m’aider en luttant contre le réchauffement de la planète.

Dites-leur que s’ils ne bazardent pas le 4X4, s’ils n’installent pas des panneaux solaires, s’ils ne recyclent pas l’eau de vaisselle, alors vous allez faire pipi au lit.

Je les connais : ils ne résisteront pas.

Monday, December 10, 2007

Citation du 11 décembre 2007

Déshabillez-moi, déshabillez-moi

Oui, mais pas tout de suite, pas trop vite

Sachez me convoiter, me désirer, me captiver

Juliette Gréco - Déshabillez-moi - Paroles : Robert Nyel. Musique: Gaby Verlor - 1967

Aujourd’hui, la Master class de la chanson : Juliette Gréco nous donne une leçon d’interprétation. Visionnez son interprétation de Déshabillez-moi. Et puis voyez celle de Mylène Farmer.

Première constatation : là où l’une est, disons « érotique », l’autre est franchement pornographique. Certes. Mais surtout, la chanson interprétée par Juliette Gréco nous prend tout entier dans la lente progression du désir ; même pressés, nous ne saurions l’accélérer : comme disait Bergson, il faut attendre que le sucre fonde.

Alors que Juliette nous impose l’attente de la montée du désir, Mylène Farmer presque nue sur scène (= ridicule de demander encore qu’on la déshabille) et cumulant les attitudes provocatrices, est dès le début dans la conclusion de l’acte. La réitération lancinante de la phrase - Déshabillez-moi - devient une provocation jeté à la face d’un public concupiscent ; quant au texte elle aurait gagné à le remplacer par des gémissements suggestifs.

On peut préférer, mais avouez qu’on perd quelque chose en route.

Car on a là toute une pédagogie du désir - au féminin, mais pas seulement (1) - qui nous explique à quoi servent les préliminaires amoureux, pédagogie rendue sensible par la durée de la chanson : 3 minutes 34 secondes. On ne peut pas faire moins. C’est une chanson-recette : recette du désir amoureux (2) ; et comme pour une bonne recette de cuisine, il ne faut pas se tromper dans les proportions et dans la durée de cuisson. Mais quand c’est cuit, alors il faut déguster : le soufflé risquerait de retomber ! Déshabillez-moi, déshabillez-moi / Maintenant tout de suite, allez vite.

D’ailleurs, la métaphore culinaire reste pertinente jusqu’à la fin, quand Gréco-la-Castratrice jette le masque :

- Et vous... déshabillez-vous!

- Oui, chef !

(1) Les paroles ont été composées par un homme, et c’est l’occasion de rappeler que hommes et femmes sont un composé des tendances des deux sexes - C’est encore une fois ce qu’illustraient à merveille les hermaphrodites de Platon.

(2) Et non leçon de séduction. En tout cas, ça va plus loin que les célèbres « leçons de séduction » de la lingerie Aubade

Sunday, December 09, 2007

Citation du 10 décembre 2007

L’histoire n’est que le roman du hasard.

E. et J. de Goncourt - Journal (16 août 1857 T.1 p.293)

Epreuve de Philosophie (Durée 4 heures. Coeff. 7)
Traitez le sujet suivant :

Peut-on dire de l’histoire qu’elle n’est que le roman du hasard ? (1)

......

- Torture mentale ! Prise de chetron ! Avec ça j’ai foiré mon bac blanc !

- Calme-toi, Kévin. Ce n’est qu’un bac blanc après tout. Ecoute-moi, tu vas comprendre.

Déjà, tu te rappelle ce que Pascal disait de l’histoire, que c’était le résultat du hasard des désirs individuels : tu sais le nez de Cléopâtre ? Mon passionnant post du 6 juillet 2006 ?

-

- Et ça, tu connais ? « … nul évènement général ou particulier historique n’annonce nécessairement ce qu’il causera (...) ; d’où résulte la nécessité d’un maître qui conduise de fait en fait par un récit lié dont la lecture apprenne ce qui sans elle serait toujours nécessairement et absolument ignoré. C’est ce récit qui s’appelle histoire. »
Ça, c’est Saint-Simon (Mémoires - Avant propos).

- Qu’est-ce que tu veux ? Que j’accouple Cléopâtre et Saint-Simon ? Si je fais ça je vais me faire allumer par ma prof, ça, c’est garanti.

- Mais non, Kévin. Ecoute un peu : l’histoire, c’est quelque chose d’ordonné, qui a du sens et qui pourtant est fait d’une succession d’évènements indépendants les uns des autres. Il faut donc qu’il y ait quelqu’un qui réunisse tout ça pour le raconter de façon cohérente, parce que la cohérence, vois-tu, elle n’est pas dans la réalité. L’histoire est donc bien un récit - c’est à dire un roman - qui rend intelligible ce fatras d’évènements.

- Bon, là, je vois. Mais je vais pas faire une dissert avec ça. Tu sais bien que si je dis pas aussi « Non, l’histoire n’est pas un roman, blabla… » je me bloque un 6 sur 20.

- C’est que vois-tu Kévin, si tu veux argumenter, il te faut aussi réfuter le point de vue opposé au tien.

Je sens que tu es pressé d’aller rejoindre ta copine, alors je fais vite.
Si le hasard était la seule cause des évènements historiques, on ne pourrait rien prévoir. De ce fait les hommes politiques pourraient tirer à pile ou face ce qu’ils décideraient, et les électeurs choisir pour Président celui qui a le plus beau sourire, puisque de toute façon, ça ne changerait rien.

En réalité, le passé détermine les limites en dehors des quelles on ne peut rien faire. Par exemple, restaurer l’Ancien Régime en France. Ça, même le hasard ne pourrait pas le faire. De même il y a une continuité passé/présent qui assure que, si on ne change rien, alors ça a des chances de continuer comme par le passé. Et donc qu’au lieu de compter sur la chance, il est important de tirer les leçons du passé.

- Bon, bon. Alors si je bosse mieux que l’an dernier, je peux être sûr d’être reçu au bac ?

- Tu as tout compris, Kévin.


(1) Notez la subtile transformation de la phrase des Goncourt, l’usage excluant que les sujets de philo au bac comportent une citation.

Saturday, December 08, 2007

Citation du 9 décembre 2007

Je sais que ce que nous vivons est plein d’inconnues, mais l’histoire a ses temps propres de maturation et le président Sarkozy est sur le Méridien de l’Histoire.

Ingrid Betancourt - Lettre du 24 octobre 2007

Du fond du gouffre obscur où mon coeur est tombé.
C'est un univers morne à l'horizon plombé

Baudelaire - De profundis clamavi (Les fleurs du mal)

De profundis clamavi Pauvre Ingrid : on l’imagine, des profondeurs de la jungle, appelant Notre Président à son secours, espérant de lui un miracle. Si nos rois guérissaient les écrouelles, nos présidents peuvent bien libérer l’héroïne enlevée par des pirates barbaresques… Laissez-moi rêver un peu… Le preux Nicolas monté sur son hippogriffe libère Ingrid, la belle captive - comme Roger délivre Angélique dans l'Orlando furioso… (1)

Ingres - Roger délivrant Angélique

- Un miracle ? Mais non. Madame Betancourt est très claire : c’est de l’histoire qu’elle attend une solution, de l’évolution inéluctable des rapports sociaux et internationaux ; les temps sont venus, et le président Sarkozy est « sur le Méridien de l’Histoire » entendez qu’il va dans le sens de l’évolution historique et politique, qu’il agit, poussé par elle, voire même irrigué par son énergie (2).

Oui, mais… Je ne suis pas sûr que Notre Président soit très chaud pour reprendre sa longue vue de Grand Timonier, échaudé qu’il a été par le Discours de Dakar. Alors, je sais bien que c’est une constante chez nous : le président de la république depuis De Gaulle se doit de voir au-delà de l’horizon, éclairé qu’il est pas sa clairvoyance historique.

Le Méridien de l’histoire existe-t-il ? La génération 68, celle qui a fait joujou avec le bolchévisme et le maoïsme l’a cru : « Aux poubelles de l’histoire, clamait-elle, les révisionnistes, les staliniens, les capitalistes - bien sûr. Gloire au Grand Timonier qui nous éclaire sur le chemin de l’histoire. » Peut-être même que les Khmers rouges y allaient eux aussi, dans le sens de l’histoire. Qui sait ?

Devant les résultats, nous avons appris à nous méfier de tout ce qui prétend déterminer l’évolution. Il y a des choses qui n’évolueront jamais : par exemple, les forts ne cesseront d’écraser les faibles que lorsque cette fatigue sera devenue inutile. Mais partout où ça bouge, partout où ça avance, c’est l’histoire qui s’invente et non pas l’histoire qui nous tire en avant.


(1) Voir l’enlèvement d’Angélique - délivrée par le preux Roger - dans la poème épique de l'Arioste, Orlando furioso (Roland furieux. Oui, c’est au XVIème siècle…)

(2) Méridien : en acuponcture - Chemin suivant lequel circule l'énergie vitale, assimilable à une ligne de flux énergétique continu, comportant une source, une ligne d'écoulement des champs d'élargissement et de rétrécissement, de passage et de chute, et sur le trajet duquel se trouvent situés les points cutanés. (source TLF)

Friday, December 07, 2007

Citation du 8 décembre 2007

Le temps marche pour nous (1) sans sonner, et les heures suivent les heures, disant toujours Aujourd’hui et ne disant jamais Demain, comme une horloge au petit marteau entouré de coton.

Edmond et Jules de Goncourt - Journal (20 juillet 1857 (Ed. Laffont-Bouquin, t.1, p.286)

Dans notre série : « Les poètes » disent mieux et plus lumineusement ce que le philosophes rendent obscur à force de vouloir être clair, voici - toujours à propos du temps - les frères Goncourt.

C’est vrai qu’on croit inutile la lecture du Journal des Goncourt : il a la réputation d’être plein de vachardises sur des gens dont la postérité n’a même pas retenu le nom. Mais ouvrez-le : vous y trouverez une méditation - désabusée il est vrai - mais d’une lucidité impitoyable sur la société humaine.

Ce qu’il y a de neuf - par rapport aux analyses du temps immobile déjà évoquées ici même avec Alice - c’est la douceur, l’absence de sensations qui accompagne ce temps qui n’avance pas. Au fond, on devrait être désespéré de ce silence, de ces heures qui se répètent à l’identique. Mais non.

Alors que la génération des Punks clamait « no future » comme une provocation, un appel désespéré et splendide à plonger dans le chaos, le temps qui ne dit jamais Demain est doux et ouaté. C’est le temps figé des petits vieux qui vivent sans révolte ce présent qui ne s’anime que de souvenirs : de l’horloge des Goncourt, avec son petit marteau entouré de coton, à celle de Jacques Brel, il n’y a qu’un pas (2).

Bon. Qu’est-ce que vous faites à rester là ? Fermez l’ordi, ouvrez les Goncourt.

(1) On parle ici de la vie provinciale. On devine qu’elle n’est elle-même que l’emblème de la condition humaine.

(2) Etrangement, Brel fait, comme les Goncourt, un parallèle entre le temps figé (ici : des vieux) et la vie provinciale : Que l'on vive à Paris on vit tous en province quand on vit trop longtemps

Au fait, vous voulez la vidéo (désespoir garanti) ?

Thursday, December 06, 2007

Citation du 7 décembre 2007

* Le repentir est une tristesse qu’accompagne l’idée d’un acte que nous croyons avoir fait par libre décret de l’esprit

Spinoza - Ethique III, Définition des affects (= sentiments), § 27

* Le repentir n’est pas une vertu, autrement dit, ne naît pas de la raison ; mais qui se repent de ce qu’il a fait est deux fois malheureux, autrement dit impuissant.

Spinoza - Ethique IV, Proposition 54 (1)

A quoi bon se repentir ? Question oiseuse si on s'en tient aux apparences ; utile à y mieux regarder.

Car il est inutile de se demander pourquoi on se repent, comme si c’était un choix qu’on faisait. Le repentir chez Spinoza est un affect (sentiment), autrement dit un état de conscience qui advient en nous : comme n’importe quel sentiment, le repentir est subi et non voulu.

Par contre, comme le montre le scolie de la proposition 54 (2), bien qu’étant, en tant que connaissance, totalement inadéquate, le repentir est utile à la vie en société.

Inadéquate, parce que le repentir est une passion autrement dit qu’il résulte d’une méconnaissance des raisons véritables qui nous font agir. Pour Spinoza, les sentiments sont en général l’effet de l’éducation : l’un éprouvera de la tristesse après avoir commis un certain acte (par exemple s’il a tué un homme) ; l’autre en ressentira de la joie (comme après avoir tué un ennemi).

Toutes fois, compte tenu de ce que sont les hommes, l’humilité, le repentir et le respect sont trois sentiments indispensables pour enchaîner la violence de la foule et pour rendre possible la vie en société.

Alors nous demandions hier : pourquoi se repentir ? Avec quel résultat ?
Nous le voyons avec Spinoza : le repentir est un sentiment qui n’a rien de moral en ce sens qu’il implique de façon illusoire la liberté humaine. L’homme vivant sous la conduite de la raison n’aurait certes pas l’occasion de se repentir, et le repentir n’aide sûrement pas à s’amender (Spinoza ne fait je crois pas de différence entre repentir et remords).

Mais, les hommes étant ce qu’ils sont, le repentir est indispensable pour les rendre vivables


(1) J’ai trouvé un peu partout sur le Net cette citation attribuée à Spinoza : « Le repentir est une seconde faute. » Je ne sais si c’est vraiment de Spinoza, en tout cas je n’ai pas trouvé la référence - peut-être n’est-ce qu’un commentaire de la proposition 54 ci-dessus. Si vous la connaissez, je suis preneur.

(2) Le et non La scolie : voir le TLF, pour une fois à peu près complet : […] -Scolie : Subst. masc., SC. Remarque complémentaire suivant un théorème, une proposition. Si nous avons égard, nous dit le scolie de la proposition XXXIV de la cinquième partie de l'Éthique, à l'opinion commune des hommes, nous verrons qu'ils ont conscience à la vérité de l'éternité de leur âme (J. Vuillemin, Essai signif. mort, 1949, p. 56).

Wednesday, December 05, 2007

Citation du 6 décembre 2007

Définition - Le repentir est une tristesse de l’âme ; le remords est une torture et une angoisse. Le repentir est déjà presque une vertu ; le remords est un châtiment.

P. Janet - Cité dans : Lalande - Dictionnaire technique et critique de la philosophie.

< Je reviens sur la repentance, déjà examinée le 31 juillet 2007 en raison de la confusion qui règne dans ce débat >

- Question du jour : la France doit-elle faire repentance des crimes qu’elle a commis durant 130 ans de colonisation en Algérie ?

- Téléphonez, votre avis nous intéresse, nous vous prendrons à l’antenne à partir de 12h 30.

- Stop ! Qu’est-ce qu’ils font les conseillers du Président (1)? Ils pourraient bien nous expliquer ce que c’est que la repentance, et nous dire pourquoi il ne faut pas en faire acte vis-à-vis de l’Algérie.

Le repentir est un sentiment qui peut avoir une valeur morale. Religieusement, il est requis pour que la confession soit efficace. Bien.

Mais ce qui nous intéresse ici c’est : qui devrait se repentir, pourquoi et avec quelles conséquences ?

<Pour ne pas dépasser la limite des 2 minutes 30 secondes que vous avec à m’accorder, je m’en tiendrai aujourd’hui à la 1ère question. La suite demain.>

- Qui doit se repentir ? Si le repentir est un fait moral, il requiert un sujet unique, celui-là même qui a commis l’action dont on se repent. Quand Notre Président dit à Bouteflika (comme l’agneau de la fable) : « Je n’était pas né lors des faits », c’est ça qu’il vise. Comment se repentir de ce qu’on n’a pas commis ? Et vous qui me lisez, sincèrement, vous ressentez du repentir à propos des crimes de la guerre d’Algérie ?

On voit donc l’enjeu : si c’est le Président qui doit exprimer le repentir, c’est au nom du peuple français qu’il doit parler et non en son nom propre. C’est la France qui est coupable, qui reconnaît sa culpabilité et qui la regrette.

Mais du même coup, on comprend aussi l’insistance de la France à coller ça dans les bras des historiens : si l’histoire intervient, elle va parler d’époque, de période de l’histoire, de système colonial européen, que sais-je moi ? Bref : elle va casser cette belle continuité.

Entre les colons qui faisaient « suer le burnous » et nous, il y a toute l’épaisseur de l’histoire du 19ème et du 20ème siècle.

Restent les tortionnaires de la guerre : il y en a quelques uns qui pourraient sortir de leur silence et se repentir devant leurs victimes. Mais pour ça, ils faudrait peut-être aussi qu’ils comprennent eux-mêmes leurs gestes.

(1) Je pense bien sûr à Henri Gaino, lui qui a concocté le Discours de Dakar, pompé sans vergogne dans La raison dans l’histoire de Hegel. Après avoir rôdé du côté de Nietzsche (voir là encore le 31 juillet) qu’il aille faire un tour du côté de Spinoza..

Tuesday, December 04, 2007

Citation du 5 décembre 2007

Ainsi qu’un corps qui aurait des yeux en toutes ses parties serait monstrueux, de même un Etat le serait, si tous ses sujets étaient savants. On y verrait aussi peu d’obéissance que l’orgueil et la présomption y seraient ordinaires.

Cardinal de Richelieu, cité par E. et J. de Goncourt - Journal , 4 juillet 1857

Voici une citation qui devrait nous aider à mesurer le chemin parcouru depuis les Goncourt.

C’est en effet une banalité de constater combien l’éducation du peuple a été crainte par les pouvoirs de toute nature. Depuis Platon, qui dans sa Lettre VII conditionne déjà la divulgation du savoir à des mérites et des capacités supposés absents dans le peuple, jusqu’aux Goncourt - qui applaudissent à tout rompre aux propos de Richelieu - on considère que la science apporte un pouvoir dont le peuple ne saurait pas se servir à bon escient. Pire : il se croirait apte à juger le pouvoir, le mettant ainsi en péril.

Bien entendu, de leur côté, les révolutionnaires, les vrais, comme Condorcet, ont soutenu que la révolution démocratique exigeait l’éducation populaire.

Mais pour qui jette un coup d’œil sur notre système éducatif, la révolution accomplie n’a plus grand chose à voir avec les enjeux du débat actuel.

Certes, jusqu’à nous, l’éducation était un enjeu politique : donner une instruction à tous, c’était émanciper le peuple . Mais aujourd’hui, qui donc demande ça à l’Education Nationale ? Qui donc pose la question : qu’est-ce que cette discipline qu’on me propose d’apprendre, va m’apporter en terme de liberté et d’autorité par rapport au pouvoir ? Hélas ! Chacun le sait : ce qu’on demande c’est « Combien ça coûte ? » et « Qu’est-ce que ça va me rapporter ? ».

S’il fallait prouver cela, je me contenterais de rappeler que l’école est jugée sur ses aptitudes à apprendre un métier aux jeunes, que ceux-ci, quand ils consentent à travailler, le font pour avoir un « bon métier ». Que les Lycées professionnels sont à la pointe de la pédagogie, eux qui ont inventé la « pédagogie par objectif », qui aligne les items du programme sur des objectifs professionnels, système qu’on propose d’imiter à toutes les autres discipline

Si Richelieu revenait aujourd’hui, il ne ferait pas fermer les écoles. Inutile. D’ailleurs, lui-même en sortirait de l’école. L’Ecole Nationale d’Administration.

Monday, December 03, 2007

Citation du 4 décembre 2007

Montaigne doutant des dogmes de la sottise ancienne, voilà un grand mérite ; il a entrevu quelques petites choses ; enfin, son charmant style sans lequel personne ne parlerait de lui. »

Stendhal - Journal - septembre 1834

voilà un grand mérite : ironie stendhalienne (1).

son charmant style : méchanceté stendhalienne ; une femme légère a de la valeur parce qu’elle charme. Un style est mièvre et superflu s’il n’est que charmant.

Je n’ai ni l’intention, ni la prétention de prendre la défense de Montaigne. Je voudrais comprendre non pas pourquoi il est dédaigné par bon nombre d’auteurs (= Stendhal n’est pas le seul), mais pourquoi - à supposer qu’ils aient raison - pourquoi on lit malgré tout encore Montaigne ? Est-on comme le prétend Stendhal encore sous le charme de son style ? J’en doute : lisez un peu Montaigne et dites-moi si ses phrases avec leur structure grammaticale latine, si son vocabulaire du XVIème siècle, vous enchantent à ce point (2).

Alors, c’est vrai que Montaigne n’a pas une philosophie bien originale, et d’ailleurs ce serait contradictoire avec sa volonté de rendre sa pensée indépendante de l’autorité d’un savoir. Mais il est vrai aussi que ce n’est pas cela qu’on y cherche.

Ce qu’on y trouve, c’est la vie d’un homme, qui s’expose dans ses joies et ses tourments, et qui nous dit comment il retrouve la pensée de certains grands auteurs dans les évènements de sa vie. Pour Montaigne, l’important n’est pas ce qu’on sait, mais ce qu’on fait avec ce qu’on sait.

Bon. Ça on le sait même si on n’a lu que des notices d’encyclopédie sur Montaigne. La question c’est : pourquoi lit-on les Essais, qui pouvaient intéresser peut-être quelques uns des proches de Montaigne, mais pas le public, chacun devant être concerné par sa propre démarche et non par celle des autres. Ce qui m’intéresse n’est-ce pas, c’est : qu’est-ce que je fais, moi, avec Sénèque - et non pas : qu’est-ce qu’il fait lui, Montaigne, avec Sénèque.

Sans doute. Mais qui donc le fait ? Et si on sent qu’on devrait au moins le faire, n’est-ce pas grâce à quelqu’un comme Montaigne ?

Deleuze disait que la vie d’un philosophe, c’est la projection d’un système philosophique sur le plan de sa vie, un peu comme on dit que l’ellipse, c’est la projection d’un cercle sur un plan. Si la philosophie n’est pas seulement un système un peu stérile de concepts, utile comme le jeu d’échec pour faire valoir l’aptitude d’un cerveau au calcul abstrait, c’est qu’elle se déploie dans une pensée vivante, qui donne du sens à sa vie grâce à ça.

Pour ceux qui sont déjà sur ce chemin, Montaigne est un compagne de route. Pour ceux qui n’y sont pas encore, Montaigne est un sherpa.

(1) Ironie : Figure de rhétorique par laquelle on dit le contraire de ce qu'on veut faire comprendre.

(2) Je veux dire qu’avant de tomber sous le charme de son style il vous faudra apprendre cette langue étrangère et que pour le faire il vous faudra une autre motivation que celle du charme.