Thursday, July 31, 2008

Citation du 1er août 2008

Le combat est père de toute chose.

Héraclite

Voilà qui est dit : tentez la conciliation sociale après ça…

Alors certes, les anarchosyndicalistes du CNT (on m’assure que si on dit simplement « anarchistes » ça convient tout à fait) paraissent des dinosaures de la politique ; qu’ils retournent dans leur XIXème siècle, et qu’on n’en parle plus.

Oui mais, s’il s’agissait d’une thèse métaphysique, et non pas seulement politique ?

Héraclite, le « philosophe obscur », dans ce condensé dont il affectionnait la tournure le dit cette fois clairement : rien ne serait s’il n’y avait des conflits, du combat, si rien ne s’opposait à rien. Pour que le monde soit, il faut au moins deux termes, séparés, opposés, gouvernés par Polemos, le principe du conflit.

Bien sûr, ça ne suffira pas. Les rapports entre ces deux termes pourront aussi être des rapports de complémentarité et d’attirance, d’amitié (Philia). Et la plupart des présocratiques, dont Héraclite, ont fait de ces deux types de rapports : polémos (la guerre) et philia (l’amitié), les deux principes créateurs de toute chose.

– L’erreur des révolutionnaires (dont les anarchistes) serait donc moins de croire en la nécessité de la lutte que d’avoir séparé l’histoire de l’humanité en deux parties successives : d’abord le conflit (type lutte des classes), ensuite l’union (type société sans classe).

Il faudrait penser une dialectique plus intime, qui maintienne les parties opposées en présence dans une union qui serait en même temps un combat.

J’avoue ne pas me faire une idée très claire de ce que ça pourrait donner dans notre vie sociale et politique (encore que la démocratie en soit sans doute une représentation adéquate).

En vérité je vous le dis : c’est dans la vie amoureuse que ce destin tragique de l’homme se montre le plus clairement.

Tragique ? Oui, j’ai dit tragique.

Wednesday, July 30, 2008

Citation du 31 juillet 2008

La princesse de Portugal étant promise à Charles II, il envoya une flotte pour la chercher. On lui manda qu'elle étoit prête à s'embarquer et qu'on l'avoit fait raser. Il dit qu'il n'avoit que faire de cela et qu'il n'aimoit point le c... rasé. Les ministres, qui craignoit qu'il ne la renvoyât ou qu'il n'en eût du dégoût, ordonnèrent à l'amiral d'attendre jusqu'à ce que son poil fût revenu, et on fit la supputation combien chaque poil coûtoit à la nation.

Montesquieu – Spicilège

Les ministres de Charles II sont bien des bourgeois plus habitués à compter leurs pièces d’or qu’à calculer les manœuvres politiques.

Et en effet, penser devant une telle situation à la perte d’argent que représentait pour l’Etat portugais l’absence de poils pubiens de la princesse du Portugal ne viendrait à l’esprit d’aucun politicien véritable – je veux dire : aujourd’hui non plus.

Je n’ai pas d’anecdote aussi croustillante que celle que nous conte Montesquieu, mais l’actualité ne laisse pas de nous en livrer l’équivalent.

Prenez la visite à Paris en décembre 2007 du colonel Kadhafi : il se fait installer une tente de nomade dans les jardins de l’hôtel Marigny, qui est entièrement réservé pour sa suite, et on se demande s’il ne va pas en plus faire paître ses chèvres dans les jardins à la française. Et tout ça pour une visite qui n’en finit plus (8 jours je crois).

Croyez-vous qu’on va se soucier de savoir combien ces fantaisies coûtent au contribuable français ?

Absolument pas. En revanche, les camouflets que le chef d’Etat libyen inflige en public à Notre-Président, en imposant sa présence de dictateur, accusé de torture, de viol, de mépris des droits de l’homme, cet homme dont il doit serrer la main publiquement et sans mettre de gants… (1)

En politique, une seule chose a un prix c’est le pouvoir et tout ce qui va avec en terme d’honneur, de prestige, de gloire. L’argent ne relève pas de cette échelle de valeur.

Immobiliser une flotte entière pour une princesse : ça c’est prestigieux.

Se demander combien ça va coûter, ça c’est petit-bourgeois.

(1) Petite vidéo pour se remettre tout ça ne mémoire.

Tuesday, July 29, 2008

Citation du 30 juillet 2008

L'ennui est donc le désespoir renversé, le désespoir des millionnaires, des acrobates et des humoristes ; c'est la façon qu'ont les riches d'être pauvres.

Jankélévitch – L’ironie

L'ennui … c’est la façon qu'ont les riches d'être pauvres. Inutile j’espère de détailler l’idée (malheur de l’homme comblé dont tous les désirs sont satisfaits avant même d’être formulés) : le seul dénuement connu des riches est strictement moral, et c’est celui de l’ennui.

Est-ce à dire que les pauvres (ou les moins riches) ne connaissent pas l’ennui ?

J’ai toujours été surpris par le spectacle des plages en été, quand le soleil chauffe sur le sable les corps étendus des vacanciers, immobiles, inactifs, tâchant autant que faire se peut… de ne rien faire !

Comment supporter un tel ennui ? J’en ai fini par croire que si tout ce monde se précipite pour embouteiller les portes des villes à la fin du mois, c’est moins parce qu’il faut retourner au travail que par lassitude de cette fastidieuse inactivité.

Tout le monde va me crier : j’aime m’ennuyer pendant les vacances parce que je le veux bien! Un ennui consenti n’est plus exactement le même que l’ennui éprouvé lorsque nous sommes privés de sortie, privés de la compagnie de l’être aimé, privés de divertissement.

Mais justement, pourquoi rechercher l’ennui ? Pourquoi espérer chaque année le retour de cette stérilité et de ce vide ?

Les cyniques répondent que l’ennui des vacances est machiné spécialement pour stimuler l’ardeur au travail. Non seulement se reposer, mais encore, mais surtout, constater combien notre travail est divertissant (sens pascalien).

Reste que je ne vois pas pourquoi rechercher avec un tel appétit l’ennui. Sauf que… l’ennui des vacances, c’est peut-être une façon d’éprouver un peu de la félicité des riches quand le calendrier nous ramène la période où, comme eux, nous ne travaillons plus pour vivre.

Si l’ennui, c'est la façon qu'ont les riches d'être pauvres, ne pouvons-nous pas dire, en paraphrasant Jankélévitch, que l’ennui est un luxe ?

--> L’ennui est la façon qu’ont les pauvres d’être riches.

Devoir de vacances : vous me commentez cette pensée et je ramasse les copies à la fin de l’heure.

Monday, July 28, 2008

Citation du 29 juillet 2008

Après le malheur de naître, je n'en connais pas de plus grand que celui de donner le jour à un homme.
Chateaubriand – Mémoires d'outre-tombe (Première partie, livre deuxième, chap.5)
Le plus grand malheur de l’homme, c’est d’être né… Cette révélation, La révélation du Silène, rapportée par Nietzsche (dans l’origine de la tragédie), est bien connue – je vous en donne néanmoins la version « originale » (celle de Plutarque) en annexe.
Maintenant, Chateaubriand met le doigt sur le corollaire de cette mise en garde : si la naissance est un malheur, alors soyez logiques : ne faites pas d’enfants !
Faut-il donc écouter Chateaubriand (ou qui conque fait le même calcul – cf. post du 29 avril 2007) ? Et vous, pourquoi faites-vous des enfants ? – si du moins vous en faites volontairement. Car, pendant des millénaires, l’humanité a procréé au petit bonheur, à la va-comme-je-te-pousse (sic !), sans même savoir si ça serait un bien ou un mal. Et puis on s’est intéressé à la filiation, parce qu’il y avait un héritage à transmettre. La légitimité des enfants fut une nécessité, et le mariage une loi. La fidélité de l’épouse devint une condition, bien évidemment. A condition qu’elle soit féconde.
Bref, ça servait à quelque chose de faire des enfants ; leur procréation était même une bénédiction du Seigneur.
Le temps passant, l’espérance de vie s’allongeant, les enfants durent s’habituer à s’établir dans la vie sans bénéficier d’un héritage. Dans le même temps, l’éclatement géographique de la famille les dispensa de rester à s’occuper de leurs vieux parents. L’évolution de la culture les débarrassa en même temps des notions périmées de respect des anciens, de culte des ancêtres, etc.
Donc nous n’avons plus aucune utilité de mettre des enfants au monde, et si en plus faire un enfant, c’est faire un malheureux de plus, alors la réflexion de Chateaubriand devrait nous alerter.
D’autant que les méthode contraceptives étant ce qu’elles sont devenues, nous ne laissons plus faire la nature : si nous ne voulons pas faire d’enfants, nous n’en faisons pas.
- Or, voyez-vous, il se passe exactement le contraire de ce que notre Silène nous a présenté. Il est historiquement avéré que les moments où la natalité baisse, sont des moments de prospérité : les pays développés souffrent d’une dénatalité générale. Par contre dans les pays souffrant de famine ou de sous-développement, c’est là que la natalité est la plus forte.
Quand j’ai du bonheur à revendre, je ne fais pas d’enfants ; quand je n’ai que de la misère à partager, je fais des enfants. Là où naître est le plus grand malheur, c’est là que les hommes font le plus d’enfants.
Allez y comprendre quelque chose
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« Le roi Midas demande au Silène qu’il a capturé : « quelle est la chose la meilleure et la plus désirable pour les hommes ? ». Le Silène commence par se taire obstinément, mais devant l’insistance de Midas, il dit avec difficulté et sous la contrainte : « La meilleure des choses, il est tout à fait impossible qu’elle échoie aux hommes et ils ne peuvent y avoir part, car pour tout homme comme pour toute femme, le meilleur c’est de ne pas naître ; mais ce qui vient immédiatement après, c’est, étant né, de mourir aussitôt que possible. » Plutarque – Consolation à Apollonios sur la mort de son fils. (115 d-e)

Sunday, July 27, 2008

Citation du 28 juillet 2008

De nos jours, le premier penseur de bistrot venu, sous prétexte qu'il boit un coca-cola, les fesses sur du plastic, sous un tube de néon, a tendance à croire qu'il en sait forcément plus long que Platon!

Jean Anouilh - Les poissons rouges

Jean Anouilh croit que Platon en sait en réalité beaucoup plus que le premier penseur de bistrot venu.

Qu’est-ce que savait Platon que ce buveur de coca-cola ignore ?

Platon savait comment le monde a été créé ; il savait ce que devient l’âme après la mort ; il savait où se trouve l’Atlantide…

Mais surtout, il connaissait Socrate et il nous a raconté sa vie.

Or, voyez-vous, Socrate, c’est le type qui a dit : « Moi, je suis le plus savant de tous les athéniens, parce que je sais que je ne sais rien. »

Et donc Socrate était plus savant que Platon avec sa science ; et plus savant que le buveur de coca.

[Voilà : j’espère avoir réussi à déplacer le sujet de Platon, où il n’a pas grand intérêt, à Socrate – sans réécrire la citation de Jean Anouilh…]

– Car, comment Socrate pouvait-il dire qu’il ne savait rien ? Etait-ce, comme le soupçonnaient ses interlocuteurs, une fausse ignorance destinée à les mettre en difficulté, à les pousser à la faute par des questions roublardes ? Si ça avait été le cas, on aurait eu affaire à des disputes d’érudits, et on n’en parlerait plus aujourd’hui.

Non. Socrate était un moraliste, et ce qui l’intéressait c’est le bien qu’on pouvait tirer de la science. « Le bien de la science » : entendez en quoi la science nous aide-t-elle à devenir meilleur. En face du mathématicien : dis-moi en quoi les mathématiques t’aident-elles à devenir meilleur ; et en face du stratège, pareil…

Donc la vraie science est celle qui nous rend meilleur, mais pas forcément pas plus riche, ou plus brillant, ou plus fort dans les dîners en ville.

Notre buveur de coca-cola, lui qui pontifie sous les néons du bistrot, est persuadé que chacun serait meilleur si seulement il pouvait penser comme lui ; mais que pour cela il faudrait avoir des intuitions aussi géniales que les siennes. Et tous ses compagnons, même ceux qui sont plutôt Pepsi, ont la même certitude.

Seul le philosophe est différent : lui, c’est le type qui pose les questions, pas celui qui y répond.

– La belle affaire ! Poser des questions sans y répondre, même les petits enfants savent le faire !

--> Attention : le philosophe, lui, il pose les bonnes questions.

Saturday, July 26, 2008

Citation du 27 juillet 2008

A te voir ainsi je retrouve mon âme enfantine
Rien n'est plus pur que les mains d'une femme dans la farine
C'est comme si tu étais ma mère en même temps qu'ma gamine
Rien n'est plus beau que les mains d'une femme dans la farine...

Claude Nougaro (Adaptation française - titre original: "Gravy Waltz"). Musique: R.Brown et S.Allen 1965

Les gastronomes se plaisent à le souligner : les plaisirs de la table ne sauraient être complets s’il n’y avait que le goût. Il faut y ajouter l’odeur – le fumet – les couleurs – la présentation des plats, l’art de dresser la table, etc.

Bon… Mais nous avons encore le toucher et l’ouïe : la cuisine n’apporterait donc rien dans ce domaine ?

Le bruit ne ferait jamais partie du plaisir du repas, sauf à impliquer là-dedans la musique (tafelmusik). Quoique, j’en connais que le glou-glou de la bouteille qui verse dans le verre satisfait à ce point qu’ils inclinent le goulot rien que pour l’entendre…

Quand au toucher, même si on s’autorise à manger avec les doigts, c’est semble-t-il purement utilitaire.

Voyez les préjugés : si nous avions accepté de ne pas séparer la cuisine-préparation et la cuisine-dégustation nous n’en serions pas là. Car c'est certain : le toucher fait partie des plaisirs de la préparation culinaire. Et si Claude Nougaro fantasme dur en regardant sa femme pétrir la pâte (1), nul doute que la jouissance soit aussi du côté de la pétrisseuse.

Et en effet : pourquoi il n’y aurait que le spectateur qui régresserait ? N’avez-vous jamais pétri une pâte à pizza ? Ou à pain ? A quel plaisir avez-vous donc renoncé le jour où vous avez acheté cette machine à pain fleuron high-tech de votre cuisine…

Mais oui, avouez-le : quand vous avez les mains dans la farine, vous retrouvez les plaisirs du petit enfant pétrisseur de pâte à modeler.

– Plaisir du pétrisseur => stade anal.

C’est ça qui vous gène ?

(1) En réalité, comme en témoigne notre citation, il s’offre une bonne régression incestueuse : l’épouse qui devient sa mère et même … sa gamineQuoi ??? Calmons-nous, et disons simplement que, dans la cuisine, la femme devient la femme totale. Qu’on se le dise.

Friday, July 25, 2008

Citation du 26 juillet 2008

De l’œuf (3)

Quand la pierre tombe sur l’œuf, pauvre œuf. Quand l’œuf tombe sur la pierre, pauvre œuf.

Proverbe chinois

Les chinois préfèrent la métaphore de l’œuf et de la pierre à celle du pot de terre et du pot de fer (1). Mais l’idée reste : les faibles ont toujours le dessous en face des forts – même quand ceux-ci sont animés de bonnes intentions.

Mais dans les deux cas on garde l’idée de la friction, du contact, du choc entre le fort (le dur), et le faible (le friable).

- Nous avons dit « friable » et non « mou ». Car l’œuf n’est pas mou, en revanche il est fragile. Et c’est cette propriété qui caractérise sans doute le mieux la faiblesse humaine : l’homme faible est celui qu’un rien vient briser, qui ne résiste à aucune épreuve. D’ailleurs notre bon La Fontaine, outre les deux pots, a montré dans la fable Le chêne et le roseau que la force va avec la souplesse.

Que tout cela soit bien connu c’est évident. Par contre on a peut-être trop insisté sur le rôle de la rencontre entre le fort et le faible pour expliquer les malheurs de celui-ci. Que l’œuf et la pierre ne se rencontrent jamais, ou que le pot de terre aille par un autre chemin que le pot de fer, et tout irait bien ?

Traduisons politiquement cette idée, et nous verrons où elle nous mène. Il s’agirait de privilégier l'individualisme, de sauvegarder les libertés individuelles, tout en se protégeant de leur abus. Que personne ne fasse usage de sa puissance pour priver autrui de ses droits ; que chacun fasse ce qui lui plaît à condition de ne pas s’en prendre à son voisin ; que la propriété soit préservée, à condition que nul n’en soit exclu…

On le devine : le pauvre n’a pas besoin de toutes ces lois, car elles ne changent rien à sa situation. Il sera après comme avant celui dont les droits ne servent à rien car il meurt de faim.

Pour protéger l’œuf, supprimez la pierre, ou bien bétonnez-le.

(1) Lire la fable ici

Thursday, July 24, 2008

Citation du 25 juillet 2008

De l’œuf (2)

Le jeune fils de Nasr Eddin a déniché un oeuf dans un nid et il vient s'instruire aussitôt auprès de son père.
- Regarde, j'ai trouvé un bel oeuf dans un arbre, mais il y a quelque chose que je voudrais que tu m'expliques : comment l'oiseau va-t-il faire pour en sortir.
- Ah, mon fils ! s'exclame le Hodja la mine soucieuse, c'est une question difficile, mais il y en a une autre, beaucoup plus difficile, une véritable énigme...
- Laquelle, père ?
- Comment l'oiseau fait-il pour y entrer ?

Nasr Eddin Hodja – Absurdités et paradoxes

Avant de se poser la question de l’antériorité de la poule sur l’œuf – et réciproquement – on peut légitimement se poser celle de la métamorphose de l’œuf en poussin.

Ce que l’histoire, racontée par notre sage, souligne en effet, c’est la question de l’origine première de la vie.

Si la vie ne peut venir de rien, ne doit-on pas supposer aussi qu’aucune modification ne saurait l’affecter ? Si l’oiseau sort de l’œuf, c’est qu’il y est entré en tant qu’oiseau, et non en tant que petite graine ou en tant que cellule germinale – voire même en tant que poussière.

Et ne croyez pas que ce soit là fantaisie paradoxale destinée à amuser par sa bouffonnerie.

Nous l’avons dit déjà : l’énigme de la naissance est symétrique de celle de la mort . Que se passait-il avant notre naissance ? Où étions nous ? Et ne croyez pas qu’il suffise de dire qu’on a été la petite graine que le papa a mise dans le jardin de la maman. Car, comme on vient de le voir, c’est l’oiseau qui est entré dans l’œuf, et pas une petite graine.

C’est Leibniz, le philosophe à l’érudition inépuisable qui nous livre l’hypothèse permettant de répondre à la question de Nasr Eddin Hodja : les doctrines fixistes de la création de l'homme conduisent supposer que toute l’humanité a été créée par Dieu. Et quand nous disons « toute l’humanité » nous voulons dire : l’ensemble des individus ayant existé, existants actuellement, et devant exister à l'avenir, jusqu'à la fin des temps.

Comment ça marche ? Hé bien c’est très simple : la semence humaine contient en réalité des petits êtres humains (des homoncules) emboîtés les uns dans les autres comme des poupées russes. A chaque génération une poupée ancienne s’évanouit et laisse la place à une nouvelle, qu’elle contenait en elle, et qui contient toutes les générations futures de la même façon.

Si votre petit enfant vous demande : « Dis, papa, où j’étais avant de naître ? » n’hésitez pas à lui répondre : « Dans le testicule d’Adam. » (1)


(1) J'en vois, des petits malins, qui vont me demander "Mais si Adam a plusieurs testicules (2 par exemple), comment l'humanité se répartit-elle entre les deux? Est-ce qu'il y aurait une humanité de droite (= venant du testicule droit) et une humanité de gauche"...
Là je vous demande de me lâcher un peu. J'ai déjà expliqué pourquoi Adam n'avait pas de nombril (post du 17-6-07) ; je crois que ça va comme ça.

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P.S. Il serait injuste de croire que la question de l’origine de la vie laisse tout le monde indifférent. Quand il s’est agit de légiférer sur l’avortement il a bien fallu définir le moment où l’embryon devient un fœtus, où un amas de cellules devient un être humain. Au lieu de demander comment l’oiseau est entré dans l’œuf on se demande ici : quand le fait-il ?

Wednesday, July 23, 2008

Citation du 24 juillet 2008

De l'oeuf (1)

Rien ne pèse tant qu’un secret ;
Le porter loin est difficile aux dames ;
Et je sais même sur ce fait
Bon nombre d’hommes qui sont femmes.

Jean de La Fontaine – Les Femmes et le Secret (1668)

L’histoire inventée par La Fontaine est savoureuse. La voici.

Après l’introduction donnée en citation, La Fontaine enchaîne : Pour éprouver la sienne un mari s’écria, / La nuit étant près d’elle : Ô dieux ! qu’est ce cela ? / Je n’en puis plus ! on me déchire ! / Quoi ! j’accouche d’un œuf ! ─ D’un œuf ? ─ Oui, le voilà / Frais et nouveau pondu : gardez bien de le dire ; / On m’appelleroit poule. Enfin n’en parlez pas.

Bien entendu la femme s’empresse de tout raconter sous le sceau du secret à sa voisine qui en fera autant en ajoutant à l’exploit du mari : Au lieu d’un œuf elle en dit trois. / […] Avant la fin de la journée / Ils se montoient à plus d’un cent.

Qu’un secret soit difficile à garder ; que lorsqu’il s’ébruite il donne naissance à une rumeur ; qu’une rumeur soit crue même quand elle est absurde : voilà ce qu’on sait déjà.

Par contre, ce qui surprend c’est l’épreuve inventée par le mari : pondre un œuf ! Qu’il s’agisse de montrer la naïveté de la femme, soit. Qu’il s’agisse aussi d’inventer une histoire complètement improbable pour être sûr que la rumeur ne puisse pas venir d’une autre source, soit. Mais tout de même, pondre un œuf… Que dis-je « pondre »? C’est « accoucher » qu’il faut dire (J’accouche d’un œuf dit le mari).

A partir de là, je serais pour ma part tenté de prendre cette fable un peu plus au sérieux ; ne serait-ce pas aussi l’histoire d’un désir secret : celui d’un homme qui voudrait accoucher de ses enfants ?

Et en effet, l’homme a bien le fantasme de posséder l’autre sexe. Freud le dit (1) : le sexe est un choix opéré très jeune, au sein de la bisexualité. Mais si ce choix n’était pas tout à fait total ?
Allons plus loin : si le sexe masculin revendiqué par l’homme allait de paire avec un désir encore plus secret : celui d’enfanter comme la femme ?
Dans ce cas nous serions renvoyé à cette évidence qu’on oublie souvent : l’acte sexuel n’est qu’une étape dans un processus qui aboutit à la naissance d’un enfant (2) – tout le reste est perversion (3). A ma connaissance les freudiens l’ont repéré dans la sexualité féminine ; et si on le repérait aussi dans la sexualité masculine ?

L’homme dans ce cas ne saurait se contenter d’être le père de ses enfants ; il voudrait en être aussi la mère.

(1) En particulier dans les 3 essais sur la théorie de la sexualité

(2) C’est comme ça que l’Eglise prône l’abstinence.

(3) Freud dixit ; si vous n’appréciez pas, adressez vous à lui.

Tuesday, July 22, 2008

Citation du 23 juillet 2008

Hokusai et nous (3)
… cette terrible planche, ce corps nu de femme, évanoui dans le plaisir, sicut cadaver, à tel point qu’on ne sait pas si c’est une noyée ou une vivante.
Edmond de Goncourt – Hokusai (p.175)
Ce commentaire d’Edmond de Goncourt accompagne l’estampe ci-dessous.


Hokusai – Estampe extraite de Modèles d’étreinte (vers 1816)
L’estampe japonaise – ou chinoise – est peut-être pour vous synonyme d’image érotique ? Pourtant, même si l’érotisme est présent dans certaines estampes japonaises, il s’agit d’un érotisme qui n’est pas forcément celui que nous affectionnons.
J’en veux pour preuve cette estampe d’Hokusai qu’Edmond de Goncourt avait déjà signalée pour l’expression étrange de la femme : yeux clos, bouche entrouverte, si l’on ne voyait pas la partie droite de l’image on la croirait en effet évanouie ou noyée.
Mais enfin, cette estampe fait bien partie d’un recueil intitulé « Modèles d’étreinte » ; il s’agit donc d’éducation érotique. Nous, occidentaux, nous attendrions plutôt quelque chose de plus explicite, de plus « anatomique ». A moins que l’érotisme ne suppose au contraire quelque chose de suggestif, qui sollicite l’imagination.
Rien de tout ça ici.
Rien ? Pas tout à fait.
Le modèle d’étreinte proposé par cette planche vise à décrire la manipulation par la femme du sexe de l’homme. Banal. Mais si la position de la main de la dame qui étreint le sexe masculin n’a rien de très original, en revanche elle a pour fonction essentielle de conduire le regard vers celui-ci. Et c’est là que le fantasme se révèle.
Qui donc a vu un sexe pareil ? Loin de moi l’idée de solliciter des commentaires licencieux sur ce genre d’expérience. Ce que je veux dire, c’est qu’en plus de la dimension phénoménale de ce phallus, ce qui frappe c’est surtout sa forme, et je dirais même sa texture. (1)
Voyez le jaillissement de cet organe qui déborde l’étreinte de la main ; voyez cette hampe noueuse comme un pied de vigne ; voyez cette turgescence polie et dure comme du jade. Pas de doute : le phallus « hokusaien » est une incarnation de la force et non un simple symbole du pouvoir, comme le phallus occidental.
J’imagine l’érotisme japonais comme une célébration exubérante de la puissance.
(1) J’ai risqué le mot « phallus », pour dire que sa forme héroïsée est hors de proportion avec ce que l’humanité possède ; mais je n’ai pas voulu dire qu’on est en présence d’une représentation du phallus freudien – c'est-à-dire du signifiant du désir.

Monday, July 21, 2008

Citation du 22 juillet 2008

Hokusai et nous (2)

Paul Claudel – Cent phrases pour éventail (phrase 60)

Kenji : Subete : tout ; tomaru : cesser.

Hokusai – Sous la vague au large de la côte à Kanagawa (Extrait de la série : 36 vues du mont Fuji)

Si je vous parle d’Hokusai, forcément vous pensez à cette vague dont l’écume se transforme en doigts crochus menaçants comme les serres d’un oiseau de proie.

… Et forcément vous oubliez ce qui se dresse au centre de l’image et que vous prenez peut-être pour un vague lointaine : c’est en réalité le mont Fuji dont la neige fait écho à l’écume de la mer.

Claudel pensait-il à cette estampe en écrivant cette phrase pour éventail ?

Peut-être, mais surtout il oppose l’existence de la mer au néant de la terre dont la montagne est l’ultime aboutissement ; mieux que le cap ou la presqu’île, le mont Fuji est la véritable fin de la terre.

Mais pourquoi faudrait-il expliquer le poète ? Et pourquoi commenter Hokusai ?

J’avoue que ce rapprochement est pour moi l’occasion de retrouver le thème du paysage qui comporte en son sein le point saillant/dominant, promontoire où situer l’observateur en contre champ (voir post du 17 août 2007).

Et j’imagine Claudel, perché là haut, tout là haut sur le mont Fuji. Sauf qu’au lieu de regarder la vague là-bas, au large de Kanawaga, il contemple le ciel.

Ces poètes sont vraiment surprenants.

Sunday, July 20, 2008

Citation du 21 juillet 2008

Hokusai et nous (1)

Chaque objet est le miroir de tous les autres.

Maurice Merleau-Ponty – Phénoménologie de la perception

Le point de vue d’Hokusai sur le miroir est légèrement différent de celui de Merleau-POnty ; nous allons voir en quoi.

Le miroir est le point de vue sur le réel qui le reflète non pas tel que vous le voyez, mais tel qu’il le voit. D’ailleurs quand on se regarde dans le miroir, c’est bien pour se voir alors qu’on ne se voit pas dans la réalité.

Cette idée de point de vue propre au miroir a beaucoup excité les imaginations. Que se passerait-il si le miroir devenait le lieu où la réalité se métamorphosait au lieu de se dédoubler ?

Voyez cette estampe d’Hokusai

Voici un tableau très classique de la femme à sa toilette. Habituellement, dans la culture occidentale, c’est l’occasion de dénoncer la coquetterie féminine ; c’est aussi pour l’homme un moyen de satisfaire son voyeurisme avec bonne conscience.

Mais regardez mieux : que voyez-vous dans le miroir ? Justement, voici un visage masculin, qui darde son regard concupiscent sur la nudité qui s’offre innocemment à lui. Ce miroir est-il donc un miroir magique, qui au lieu de refléter le monde environnant ouvrirait une porte secrète sur un autre ?

Mais Hokusai a joué avec notre imagination : cette image masculine n’est que le reflet vu sous l’angle du miroir d’un masque accroché au mur.

Alors que selon Merleau-Ponty chaque objet est le miroir de tous les autres, le miroir véritable selon Hokusai n’en reflète qu’un.

Miroir sélectif. Miroir subjectif ?

*************

P.S. C'est le 4 août que l'expo Hokusai ferme ses portes au Musée Guimet. Si vous n'y êtes pas encore allé, prenez une loupe, armez vous de patience, et courez y.

Saturday, July 19, 2008

Citation du 20 juillet 2008

Feindre d’ignorer ce qu’on sait, de savoir tout ce que l’on ignore... voilà toute la politique.

Beaumarchais - Le Mariage de Figaro

L’homme politique est celui qui vous fait croire à la puissance et à la pureté de son pouvoir. Tout son savoir faire est là, sa magie aussi.

Beaumarchais dénonce ainsi les ministres et les grands commis de l’Etat, incapables et corrompus.

Les choses ont-elles changé après 2 siècle et demi d’une histoire tumultueuse et au moins 3 révolutions ? Nous qui vivons en démocratie, nous qui choisissons et qui révoquons nos dirigeants, ne sommes-nous pas protégés de ces turpitudes ? Ne faut-il pas à nos politiciens un peu plus de compétence et d’honnêteté ?

Les sondages de popularité et de confiance les concernant répondront à ma place : nous y avons cru suffisamment avant les élections pour les élire ; nous avons suffisamment de lucidité après les élections pour les voir tels qu’ils sont.

Mais la lucidité, ce n’est pas notre mérite principal ; c’est que le monde moderne permet de tout savoir très vite, au point que les dirigeants politiques avouent cyniquement leurs mensonges en hochant de la tête : « Pourquoi donc m’avez-vous cru ? Vous le saviez bien que les caisses étaient vides. »

Oui, vous aviez cru aux promesses de la compassion avec la France qui souffre (1). Quel beau discours… Un discours d’anthologie. A mettre dans une anthologie de la naïveté des citoyens, qui ne veulent pas savoir ce qu’on sait, et qui veulent croire savoir ce qu’on ignore.

Faiblesse passagère, moment où les illusions du désir l’emportent sur les coups de boutoir de la réalité : on ne vous y reprendra plus.

Hélas ! Non seulement vous avez cru aux vaines promesses électorales, mais vous y croyez encore, pour d’autres candidats à la candidature, dont la popularité et l’audimat lorsqu’ils passent dans des divertissements télévisés servent de caution pour briguer le pouvoir dans leur parti.

Vous êtes vraiment incorrigibles

(1) Discours de Charleville sur la France qui souffre (vidéo ici, et Post du 28 février 2008)

Friday, July 18, 2008

Citation du 19 juillet 2008

Une servitude ne peut consister en une obligation de faire mais bien en une obligation de laisser faire ou de ne pas faire. (Servitus in faciendo consistere non potest sed in patiendo vel non faciendo) (1)

Maxime de droit

Les juristes ont ceci d’intéressant qu’outre le précision du vocabulaire, ils ont en plus la profondeur de vue.

Voyez le cas de la servitude. En droit (civil ou public), la servitude correspond à une obligation certes ; mais celle-ci n’impose que l’abstention et non l’action. Chacun aura compris ce qu’il en est si l’on l’évoque la servitude de passage. Les curieux iront voir un dictionnaire comme celui de Cornu (2) qui en énumère gaillardement une quarantaine.

Nous avons l’habitude de considérer que l’état d’esclavage consiste à être obligé de faire ce qui est avantageux pour le maître et jamais pour l’esclave (Spinoza), en sorte que la servitude suppose l’obligation de faire. L’esclave travaille, d’où l’assimilation facile du travail à l’esclavage. Admettez que l’approche des juristes est plus qu’intéressante. Car celui qui est obligé de laisser faire est-il moins contraint que celui qui est contraint de faire ?

Toutefois, entre les juristes et nous (commun des mortels), il y a une différence : la loi ne nous suffit pas pour définir quelque chose qui nous touche de si près.

Ainsi : la privation de liberté dans une prison consiste à ne pouvoir faire ce qu’on voudrait ; cela signifie que la servitude suppose un empêchement de la volonté. Ce qui veut dire , premièrement que celui qui ne veut rien n’est empêché de rien. Deuxièmement – et réciproquement – que si la volonté échappe à la contrainte alors celle-ci ne peut exister. La liberté du sage est inaliénable parce qu’il ne veut que ce qu’on ne peut l’empêcher de faire : respirer, jouir de la lumière du jour, penser, etc. Et troisièmement que si on m’oblige à faire ce que j’ai envie de faire, il n’y a pas de contrainte non plus.

Reste quand même que la servitude juridique comporte un aspect essentiel : l’obligation, résulte ici de l’universalité de la loi. Ainsi, la loi ne joue pas là où ma volonté me porte à faire ce qu’elle prescrit. C’est quand mon voisin est détestable que le voir passer sur mon terrain pour rentrer chez lui est pour moi une servitude.

(1) Laisser faire, par exemple : servitude de passage . Ne pas faire, par exemple : servitude de vue de ne pas bâtir.

Servitude de passage : obligation de laisser le libre passage sur sa propriété pour accéder à un terrain enclavé

(2) Gérard Cornu– Vocabulaire juridique (PUF)

Thursday, July 17, 2008

Citation du 18 juillet 2008

Plus il y a de lois, et plus il y a de voleurs

Lao-Tseu

On comprendra qu’il ne s’agit pas ici de dire avec ironie : si on veut supprimer les délits, arrêtons de les établir. Que le viol ne soit plus condamné, et on n’aura plus de violeur en prison ; mais on en aura toujours autant dans les maisons. Non, il s’agit bien plutôt d’évoquer l’hypothèse selon laquelle les interdits nés de l’obsession de la sécurité engendrent eux-mêmes l’insécurité. Ils sont comme on dit aujourd’hui contreproductifs.

Chaque loi formulant un interdit engendre des hommes pour lui désobéir : selon Durkheim la tendance à désobéir aux lois est une constante de la nature humaine, en sorte que le délit est un phénomène normal, du moins quand il reste dans des proportions raisonnables.

Si à chaque interdit correspond un certain lot de délinquants, alors comme le dit Lao-Tseu, plus il y a de lois, et plus il y a de voleurs.

Suffirait-il de dépénaliser certains actes pour voir les hommes se détourner de les accomplir ? La tentation est grande en effet de conclure sur la maxime chinoise : pour supprimer le vol, supprimons les lois qui l’interdisent.

Toutefois, comme nous l’avons remarqué, on peut produire toutes sortes d’exemple de délits qui ne sont pas poursuivis dans certains pays, mais qui n’en sont pas moins commis. Que l’Etat ne poursuive aucun voleur n’empêchera pas qu’ils détroussent les gens. Seuls les anarchistes pourraient croire cela.

Voilà, j’ai lâché le mot : si Lao-Tseu n’est pas anarchiste (bizarre formule d’ailleurs), sa formule l’est – du moins pour nous. Si c’est la loi qui fait le voleur et non le voleur qui justifie la loi, c’est que l’homme est fondamentalement bon, et que seule la contrainte le pousse à faire le mal.

Je dirai donc que la maxime de Lao-Tseu commet une petite erreur : celle de faire comme s’il n’y avait qu’une cause au délit.

Wednesday, July 16, 2008

Citation du 17 juillet 2008

Le droit de chaque être en diminuant le droit des autres suscite les querelles et les guerres, car chacun peut se croire arrêté injustement dans son progrès. Nous avons connaissances de nos contrariétés avant de prendre conscience de celles d’autrui.

Henri Mavit

Art. 4.

La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres de la Société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la Loi.

Déclaration des droits de l’homme et du citoyen – 26 août 1789


Vous pourriez me dire la différence entre ces deux formulations des limites que les autres imposent à ma liberté ?

Que mon droit soit borné par celui du voisin, et que de cet obstacle prenne naissance des conflits qui ne se termineront que lorsque j’aurai compris que, moi aussi je suis un obstacle pour lui – et que, oui, il faut renoncer aux abus parce que je n’aimerais pas en être moi-même la victime : voici l’éducation morale que nous donnons à nos enfants.

Comparez maintenant cela à l’altière rigueur des Droits de l’homme : les droits ne peuvent se contredire eux-mêmes, parce qu’ils sont naturels, c’est-à-dire universels ; je ne peux donc user de mes droits pour priver les autres des leurs.

− Les étrangers reprochent aux français leur arrogance lorsqu’ils se parent du titre de Patrie des droits de l’homme. Ils ont raison : les droits de l’homme n’ont pas de patrie attitrée.

Mais qu’on ait aujourd’hui encore besoin de rappeler leur autorité, c’est indéniable ; à condition de les respecter pleinement.

Une lecture ânonnée de ce noble texte en présence d’une brochette de tyrans, sur la place de la Concorde, c’est ça respecter et faire respecter les droits de l’homme ?

Quoique… La place de la concorde, rappelez moi : c’est bien là que se dressait la guillotine en 89 ?

Tuesday, July 15, 2008

Citation du 16 juillet 2008

L'Ours allait à la chasse, apportait du gibier, / Faisait son principal métier / D'être bon émoucheur, écartait du visage / De son ami dormant, ce parasite ailé, / Que nous avons mouche appelé. / Un jour que le vieillard dormait d'un profond somme, / Sur le bout de son nez une allant se placer / Mit l'Ours au désespoir, il eut beau la chasser. / Je t'attraperai bien, dit-il. Et voici comme. / Aussitôt fait que dit ; le fidèle émoucheur / Vous empoigne un pavé, le lance avec roideur, / Casse la tête à l'homme en écrasant la mouche, / Et non moins bon archer que mauvais raisonneur : / Roide mort étendu sur la place il le couche. / Rien n'est si dangereux qu'un ignorant ami ; / Mieux vaudrait un sage ennemi.

La Fontaine –L'Ours et l'Amateur des Jardins

L’ours est mauvais raisonneur, mais il raisonne quand même.

Vincent Descombes a consacré un essai au Raisonnement de l’ours (1) : de quelle façon l’ours raisonne-t-il, et quel raisonnement lui aurait permis de savoir qu’il ne devait pas chasser la mouche au prix du fracassement de la tête de son ami ?

Voici le raisonnement de l’ours :

- L’émoucheur doit toujours émoucher ;

- Tuer la mouche avec un pavé est dans le cas présent la seule façon d’émoucher ;

- Donc l’émoucheur doit empoigner un pavé et le lancer avec roideur.

On peut savoir à quel principe un acte se rattache ; mais étant donné un principe, savons-nous quel acte nous devons accomplir ? Une telle opération s’appelle une déduction pratique. Le raisonnement de l’ours, que nous venons d’exposer, en est un exemple.

Vincent Descombes montre qu’une telle déduction est une absurdité, dans la mesure où elle pose un acte non comme une possibilité mais comme une nécessité. Si par exemple on posait comme principe qu’il faut faire tout ce qui peut nous éviter un accident de la route, et que nous puissions, pour éviter un tel accident, tourner à droite ou bien tourner à gauche, alors il nous faudrait et tourner à droite, et tourner à gauche.

Au risque de décourager ceux qui croient encore qu’avec des principes on peut faire face à toutes les situations, disons qu’il n’existe pas de règles générales et positives de la forme : « Fais toujours x » (où x décrit un acte particulier).

Les seules règles générales qui soient toujours applicables sont les règles négatives qui ne prescrivent pas les actions à faire mais celles qu’il faut éviter (exemple pour l’ours : quoique tu fasses, l’émouchage ne doit pas conduire à la mort de ton ami). Une telle règle est un précepte qui ne permet pas de choisir dans le champ des possibles, mais qui le restreint.

Dans le genre Décalogue.

(1) Vincent Descombes – Le raisonnement de l’ours (2007), p. 85 et s.

Monday, July 14, 2008

Citation du 15 juillet 2008

Au cas […] où on en sera venu à faire le mal, on doit être corrigé : ce qui est, après le bien qui consiste à être juste, un second bien, celui qui consiste à le devenir

Jean-Paul Galibert. Socrate : une philosophie de dénuement,

Il y a des questions auxquelles on répond avant même de les avoir posées. Ainsi : qu’espère-t-on du châtiment ?

Vous allez punir un enfant, le priver de sortie, autrefois on le fouettait, qu’est-ce que vous allez obtenir ? Qu’il se méfie de vous, qu’il se cache pour satisfaire ses envies, ou bien qu’il devienne meilleur ?

Vous fumez dans votre chambre malgré l’interdiction ? Si je vous fais recopier le règlement intérieur, allez-vous comprendre que c’est mal de le faire ? Ou bien devra-t-on dire que tout ce que ça vous aura appris, c’est la prudence ?

Dans les prisons du XIXème les cachots des prisonniers avaient été conçus sur le modèles des cellules de monastères ; les prisonniers étaient supposés y faire leur salut par une ascèse de leur âme, seuls face à eux-mêmes entre les murs de leur cellule. (1)

Ne faudrait-il pas plutôt craindre que le châtiment n’endurcisse le criminel, comme le fouet finissait par épaissir la peau des esclaves et les rendait insensibles à ses coups ?

Globalement le châtiment durcit et refroidit; il concentre, il aiguise le sentiment d’exclusion; il accroît la force de résistance (Nietzsche – Généalogie de la morale)

Espérons simplement que l’homme qui sort de prison ne sera pas plus dangereux que lorsqu’il y était entré.

(1) Michel Foucauld – Surveiller et punir 1975

Sunday, July 13, 2008

Citation du 14 juillet 2008

C’est la fête de la patrie aujourd’hui. La citation du jour vous offre deux citations pour le prix d’une
1 - La patrie d'un cochon se trouve partout où il y a du gland.
Fénelon - Ulysse et Grillus - Dialogue des morts
Circé ayant transformé les compagnons d’Ulysse en pourceaux, celui-ci la contraignit à leur rendre leur aspect humain. Toutefois l’un d’eux, nommé Grillus, refusa de redevenir un être humain, préférant la modestie de l’état de cochon à la gloire incertaine des aventures promises par le héros homérique.
C’est à une leçon de modestie que nous invite la plume de Fénelon. Car vous remarquerez que le cochon n’est pas ici symbole de débauche ni de paillardise ; tout à contraire, c’est à la sagesse et à la modération que ce porc nous invite. Pourquoi courir les mers et affronter les dangers, pourquoi défier les prétendants pour un incertaine Pénélope ? La truie de la bauge voisine fera tout aussi bien l’affaire.
Et quelle leçon tirerez-vous, aujourd’hui, de cette fable porcine ?
- Par exemple : le bilan carbone de Grillus le pourceau est bien meilleur que celui d’Ulysse le voyageur.
****
2 - Les ouvriers n'ont pas de patrie.
Karl Marx – Manifeste du parti communiste (II – Prolétaires et communistes)
14 juillet …Défilé militaire, bombement de torse et regard arrogant sur les étrangers, là, de l’autre côte de la frontière… tout ça c’est de la préhistoire, à notre époque on est à l’ère de la mondialisation, de l’affrontement pacifique d’économie à économie, là où il n’y a plus d’alliés ni d’ennemis, mais seulement des partenaires et des concurrents.
Mais est-ce que ça n’a pas toujours été comme ça ? Le prolétariat n’a pas de patrie dit Marx, parce qu’il n’a aucun droit politique. La bourgeoisie capitaliste non plus d’ailleurs puisque ce qui porte ce nom ne désigne que le lieu géographique où sont implantées les usines et les ouvriers qui les activent. Mieux : le « juif apatride » des antisémites d’autrefois désignait d’abord le capitaliste financier dont l’argent survolait les frontières.
Bref, la mondialisation dont nous estimons faire la découverte aujourd’hui et qui rend caduque le sentiment patriotique est en fait aussi vieux que le capitalisme.

Saturday, July 12, 2008

Citation du 13 juillet 2008

Familles je vous hais ! Foyers clos, portes refermées, possessions jalouses du bonheur.

André Gide – Les nourritures terrestres

Familles je vous hais ! Connaissez-vous une citation plus célèbre que celle-ci ? Il y a quelques dizaines d’années (en mai-68 par exemple), elle était le lieu commun qui expliquait la crise de l’autorité. Les jeunes qui s’engageaient chez les maos ou qui se livraient à la consommation de marie-jeanne, voire même se débauchaient avec toutes les Marie-Jeanne, Marie-Chantal et les autres qu’ils rencontraient, le faisaient parce que c’était défendu chez leurs parents.

Seulement voilà : ce n’est pas tout à fait ça que voulait dire Gide. Possessions jalouses du bonheur, la famille est haïe non pas par celui qui en fait partie, mais par celui qui reste à l’extérieur, et qui en est exclu. Amour et bonheur font partie du lot que la famille réserve à ses membres. Mais elle est aussi refus du partage, refus de l’ouverture aux autres. Heureuse, oui, mais d’un bonheur égoïste.

Voilà : non seulement ça change radicalement le sens supposé de cette condamnation de la famille, mais on pourrait encore se demander si ceux qui écrivaient Familles je vous hais ! sur les couvertures de leurs cahiers d’écoliers, auraient accepté ce partage du bonheur que regrette Gide.

Séquence nostalgie : il y a de ça bien longtemps, mes chers enfants, je discourais devant mes élèves, exposant la thèse de Wilelhm Reich sur la jalousie, forme d’amour pervertie par le capitalisme et son obsession de l’appropriation ; il en résultait que l’union libre, entendue comme communauté des femmes ou des hommes, était l’aboutissement de la libération politique de la vie amoureuse. Là dessus un de mes élèves, qui était très amoureux de sa voisine de classe est venu me demander si je croyais sérieusement à ce que je venais de dire. Il était stupéfait qu’on puisse imaginer que l’amour ne soit pas exclusif.

Finalement la famille, c’est un couple élargi

Friday, July 11, 2008

Citation du 12 juillet 2008

L'usage seulement fait la possession. / Je demande à ces gens de qui la passion / Est d'entasser toujours, mettre somme sur somme, / Quel avantage ils ont que n'ait pas un autre homme. / Diogène là-bas est aussi riche qu'eux, / Et l'avare ici-haut comme lui vit en gueux. »

La Fontaine – Fables (Livre quatrième – XX – L'avare qui a perdu son trésor

Qu’est-ce qui fonde la propriété ? Le travail ? Le droit ? La force ? L’héritage ? Que sais-je encore ?

L’usage seulement fait la possession dit La Fontaine, et ma foi, cette réponse n’est pas plus bête qu’une autre.

Mais ce qui est plus intéressant, c’est de noter que La Fontaine argumente en comparant l’avare qui accumule un trésor sans y toucher et celui qui est démuni de tout. La seule différence qu’il puisse y avoir entre celui qui possède et celui qui n’a rien vient de l’usage qu’il fait de ses richesses.

– Prenons un exemple. Votre voisin a une très belle voiture, de celle sur la quelle on se retourne quand elle passe dans la rue. Il ne veut pas l’abîmer, et donc il la gare chez lui, sans la faire rouler, de peur des accidents. Il pourrait au lieu de la mettre au fond de son garage la laisser devant sa porte, pour montrer à tous son trésor sans l’user, mais il craint tous ces vandales qui cassent les rétroviseurs et rayent les carrosseries. Bref, voilà un bien qui, parce qu’il est inestimable, non seulement reste inconnu de tous, mais en plus ne sert à personne. Et ne croyez pas que je galèje : chacun sait que des tableaux sublimes ont été achetés par des compagnies d’assurance qui les enferment dans les coffre forts climatisés des banques.

Tiens, justement, j’apprends que c’est vous qui possédez la Joconde – je ceux dire que le vrai tableau, c’est vous qui l’avez, celui du Louvres, c’est une copie. Félicitation. Vous allez accrocher le chef d’œuvre de Léonard dans le salon, au-dessus du canapé, bien exposé à la lumière qu’on le voie un peu.

Alors, oui, c’est vrai : la lumière du jour va faire passer les couleurs, et petit à petit il ne restera qu’une image en bleu-vert.

Peut-être. Mais si Léonard s’est donné tant de mal pour faire ça, ce n’est pas pour qu’on le bunkérise, même dans un musée. Périsse la Joconde si c’est la condition pour qu’on en jouisse !

– Mais dites-moi, ça ne serait pas un éloge de la consommation, ça ?

Thursday, July 10, 2008

Citation du 11 juillet 2008

Il y a deux catégories de télévision : la télévision intelligente qui fait des citoyens difficiles à gouverner et la télévision imbécile qui fait des citoyens faciles à gouverner.

Jean Guéhenno

1ère idée : La télévision produit l’intelligence lorsqu’elle est intelligente, et de la stupidité quand elle est imbécile : admettez que j’interprète ainsi la citation de Guéhenno.

2ème idée : le citoyen intelligent est difficile à gouverner ; le citoyen stupide est facile à gouverner.

--> Deux idées, deux erreurs.

1ère erreur : la télévision aurait quelque chose à voir avec la production d’intelligence ou de bêtise chez des individus supposé neutres. Vous en connaissez, vous, des gens qui sont devenus bêtes à force de regarder la télévision ? Non, bien sûr. Et je ne vous demande même pas si la réciproque est plus crédible. Non, les gens qui sont déjà bêtes regardent la télévision bête, et les gens déjà intelligents regardent la télévision intelligente (1).

2ème erreur : les imbéciles sont des citoyens faciles à gouverner, les intelligents sont des citoyens difficiles à gouverner. Si on admet qu’un peuple ingouvernable est menacé dans son existence même par les peuples belliqueux mais disciplinés, alors ils ont dû disparaître au cours de l’histoire, balayés du fait de leur incapacité à s’organiser. Bref : il ne resterait plus que les imbéciles, et quelques intelligents qui survivraient dans des communautés anarchistes comme des indiens dans leur réserves.

Il me semble que l’erreur de notre auteur vient justement de ce qu’il relie l’intelligence au refus d’être gouverné. En réalité, accepter ou refuser d’être soumis à l’autorité qui gouverne c’est essentiellement une affaire d’instinct. D’instinct de conservation très exactement : non seulement parce qu’on se soumet à la violence des dirigeants ; mais aussi parce qu’on sait bien qu’on a de meilleures chances de survivre à plusieurs si on est organisé que tout seul.

(1) Vous vous attendiez peut-être à ce que j’écrive : « les gens intelligents vont lire dans la pièce à côté » ? Trop facile…

Wednesday, July 09, 2008

Citation du 10 juillet 2008

L'avantage des gens qui n'ont pas le baccalauréat, c'est qu'ils le préparent leur vie durant.

Günter Grass – l’Atelier des métamorphoses

Oui, notre ami Kévin a eu son bac…enfin ! Ce sont surtout ses parents qui sont soulagés ; lui, il va devoir affronter d’autres responsabilités, parce qu’il va travailler pendant ses vacances. Quant au BTS qu’il commencera à préparer à la rentrée nous attendrons celle-ci justement pour recueillir ses impressions.

Ceux qui ont loupé leur bac ruminent leur vie durant cet échec…

Avez-vous remarqué que les gens qui n’ont pas fait d’études (= qui les ont interrompues avant leur terme) traînent toute leur vie cette blessure ? J’entends bien que certains en profitent pour affirmer avec fierté leur réussite « malgré tout », mais la plupart sont comme monsieur Jourdain qui en veut à ses parents de ne pas l’avoir fait étudier.

Quant à ceux qui ont fait des études, leur diplôme, qui ne devrait pas refléter plus que leur niveau lorsqu’ils l’ont obtenu, leur sert durant la vie entière de quartier de noblesse. Souvent même leur position sociale fait appel à lui. Je ne veux pas dire que l’ingénieur va, sa vie durant se pavaner dans son « bac-plus-5 », mais supposez que cet ingénieur sorte de Centrale, des Mines, ou encore de l’X….

Mais prenez un exemple plus frappant : les professeurs qui sont répartis en « vacataires », « professeurs des écoles », « certifiés », « agrégés » (1). Ces différents statuts là encore ne reflètent en principe qu’un niveau d’études (voire même simplement un type d’études) à un moment donné de la vie de ces gens ; niveau d’études, et même pas de compétence professionnelle, qui ne se révèlera qu’après quelques années d’exercice. Hé bien leur vie professionnelle durant, les agrégés peuvent afficher avec fierté leur qualité d’agrégés (= mépriser les autres), on les y invite même. J’ai connu un lycée parisien (2) où il y avait deux salles des profs : l’une réservée aux agrégés, l’autre ouverte aux autres.

Et je ne parle pas des anciens de l’ENS (Ulm évidemment).

Pour me résumer : ce que nous avons réussi à être dans notre jeunesse nous détermine la vie durant, quand bien même nous serions amenés à changer beaucoup plus après qu’avant.

– Que n’ai-je étudié plus tôt, disait monsieur Jourdain. – Hé bien, étudie donc !

(1) Jusqu’à maintenant, la fonction de professeur est celle où, moins on assume d’heures de cours, et mieux on est payé. Va falloir que ça change !

(2) C’était Janson de Sailly. Je parle à l’imparfait parce que je crois que tout cela a disparu…dans les faits mais peut-être pas dans les têtes.

Tuesday, July 08, 2008

Citation du 9 juillet 2008

Article 59. Octroyons aux affranchis les mêmes droits, privilèges et immunités dont jouissent les personnes nées libres; voulons que le mérite d'une liberté acquise produise en eux, tant pour leurs personnes que pour leurs biens, les mêmes effets que le bonheur de la liberté naturelle cause à nos autres sujets.

Code noir – 1685 (1)

Qu’est-ce que la liberté ? Question inutile et suspicieuse, puisque la liberté c’est la part de l’imprévisible présent dans chaque individu, c’est ce choix qu’on peut faire à tout moment de changer de trottoir sans raison apparente, de continuer de vivre avec les mêmes personnes ou de le refuser, etc…

Alors, les dictionnaires de philosophie – entre autre – nous en avertissent : la liberté a d’abord été une condition social, celle du citoyen grec ou romain par opposition à l’esclave, et ce n’est qu’ensuite qu’on s’est avisé de décrire les prérogatives de ce statut en gardant le même vocable.

On le sait, mais on l’oublie régulièrement.

Voici donc l’article59 du Code noir qui remet les idées en place :

- d’abord on peut avoir la liberté par privilège de naissance, c’est même la seule façon « normale » d’être libre. On naît libre, comme on naît noble ou roturier. Etre libre, c’est donc bien bénéficier d’une position sociale donnée par la naissance, et c’est même pour cela que la déclaration des droits de l’homme commence par la formule : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits.» : puisqu’on ne peut pas faire que la liberté s’obtienne autrement que par la naissance, alors faisons qu’elle soit universelle.

- ensuite, être libre, c’est bénéficier d’avantages qu’on peut énumérer et décrire, car ils sont fixés par le droit. Ajoutons que certains de ces droits sont des privilèges, ce qui suppose bien que tout être humain n’en bénéficie pas.

On pourrait dire : voilà de vieilles conventions qui ont été balayées par la révolution - comme on vient justement de le voir - et par l'évolution de nos sociétés Passons à autre chose.

« Passons à autre chose » : oui, et heureusement. Mais pas avant d’avoir repéré les comment notre propre vision de la liberté se détache de cette conception « sociale ».

Et en particulier que la liberté serait un effort à faire sur nous-mêmes, qu’elle supposerait une ascèse, un combat contre nous-mêmes, qui ferait qu’on ne naît pas libre ; on le devient.

(1) Code noir : ensemble de règles destinées à réglementer l’esclavage dans les Antilles - Signé de Louis XIV. A lire ici (je l’avais aussi évoqué dans un post du 10 mai 2006)

Monday, July 07, 2008

Citation du 8 juillet 2008

Il y a trois sortes d'intelligence : l'intelligence humaine, l'intelligence animale et l'intelligence militaire.

Aldous Huxley

J’avoue que moi aussi je partageais jusqu’à récemment le jugement de Huxley : l’intelligence, chez un militaire me semblant contradictoire avec la vertu d’obéissance, je la plaçais en dessous de l’intelligence animale.

Et puis vient le célèbre épisode de la libération de Ingrid Bétancourt : opération d’intelligence militaire dit-on partout. Intelligence militaire, me dis-je ? Quésaco ?

Là-dessus, j’ai pris mon dictionnaire d’anglais, et j’ai compris : en anglais, intelligence signifie, outre le sens habituel pour nous, renseignement – voire même service de renseignement. (1)

O.K., j’ai compris, me dis-je : c’est un faux ami.

Quoique…. On pourrait se demander par quelle aventure lexicale, ce mot qui, même en anglais signifie d’abord l’entendement, et sa capacité à comprendre, devient par la suite synonyme renseignement, voire même d’espionnage.

C’est là qu’on comprend quelque chose qui pourtant devrait être bien connu : l’intelligence c’est la sagacité, l’aptitude à découvrir ce qui est caché ; donc aussi ce qu’on nous cache.

Pas d’exercice de l’intelligence là où il n’y a pas de secret, de vérité cachée.

La première manifestation de l’intelligence dans l’espèce humaine a été le péché du fruit défendu : c’est la prise de possession de la connaissance du bien et du mal. L’intelligence, c’est la volonté de découvrir par soi-même de ce qui est bon ou mauvais, vrai ou faux, beau ou laid, partout où on prétend nous le cacher, parce que du même coup, celui qui nous cache tout ça peut nous dominer (2). Dans le convois militaires, seul le véhicule de tête sait où il va ; les autres ne savent qu’une chose : c’est qu’il faut le suivre.

Et revoilà les militaires…

(1) Je n’ai pas le texte original de Huxley ; il est possible qu’il joue sur ce double sens.

(2) Il existe une branche de la psychologie spécialisée dans la « psychologie de la domination ». L’ignorance en est l’un des support : celui qui doit attendre l’information pour agir dépend totalement de celui qui détient l’information.

Sunday, July 06, 2008

Citation du 7 juillet 2008

Il n'y a plus de mode, rien que des vêtements.

Karl Lagerfeld – Extrait d'une Interview

La citation du jour, dans un souci de civisme, offre gracieusement cette promotion du gilet réfléchissant (du moment que quelque chose se met à réfléchir, on est pour).

Qu’est ce que la mode si ce n’est pas du vêtement ?

Réponse avec la promo du « gilet-jaune » : si c’est Karl Lagerfeld qui assure cette promo, c’est pour souligner le contraste entre l’utilité (ça peut vous sauver la vie), et le style : porter des lunettes de soleil la nuit (on comprend que le gilet jaune n’aille pas avec).

La mode, c’est le style, c’est ce qui n’a pas besoin d’être utile, c’est peut-être même ce qui se doit d’être inutile. D’ailleurs les fashion victims ne me démentiront pas.

…Je sens la contestation monter, et pas seulement du coté de ces pauvres victimes : la mode est utile, et il faut être singulièrement borné pour croire que les fringues n’ont pour fonction que de nous habiller pour nous protéger du froid (ou des autres). Les articles de mode (pour exclure le terme méprisable de « vêtement », et pour inclure les « accessoires ») jouent aussi le rôle de signe de ralliement. Car si le style était le seul critère de la mode, alors à chacun sa mode comme à chacun son style. C’est vrai de Karl Lagerfeld, car personne ne s’habille comme lui. Seulement, le beau Karl, il ne ferait pas une thune si chacun s’habillait comme bon lui semble plutôt que d’acheter sa griffe.

Non, nous avons besoin de marqueurs sociaux – ou esthétiques – et la mode en tient lieu, même si elle n’en est qu’un élément (ajoutons la voiture et les gadgets pour faire bonne mesure). Ceux qui pratiquent le nudismes le savent : il faut se retrouver dans des endroits bien spécifiques – telle plage privée par exemple – pour retrouver ces marqueurs.

Même les sauvages qui vont tout nus, ne sont pas si nus que ça : certains ont des peintures sur le corps pour se différencier des autres tribus ; d’autres ont des étuis péniens ou des ceintures à la quelle attacher leur zizi.

Moi, je rêve d’un défilé de mode chez les Nambikwaras

Saturday, July 05, 2008

Citation du 6 juillet 2008

La beauté (contrairement à la laideur) ne peut vraiment s'expliquer : elle se dit, s'affirme, se répète en chaque partie du corps mais ne se décrit pas.

Roland Barthes – S/Z

On pourrait dont décrire la laideur ? On pourrait par là même l’expliquer ?

Qu’est-ce que la laideur ?

Si on aborde la question rapidement, on dit que la laideur se montre et que son évidence est telle qu’on n’a même pas à la décrire. C’est ainsi qu’on est amené, 8 fois sur 10 à prendre l’exemple de la laideur féminine, puisque la femme étant réputée pour sa beauté, la laideur y est d’autant plus évidente ; qu’on se reporte à mon post du 21 juillet 2006, on y trouvera un exemple bien saisissant.

Seulement voilà : ça ce n’est pas encore une description. Qu’est-ce qui, en-dehors de la répulsion, explique la laideur, comme Barthes le veut ?

Alors, j’ai pris mon dictionnaire, et j’ai regardé dedans.

Laideur –
Sens général : à la fois moral et visuel
Sens restreint : esthétique
Le laid n’est pas simplement le non-beau, c’est le contraire actif de la beauté.
La laideur c’est ce qui est à la fois

- impuissance (amorphe)

- et forme confuse

Exemple la laideur du porc : la masse graisseuse étouffe la force du beau corps ou la faiblesse de la grâce délicate.





--> Définition : le laid est ce qui est impuissant à coordonner ses parties et qui par son incohérence manque à atteindre son propre style.

(Vocabulaire d’esthétique d’Etienne Souriau)

Friday, July 04, 2008

Citation du 5 juillet 2008

Puisque la philosophie est celle qui nous instruit à vivre, et que l'enfance y a sa leçon, comme les autres âges, pourquoi ne la lui communique-t-on ?

Montaigne – De l’institution des enfants, Essais I, 26

Commencer la philosophie à la maternelle… Que ceux qui n’en sont pas persuadés continuent leur lecture de Montaigne : « On nous apprent à vivre, quand la vie est passée. Cent escoliers ont pris la verolle avant que d'estre arrivez à leur leçon d'Aristote de la temperance. » (1)

Encore sceptique ?

A quel âge convient-il de commencer la philosophie ?

On sait que Platon considérait qu’il n’était pas convenable de philosopher avant d’avoir 50 ans, parce qu’avant les passions qui dévorent l’âme l’en empêchent. Il pensait bien sûr aux passions sexuelles, et on se doute qu’être tourmenté par la chose ne soit un obstacle à la spéculation abstraite ; les matheux le confirmeront sans doute. L’observation de Montaigne prouve que si Platon avait pris la vérole à supposer qu’elle ait existé en Grèce de son temps, c’aurait été bien fait pour lui.

Sur le même plan, Rousseau considérait que son Emile devait être éduqué entre 8 ans, au sortir de la petite enfance et 14 ans, âge de la puberté. Avant, il ne comprendrait pas ; après il n’écoutera plus. Vous avez deviné que Rousseau est un autodidacte militant.

Aujourd’hui encore, la philosophie n’est enseignée que dans les classes terminales, sur la base d’une antique conception qui en fait la discipline reine, celle qui vient couronner les autres sciences. D’abord acquérir le savoir ; en suite réfléchir dessus (2).

Bref : pas question, quelle qu’en soit la raison, de philosopher avec les mioches.

Or, l’observation de Montaigne reste pourtant pertinente : si la philosophie est si importante, pourquoi ne pas la commencer plus tôt ? Et certes on ne compte plus sur Aristote pour éviter la vérole, mais nous sommes encore très exigeants à l’égard de la philosophie.

Alors, j’entends bien que la réduction des heures de classe du primaire rend très invraisemblable un tel enseignement. Reste que ce n’est pas parce qu’on ne le fait pas qu’il ne faudrait pas le faire.

(1) Heureux temps où la philosophie enseignait comment éviter la vérole. Aujourd’hui, c’est le pape.

(2)Vous avez deviné également que les philosophes ne se sont pas fait que des amis parmi les spécialistes de ces disciplines-sujettes.