Thursday, July 31, 2014

Citation du 1er août 2014


Les chances de survie de l'humanité étaient infiniment supérieures quand nous étions sans défense contre les tigres qu'elles ne le sont aujourd'hui où nous sommes sans défense contre nous-mêmes.
Arnold Toynbee
Il n’y a point de bête au monde tant à craindre à l’homme que l’homme.
Montaigne - Essais II, 19 (Cité le 4-6-07)
Pour l’homme, mieux vaut affronter le tigre des cavernes que le peuple voisin. L’homme est pire qu’un loup pour lui-même : il est un ennemi plus puissant, plus intelligent, plus cruel que cet animal féroce avec lequel on le compare parfois.
A ce jugement de Montaigne, Toynbee ajoute ceci : aujourd'hui …nous sommes sans défense contre nous-mêmes.
L’ennemi est donc plus redoutable parce qu’il est invisible. Il arrive sans qu’on le voie, il est là sans qu’on le sache. Et s’il est d’autant plus féroce c’est :
            - qu’il nous ignore : voyez ces photos atroces des victimes gazaouies : auriez-vous transpercé de votre baïonnette cet enfant dont le père porte le cadavre ? Si quelques hommes sont féroces à ce point beaucoup d’autres auraient eu pitié… à condition de savoir ce qu’ils faisaient. Cet enfant est mort, tué de l’explosion d’un obus tiré de là-bas, très loin – peut-être s’agit-il même d’un missile expédié par un drone piloté à des milliers de kilomètres de là ?
            - ou alors au contraire cet ennemi est notre voisin – notre frère ? – qui a choisi une autre religion, un autre parti, un autre général en chef. Les guerres civiles d’aujourd’hui nous apprennent que notre ennemi est peut-être notre voisin de pallier, et non plus ce « boche », ce Teuton barbare enterré dans sa tranchée.
            - N’oublions pas ce que le Procès de Nuremberg nous a appris : c’est que l’organisation bureaucratique de la guerre et de l’holocauste a été une entreprise très efficace parce que déresponsabilisante. Partout il y a une hiérarchie qui, tel un parapluie, protège l’acteur des atrocités : Je suis innocent, puisque je ne fais qu’exécuter les ordres (1)
Acteur – mais pas auteur…
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(1) On pense bien sûr aussi à l’expérience de Milgram.

Wednesday, July 30, 2014

Citation du 31 juillet 2014




Il faut de la force assurément pour tenir toujours la balance de la justice droite entre tant de gens qui font leurs efforts pour la faire pencher de leur côté.
Louis XIV – Mémoires
La balance, à quoi ça sert ?
Retrouvons aujourd’hui notre balance : selon Louis XIV, cette balance est celle de  la justice, qui compare les mérites et les démérites afin de les rétribuer
Notons qu’il s’agit là d’une opération technique bien rassurante : il suffit comme le dit le Roi d’être assez ferme, c’est-à-dire impartial, dans la tenue de la balance ; c’est elle qui fait le reste : ça penche d’un côté ou de l’autre. On imagine bien de nos jours un gros ordinateur relié à une base de données phénoménale qui aurait digéré toute la jurisprudence, et nous voilà débarrassés des tribunaux et de leur lenteur !
Seulement, tout ça parait bien loin de nous. Notre pratique de la balance c’est bien autre chose : comme nous le disions hier, il s’agit de la pesée de notre propre corps, opérée le matin (chaque matin ?) dans notre salle de bains. S’agit-il d’une pratique hygiéniste visant à connaitre notre poids pour  savoir si nous sommes en bonne santé ? Oui, mais pas seulement.
Moins que cela (sommes-nous si sûrs que le surpoids serait incompatible avec une bonne santé ?), mais aussi plus : notre vérification matinale n’a-t-elle pas pour but de savoir si nous avons été assez fermes sur nos principes, assez vertueux pour renoncer à ce petit gâteau au chocolat afin de perdre ce vilain bourrelet qui nous boudine dans notre jean ?
Plus vertueux, plus fermes dans notre rigueur morale : et voici notre balance de justice qui réapparait, accompagnée de l’étalon qui va permettre à Saint-Michel (cf. Post d’hier) de nous récompenser ou de nous châtier.
… Etalon avez-vous dit ? Quel étalon ?
Celui-ci peut-être :

Tuesday, July 29, 2014

Citation du 30 juillet 2014




Il faut de la force assurément pour tenir toujours la balance de la justice droite entre tant de gens qui font leurs efforts pour la faire pencher de leur côté.
Louis XIV – Mémoires
La balance, comment ça marche ?
Comme le rappelle notre Citation-du-jour, on pèse avec une balance constituée de deux plateaux accrochés au bout d’un fléau pour savoir de quel côté il va pencher : telle est pesée des âmes opérée par Saint-Michel au Jugement dernier :

Hans Memling – Le Jugement Dernier – Triptyque (détail)
Toutefois, il n’y n’a pas pour Saint-Michel un poids prédéfini à mettre sur un plateau pour peser l’âme du défunt : il met une âme dans chaque plateau et celle qui pèse le moins ira en enfer. La pesée est relative ; Saint-Michel a dû repérer une âme pleine de bons sentiments, une âme qui devra être sauvée : il s’en sert d’étalon pour peser les autres. Peser, c’est comparer. Evidemment, on peut protester (hum…) : s’il y avait eu dans l’autre plateau une ignoble fripouille, c’est notre âme qui aurait été la meilleure, le plus lourde – à elle le Paradis !
o-o-o
Maintenait, voyez ce qui se passe aujourd’hui. Dans nos salles-de-bains trône le pèse-personne. Ici, plus de fléau, plus de plateaux, plus de comparaison « plus lourd/plus léger que ». Un chiffre s’affiche impérieux, incontestable – scientifique !

Bon. Mais est-ce plus juste pour autant ? S’agit-il même toujours d’une balance de justice, celle qui rétribue et châtie ?
Vous le saurez demain – si vous le voulez bien

Monday, July 28, 2014

Citation du 29 juillet 2014


L'affirmation et l'opiniâtreté [= obstination] sont signes exprès [= manifestes] de bêtises.
Montaigne
Après les vérités « irréfragables » d’hier, voici les affirmations opiniâtres, venues de ceux qui refusent avec obstination de reconnaitre leur erreur. Ne s’agit-il pas de la même attitude ? Car, n’est-ce pas la même chose que le refus de la preuve ?
Bref : y a-t-il une différence entre le juge qui vous dit :
- Monsieur, cet enfant est votre fils parce que c’est votre femme qui l’a mis au monde.
- Et celui qui affirme que les étrangers apportent des maladies contagieuses et pillent les ressources de la Sécurité sociale ?
Dans les deux cas, les données réelles et probantes sont accessibles et elles mettraient fin aux préjugés et aux disputes.
On peut rencontrer parfois l’astuce de certains de ces assèneurs de vérité qui retournent l’accusation de cécité contre leur contestateur. Telle est la « théorie du complot » qui consiste à dire : « C’est vous qui refusez l’évidence parce que vous êtes intoxiqué par la presse (pardon : les Médias) qui est aux mains des Juifs (ou du capitalisme, ou de la CIA) »
Signalons  le cas très étonnant des attentats du 11 septembre dénoncé parfois comme un montage opéré par la CIA pour obtenir je-ne-sais plus quoi. Au fond, l’idée est que la contestation n’est rien d’autre que la preuve de la vérité qu’on avance. « Vous croyez que je suis fou ? C’est la preuve que vous êtes manipulé. »

C’est bien sûr ce que dit Montaigne qui constate que pour énoncer une vérité il faut accepter de la mettre en balance avec l’affirmation contraire. Et il ajoute : celui qui se trompe et qui persiste dans son erreur, qui refuse d’être détrompé n’est pas seulement ridicule : il manifeste aussi sa bêtise.
L’opiniâtreté n’est donc pas seulement dommageable pour la vérité : elle est aussi un trait de caractère, parce qu’elle révèle l’orgueil extrême qui consiste à avoir la certitude que puisqu’on pense ceci ou cela, alors c’est vrai.
Là où il faudrait examiner la preuve, on trouve l’affirmation de sa propre certitude : c’est vrai parce que je le pense. Et d’ailleurs, vous êtes immédiatement invité à penser la même chose : « Vous êtes bien d’accord avec moi, M’sieur ? »

Sunday, July 27, 2014

Citation du 28 juillet 2014



L’enfant conçu ou né pendant le mariage a pour père le mari.
Article 312 du Code civil
L'irréfragabilité rend irrecevable l'offre d'administrer la preuve contraire : ainsi de la paternité lors de la naissance d’un enfant né durant un mariage (entre époux de sexes différents).
Dictionnaire juridique en ligne (Article Irréfragabilité)

Deux sujets d’étonnements : d’une part que la paternité soit incontestable ; de l’autre qu’il existe des vérités irréfragables : la preuve du contraire, quand bien même on pourrait l’exhiber est irrecevable.
C’est cela qui m’intéresse : il est défendu de fournir une preuve même quand on en aurait une, au point qu’il était impossible de contester la paternité dès lors qu’on était l’époux légal de la mère (1). Et même si les tests de paternité par analyse d’ADN ont changé un peu la donne, il reste que la loi encadre strictement la recherche de paternité.
o-o-o
N’y a-t-il pas un scandale épouvantable à refuser le droit de contester une affirmation, voire même à en démontrer la fausseté ? C’est quand même ce qui nous scandalise dans l’affaire Galilée, condamné pour avoir fourni la preuve que la terre tournait autour du soleil et qu’il y avait des montagnes sur la lune, parce que c’était contraire aux vérités irréfragables de la Révélation (2).
Le seul moyen de faire valoir une telle prétention de la vérité à être inexpugnable est de dire qu’elle est l’effet du jugement de celui qui a l’autorité pour l’énoncer. C’est ce qu’on appelle la vérité juridique : est vrai ce que le juge a dit. Aucune vérité n’existe avant le verdict et s’il est interdit de le commenter, c’est justement parce qu’il est défendu de le contester (3).
Le mode d’existence de cette vérité ressemble à ce que nous disions (il y a peu) de la vérité de témoignage : c’est l’autorité de la source qui importe.
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(1) On disait autrefois : la mère c’est la femme qui a accouché de l’enfant : le père, c’est l’homme qui a épousé la mère.
(2) C’était aussi – et surtout – contraire à la physique aristotélicienne qui paraissait à l’époque être la seule compatible avec la Bible.
(3) Il s’agit de faire de nos juges les derniers « maitres de vérité » tels que Marcel Détienne les décrivait dans la Grèce antique. Pour une très enrichissante discussion de la vérité juridique, voir cet article de Jean-Cassien Billier Vérité et vérité judiciaire, ici