Saturday, February 28, 2009

Citation du 1er mars 2009

Figaro : Et tu m'aimeras un peu ?

Suzanne : Beaucoup.

Figaro : Ce n'est guère.

Suzanne : Et comment ?

Figaro : En fait d'amour, vois-tu, trop n'est pas même assez.

Beaumarchais – Le mariage de Figaro,

- Tu m’aimes grand comment mon amour ?

- Tu m’aimeras jusqu’à quand ma chérie ?

- Tu es prêt à quoi par amour pour moi, mon adoré ?

Ah !... Que de questions posées seulement pour entendre dire que l’amour, le vrai, le grand, l’industrieux amour (1), n’existe qu’à la seule condition d’être infini.

Car, imaginez un peu que vous entendiez votre amoureux vous dire :

- Oui, je t’aime ma chérie. Je t’aime beaucoup.

Pouah ! Que cet adverbe est vilain. Car : En fait d'amour, vois-tu, trop n'est pas même assez.

Est-ce une raison pour rire des serments d’amour, de leur banalité rose bonbon et des reniements qu’ils préparent ?

Non. Plus de persiflage, arrêtons l’ironie facile.

L’amour est réellement une expérience de l’infini et de l’éternel (2).

Du temps de Descartes on démontrait l’existence de Dieu en disant : si nous pensons que Dieu est éternel et infini, c’est que nous avons une représentation de tout ça. Or, Dieu seul peut nous avoir mis ces représentations dans l’esprit, vu que nous, qui sommes des êtres limités à tout point de vue, nous serions bien incapables d’imaginer pareille chose. Donc la simple idée de Dieu prouve qu’il existe réellement.

Seulement, on peut aussi se dire : cette expérience intime de l’infini, nous l’avons bel et bien dans l’amour. Et de fait, beaucoup de religions ont valorisées l’adoration de Dieu comme source de contact avec le divin – les autres ayant recours aux substances hallucinogènes, ou simplement à l’étourdissement du corps, comme les derviches.

Adoration de Dieu. Amour du prochain, créature divine. Amour de Figaro pour Suzanne…

Entre l’amour et l’extase mystique, il n’y a que l’épaisseur d’un concept.


(1) Platon – Le banquet

(2) Et pas à la façon de Céline

Friday, February 27, 2009

Citation du 28 février 2009

Qu'est-ce que le moi ?

Un homme qui se met à la fenêtre pour voir les passants, si je passe par là, puis-je dire qu'il s'est mis là pour me voir ? Non ; car il ne pense pas à moi en particulier. […]

Où est donc ce moi, s'il n'est ni dans le corps, ni dans l'âme ? et comment aimer le corps ou l'âme, sinon pour ces qualités, qui ne sont point ce qui fait le moi, puisqu'elles sont périssables ?

Pascal –. Pensées. B. 323

Où est le véritable moi ? En janvier sur le trottoir ? Penché sur le balcon en juin ? Suis-je ici, suis-je là ? Peut-être le vrai moi n'est-il ni celui-ci ni celui-là, ni ici ni là, mais quelque chose de si divers, de si fluctuant, que c'est aux seuls moments où nous lâchons la bride à nos désirs et les laissons naviguer à leur guise que nous sommes en vérité nous-mêmes.

Virginia WOOLF - Au hasard des rues. (La mort de la phalène - p. 134)(1)

Une même question : qu’est-ce que le moi ?

Un même constat : le moi – ce moi-même que je suis – est un agrégat fluctuant de qualités, de caractéristiques, qui peuvent apparaître, disparaître, venir au premier plan ou s’effacer, sans que je cesse d’être « moi-même ».

Deux réponses :

- Pascal : en vérité le moi n’est rien, c’est de la fumée aux yeux qui trompe et pour la quelle notre orgueil se bat vainement. La vérité de mon être, c’est mon âme, que je ne connais qu’en passant par l’adoration de Dieu, son véritable Auteur.

- Virginia Woolf : le moi c’est précisément ce changement perpétuel, cette rhapsodie (2) de traits et de caractères changeants, ce kaléidoscope de désirs et de tendances.

Une nouvelle question : comment être soi-même ?

- Pascal : on n’est soi-même que dans la prière et par la foi qui nous permet de coïncider avec notre âme immortelle.

- V. Woolf : c’est en lâchant la bride à nos désirs et en les laissant naviguer.

Non pas pour accomplir ce vers quoi nous nous sentons attirés.

Mais parce que cette absence de continuité des désirs est la vérité du non-sujet que nous sommes.

Il me semble que Deleuze et Guattari ont dit quelque chose qui ressemble à ça, mais bien plus tard.


(1) Suite du texte :

Mais quelle absurdité! Il est en fait près de six heures, un soir d'hiver ; nous allons vers le Strand pour acheter un crayon. Comment se trouver en même temps au mois de juin toute emperlée sur un balcon ? Quelle absurdité! Folie de la nature, pas la nôtre. Quand elle entreprit son grand chef-d'oeuvre - la création de l'homme - elle n'aurait dû songer qu'à une chose. Mais non ; tournant la tête, regardant par-dessus son épaule, elle permit qu'en chacun de nous s'insinuent des instincts, des appétits en complet désaccord avec notre être, si bien que nous sommes zébrés, bariolés, barbouillés ; les teintes ont coulé. Où est le véritable moi ? En janvier sur le trottoir ? Penché sur le balcon en juin ? Suis-je ici, suis-je là ? Peut-être le vrai moi n'est-il ni celui-ci ni celui-là, ni ici ni là, mais quelque chose de si divers, de si fluctuant, que c'est aux seuls moments où nous lâchons la bride à nos désirs et les laissons naviguer à leur guise que nous sommes en vérité nous-mêmes. Les circonstances contraignent à l'unité ; il convient que l'homme soit un tout. Rentrant chez lui le soir, le bon citoyen se doit d'être banquier, golfeur, époux, père et non pas un nomade errant dans le désert, un mystique perdu dans la contemplation du ciel, un débauché hantant les bouges de San Francisco, un guerrier menant une révolution, un paria hurlant son scepticisme, sa solitude. Quand il ouvre sa porte, il lui faut se passer les doigts dans les cheveux et ranger son parapluie comme tout le monde.

Virginia WOOLF - Au hasard des rues. (La mort de la phalène - p. 134)

(2) Rhapsodie : Ouvrage en vers ou en prose fait de morceaux divers, mal liés entre eux. Le mot pris dans ce sens est chez Kant.

Thursday, February 26, 2009

Citation du 27 février 2009

Il faut tenir le pot de chambre aux ministres tant qu'ils sont en place, et le leur verser sur la tête quand ils n'y sont plus.

Maréchal François de Villeroy (1644-1730) – (1)

Pourquoi diable souriez-vous ? Serait-ce parce que je ne trouve à citer, concernant les ministres que des pensées issues du règne des rois de France ?

Comme si, même aujourd’hui, on ne pouvait comprendre le mot de ministre que dans son sens ancien de serviteur (2) ?

Comme si un ministre était puissant au point qu’il serait honorable de lui tenir le pot de chambre (3), mais n’était en réalité rien par lui-même, au point qu’on pourrait lui verser sur la tête ce même pot de chambre, dès lors qu’il aurait perdu cette fonction ?

Hé bien, oui : voilà où nous en sommes. Notre-Président a mis au point un système de gouvernement tel que les ambitieux ont tout intérêt à ne pas être ministres, parce que, s’ils le sont, on comprend très vite que leur pouvoir leur vient d’en haut, et que par eux mêmes ils ne sont rien.

On avait autrefois une République où régnait un parti, un clan, une coterie, comme on voudra dire. Chacun avait sa place dans cet ensemble, et lorsqu’il devenait ministre il ne perdait rien de ce qui faisait son ancien pouvoir. Il était tenu à respecter les choix du Président, mais celui-ci était également tenu à une certaine fidélité par rapport au parti qui l’avait mené au pouvoir. Autrefois, le Roi pouvait dire à ses barons : « Qui t’a fait baron ? », mais ceux-ci lui répondaient : « Qui t’a fait roi ? ».

Je laisserai à chacun le soin de mesurer l’écart entre ce système ancien et celui qui prévaut aujourd’hui.

En attendant : que chacun choisisse le ministre sur le quel il aimerait verser le pot en question.

S’il manque d’ustensile, qu’il sache que je suis prêt à lui fournir le nécessaire.




(1) François de Neufville, 2e duc de Villeroy (1685), est un maréchal de France né à Lyon le 7 avril 1644 et mort à Paris le 18 juillet 1730. Lire sa biographie ici.

(2) Ministre :

A. Vieilli. Celui qui est chargé de remplir une fonction, un office, d'exécuter une tâche pour le service de quelqu'un, d'accomplir le dessein d'autrui. (Source TLF)

(3) Il y avait à l’époque, dans les allées du parc de Versailles, des serviteurs avec des « seaux hygiéniques » (= pots de chambre) pour permettre aux courtisans de se soulager au cours de leur promenade.

Wednesday, February 25, 2009

Citation du 26 février 2009

Les femmes sont plus chastes des oreilles que de tout le reste du corps.

Molière – La Critique de l'école des femmes

[Le fantôme] … ton oncle se glissa près de moi avec une fiole pleine du jus maudit de la jusquiame, et m’en versa dans le creux de l’oreille la liqueur lépreuse. L’effet en est funeste pour le sang de l’homme: rapide comme le vif-argent, elle s’élance à travers les portes et les allées naturelles du corps, et, par son action énergique, fait figer et cailler, comme une goutte d’acide fait du lait, le sang le plus limpide et le plus pur.

Shakespeare – Hamlet Acte I, scène 5 (1)

Ah… L’oreille ! L’oreille si souvent oubliée dans la symbolique humaine, au profit des yeux, de la bouche… Le nez même est mieux servi qu’elle (ainsi qu’en témoigne notre propre recueil de Citations).

Et pourtant, l’oreille est symboliquement – comme ici – une porte du corps sinon de l’âme.

Exemple :

- Molière fait de l’oreille des femmes un organe dont la chasteté est comparée à la chasteté d’autres organes de leur corps. Pourquoi sont elles chastes ? Parce que les discours qu’on y fait entendre peuvent les troubler ? Bien sûr : mais c’est une façon de dire que symboliquement, c’est par l’oreille qu’on pourrait les pénétrer aussi.

- Shakespeare : le fantôme d’Hamlet (le père) révèle qu’il a été assassiné par du poison versé dans son oreille, poison qui se mêle à son sang aussi rapidement que s’il l’avait bu. L’oreille est la porte du corps, son allée naturelle, et par elle on peut le tuer.

- De même dans la corrida ; le torero est récompensé de sa bravoure en recevant les oreilles et la queue du taureau. Croit-on que c’est seulement parce que ça se découpe facilement ?

--> De nos jours, on ne pense plus à cette dimension très spéciale de la symbolique de l’oreille, et pourtant on reste très attentif à sa valeur. Dans la physiologie imaginaire du pouvoir incarné par les chefs d’Etat, il est essentiel d’être écouté de lui – d’avoir l’oreille du Président.

Réellement, l’injustice est flagrante : l’oreille est bien plus qu’un organe extérieur et facultatif, Elle est la voie d’accès à l’être au point que certains prétendent voir dans les grandes oreilles une faculté d’attention aux autres.

Ne dit-on pas d’ailleurs que les oreilles grandissent tout à long de la vie ?

(1) Il s’agit de la traduction de Victor Hugo, disponible sur le web ici

Tuesday, February 24, 2009

Citation du 25 février 2009

Le temps qui change tout, change aussi nos humeurs.

Chaque Age a ses plaisirs, son esprit, et ses moeurs.

Boileau – Art Poétique (Chant III v.373-374)

Il y a des gens pour vous dire : « La vie commence à 50 ans ! » et de vous expliquer l’épanouissement, le charme, le rayonnement des hommes et des femmes de cet âge. Et puis il y a ceux qui sentencieusement vous disent : « Chaque âge a ses plaisirs qu’il faut savoir goûter à propos. »

Alors prenez les au mot : allons-y. Quel épanouissement à 50 ans ? Quel avantage par rapport à 20 ou 30 ans ? Et les plaisirs ?

Demandez donc à votre grand père qu’on supposera avoir entre 75 et 85 ans : Dis grand père de quels plaisirs jouis-tu que tu n’avais pas étant plus jeune ?

--> Comme nous avons évoqué cette question dans un Post précédent, nous laisserons de côté l’énumération mélancolique des plaisirs envolés et la recherche incertaine des plaisirs découverts, pour nous concentrer sur une affirmation qui est posée indirectement par Boileau.

Chaque âge – et nous entendrons chaque période de la vie ; enfance, adolescence age adulte, vieillesse – avec ses plaisirs, certes, mais aussi avec ses qualités et ses défauts, disparaît dans l’âge suivant, lequel est en même temps le surgissement de quelque personnalité nouvelle. Ainsi, l’être humain est-il comme un oignon dont les écailles peuvent être enlevées une à une, produisant à chaque fois un bulbe nouveau.

Inutile de se demander dans quel sens va le temps de l’existence (on a rêvé son inversion avec le récent film racontant l’histoire de Benjamin Button (1)). Non. Demandons-nous plutôt s’il est vrai que l’enfant périt dans l’adolescent, et celui-ci dans l’adulte. Quant à savoir de qui se passe qui on devient vieux, et si on cesse alors d’être un adulte, demandez à votre grand père.


(1) Pour ceux que ça intéresse, sachez que les scénaristes de ce film ne se sont pas cassé la tête : ils ont piqué à Platon le mythe du Politique. Platon y suppose que c’est la rotation de la sphère céleste qui produit l’écoulement du temps. Lorsque celle-ci s’inversa, les vieillards redevinrent des enfants. Voici le texte :

« Dans cette circonstance (= inversion de la révolution céleste), on vit d’abord l’âge des divers êtres vivants s’arrêter soudain : tout ce qui était mortel cessa de s’avancer vers la vieillesse, et par une marche contraire devint en quelque manière plus délicat et plus jeune. Les cheveux blancs des vieillards noircissaient ; les joues de ceux qui avaient de la barbe, recouvrant leur poli, rendaient à chacun sa jeunesse passée ; les membres des jeunes gens devenant plus tendres et plus petits de jour en jour et de nuit en nuit, reprenaient la forme d’un nouveau-né, et le corps et l’âme se métamorphosaient ensemble. Au terme de ce progrès, tout s’évanouissait, et rentrait dans le néant. Quant à ceux qui avaient péri violemment dans le cataclysme, leurs corps passaient par les mêmes transformations avec une rapidité qui ne permettait de rien distinguer, et disparaissaient complètement en peu de jours » (Platon – Le politique 270 d-e)

Monday, February 23, 2009

Citation du 24 février 2009

- Et de longs corbillards, sans tambours ni musique,
Défilent lentement dans mon âme; l'Espoir,
Vaincu, pleure, et l'Angoisse atroce, despotique,
Sur mon crâne incliné plante son drapeau noir.

Baudelaire – Spleen (Les fleurs du mal)

La souffrance est une source d’inspiration poétique, sans elle pas de Baudelaire, ni de Nerval, - et puis Artaud ? Et encore bien d’autres…

La souffrance est toujours diffuse chez ces poètes, elle est psychologique pour ne pas dire psychiatrique ce qui fait qu’elle touche l’être tout entier.

La souffrance, mais pas la maladie. Que Baudelaire ait été syphilitique n’affecte pas son inspiration. Baudelaire ne dit pas : je suis le tabétique maudit.

Voilà toutes les réflexions qui me venaient alors que j’écoutais un slameur que j’aime bien : Grand corps malade. (1)

Et je me disais, Grand corps malade… voilà quelqu’un qui a été victime d’un grave accident (1997) et qui a éprouvé le besoin de rappeler à tous cette maladie (qui d’ailleurs n’en était pas une), qui se place donc dans un état maladif indéfini.

Moi, dans ce cas, tout ce que j’essaierais de faire, c’est d’oublier la maladie, de tourner la page, et malheur à ceux qui voudraient me la rappeler un peu trop souvent. Supposez que j’aie eu un cancer : je ne m’imagine pas me présenter aux gens en disant : je suis le cancéreux du poumon-2006.

- J’ai même failli partir d’un citation de sa « chanson » Je dors sur mes 2 oreilles, qui dit :

J’ai constaté que la douleur était une bonne source d’inspiration

Et que les zones d’ombre du passé montrent au stylo la direction

Comme ce jeune homme me parait tout à fait bien dans sa peau, je ne suis pas en droit de supposer qu’il cherche à se faire dorloter en prenant une posture doloriste. Reste donc à se dire que la douleur était une bonne source d’inspiration, et que la maladie situait le point d’ancrage de l’inspiration du poète.

Mais il nous égare : en réalité, ni la maladie ni même la douleur ne guide l’inspiration de ce slam. C’est un message du genre : quand on a été à deux doigts de la mort, on apprécie mieux la vie.

Grand corps malade : même pas mort !


(1) Bien sûr le philosophe ne manquera pas d’avoir une attention spéciale pour Abd Al Malik

Sunday, February 22, 2009

Citation du 23 février 2009

- Avez-vous vu bâiller des oiseaux, des chevaux, des vaches, etc. ?

Prière d'envoyer les résultats au soussigné, à F Institut J. J. Rousseau, Genève.

E Claparède – Le bâillement, extrait de Le sommeil et la veille (1937)

Y a-t-il des sujets indignes de la science ? L’exemple que nous donnons aujourd’hui pourrait le laisser penser : comment un scientifique sérieux, un homme respecté et renommé pour l’étendue de son savoir, peut-il donner comme sujet d’étude – entre autre – cette question portant sur le bâillement dans la monde animal – et en particulier chez les animaux qui ne sont pas des mammifères.

Seul l’artiste paraît susceptible de s’intéresser à cette question, et encore : il lui faut toute la force créatrice de Picasso pour qu’on s’intéresse à la représentation d’un coq baillant (1).

Mais croire que ces questions ne devraient pas intéresser le chercheur, c’est préjuger de leur issue. On sait que des laboratoires ont planché sur des questions très prosaïques, (du genre : pourquoi y a-t-il des bulles dans la coupe de champagne ?), et ont trouvé des réponses susceptibles d’applications pratiques.

Plus sérieusement, refuser de tels sujets d’études, c’est en réalité faire du platonisme : croire qu’il y a un rapport entre l’être et le connaître, de sorte qu’aucun savoir des sous-êtres que sont les ombres, les apparences, les reflets, ne peut être obtenu. C’est confondre l’ontologie et l’épistémologie.

La science c’est le triomphe d’Aristote sur Platon.


(1) Picasso – Pandiculation du coq. 1938

Sur la pandiculation, voir ici. Pour d’autres représentations du bâillement par des artistes, voir ici.

On peut aussi se reporter à ce blog : c’est celui d’une dame qui a vu bailler sa chouette

Saturday, February 21, 2009

Citation du 22 février 2009

Un enfant ayant demandé à sa bonne : pourquoi les trottoirs sont-ils dur ? Celle-ci lui ayant répondu ; parce que tous les trottoirs sont durs, il a considéré la chose comme expliquée. Expliquer pour l'enfant comme pour l'adulte c'est faire rentrer un cas particulier dans une règle générale.

Claparède, Psychologie de l'enfant et pédagogie expérimentale

Avec tout le respect que je dois et que je porte à Claparède, je reste sceptique devant son affirmation : non, un enfant ne sera sans doute pas satisfait de la réponse fournie ici (à savoir : ce trottoir est dur parce que tous les trottoirs sont durs).

Par contre, c’est vrai, il semble tout à fait acceptable d’expliquer en faisant rentrer un cas particulier dans une règle générale.

C’est même ce que nous faisons la plupart du temps.

Toutefois, deux remarques en faveur de Claparède :

- d’abord il peut arriver comme ici, que cette règle générale par la quelle nous tâchons d’expliquer les choses ne soit en réalité qu’un constat d’existence : de même qu’on disait que l’opium fait dormir parce qu’il a une vertu dormitive, de même on dit que le trottoir est dur parce que c’est dans la nature des trottoirs en général de l’être.

- Et ensuite, expliquer, c’est donner non pas à savoir, mais à prévoir. Du genre : « Fais attention mon lapin. Tu sais que tous les trottoirs sont durs : si tu tombes dessus, tu vas t’écorcher le genou. »

Mais pour en arriver là, ce qu’il faut c’est rapporter un effet à une cause. Et si possible, rapporter un effet particulier à une cause générale. A condition de préciser qu’il y a bien des types de causes différents.

Du genre :

- Les trottoirs sont durs parce qu’ils sont faits de cailloux ou de bitume ou de ciment.

- Pourquoi sont-ils ainsi faits ?

- Pour éviter qu’on s’enfonce dedans.

--> Ici, on passe de la cause matérielle à la cause finale : le trottoir s’explique par sa fonction. Mais c’est encore une cause, pas un simple constat d’existence.

Friday, February 20, 2009

Citation du 21 février 2009


On pense encore à toi oh Bwana

Dis-nous ce que t'as pas on en a

Le temps des colonies – Paroles : Michel Sardou et Pierre Delanoë Musique : Jacques Revaux Année : 1976 (à lire ici – à écouter ici) (1)

Les colonies… Puisqu’on en parle encore aujourd’hui, puisque ce passé n’est pas encore passé, alors : parlons-en.

Le colonialisme décrit dans la chanson de Michel Sardou est celui du pillage des ressources exotiques, du café, du coton, des filles…

Autrement dit on est plus dans le colonialisme anglo-saxon que dans le colonialisme à la française.

France / Outre-mer : Etat des lieux.

- Les colonies, vues depuis la France, c’est la République une et indivisible de Dunkerque à Tombouctou, avec la même langue et les mêmes lois pour tous. Ce sont les ancêtres gaulois pour tous, les écoles et les hôpitaux pour tous. C’est l’échange : matières premières contre produit manufacturés.

- La France vue des colonies, c’est les coups de fouet sur le dos des esclaves. C’est l’humiliation d’être considéré comme un sans droit, là où justement c’est le droit qui est censé faire la force.

- Le français, vu des DOM-TOM, c’est une carte bancaire sur pattes.

--> Qu’est-ce qu’on peut ajouter à ça ? Ou plutôt, qu’est-ce qu’il faut biffer comme périmé et sans intérêt ?

Moi, français de souche (un souchien comme on dit dans les banlieues en séparant parfois « sous » et « chien »), je me dis que c’est un étrange pathos, suranné et très décalé par rapport à la réalité.

Oui, mais voilà que j’entends les Guadeloupéens qui me parlent de 1848, de Schoelcher, de ressentiment, de Békés… Et de la banane, et des pesticides, et du prix de l’essence vendu par Total ou par Vito, et d’Air France et…

Et je comprends qu’il ne s’agit pas seulement de traumatismes dans les esprits, mais d’une situation économique qui perdure, que l’abolition de l’esclavage n’a pas aboli en même temps la sujétion économique et l’exploitation des ressources au profit de quelques entreprises, à propos des quelles même les députés de la majorité parlent de « rentes de situation », ajoutant il est vrai qu’elles sont « avantageuses pour tous » (sic !)


(1) Dans son commentaire, cité avec les paroles de la chanson, Michel Sardou déclare :

" Le ciel m'est tombé sur la tête. Je croyais camper un de ces personnages de bistrot qui racontent toute leur vie la bataille d'Indochine. J'ai en partie échoué. Certains journalistes ont compris l'opposé : je sublimais les années coloniales! J'incitais à la haine raciale! J'aime chanter à la première personne. J'entre ainsi dans un rôle comme le ferait un comédien. L'engagement est joué. La scène n'est pas un lieu où je me confesse. Le malentendu vient toujours de ceux qui n'écoutent pas. On leur dit : «Sardou chante les colonies, c'est honteux!»
Alors c'est un scandale!

Ils insultent bassement : «Nazi! facho!...» Mais heureusement, ceux qui n'écoutent pas n'ont aucune importance. Passons." Michel Sardou, La moitié du chemin, Nathan, 1989

Autrement dit, de même qu’on ne comprenait pas le sens de sa chanson, Michel Sardou ne comprenait pas pourquoi on ne le comprenait pas. Alors on va lui dire : c’est que le public – un certain public – l’avait identifié à un petit facho, et que de ce fait, il ne voyait pas en quoi cette vieille carne colonialiste était pour lui un rôle de composition.

Thursday, February 19, 2009

Citation du 20 février 2009

Si une patte de lapin porte bonheur, qu'a-t-il bien pu arriver au lapin ?

Jean-Loup Chiflet – Réflexions faites... et autres libres pensées

Qu’arrive-t-il aux pattes du lapin rose dans le métro ?

- Attention ! Ne mets pas tes mains sur la porte : tu risques de te faire pincer très fort.

Stick d’avertissement posé sur les portes du métro parisien.

--> Ce célèbre stick Ratp a donné des idées à toutes sortes de gens :

- Aux chats des japonais :

Doa ni gochuui ! (ドアにご注意), se traduit par « Attention à la porte ! ».

- à des humoristes français :

Ne mets pas ta bite sur les portes, tu risques de te la faire pincer très fort

- aux comités anti-pubs

Ne mets pas tes yeux sur les pubs : tu risques de te faire manipuler très fort.

(1)

- Et pour finir, à tout un tas de gens.


(1) Extrait de l’article de 20 minutes :

Un antipub condamné pour une campagne

Ce militant avait été repéré par des agents de la SNCF en octobre 2007 alors qu'il collait le désormais célèbre autocollant pastichant le lapin de la RATP « Attention ! Ne mets pas tes yeux sur les pubs : tu risques de te faire manipuler très fort » sur une voiture du RER

Wednesday, February 18, 2009

Citation du 19 février 2009

N’embauchez pas celui qui travaille pour de l’argent, mais celui qui aime son métier.

Henri D. Thoreau – La vie sans principe (in Essais, p. 243)

Voilà un conseil de bon sens que Thoreau prodigue en 1854 à ceux qu’on appellerait aujourd’hui des DRH.

Et vous savez quoi ? Cette remarque il y a encore quelques mois serait bien mal passée.

- Encore un accès de moraline aiguë, hein ?

Voilà bien les français, coincés par rapport à l’argent. Les Américains, eux ils ne sont pas comme ça. Tout ce qui compte pour eux c’est ce qu’on vaut en dollars, et pas comment on fait pour les gagner.

Et on aurait inutilement fait valoir que Thoreau est précisément un américain : ce ne serait sûrement qu’un marginal, que la patrie de l’oncle Sam tolère dans sa grande générosité, mais qui ne reflète en rien la véritable Amérique. Voilà ce qu’on aurait entendu.

Et puis… La crise, les subprimes, Kerviel et puis Madoff, et puis tous ces pauvres gens que la rapacité des banques ont réduit à la misère… Et puis le plan de relance d’Obama qui encadre les rémunérations des financiers de Wall Street.

Maintenant que tout ça est entrain de passer, on entend un peu plus distinctement l’avertissement de Thoreau, et on se dit que si jamais on suivait son conseil, dans les entreprises, alors il se passerait quelque chose de neuf.

Il se passerait que cet avertissement, venu du 19ème siècle nous ferait entrer dans le 21ème.


N.B. Sur un tel sujet, je ne résiste pas au plaisir de citer Jacques Séguéla : « Si a 50 ans tu n’as pas une Rolex, alors tu as raté ta vie »

Tuesday, February 17, 2009

Citation du 18 février 2009

On ne peut pas se permettre de ne pas vivre dans le présent. Il est béni entre tous les mortels, l’homme qui ne perd aucun instant de la vie qui s’écoule à se souvenir du passé.

Henry D. Thoreau – L’esclavage au Massachusetts (1854 - in Essais p. 214) (1)

Ah… L’Amérique, nous l’avons tant aimée… De Kerouac à Bob Dylan, de Martin Luther King à Angela Davis… Jusqu’à ce que viennent Donald Reagan et Georges W.

Mais en Amérique, la fibre réfractaire et dissidente n’est pas prête de s’éteindre parce qu’elle vient de loin. Ainsi, Henry Thoreau, connu des spécialistes seulement, pour son Essai sur la Désobéissance civile, peut être considéré comme un fondateur de la morale respectueuse de la nature, proche de l’écologie contemporaine. (2)

Et en plus, c’est un authentique épicurien.

On ne peut pas se permettre de ne pas vivre dans le présent, parce que c’est là que se trouvent toutes les joies de l’existence. Encore faut-il savoir vivre ce présent comme source de joie. L’exemple pris par Thoreau, c’est la joie d’entendre le chant du coq au lever du jour. Mais ce serait aussi bien arpenter la nature (4 heures de marche par jour : tel est son régime), à condition de ne pas être sur les routes tracées par les hommes, mais dans la vie sauvage.

Car le bonheur est là, dans le sentiment vécu de cette vie naturelle, qui bat en nous mais que nous ne ressentons qu’à condition qu’elle nous vienne amplifiée par le monde sauvage.

Et c’est pour cela que les souvenirs sont une perte de temps : ils nous détournent de l’attention au vécu présent. Et ils nous ne nous donnent que des fantômes, des ombres de joies, des petits bouts d’émotions, toutes racornies par le temps.

Si le passé est à jeter par dessus bord, c’est parce que notre présent est toujours riche de plaisirs accessibles.


(1) Cette conférence intervient pour soutenir le mouvement abolitionniste de l’esclavage, au moment où étaient promulguées deux lois fédérales :

- dont l’une imposait à tout citoyen américain – y compris dans les Etats du Nord – de participer à la chasse aux esclaves fugitifs,

- et l’autre stipulait que les nouveaux Etats crées dans l’ouest pourraient sur un simple vote de leurs citoyens devenir des Etats esclavagistes.

(2) J’allais oublier le Cercle des poètes disparus… Mille excuses !

Monday, February 16, 2009

Citation du 17 février 2009

On ne connaît la loi que lorsque les gens l'enfreignent.

Boris Vian

Il y a des idées simples qui ont besoin pourtant d’être rappelées : c’est le cas de l’utilité du crime.

Durkheim n’a pas cessé de le dire : le crime est non seulement un phénomène statistiquement normal, mais encore il est utile.

Normal, parce qu’il y aura toujours des hommes qui refuseront la contrainte.

Utile, parce que nous ne prenons conscience de l’obligation d’obéir aux lois que lorsque nous voyons les délinquants être punis de l’avoir fait. Sans eux, la loi tomberait en désuétude, plus personne ne la considérerait comme utile et nécessaire et surtout, au bout d’un certain temps, om perdrait même l’idée que c’est un délit de lui désobéir.

C’est ainsi qu’on ne sait même plus que certaines lois instituées, il y a des siècles et qui n’ont pas été abrogées, sont en principe encore aujourd’hui des contraintes auxquelles il faudrait nous soumettre. Je me rappelle avoir lu quelque part qu’une loi de la gabelle, qui interdisait aux riverains du littoral de transporter de l’eau de mer pour ne pas avoir la possibilité de produire du sel sans payer la taxe, n’était pas supprimée, au point que nous serions aujourd’hui encore coupables de le faire.

Bien. Voilà donc que Boris Vian reprend cette idée, mais peut-être avec une autre intention que celle qui animait Durkheim.

Car à la lecture de cette citation, la première remarque qui vient à l’esprit, c’est que les lois n’ont rien de naturel ni d’évident, puisqu’on ne les découvre que par la punition de ceux qui leur ont désobéi. Et comment ont-ils su qu’ils désobéissaient, si personne n’a été châtié avant eux ?

Nul n’est sensé ignorer la loi. Oui.

Mais c’est encore la loi qui le dit.

Sunday, February 15, 2009

Citation du 16 février 2009


La Banque du sperme ne connaît pas la crise.

Miss.Tic – Siné hebdo 15 octobre 2008

Ah !... La crise…

Les banques en déconfiture... Et les milliards qu’on leur donne sans qu’elles soient rassasiées…

Et les voitures qui pourrissent sur les parkings des constructeurs, et qui ne nous font même plus envie…

Faut-il se suicider ou bien partir aux confins des zones civilisées pour construire une yourte et survivre de la chasse et de la pêche ?

J’avoue avoir été à deux doigts de déprimer (déjà le 15 mars dernier…)

Mais heureusement, Miss.Tic est passée par là.

Et là, j’apprend qu’il y a une banque qui ne connaît pas la crise ?

La quelle ?

- Mais c’est la banque du sperme…

Et vous savez pourquoi la banque du sperme ne connaît pas la crise ?

Parce que tout le monde s’est ligué pour la renflouer en versant son obole.

Même ceux qui n’avaient pas grand-chose à donner : car pour la banque du sperme, la façon de donner vaut mieux que ce que l’on donne.

Et en effet :

- il y a ceux qui font un don personnel, versé directement à l’intéressée.

- et puis il y a ceux qui imaginent que des infirmières spécialisées viennent faire le prélèvement.

…Mais ceux qui ont ce genre de fantasme doivent faire acte de contrition.

Même les chinois ont démenti : voyez ça.

Saturday, February 14, 2009

Citation du 15 février 2009

Trois et quatre fois les samedis je m'appuyais les livraisons de la Place des Vosges, rue Royale, au pas de gymnastique encore ! La peine en ce temps-là on en parlait pas. C'est en somme que beaucoup plus tard qu'on a commencé à se rendre compte que c'était chiant d'être travailleurs. On avait seulement des indices.

Louis-Ferdinand Céline – Mort à crédit

Hein ? Vous aussi vous aviez cru que c’était Michel Audiard qui avait écrit cette réplique ?

Voyez l’injustice : on fait gloire à Michel Audiard de sa truculence, et on méprise Céline parce qu’on croit qu’il n’a fait qu’éructer des borborygmes haineux.

Laissons de côté l’évaluation du travail et retenons l’originalité de cette citation. Nous ne savons pas tout à fait ce que nous faisons, même lorsque c’est dans notre chair que les effets de notre activité se font sentir.

Mais surtout : en matière de travail, le seuil entre le tolérable et l’intolérable est sociologique ou historique.

Nos ancêtres ont supporté des conditions de travail que nous refuserions, fut-ce au prix de notre vie. Ils ont trimé comme des esclaves, pour un morceau de pain et un moment de repos qui leur permettait de récupérer leurs forces, juste pour recommencer le lendemain.

Ils travaillaient pour survivre, alors que nous travaillons pour vivre. Et plutôt pour bien vivre.

Et dans le bien vivre, il y a quelque chose qui a rapport au plaisir, à la jouissance, bref : au bonheur. On découvre alors ce que c’est que d’être aux prises avec le travail chiant.

On a vitupéré contre le travail aliénant, qui coupe l’homme en deux : tantôt il travaille ; tantôt il vit. Il a du plaisir en dehors du travail, et au travail il se mortifie. (1)

Mais il y a pire : c’est le travail qui use la totalité des forces humaines, celui qui fait de l’homme une bête de somme.

Car il n’y a plus alors de temps pour vivre.


(1) Voir cet extrait des Manuscrits de 1844 de Marx.

Friday, February 13, 2009

Citation du 14 février 2009

De là vient l'amour que nous avons naturellement les uns pour les autres : il nous ramène à notre nature primitive, il fait tout pour réunir les deux moitiés et pour nous rétablir dans notre ancienne perfection.

Platon – Banquet –191d

A quoi rêvent les amoureux en ce jour de Saint Valentin ? Inutile de chercher dans vos journaux ni dans les innombrables sondages qu’ils vont publier.

Ils rêvent, qu’ils sont comme les amoureux de Platon, entrain de fusionner avec leurs amant(e)s, pour ne plus faire qu’un avec elle (ou lui).

Disons ça autrement : les amoureux de la Saint Valentin rêvent qu’ils sont des escargots.

Chaque amoureux rêve d’être l’exact reflet de l’autre, ce qui rend l’amour fusionnel absolument parfait, puisqu’il s’agit non pas de souder l’un sur l’autre, mais bien de fusionner l’un avec l’autre (comme l’explique le même texte (1) avec la révélation de Vulcain, le Dieu forgeron).

Or, voyez ce que font les escargots :

Bon, alors c’est vrai : ils sont plutôt soudés que fondus l’un dans l’autre. Mais tout de même, ils ont une qualité qui fait de cette soudure quelque chose de bien particulier. Car les escargots sont hermaphrodites. Mieux encore que ce que supposait Platon avec ses demi hermaphrodites qui étaient confinés à un seul sexe (2). L’escargot quant à lui a les deux en même temps (même s’il ne se sert pas des deux en même temps…) : chacun est donc strictement identique à l’autre.

Bien sûr, je sais qu’il ne faut pas confondre reproduction et amour. Mais l’encyclopédie Wikipedia nous explique que les escargots se livrent à une parade amoureuse, ce qui en fait des modèles tout à fait présentables pour la Saint Valentin.

Quoi ? Vous détesteriez faire de l’escargot un symbole des amoureux ? Pourquoi donc ? Parce qu’il est baveux ? Non ?

Ah ! C’est parce qu’il a des cornes…


(1) « …si Vulcain, leur apparaissant avec les instruments de son art, leur disait : « O hommes, qu'est-ce que vous demandez réciproquement ? » et que, les voyant hésiter, il continuât à les interroger ainsi : « Ce que vous voulez, n'est-ce pas d'être tellement unis ensemble que ni jour ni nuit vous ne soyez jamais l'un sans l'autre ? Si c'est là ce que vous désirez, [192e] je vais vous fondre et vous mêler de telle façon que vous ne serez plus deux personnes, mais une seule, et que, tant que vous vivrez, vous vivrez d'une vie commune, comme une seule personne, et que, quand vous serez morts, là aussi, dans la mort, vous serez réunis de manière à ne pas faire deux personnes, mais une seule. Voyez donc encore une fois si c'est là ce que vous désirez, et ce qui peut vous rendre parfaitement heureux ? »

(2) Certes, Platon imaginait aussi qu’il y avait des hermaphrodites originaires. Mais, lorsque l’amour apparaît, la coupure a été faite : chaque amoureux a un sexe bien déterminé.

Thursday, February 12, 2009

Citation du 13 février 2009

L'éducation est une chose admirable, mais il convient de se rappeler de temps à autre que rien de ce qui vaut d'être connu ne saurait s'enseigner.

Oscar Wilde – Intentions

Pourquoi envoyez-vous vos enfants à l’école ? Pour qu’ils apprennent tout ce qu’il faut savoir pour être un homme ? Ou pour avoir l’esprit tranquille pendant que vous allez bosser ?

Oui, c’est plutôt ça, hein ?

Question d’Oscar Wilde : qu’est-ce qui vaut d’être appris ? Ou plutôt, qu’est-ce qu’on devrait apprendre et qui ne s’enseigne pas – et surtout dans les écoles ? Tout ce qu’on n’apprend que par l’expérience. Mais où apprend-on à tirer parti de l’expérience ?

Reposons la question autrement : qu’est-ce qui manque dans l’enseignement scolaire, au point que certains pans entiers du savoir (ceux-là même qui sont mobilisés dans la vie quotidienne) en sont tout à fait absent ?

La réponse est facile : c’est le contact avec la réalité. Les pédagogies actives tentent bien d’y remédier, en faisant réaliser de stages aux élèves, ou alors, pour les plus jeunes, à l’école, en visitant les bois et les champs, et le fournil du boulanger, en développant le sens de l’observation.

Supposons maintenant qu’Oscar Wilde ait un peu raison – même un tout petit peu.

Nos enfants passent un quart de leur vie sur les bancs de l’école : s’il n’y apprennent rien d’essentiel, quel gâchis ! S’ils y apprennent quelque chose, faut-il tant de temps pour le faire ?

- Que disent les parents ? Que, du moment qu’on leur garde leurs mouflets, alors ça va ; la preuve, c’est que le service d’accueil dans les écoles en cas de grève leur suffit. Le quel s’offusquerait que son gamin n’apprenne rien du moment qu’il est confiné entre quatre murs et en sécurité ? (1)

- Que disent nos enfants ? Rien. Ou si peu. Par contre, ce qu’ils font, c’est s’installer confortablement dans leur vie d’écolier-collégien-lycéen-étudiant, de façon à passer tout ce temps le plus agréablement possible. Comme au Club, quoi.

- Que disent les profs ? Que leurs élèves sont des ânes, parce qu’ils ne savent pas tout ce que eux, ils savent. Seulement ils ne se demandent pas ils ont appris ça. S’en rappellent-ils seulement ?

- Que faut-il se dire pour ne pas désespérer tout à fait ? Que l’école apprend bien quelque chose aux élèves, mais pas tout à fait ce qu’elle croit. L’école apprend à apprendre, ça oui, je le crois. Elle nous apprend non pas ce qu’il faut savoir de la littérature, mais plutôt que de la littérature existe, et qu’on peut selon certaines règles la lire et l’apprécier. Et de même qu’un ingénieur apprend dans son école à résoudre les problèmes qu’il ne lui ont pas encore été posés, de même l’écolier apprend à l’école ce qu’il faut savoir pour comprendre ce qu’on ne lui a pas appris.


(1) Bien sûr beaucoup de parents veulent que leurs enfants apprennent quelque chose à l’école. Mais sûrement pas en visitant le fournil du boulanger.

--> Savent-ils seulement leur table de multiplication ? – Eux qui se serviront d’une calculette même pour additionner 3 avec 4.

--> Et l’orthographe ? – Eux qui n’écriront jamais que pour envoyer des SMS..

Lol !

Wednesday, February 11, 2009

Citation du 12 février 2009

On impose, à distance, plus de respect.

Tacite

On fait gloire à Tacite d’avoir su s’exprimer avec une très grande économie de mots.

Oui, mais aussi quand on donne dans des évidences telles que la citation de ce jour, il n’y a pas une très grande gloire à la dire en 7 mots.

Car entre nous, tout le monde le sait : les grands ne nous paraissent tels que parce qu’on les voit de loin ; et encore, dans des pompes et des circonstances (1) bien choisies.

On devine où je veux en venir : la proximité qui est la marque de l’offre politique en France aujourd’hui, de la démocratie participative aux fréquentes visites de nos dirigeants dans les plus lointaines provinces du pays ne risque-t-elle pas de rendre les chefs de notre République moins respectable ? (Et encore, je ne parle pas des virées médiatiques à Disneyland…)

Pour aller un peu plus loin, on va se demander comment se manifeste le respect dans le domaine du pouvoir politique.Et c’est là que les choses se compliquent.

Dans la notion de respect il y a toujours deux sentiments mêlés : d’une part la reconnaissance d’une valeur supérieure ; d’autre part le sentiment d’une infériorité vis-à-vis de ce qui est respectable (2). D’où bien sûr la distance qui s’impose dès qu’on éprouve ou suscite du respect. Ne dit-on pas tenir en respect lorsqu’on menace d’une arme un éventuel agresseur ?

On voit bien la confusion que suppose la formule de Tacite : si le respect impose une distance morale, alors on suppose que la distance (morale ou physique) impose réciproquement du respect. Tout ce qui est supérieur est éloigné, donc tout ce qui est éloigné est supérieur. La faute logique est manifeste.

A moins que…

A moins que la distance, estompant les détails laisse libre cours à l’imagination qui va s’empresser de parer les Grands de qualités qu’ils n’ont peut-être pas. Et alors ce que nous reprochons à nous gouvernants quand ils se livrent aux médias comme de vulgaires vedettes du showbiz, c’est de nous empêcher rêver leur grandeur.


(1) Version complète ici

(2) Voir Kant : Morale - 2ème leçon : « [Le respect, c’est] la représentation d’une valeur qui porte préjudice à mon amour propre. ». Cité le 10 mai 2007

Tuesday, February 10, 2009

Citation du 11 février 2009

Les nations ne peuvent pas avoir de tranquillité sans une armée ; pas d’armée, sans une solde ; pas de solde sans des impôts.

Tacite

Février : bientôt les feuilles de déclaration d’impôts vont revenir sur la table du salon…

Bientôt, le contribuable va à nouveau maudire l’Etat et les impôts qu’il prélève sur le pauvre peuple qui travaille dur pour les payer…

A quoi sert l’impôt ? Si nous prenons le cas de l’Empire romain, là où la fonction de l’Etat était encore très sommaire, Tacite nous fournit un élément de réponse : l’impôt sert à maintenir une armée en état de fonctionner.

Autrement dit, du côté du citoyen, ce que finance l’impôt, c’est sa sécurité ; et du côté de l’Etat, c’est son pouvoir régalien de lever une armée.

Réciproquement, supprimer l’impôt (sous toutes ses formes), c’est priver l’Etat de ce pouvoir qui lui appartient en propre.

Car, la santé, l’éducation, le divertissement : voilà des domaines dans les quels le pouvoir régalien de l’Etat n’a pas à s’exercer ou bien peut se désengager. Qu’on voit l’exemple des pays anglo-saxons. Par contre il s’exerce nécessairement dans deux domaines : la sécurité et la justice (1).

Peut-on faire des économies dans ces deux domaines ?

- Pour la justice, nous avons le cas de Saint-Louis : il rend la justice tout seul, sous son chêne.

Donc pas de faux frais, ça ne coûte presque rien.

- Pour la sécurité, on peut soit faire appel à la protection d’un pays ami ; soit se déclarer neutre.

* Pour la première solution, admettons que sa protection est dangereuse quand elle n’est pas engagée dans une organisation internationale (OTAN)

* Pour la seconde, l’exemple de la Suisse est notable : il faut que cette neutralité soit gagée par l’avantage que les autres puissances ont à tirer de l’existence de l’Etat en question (banques, assurances, etc…)

Pour une fois que les banques serviraient l’intérêt supérieur de la Nation…


(1) On remarquera que le pouvoir de battre monnaie a cessé d’être un droit régalien avec l’euro.