Friday, November 30, 2012

Citation du 1er décembre 2012



On n'oublie rien de ce qu'on veut oublier : c'est le reste qu'on oublie.
Boris Vian
Mais la vie sépare ceux qui s'aiment, /Tout doucement, sans faire de bruit / Et la mer efface sur le sable / Les pas des amants désunis.
Chanson – Les feuilles mortes (paroles de Jacques Prévert, musique de Joseph Kosma)
Paradoxe de l’oubli : on n'oublie rien de ce qu'on veut oublier ; par contre il arrive qu’on oublie ce dont on voulait se souvenir.
Si notre volonté cherche à exercer son pouvoir sur notre propre psychisme, elle ne peut que fixer ce qu’elle voulait effacer : raison pour laquelle les souffrances morales sont si durables et qu’il est si difficile de les surmonter. Ce qui signifie qu’en lisant cette citation de Vian, on ne doit pas s’en tenir à l’évocation des souvenirs, mais qu’on doit penser aussi aux traces permanentes des blessures morales ou des traumatismes psychiques.
Que peut la volonté sur notre vie psychique ? Chacun aura reconnu l’impuissance des appels à la volonté de l’ami chagrin ou dépressif :
- Secoue-toi, Bon Dieu ! Un peu de volonté – ou : un peu de courage – Tu ne vas pas rester prostré comme ça, etc…
Que faire alors ?
Mais la vie sépare ceux qui s'aiment, /Tout doucement, sans faire de bruit / Et la mer efface sur le sable / Les pas des amants désunis.
Voilà : pour oublier il faut ensevelir le souvenir sous d’autres souvenirs. Le sable des empreintes de pas n’est pas enlevé, il est recouvert par des formes nouvelles, et il montre autre chose, si par exemple il est sculpté par la marée descendante.
- Mais quoi ! Vous me proposez d’oublier mon chagrin d’amour comme le fait, avec nostalgie, la chanson des feuilles mortes ! Voilà qui est encourageant ! Et quand bien même ça pourrait marcher : que vous voulez que je glisse quoi par-dessus le souvenir de celle que la vie a séparé de moi ? La danse des canards ? (1)
- Je sais ce qu’il vous faut : un autre souvenir, mais qui soit assez proche du précédent pour venir se greffer dessus et vous emporter ailleurs.
--> Tenez, essayez ceci :
… Moi, je dis qu’il se pourrait qu’Iggy Pop vous rappelle un sacré slow à 3 heures du matin, à tanguer au milieu du dance-floor avec une fille énamourée accrochée à votre cou…
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(1) Uniquement pour ceux qui ne connaitraient pas : cliquer ici

Thursday, November 29, 2012

Citation du 30 novembre 2012




Lénine réveille-toi – Ils sont devenus fous
Graffiti sur un  mur de Prague lors de l’invasion par les chars soviétiques – Aout 1968
Puisqu'aucun dieu du ciel ne s'intéresse à  nous, / Lénine, relève-toi, ils sont devenus fous.
Michel Sardou – Vladimir Illitch, chanson enregistrée en 1983

Sarkozy, reviens ! Ils sont devenus fous
Valeurs actuelles. (Titre en Une) novembre 2012

Il est vraiment des formules qui font date dans l’histoire : ainsi de ce graffiti sur un mur de Prague en 1968, devant l’avancée des chars soviétiques. Comme le petit enfant qui se réfugie dans les jupes de sa mère pour se protéger du coup sur les fesses… qu’elle vient pourtant elle-même de lui donner, on recevait alors ce message des révoltés Tchèques : le communisme, le vrai – ne peut être responsable de cette tuerie. Brejnev ne peut suffire à condamner le système…
En 1983, voilà que Michel Sardou, en quête de réhabilitation politique (après les Ricains…) lance un cri lyrique vers le passé glorieux de la révolution d’octobre. Il nous fait croire que la tragédie de l’histoire n’est pas close et que revenir sur le passé pour reprendre le chemin qu’on a loupé est la seule issue.
Et voilà qu’aujourd’hui aussi on a besoin de cet appel : pour sauver l’UMP (1), c’est à celui qui en est l’origine historique qu’il faut faire appel.
Permettez que je me contente de dire quels sont les présupposés d’une telle attitude : comme les tchèques en 68, on pense aujourd’hui que Leur-Président (de l’UMP) n’est pas responsable du conflit destructeur pour prendre le contrôle de l’appareil du parti. Du coup on peut faire appel à son intervention, sans craindre qu’il ne dévore, comme Raminagrobis ceux qui font appel à son arbitrage : si j’étais Fillon-le-Chat et Copé-la-Belette, je me méfierais quand même (2).
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(1) Parti de droite que dirigeait Nicolas Sarkozy avant d’être élu Président
(2) La Fontaine - Le chat, la belette et le petit lapin (voir ici)

Wednesday, November 28, 2012

Citation du 29 novembre 2012



La loi, d'une part, protège les époux, et la nature, d'autre part, montre que les dieux eux-mêmes ne sauraient se passer de l'amour pour assurer la propagation générale de la vie.
Plutarque – Erotikos (Ed. Belles Lettres)
Ceux qui, aujourd’hui, refusent aux homosexuel(le)s le droit au mariage pointent l’impossibilité pour eux de procréer : et c’est aussi l’argument présenté par Plutarque pour valoriser l’union hétérosexuelle. Car, si le mariage assure la stabilité sociale, il permet en outre de procréer et par là de fonder un foyer, source du bonheur conjugal.
Chez les grecs, la procréation est doublement divine : d’une part parce qu’elle est l’effet d’Eros, dieu de l’amour. Et d’autre part parce que les dieux eux-mêmes en ont besoin pour créer  de la vie (1).
Sans Eros, pas de vie sur terre, et même pas de Dieux sur l’Olympe. C’est ce que croit Hésiode, selon qui il existe un Eros primordial qui a permis à Chaos et Gaïa de s’accoupler pour produire les Dieux et tout ce qui s’en suivit.
Maintenant, redescendons de l'Olympe et revenons à nous : amour-mariage-enfants : dans quel sens ça marche ?
- De nos jours, on s’aime, on se marie, et puis on fait des enfants – si affinité.
- La morale chrétienne inverse  le rapport entre amour et procréation : ce qu’on considère en premier, c’est la possibilité d’engendrer, car c’est elle qui entraine la légitimité de l’amour (l’amour physique du moins). Ainsi, les couples homosexuel(le)s sont-ils condamnés car forcément stériles. Le chrétien considère la sexualité comme un mal quand elle n’est pas justifiée par sa fécondité.
- Du temps de Plutarque, on dira : Messieurs, amusez-vous si vous voulez avec un jeune et bel éphèbe. Mais ce n’est pas sérieux : vous devrez un jour ou l’autre faire des enfants et alors il vous faudra un partenaire sexuellement convenable. La sexualité n’est ni bonne ni mauvaise : elle est simplement utile.
- Et nous, si nous étions grecs ou romains, que dirions-nous du mariage homo ?
… Peut-être ceci : les homos ont le droit de se marier, à condition qu’ils aient d’abord payé leur dette à l’égard de la vie et de l’espèce en faisant d’abord un ou deux enfants.
Même Oscar Wilde se maria et eut deux enfants…
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(1) On notera au passage que les Dieux gréco-romains, à la différence du Dieu judéo-chrétien, sont à l’intérieur de la nature, puisqu’ils sont soumis à ses lois.

Tuesday, November 27, 2012

Citation du 28 novembre 2012



…on connaît ce mot charmant d'Euripide, qui disait en donnant des baisers et des caresses au bel Agathon qui avait déjà de la barbe: "La beauté reste même dans son automne."
Plutarque – Erotikos (Ed. Belles Lettres)

Les mœurs connaissent-elles une évolution ? On peut en douter quand, abordant le débat sur le mariage entre homosexuel(el)s, nous lisons ce dialogue de Plutarque. Soutenant que l’union d’un homme et d’une femme est supérieure à celle d’un homme avec un autre homme, il évoque l’instabilité de cette dernière – en raison entre autre de la barbe dont l’apparition fait fuir l’amant.
En effet, l’amour homosexuel chez les grecs et les romains unissait non un homme et un homme, mais un homme et un adolescent. C’est ainsi que le bel Agathon qui avait déjà de la barbe en était déjà à l’automne de l’amour : autant dire que ça ne durait pas longtemps.
Plutarque en conclue que, si on ne peut aimer un barbu, ce danger n’est pas encouru quand on aime une femme (1), donc que l’union hétérosexuelle était meilleure du point de vue de la stabilité de l’union – et donc de la qualité des mœurs.
On trouvera peut-être ce chemin d’argumentation tortueux ? Soit – Reste que l’idée évoquée par Plutarque est aussi celle qu’on entend aujourd’hui. L’union entre un homme et un homme serait une menace pour la société (grecque ou romaine, mais aussi la nôtre) entre autre parce qu’elle est instable, qu’elle fluctue au gré du désir érotique.
Et l’homme qui aime une femme, est-il donc plus fidèle ?
Oui – en tout cas c’est possible. Car si on en croit Plutarque, la femme enracine l’homme dans une relation stable et durable : grâce à ses attraits physiques, elle le garde avec elle suffisamment longtemps pour qu’apparaissent des liens plus profonds que l’amour : il s’agit de l’amitié (2) qui unit l’époux et l’épouse.
Autre temps, autres mœurs dira-t-on : aujourd’hui les homos vieillissent ensemble…
Alors, oui : accordons-leurs le droit au mariage… mais après une preuve de vie commune de 10 ans.
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(1) Tant et si bien que, pour faire fuir le prétendant-mari qui l’aurait empêchée de respecter son vœu de chasteté, sainte Wilgeforte obtint de Dieu qu’il lui fit pousser une barbe très fournie (voir ici)
(2) Il s’agit de la philia comme on l’a expliqué récemment (ici)

Monday, November 26, 2012

Citation du 27 novembre 2012



L’enjeu de ce nouveau sommet est notamment de débloquer une tranche d'aide à la Grèce, d'un montant de 31 milliards d'euros, sur les 44 milliards promis. Athènes ayant entrepris les réformes exigées, elle attend désormais un réel coup de pouce pour l’aider à réduire sa dette.
Le printemps canadien n'avait encore connu que quelques semaines de vie que l'été du calendrier venait déjà et il sembla que la divinité qui réglementait le climat du lieu donnât soudain à la marche naturelle des saisons un coup de pouce auguste, afin de rejoindre une fois de plus dans leur cycle les contrées heureuses du sud.
Hémon – Maria Chapdelaine 1916
Je ne sais pas pour vous, mais moi, il y a des expressions passe-partout qui m’exaspèrent. Ainsi du « coup de pouce » mille et mille fois répété en particulier dans des articles de la  presse économique.
Selon moi, un « coup de pouce » c’est une chiquenaude, comme celle que le commerçant donnait à la balance pour majorer le poids de l’article vendu. Quand il s’agit de donner trois sous de plus aux smicards, passe encore ; mais quand il s’agit de dizaines et de dizaines de milliards d’euros versé à la Grèce, là ça énerve.
Seulement, voilà : Louis Hémon (1) nous explique que, quand il s’agit d’une divinité, alors le coup de pouce a des effets colossaux : quand Dieu veut modifier ce qu’Il a créé lui-même, alors un léger coup de pouce Lui suffit : les miracles ne Lui coutent pas beaucoup d’effort.
Nous avions expliqué tout cela dans un Post du 29 mai2007, et je n’y reviendrai pas.
Sauf pour dire ceci : si pour la Grèce, un don de 30 ou 40 milliards d’euros c’est un simple « coup de pouce », alors c’est que les bailleurs de fonds sont aussi puissants que Dieu lui-même.
Qui sont ces Dieux ? Les banques qui détiennent des fonds privés, ou les Etats qui ont des fonds publics ? On devine que, comme les banques ont déjà cotisé, ce sont aux Etats de le faire maintenant.
Et vous savez quoi, mes chers lecteurs ? « L’Etat, c’est nous » – donc c’est vous : comme ça vous devez savoir que vous êtes vous-mêmes des dieux !
- Dis donc Dieu, t’as pas 30 milliards ?
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(1) De même que Carlos Gardel était toulousain, Louis Hémon était breton… Faut-il  en concevoir de la fierté nationale ? Si on y tient – Reste que la France n’a pas su leur donner la gloire…