Thursday, June 30, 2016

Citation du 1er juillet 2016

Victoire... Défaite... Ces mots n'ont point de sens. La vie est au-dessous de ces images, et déjà prépare de nouvelles images. Une victoire affaiblit un peuple, une défaite en réveille un autre.
Antoine de Saint-Exupéry – Vol de nuit (1931)
Je vois la victoire comme une borne sur une autoroute sans fin.
Joan Benoit Samuelson
Consolation –
Comme chaque année j’ai une pensée pour les candidats bacheliers : j’aimerais consoler ceux qui vont rester sur le carreau, mais aussi avertir ceux qui réussissent à passer la barre.

Victoire... Défaite...
Voyons un peu du côté des sportifs, footballeurs ou tennismen. Que disent-ils à propos de chaque match ? Avant : je prends chaque match l’un après l’autre. Après : il me faut travailler d’avantage pour la prochaine compétition. C’est une continuité faite de l’égrènement des épreuves : voilà qui prime sur la victoire et la défaite. Chaque coupe gagnée doit être remise en jeu ; chaque élimination est l’occasion d’une réinscription.

Quel est le problème ? Aucun si l’effort consenti permet de s’inscrire dans une dynamique qui se déploie par en-dessous. Par contre, si on voit ces épreuves comme des rééditions de la même épreuve, comme un « éternel retour du même » : alors oui, il y a problème. Raphael Nadal, neuf fois vainqueur de Roland Garros a réalisé un exploit hors du commun – et après ? Que lui reste-t-il aujourd’hui (à supposer qu’il ne puisse plus revenir dans la compétition) ? Qu’a-t-il obtenu qu’il n’aurait pas eu s’il avait gagné non pas neuf, mais huit ou dix fois ? La défaite ne vaut guère plus en terme de signification, si elle n’est qu’une prise de conscience d’une situation par rapport à l’objectif de la compétition.
Le bac maintenant.
Imaginez un peu : vous êtes candidat au bac et vous attendez les résultats. Quel qu’ils soient vous aurez deux possibilités : soit d’exulter soit de vous désespérer – Reçu, vous vous estimez déjà à l’étape suivant, étudiant ou chercheur d’emploi , c’est selon les circonstances. Mais en cas d’échec ? Vous sentez-vous marqué à tout jamais, comme celui qui a raté son bac ? Mais, de toute façon, dites-vous que, quand vous aurez 50 ans, à moins d’avoir un psychisme un peu bizarre, vous n’y penserez vraiment plus du tout.

Dans notre Citation-du-jour, Saint-Exupéry considère que vainqueur ou vaincu, c’est du pareil au même à condition d’être toujours dans la prospective –  Et justement : tout passe, tout s’efface, la nouvelle étape recouvre la précédente et l’oubli fait le reste.

Wednesday, June 29, 2016

Citation du 30 juin 2016

/L’étranger/ est fixé à l'intérieur d'un cercle géographique donné (…) mais sa position y est déterminée surtout par le fait qu'il n'y appartient pas d'avance, qu'il y importe des qualités qui n'en proviennent pas et ne peuvent en provenir
Georg Simmel, Sociologie. Études sur les formes de la socialisation, (1908)
p. 663-667 (Lire ici)
Du concept d’étrangeté -
L’étranger est celui qui apporte avec lui « des qualités qui ne proviennent pas /de notre pays/ et ne peuvent en provenir ». Autrement dit, l’étrangeté est liée, à tout jamais, à l’étranger, même quand il parviendrait à se fondre dans la masse des autochtones – par exemple en parlant leur langue sans aucun accent. Comme cette étrangeté n’est autre que la marque d’un ailleurs, commun à d’autres hommes provenant du même lieu, l’étranger n’est pas un individu unique, mais toujours lié à un peuple, une culture ou une communauté.
L’étranger nous est proche, puisqu’il est notre voisin, mais il n’est pas notre prochain, puisqu’il est marqué par sa nature différente. On protestera sans doute : l’homme – celui de nos Droits de l’homme – est universel, en lui l’essence humaine s’exprime totalement quelle que soit son origine géographique ou ethnique. Nous pouvons reconnaître ou non l’étranger comme membre de notre groupe, de toute façon il est homme et voilà tout. Sauf que cela ne l’empêche pas de conserver les différences dont nous avons dit qu’elles étaient sa marque. Dirons-nous que ces différences sont inessentielles ? Peut-être – mais Simmel ne le pense pas : « la conscience de n'avoir en commun que le simple universel met davantage en relief justement ce qui n'est pas commun » écrit-il.
Autrement dit, c’est l’accessoire qui devient essentiel…Joli tour de passe-passe ! N’allons-nous pas exclure de notre groupe des hommes simplement parce qu’ils ont besoin de faire shabbat le samedi, de jeuner pendant le ramadan ou de se prosterner au pied de la croix ? Car depuis que l’humanité a pris racine quelque part, elle a toujours adoré des forces occultes aux quelles elle a sacrifié bien des hommes justement.
D’ailleurs il se fait aussi que bien d’autres détails beaucoup plus accessoires deviennent parfois déterminants pour diviser les hommes. Et si pour être étranger il suffisait d’être habillé aux couleurs d’une équipe de foot à l’intérieur d’un stade où se trouvent des hommes supporters vêtus d’autres couleurs ?


Tuesday, June 28, 2016

Citation du 29 juin 2016

Tromper serait s'accorder /avec les autres hommes/ seulement en paroles et … être en réalité contraires les uns aux autres.
Spinoza, Éthique, 1672, Partie IV, Proposition 72
(Voir en annexe la citation exacte)

- Chérie-amour, tu sais que je rentre tard ce soir ? Tu te rappelles ?
- Mais oui, je sais que tu restes au bureau pour une conférence des managers et qu’il ne faut pas te déranger.
- Voilà… A ce soir mon amour.
o-o-o
Ce petit dialogue fait sourire : le gentille dame croit au mensonge de son mari, qui bien sûr a prévu une partie de pattes-en-l’air avec la nouvelle stagiaire. Elle est bête : ce qui lui arrive, c’est bien fait.
Quant au monsieur c’est un salaud, un menteur et un lâche. S’il avait eu un peu plus de c…, il aurait dit : « Mon amour j’ai une barre à mine dans le calcif depuis que Lola (tu sais la nouvelle stagiaire ?) est arrivée dans le service. Je vais l’inviter ce soir au restau’. Ne m’attends pas pour diner – ni pour te coucher. »
C’est tout ? Et vous ne demandez pas si le mensonge n’aurait quand même pas une vertu réelle : celle de maintenir l’harmonie entre les hommes (et les femmes) ?  Quand Lola aura disparu, mieux vaudrait que madame n’en ait jamais entendu parler ; c’est quand même mieux pour les enfants que leurs parents ne divorcent pas tout de suite.
Spinoza, comme plus tard Kant, estime que mentir à quelqu’un n’est jamais justifié parce que dire la vérité est un commandement de la raison, aussi impératif que tous les autres (ne pas tuer, ne pas voler, ne pas porter de faux témoignage, etc.) Il en déduit qui l’harmonie entre les hommes ne peux se bâtir sur d’autres bases que celles de la vérité.
Certains en douteront ; mais entre le principe de toujours dire la vérité et la pratique qui recommande de ne le faire qu’à la condition que cela permette une meilleure harmonie avec les autres, comment trancher ? Il faut évaluer les risques, mais pour cela ne pas se contenter de mettre dans la balance les inconvénients pour soi-même, mais aussi pour ceux à qui on ment. Et parmi ceux-ci, il y a celui de les considérer comme des gros ballots qui ne méritent pas la vérité.
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Annexe :
« Proposition 72
L'homme libre n'agit jamais en trompeur, mais toujours de bonne foi
 Démonstration
 Si un homme libre agissait, en tant que libre, en trompeur, il le ferait par le commandement de la Raison (nous ne l'appelons libre qu'à cette condition) ; tromper serait donc une vertu et conséquemment il serait bien avisé à chacun de tromper pour conserver son être ; c'est-à-dire (comme il est connu de soi), il serait bien avisé aux hommes de s'accorder seulement en paroles et d'être en réalité contraires les uns aux autres, ce qui est absurde. Donc un homme libre, etc.
C.Q.F.D. 
Scolie (lire ici)

Monday, June 27, 2016

Citation du 28 juin 2016

Il y a chance que nos gouvernants soient obligés d'user largement de mensonges et de tromperie pour le bien des gouvernés; et nous avons dit quelque part que de pareilles pratiques étaient utiles sous forme de remèdes.
Platon – La République 459d

C'est donc aux gouvernants de l'État qu'il appartient, comme à personne au monde, de recourir à la fausseté, en vue de tromper, soit les ennemis, soit leurs concitoyens, dans l'intérêt de l'État ; toucher à pareille matière ne doit appartenir à personne d'autre.(…)
Platon – Idem
Quel cynisme ! Platon aurait donc anticipé d’un millénaire Machiavel ? Nos politiciens magouilleurs pourraient-ils nous dire : « Ne nous insultez pas ! Si nous vous avons menti, c’est dans l’intérêt supérieur de l’Etat – c’est-à-dire de vous, et nous n’avons fait que suivre le précepte Platon – Platon dont par ailleurs tout le monde se réclame »
Dans le même temps, retrouvons (ici) les passages où saint Augustin condamne le mensonge, quelque soit le projet qui le justifie, considérant que la bonne foi est l'unique base sur la quelle peuvent s’édifier des rapports humains authentique.
Du coup on se doute que Platon ne parle pas du tout de la même chose : comparant les citoyens à des petits enfants malades qui rechignent à prendre leur remède, il justifie le mensonge comme faisant partie du traitement. De même que le médecin met du miel sur le bord de la coupe contenant le médicament que le malade va boire sans soupçonner son amertume, le mensonge n’est qu’un moyen de faire accepter les mesures que le chef de l’Etat doit prendre dans l’intérêt du pays. Donc le mensonge doit disparaître, être oublié, dès lors que les réformes ont été acceptées, que ce soit l’augmentation des taxes ou des impôts, ou les lois d’exception liberticides.
--> Le mensonge serait donc justifié à la condition qu’il soit le fait des gouvernants qui agissent dans l’intérêt de l’Etat et non dans leur intérêt particulier. Quand aux citoyens qui s’offusquent des mensonges de leurs gouvernants, qu’ils se regardent un peu dans la glace et qu’ils se disent « je ne suis qu’un enfant irresponsable, et c’est pour cela qu’il a été juste de me mentir. La seule question qui importe, compte tenu de ce que nos dirigeants nous ont fait accepter, c’est : « est-ce que ça va mieux maintenant ? »
Pourquoi pas ? Sauf que le mensonge, s’il ne jette pas le discrédit sur les ministres et chefs d’Etats, humilie ceux qui ont été trompés : « On vous a menti ? Mais est-ce que vous méritiez autre chose ? Le jour où vous serez capables de vouloir autre chose que votre petit intérêt particulier, oui : ce jour-là on ne vous mentira plus ! »

- Une exception : durant la campagne électorale de 2012, j’ai eu le sentiment que les électeurs savaient très bien que les candidats à la Présidentielle leur mentaient (y compris « Moi-Président ») Ils le savaient mais ils aiment ces mensonges, c’était comme une gentille berceuse : il sont voté pour celui qui chantait le mieux.

Sunday, June 26, 2016

Citation du 27 juin 2016

 Il faut qu’il y ait des malheureux dans le monde.
Sade – Les 120 journées de Sodome (texte à lire en annexe)
Commentaire 3 –
Si on veut prendre cette citation de Sade au sérieux, alors il faut dire que le bonheur des uns implique le malheur des autres.
- Dans le domaine de la psychologie : car à moins de supposer qu’il y a des masochistes qui jouissent d’êtres les souffre-douleurs des sadiques, les plaisirs de ces derniers supposent bien des tourments subis contre leur grés par leurs victimes ; et le pervers narcissique qui cherche à se faire valoir en humiliant et écrasant ses proches n’a pas besoin d’autre chose.
- Mais on peut aussi penser aux sociétés inégalitaires comme celles d’aujourd’hui, qui trouvent une forme d’élan dynamique dans le déséquilibre entre riches et pauvres.
Dans la société, on peut admettre en effet, comme le dit Rawls que tout le monde n’ait pas le même accès aux richesses si c’est là une condition du bonheur de tous : que mon voisin soit plus riche que moi est acceptable à condition que j’en éprouve moi-même une satisfaction : par exemple s’il est médecin et qu’il ne se consacre à son art qu’à la condition de gagner plus d’argent que ses malades. Autrement dit, oui, il faut qu’il y ait des gens plus malheureux que d’autres parce que ça va mieux comme ça pour tous.
Bien sûr ce paradoxe signale que nous ne sommes pas ici dans une morale de la conviction (qui ne répond qu’à des principes) mais dans une morale de la responsabilité (qui tient compte des effets de l’action) (1) ; il faut donc dire aussi que le problème est celui de la proportion. A combien de malheureux faut-il consentir ? De combien de richesses les gens heureux doivent-ils jouir ? Voilà une question qui nous taraude l’esprit aujourd’hui où le libéralisme triomphant bâtit la prospérité sur l’inégalité contribuant à faire des pays riches… peuplés de pauvres !
Si un tel principe nous écœure et si nous voulons trouver la limite du tolérable en définissant le pallier au-delà du quel l’injustice sociale est intolérable, il faut un principe inviolable qui assure une universalité à une valeur : celle du respect de la vie. Sans cela je pourrais tuer mon voisin si c’était là la condition du bonheur de tous les autres habitants de l’immeuble –  ce que certains dictateurs font sans aucun état d’âme.
Autrement dit, l’éthique de la conviction fait quand même retour.
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(1) Cf. le texte de Max Weber ici.

Annexe
« Je maintiens qu’il faut qu’il y ait des malheureux dans le monde, que la nature le veut, qu’elle l’exige, et que c’est aller contre ses lois en prétendant remettre l’équilibre, si elle a voulu du désordre. […] L’univers ne subsisterait pas si la ressemblance était exacte dans tous les êtres ; c’est de cette dissemblance que naît l’ordre qui conserve et qui conduit tout. » Sade – Les 120 journées de Sodome