Sunday, February 28, 2010

Citation du 1er mars 2010

Tout est drogue à qui choisit pour vivre l'autre côté.(1)

Henri Michaux – Qui je fus

Qu’est-ce qu’on trouve donc de si attirant et de si dangereux de l’autre côté ? Et de quel autre côté parle-t-on ?

1 – Inutile de se référer aux films de la série Star wars et au coté obscur de la force pour avoir l’idée de la dualité des choses. Mieux vaudrait même ne pas y penser, parce que le côté obscur existe partout – absolument partout. Le bon et le mauvais se donnent la main pardessus la limite du permis – du moins quand ils servent à caractériser les actions.

Entre le Bien et le Mal n’y a-t-il donc qu’une différence de degré ? Si cela était, dans quelle morale serions-nous donc engagés ?

Hé bien ce n’est pas si difficile de répondre, dès lors qu’on accepte d’oublier les références chrétiennes.

Si en effet on va voir du côté des grecs, on trouve chez Aristote en particulier l’idée que la vertu n’est autre que le milieu entre deux excès. Ainsi, le courage, qui tient le milieu entre la témérité et la couardise, qui doivent se combiner pour donner cette vertu, et qui ne le peuvent que dans le respect de la juste mesure.

Mais il ne s’agit pas comme on pourrait le croire d’une simple recette pour bien vivre. Les grecs considéraient que le juste milieu était la règle du bien agir parce qu’il reflète aussi la nature humaine, mixte composé de raison (logos) et de sensibilité (pathos). Il y a donc un vice de l’excès. (2)

Maintenant pourquoi l’excès serait il si attirant qu’on ne pourrait plus s’en détourner dès lors qu’on l’aurait rencontré ?

2 – Remarquons déjà que, si l’autre côté est l’excès alors on comprend mieux que ce soit là une drogue. Car comment expliquer l’attrait pour l’excès si on ne tient pas compte du fait que c’est un concept dynamique ? Il n’y a excès que lorsqu’il y a dépassement. L’excès d’hier est la banalité d’aujourd’hui. Exactement comme avec l’argent (voir ce récent post) la règle c’est Toujours plus !

J’imagine que la drogue n’est pas seulement d’addiction à une substance, c'est-à-dire la dépendance physiologique, mais que c’est aussi la recherche du bonheur par le renouvellement de l’aventure – l’aventure du franchissement des bornes du quotidien.

3 – Evidemment c’est maintenant facile de dire que c’est – au sens propre – l’extraordinaire que l’on trouve de l’autre côté.

Le problème n’est pas de savoir si on est drogué : on l’est tous. La question est simplement de savoir à quelle drogue nous sommes attachés.


(1) Je reconnais que cette formule est tout à fait scandaleuse et j’en restreindrai la portée

(2) Les curieux pourront faire un petit tour du côté de Wikipédia (ici)

Saturday, February 27, 2010

Citation du 28 février 2010

Pourvu que je ne parle ni de l’autorité, ni du culte, ni de la politique, ni de la morale, ni des gens en place, ni des corps en crédit, ni de l’Opéra, ni des autres spectacles, ni de personne qui tienne à quelque chose, je puis tout imprimer librement, sous l’inspection de deux ou trois censeurs.

Beaumarchais – Le Mariage de Figaro

S'il était aussi facile de commander aux esprits qu'aux langues, tout souverain régnerait sans danger.

Spinoza - Traité théologico-politique ch. XX

Censure 2.

Tout ce qui n’est pas interdit est autorisé – Est-ce donc avec cette formule qu’on va pouvoir définir la censure ? Ne vaudrait-il pas mieux dire : Tout ce qui n’est pas autorisé est interdit (par exemple : il est permis de manifester sa joie pour l’anniversaire du Cher-leader. Tout le reste est interdit) ?

Peut-être, mais pas tout à fait – Beaumarchais nous le rappelle fort justement : il faut en plus l’inspection de deux ou trois censeurs.

Ce qui permet de rappeler fort justement que, comme nous le disions hier, la censure a beaucoup de mal à interpréter le sens des pensées humaines, et donc que le contrôle de deux ou trois censeurs n’est pas de trop.

Mais il est sans doute nécessaire de distinguer aussi, comme le fait Spinoza, le pouvoir sur les langues du pouvoir sur les esprits. C’est là qu’on voit les limites du pouvoir. Et c’est la raison pour la quelle le pouvoir tyrannique ne se contente jamais des interdits qu’il a promulgués et n’a de cesse qu’il ait fait disparaître tous ceux qui sont capables de créer de la pensée. Parce que la liberté humaine, intarissable jaillissement de pensées neuves, est un danger permanent pour le pouvoir. Benjamin Constant disait dans notre citation d’hier que la raison en était l’ondoiement subtil et insaisissable de la pensée. En réalité ça va beaucoup plus loin : personne ne sait quelle pensée jaillira de son cerveau demain, aujourd’hui, tout à l’heure – maintenant !

On a vu que Spinoza en prenait acte comme d’un fait qui pouvait inquiéter le souverain. Kant, de son côté, tout en admettant que le pouvoir était capable de stériliser cette liberté, ne pouvait réellement l’empêcher – en sorte que le despote éclairé devait, un peu comme le web master qui modère a posteriori un forum, avoir une bonne police pour contrer les effets de cette liberté qu’on ne saurait donc empêcher (1).

Le danger, comme on l’a vu, c’est lorsque la modération s’exerce a priori, c'est-à-dire lorsque les policiers au lieu de punir les publications, assassinent les auteurs pour éviter qu’ils publient.

Un jour prochain – si ce n’est déjà fait – ce sera le cas des modérateurs du web en Chine.


(1) « Mais aussi, seul celui qui, éclairé lui-même, ne redoute pas l'ombre, tout en ayant sous la main une armée nombreuse et bien disciplinée pour garantir la tranquillité publique, peut dire ce qu'un État libre ne peut oser: " Raisonnez tant que vous voudrez et sur les sujets qu'il vous plaira, mais obéissez ! » Kant – Qu’est-ce que les lumières ?

Friday, February 26, 2010

Citation du 27 février 2010

En France, une institution aussi arbitraire que la censure serait à la fois inefficace et intolérable ; dans l’état présent de la société, les mœurs se composent de nuances fines, ondoyantes, insaisissables, qui se dénatureraient de mille manières, si l’on tentait de leur donner plus de précision. L’opinion seule peut les atteindre ; elle seule peut les juger, parce qu’elle est de même nature.

Benjamin Constant – De la liberté des Anciens comparée à celle des Modernes

Censure 1.

La censure est souvent choisie comme exemple de l’inanité des interdits quand il faut réguler la pensée humaine.

Nous n’échappons pas à l’erreur signalée par Constant : voyez les ridicules procès intentés pour des délits d’opinion racistes, antisémites, etc…

L’exemple le plus récent dans ma mémoire c’est le procès intenté à Siné pour antisémitisme, pour avoir écrit que le fils Sarkozy – celui qu’on appelle depuis le Prince Jean – s’était converti au judaïsme pour épouser une riche femme juive. Le délit étant constitué par le fait de souligner que cette femme était et juive et riche (1).

On sait que la censure apparaît généralement comme une vieille femme acariâtre (Anastasie) armée d’une grande paire de ciseaux. On ne parle d’elle que pour s’en moquer, et la meilleure façon de le faire, c’est effectivement de montrer qu’elle ne sait même pas elle-même ce qu’il faut censurer et pourquoi il faut le faire.

Toute fois il y a au moins une censure qui ne se trompe jamais et qu’on ne peut contourner : c’est la censure que, selon Freud, notre propre psychisme s’applique à lui-même.

Le sur-moi au quel est liée la censure n’est pas seulement un censeur sévère ; il est aussi infaillible, au point que son action nous révèle souvent la portée de certaines de nos pensées qui nous avaient parues innocentes de prime abord.

En quoi une censure peut-elle être infaillible ? En ce qu’elle reconnaît parfaitement tous les franchissements de la frontière de l’interdit, et si elle les connaît, c’est parce qu’elle sait quelles sont les intentions qui animent ces débordements et qui leur donne un sens.

On dit parfois qu’on ne peut sonder les cœurs et les reins. C’est faux. Le sur-moi le peut, et si on l’a symbolisé par l’œil de Dieu-qui-voit-tout, ce n’est pas pour rien.


(1) Voici le texte incriminé, publié dans Charlie Hebdo du 2 juillet 2008 « [Jean Sarkozy] vient de déclarer vouloir se convertir au judaïsme pour épouser sa fiancée, juive et héritière des fondateurs de Darty. Il fera du chemin ce petit ! »

Thursday, February 25, 2010

Citation du 26 février 2010

Si Dieu devait apparaître aux affamés, il n'oserait leur apparaître que sous forme de nourriture.

Gandhi

Je l’avoue : sans la polémique sur le restaurant Quick qui sert exclusivement des hamburger hallal, je n’aurais pas eu l’idée de citer cette phrase. Mais essayons d’élever le débat au-dessus de la vaine querelle…

Dieu ne saurait être systématiquement l’Etre resplendissant qui se cache dans le Buisson Ardent pour éviter d’aveugler Moïse – voir Exode ch. 3 (et bien sûr ce Post ). Ici, sa splendeur s’efface devant sa fonction : nourrir les affamés. D’ailleurs, qu’est-ce que c’est que ce Dieu qui est obligé de se cacher pour ne pas aveugler ? N’a-t-il pas le pouvoir de baisser la lumière, un peu comme on le fait avec la lampe du bureau ?

Mais je déraille : l’immensité divine ne saurait être plus (plus que l’infini) ; elle ne peut non plus être moins. Laissons donc ces cogitations laborieuses.

Mais retenons une chose : tous les attributs de Dieu sont

a – infinis ;

b – compatibles les uns avec les autres.

Or, dans ces attributs, il y a l’amour pour ses créatures. Dieu nous aime et il nous aime bien sûr d’un amour infini.

Cet amour peut se manifester de toutes sortes de manières, que moi, chétive créature, je ne saurais imaginer. Mais je sais au moins que cet amour doit déjà se manifester par une bienveillante sauvegarde – sans la quelle il n’aurait plus de créatures à aimer.

Voilà pourquoi Gandhi a raison de dire que Dieu doit apparaître aux affamés sous forme de nourriture.

Mais, ne blasphémons pas, s’il vous plait : pas question de dire que Dieu apparaît à certains sous forme d’un hamburger et aux autres comme étant d’une tranche de pastèque (sans parler bien sûr du pain et du vin). Non. En vérité Dieu n’apparaît pas dans la nourriture – il transparaît par elle. C’est la nourriture qui ne pourrait pas exister sans Lui : ainsi du pain quotidien.

Et ainsi surtout de la manne céleste (1).


(1) Lorsque les Hébreux sortirent d’Egypte et traversèrent le désert, Dieu fit tomber quotidiennement sur son peuple une nourriture céleste, ayant la consistance de la mie de pain. Grâce a cette manne, le peuple a pu se nourrir pendant tout son voyage vers la terre promise (Exode : 16,13-36).

Certaines traductions un peu plus littérales expliquent que la manne était comme de la gelée blanche répandue sur le sable du désert ; d’autres qu’elle ressemblait à des graines de coriandre (voir ici).

Wednesday, February 24, 2010

Citation du 25 février 2010

Si tu pouvais par un seul désir tuer un homme à la Chine et hériter de sa fortune en Europe, avec la conviction surnaturelle qu'on n'en saurait jamais rien, consentirais-tu à former ce désir?

Chateaubriand – Le génie du christianisme (I, Livre 6, ch.2)

On consultera en annexe la longue histoire du « mandarin assassiné » pour se convaincre qu’il s’agit là d’un questionnement moral assez fondamental.

L’essentiel est en effet de relever que depuis 2500 ans la même affirmation demeure : sans les lois répressives, jamais le sentiment de l’injustice ne suffirait à empêcher le crime. Même le remord qui, dit-on, est le châtiment le plus douloureux (voir ici l’histoire de Caïn) n’empêche rien du tout : quand il s’instaure, le mal est déjà fait, et sa crainte n’a jamais empêché aucun criminel de commettre son forfait.

Cela, tout le monde le sait, et je ne vais pas continuer à enfoncer des portes ouvertes.

Simplement on est certain que l’assassin de Mandarin, c’est toujours le voisin – ce salaud ! – et jamais soi-même (même Chateaubriand écrit : « Si tu pouvais… », et non « Si je pouvais… ».

Alors passons aux travaux pratiques.

- Dis-moi, cher lecteur, qui serait ton Mandarin à toi ? Suppose que tu revêtes la cape d’invisibilité de Harry Potter, n’y a-t-il pas un homme quelque part dans le monde dont tu accaparerais les biens, les palais, les femmes ? Allez dis un nom !

…Non ? Personne ? Je sais que tu mens, mais qu’en toi-même tu as déjà l’image d’un beau salopard dont la disparition soulagerait l’humanité et dont la fortune serait mieux dans ta poche…


Mais je vois que tu hoches la tête, brave lecteur : l’impunité ne t’intéresserait que pour satisfaire quelques uns de tes plus brûlants désirs, ce qui n’implique pas du tout l’assassinat de quiconque. C’est d’ailleurs ce que nous suggère l’image ci-contre…

En effet, je l’admets : ça peut suffire – pour commencer…





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Annexe : l’histoire du mandarin chinois

1 - L'histoire du mandarin remonte à Platon, La République : l'anneau de Gygès.

2 - Que l'on retrouve ensuite dans Cicéron –Traité des Devoirs

3 – Puis Montaigne, Essais, L.II, chap 16 ;

4 – Et La Bruyère Caractères Chap.6

5 – Rousseau " Les crimes non commis sont déjà dans le fond des cœurs, et il ne manque à leur exécution que l'assurance de l'impunité" (Narcisse ou l'amant de la vérité).

Idem (dans le Discours sur l'origine de l'inégalité) :" il n'y a peut-être pas un homme aisé à qui des héritiers avides, et souvent ses propres enfants, ne souhaitent la mort en secret."

6 – La main passe ensuite à Diderot. "Je ne doute point que, sans la crainte du châtiment, bien des gens n'eussent moins de peine à tuer un homme à une distance où ils ne le verraient gros que comme une hirondelle, qu'à égorger un bœuf de leurs mains" Lettre sur les aveugles.

7 – Balzac et Le Père Goriot dans lequel Rastignac demande à Bianchon : "Te souviens-tu de ce passage où il [Rousseau] demande à son lecteur ce qu'il ferait au cas où il pourrait s'enrichir en tuant à la Chine par sa seule volonté un vieux mandarin sans bouger de Paris ?"

8 – Phrase qu’on trouve en réalité chez Chateaubriand : O conscience ! ne serais-tu qu'un fantôme de l'imagination, ou la peur des châtiments des hommes ? Je m'interroge ; je me fais cette question : « Si tu pouvais par un seul désir tuer un homme à la Chine et hériter de sa fortune en Europe, avec la conviction surnaturelle qu'on n'en saurait jamais rien, consentirais-tu à former ce désir ? (Le génie du christianisme)

Tuesday, February 23, 2010

Citation du 24 février 2010

On s'explique mal que nombre de gens aiment mieux prêter de l'argent, au risque de le perdre, que rembourser celui qu'ils doivent.

Courteline – La Philosophie de Georges Courteline

Mais, tandis que celui-ci [= le thésauriseur (1)] n’est qu’un capitaliste maniaque, le capitaliste est un thésauriseur rationnel. La vie éternelle de la valeur que le thésauriseur croit s’assurer en sauvant l’argent des dangers de la circulation, plus habile, le capitaliste la gagne en lançant toujours de nouveau l’argent dans la circulation.

MARX - Le capital, I, 4 (éditions sociales, p. 157 – à lire ici)

Courteline avait-il lu Marx ? Sûrement pas, sans quoi il n’aurait il n’aurait pas manifesté cet étonnement.

Mais ne l’oublions pas : une question peut en cacher une autre. Qui est celle-ci : en aimant l’argent, qu’aime-t-on ? Aime-t-on le posséder, comme le « thésauriseur maniaque » ? Ou aime-t-on en avoir toujours plus, comme le capitaliste que Marx qualifie de « thésauriseur rationnel » ?

En réalité, si Courteline avait lu Marx, il aurait compris que la contradiction qu’il pointe résulte en fait la méconnaissance de ce qu’on recherche avec l’argent. Selon Marx, l’amour de l’argent, c’est la recherche de « la vie éternelle de la valeur » ; ce qu’on recherche, c’est l’éternité – de l’argent, et non par l’argent. (2)

Au fond, on est ramené à la thèse présentée par Platon dans le Banquet : « En somme l'amour consiste donc à vouloir posséder toujours ce qui est bon » affirme Diotime, expliquant à Socrate que le désir de possession exclut la consommation qui détruirait l’objet désiré. Mais c’est là qu’est le problème avec l’argent : comment le posséder toujours sans le consommer jamais et sans qu’il dépérisse.

C’est bien là qu’est la difficulté ; si j’aime l’argent je ne devrais pas le dépenser, puisque alors je ne l’aurais plus – mais en même temps que faire avec cet argent si je n’en fais rien ? La plupart des gens voudraient gagner au Loto pour avoir tant d’argent qu’ils pourraient le dépenser sans compter et sans que leur magot ne diminue. Ceux qui réfléchissent un peu plus se disent qu’en le plaçant intelligemment ils pourront vivre de leurs rentes sans entamer leur capital. Les voici donc thésauriseurs rationnels, c'est-à-dire capitalistes.

Mais ces gens-là sont des petites gens, des pauvres devenus riches qui n’auront jamais le pur amour de l’argent. Ceux qui sont possédés de cet amour le savent : quant on aime l’argent on n’en a jamais assez, parce que c’est ça le mode d’existence de la valeur éternelle de l’argent : toujours plus. C’est là qu’est l’essentiel.

On parle aujourd’hui avec mépris des banquiers et de leur avidité : on passe à coté de l’essentiel. Les banquiers sont des amoureux qui, comme le dit Platon accèdent, grâce à cet amour, à l’éternité – celle de la valeur.

[Rappelons, pour ceux qui pensent que les mortels n’ont pas accès à l’éternité, et surtout pas par l’intermédiaire de l’argent qui s’érode et se dévalue sans cesse, que Platon explique dans le Banquet que l’immortalité (=éternité) n’est accessible pour les mortels que grâce à la procréation. Aimer l’argent, c’est donc vouloir qu’il fasse des petits.]


(1) Mot du jour – Thésauriseur : celui qui amasse de l'argent.

(2) À comparer avec notre Post d’hier où la recherche du gain était la manifestation, non pas de l’amour de l’argent, mais d’un amour narcissique de soi

Monday, February 22, 2010

Citation du 23 février 2010

Un plaisir qu’on se procure soi-même (s’il n’est pas contraire aux lois) est deux fois éprouvé : d’abord parce qu’on l’a acquis, ensuite parce qu’on l’a mérité.

[Ainsi] l’argent qu’on a gagné par le travail fait plaisir, au moins d’une façon plus durable que celui qu’on a gagné au jeu…

Kant – Anthropologie du point de vue pragmatique (p.99)

Les français n’arrêtent pas répéter le slogan sarozyste « Il faut travailler plus pour gagner plus ».

Ce qui pose la double question suivante : pourquoi il est important

1 – De gagner plus ;

2 – De gagner plus en travaillant plus.

Sur la première question, nombreux sont ceux qui se sont évertués à démonter que l’argent ne suffit pas à bien vivre, qu’il vaut mieux faire des économies de travail que devenir riche, etc…

Mais très peu se sont interrogés sur la seconde question. On peut pour cela se tourner vers Kant et Max Weber.

La thèse de Kant d’abord : l’argent qu’on a gagné par le travail fait plaisir, au moins d’une façon plus durable que celui qu’on a gagné au jeu.

– Supposez que vous gagniez au Loto : vous voilà en vacances perpétuelles, et heureux de l’être. Ou mais vous ne pouvez pas être fier de cela, parce que l’argent n’est pas seulement un moyen économique, mais en étant la contrepartie de votre travail il est aussi la preuve de votre mérite, ce qui bien sûr n'est pas le cas ici. (1)

Bon : nous voilà au cœur du problème, tel qu’il a été largement développé par Max Weber (Ethique protestante et l’esprit du capitalisme – à lire ici) : la besogne est le but assigné par Dieu à la vie humaine (2). Le salaire est la trace matérielle de ce travail quand il a été reconnu et valorisé par autrui. Plus « je travaille mieux », plus je gagne d’argent.

Dans la vie, l’enrichissement n’est pas le but, la consommation encore moins (du moins pour les puritains anglo-américains que cite Weber) : c’est la reconnaissance du mérite par la valeur-salaire.

Il en résulte que les spéculateurs ont bien le droit de se déclarer fiers de leurs bonus, à condition qu’il soit l’effet de leur talent, ce qui n’est pas le cas des dirigeants avec leur parachute doré qui s’ouvre même quand ils on creusé un déficit abyssal dans la caisse.


(1) Pour une étude plus approfondie de la psychologie du joueur de Loto, se reporter au Post de demain.

(2) On peut se référer au verset de Saint Paul, évoqué ici.

Sunday, February 21, 2010

Citation du 22 février 2010

Pourquoi appellent-ils intelligence toutes les limites de toutes les règles, tous les interdits de tous les codes ? Enorme et gigantesque constipation de tous les cerveaux !

Wilfrid Lemoine – Le Funambule

Sacré Wilfrid Lemoine ! Bien que je ne le connaisse pas (1), il m’est vraiment sympathique, avec son image du cerveau constipé. Je me prends à imaginer la production d’un tel cerveau : ça ne fait pas envie…

Wilfrid Lemoine critique ici non pas l’intelligence, mais une pseudo-intelligence – non pas celle qui met la pensée en ordre et lui permet de progresser en suivant une méthode, mais celle qui au contraire la stérilise. Comment faire la différence entre les bonnes limites et les mauvaises, les bons codes et les interdits stérilisants ?

Démêlons le bon grain de l’ivraie :

- l’intelligence est une faculté qui, comme le dit Bergson (2), consiste à établir des rapports. La logique est son instrument, l’outil (le marteau et le burin ou la pioche et la hache) est son moyen d’entrer en contact avec la matière. L’intelligence est absolument nécessaire pour agir sur celle-ci afin de lui arracher de quoi survivre.

- Mais du coup, l’intelligence exclut tout ce qui échappe à ces rapports ; elle ignore donc les autres relations possibles avec la matière, avec la vie, avec la nature.

Sans entrer dans le détail, disons que l’art par exemple est une autre forme de rapport à la réalité, que par lui nous rejoignons de façon tout à fait directe.

Ainsi, l’artiste vous dira que la porte de votre chambre change constamment selon la manière dont elle est éclairée, le moment de la journée, votre position par rapport à elle, etc. L’intelligence quant à elle vous dira que la seule différence qu’on puisse y noter, c’est qu’elle soit ouverte ou fermée.

Nous rejetons l’usage qui consiste à confondre l’intelligence et la connaissance intuitive, comme quand on parle de « l’intelligence du cœur ». En conséquence, il n’y a donc qu’une seule intelligence, mais il faut se rappeler qu’elle ne s’applique que dans certains cas, et qu’elle ne pourra jamais constituer la totalité de la connaissance.

L’intelligence est donc constipante quant elle s’applique au-delà de ses limites.


(1) J’ai cru comprendre qu’il était Québécois. S’il y a un lecteur de la Belle Province qui le connait un peu, je serais content d’avoir quelques détails sur sa vie, son œuvre etc…

(2) Voir Post du 2 mai 2007 (citation en italique dans le corps du texte)

Saturday, February 20, 2010

Citation du 21 février 2010

Les financiers ne font bien leurs affaires que lorsque l’État les fait mal.

Talleyrand – Discours, entretiens et autres sources

La faiblesse des Etats contribue à la force des financiers. Je suppose que ça veut dire que les Etats puissants veulent contrôler le pouvoir de la finance, alors que celui-ci leur échappe et prospère selon ses propres règles quand ils cessent de pouvoir exercer leur contrôle.

Voilà ce que savait donc déjà Talleyrand ; et voilà ce que confirme les interventions de la banque Goldman Sachs (La Firme comme on l’appelle) trafiquant les comptes de la Grèce d’abord, et spéculant contre l’euro ensuite.

Puisqu’on savait ça depuis le début du 19ème siècle, on devrait examiner avec plus de méfiance les informations qu’on nous serine à grand coup de trompes, telles que :

1 – Les autorités européennes ignoraient quel était le chiffre exact du déficit grec. Contre quoi, les économistes avertis nous expliquent que depuis plus de 5 ans ce déficit faisait l’objet de débats, de colloques, etc.

2 – La Grèce a eu besoin de Goldman Sachs pour faire de l’optimisation budgétaire (entendez : maquiller son déficit). Je ne doute pas que ce soit vrai, mais je m’étonne que personne dans les services financiers du gouvernement grec n’ait été capable de faire le travail. Trop nul quand même.

3 – Jamais la France n’a fait appel à un tel service : j’espère bien qu’on est capable de maquiller nos comptes tout seuls – tout de même !

4 – Il faut – c’est impératif – moraliser la finance ! Alors, là, permettez quand même qu’on sourie. Ce que Talleyrand savait, c’est que les financiers ne poursuivent que leur profit et jamais l’intérêt général ; aujourd’hui on dirait que c’est dans leur ADN. C’est aussi ce que les traders de Wall Street nous répondent quand on leur dit que les gens de Goldman Sachs sont très méchants parce qu’après avoir aidé les grecs à nous mentir et contribué au déficit dans la zone euro ils spéculent contre cette monnaie.

Alors dites moi comment se fait-il qu’on croie que les choses peuvent changer à condition de faire simplement appel à leur sens du Bien, du Bon, du Beau ?

Friday, February 19, 2010

Citation du 20 février 2010


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Or je trouve, pour revenir à mon propos, qu’il n’y a rien de barbare et de sauvage en cette nation [= le Brésil], à ce qu’on m’en a rapporté, sinon que chacun appelle barbarie ce qui n’est pas de son usage ; comme de vrai, il semble que nous n’avons autre mire de la vérité et de la raison que l’exemple et idée des opinions et usages du pays où nous sommes.
Montaigne – Essais, I-31 « Des cannibales »
Il n'existe pas de peuples non civilisés. Il n'existe que des peuples de civilisations différentes.
Marcel Mauss
Mes chers amis, je vais vous parler de votre patrie : la Belgique.
Hergé – Tintin au Congo (1930) (1)
Voilà de quoi nous consoler, nous Français à qui on reproche d’avoir faire réciter dans nos colonies « Nos ancêtres les gaulois ». Après tout, que les Belges aient fait pareil au Congo montre aisément que c’était dans l’air du temps.
Il a donc fallu toute l’autorité d’un savant tel que Marcel Mauss pour faire passer le message : tous les peuples sont civilisés – ce qu’on aurait dû savoir depuis Montaigne remarquez…
Mais justement, que cela nous soit une leçon : si l’autorité de Montaigne n’y a pas suffi, que vaut alors celle de l’ethnologie et de l’anthropologie ? Que Mauss et Lévi-Strauss se donnent la main par-dessus les années pour nous enseigner cette leçon de modestie n’a absolument pas empêché Notre-Président d’expliquer sans sourciller à nos amis sénégalais (à Dakar) qu’ils étaient des attardés parce qu’ils ont oublié de monter dans le grand train de l’Histoire…
Inutile toute fois de nous fustiger : ce déni ce civilisation est aussi la règle chez ces peuples « sauvages », ainsi que le montre Lévi-Strauss dans Race et histoire : « œuf de pou, singe de terre » tels sont les noms dont les indiens d’Amérique affublaient les conquistadores.
Reste alors à psychanalyser cette illusion : si la seule civilisation possible est la nôtre, c’est qu’elle satisfait notre narcissisme. On ne comprendrait pas l’amour que nous portons à nos coutumes, si on ne savait qu’il s’agit aussi de l’amour que nous portons à nous-mêmes.

(1) Voir l’extrait ici – où l’on découvre Tintin sauvant ses petits élèves des griffes d’un léopard pendant que ceux-ci se cachent en tremblant sous leurs pupitres…

Thursday, February 18, 2010

Citation du 19 février 2010

Vérité révélée contre vérité argumentée, le débat est l'un des plus difficiles qui soit, précisément parce que la révélation exclut en principe l'idée même de débat.

Mireille Delmas-Marty – Le Monde de l'éducation - Juillet - Août 2001

Je ne sais sur quel sujet portait le débat au quel on fait ici allusion, mais une chose me paraît sûre : aucun débat ne peut se développer entre des gens supposant posséder la « vérité révélée ». Imagine-t-on un débat entre des adeptes de religions différentes, mais également révélées ? Entre un musulman et un chrétien ? Entre un chrétien et un juif ? Une telle supposition est effectivement ridicule.

Voilà pourquoi l’idée d’un débat sur l’identité nationale qui a agité la France pendant plusieurs mois a été un débat plutôt stérile.

Si en effet il ne peut y avoir débat, c’est parce que l’identité française, dont nous sommes en tant qu’individus l’expression, est notre substance et c’est la raison pour la quelle on ne peut s’en défaire pour l’examiner à distance, comme pour la comparer à d’autres objets du même genre. Débattre sur un tel sujet ne peut avoir aucun sens si on entend par là discuter pour savoir s’il faut accepter ou refuser d’intégrer tel ou tel élément à notre identité. (1)

Bien sûr, on peut à un très modeste niveau admettre le débat. Simplement, il doit avoir pour sens d’intégrer et non de « désintégrer » ces différences dans l’identité nationale.

…Sauf qu’il ne s’agit pas d’un débat, mais tout au plus de nouvelles recettes pour « vivre-ensemble ».

Le terme de recette paraît choquant ? Je comprends cela. Mais il faut alors entreprendre autre chose : quelque chose comme une étude scientifique de cette identité considérée sous l’angle culturel, examiner scientifiquement les compatibilités et les incompatibilités des différentes composantes de la culture française – savoir si par exemple en 2010 il est encore possible d’affirmer que la base de l’identité française est ethnique (2). Mais alors il ne s’agit plus de débats, mais d’argumentation historique et culturelle.

(1) Bien entendu j’admets fort bien que cette identité soit soumise à des changements au cours de l’histoire, changements qui d’ailleurs peuvent être très rapides. Mais il ne s’agit nullement de décision prises par des individus, mais une succession d’états subis par eux.

(2) Comme le soutenait il y a peu un chef de parti d’extrême droite en France.

Wednesday, February 17, 2010

Citation du 18 février 2010

La honte suit toujours le parti des rebelles ; / Leurs grandes actions sont les plus criminelles : / Ils signalent leur crime en signalant leur bras, / Et la gloire n'est point où les rois ne sont pas.

Racine – La Thébaïde

S’il est une doctrine qui nous fait horreur, à nous les enfants de la Révolution française, c’est bien celle qui interdit la rébellion contre l’injuste pouvoir de l’Etat : les barricades sont dans notre ADN comme on dit aujourd’hui (à moins qu’on dise – comme autrefois – c’est la faute à Voltaire, et surtout à Rousseau (1)). La honte faite ici aux rebelles choque profondément notre sens de la justice. Oui, pour nous, la résistance à l’oppression est plus qu’une réaction compréhensible devant les abus du tyran : c’est un devoir.

On pourrait même en faire un trait de notre identité nationale… Mais chut ! Ne réveillons pas le débat qui dort. Par contre on pourrait faire une classification des nations selon qu’elles valorisent la rébellion, ou qu’elles la châtient comme un crime.

Quoique… Où serions nous classés, nous qui faisons aujourd’hui de la sécurité la valeur cardinale de notre République ?

Examinons donc la justification de cet interdit, tel qu’on peut la trouver chez deux principaux auteurs :

1 – D’abord Kant « Il ne peut même pas y avoir dans la constitution un article qui permettrait à un pouvoir de l'État, au cas où le chef suprême transgresserait la loi constitutionnelle, de lui résister, et par conséquent de lui imposer des bornes. » Kant - Doctrine du droit (II, 1ère section, remarque A). Autrement dit :

a) aucune loi ne peu justifier la violence contre la loi, même si le chef suprême la transgresse ;

b) ensuite, aucun ordre politique juste ne peut se fonder sur la violence – ce qui disqualifie bien sûr les révolutions.

2 – Ensuite Jean Bodin (2) : « [Le peuple dit à son roi] Nous te prions, nous voulons aussi, et t'enseignons que tu regnes sur nous: alors le Roy dit, si vous voulez cela de moy, il faut que vous soyez prests à faire ce que je commandera : que celuy que j'ordonneray estre tué, soit tué incontinent, et sans delay, et que tout le Royaume soit commis et establi entre mes mains ; le peuple respond, ainsi soit-il. Puis le Roy continuant dit : la parole de ma bouche sera mon glaiv ; et tout le peuple l’applaudit. » Jean Bodin - Six Livres de la République (Chapitre 8 – De la souveraineté).

Ainsi, pour Bodin, le pouvoir souverain ne peut être soumis à aucune condition et l’obéissance à ses décrets doit être sans discussion. Bien entendu la démocratie ne déroge pas à ce privilège, chaque citoyen étant collectivement solidaire du pouvoir souverain, et individuellement soumis à ses ordres.

C’est là qu’est la difficulté.

Gavroche, réveille-toi ! On a encore besoin de toi…


(1) Rappelons la chanson de Gavroche, qui la chantait sur les barricades et qu’une balle interrompit avait qu’il pût terminer son couplet :

Je suis tombé par terre, / C'est la faute à Voltaire, / Le nez dans le ruisseau, / C'est la faute à...

(2) Jean Bodin, était un juriste contemporain de Montaigne. Vois la notice de Wikipédia ici.

Tuesday, February 16, 2010

Citation du 17 février 2010

Je crois en Dieu, quoique je vive très bien avec les athées. Je me suis aperçu que les charmes de l'ordre les captivaient malgré qu'ils en eussent ; qu'ils étaient enthousiastes du beau et du bon, et qu'ils ne pouvaient, quand ils avaient du goût, ni supporter un mauvais livre, ni entendre patiemment un mauvais concert, ni souffrir dans leur cabinet un mauvais tableau, ni faire une mauvaise action.

[…] Il est donc très-important de ne pas prendre de la ciguë pour du persil, mais nullement de croire ou de ne pas croire en Dieu

Diderot – Lettre à Voltaire du 11 juin 1749 (C’est moi qui souligne Cette lettre répond à une lettre adressées de Voltaire. On peut lire la lettre Voltaire, ainsi que l’intégralité de la réponse de Diderot ici)


Ne pas prendre la ciguë pour du persil, ça compte (demandez plutôt à Socrate) ; par contre il importe peu de croire ou de ne pas croire en Dieu. Telle est donc la thèse de Diderot, qu’il développe ainsi :

- ce qui est très important, c’est de vivre avec nos concitoyens, de discuter raisonnablement avec eux du beau et du bon, ainsi que des livres, de la peinture et de la musique. Que l’on soit croyant ou athée, il faut de toute façon être également gens de bonne compagnie, évidemment respectueux des lois de la république, mais surtout capable de discuter politique, cinéma ou gestion du FMI. Après qu’on fasse sa prière à Jésus Christ, à Jéhovah ou à Allah – ou qu’on refuse de se prosterner aux pieds d’un Etre Suprême – n’importe plus guère. (1)

Disons-le plus nettement encore : selon Diderot, le vivre-ensemble est plus important que le vivre-avec-Dieu. Qu’importe – non pas notre religion, mais bien que nous soyons athée ou croyant ; ce qui compte c’est seulement comment nous vivons les uns avec les autres.

--> Voilà donc une façon très énergique de poser le critère de la laïcité.

En effet, partout où l’être-avec-Dieu l’emporte sur le Vivre-ensemble, la laïcité est perdue.

Prenez la discussion sur le port de la burqa. On pourrait dire ceci :

- Si, comme on nous l’assure, la burqa n’est pas un symbole religieux, alors on peut l’autoriser, tout comme on laisse circuler la mini-jupe qui n’a pas non plus de valeur dans une religion quelconque.

- Toutefois, le vêtement étant, en dehors de la protection contre le froid, le vent, le soleil, etc., une manière de vivre ensemble, alors on doit en le choisissant tenir compte de son effet sur les autres. Si donc la burqa empêche le vivre-ensemble de la femme qui la porte, alors il faut l’interdire. A contrario, c’est bien ce qu’on observe en Afghanistan, où la femme porte la burqa pour être acceptée par les hommes qui la côtoient dans la rue.

Si donc nous-mêmes nous acceptions la burqa, ce ne pourrait être que pour dissimuler une femme trop laide pour qu’on puisse la laisser paraître dans la rue.

Bien sûr, les messieurs très laids devraient aussi en mettre une. (2)


(1) On peut se reporter aussi à Descartes, Discours de la méthode 3ème partie où il explique que la morale est affaire d’opportunité : ne pas mettre les diverses morales en compétition, mais adopter celle qui est admise dans le pays où l’on vit.

(Descartes aurait-il mis une burqa à sa femme ? Oui, s’il en avait eue une (= une femme) et s’il avait vécu dans un pays mahométan.)

(2) Pour simplifier, nous n’avons pas tenu compte du hold-up perpétré récemment par des malfaiteurs dissimulés sous des burqas et qu’on avait du coup laissés entrer sans méfiance dans la banque.

Monday, February 15, 2010

Citation du 16 février 2010


Pour tout français, la retraite est le but suprême de l'existence. C'est avec joie qu'il envisage sa vie de vieillard. Mastiquer avec une mâchoire édentée semble être le comble de ses délices.

George Mikes – Little Cabbages [Georges Mikes est un écrivain britannique – Voir sa bio ici]

Le travail nous retraite, la retraite nous travaille.

Miss.Tic – Publié par Siné-Hebdo

J’en connais qui vont ricaner : ce Georges Mikes, il est complètement dépassé ! Grâce aux implants dentaires, finies les mâchoires édentées ! (1)

Mais pas finies du tout les articulations arthrosiques, ni les neurones qui ne se connectent plus, sans parler des enfants qui se taillent à l’autre bout du pays et qu’on ne voit plus que pour Noël…

Bref, si Georges Mikes a raison, c’est quand il écrit que pour tout français, la retraite est le but suprême de l'existence. Mais – quelle inconséquence ! – pour tout français, l’âge de la retraite est une sorte d’Eden où l’on aura conservé son corps et ses hormones de 20 ans pour jouir de la vie sans plus jamais perdre son temps à travailler. Bref, l’âge de la retraite est tout ce qu’on veut – sauf l’âge de la vieillesse. D’ailleurs les vieux, c’est toujours les autres. Vous en avez rencontré vous, des hommes qui vous disent : « Je prends du Viagra » ?

Quoique… Les choses commenceraient-elles à changer ? Ecoutons les protestations quand on annonce que l’âge minimum pour jouir de sa retraite en France va passer de 60 à 61 – voire 62 ans. Que disent-elles ?

- Je ne m’imagine pas continuer à travailler au-delà de 60 ans : je serai trop vieux pour ce travail si pénible.

Vous l’avez compris : la vieillesse nous touche quand nous travaillons. Nous nous sentons vieux quand le matin, nous enfilons nos chaussettes pour aller au boulot.

Mais – miracle ! – prenons notre retraite, et alors, à nous les randos dans les Cévennes, les treks au Népal, les croisières sur le Nil.

On comprend alors un peu mieux que Mikes écrive que la retraite soit le but suprême de l'existence ; c’est que nous en avons besoin pour nous sentir enfin jeune.


(1) Oui, « finies » à condition d’avoir la complémentaire-santé qui finance…

Sunday, February 14, 2010

Citation du 15 février 2010

Tument tibi cum inguina, num, si / ancilla aut verna est praesto puer impetus in quem / continuo fiat, malis tentigine rumpi? / Non ego; namque parabilem amo venerem facilemque.

Horace, Satires, I, II, 114-124

[Traduction : Quand ton bas-ventre se gonfle, est-ce que, si tu as sous la main une servante ou un jeune esclave que tu puisses posséder sans délai, tu préfères bander jusqu’à éclabousser ? Moi, non. Lire la suite en annexe (texte latin ici]

Que tous ceux qui croient que les études des langues mortes sont des inutilités ennuyeuses se ravisent : les poèmes que nous ont laissés les romains peuvent nous éclairer sur la nature des blocages qui nous empêchent de vivre sans souci avec notre corps.

Allez, une petite cure de désintoxication après la guimauve d’hier. La saint Valentin passée, revenons aux réalités.

Laissons l’amour aux poètes, et ses (ef)fusions aux adolescents. Venons-en à la réalité : l’amour c’est d’abord, comme le suggère Horace, une turgescence du bas-ventre (1).

Pourquoi les romains évoquent-ils cette situation sans peur alors que nous n’en parlons qu’à demi-mot, malgré des siècles et des siècles de libertinage et de psychanalyse ?

La lecture du passage suivant (voir l’annexe), extrait des Satires (avec un i et non pas un y, notez-le) nous renseigne : c’est que la sexualité y est assimilée aux autres besoins, tels la soif ou la faim. De même que nous parlons de ces besoins sans aucune gêne, de même Horace parle du besoin sexuel (2).

Du coup, ce qui vaut en amour c’est, comme dit notre auteur, qu’il soit bon marché et facile ; ce qu’il nous faudrait c’est un Lidl du sexe. Fini les minauderies, finie la cour à la bien-aimée, finis les bijoux, les cadeaux par les quels on obtient les faveurs d’une courtisane. Une femme utilisable doit être disponible, bon marché et authentique (entendons : telle que la nature l’a faite). Et Kleenex ? Oui, évidemment.

…Et hop ! Je suppose que je viens de me faire plein d’ennemies avec les dames qui lisent ce Blog…

Qu’à cela ne tienne ! Je laisse un blanc en bas de ma page pour qu’elles décrivent l’homme qui conviendrait à leur libido (3) :





(1) On comprendra qu’étant moi-même un homme, c’est le monsieur qui parle ici. Supposons donc que ce soit la même chose pour les madames.

(2) Les grecs faisaient de même, si on en croit Diogène (voir ici)

(3) J’avais dans un Post précédent cru possible de parler au nom des femmes pour décrire l’homme correspondant à leurs désirs. Je n’ai pas eu de protestations – voyez si ça vous convient.

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Annexe -

Quand la soif te brûle la gorge, cherches-tu une coupe en or ? quand tu meurs de faim, fais-tu le dégoûté pour tout sauf pour du paon ou du turbot ? Quand ton bas-ventre se gonfle, est-ce que si tu as sous la main une servante ou un jeune esclave que tu puisses posséder sans délai, tu préfères bander jusqu’à éclabousser ? Moi, non. Ce que j’aime, c’est un amour bon marché et facile. Celle qui dit : « Attends un peu », « donne un peu plus », « dès que mon mari sera sorti », on la laisse, selon Philodème, aux eunuques ; on se garde celle qui n’est pas chère et qui ne fait pas attendre quand on lui dit de venir. Qu’elle soit claire, sans manières, en un mot propre, du genre qui ne veut pas paraître plus grande et plus blanche que ne l’a faite la nature. Horace, Satires, I, II, 114-124

Saturday, February 13, 2010

Citation du 14 février 2010


Pour Œdipe, la saint Valentin tombe le jour de la fête des mères.

Philippe Geluck


Le tourment des amoureux, en ce jour qui devrait être le plus beau du calendrier, c’est de trouver pour leur Dulcinée (ou leur Apollon) un cadeau qui pourrait concrétiser leur amour.

Disons mieux : un cadeau qui soit à la hauteur de leur flamme.

- Amoureux à cours d’idée, ne vous désespérez plus ! La citation du jour vient à votre secours.

1ère solution – Pour les amoureux qui en sont au début de leur liaison : le mieux est de se préparer une soirée tranquille. On tamise les lumières, on débranche le téléphone, on installe un guéridon au pied du lit avec une bouteille de champagne et quelques amuses gueules, on met un disque d’un crooner quelconque (ou mieux : Procol Harum). Le reste ne se raconte pas.

2ème solution – Mais pour ceux qui ont déjà épuisé le recours à la libido et qui n’ont plus d’inspiration pour rédiger un gentil compliment amoureux à publier les pages spéciales de Libé, alors reste la solution du Chat.

Dites à votre Dulcinée :

- Chérie, tu sais comme je t’aime. Tu as pris dans mon cœur la place que je réservais à ma maman, la femme que je chérissais le plus au monde. Aussi ai-je décidé, pour te prouver la profondeur et la pérennité de mon amour, de le célébrer non pas le jour de la Saint-Valentin, mais lors de la Fête des mères. (1)

Et là, mes amis vous verrez votre petite femme fondre en larmes d’émotion et vous prendre dans ses bras pour vous bercer. Bonne nuit !

--> A noter :

Si vous faites effectivement à votre épouse un cadeau pour la fête des mamans, méfiez-vous des cadeaux trop utilitaires, ça passe mal (voyez ici). Un flacon de parfum à la violette ferait bien mieux l’affaire.


(1) Faut-il le dire ? La version féminine de ce discours est possible en mettant Papa la place de Maman, et « fête des pères » à la place de « fête des mères ».

Friday, February 12, 2010

Citation du 13 février 2010

Les pères doivent toujours donner pour être heureux. Donner toujours, c'est ce qui fait qu'on est père.

Honoré de Balzac – Le Père Goriot

Donnez si vous voulez être père ; donnez à vos enfants…

Bon. Mais donner quoi ?

Les idéalistes croient qu’il suffit de donner des bons conseils. Je compte dans leurs rangs tous ceux qui adulent le poème de Rudyard Kipling – vous savez : Tu seras un homme mon fils... (Si vous ne connaissez pas allez voir ça).

Mais je ne vais pas faire semblant : un père aujourd’hui, c’est quelqu’un qui donne à ses enfants de quoi vivre, de quoi se divertir, et de quoi tenir le choc matériel de la vie jusqu’à la fin de leurs études.

Quand votre petit vient de naître, vous pouvez être sûr au moins d’une chose : c’est qu’il va être à votre charge pendant 25 ans.

Donc, j’en déduis que le débat sur l’âge du départ à la retraite est déjà dépassé.

Car : prenez l’âge moyen des parents à la naissance de leur premier enfant. Ajoutez à ça les 25 années que je viens de citer. Dites moi maintenant à quel âge ça vous emmène (1).

Vous voyez combien les choses sont intriquées : inutile de faire comme si on pouvait prendre les problèmes les uns après les autres, comme font les footballeurs pour leurs matchs. Ainsi les questions de l’organisation des études, et de l’âge du départ à la retraite se recoupent au moins en deux points :

- d’une part bien évidemment l’âge de la fin des études conditionne l’âge de l’entrée dans la vie active, donc celui où on commence à cotiser et de ce fait celui du départ en retraite.

- d’autre part retardant le début de la vie active on retarde l’âge de la procréation, et donc également celui où les pères en ont fini avec les droits d’inscriptions scolaires de leurs gamins et le paiement du loyer de leur appart.

Vous voyez ce qui vous reste à faire si vous voulez partir en retraite encore jeune : quittez le bahut en fin de 3ème, et ne surtout faites pas d’enfants.


(1) Vous aurez compris que je suppose :

1 – que les retraités n’ont pas de quoi financer les études de leurs enfants ;

2 – qu’ils n’ont pas souscrit une assurance capital- étude pour eux.

Thursday, February 11, 2010

Citation du 12 février 2010


Qu’y a-t-il au fond de risible ?

Bergson – Le rire (ch.1)

Qu’y a-t-il de risible ?

- On peut en effet se poser la question, et se confronter à la difficulté de comprendre notre propre rire.

Voici par exemple un dessin du Chat de Philippe Geluck.



Admettons que, comme moi, vous ayez ri de l’absurdité de la situation : le Chat est un piètre vendeur se dit-on, s’il espère vendre son horloge ridicule.

Et puis, pris d’un doute, vous vous documentez : et voilà que vous tombez sur cette splendide montre (ce n’est pas une Rolex, mais ça doit être aussi cher), qui vous donne et l’heure qu’il est et l’heure qu’il sera une heure plus tard… sauf que cette heure plus tard c’est déjà l’heure de maintenant dans un autre endroit de la planète.

Vous n’y comprenez rien ? C’est que je m’explique mal ; laissons parler le fabricant :

Description

La LANGE 1 FUSEAUX HORAIRES bénéficie de toutes ces caractéristiques – et y ajoute un second fuseau horaire aisément réglable au moyen d’un poussoir.

La réalité dépasse la fiction vous dites-vous…

Du coup, on ne rit plus ou plus autant…

Mais qu’importe : il suffit de lire la suite des explications données sur la même page :

Un président sud-américain a tourné les aiguilles de sa montre, faisant ainsi entrer son pays dans un nouveau fuseau horaire. Sa décision de retarder de 30 minutes l’heure du Venezuela (UTC–4:30) a disqualifié Caracas comme ville de référence pour l’Atlantic Standard Time (UTC–4). Ce rôle est dorénavant assumé par Santiago du Chili.

Merci monsieur Chavez : la prochaine fois que je me sentirai mélancolique, j’irai lire vos discours.

Soyons justes : les décisions du pouvoir politique de gouverner les horloges ne sont pas seulement le fait des dictateurs présidents sud-américains. Voyez la Chine : de Pékin à l’est du pays, jusqu’à la frontière ouest, il y a un seul fuseau horaire.

Allez monsieur Geluck, inventez-nous une autre réplique du Chat : Si tous les chinois mangent leur soupe à la même heure, les pékinois la mangent en se couchant et les habitants du Sinkiang la mangent au petit déjeuner

Wednesday, February 10, 2010

Citation du 11 février 2010

Les machines un jour pourront résoudre tous les problèmes, mais jamais aucune d'entre elles ne pourra en poser un !

Albert Einstein

Le problème est un mouvement provisoire et contingent appelé à disparaître dans la formation du savoir.

G. Deleuze - Différence et répétition

A la question : quelle est l’opération intellectuelle la plus élaborée, celle que les ordinateurs aussi puissants soient-ils ne sauront jamais faire, répondez sans hésiter : poser un problème.

C’est vrai qu’Einstein est mort avant que soient développées les puissantes machines d’aujourd’hui, ces super-ordinateurs qui calculent les bombes atomiques, qui prédisent le temps qu’il va faire, ou qui gagnent aux échec contre les champions du monde. Mais on peut penser que sa remarque reste valable, ne serait-ce qu’en raison des multiples efforts que l’on doit fournir pour rendre les rendre capables de réaliser la recherche que nous souhaitons.

Le jour où les ordinateurs sauront poser correctement des problèmes, ce jour-là les philosophes pourront prendre leur retraite – définitive ! Car, si on peut définir la philosophie de bien des façons antagonistes (d’Aristote à Gilles Deleuze en passant par Descartes tous s’y sont essayés), on peut sans trembler espérer que tous seront d’accord pour dire qu’elle est – au minimum – l’art de poser des problèmes.

Qu’est-ce donc qu’un problème ? Si nous le définissons comme une construction qui enracine la recherche dans un savoir acquis et qui l’oriente vers ce qu’elle doit découvrir, alors on voit bien qu’aucune logique liée à l’organisation du savoir ne peut suffire à le formuler correctement pour une situation donnée.

C’est d’ailleurs cela que pointait la définition de Gilles Deleuze : le problème est un mouvement provisoire et contingent appelé à disparaître dans la formation du savoir.

L’essentiel est en effet que le problème soit un mouvement : c’est dans ce sens que les machines ne sauront jamais en fabriquer. Car les machines et l’esprit humain ne fonctionnent pas vraiment de la même façon.

Tuesday, February 09, 2010

Citation du 10 février 2010

Vos enfants vivront entourés de machines ; il faut qu'ils les comprennent et soient avec elles familiers. Les machines traitent très mal ceux qui ne les aiment pas.

André Maurois

Les hommes demanderont de plus en plus aux machines de leur faire oublier les machines.

Philippe Sollers – Logiques

Vos enfants vivront entourés de machines ; il faut qu'ils les comprennent et soient avec elles familiers.

Voyez comme les idées changent : autrefois – supposons que la citation de Maurois date des années 50 – on croyait que les machines allaient coloniser les hommes et leur poser des problèmes spécifiques. Il y a peu encore, on se disait que les ordinateurs creusaient un véritable fossé entre ceux qui savaient les utiliser et ceux qui ne le savaient pas (1).

Mais détrompez-vous, et avec Sollers, dites maintenant que les hommes demanderont de plus en plus aux machines de leur faire oublier les machines – ou pour mieux dire : les machines d’aujourd’hui ont réussi à vous faire oublier les machines.

Des exemples ? Les nouveaux ordinateurs avec leurs écrans tactiles : ce que vous faites avec les doigts vous ne pourriez pas le faire (du moins pas aussi facilement) avec un clavier (pas d’idées mal séantes SVP). Voyez l’i-Pod(-phone) : vous voulez agrandir l’image ? Ecartez les doigts sur une partie de l’écran. Passer à l’image suivante ? Glissez votre doigt sur l’écran comme avec un livre pour tourner la page. Passer de l’image verticale à l’image horizontale ? Pivotez l’appareil. Etc.

On croit peut-être encore que les machines mécaniques sont aujourd’hui surchargées d’électronique au point de ne pouvoir s’employer qu’après avoir péniblement digéré un manuel de l’usager épais comme la cuisse. Erreur.

Vous voulez encore un exemple ? L’autre jour je m’installe au volant d’une voiture très récente. Et là, je vois un nombre impressionnant de boutons alignés sur la tableau de bord.

- Mauvaise affaire me dis-je, voilà encore toute sorte de boutons et de manettes dont il va falloir apprendre les fonctions et s’habituer à les manipuler au moment où j’aurai mieux à faire…

Hé bien, je me trompais : on peut facilement ignorer tous ces boutons, parce qu’ils servent simplement à débrayer des automatismes : phares qui s’allument automatiquement, essuie-glace idem, anti-skating, ABS, rétroviseur jour/nuit, start and stop … Bref, voilà une machine – une mécanique – asservie à un super ordinateur embarqué, qui parvient à vous remplacer sans même que vous y pensiez.

Le mauvais esprits diront que, quand même, des doutes restent à dissiper à propos des Toyotas qui échappent au contrôle de leurs conducteurs : après avoir incriminé le tapis de sol, puis la pédale d’accélérateurs, certains mettent en cause l’électronique…


(1) Un poncif qu’on a presque oublié aujourd’hui : le monsieur – ou la dame – qui vous dit : « L’ordinateur ? Je ne sais même pas comment ça s’allume ! ». Les naïfs croyaient qu’il fallait allumer l’ordinateur alors qu’en vérité on ne l’éteint même pas !