L’oubli est le vrai linceul des morts.
George Sand
Voilà une belle pensée pour un jour de Toussaint : apprenez-la par cœur et n’oubliez pas les chrysanthèmes pour fleurir les tombes de vos chers disparus.
Quoique… Aujourd’hui, si ça de trouve, vous n’avez même plus de tombe à fleurir.
Parce que, avec les nouvelles coutumes telles que la crémation et la dispersion des cendres, ça risque de ne pas paraître très naturel si vous allez fleurir une pelouse du stade de foot ou une piste du champ de course – à moins qu’il ne faille balancer vos fleurs dans la rivière…
Plus de tombe – plus de traces : le mort est définitivement rayé de la surface de terre, même sous forme d’inscription. Plus rien.
Mais en réalité, les morts sont toujours là, dans nos cœurs, dans nos mémoires, ils survivent tels qu’ils furent de leur vivant – bons ou mauvais.
Les Grecs admettaient deux types d’immortalité : l’immortalité de l’âme qui n’était pas forcément très heureuse ; et l’immortalité de la renommée, qu’il fallait cultiver de son vivant, par ses œuvres – ou, au minimum, en faisant les enfants qui auraient pour devoir de perpétuer le souvenir du défunt.
George Sand a donc raison : c’est le souvenir qui constitue la vraie immortalité, du moins ce qui s’en rapproche le plus.
Ce qui est en train de changer dans notre époque, c’est le rite qui associe les morts aux vivants. Il est devenu décent de mourir sans sépulture. Certes, les funérailles continuent d’exister, certes il ne s’agit pas d’abandonner le corps du défunt sur une décharge publique. Mais la cérémonie des adieux (pour reprendre l’expression de Sartre) ne s’étend pas au-delà du jour des obsèques, et après, plus de cérémonie, plus de rites. On est dans l’anomie, exactement comme pour toutes sortes d’autres rites (voyez comme on se marie aujourd’hui avec le Pacs, signé à la sauvette dans le bureau du greffier du tribunal).