Saturday, October 31, 2009

Citation du 1er novembre 2009

L’oubli est le vrai linceul des morts.

George Sand

Voilà une belle pensée pour un jour de Toussaint : apprenez-la par cœur et n’oubliez pas les chrysanthèmes pour fleurir les tombes de vos chers disparus.

Quoique… Aujourd’hui, si ça de trouve, vous n’avez même plus de tombe à fleurir.

Parce que, avec les nouvelles coutumes telles que la crémation et la dispersion des cendres, ça risque de ne pas paraître très naturel si vous allez fleurir une pelouse du stade de foot ou une piste du champ de course – à moins qu’il ne faille balancer vos fleurs dans la rivière…

Plus de tombe – plus de traces : le mort est définitivement rayé de la surface de terre, même sous forme d’inscription. Plus rien.

Mais en réalité, les morts sont toujours là, dans nos cœurs, dans nos mémoires, ils survivent tels qu’ils furent de leur vivant – bons ou mauvais.

Les Grecs admettaient deux types d’immortalité : l’immortalité de l’âme qui n’était pas forcément très heureuse ; et l’immortalité de la renommée, qu’il fallait cultiver de son vivant, par ses œuvres – ou, au minimum, en faisant les enfants qui auraient pour devoir de perpétuer le souvenir du défunt.

George Sand a donc raison : c’est le souvenir qui constitue la vraie immortalité, du moins ce qui s’en rapproche le plus.

Ce qui est en train de changer dans notre époque, c’est le rite qui associe les morts aux vivants. Il est devenu décent de mourir sans sépulture. Certes, les funérailles continuent d’exister, certes il ne s’agit pas d’abandonner le corps du défunt sur une décharge publique. Mais la cérémonie des adieux (pour reprendre l’expression de Sartre) ne s’étend pas au-delà du jour des obsèques, et après, plus de cérémonie, plus de rites. On est dans l’anomie, exactement comme pour toutes sortes d’autres rites (voyez comme on se marie aujourd’hui avec le Pacs, signé à la sauvette dans le bureau du greffier du tribunal).

Friday, October 30, 2009

Citation du 31 octobre 2009

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Est-ce que je crois aux fantômes ? Non, mais j'en ai peur.
Madame du Deffand
Je pense donc qu’il y a des esprits de tout genre, sauf peut-être du sexe féminin.
[…] L’expérience quotidienne montre, en sus des raisons précédentes, qu’il y a des spectres sur lesquels nous possédons beaucoup d’histoires aussi bien modernes qu’anciennes.
Lettre 53 - Boxel à Spinoza (21 septembre 1674)
Les fantômes existent-ils ? C’est la question que Hugo Boxel a très sérieusement posée à son ami Spinoza, le quel lui a non moins sérieusement répondu (1).
Pour débroussailler le terrain, rappelons qu’il y a deux sortes de fantômes : les revenants, dont on parle généralement, qui sont les âmes des morts, parfaitement identifiables et qui viennent hanter les vivants avec des intentions variables ; et les esprits crées directement sans corps, et qui pour autant ne sont pas classés dans la cohorte des anges : c’est eux dont parle Boxel, raison pour la quelle ils ne peuvent être féminins (à noter qu’à la différence des anges dont on dit qu’ils n’ont pas de sexe, Boxel admet qu’il y a des spectres masculins).
Spinoza n’est pas d’accord : selon lui, les fantômes ne sont que des délires de notre imagination, et on ne peut donc raisonner à leur propos.
Pour démontrer l’existence des spectres, Boxel fait appel à deux éléments : d’une part l’autorité des auteurs qui ont affirmé leur existence ; d’autre part le fait que Dieu a dû nécessairement créer des esprits sans corps – donc aussi des fantômes.
Quand on lit ces lettres, on constate que Spinoza est un peu excédé par l’insistance de Boxel, et il fait dériver l’échange vers des questions nettement plus philosophiques, comme la notion de Dieu , d’infini, de nécessité, de hasard, etc…
Ah… Si Youtube avait existé à l’époque de Spinoza…

(1) Pour l’ensemble des célèbres lettres de Spinoza sur les fantômes, voir ici

Thursday, October 29, 2009

Citation du 30 octobre 2009

Elle a.... insulté mon oreille / Par l'impropriété d'un mot sauvage et bas / Qu'en termes décisifs condamne Vaugelas.

Molière – Les femmes savantes. II, 6

Qu’est-ce donc qu’être français ?

--> Etre français, c’est parler français. La Nation française est d’abord une communauté de langue, et tant mieux si, grâce à la francophonie, en étant français on ne reste pas seulement entre métropolitains

…J’aurais envie d’ajouter : « Et tant mieux si ça éjecte tous ceux qui en parlant insultent Vaugelas. »

J’avoue que si Molière m’ennuie souvent, par contre cette scène des Femmes savantes, me fait mourir de rire. D’autant que nous n’aurions pas grand mal à l’adapter à notre époque, avec bien sûr Finkielkraut dans le rôle de Philaminte.

Vous voulez vérifier ? Voici un extrait (Résumé : Philaminte chasse Martine, sa bonne qui parle mal le français) :

Philaminte

Elle a, d'une insolence à nulle autre pareille /Après trente leçons, insulté mon oreille / Par l'impropriété d'un mot sauvage et bas / Qu'en termes décisifs condamne Vaugelas.

[……]

Martine
Tout ce que vous prêchez est, je crois, bel et bon ; / Mais je ne saurois, moi, parler votre jargon.
Philaminte
L'impudente ! appeler un jargon le langage / Fondé sur la raison et sur le bel usage !

Martine
Quand on se fait entendre, on parle toujours bien, / Et tous vos biaux dictons ne servent pas de rien.
Philaminte
Hé bien ! ne voilà pas encore de son style ? / Ne servent pas de rien !
Bélise
O cervelle indocile ! / Faut-il qu'avec les soins qu'on prend incessamment, / On ne te puisse apprendre à parler congrûment ? / De pas mis avec rien tu fais la récidive, / Et c'est, comme on t'a dit, trop d'une négative.
Martine
Mon Dieu ! je n'avons pas étugué comme vous, / Et je parlons tout droit comme on parle cheux nous.

Bélise
Quel solécisme horrible !
Philaminte
En voilà pour tuer une oreille sensible.
Bélise
Ton esprit, je l'avoue, est bien matériel. / Je n'est qu'un singulier, avons est pluriel. / Veux-tu toute ta vie offenser la grammaire ?
Martine
Qui parle d'offenser grand'mère ni grand-père ?
Philaminte
O Ciel


[…]

… Martine ? Encore une candidate au charter des sans-papiers !

Wednesday, October 28, 2009

Citation du 29 octobre 2009

Les démocraties sont des régimes dans lesquels existe une organisation constitutionnelle de la concurrence pacifique pour l’exercice du pouvoir.

Raymond Aron – Démocratie et Totalitarisme

Et si le pouvoir dans les démocraties n’était pas essentiellement différent de ce qu’il est dans les dictatures ? Ou du moins, si les différences qu’on y observe ne résultaient que de la concurrence qui oppose les candidats à la magistrature suprême ?

Voyez par exemple les élections récentes en Tunisie. On ne critique pas le pouvoir pour ses abus à l’encontre des opposants – ou si peu que c’est à peine audible. On le critique pour l’absence de concurrence entre les candidats, au point que les électeurs interrogés en sortie des urnes avouaient ne pas connaître le nom des candidats de l’opposition à M. Ben Ali.

Si on en croit Raymond Aron, il suffit que la concurrence soit honnêtement organisée pour que la démocratie fonctionne. Cela supposerait donc qu’effectivement, le mode d’élection suffirait pour déterminer le contenu du pouvoir. Un candidat élu au terme de débats et d’élections transparentes serait donc automatiquement respectueux des valeurs de la démocratie et du bien public ? Il serait nécessairement à l’écoute du peuple et il s’efforcerait de satisfaire ses aspirations ?

Non, n’est-ce pas : personne n’y croit et ce n’est pas nous – nous qui avons démocratiquement élu Notre-Président et qui assistons à l’expansion de son pouvoir – qui allons être naïf à ce point.

Voilà ce que je crois : Aron parle fort justement du mode d’accès au pouvoir qui doit s’imposer en démocratie. Mais il devrait aussi parler du mode d’éviction du pouvoir.

Si en effet on croit que l’homme politique a une volonté absolument permanente qui est de se faire réélire après avoir été une fois élu, alors on doit imaginer que ses abus et son incompétence menacent se réélection..

Et on conclura donc que les dictatures issues de la démocratie sont caractérisées par l’absence d’alternance au pouvoir – le Président élu modifiant la constitution pour s’assurer un nombre illimité de réélections..

- Ce qui veut dire ?

- Que le pouvoir est nécessairement abusif, et que seules les procédures de sa mise en échec peuvent l’empêcher d’opprimer le citoyen. (1)


(1) Voir ce texte d’Alain.

Tuesday, October 27, 2009

Citation du 28 octobre 2009

Ce qui nous empêche souvent de nous abandonner à un seul vice est que nous en avons plusieurs.

La Rochefoucauld – Maximes

Ce qui est un peu énervant avec ces moralistes du XVIIème siècle, c’est leur côté misanthrope : finalement on devine que Molière n’a pas eu à aller très loin pour trouvent le modèle d’Alceste ; en tout cas La Rochefoucauld incarne bien le parangon (1) de cette morale qui triomphe avec la contre-réforme…

Hé bien, faut-il donc déplorer que nos vices soient si nombreux qu’ils se détruisent les uns les autres ? Et que – paradoxalement – le vrai vicieux soit finalement l’être « pur », celui qui n’est obsédé que par un seul vice ce qui lui permet de s’y livrer sans retenue ? En tout cas, relevons que La Rochefoucauld entérine cette conception de l’homme qui en fait un lieu de conflit entre des tendances opposées, admettant ainsi comme les stoïciens que c’est seulement en dehors de l’homme – dans la nature – que l’harmonie existe.

Est-ce si sûr ? Bricolons donc un peu cette citation ; et si on disait : « Ce qu’il y a de bien avec les vertus, c’est qu’elles s’épaulent et se renforcent les une les autres » ?

Parce que voyez-vous, si la vertu s’oppose au vice, ce n’est pas seulement en tant que le bien s’oppose au mal ; elle doit aussi remplacer le conflit par de l’harmonie.

Dans ce cas, nous aurions une clé pour analyser le comportement humain :

- D’un côté, tous ceux qu’on voit hésiter, délibérer, se reprendre et qui finalement ne font rien : ce sont les poly-vicieux, ceux qui se débattent au milieu de leurs multiples turpitudes ;

- De l’autre, tous ceux qui n’hésitent jamais dans la vie, qui donnent l’impression de n’avoir jamais à choisir parce qu’ils ont toujours déjà choisi ; et là il faut distinguer :

--> ceux qui sont animés par l’accord harmonieux des vertus (amour du prochain ; respect mystique du sacré ; force héroïque de caractère, etc…)

--> ceux qui sont des monomaniaques du vice, qui n’en connaissent qu’un – mais qui le connaissent bien.


(1) Le mot du jour :

Parangon – Exemple ou modèle (en particulier de vertu)

Monday, October 26, 2009

Citation du 27 octobre 2009

L’Europe deviendra-t-elle ce qu’elle est en réalité, c’est-à-dire un petit cap du continent asiatique ?

Paul Valéry – La crise de l’esprit (Deuxième lettre) – 1919 (1)

Deux lettres forment ce texte : dans la première (évoquée hier), Valéry s’interroge sur le paradoxe tragique de la civilisation qui a engendré la boucherie de la Grande guerre (qui vient de s’achever au moment où il écrit) ; la seconde s’interroge sur le déclin de l’Europe en tant que puissance mondiale.

Deuxième lettre

Dans cette lettre, Valéry aborde un thème fort classique à son époque : le déclin de l’Europe.

L’idée qu’il va développer est pourtant un peu plus originale que celles qui étaient ressassées depuis la seconde moitié de XIXème siècle (où on la retrouve généralement associée à des commentaires sur la chute de l’Empire romain). Car ce qu’il évoque, c’est le phénomène de mondialisation tel que nous le connaissons nous, aujourd’hui, presque un siècle après que ces lignes aient été tracées.

Voici ce que dit Paul Valéry :

- L’histoire des civilisations repose d’abord sur un principe fort simple : celui de l’inégalité entre les zones habitées. C’est ce principe qui est le moteur de l’histoire.

Mais cette inégalité ne résulte pas de l’importance géographique de chaque pays : l’Angleterre occupe la première place (1919) alors que le sous continent Indien lui est soumis. Il tient donc d’avantage à l’avance des sciences et des techniques

- Mais il ajoute aussitôt un théorème fondamental : cette inégalité doit au bout d’un certain temps non pas disparaître, mais s’inverser. Car, écrit Valéry, Nous avons étourdiment rendu les forces proportionnelles aux masses !

Et en effet, la diffusion des savoirs et des techniques (on dirait aujourd’hui le transfert des technologies) va faire que les inégalités vont progressivement s’aligner sur l’importance géographique – et démographique – des pays : à ce jeu, le Royaume-Uni sera un jour subjugué par l’Inde.

Et l’Europe dominée par la Chine…

- Reste comme le souligne la fin de notre citation (voir sous la note 1) à espérer en une nouvelle invention – une création – qui viendrait donner à l’Europe de quoi surnager ; et cette création serait issue de l’Esprit Européen. C’est quelque chose qui ne serait pas « diffusible » vers d’autres continents. Quelque chose que les Chinois ne pourraient pas nous prendre…

Voilà : je crois comprendre que le message posthume de Paul Valéry est qu’il faut espérer plus dans les artistes et les philosophes que dans les physiciens et les informaticiens pour sauver l’Europe de la soumission aux hordes asiatiques.


(1) Voici le passage du texte d’où est extraite cette citation : « L’Europe deviendra-t-elle ce qu’elle est en réalité, c’est-à-dire un petit cap du continent asiatique ?

Ou bien l’Europe restera-t-elle ce qu’elle paraît, c’est-à-dire : la partie précieuse de l’univers terrestre, la perle de la sphère, le cerveau d’un vaste corps ?

Le phénomène de la mise en exploitation du globe, le phénomène de l’égalisation des techniques et le phénomène démocratique, qui font prévoir une deminutio capitis (perte de capacité) de l’Europe, doivent-ils être pris comme décisions absolues du destin ? Ou avons-nous quelque liberté contre cette menaçante conjuration des choses ? »

Sunday, October 25, 2009

Citation du 26 octobre 2009

Tant d’horreurs n’auraient pas été possibles sans tant de vertus. Il a fallu, sans doute, beaucoup de science pour tuer tant d’hommes, dissiper tant de biens, anéantir tant de villes en si peu de temps; mais il a fallu non moins de qualités morales.

Paul Valéry – La crise de l’esprit (Première lettre) – 1919

Deux lettres forment ce texte : dans la première, Valéry s’interroge sur le paradoxe tragique de la civilisation qui a engendré la boucherie de la Grande guerre (qui vient de s’achever au moment où il écrit) ; la seconde s’interroge sur le déclin de l’Europe en tant que puissance mondiale.

Première lettre.

Peu de textes ont eu l’honneur de tant de lectures et de tant de commentaires. Rappelons pour mémoire que cette 1ère lettre débute par « Nous autres civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles. » (1)

Le paradoxe que développe ce texte est bien connu aujourd’hui : l’horreur de la Grande guerre n’a été possible que grâce au progrès de la science, des techniques, et de l’industrie – toutes choses dans les quelles le 19ème siècle a cru trouver les conditions de l’émancipation des hommes et du bonheur de l’humanité. Le 20ème siècle est né de ce désaveu.

Mais l’horreur va plus loin : il ne s’agit pas simplement du détournement de la puissance de la science, comme si un savant fou venait à donner à des bandits ou à des criminels la recette d’un virus capable d’anéantir l’humanité ; il a fallu non moins de qualités morales. Car, à l’origine de ce carnage, se trouve le peuple allemand (on s’imagine bien qu’en 1919 on n’avait guère de doute à ce propos), c'est-à-dire le plus beau fleuron de la civilisation humaine, le peuple qui témoignait le mieux de la grandeur de l’esprit celui qui avait engendré en un peu plus d’un siècle Leibniz et Goethe, Kant et Hegel – sans oublier Nietzsche et Marx. Que ce soit ce peuple civilisé par excellence, le plus éloigné du sauvage et de la brute, qui ait massacré nos soldats à Verdun et, pire encore, écrasé la cathédrale de Reims sous ses shrapnells – qui voilà qui nous aide à situer les capacités de la civilisation européenne. Notre civilisation est mortelle, mais c’est à ses propres contradictions qu’elle devra de succomber.

Et encore, Paul Valéry (mort en 1945) n’a-t-il pas vraiment connu la seconde guerre mondiale et la shoah. Car c’est alors vraiment qu’on peut dire que notre civilisation n’est pas seulement la pourvoyeuse des techniques nécessaires pour occire l’humanité, mais qu’elle fournit en plus les raisons de le faire. La vertu n’est même plus seulement au service du vice ; c’est le vice qui est devenu vertu. Car c’est pour le bien de l’humanité – entendez de la purification de la race humaine – qu’il a fallu construire ces abattoirs humains où les juifs et les tziganes vont être gazés. Vous frissonnez en lisant cette phrase ? Alors ajoutez encore : Tant d’horreurs n’auraient pas été possibles sans tant de vertus.

Que faire, sinon s’exiler au fin fond de l’Amazonie pour vivre de la chasse et de la pêche, tout nu et peint en rouge pour éloigner les mauvais esprits ?

Mais ça, voyez-vous, les disciples de Rousseau le savaient depuis longtemps…


(1) J’en avais tenté un commentaire le 5-11-2006

Saturday, October 24, 2009

Citation du 25 octobre 2009

J'ai dix ans / Je sais que c'est pas vrai mais j'ai dix ans / Laissez-moi rêver que j'ai dix ans / Ça fait bientôt quinze ans que j'ai dix ans.

Paroles d’Alain Souchon - Musique Laurent Voulzy

Allez, c’est dimanche : on se détend…

Et voici un petit karaoké pour passer un bon moment avec vos amis : chantez avec Alain Souchon J’ai 10 ans… Vous allez bien vous divertir…

Au fait, quel âge avez-vous ? 10 ans ? 30 ans ? 5 ans ? 70 ans ?

Oui, parce qu’il n’est pas sûr du tout que notre âge soit exactement celui qui est marqué sur nos papiers d’identité. Il n’est même pas sûr qu’il soit toujours le même au cours de la journée.

Sartre parlant d’une amie (1) affirme qu’au cours de la même journée elle peut avoir 13 ans aussi bien que 30. Il ajoute perfidement que Raymond Aron (le petit camarade) a toujours 50 ans (au lieu de 35 à l’époque) dans chacune des circonstances de sa vie, et que son âge réel est la somme de tous ces âges successifs…

J’aime cette idée que notre âge ne soit pas forcément une réalité arithmétiquement établie, mais j’aime surtout imaginer que si l’âge est un comportement alors il peut changer avec les circonstances. Ce que je n’apprécie pas avec l’analyse transactionnelle, c’est cette affirmation que ce comportement soit stéréotypé et – surtout – qu’il soit adressé à autrui.

Faut-il donc à tout prix que l’enfant dont parle cette méthode d’analyse soit déterminé par une série de comportements visant (par exemple) des parents eux-mêmes prédéterminés, etc… Je comprends bien que ce soit particulièrement pratique pour donner aux individus un levier pour interpréter ou pour modifier leur comportement – comment faire du coaching autrement ? – mais faut-il le faire au prix d’une telle réduction ?

Bien sûr, la psychanalyse quand à elle entérine effectivement ces variations de l’âge selon les circonstances, mais elle les situe dans un cadre normatif. L’adulte doit l’emporter définitivement sur l’enfant, et sinon on se trouve à faire une régression infantile.

Pour une fois, je donnerai raison aux publicitaires : eux nous invitent à retrouver notre âme d’enfant sans aucune culpabilité… du moment que ça fait consommer, où est le mal ?


(1) Il s’agit de Tania dont il parle abondamment à Simone de Beauvoir dans ses lettres au Castor dans les années 40. Il s’agit d’une lettre dont je n’ai pu retrouver à ce jour la référence exacte. Si quelqu’un l’a je suis preneur…

Friday, October 23, 2009

Citation du 24 octobre 2009

Nous serons pauvres et nous souffrirons la misère aussi longtemps qu'il le faut, comme une ville assiégée qui n'entend pas capituler, mais nous montrerons que nous sommes quelque chose.

Vincent Van Gogh – Lettre à Théo - Janvier 1886

Pourquoi capituler ? Pour ne pas mourir ? Certes, mais on ne peut s’en tenir là.

Car pour ne pas succomber à l’ennemi, au cas où il souhaiterait notre mort, il ne suffit pas de capituler ; il faut encore demander grâce.

Non, je trouve que dans l’idée de capitulation il y a, plus généralement, celle de l’abandon d’une action, d’une offensive ou d’une résistance. Bref, comme le dit Van Gogh, c’est renoncer à être quelque chose.

Alors je sais que bien des gens qui ricanent devant les déboires du Fils de Notre-Président, vont lire ces lignes en pensant à lui. Mais croyez-le bien, je ne suis pas du tout désireux de reprendre à mon compte ces commentaires qui sentent très fort la revanche politique.

Van Gogh nous en avertit : capituler, c’est simplement manquer de courage, et plus particulièrement du courage d’affronter le malheur.

Capituler, c’est choisir le bonheur – ou du moins fuir un malheur.

Bizarre… Faudrait-il donc souffrir ? Et pourquoi ?

Si capituler c’est renoncer à être quelque chose pour fuir la misère, alors on devine qu’être soi-même, s’affirmer tel qu’on est dans le monde tel qu’il est, c’est choisir en même temps et cette souffrance et ce malheur.

Pour Van Gogh, capituler c’aurait été renoncer à peindre – pire : continuer à peindre mais dans le genre de l’époque, celui qui lui aurait permis de vivre de son art.

Capituler, c’est rentrer dans le rang, cesser de se battre pour affirmer son originalité contre le conformisme des contemporains – ou contre leurs exigences.

Pour une Nation, c’est renoncer à la Souveraineté nationale (Armistice du 22 juin 1940) ; c’est aussi abandonner les prétentions d’un pouvoir expansionniste (Capitulation allemande du 7-8 mai 1945).

Libre aux ricaneurs de tout à l’heure de considérer que cette définition va comme un gant à la description de la situation franco-française d’hier.

Thursday, October 22, 2009

Citation du 23 octobre 2009

L’odeur d’un corps, c’est ce corps lui-même que nous aspirons par la bouche et le nez, que nous possédons d’un seul coup, comme sa substance plus secrète et, pour tout dire, sa nature. L’odeur en moi, c’est la fusion du corps de l’autre à mon corps

Sartre – Baudelaire p. 221

Première remarque, Sartre ne parle ici que de l’odeur corporelle, celle de l’être humain, sans faire le distinguo que nous avons si souvent relevé entre l’odeur des hommes et la parfum des femmes.

Deuxième remarque, il considère l’odeur comme une émanation – ce qu’elle est effectivement – et non comme un signe abstrait. Pour sentir le chocolat, il faut qu’il soit diffusé par du chocolat véritable, ce qui distingue l’odorat de certains autres sens qui peuvent fonctionner à partir de signes abstraits (la vue, l’ouïe qui peuvent se contenter de l’image ou de l’enregistrement sonore).

Troisième remarque, l’odeur d’une être humain n’est pas seulement une émanation quelconque de son corps ; l’odeur d’un corps, c’est ce corps lui-même. Ce qui nous permet ajoute-t-il au cas où on n’aurait pas bien aperçu la conséquence, de le posséder d’un seul coup.

On imaginerait que c’est à propos de la sexualité ou du moins de la sensualité que Sartre évoque cette particularité de la possession du corps humain. Mais non. Il commente un passage de Baudelaire, (1) où le parfum distille l’être au compte goutte pourrait-on dire, faisant de la présence quelque chose d’évanescent.

Le parfum a une propriété quasi-métaphysique, celle de nous donner l’être à travers une présence « shuntée », allégée, allusive. Allusive, oui – mais présence quand même.

Un peu comme si, montant l’escalier et sentant un parfum léger qui flotte dans l’air, on se disait : « C’est elle ! Elle est passée par là… »

Allons bon ! Voilà que c’est moi qui fantasme à présent…


(1) Mainte fleur épanche à regret / Son parfum doux comme un secret / Dans les solitudes profondes. Le guignon (Les fleurs du mal)

Wednesday, October 21, 2009

Citation du 22 octobre 2009

La complexité c’est quand le petit interagit avec le grand.

Sébastien Balibar (Physicien au CNRS) (1)

Voilà ce qu’il y a de bien avec les physiciens : c’est qu’ils disent les choses exactement comme elles sont et non pas comme on imagine couramment qu’elles sont.

Parce qu’on imaginerait plutôt que la complexité, c’est quand le grand interagit avec le petit. Comme quand je pense que, pour qu’il pleuve chez moi, il faut que des masses d’air extraordinaires se soient ébranlées depuis le pôle jusqu’à l’équateur et que de proche en proche, j’en reçoive des vaguelettes. J’aurais ainsi une prévisibilité relativement simple des micro-évènements qui constituent mon petit monde environnant : il suffirait de connaître les lois de l’univers et la situation des forces qui le constituent (2).

Sur le plan philosophique, ce serait une vision stoïcienne de la nature, celle qui nous dit que nous ne pouvons que la subir et qu’il est inutile de se rebeller contre elle, car nous ferions alors, nous pauvres humains, comme le plus petit rouage de la machine qui voudrait dans son fol orgueil se mettre à tourner en sens inverse pour renverser le mouvement du tout…

En résumé, ça, ce n’est pas la complexité, parce qu’il suffit de connaître le mécanisme du gros ressort pour deviner ce que va faire le petit rouage. En revanche, s’il advenait que – petite cause, grands effets – le petit rouage puisse modifier la grosse machine, alors comme il y a beaucoup de petits rouages, ça va devenir très compliqué.

Maintenant me direz-vous, ce n’est pas parce que c’est compliqué que ça existe nécessairement.

Pour sûr. Mais dites-moi, quand vous fermez le robinet en vous lavant les dents, ou quand vous rapportez vos piles usagées pour qu’elle soient recyclées : à quoi croyez-vous ?


(1) Sébastien Balibar (à ne pas confondre avec Etienne) parlait à la radio de son ami Sempé, qui fait des dessins où l’on voit une foultitude de petits détails dont l’un finit par faire sens.

(2) C’est ce qu’on appelle le déterminisme au sens classique : voir ici.

Tuesday, October 20, 2009

Citation du 21 octobre 2009


S’offrir quand tout se vend.

Miss.Tic – Siné Hebdo – Août 2009

Comment échapper à la société marchande et à l’inéluctable logique de l’échange et du profit ?

Réponse : c’est le don et lui seul qui peut casser cette abominable nécessité.

Mais on sait que le don est en général suspect d’être en réalité un échange suspendu – ou différé. Je donne pour recevoir.

Comment échapper à ce soupçon ?

La réponse est très simple : offrir ce qui ne peut absolument pas se vendre, parce qu’aucune contre partie n’est pensable. C’est donc s’offrir soi-même, faire don de soi. Si se donner soi-même était un échange, alors contre quoi est-ce que je m’échangerais ? Rousseau l’a dit : se vendre dans la totalité de son être, c’est se faire esclave et c’est un marché de dupe parce que rien ne peut compenser ce qu’on fournit en se faisant esclave d’autrui (1).

Attention : s’offrir, c’est un acte total, qui ne se rencontre dans l’amour ou dans l’union mystique, quelque chose de très absolu. Si j’offre mon corps, en supposant par là qu’il y a un résidu qui est mon âme et que je conserve dans mon intimité, alors je reste dans l’échange. Je te donne du plaisir à condition que tu m’offres en échange de la jouissance – sinon de l’argent, ou la sécurité, ou une famille avec enfants, chien et belle-mère….

Voilà donc le message : seul l’amour est résolument anarchiste et c’est pour ça qu’il a droit à sa page dans Siné-Hebdo.

Maintenant, tout n’est peut-être pas si simple. Même si on laisse de côté le soupçon qui plane sur la réalité du don amoureux (la jalousie, n’est-ce pas, suppose qu’on réclame un droit sur l’autre en contre partie), il reste à trouver celui qui va accepter ce don, avec l’écrasante responsabilité qui l’accompagne.

Et si c’était plus facile d’aimer que d’être aimé ?


(1) Rousseau (Contrat social – I, 3)

Il est vrai que dans le même chapitre il considère que le fait de se donner est l’acte d’un fou. L’amour serait donc folie ?

Monday, October 19, 2009

Citation du 20 octobre 2009

Un jour, Nathalie Sarraute m'a écrit dans une lettre que les mots ne peuvent pas pénétrer dans la peinture. Je suis d'accord avec elle... Du reste, si la peinture était une affaire de sens à dire, quand ce sens est passé, on pourrait mettre l'oeuvre à la poubelle, non ? Comme un télégramme qui a été lu... Quelquefois, on pourrait vraiment le faire, il est vrai.

Pierre Soulages – Interview publié dans le Monde daté du 15-10-2009

On peut débattre à perte de vue sur les qualités de telle ou telle œuvre d’art, mais devrait tomber d’accord sur les principes qui en régissent l’existence, ceux qui permettent de la classer – ou non – parmi les œuvres d’art.

Disons-le autrement : on devrait tous reconnaître certains critères qui définissent l’œuvre d’art ; ensuite on peut se diviser pour savoir jusqu’à quel point telle ou telle œuvre y satisfait.

J’ai eu la satisfaction – un peu orgueilleuse je l’avoue – de lire dans cet interview de Soulages (1), publiée par le Monde, exactement cette idée que je ne cesse de répéter : pour savoir si une œuvre est une œuvre d’art, il suffit de la détruire et de faire le constat de ce que nous avons perdu.

Déjà, un iconoclaste (Pinoncelli – voir une intéressante vidéo ici) avait il y a quelque temps endommagé un des urinoirs de Duchamp, pour plaider au procès que ce n’était rien de plus qu’un urinoir et non une œuvre d’art (2). Sont ainsi remises en cause les œuvres qui n’ont d’autre intérêt que d’exciter la verve des critiques d’art et des groupies de l’artiste.

Je tiens à remarquer que si Soulages a raison, – et je pense que c’est le cas – il faut malgré tout dire aussi que l’œuvre d’art est ce qui suscite le commentaire, ce dont on peut dire quelque chose.

Simplement, ce quelque chose n’épuisera jamais le contenu de l’œuvre, pour la bonne raison que celle-ci doit, si elle est en effet de l’art, nous ouvrir des perspectives sans cesse renouvelées.


(1) Dont une exposition importante s’ouvre ces jours-ci au Centre Pompidou

(2) Il a aussi prétendu que c’était une performance d’artiste dadaïste… De toute façon, la facture de remise en état qu’on l’a condamné à payer (14652 euros) semblait démontrer que c’était une irremplaçable œuvre d’art.

Sunday, October 18, 2009

Citation du 19 octobre 2009

L'homme est infiniment grand par rapport à l'infiniment petit et infiniment petit par rapport à l'infiniment grand ; ce qui le réduit presque à zéro.

Vladimir Jankélévitch

L’homme est un presque zéro mais ce qui compte, c’est le presque. C’est d’ailleurs ce qui lui permet d’être infiniment grand par rapport à l'infiniment petit.

L’homme est un « ε », une quantité infime – mais cette quantité, même infime, n’est pas négligeable.

Voilà je crois, dans le message de Jankélévitch, ce qui le distingue de celui de Pascal (1).

Car, si Pascal avait pour souci de montrer la petitesse de l’homme, c’était pour faire ressortir son infirmité : dans les deux infinis, ce qui compte, ce n’est pas que l’homme soit un zéro, ni un presque zéro (2). C’est qu’il soit également éloigné des principes premiers (= infiniment grand) des choses et de leurs effets derniers (= infiniment petit), de sorte que sa science ne soit qu’une illusion.

Pour Jankélévitch, être un presque zéro, ça veut dire que l’homme n’a pas une nature pour le guider, il n’est pas ce héros qui agit héroïquement sans même y penser – parce que c’est sa manière d’être (3). C’est un être qui, à tout moment, est amené à choisir dans l’incertitude entre le petit et le grand, le bien et le mal.

Toute la morale selon Jankélévitch est marquée par cette indétermination. La morale, c’est le choix dans l’incertitude. C’est le dilemme qui est sa marque la plus nette, et les stances de Rodrigue (Le Cid, acte I, scène 6) sont là pour l’attester.

Voilà donc ce que nous apprend cette citation :

- infiniment grands, nous avons à nous comporter comme des êtres humains, c'est-à-dire à nous déterminer selon des valeurs morales;

- infiniment petits, nous n’avons pas accès à un monde de valeurs transcendantes qui s’imposeraient à nous – même Dieu est caché (Pascal).

Inutile donc de demander ce qu’est le bien et ce qu’est le mal : c’est à nous de l’élire. Simplement nous avons à faire en sorte que notre choix soit aussi valable pour d’autres que nous – même si ce ne peut-être jamais que notre choix.

Bref : Jankélévitch et Sartre ont eu le même maître : Bergson.


(1) Lire le fragment des Pensées consacré aux Deux infinis

(2) D’ailleurs, l’infini n’est ici que la succession indéfinie des causes et des effets.

(3) Comme le Siegfried de Wagner qui est un héros avant même de savoir qu’il l’est, en tout cas bien avant d’avoir occis le dragon Fafner.

Saturday, October 17, 2009

Citation du 18 octobre 2009

Tous les jours de la semaine / Sont vides et sonnent le creux / Bien pire que la semaine / Y a le dimanche prétentieux / Qui veut paraître rose / Et jouer les généreux / Le dimanche qui s'impose / Comme un jour bienheureux

Je hais les dimanches! / Je hais les dimanches!

Paroles de Charles Aznavour, Chanson créée par Edith Piaf, – et par Juliette Gréco (en vidéo ici)

Retournez le problème dans tous les sens : le travail du dimanche, ça ne passe pas. Le dimanche se définit comme un jour chômé, c’est notre shabbat à nous. Il faut que, même si nous avons oublié notre religion, le dimanche soit un jour sans travail, quelqu’en soient les conséquences, et même si le dimanche est alors un jour ennuyeux.

De Stendhal, à Paul Morand en passant par Nietzsche (1), le dimanche apparaît comme lié à cet interdit du travail même si certains le considèrent comme une source de l’ennui pour les hommes. Que faire quand on ne travaille pas ? Le travail n’est-il pas le plus puissant dérivatif à l’ennui, le divertissement pascalien le plus fort ?

Toutefois la chanson que nous citons ici est un peu plus retorse : là où nous avons aujourd’hui une problématique du travail et du repos, nous trouvons ici une problématique du bonheur institué opposé à l’ivresse du bonheur des amoureux. C’est même ça qui fait tout l’intérêt de la chanson que Juliette Gréco jette à la face des bourgeois. (2)

Si le dimanche est ennuyeux ce n’est pas simplement parce qu’il est vide de préoccupation ; c’est aussi parce que les contraintes sociales – comme la messe, la pâtisserie qui clôt l’inévitable repas de famille, la promenade digestive sur les remparts, etc… – y sont particulièrement puissantes.

Contre cet ennui, un seul remède : l’amour, qui d’un seul coup repeint la ville aux couleurs du printemps.

Le dimanche, Juliette déplore l’absence de son amoureux qui travaille – oui finalement le mot est lâché : Tu travailles toute la semaine et le dimanche aussi / C'est peut-être pour ça que je suis de parti pris.

Bilan : il faut lutter contre le travail du dimanche, ou alors le réserver à ceux qui n’ont pas d’amoureux avec qui effeuiller la marguerite.


(1) Voir les citations en annexe

(2) Alors que Gréco incarne la révolte, Piaf la chante en se plaçant sous le signe du tragique – ce qui ne fonctionne pas tout au long du texte, imposant d’étranges ruptures de ton et de rythme. Ecouter ici

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Annexe

L'oisiveté pèse aux races laborieuses. Ce fut un coup de maître de l'instinct anglais de faire du dimanche une journée si sainte et si ennuyeuse, que l'Anglais en vient, à son insu, à désirer le retour des jours de semaine et de travail.

Friedrich Nietzsche – Par-delà le bien et le mal

Je ne puis pas encore m'expliquer aujourd'hui, à cinquante-deux ans, la disposition au malheur que me donne le dimanche. Cela est au point que je suis gai et content ; au bout de deux cents pas dans la rue, je m'aperçois que les boutiques sont fermées : "Ah ! c'est dimanche", me dis-je.

À l'instant toute disposition intérieure au bonheur s'envole.

Est-ce envie pour l'air content des ouvriers ou des bourgeois endimanchés ?

J'ai beau me dire : "Mais je perds ainsi cinquante-deux dimanches par an et peut-être dix fêtes." La chose est plus forte que moi. Je n'ai de ressource qu'un travail obstiné.

Stendhal – Vie de Henry Brulard

Le dimanche, on échange les ennuis de la semaine contre l'Ennui.

Paul Morand – Journal inutile 1968-1972 (24 juin 1969)

Friday, October 16, 2009

Citation du 17 octobre 2009

Il importe donc, pour avoir bien l’énoncé de la volonté générale, qu’il n’y ait pas de société partielle dans l’Etat, et que chaque Citoyen n’opine que d’après lui.

Rousseau – Du contrat social, livre II, ch. 3

A l’heure où la société française s’offusque des rumeurs de népotisme (1) entourant la nomination de fils du Président à la tête d’abord du conseil général des Hauts-de-Seine, puis de l’organisme gérant les affaires du quartier de la Défense à Paris (EPAD), la réponse du pouvoir est invariablement la suivante : Jean Sarkozy a été élu, et n’obtiendra de nouvelles fonctions à l’EPAD que s’il est régulièrement élu.

L’élection est donc la garantie de l’honnêteté du processus et une garantie contre le népotisme.

Comme si les élections africaines – entre autre – ne nous avaient pas déniaisés au sujet des élections soit disant démocratiques.

Mais, dira-t-on courroucé, pourquoi parler d Afrique ? Y a-t-il en France, à n’importe quel niveau des urnes bourrées, des listes électorales trafiquées ? (2)

Bien sûr que non. Mais il y a d’autres moyens tout à fait réglementaires ceux-là de fausser une élection démocratique. Il s’agit des élections sous influence, où l’on vote comme l’a demandé le curé (3), comme l’exige le patron, comme le souhaite le député qui vous a fait obtenir un HLM avant votre tour. Et il ne s’agit pas seulement de clientélisme.

Déjà, Rousseau (nous y voilà) en 1762 avait abordé le sujet : que chaque Citoyen n’opine que d’après lui. Dans une élection, personne ne doit voter selon les préconisations d’un parti, d’un syndicat, d’une chapelle, etc… La démocratie, c’est le vote d’un citoyen opinant en son âme et conscience sur ce qu’il considère comme étant le bien public. Dès lors que les citoyens votent selon des intérêts privés, il n’y a plus de démocratie, mais seulement une oligarchie.

Toutefois, il est évident que les membres d’un parti ne vont pas voter pour un autre candidat que le leur, même si ce candidat n’est pas le meilleur en lice. Que faire alors ?

Rousseau préconisait d’interdire les sociétés partielles, c'est à dire les partis, les syndicats, les corporations, et de faire jurer aux prêtres fidélité à la Constitution.

Amusant de penser que la démocratie pourrait passer par un régime d’interdits digne de la pire dictature. Telle est l’inconséquence des hommes…


(1) Népotisme ?... Vous avez dit né-po-tis-me ??? Ah… Heureusement que les médias sont là pour cultiver notre vocabulaire : quand un malheureux intello lâche un gros mot comme ça sur un plateau de télé il se fait vertement remettre en place. Mais quand c’est la média-sphère, alors là ce n’est plus la même chose.

(2) Je me place dans la perspective d’élections « officielles » engageant la responsabilité administrative de la République.

(3) Petit rappel : ce sont les partis de gauche qui ont refusé systématiquement, tout au long de la IIIème république que le droit de vote soit accordé aux femmes : parce que, croyait-on, elles vont voter comme le curé le demande – pour la droite conservatrice.

Thursday, October 15, 2009

Citation du 16 octobre 2009

[Pour éviter d’être blâmé et condamné quand on est absent, il faut suivre] le conseil de celui qui se retirait toujours le dernier d’une compagnie.

Hobbes – Du Citoyen, p. 91

Avez-vous tenté d’imaginer ce que disaient de vous vos amis, lorsque vous les quittiez avant que la réunion ne soit terminée ? Car, soyez-en certain, c’est de l’absent qu’on parle le plus volontiers.

- Oui, c’est vrai j’aime beaucoup Polo (c’est vous), mais il exagère quand même un peu…

- Exact. D’ailleurs je me suis mordu la langue pour ne pas lui répliquer quand…

- Dites-moi, mes amis, est-ce que vous vous rappelez seulement à quand remonte la dernière participation de Polo à nos travaux ?

Etc… Cette médisance même si elle n’est pas attestée ouvertement, le sera en filigrane et les exceptions ne seront là que pour confirmer la règle.

Un seul moyen de l’éviter : partez le dernier – c’est le conseil du sage qui sait qu’il ne peut réformer la nature humaine, mais seulement la connaître pour s’y adapter.

Alors, c’est vrai, il y a tout de même un cas qui déroge à cette règle : c’est l’enterrement d’un ami – ou de n’importe qui de connu.

Là, la règle est l’éloge, l’unanimité se fait sur la déploration de la perte irréparable d’un homme de qualité, dont chacun se met à peindre les charmes et les vertus. D’un seul coup, même celui qu’on désignait avant comme un « sacré enfoiré » devient maintenant un irremplaçable fleuron de l’humanité.

La mort est donc une forme d’absence qui amène d’un seul coup à faire l’éloge celui qu’on éreintait juste avant : comment s’explique ce renversement ?

On pourrait évoquer les traditions religieuses qui font de l’éloge funèbre une obligation (comme chez les juifs), ou du moins une façon de pleurer le défunt, nos larmes étant proportionnées à sa qualité. Puisqu’il est bon de pleurer bruyamment le cher disparu, mieux vaut qu’il ne soit pas un salaud.

On pourrait aussi faire de la psychanalyse facile et prétendre qu’un sentiment de culpabilité accompagne le deuil. Car, ce mort qu’on massacrait allègrement de nos critiques quand il était vivant, ne sommes nous pas au fond de nous-mêmes heureux de le voir disparaître ? N’avons-nous pas souhaité en être débarrassé ? Ces vilains sentiments qui ne peuvent se faire jour sans blesser ceux qui les ressentent doivent être refoulés, et l’éloge du défunt ne serait alors qu’une surcompensation (1) de notre cruauté.

Bref : croyez ce que vous voulez, mais en tout cas, si vous voulez être loué de tous, un seul conseil : mourez.


(1) Surcompensation – Voyez Adler chez qui la surcompensation est une réaction exagérée qui trahit une blessure cachée, comme par exemple, une extrême susceptibilité qui serait est révélatrice d'un sentiment d'infériorité, en ce qu'elle surgit chaque fois que la personne a le vague sentiment qu'on a mis le doigt sur le défaut de sa cuirasse. (Lire ici)

Wednesday, October 14, 2009

Citation du 15 octobre 2009

La plus grande pulsion n'est pas la libido mais le besoin de sécurité.

Jean Delumeau

Curieuse formule que celle-ci, et qui suscite bien des questions.

La libido nous fait-elle prendre des risques ? Comme le cerf qui affronte le rival avant l’accouplement, arrive-t-il que des hommes prennent le risque de mourir pour copuler avec la femme convoitée ? Et si cela n’arrive pas, est-ce parce que la peur et l’instinct de conservation sont plus forts que le désir sexuel ? Et d’ailleurs – pour finir – peut-on expliquer ce comportement en terme de pulsion ?

On sait que Freud considérait que les pulsions les plus fondamentales ne sont pas la libido et l’auto-conservation, mais la pulsion de vie opposée à la pulsion de mort.

On serait alors tenté de dire que la libido est la pulsion de vie appliquée à l’espèce et le besoin de sécurité est la pulsion de vie appliquée à l’individu. Dans ce cas, l’opposition entre la libido et la sécurité ne serait que la trace de l’opposition entre les intérêts de l’espèce et ceux de l’individu.

Et donc l’intérêt de cette citation est de montrer que nous sommes parcourus par des tendances qui sont au service soit de l’espèce (reproduction) soit au service de l’individu (conservation de la vie).

Observons alors que chaque fois que l’intérêt de l’espèce est en jeu – comme dans la reproduction – la nature a doté l’individu d’un moyen de récompense qui le dédommage en quelle que sorte de s’intéresser non plus à lui-même – comme le besoin de sécurité le commanderait – mais aux générations futures.

C’est ainsi que s’explique la jouissance sexuelle : récompenser l’individu de mettre son corps au service de la procréation et donc de la survie de l’espèce.

Le clitoris ne sert qu’à ça.

Tuesday, October 13, 2009

Citation du 14 octobre 2009

Parler d'un livre a peu de chose à voir avec la lecture. Deux activités qui sont tout à fait séparables, et je m'exprime pour ma part d'autant plus longuement et d'autant mieux sur les livres que j'ai pratiquement cessé d'en lire, cette abstention me donnant toute la distance nécessaire.

Pierre Bayard Comment parler des livres que l'on n'a pas lus ? Editions de Minuit, p.107

On parle mieux des livres lorsqu’on ne les a pas lus. (1)

Ce paradoxe mérite d’être examiné.

Déjà, on se doute bien que les animateurs des émissions littéraires ancienne formule qui étaient seuls sur le plateau – du genre Apostrophe – et censés avoir lu les ouvrages qu’ils discutaient avec les auteurs, ne pouvaient avoir effectivement lu chacun d’entre eux dans l’espace de la semaine.

De la même façon dans les comités de lecture des éditeurs on se vante de ne lire que les premières pages des manuscrits avant de les rejeter.

L’argument, de notre auteur mérite d’être rappelé : cette abstention me donne toute la distance nécessaire pour en parler. Autrement dit le livre risque d’engloutir la lucidité critique du lecteur, de l’empêcher de le prendre pour objet de réflexion, ce qui nous apparaît clairement dans un début de lecture disparaissant dans la masse des sensations, réactions sentiments suscités par la suite.

Oui, mais alors, si on prend au sérieux cette affirmation, sur quoi allons-nous appuyer notre opinion ? Ne risquons-nous pas de grappiller au hasard tel ou tel passage, en espérant avoir eu la main assez heureuse pour avoir trouvé des clés de lecture partout où notre regard est tombé – un peu comme le fou qui cherche sa clé sous un réverbère non pas parce qu’il l’a perdue dans le coin, mais parce que c’est le seul endroit où on y voit clair ? Pire encore : ne risquons-nous pas de ne prendre pour objet de notre pensée que les commentaires des critiques qui eux – on l’espère – auront lu le livre ?

Alors je sais que certains critiques ont produit une théorie selon laquelle les premières pages d’un livre – d’un roman – contiennent en germe tout ce qui va se développer ensuite, un peu comme le musicien qui donne pour commencer le thème sur le quel il va en suite composer ses variations.

Mais je sais aussi que nombre d’auteurs ne livrent pas ainsi leur œuvre, et que parfois celle-ci rebute le lecteur paresseux qui voudrait avoir tout compris avant d’avoir tout lu.

Un exemple ? Le célèbre passage de la petite madeleine de Proust, qui apparaît vers la 50ème page du volume 1 de la Recherche, n’est interprété par l’auteur que dans le courant du dernier volume (le temps retrouvé), plusieurs milliers de pages plus loin.

C’est un peu comme les énigmes policières, sauf que là, si vous sautez directement à la fin, vous risquez de ne pas comprendre grand-chose.


(1) Et est-ce qu’on commente mieux les citations extraites d’ouvrages qu’on n’a pas lus non plus ? C’est ce que nous allons vérifier

Monday, October 12, 2009

Citation du 13 octobre 2009

Rien n'émancipe un homme autant que le jeu. Comme, dès que l'on a un peu joué, on se sent moins esclave de l'argent !

Tristan Bernard – Auteurs, acteurs, spectateurs

…on aime mieux la chasse que la prise.

Pascal – Pensées, fragment 142 (voir l’extrait en annexe ; et un début de commentaire dans ce Post)

On pousse des hauts cris à propos de l’ouverture de sites de jeux d’argent en ligne ; mais pourquoi donc ? Est-ce immoral ? Est-on d’un coup devenu si soucieux de préserver nos semblables d’une addiction de plus ?

Et si ce n’était que par peur d’y succomber nous-mêmes ? Si ce n’était que pusillanimité devant un plaisir que nous nous interdisons ?

Quel est donc ce plaisir du jeu – entendez du jeu d’argent ?

Posons plus clairement le problème : supposons le passionné de jeu sache qu’il va perdre ; s’il joue quand même, c’est que le plaisir et l’espérance sont malgré tout à son horizon. Qu’espère donc celui qui joue ?

Pour Tristan Bernard, l’espérance n’est rien, seul compte le plaisir : bien sûr, sa remarque est une boutade, mais on peut aussi la prendre au sérieux. Le joueur est capable de se donner au jeu au point que rien d’autre – et surtout pas l‘argent n’a d’importance.

Oui, mais qu’est-ce qu’il trouve de si exceptionnel dans le jeu ?

- C’est Pascal qui répond : dans le jeu on trouve le danger et la difficulté, qui vont nous faire perdre conscience de notre condition humaine – par exemple, le truc-à-gratter qui va me faire oublier que les rêves d’île-aux-cocotiers ne sont que des rêves, et que je vais rentrer dans mon HLM pourri avec mon ticket froissé au fond de ma poche. Alors bien sûr, la difficulté n’est pas au rendez-vous du grattage ; mais le danger, oui : celui de perdre tout l’argent du mois. Aucun joueur ne connaît de limites, c’est là le danger qu’il assume.

Le jeu est un puissant divertissement, qui par les risques qu’il nous fait prendre et/ou les difficultés qui met sur notre chemin nous dispense de penser à notre triste et banale existence.

Qu’est-ce qui pourrait nous distraire autant ? En dehors du jeu, quel danger pourrions nous courir, quels risque pourrions-nous prendre pour nous oublier nous-mêmes ?

Il n’y a que la guerre qui réponde à cette question ; les combats, les bombardements, les mitraillages, voilà qui nous dispenserait de penser à autre chose qu’à sauver notre peau.

… Finalement, je trouve plutôt rassurant que les jeux d’argents envahissent la toile.

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[...]
Ce n'est pas cet usage mol et paisible et qui nous laisse penser à notre malheureuse condition qu'on recherche ni les dangers de la guerre ni la peine des emplois, mais c'est le tracas qui nous détourne d'y penser et nous divertit. Raison pourquoi on aime mieux la chasse que la prise.

De là vient que les hommes aiment tant le bruit et le remuement. De là vient que la prison est un supplice si horrible. De là vient que le plaisir de la solitude est une chose incompréhensible. Et c'est enfin le plus grand sujet de félicité de la condition des rois de ce qu'on essaie sans cesse à les divertir et à leur procurer toutes sortes de plaisirs. - Le roi est environné de gens qui ne pensent qu'à divertir le roi et à l'empêcher de penser à lui. Car il est malheureux, tout roi qu'il est, s'il y pense.
Pascal – Pensées, fragment 142


Sunday, October 11, 2009

Citation du 12 octobre 2009

Si l'on faisait une sérieuse attention à tout ce qui se dit de froid, de vain, de puéril dans les entretiens ordinaires, l'on aurait honte de parler ou d'écouter, et l'on se condamnerait peut-être à un silence perpétuel, qui serait une chose pire dans le commerce que les discours inutiles. Il faut donc s'accommoder à tous les esprits, permettre comme un mal nécessaire le récit des fausses nouvelles, les vagues réflexions sur le gouvernement présent, ou sur l'intérêt des princes, le débit des beaux sentiments, et qui reviennent toujours les mêmes…

La Bruyère – Les caractères (De la société et de la conversation 5 – IV)

Mieux vaut parler pour ne rien dire que de se condamner à un silence perpétuel. Autrement dit : ce n’est parce qu’on n’a rien à dire qu’il faut se taire

…Cette exclamation qu’on croirait issue des propos en forme de coups de gueule, coups de cœur de nos semblables – et de nous-mêmes confessons-le – est le fonds de cette Remarque de La Bruyère.

Question : qu’est-ce que véhicule la parole, qu’est-ce qui passe par elle, même quant elle ne sert pas à transmettre de l’information ?

Pourquoi n’attend-on pas d’avoir à dire quelque chose pour ouvrir la bouche ? C’est que, quant on parle même pour ne rien dire, il se passe quelque chose qui est plus que rien du tout. La parole est un contact privilégié avec autrui, quelque chose qui devance le geste, qui vient alors même que la main ne peut serrer la main.

Et même quand cette rencontre est dématérialisée, quant par exemple elle a lieu via le téléphone, même quant celui qui parle dans l’appareil n’a strictement rien à dire, il passe quelque chose, qui relève de la rencontre entre les personnes. Moi qui n’utilise jamais de portable, je suis par contre toujours impressionné par ceux qui s’en servent en public, dans la rue, dans le bus. Je trouve très émouvant le sourire qui se dessine sur le visage (des jeunes femmes en particulier) et qui s’adresse à la personne qui parle à son oreille depuis le portable dissimulé dans le creux de sa main. La rue, les gens qu’elle y croise n’existent plus ; seules existent ces vibrations qui filtrent entre ses doigts…

Les pédiatres le disent aussi : parlez à votre petit enfant, même s’il est si petit qu’il ne risque pas de vous comprendre ; ce qui compte c’est que ce comportement va lui apporter ce contact sans le quel l’être humain ne serait pas ce qu’il est – un être pétri de symboles.