Tuesday, February 28, 2006

Citation du 1er mars 2006

« L'égalité est la plus horrible des injustices. »

Edmond et Jules de Goncourt - Journal (Extrait)

L’égalité, la plus horrible des injustice ? Ils y vont fort, les frères Goncourt ! Que dire de la veuve sans défense, spoliée et violentée? Rien du tout. Et de l’orphelin, exploité par d’odieux individus qui le font travailler comme un esclave ? Du pipi de chat. Mais que le fils de l’ouvrier aille à la même école que le fils du riche, là permettez : c’est insoutenable !

Challenge du jour : trouver quelque chose qui justifie ces propos, pour voir si c’est possible.

… En réalité ce n’est pas si difficile : il suffit de montrer que toute notre société tourne autour de l’inégalité : à travail inégal, salaire inégal. Bon, mais ça veut dire aussi qu’il y a égalité lorsque le mérite est identique.

Objection, Votre Honneur ! Car, comme le disait Marx, cela suppose qu’on limite l’individu à « être un travailleur et rien de plus ». Qu’il soit par ailleurs père de famille nombreuse, ou qu’il ait un handicap quelconque l’empêchant de travailler ne fait rien à l’affaire ; s’il ne travaille pas il crèvera de faim, à moins que l’Etat ne lui alloue de quoi survivre en attendant…on ne sait quoi. Autrement dit, l’égalité devant le critère de rétribution est inégalité de ressources. Et l’inégalité des ressources est inégalité des conditions de (sur)vie.

Et alors? Tout marche comme ça ; et tous ceux qui passent des concours le diront : il n’y aura pas de place pour tout le monde : que le meilleur gagne ! Et le chômeur qui retrouve du travail le dira aussi : ce n’est pas juste que les chômeurs chroniques (supposés être de mauvaise volonté) se la coulent douce avec leurs indemnités.

Alors, on est tous d’accord : l’égalité est bien « la plus horrible des injustices ». D’accord ?

Monday, February 27, 2006

Citation du 28 février 2006

« Je vois le bien, je l’approuve et je fais le mal. »

Ovide - Métamorphoses - VII, 20

On considère généralement que cette formule (prononcée par Médée dans les Métamorphoses) désigne la faiblesse de l’être humain, capable de reconnaître les valeurs mais incapable de faire ce qu’elles nous imposent.

Ce qui est intéressant ici c’est de réfléchir sur le moment où nous quittons le droite ligne (celle de l’honnêteté) pour bifurquer vers … ce qui est moins honnête. Par exemple, le commerçant nous rend la monnaie avec un billet de trop ; en l’espace d’un instant nous devons choisir : le lui rendre ou l’empocher ?

Supposons qu’on l’empoche : c’est très vilain. Aussi nous donnons-nous de bonnes raisons : les commerçants - ce commerçant - font des profits abusifs, c’est connu. Nous ne faisons que récupérer ce qu’il nous avait indûment subtilisé. A moins que fort lucidement nous estimions que nous avons absolument besoin de cet argent, beaucoup plus que le commerçant qui est très riche, c’est notoire. Ou encore, que c’est de sa faute, il n’avait qu’à ne pas nous donner ce billet, c’est lui le responsable, il ne fallait pas nous tenter. Bref, c’est la loi de la jungle. Si nous ne faisons pas le bien, nous ne faisons pas non plus le mal, et notre conscience est en paix.

Hypocrisie ? Soit. Mais alors, cela veut dire que nous reconnaissons qu’il aurait fallu agir autrement, que le bien était de restituer ce qui ne nous appartient pas. Et aussi : connaissant le bien, cela ne nous a nullement empêché de faire le mal.
Et donc : si nous le faisons, c’est parce que nous l'avons librement choisi. Descartes appelle « liberté d’indifférence » ce pouvoir de rester insensible au bien, qui nous rend libres de faire le mal. Pour qu’il soit moral (donc = louable) de faire le bien, il faut que nous soyons capable (donc = coupable) de faire le mal.

Sunday, February 26, 2006

Citation du 27 février 2006

« Tous délibèrent, un seul décide. »

Maxime

(Suite du 26 février)

On a vu en quoi la démocratie pouvait répondre aux critiques d’inefficacité, de faiblesse, où la parole du débat parasite l’action politique.

Mais cette solution ne nous évite pas un écueil important : comment éviter que la « délibération » se vide de son contenu au profit de la délégation ? On aperçoit bien dans les démocraties modernes l’existence de cette dérive : un suffrage (tel celui de l’élection du Président) se déroule avec une participation satisfaisante, puis les autres scrutins (législatifs, exécutif régional) ont un taux d’abstention plus élevé, comme si les citoyens estimaient avoir assez fait avec la première élection, comme si il n’y avait plus rien à décider ensuite : c’est l’affaire de ceux qui sont déjà élus.

Autrement dit, la difficulté de la démocratie, ce n’est pas l’excès de délibération, mais son insuffisance. Délibérer, de n’est pas palabrer entre ignorants sur des faits qu’on ignore. C’est confronter les points de vue sur les valeurs qui vont orienter l’avenir. L’avenir, de toute façon il arrivera ; au mieux on peut l’infléchir ; au pire il est inexorable. Mais, même dans ce cas, il reste à savoir si on le subira ou si on comprendra ce qui nous arrive. L’exemple de la réforme des retraites a été révélateur : les passions ont éliminé le débat au profit d’une empoignade idéologique, c’est-à-dire coupée de la réalité.

Quand tous ne délibèrent pas, alors c’est là, oui, qu’un seul décide.

Saturday, February 25, 2006

Citation du 26 février 2006

« Tous délibèrent ; un seul décide »

Maxime

Il y a deux critiques habituelles adressées à la démocratie : la plus courante vise l’ignorance du peuple qui le rendrait inapte à se gouverner lui-même ; autrefois on associait à ceci l’affirmation que son intempérance et ses passions le pousseraient aux pires excès. Bref, si le peuple agi, c’est dans le sens du pire. L’autre objection porte au contraire sur son incapacité à agir : irrésolu, indécis, perdant le temps précieux de l’action dans des palabres ineptes, les délibérations du peuple n’aboutissent à rien. Tel est le sens de cette maxime.

Mais de même que Diogène (le cynique) prouvait le mouvement en marchant, de même la démocratie prouve son efficacité…en votant. Mais dira-t-on, si le peuple est indécis, c’est qu’il ne sait quelle action choisir. Par quel miracle va-t-il prendre une décision opérationnelle en votant ?

Tout simplement ainsi : la démocratie consiste à décider qui va décider. Certes ce n’est pas l’action directe jaillissant de l’« esprit » de cent mille cerveaux assemblés sur la Place du Peuple ; mais c’est un choix dont on peut rendre raison, qui aura des conséquences pratiques.

En tout cas il fera que le gouvernement sera démocratique, car il devra rendre des comptes. Mandaté pour résoudre des difficultés précises, il sera élu sur un programme que l’électeur aura à valider - s’il le veut bien - par son vote.

Reste que l’action politique doit aussi faire face à l’imprévu, et là, la délégation de pouvoir est inopérante, parce que l’action politique n’est pas de l’ordre du « prévoir ».
Reste aussi que les promesses électorales n’engagent, comme on l’a vu, que ceux qui les croient.

à suivre


Friday, February 24, 2006

Citation du 25 février 2006

Juliette - Quelle satisfaction peux-tu avoir cette nuit ?
Roméo - L’échange de ton vœu de fidèle amour et de mon vœu.
J - Avant que tu l’aies demandé je te l’ai donné
Et je voudrais encore avoir à te le donner.
R - Tu voudrais le reprendre, oh pourquoi bien-aimée ?
J - Pour être généreuse, et te le redonner !
Shakespeare, Roméo et Juliette, II, 2, 126-131
[Ne reculant devant aucun sacrifice, La citation du jour offre à ses fidèles lecteurs deux commentaires de la même citation. Et toujours pour le prix d’un seul]
1er commentaire
Elle : Chouchou, dis-moi que tu m’aimes.
Lui : Mais oui, je t’aime, tu le sais bien.
Elle : Mais tu m’aimes comment ?
Lui : Comment ça ? Qu’est-ce que tu veux savoir de plus ? Tiens, je t’aime comme ma moto ! Oui, ma Suz 750, quand je l’enfourche et que je mets ma clef dans le démarreur…
Elle : Arrête ! Tu vas encore dire des cochonneries ! Je ne suis pas ta moto, je suis ta femme; et encore ; tant que je le voudrai bien.
Lui : Te fâche pas Minou. Tu le veux bien, dis ?
Elle : Je le veux bien maintenant. Mais tout à l’heure peut-être que je voudrai ne plus le vouloir.
Lui : ???
[Si ce commentaire ne vous a pas apporté de supplément de sens dont votre vie a besoin, demandez au philosophe d’intervenir, il est là pour ça]
2ème commentaire
Cette citation extraite de la célèbre scène du balcon, nous rappelle que l’amour, avant d’être un partage, est un don, et avant même d’être quelque chose que l’on donne est l’acte de donner : pour que ce don soit plus généreux il ne faut pas donner plus mais reprendre pour redonner. Aimer, c’est donner, inépuisablement donner.
Qu’est-ce qui peut ainsi justifier une telle réitération ? Ce n’est pas que ce que l’on donne est moins important que le fait de donner, c’est plutôt que ce que l’on donne ne peut durer au-delà de l’offre qui en est faite. Parce que, comme le dit Sartre, « l'amant ne désire pas posséder l'aimé comme on possède une chose ; il réclame un type spécial d'appropriation. Il veut posséder une liberté comme liberté » (L’être et le néant). Aimer, c’est s’offrir soi-même à l’autre, c’est lui avouer qu’on ne peut vivre sans lui : c’est faire le choix (= liberté) de nous soumettre au choix de l’autre. Seulement voilà. Donner sa liberté c’est la supprimer et pour qu’elle survive à ce don, il faut la reprendre pour la redonner une nouvelle fois. Se donner une fois pour toutes ce serait, en se soumettant à l’autre, transformer l'amour en asservissement : « Je t’aime encore parce que je me suis engagé à t’aimer » ironise Sartre.
Et en effet. Le serment d’amour ne peut être qu’éternel (amour-toujours), puisqu’il est don inconditionnel de soi (= de sa liberté). Mais pourtant, il faut qu’il n’engage pas plus d’une minute, d’une seconde ; dans le souffle qui vient de le dire il est déjà reparti, la liberté qui vient de se donner s’est reprise… pour se redonner : Dis-moi que tu m’aime. - Je t’aime. - Oh, oui ! Redis-le…
Paradoxe d’un don qui se détruit dans l’instant où il se réalise : voilà ce qui explique la platitude du dialogue amoureux : voilà aussi pourquoi, comme dit le poète « il n’y a pas d’amour heureux ».

Thursday, February 23, 2006

Citation du 24 février 2006

« Le diable est optimiste s'il pense pouvoir rendre les hommes pires qu'ils ne sont. »

Karl Kraus, 1874-1936, écrivain autrichien.

Karl Kraus semble croire que le mal est dans l’homme, de sorte que le Diable ne peut l’y introduire. C’est une erreur, car elle est dans l’histoire, comme l’abondamment montré un autre Karl (Marx).

Voici un expérience qui devrait nous aider à y voir plus clair.

Le professeur Philip Zimbardo en août 1971, à l’Université de Stanford, aux Etats-Unis réalise l’expérience suivante : il s’agissait d’explorer les comportements d’individus, considérés comme normaux, placés dans un environnement carcéral. A cet effet, un quartier de détention, plus vrai que nature, avait été conçu dans les sous-sols de l’Université.

Les personnes retenues pour l’expérience, prévue pour durer deux semaines, étaient des étudiants, tous des garçons de bonne famille, issus de la classe moyenne, qui ont été sélectionnés pour leur absence de trouble psychologique. La répartition entre ceux qui tiendraient les rôles de détenus et de surveillants a été laissée au hasard (par tirage au sort). En d’autres termes, les cobayes - car c’est bien de cela qu’il s’agit - ne sont pas des êtres particulièrement violents, ni asociaux, ni dépressifs. En un mot, c’étaient des hommes ordinaires

Dès le deuxième jour de l’expérience, une rébellion a éclaté du côté des prisonniers. Les gardiens, déroutés, ont rapidement laissé libre cours à leur violence, répondant à la révolte des prisonniers par des pratiques d’humiliation et de déshumanisation (coups, brimades, etc.). Le staff des chercheurs a dû alors fréquemment rappeler aux gardiens de s’abstenir de telles pratiques. Mais les pires actes se sont passés au milieu de la nuit, lorsque les gardes supposaient que le staff ne les surveillait plus.
En l’espace de quelques jours, les gardes sont devenus complètement sadiques et les prisonniers, eux, nettement dépressifs et très stressés.

La principale conclusion de l’expérience a été de montrer l’importance des circonstances pouvant altérer les personnalités individuelles : en bref, chacun peut agir comme un monstre, s’il est placé dans certaines conditions. Ce qui se passe à Abou-Grahib ou à Guentanamo représente donc plus une règle qu’une exception.

Wednesday, February 22, 2006

Citation du 23 février 2006

« Le châtiment, a ceci de commun avec le pardon qu'il tente de mettre un terme à une chose qui, sans intervention, pourrait continuer indéfiniment. »

Hannah Arendt

Etrange de voir ainsi le pardon aligné sur ce qui semble être son contraire : le châtiment.
Etrange mais pas étonnant ; si vous ne tranchez pas la tête du coupable, alors un jour ou l’autre, il faudra accepter de lui pardonner, c’est-à-dire de vivre à ses côtés (à moins de réactiver le bannissement comme du temps de Cayenne). C’est cela qu’on s’efforce d’oublier, et c’est cela qui nourrit le fantasme d’une peine de mort systématique.

Car le pardon, en dehors de ses dimensions morales et religieuses, qui certes peuvent seules le justifier, a une signification très prosaïque : si nous voulons vivre ensemble, alors il faut faire abstraction de la faute dont nous avons été victime. Abstraction et pas oubli : il serait immoral d’oublier le crime, car ce serait oublier la valeur qui s’est trouvée niée à cette occasion.

Donc : est-il possible que le châtiment débouche sur le pardon ? Non pas qu’on pardonne à celui qui a simplement « payé sa dette » ; mais bien que le châtiment soit solidaire du pardon. Lévi-Strauss en donne un exemple dans Tristes Tropiques à propos d’un peuple Améridien. Lorsqu’un membre de la tribu a commis un crime, on y traite le criminel de la façon suivante : la communauté détruit tous les biens du coupable, sa tente, ses armes, ses vêtements, etc., de telle sorte que sa survie devienne impossible ; puis la même communauté lui donne l’équivalent de ce qui vient de lui être pris, de telle sorte qu’il doive sa survie à ses compagnons. Le message est clair : « Nous continuerons à vivre ensemble, mais sache que c’est parce que nous l’avons voulu ; il ne tenait qu’à nous de te laisser mourir de faim et de froid». C’est là que le châtiment s’aligne sur le pardon.

A comparer, chez nous, avec le prisonnier qui sort de sa prison mais qui aux yeux de tous reste à jamais un paria : ce qui « pourrait continuer indéfiniment ».

Tuesday, February 21, 2006

Citation du 22 février 2006

"Timeo Danaos et dona ferantes" (« Je crains les Danaens (=Grecs), même porteurs de présents »
VIRGILE, Enéide, II, 49
Tous les lecteurs d’Astérix connaissent ce vers de l’Enéide. Ils ne savent peut-être pas tous que le présent perfide offert par les Grecs est le Cheval de Troie, qui symbolise généralement une ruse destinée à nuire à celui qui l’accepte. Il y a des cadeaux empoisonnés, on le sait. Mais ne sont-ils pas tous empoisonnés ?
Marcel Mauss dans son Essai sur le don a décrit la cérémonie du Potlatch (chez les Indiens de la côte ouest de l’Amérique) comme un rite agressif, consistant à offrir (voire même plus simplement à détruire) des présents de valeur au chef de la tribu voisine, qui devra à son tour faire de même, en plus abondant s’il le peut.
Il y aurait ainsi une humiliation à recevoir un don, sachant qu’il sera sans contrepartie, c’est-à-dire sans échange ; et on sort de l’échange dès lors que la contrepartie est simplement impossible en raison de la magnificence du cadeau. C’est donc le cas du potlatch. Autre exemple : Bernardin de Saint-Pierre raconte qu’un jour passant chez Rousseau en son absence il laisse sur sa table un paquet de café (très prisé et très cher à l’époque) ; rentré chez lui Rousseau lui renvoie l’objet avec un billet disant « Je vous rends votre cadeau parce que je serais incapable de vous en offrir un pareil. » Les petits cadeaux entretiennent l’amitié ; les gros cadeaux suscitent la rancœur et la hargne.
A première vue, il ne s’agit que d’un mouvement d’orgueil : je veux me montrer plus fort que l’autre, et je me sens agressé si je ne le peux pas. Mais tout cela veut peut-être dire aussi que la société du don ( du genre « A chacun selon ses besoins ») est une utopie, parce que toute société est fondée sur l’échange et que le don n’est pas à la base du lien social.
Au risque d’émouvoir les bonnes âmes, disons alors que la charité n’est pas une vertu sociale.

Monday, February 20, 2006

Citation du 21 février 2006

« Il vaut mieux être un être humain insatisfait qu'un pourceau satisfait, Socrate insatisfait qu'un imbécile satisfait »

John Stuart Mill (1806-1873), L'utilitarisme

Le bonheur, à supposer qu’il soit en cause, n’est pas le signe de la perfection de l’existence.
Déjà Platon dans la République ironisait sur la Cité des Pourceaux considérée comme la preuve de l’inanité de la recherche effrénée du plaisir.

Etes vous un pourceau satisfait ? Avez-vous, dans votre ration quotidienne de consommation, de quoi satisfaire un pourceau ? Mettez donc mettre votre TF1 dans une auge, votre pack de Kro dans l’abreuvoir, votre petite amie dans la souille. Là, ça commence à y ressembler.

Dégoûtant. Jetez-moi tout ça. Vous voilà donc devenu un « Socrate insatisfait » ? Non. Vous êtes un pourceau insatisfait, et voilà tout.

Que faut-il pour être un Socrate insatisfait ? Ce qui manque à Socrate ne manquerait pas au pourceau, de même que, on l’a vu, ce qui manque au pourceau ne manquerait pas à Socrate. Pour savoir ce qui manque à Socrate, il faut le devenir ; et pour le devenir il faut cesser d’être ce fameux cochon que vous êtes encore aujourd’hui.

Vous allez donc avancer sur le chemin de la vertu ; vous allez avoir avec vos voisins un « comportement-citoyen », vous ne dépasserez plus le 50 à l’heure en agglomération et le 0,5 d’alcool. Vous allez écouter uniquement France-Culture, et vous énerver aux éditos de Finkielkraut. Vous voilà donc Socrate ? Pas du tout : il vous manque l’insatisfaction. Ce que recherche obstinément Socrate, c’est la vérité et le sens, mais pas dans sa propre opinion : dans celle des autres. Nous y voilà : Socrate satisfait, c’est Socrate qui arrive à faire que les autres comprennent eux-mêmes ce qu’ils pensent.

C’est pour cela qu’il est toujours insatisfait.

Sunday, February 19, 2006

Citation du 20 février 2006

"Je crois parce que c'est absurde."

Tertullien ou Saint Augustin (indécis, selon les sources)

Amphigouri (subst masc) Discours ou écrit burlesque, volontairement obscur ou incompréhensible. Voilà la définition qui s’applique semble-t-il à cette citation : comment croire ce qui est absurde ? Ne fait-il pas pour croire avoir une bonne raison de la faire ? Et cette raison ne détruit-elle pas l’absurdité ? Et si, comme l'indique le contexte, cette croyance est la foi en Dieu, c'est encore plus inquiètant.

Saint Augustin (cette fois-ci c’est bien lui) prétend sortir de l’amphigouri par la nature infinie donc incompréhensible (pour la créature) de Dieu : "Si tu le comprends, ce n'est pas Dieu.".

Dont acte.
Pourtant tout cela veut dire que le religieux est le lieu du miracle, et que le miracle est l’incompréhensible. A Lourdes, c’est l’échec de la médecine à rendre compte de la guérison qui est le signe du miracle ; ce n’est pas même la piété du miraculé, car ce serait déjà un début de rationalisation. D’abord croire, ensuite prier ; et pour finir guéri ? Non : trop facile.

Mais l’essentiel n’est pas là, ou pas seulement. Si l’objet de la croyance est « absurde », c’est parce que nous ne pouvons ni donner un sens, ni établir une connaissance. Leibniz admet que le miracle existe : il correspond à cette partie de la création dont la compréhension dépasse notre entendement. Mais ce n’est pas pour autant quelque chose d’irrationnel : notre raison devrait pouvoir comprendre si sa puissance était celle de Dieu. Ainsi le miracle ne doit pas nous conduire à abandonner nos vérités ; entre l’ordre naturel et le miraculeux, il ne doit pas y avoir contradiction, mais seulement différence. Votre maladie est guérie sans qu’on sache pourquoi, néanmoins on sait que, scientifiquement, vous l’êtes.

C’est déjà ça.

Saturday, February 18, 2006

Citation du 19 février 2006

"Plutôt souffrir que mourir,
C'est la devise des hommes."

La Fontaine - La Mort et le Bûcheron

On connaît l’histoire : le pauvre bûcheron accablé de fatigue et de malheur appelle la mort ; elle arrive, prête à le faucher. Oui, mais voilà ; il ne désire plus du tout mourir. Car c’est la loi de la vie, qu’on l’appelle instinct de conservation, ou loi de la nature, ou devise des hommes. On n’a pas demandé à vivre, mais on demande à rester en vie, quoiqu’il en coûte.

Un événement récent nous raconte la même fable : dix condamnés à perpétuité de Clairvaux, par pétition, demandent le rétablissement de la peine de mort pour échapper à une vie qu’ils jugent dégradante. Que répond Pascal Clément, ministre de la justice ? « Qu’on les prenne au mot et on verra combien se présenteront pour être exécuté. » Plutôt souffrir que mourir

L’intérêt de ces histoires est de nous faire toucher du doigt notre attachement pour la vie ; on dit « tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir » ; soit. Mais l’espoir de quoi ? De vivre misérablement, ployé sous la ramée comme le bûcheron, enfermé dans une cellule de trois mètres sur trois, comme à Clairvaux ? Ou tout simplement de vivre, c’est-à-dire de respirer, de sentir le sang battre dans ses veines, de mouvoir ses muscles et ses membres. Moins on a de plaisir extérieur, plus ces sensations deviennent nos raisons de vivre.

Bien sûr cela ne supprime pas la demande d’euthanasie ; mais ça situe son niveau de pertinence très haut dans l’échelle du désespoir.

Friday, February 17, 2006

Citation du 18 février 2006

« Le sexe masculin est ce qu'il y a de plus léger au monde, une simple pensée le soulève. »

San-Antonio

Le défi du jour : dire quelque chose de convenable et d’utile sur cette citation.

Convenable : car San Antonio est très convenable. Chacun peut imaginer comment d’autres que lui se seraient emparés de cette idée ; ici tout est clean. Le « sexe masculin », c’est la pensée qui le soulève ; par exemple, savons nous à quoi pensait Descartes quand il disait : « Je pense, donc je suis. » ? Eh bien il pouvait fort bien penser à cette jeune fille louche (= strabisme) dont il avoue avoir été fort épris dans sa jeunesse ; « Je suis, j’existe, aussi longtemps que je pense à la fille qui louche.. » (Seconde Méditation). C’est philosophiquement irréprochable, et en plus ça fait naître en nous de belles et de nobles pensées, dignes de soulever … notre enthousiasme (ouf !).

Utile aussi, car nous découvrons que le moteur de la sexualité est l’imagination, et non je ne sais quels vices tous plus répugnants les uns que les autres. Messieurs les censeurs, révisez vos interdits. Vous pouvez fermer les maisons closes, on s’en fiche ; vous pouvez embastiller les prostitué(e)s, vider les clubs privés, rien à faire : vous ne pouvez rien contre la liberté de penser (on l’a déjà dit ? Ah bon.)

A côté de la foi qui soulève les montagnes, il y a la pensée qui soulève les zizis.

C’est pas convenable, ça ? Désolé.

Thursday, February 16, 2006

Citation du 17 février 2006

« Tolérance - Pardonnons-nous réciproquement nos sottises»

Voltaire - Dictionnaire philosophique (article Tolérance)

Le spécialiste de la tolérance qu’est Voltaire (pour ne pas l’appeler comme certains « le fanatique » de la tolérance !) nous le dit : tolérer n’est pas accepter, ni partager les opinions d’autrui ; c’est ne pas les combattre, ne pas châtier ceux qui les ont proférées.

La question : qu’est-ce qui justifie la tolérance ? Pour Voltaire ce n’est pas un grand principe, du genre respect de l’autre, respect de ses droits imprescriptibles, encore moins l’amour du prochain. Non. La tolérance est simplement le réalisme : elle s’applique seulement aux erreurs et aux sottises (car pour la vérité il doit y avoir adhésion). Si nous ne tolérons pas les erreurs des autres, alors non seulement nous ne supporterons personne, mais nous devrons nous condamner nous-mêmes. L’intolérance est ruineuse.

Autre question : qu’est-ce qu’une sottise ? Voltaire toujours nous en donne l’exemple : s’agissant de différence de religion, la véritable sottise est de vouloir convertir les autres car cela ne se fera que par la force et les massacres. Il faut donc passer du « égorgez-vous les uns les autres » à « acceptez vos différences ». On n’en est donc pas à dire qu’il n’y a qu’un seul Dieu que les uns nomment Jéhovah, les autres Yaveh, d’autres encore Allah, que toutes les religions ont le même message, ni qu’on est tous des frères. Ce syncrétisme est lui-même une violence contre les dogmes : il est donc – potentiellement - lui-même intolérant.

Restons modestes ; sinon on finira par dire comme Claudel : « La tolérance, il y a des maisons pour ça ! »

Wednesday, February 15, 2006

Citation du 16 février 2006

« Time is money » (« Le temps, c’est de l’argent »)

Benjamin Franklin

La comparaison du temps avec l’argent est bien connue et elle est apparue comme l’expression d’un « fétichisme de la monnaie » puisque c’est Lui qui permet non seulement de mesurer la valeur du travail, mais encore de définir la Nature entière comme marchandise; non seulement d’échanger les produits de son travail avec autrui, mais encore de justifier une éthique de vie (vivre pour produire, produire pour s’enrichir, s'enrichir pour être estimé).

Pour Benjamin Franklin l’équivalence temps/argent est réalisée par une activité particulière (produire, commercer) : ici, le temps c’est seulement de la durée avec ce qu’on peut y faire ; et comme ce qu’on peut y faire peut se payer, alors je peux aussi me payer "du temps" (du « bon temps » même), par exemple en achetant le « temps de travail » d’autrui.

La problématique mercantile de Benjamin Franklin est entendue encore aujourd’hui : on gère le temps comme on gère ses capitaux, on a un compte « capital temps » pour les vacances, on évite de le gaspiller. Comme on a tout de même des doutes, on rajoute des préoccupations morales : comment dépenser son temps avec sagesse ? Que faut-il faire pour vivre sa vie sans perdre son temps ? Que faire de son « temps libre » ?

Demandez au philosophe ce qu’il en pense ; il vous répondra que c’est là l’aliénation de la « créature sans Dieu » (Pascal) qui, pour oublier qu’elle est mortelle, fait comme si elle maîtrisait le temps, comme si elle pouvait rajouter à volonté du temps au temps, un petit bout de durée ici, une RTT là ; comme si le temps n’était pas un écoulement irréversible, comme si cet écoulement pouvait être maîtrisé. Or, on ne remonte pas le cours du temps, on ne peut vivre deux fois. Que le temps soit précieux voilà ce qu’il faut rappeler ; en revanche qu’on puisse l’économiser ou l’épargner comme on épargne son argent, voilà ce qui est absurde.

Que disaient les Grecs ? On dure, on vit, on meurt : la vie se déroule comme le fil de la bobine, et la Parque est là, qui le tranche quand bon lui semble. Point final.

Tuesday, February 14, 2006

Citation du 15 février 2006

Summum jus, summa injuria. (Justice extrême est extrême injustice)

Térence

Selon cette maxime juridique, on peut commettre des iniquités par une application trop rigoureuse de la loi. Faut-il y voir un pressentiment de l’affaire d’Outreau ? Voyons un peu. Un juge d’instruction et un procureur, en restant dans le cadre de la loi qu’ils servent avec zèle (summum jus), mettent en prison en toute légalité des innocents et ravagent leur vie avant même qu’ils soient jugés (summa injuria). Ça colle semble-t-il.

La justice nous dit Térence est comme un serpent qui se mord la queue : si la tête c’est la justice, la queue c’est l’injustice, et l’un n’est jamais loin de l’autre.En effet. Néanmoins le sens de cette maxime doit être complètement repensé pour coïncider avec la situation d’Outreau.

Application : dans l’affaire d’Outreau on a accusé tout le monde, juge, procureur, média ; tout le monde sauf nous. Nous, le brave peuple, qui crie à l’extrême injustice, quand la justice n’est pas extrême. Car il nous faut du crime, même s’il n’y en a pas (ou : pas autant qu’il faudrait) : en effet sans crime, pas de coupable, et sans coupable, pas de châtiment ; or, la justice, pour nous les braves gens, c’est le châtiment.

Ce n’est donc pas l’application stricte de la loi qui forme le terreau de cette affaire ; c’est le désir de vengeance ; il y a des pédophiles, on le sait, mais où sont-ils ? On nous en signale toute une bande, bien organisés et bien répugnants. Qu’on les pende ! On est plus du côté du lynchage que de celui de la justice.

Et si les pédophiles manquent à l’appel, on se fera le juge.

Monday, February 13, 2006

Citation du 14 février 2006

« Demandez à un crapaud ce qu'il pense de la beauté ... . Il vous répondra que c'est sa femelle avec deux gros yeux ronds sortant de sa petite tête, une gueule large et plate, un ventre jaune, un dos brun. »

Voltaire Dictionnaire philosophique

Bonjour les amoureux ! En ce jour de Saint-Valentin, La citation du jour vous offre cette pensée de Voltaire, belle et réconfortante. Si vous manquez de confiance en votre beauté ou si vous doutez de celle de votre compagne, méditez-là, et lisez ce qui suit.

Vous les Valentines, qui ressemblez plus à une caricature de Bretecher qu’à une Vénus de Botticelli, soyez rassurée. Vous serez la plus belle tout de même pour votre amoureux. Bon, il sera peut-être ado boutonneux, ou intello-mélancolico-frustré, mais qu’importe : ses yeux vous diront « c’est Toi la plus belle ».

Toi, mon ami Valentin, sois réconforté ; tes copains ricanent, ils osent dire que ta copine est un cageot, qu’elle a les seins sur le ventre et le ventre sur les genoux, qu'avec un nez pareil, pour l’embrasser sur les deux joues tu as plus vite fait de passer par derrière… Laisse-les dire. Ou plutôt réponds leur : «Vous n’êtes que des jaloux et des ignorants. Regardez plutôt votre crapaude avant de parler. Et écoutez le proverbe ; il dit que la beauté est dans le regard porté, pas dans l'objet » .

Là, tu vas les tuer.

Sunday, February 12, 2006

Citation du 13 février 2006

"La dépression, c'est le novembre de l'âme, le décembre du désir."

Philippe Labro

Une bonne citation, c’est (toute proportion gardée) comme un poème : on sent qu’elle dit quelque chose avant de savoir quoi.

Que l’âme fragilisée par la dépression décline peu à peu comme les jours en novembre, c’est relativement évident, à la limite du prosaïque. Par contre, qu’elle soit « le décembre du désir » ça semble paradoxal, pour exprimer cette sensation qu’on suppose être celle de l’impuissance. Le merveilleux de la nuit de noël, l’excitation des cadeaux, du réveillon avec la famille, les amis, n’est-ce pas le summum de la fête, l’exact contraire de la dépression. Le « décembre du désir », après le « novembre de l’âme » : ne s’agirait-il donc que de forcer le parallèle avec les mois du calendrier ?

Peut-être. Mais qui n’a pas ressenti comme une tristesse à l’approche des fêtes de fin d’année : il n’y a pas de fête sans lendemain de fête, et son paroxysme s’accompagne aussi du sentiment, confus mais déterminant, qu’un cran de plus est impossible, qu’il ne sera rien d’autre que cet effondrement des forces exténuées par la débauche des plaisirs. Si la dépression c’est le sentiment de l’impuissance, alors cette image en donne une idée sans doute ressemblante.

Ça ne vous suffit pas ? Alors, disons que la dépression, c’est comme la petite mort. Les messieurs apprécieront.

Saturday, February 11, 2006

Citation du 12 février 2006

« Tout est bien, tout va bien, tout va le mieux qu’il soit possible »

Voltaire – Candide

Le 1° novembre 1755, un tremblement de terre, suivi d'un raz-de-marée et d'un incendie, ravagea Lisbonne. On compta 30.000 victimes. Voltaire saisit l’occasion de critiquer l’optimisme philosophique de Leibniz – cette citation en témoigne.

Leibniz prétendait que Dieu avait créé le meilleur des mondes possibles de sorte que le mal n’y est que la condition d’un plus grand bien. La catastrophe de Lisbonne ne prouvait-elle pas l’inanité d’une telle théorie ? Quel bien pouvait compenser ce mal (voire même : être sa conséquence) ? Ou bien s’agissait-il d’un défaut de vigilance de la Providence ? Voltaire nous propose d’admettre la réalité du mal : si la souffrance ne peut être combattue, qu’au moins le malheur en soit reconnu. Rousseau, défendit la Providence en disant que mourir un peu plus tôt ou un peu plus tard n’avait pas de réelle importance. Voltaire répondra : Candide sera cette réponse.

Disputes de philosophes.

Les victimes de Lisbonne ont dû faire comme celles du tsunami : se retrousser les manches et reconstruire leur maison. Demander des comptes à Dieu ou aux philosophes, ce sera pour plus tard ; quand ils seront au sec.

Friday, February 10, 2006

Citation du 11 février 2006

« L’important n’est pas de vaincre mais de participer. »
Baron Pierre de Coubertin
On est tellement éloigné de l’esprit de l’olympisme qu’on se demande quel pouvait être le sens de cette devise : comment des compétiteurs tels que des sportifs engagés dans les épreuves olympiques pouvaient-ils penser une pareille chose ? Qui donc pourrait participer à une compétition simplement pour être là, sans avoir pour unique objectif de gagner ?
Il est vrai que le sport à l’époque de Coubertin c’était un affaire d’Homme. Pas de polémique ! Je veux dire : il s’agissait de célébrer l’humanité dans la communauté des épreuves physiques aux quelles on soumettait les corps (comme ailleurs on pouvait le faire pour les âmes) ; on disait : « Par delà nos différences, ce qui nous unit ici est plus fort que ce qui nous oppose ailleurs».
Hitler a montré ce qu’il en pensait, et les nationalismes de tout poils, qui se réveillent tous les quatre ans dans les stades olympiques.
L’idéal de paix et de fraternité enseigné par les grecs serait donc caduc ? Peut-être pas tout à fait. Peut-être s’est-il modifié et déplacé ; le football soude des communautés comme le montre la Côte-d’Ivoire qui réunit le nord et le sud dans le même élan de soutien aux Eléphants. C’est déjà ça, même si, comme on l’a déjà dit ici, la solidarité n’existe qu’au prix de la détestation de ceux qui sont en dehors de la communauté.

Thursday, February 09, 2006

Citation du 10 février 2006

"Rien n'égale en longueur les boiteuses journées,
Quand sous les lourds flocons des neigeuses années
L'ennui, fruit de la morne incuriosité,
Prend les proportions de l'immortalité"

Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal, LXXVI

Descartes disait que les poètes faisaient jaillir la vérité comme le feu du caillou. Quand on pense aux volumes de métaphysique de l’ennui (sous divers titres) qui ne disent rien de plus que ce quatrain, on trouve qu’il a visé juste.

Car chacun sait que la durée s’étire, interminable, lorsque l’ennui s’appesantit sur nous. L’enfant qui, las de ses jeux, mugit lugubrement « J’m’ennuie !!! », les adultes qui, pour lui échapper, s’abrutissent de séries télé ou de mots cachés, et - qui sait - la joie secrète du vacancier qui reprend son travail : tous attestent que l’ennui c’est l’inaction plus la viscosité du temps.

Dira-t-on que l’ennui va aussi très bien avec le travail, que c’est même sa caractéristique principale, que faire et refaire inlassablement une tâche insipide est même une image de l’enfer ? Bien sûr, et cela nous fait comprendre que l’ennui c’est l’absence d’invention, et que la routine ou le désintérêt ( « l’incuriosité » dit Baudelaire) pour ce qu’on fait produit la même chose que l’inaction. C’est ce qu’explique Bergson en reliant l’action, la création, avec la conscience et la durée. La contraction de la durée est la conséquence de la concentration d’esprit nécessaire à la résolution des problèmes soulevés par l’activité ; l’ennui c’est la détente de cette concentration et la dilution de la durée qui s’éparpille en fragments innombrables comme la banquise au printemps.

Pour vivre longtemps : ennuyez-vous souvent.

Wednesday, February 08, 2006

Citation du 9 février 2006

« On souhaite la paresse d’un méchant et le silence d’un sot. »

Chamfort – Maximes et pensées

Le paresseux est celui qui ne nuit jamais à personne, puisqu’il ne fait rien : qu’il soit mauvais ou qu’il soit bon, son inaction le rend inoffensif, car seule son action peut matérialiser sa sottise et ses fautes.

Est-ce si sûr ? dans ce cas ne rien faire serait la meilleure attitude, et l’activiste serait en perpétuel danger. Cette idée transparaît dans l’attitude de nos politiques : ne rien dire (ou le plus tard possible), ne rien faire (en étant par exemple dans l’opposition), attendre le faux pas de celui qui gouverne semble la meilleure stratégie pour (re)conquérir le pouvoir. Certains hommes politiques se sont même fait une réputation d’insubmersibilité pour avoir su traverser les désert sans faire de vagues ( !).

Comment se fait-il que Machiavel n’ait pas pointé le silence et l’inaction comme moyens de conquête du pouvoir ? Certes le Prince sait qu’il vaut mieux parfois attendre l’erreur de l’ennemi ; mais il garde en réserve sa formidable capacité à dominer les événements, c’est là qu’il montre sa virtu, force exclusivement au service de ses intérêts. Et c'est là qu'est sa vraie nature.

Décidément, du temps de Machiavel, le Prince ne pouvait être ni un paresseux ni un sot.

Tuesday, February 07, 2006

Citation du 8 février 2006

"Car une hirondelle ne fait pas le printemps, ni non plus un seul jour : et ainsi la félicité et le bonheur ne sont pas davantage l’œuvre d’une seule journée, ni d’un bref espace de temps"

ARISTOTE – Ethique à Nicomaque

Ceux qui croient qu’Aristote nous donne un conseil météo en seront pour leur frais : c’est bel et bien une leçon de morale que nous recevons. Si l’hirondelle est renvoyée dans son nid c’est pour nous revenir en bande innombrables symbolisant les jours également innombrables où nous aurons vécu vertueusement, accédant ainsi au bonheur.

Curieuse citation : quelle différence entre le bonheur vécu dans l’instant et le bonheur d’une vie entière, du moins au moment où je le vis ? Et si je crois au printemps au moment où passe l’hirondelle, cela ne suffit-il pas à faire mon bonheur ?

Mais c’est qu’Aristote ne croit vraiment pas qu’un sentiment - soit-il de félicité - fasse le bonheur. C’est la vertu que fait le bonheur, et la vertu, ce n’est pas une simple disposition morale. C’est le développement de notre être, tout au long d’une longue vie, qui permet à la vertu de se déployer et de réaliser le bonheur.

Autrement dit, pas question pour le méchant d’être heureux : lui il stagne dans son abjection ; et pas question pour le repenti de la vingt-cinquième heure d’y prétendre. C’est que le bonheur intègre ce que Kant appellera « l’estime raisonnable de soi » : sentiment de fierté, certes ; mais sentiment justifiable, car raisonnable. Le bonheur, il faut le mériter, et ça ne se fait pas comme ça.

Combien de temps faut-il vivre pour mériter d’être heureux ?

Citation du 7 février 2006

« Ils n'en mouraient pas tous,

Mais tous étaient frappés... »

La Fontaine - Les Animaux malades de la Peste

On sait que la peste désignait au XVIIème siècle n’importe quelle maladie bien contagieuse et bien mortelle. D’où un certain paradoxe de voir les animaux de la fable survivre à leur maladie. Etonnant mais rien de plus. En fait ils ne survivent que le temps de chercher le quel d’entre eux est coupable de ce fléau (voir citation du 6-2).

S’il fallait réécrire cette fable aujourd’hui on parlerait plutôt de « porteur sain », c’est-à-dire quelqu’un, qui est atteint d’une maladie contagieuse (peste), qui le sait ou qui ne le sait pas et qui peut la diffuser sans qu’on soit conscient du danger qu’il représente. Dans l’imaginaire contemporain, la peste moderne c’est le Sida

La Fontaine imagine la peste comme fléau envoyé par Dieu pour punir les hommes de leur forfait. Les chrétiens intégristes ont commencé par dire que le Sida était destiné à châtier les homosexuels et les drogués. Mais s’ils peuvent contaminer, ils peuvent infecter n’importe quel bon chrétien. D’où, deuxième idée, dépister les « sidaïques » pour les enfermer dans des « sidatoriums », afin qu’ils ne nuisent plus (ou leur faire porter une insigne mais le rappel des étoiles jaunes était déplaisant). Ça c’est la version plus « politique ».

On dira que cela, c’était dans les années 80, que maintenant on a une vision moins manichéenne de la maladie, qu’elle est devenue justement une maladie et pas un fléau de Dieu.

Que dit le Pape ? Que celui qui écoute les prescriptions de l’Eglise ne craint rien du Sida, que la morale protège des rapports à risque bien mieux que les préservatifs. Ainsi soit-il.

Sunday, February 05, 2006

Citation du 6 février 2006

« Selon que vous serez puissant ou misérable,

Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir. »

La Fontaine - Les Animaux malades de la Peste

Les animaux sont malades de la pestes ; ils ne survivent que le temps de chercher le quel d’entre eux est coupable de ce fléau envoyé par Dieu. On connaît la suite ; le puissant lion mangeur de moutons et de bergers est absous ; mais l’âne qui n’a rien fait d’autre que de prendre un peu d’herbe dans le pré des moines, est jugé coupable : on cria haro sur le baudet. Morale : la justice de classe, ça existe (traduction libre).

Je constate qu’on n’apprend plus guère La Fontaine aux enfants. On lui reproche un langage archaïque et inaccessible, complètement dépassé, les enfants n’en tireraient plus rien. Même Rousseau le juge immoral : dans Emile il fustige la fable Le Corbeau et le Renard qui apprendrait à utiliser la flatterie pour voler les naïfs.

Peut-être. Mais je sais que la morale citée ici, elle n'est pas si loin de nous. Et même, il n’est pas besoin de la fable pour la découvrir. Tous les jeunes que je connais, à commencer par ceux qui sont issus des milieux défavorisés, sont persuadés que les arrêts de la justice dépendent de la situation des justiciables. Suspects pour êtes issus des « quartiers », mal défendus par des avocats commis d’office, parfois condamnés sévèrement pour l’exemple, ces jeunes n’ont donc pas besoin des fables pour dire que la justice, c’est bon pour les riches.

C’est vrai ; mais c’est plus beau quand c’est La Fontaine qui le dit.

Citation du 5 février 2006

« Si nous étions en dictature, les choses seraient plus simples – du moment que ce serait moi le dictateur. »
Georges W. Bush
C’est un grave question de philosophie politique : Quel est le meilleur des régimes politiques ? On sait que Winston Churchill répondait « La démocratie est un mauvais système, mais elle est le moins mauvais de tous les systèmes. »
Bush dit peut-être la même chose, à savoir que le régime démocratique est mauvais parce qu’il est ingouvernable. Le dictateur a cette supériorité sur le chef démocrate d’incarner le pouvoir à lui tout seul, et donc de n’avoir à se mettre d’accord qu’avec lui-même. Il lui suffit de savoir ce qu’il veut, et d’y aller.
Si la démocratie est tout de même le « moins mauvais des systèmes », c’est qu’il évite l’impunité de celui qui décide tout seul, et que le Président a des comptes à rendre, qu’il sera chassé s’il se trompe. Le peuple peut en effet légitimer tout ce que fait son président élu, de sorte qu’il fera la même chose qu’aurait faite un dictateur. Seulement en cas d’échec, c’est lui qui sera sanctionné, et il sera alors possible de changer de politique.
Ainsi, pour qui veut gouverner sans peine, mieux vaudrait être dictateur que président d’une démocratie : les erreurs de parcours n'y sont pas nécessairement sanctionnées. Mais, pour le citoyen, mieux vaut être dans une démocratie que sujet soumis au pouvoir d'un dictateur. Car on peut éliminer les Présidents (trop) incompétents

Citation du 4 février 2006

"Je mets en fait que si tous les hommes savaient ce qu’ils disent les uns des autres, il n’y aurait pas quatre amis dans le monde."

Pascal - Pensées, Fragment 655 (Édition de Michel Le Guern)

Selon Pascal, nous ne supporterions jamais ce que le plus cher de nos amis dit de nous en notre absence. Pourquoi ?

Première hypothèse : parce que ce très cher ami, celui qui nous connaît le mieux, va profiter de son intimité avec nous pour la dévoiler avec indiscrétion. Plus encore : pour médire et nous diffamer.

Cette terrible Pensée ajoute qu’on ne peut espérer compter sur plus de « quatre amis dans le monde ». Bref : vous allez regarder vos amis autrement après ça.

Deuxième hypothèse : peut-être faut-il se dire aussi que nos amis ne sont sincères que si nous ne sommes pas là ; s’ils sont nos amis ils veulent sans doute nous épargner cette bonne vielle blessure narcissique, qui risque justement de nous fâcher avec eux. Si nous écoutions notre ego chéri, nous n’aurions plus d’amis parce qu’ils seraient un révélateur de ce que nous voudrions garder secret. Mais le miroir qu’ils nous tendent n’est autre que celui de la réalité, et nous refusons de l’affronter par lâcheté. Là c’est vous-mêmes qui allez vous regarder autrement.

Essayez donc maintenant d’être l’ami de vous même : impossible. C’est d’ailleurs le but de Pascal : Le moi est haïssable !

Thursday, February 02, 2006

Citation du 3 février 2006

« Monsieur l’Abbé, je déteste ce que vous écrivez, mais je donnerais ma vie pour que vous puissiez continuer à écrire. »

Voltaire Lettre du 6 février 1770 à M. Le Riche

Une fois n’est pas coutume : la citation du jour offre à ses lecteurs la citation qui court partout en ce moment.

Tout y est : l’anticlérical Voltaire qui se bat pour la liberté d’expression de l’abbé, à mettre en parallèle avec la liberté de publier aujourd’hui dans la presse (= liberté de la presse) des images sacrilèges. Que des Danois soient menacés pour cela et que le chevalier blanc français se remette en selle comme aux beaux jours de la révolution pour libérer les peuples gémissants sous le joug de l’intolérance, voilà qui est beau. Que ce chevalier blanc soit France-Soir est un point de détail dans l’Histoire.

Liberté : "Etat de celui qui fait ce qu’il veut et non ce que veut un autre que lui" dit mon dictionnaire.
Mais que veut celui qui dans la presse française publie les caricatures honnies par les musulmans ? Quel est le message pour le quel, comme Voltaire, il serait près à « donner sa vie » ? (1) On y voit Mahomet en terroriste genre Kamikaze, avec une bombe dans le turban : ce n’est pas du tout le message de la presse française. Celui-ci est « je publie pour montrer qu’on peut publier ». En bref, ce qu’on revendique et ce qu’on dit ce sont deux choses différentes : le message est - pour le moins - brouillé.

Alors ou bien on publie une manchette en gros caractère pour revendiquer la liberté de la presse, ou bien on publie un bon vieux blasphème, bien de chez nous : que chacun imagine le sien.

(1) Bon là j’exagère un peu, c’est vrai.

Citation du 2 février 2006

- Oublier, oublier, comment puis-je oublier ?

- L’oubli, mon ami, c’est ce que tu trouveras quand tu ne le chercheras plus.

Anonyme

Oui, comment oublier ? C’est ce que se demande l’amoureux éconduit, l’homme victime d’un deuil cruel, tous ceux à qui la vie réserve un coup de Trafalgar.

Cherche-t-on l’oubli comme on cherche sa paire de lunette égarée au fond du tiroir ? Pourtant l’oubli ce n’est pas quelque chose comme un objet ; l’oubli, ce n’est que l’absence du souvenir : comme tel il n’existe pas. Oublier donc c’est ne plus se rappeler : comment pourrait-on le trouver ?

Il est très simple d’oublier : il suffit d’effacer le souvenir : on ne trouve pas l’oubli, mais on perd le souvenir ; ce serait donc aussi simple que de vider la mémoire d’un disque dur ? Ça se saurait, et justement personne ne gémirait en l’espérant. Donc répondra le bon sens, on ne trouve l’oubli que si on cherche quelque chose d’autre. Quelque chose comme un gros pavé attaché au souvenir et qui permet de le couler à pic : l'oubli c’est une force d’inertie.
Nietzsche dira que l’oubli c’est au contraire une force active qui habite la conscience ou plutôt qui hante l’esprit, car la conscience n’est justement que la somme des souvenirs. Pour oublier il faut être de la race de ceux qui n’impriment pas de souvenirs, parce qu’ils n’en ont que faire. Se souvenir, c’est tenir la comptabilité de nos joies et de nos peines pour les thésauriser ou pour les faire payer. Oublier c’est être dans l’action qui se projette dans l’avenir sans se soucier des traces qu’elle laisse dans son sillage, de tout ce qui justement peut devenir souvenir. Ne dit-on pas à celui qui s’excuse de nous avoir offensé : « Ne vous excusez pas je n’avais même pas remarqué… »

C’est donc en « oubliant » de se souvenir qu’on peut oublier…

Wednesday, February 01, 2006

Citation du 1er février 2006

Le négateur du hasard – Nul vainqueur ne croit au hasard.

Nietzsche – Le gai savoir (Aphorisme 258)

A quoi Nietzsche pense-t-il quand il parle de hasard et de vainqueur ? Quel exemple de volonté de puissance se mijote derrière cet aphorisme ?

Qu’on se rassure : je ne vais pas élever le débat ; parlons plutôt de la Française des Jeux.

Car c’est elle la grande spécialiste des aphorismes: « Cent pour cent de ceux qui ont gagné ont joué ». Elle est très forte la Française, parce qu’elle sait que personne ne dira « …et cent pour cent de ceux qui ont perdu ont joué aussi. » Et comme le sait-elle ? Elle le sait parce qu’elle sait que « nul vainqueur ne croit au hasard », chacun en gagnant est persuadé qu’il a été désigné pour gagner, que le destin, l’ange gardien, le gri-gri ont fait qu’en jouant ce jour-là, dans ce bureau de tabac-là, il ne pouvait pas perdre.

Nietzsche suppose probablement que le vaincu, lui, croit au hasard. Mais le joueur du Tac-o-Tac sait que le hasard n’existe pas ; s’il perd, c’est qu’il ne devait pas gagner. Mais alors direz-vous, pourquoi diable a-t-il joué ? Parce qu’il ne sait pas quand ce doit être le bon jour, parce qu’il a des doutes : quand donc sera-ce mon tour ? Si je perd c’est que je me suis trompé, je n’ai pas fait ce qu’il fallait, ou bien je n’ai pas été avec qui il faut, jouer là où il faut.

Jouer c’est vérifier qu’on a la chance avec soi ou qu’on ne l’a pas.

On est loin du surhomme.