Wednesday, May 31, 2006

Citation du 1er juin 2006

Il n'existe que trois êtres respectables: le prêtre, le guerrier, le poète. Savoir, tuer et créer.

Charles Baudelaire

Comparons cette énumération avec les trois ordres reconnus par Georges Dumézil comme étant propres à la civilisation indo-européenne : le prêtre, le chevalier et le paysan. Baudelaire ignore ce dernier, qui est un nourrisseur, et ajoute le poète qui est le créateur. Le prêtre est ici plutôt un clerc, car sa fonction n’est pas l’oraison mais le savoir ; quant au guerrier il est un tueur plutôt qu’un brave animé par l’idéal de la chevalerie.

Ces décalages montrent dans quel univers se meut la pensée de Baudelaire : celui des paroxysmes, où l’effroi de la mort accompagne les spasmes de la création ; quant au savoir il ne peut sans doute plus être la médiation entre l’homme et le monde. C’est cela qui frappe : ce qui importe ici, ce n’est pas l’énumération, ni la juxtaposition, mais l’intrication de ces éléments constitutifs d’un monde en totale mutation, puisque la naissance et la mort suffiraient presque à la définir. A opposer donc à la stabilité des ordres indo-européens.

Mais dans ce monde, « il n’existe que trois être respectables », ce qui inclut le tueur et qui exclut le monarque tout puissant. Voilà qui ajoute la touche romantique à la sèche énumération qu’on vient d’évoquer : en effet, plus de gouverneur, plus de rois, mais seulement des forces qui font surgir et disparaître comme autant de décors de théâtre les civilisations, les peuples, les sociétés. « Je suis une force qui va » dit Hernani, et on devine que pour Victor Hugo comme pour Baudelaire le bouleversement l’emporte sur l’ordre établi, que les destructions sont plus perceptibles que le surgissement de structures nouvelles.

Alors, à ce compte, que vient faire le savoir ici ? A quoi bon une science de l’ancien dans un monde nouveau ? Mais n’oublions pas qu’il s’agit du prêtre, le savoir est celui de la volonté divine, qui nous échappe et qui nous ridiculise au moment où nous croyons être les plus forts. Et cette volonté s’appelle destin.

Et ça change tout

Tuesday, May 30, 2006

Citation du 31 mai 2006

Une femme sans homme c’est comme un poisson sans vélo. (1)

Slogan féministe (tendance MLF) début des années 70

Cet habile slogan (habile par ce qu’hermétique juste ce qu’il faut pour frapper l’imagination) est empreint du parfum lutte des classes et de guerre des sexes. Il est signé MLF et je me rappelle l’avoir à l’époque épinglé comme exemple de l’aveuglement de ce mouvement.

Si je me laisse aller à quelques confidences (et après tout on est sur un Blog, c’est fait pour ça), je dirai que j’ai été dès les années 60 un homme féministe (pas le seul, mais un des rares) et à ce titre j’ai été outré par de tels slogans. La mouvance MLF était alors en pleine agitation de type « apartheid voulu par la minorité opprimée ».

On partait de l’idée que, de même que le prolétaire n’a rien à attendre de l’exploiteur bourgeois, la femme ne peut rien attendre de l’homme. « L’émancipation de la femme sera l’œuvre des femmes », paraphrase connue ; mais elle sera l’œuvre des femmes contre les hommes, quelques qu’ils soient. Parce que l’homme ne peut être que malfaisant et dominateur, que des millénaires d’oppression ont inscrit jusque dans ses gènes ce besoin de domestiquer la femme, jusque dans la politique (les phallocrates : ça vous dit encore quelque chose ?). Ce faisant, elles reprenaient la métaphysique de l'essence, pourtant abhorrée des marxistes : l’individu n’y est plus le produit de sa fonction sociale, mais de sa fonction biologique : le sexe. Et là, rien à faire ; Marx fils d’avocat et issu d’une famille de rabbins peut se ranger aux cotés du prolétariat contre le Capital et contre la Religion. Cesser d’être un mâle : impossible.

Vous le direz que c’est là une affaire classée, que le féminisme aujourd’hui est sorti de cette « maladie infantile »… D’accord, je vous crois ; mais alors pourquoi certaines d’entre elles sont-elle sorties de leur retraite pour tonner contre la loi sur la parité ?

Quoi ??? Vous aussi ?


(1) Traduction : un homme n’est pas plus indispensable à une femme qu’un vélo ne l’est à un poisson.

Monday, May 29, 2006

Citation du 30 mai 2006

[Hegel] eut sans doute un ton de bénisseur irritant mais sur un portrait de lui âgé, j'imagine lire l'épuisement, l'horreur d'être au fond des choses - d'être Dieu. Hegel […] eut-il peur d'avoir accepté le mal - que le système justifie et rend nécessaire ? Ou peut-être liant la certitude d'avoir atteint le savoir absolu à l'achèvement de l'histoire s'est-il vu, dans un sens profond, devenir mort ?

Bataille - L'expérience intérieure

L’horreur d’être Dieu, c’est l’épouvante du mal accepté comme étant justifié par la création, par ce qu’a voulu Dieu comme la condition du meilleur (Leibniz). « Comment croire en Dieu après Auschwitz » demandait Elie Wiesel. Comment se croire Dieu après ça ?

Mais plus encore, cette citation de Bataille nous éprouve dans nos fibres les plus profondes par la certitude que pour l’homme, être Dieu est une expérience insupportable ; non pas seulement inaccessible, non pas illusoire. Mais cette horreur, c’est l’insupportable certitude d’être « au fond des choses », qu’il n’y a plus d’arrière monde, que tout est à plat, que tout est tel qu’on le voit, que rien d’absolument neuf ne viendra le régénérer.

En fait, l’impitoyable perspicacité de Bataille nous y conduit sans rémission : être Dieu, c’est pour l’homme l’expérience de la mort, ou si l’on préfère ( !), c’est l’expérience de la vieillesse. Le vieillard est celui qui est arrivé au bout du système, pour qui le monde est achevé, non pas qu’il ne change plus, mais parce que tous ses changements n’apportent que ce qui était prévu - c’est à dire le développement de ce que la génération précédente a mis en route ; ou bien la décadence voulue par les jeunes qui n’ont pas accepté les conditions du progrès. A moins que cette immuabilité soit liée au pessimisme de l’essence : l’homme ne changera pas, les faibles seront toujours la proie des forts, non pas pour leur survie, mais pour leur inextinguible appétit de jouissance.

Je crois que l’obstination des anciens à pronostiquer l’écroulement du monde après eux n’est pas seulement le sot orgueil de celui qui se croit irremplaçable. Mais c’est l’expérience de la mort, c'est à dire de la pétrification qui saisit tout ce qui existe dans le temps pour le transformer en éternité.

Sunday, May 28, 2006

Citation du 29 mai 2006

« Et leur règle n’était que cette clause :

Fais ce que voudras »

Rabelais - Gargantua - Chapitre 57

On a reconnu la devise qui régit la vie des religieux et des religieuses de l’Abbaye de Thélème, utopie libératrice que Rabelais avait imaginée en ces temps de guerre de religion, pour célébrer la liberté et le plaisir de vivre.

N’avoir pour règle que celle de son bon plaisir : nous consentirions tous à reconnaître là un idéal digne d’un monarque. Et pourtant en sommes-nous si sûr ?

L’enfant qui s’ennuie, le vacancier qui s’abrutit de soleil sur la plage, celui qui passe ses loisirs devant la télé où à faire des jeux dont ils ne voudrait pas s’il était payé pour cela… Sont-ils bien des exemples de liberté enviables ? Divertissement dirait Pascal, rien de tout cela n’existerait si nous consentions à penser à nous mêmes…

Il y a un élément de plus dans la description donnée par Rabelais : « Quant un bon moine -écrit-il - disait « Allons nous ébattre dans les champs », tous allaient s’ébattre dans les champs ». Autrement dit, qu’importe ce qu’on choisit de faire, le principal c’est de ne pas être seul à le faire. C’est la solitude qui est source d’angoisse et d’ennui. Par contre, dans la compagnie nous rencontrons non seulement nos semblables, mais encore nous trouvons la confirmation de nos choix et de nos actes. La liberté, c’est de ne pas avoir de règle ; certes. Mais c’est aussi de faire quelque chose de valable. Et pour cela, le plus sûr c’est de le faire à plusieurs.

Même si c’est une grosse bêtise.

Citation du 28 mai 2006

Pour la fête des mères, La Citation du Jour vous offre un photo de votre maman prise le jour de votre naissance. Mais oui, regardez bien ! Le petit poing levé, là, juste au centre : c’est vous ! J’espère que vous allez écraser une larme en voyant la joie qui inonde le visage de votre maman en ce jour merveilleux.

Juste une question, par curiosité : que sont devenus les 16 frères et sœurs qui vous entourent ?

Citation du 27 mai 2006

Ce n'est pas la ciguë, c'est le syllogisme qui tue Socrate.
Paul Valéry
Qui était Socrate ? De tous les grands fondateurs de civilisation, il est sans doute celui qui nous est le moins connu. Seuls les écrits de ses contemporains (Platon, bien sûr ; Xénophon, également, mais n’oublions pas Aristophane) nous le font connaître. Si l’on écarte les descriptions hagiographiques ou malveillantes, on peut penser que ce moraliste n’a rien écrit sans doute parce que le dialogue vivant, la relation d’homme à homme comptait seule pour lui.
On comprend dès lors la remarque de Valéry : le syllogisme, raisonnement logique, tire sa validité de sa forme et non de son contenu. La pensée y est réduite à des intersections entre des ensembles dont le contenu est indifférent
- « [Tous] les hommes » : ensemble A
- « [Sont] mortels » : ensemble B
- « Socrate » : élément C
- Si tous les A sont B ; si C est inclus dans A, alors il est inclus aussi dans B.
Et voilà Socrate mortel ; voilà aussi ce qui détruit la pensée de Socrate : la limiter à un raisonnement toujours valable, quelque soit l’interlocuteur et quelque soit son contenu.
Oui, mais, supposons alors qu’on considère que la vérité n’est pas universelle. On dirait : « Ce que je dis est vrai - sans quoi je ne le dirais pas - mais ce que je dis à Paul n’est pas ce que je dis à Pierre. La même vérité doit être adaptée à chacun. » N’est-ce pas là le discours du séducteur, du rhéteur, du sophiste, qui cherche à vous convaincre plutôt qu’à vous enseigner ?
Socrate prétendait faire le même travail que sa mère qui était accoucheuse : alors que la sage-femme accouche les corps, le sage accouche les âmes, en les menant à comprendre pleinement ce qu’elles contiennent comme pensée. Telle la tâche du philosophe : non pas penser à la place de l’autre, mais lui dire : « Voilà ce qu’implique ta pensée, voilà les risques que tu dois prendre pour l’assumer pleinement ».
Penser est une action ; et dans le domaine de l’action ce n’est pas la vérité qui prime, c’est le sens.

Thursday, May 25, 2006

Citation du 26 mai 2006

« …quand bien même le chef de l’Etat, [a] violé jusqu’au contrat originaire [et qu’il a] donné licence au gouvernement de procéder de manière tout à fait violente (tyrannique), il n’en demeure pas moins qu’il n’est absolument pas permis au sujet de résister en opposant la violence à la violence. »

Kant, Sur l’expression courante : il se peut que ce soit juste en théorie, mais en pratique cela ne vaut rien (1793)

La répugnance de Kant pour la révolution est bien connue. Le pire a pour lui été atteint avec la décapitation de Louis XVI (1), car le droit ne saurait s’établir par la force et la violence de la rue ne doit pas répondre à la violence de la tyrannie. Un peuple qui se soulève pour chasser le tyran qui l’opprime peut bien soulager sa misère, mais il ne peut fonder un Etat de droit, parce que son origine serait dans le sang, et il importe peu que ce soit celui d’un monstre qui déshonore l’humanité.

Nous autres qui vivons deux siècles plus tard, nous avons la possibilité de vérifier le bien fondé de cette thèse en consultant l’histoire de l’Europe. La révolution a-t-elle fait avancer l’histoire ? Les réformes là, où elles étaient possibles, n’auraient-elles pas été suffisantes ? Et là où elles ne l’étaient pas, le maintien au pouvoir du tyran n’aurait-il pas été préférable à la révolution ?

Trop de questions tuent la réponse…mais je me réserve la dernière. Certes, il ne faut pas blasphémer contre l’histoire ; un homme tel que Hitler (ou Staline) était une menace pour l’humanité entière, et le sort des Juifs dans le IIIème Reich doit nous faire comprendre que ces crimes atteignent l’humanité qui est en chacun de nous. Toutefois, il ne faut pas oublier aussi que certains dictateurs ont été soutenu par leur peuple dès lors qu’ils lui ont permis de vivre à peu près décemment, même si la liberté d’expression n’était pas sauvegardée. Voyez par exemple Trujillo à Saint-Domingue, et bien sûr Peron en Argentine : l’histoire ne nous apprend-elle pas que ces dictateurs n’ont pas été chassés du pouvoir par un soulèvement populaire, même s’ils ont gouverné avec la force.

Le pain compte plus que la liberté. Tout le reste n’est qu’idéalisme.


(1) Actualité oblige, n’oublions pas Marie-Antoinette. Sur l’injustice de sa décapitation, voir Burke.

Wednesday, May 24, 2006

Citation du 25 mai 2006

« My heaven is your hell. » Mon paradis est votre enfer »]

Lordi (Titre d'un album du Groupe hard rock - Grand prix de l’Eurovision 2006)

Un clin d’œil de l’actualité à tous ceux que le satanisme dérange ; a-t-il gagné de la respectabilité à être ainsi intronisé dans la sphère de la bien-pensante tiédeur de l’Eurovision ?

Peut-on arriver au Paradis en passant par l’Enfer ? Y a-t-il un bonheur pour les méchants ? Vaut-il mieux être bourreau que victime ?

On n’a pas attendu Lordi pour se poser ces questions, et le fait qu’elles fassent encore scandale montre que la solution n’est pas encore prête.

Hypothèses.

Première hypothèse, on n’est heureux que contre quelqu’un. Mon paradis n’est « my heaven » que parce qu’il est « your hell » ; le satanisme n’est désirable que parce qu’il choque le bourgeois.

Deuxième hypothèse, c’est la relativité des valeurs. Mon paradis est jouissance, et ma jouissance à moi est répugnante pour d’autres ; les groupes satanistes sont (souvent ?) crasseux (stade sadique-anal), alors que d’autres en sont au plaisir bien propre-sur-lui (sublimation). Chacun prend son plaisir où il le trouve, n’est-ce pas ?

Troisième hypothèse : et si comme le soutient Platon (entre autre) le bonheur (= paradis) était lié à la vertu ? Si c’était dans l’indéfini perfectionnement de soi qu’il se trouvait ? Si l’ascèse était le dernier mot de cette histoire, nous offrant ainsi l’image d’un paradis commençant sur terre et montrant à l’homme la voie de l’humain et non celle du bestial ?

Pour moi, si le paradis existe, je demande à savoir avec qui je vais m’y retrouver. Si c’est avec des bidasses avinés ou des Lordi, alors merci bien ! Mais si c’est avec Socrate et Thomas d’Aquin (excusez le raccourci), alors là pourquoi pas ?

- L’enfer, ou le Paradis ? Choisis ton camp, camarade !

Tuesday, May 23, 2006

Citation du 24 mai 2006

« On peut obtenir d’une jeune fille qu’elle n’ait qu’une seule mission pour sa liberté, celle de s’abandonner, qu’elle reconnaisse dans cet abandon son suprême bonheur, et qu’elle l’obtienne presque à force d’insistances, tout en restant libre… »

Kierkegaard - Le journal du séducteur

Le Maître Kierkegaard vous parle ; en langage d'aujourd'hui, il dirait ceci : « N’écoutez pas la publicité : la séduction, ce n’est pas une affaire de fesses, même bien galbées. La séduction est toujours métaphysique.»

Leçon de séduction N°1 : ne jamais être reconnu comme séducteur. Etre séduisant passe encore ; séducteur, jamais. Un véritable séducteur est toujours incognito.

Leçon de séduction N°2 : obtenir que la femme (ou l’homme) à séduire ait l’impression de séduire son séducteur ; qu’elle surmonte tous les obstacles, qu’elle prenne tous les risques pour s’abandonner à sa volonté, en croyant n’obéir qu’à la sienne, que sa soumission soit l’expression de sa liberté, l’objet de sa quête du bonheur. Bref, que de gibier elle devienne chasseur.

Leçon de séduction N°3 : dès que vous avez réussi à posséder votre conquête, abandonnez-là immédiatement, car vous n’aurez pas d’autre jouissance que cette possession. Voyez Don Juan : s’il accumule les aventures féminines ce n’est pas comme on le croit parfois parce qu’il cherche désespérément la femme dans les femmes ; et ce n’est pas non plus parce qu’une femme qui s’est abandonnée n’a plus rien à donner, comme si la découverte de son corps était la seule jouissance véritable à en espérer.

Non, la jouissance, c’est « qu’elle reconnaisse dans cet abandon son suprême bonheur, et qu’elle l’obtienne presque à force d’insistances, tout en restant libre ».

Et on ne peut s’abandonner qu’une fois (1).


(1) Pour la discussion de cette affirmation voir le post du 25 février (2ème commentaire)

Monday, May 22, 2006

Citation du 23 mai 2006

« Ils disent que les éclipses présagent malheur, parce que les malheurs sont ordinaires, de sorte qu'il arrive si souvent du mal, qu'ils devinent souvent ; au lieu que s'ils disaient qu'elles présagent bonheur, ils mentiraient souvent. Ils ne donnent le bonheur qu'à des rencontres du ciel rares ; ainsi ils manquent peu souvent à devenir. »

Blaise PASCAL Les Pensées

Voici donc la technique des charlatans. Je ne voudrais pas faire des rapprochement désobligeants, mais elle peut donner à réfléchir à propos des promesses électorales (dont nous aurons bientôt une nouvelle mouture) : Pascal nous aide-t-il à y voir plus clair dans l’étonnante crédulité des électeurs ? Je ne le pense pas.

Croyons-nous les promesses électorales parce qu’on est très habile à nous les présenter de façon crédibles, ou bien s’efforce-t-on de nous les rendre tellement désirables que nous sommes du coup persuadés qu’elles seront nécessairement réalisées ?

La seconde hypothèse me paraît être la bonne, et toute cette mécanique n’est autre que celle du désir. Octave Mannoni (psychanalyste - entre autre -), raconte qu’un de ses patient, lorsqu’on lui faisait prendre conscience de l’impossibilité de réaliser ses désirs, répétait inlassablement : « Je sais bien, mais quand même… ».

Ainsi, la semaine de 30 heures, la retraite à 50 ans, le pleine emploi, l’air pur pour tous, on peut nous les promettre sans jamais se soucier de respecter de tels engagements. L'électeur se dit : "je sais bien (que c'est impossible), mais quand même (je veux y croire)". Mieux vaut d’ailleurs qu’on ne tente pas de les tenir. Dans ce cas, rien ne serait pire que le politicien qui croirait à ses propres promesse ; alors ses illusions deviennent ruineuses, n’étant pas plus réalisables du fait que les responsables y croient. En plus, en politique, tenir sa parole n’est pas forcément une preuve de qualité.

Machiavel dixit.

Sunday, May 21, 2006

Citation du 22 mai 2006

Un homme qui déteste les enfants et les chiens ne peut pas être tout à fait mauvais.

W.C. Fields

Etonnant W.C. Fields ! Supposez qu’il ait dit : «Un homme qui déteste les enfants ne peut pas être tout à fait mauvais ». Bon, on comprend. Qui donc n’a pas été excédé par le sale gosse qui court partout dans le train et qui pousse des cris à vous faire péter le tympan parce qu’il n’a pas eu ses bonbons ?

Supposez qu’il ait dit : « Un homme qui déteste les chiens ne peut pas être tout à fait mauvais ». C’est simple, nous avons tous été envahis par le désir de génocider l’espèce après avoir glissé dans leurs déjections.

Mais il a dit : « Un homme qui déteste les enfants et les chiens ne peut pas être tout à fait mauvais ». Quand on n’aime pas les enfants et les chiens, qu’est-ce qu’on n’aime pas ? C’est quoi ce composé ?

Je propose : c’est la famille qui est visée. Avec le père qui rempli la voiture (si possible : le 4x4) pour le pique-nique, avec la mère qui apporte le panier rempli pour le déjeuner, avec le chien qui gambade sur la pelouse poursuivant le petit qui court après le ballon. Pouah ! Vision d’horreur ! Existence étriquée, petits bonheurs, grande suffisance de tous ceux qui se donnent ainsi en modèle pour leurs voisins envieux. Les enfants et les chiens ne font que représenter cette vie familiale, anesthésiante et indolore, idéale pour illustrer la couverture des magasines féminins.

Vous en penserez ce que vous voudrez. Mais je me rappelle que Freud disait que les hommes devaient renoncer à leur désir d’aventure parce que les mères les retenaient au foyer. La citation de Fields est en tout cas dans cette logique ; choisir la vie familiale, c’est renoncer à une autre vie, et tout le monde ne consent pas à ce renoncement de gaîté de cœur.

- Allons, allons, soyez honnête; quoique vous fassiez, il faudra renoncer à quelque chose. « Omnis determinatio est negatio »…
Merci Spinoza !

Saturday, May 20, 2006

Citation du 21 mai 2006

Comment des années si courtes se fabriquent-elles avec des journées si longues ?

Vladimir Jankélévitch

Petite histoire de la monotonie.

Je ne reviendrai pas sur l’ennui dont Baudelaire a si bien parlé (voir citation du 10 février). En revanche on peut évoquer ce mécanisme paradoxal qui fabrique de la brièveté avec de la longueur.

Vous êtes en vacances, les jours s’étirent paresseusement, entre le petit matin (vers 11 heures) : déjeuner sur la terrasse ensoleillée, jusqu’au pastis du soir sur la terrasse ombragée ; entre temps, farniente(1). Comme chaque fois que vous ne faites rien, l’ennui (un si délicieux ennui) fait traîner les heures, les minutes et les secondes ; vous avez même supprimé le bracelet montre, non pas comme vous le prétendez pour éviter les traces blanches sur votre beau poignet bronzé, mais pour ne pas être tenté de prendre la mesure de cette dilatation de la durée.

Je vous suppose maintenant installé depuis huit jours ; est-ce que vous n’avez pas l’impression que les jours se succèdent à une vitesse affolante ? Chaque matin ouvrant vos volets sur un soleil vertical (il est déjà 11 heures) n’avez-vous pas l’impression que le temps de sortir et la terrasse sera assez ombragée pour le pastis vespéral ? Que ce soir est déjà là, parce qu’il n’est rien de plus qu’hier soir ? (Vous me suivez ?)

On a compris ce que veut dire Jankélévitch : il ne s’agit pas seulement d’un écrasement de la perspective ; si les journées sont longues, cette longueur est liée à l’inaction qui vous laisse face à vous même c’est à dire à rien du tout (ne vous vexez pas, il ne s’agit que d’un état passager…). En revanche, chaque journée, parfaitement prévisible est comme la photocopie des journées précédentes. Au lieu de vivre huit jours, vous vivez huit fois le même jour, et donc il vous apparaît comme étant une seule journée.

Voilà. Vous savez comment faire pour que vos vacances vous paraissent un peu plus longue : changez de vie chaque jour.

Et puis, tant que vous y êtes : faites en autant le reste de l’année.


(1) Farniente : Mot ital. signifiant proprement « ne rien faire », composé de fare (faire*) et niente (néant*).(TLF)

Friday, May 19, 2006

Citation du 20 mai 2006

De tant de milliasses de vaillants hommes qui sont morts depuis quinze cents ans en France les armes à la main, il n’y en a pas cent qui soient venus à notre connaissance.

Montaigne Essais, II, 16

La gloire, chose frivole par la quelle nous cherchons à nous accroître de ce qui ne nous appartient pas, c’est à dire la renommée(1). Car le nom s’oublie dès la personne a disparu, et même la bravoure du guerrier ne résiste pas à cet engloutissement.

Que le fait pour nos soldats d’être morts au champ d’honneur ne leur ait pas assuré la gloire, il suffit de lire les inscriptions des monuments aux morts pour s’en convaincre : ces noms ne sont plus rien pour nous. Banalité. Mais ce qui est moins banal c’est lorsque cet anonymat devient un moyen d’identification. Je veux parler du Soldat Inconnu, anonyme choisi parmi les morts au combat pour les signifier tous.

La gerbe au Soldat Inconnu honore en effet tous les soldats y compris les Martin, les Dupont-Durand, les Matthieu… Il faut donc qu’on les identifie à l’Inconnu pour les honorer : ils sont comme des cas particuliers qui se rangent sous le cas général que constitue le Soldat Inconnu, c’est Lui qui les définit comme le concept définit tout ce qu’il dénote.

Mais ce renversement est suivi d’un second : si la gloire est liée à l’hommage qu’on rend à ce soldat, alors elle échappe au capitaine, au général, à l’amiral, puisqu’on ne connaît pas de capitaine inconnu, de général inconnu, etc..

En réalité, ce que Montaigne pointe, c’est la masse : c’est parce que il y a tant de « milliasses » de morts à la guerre qu’ils sont anonymes : plus ils sont nombreux moins on ne peut en connaître les détails. Exactement comme le concept : plus la dénotation est importante, moins la connotation contient d’éléments.


(1) Renommée : Considération élogieuse largement répandue dans le public et qui s'attache au nom d'une personne ou d'une chose. (TLF)

Thursday, May 18, 2006

Citation du 19 mai 2006

La jeunesse heureuse est une invention de vieillards.

Paul Guimard - Le mauvais temps

- Tiens Pierrot ! te voici ? Ça fait longtemps que je ne t’avais pas vu. Comment ça va, fiston ?

- Bonjour grand-père. Je t’apporte des chocolats, je sais que tu aimes ça avec ton café du midi.

- C’est gentil ça, parce que tu sais les nougats de l’autre fois, ils étaient bons, mais mon dentier il a pas du tout aimé… Qu’est-ce que tu deviens ? Et ton boulot ?

- Mon boulot ? Mais rien du tout grand-père ! j’ai eu juste un stage avec une indemnité que si je me paie avec le train pour y aller et la cantine de midi c’est déjà bien.

- Mais je croyais que tu travaillais chez Carrefour.

- Tu confonds grand-père, Carrefour c’était l’été dernier ; j’étais magasinier intérimaire, un job d’été.

- Bon d’accord. Et les vacances, où vas-tu aller ?

- Les vacances ??? Mais j’ai pas d’argent pour partir en vacances, moi. Peut-être j’irai en camping avec un copain s’il arrive à emprunter la voiture de son père. Mais toi, au fait tu es parti il y a pas longtemps en Egypte, croisière sur le Nil et tout ça ? C’était bien ?

- M’en parle pas… Avec la chaleur j’ai bien cru mourir. En plus on nous a servi sur le bateau un tas de plats exotiques trop épicés… je te raconte pas les dégâts.

- Te plains pas grand-père, toi tu as une bonne retraite, tu as de quoi voyager, quand tu veux t’acheter un livre ou un disque tu le fais sans penser au prix ; et t’es pas obligé de te nourrir de steaks hachés surgelés.

Tu sais c’est dur pour nous les jeunes, on n’a pas de thunes pas de travail pas de voiture pas d’appart…

- Oui mais vous les jeunes, tout ce que vous désirez peut s’acheter. Voilà.

Wednesday, May 17, 2006

Citation du 18 mai 2006

«[...] l‘amant veut la possession exclusive de la personne qu’il désire, il veut exercer une puissance non moins exclusive sur son âme que sur son corps, il veut être aimé d’elle à l’exclusion de tout autre, habiter et dominer cette âme comme ce qu’il y aurait de suprême et de plus désirable pour elle. » (1)

NIETZSCHE – Le gai savoir -§14

Beaucoup de philosophes - dont Sartre - ont insisté sur cette étrange possession voulue par l’amour : il est un tyran d’un genre tout à fait spécial : il veut - il exige même - que l’autre aime cette domination, qu’il la désire comme son bonheur le plus grand. Ainsi « je t’aime » est subordonnée à « je veux que tu m’aimes », ce qui signifie : « j’accepte que tu te traînes à mes pieds et que tu me supplies de te laisser coucher en travers de ma porte ; j’accepte ton amour de chien fidèle ».

Ainsi on comprend le lien tout à fait spécial que la tyrannie entretien avec l’amour. Je veux parler de cette exigence du tyran - le vrai, celui qu’on appelle le Dictateur de nos jours - d’être aimé de ses sujets. Certes c’est une condition du pouvoir : le meilleur rempart contre l’ennemi c’est l’amour du peuple, Machiavel l’a fort bien dit. Mais il a dit aussi qu’il était plus simple pour le Prince de se faire craindre que de se faire aimer, car la crainte est une réaction animale et non un sentiment humain.

On pourrait proposer que la recherche de l’amour des sujets - même en démocratie - soit considéré comme un indice de despotisme. Voyez 1984, le roman de Georges Orwell. Big Brother a une exigence absolue : il veut être aimé de ses sujets, peu importe comment, même en les abrutissants avec le « gin de la victoire ». Mais qu’ils l’aiment ! Finalement, le comble de le désobéissance est atteint non pas quand Winston (son héros) écrit son journal personnel, mais quand il aime une femme, et non le Grand Frère. Un peu comme le chrétien qui doit renoncer à l’amour profane de la créature parce qu’il est rival de l’amour pour le Créateur.

Voilà donc l’idée séditieuse qui pointe : et si les sondages d’opinions favorables étaient un indice, pour le gouvernement démocratique qui en bénéficie, de sa capacité à gouverner autocratiquement un peuple aveuglé par sa confiance ?

J’en connais un qui gouverne très démocratiquement en ce moment !


(1) C’est moi qui souligne.

Tuesday, May 16, 2006

Citation du 17 mai 2006

"Quand vous ouvrez une école, vous fermez une prison".

Victor Hugo

1 - Ouvrir une école = fermer une prison.

Pour Victor Hugo, la délinquance devait être le fruit de l’ignorance et de la misère résultant de l’ignorance ; l’école source de toute vertu républicaine était aussi par l’éducation dispensée à tous la condition de la justice sociale, en sorte que tous ceux qui en avaient le désir devaient, grâce à elle, échapper à la faim qui pousse à voler pour vivre. En bref l’école avait pour lui le rôle de correcteur des inégalités de condition. Et aujourd’hui ?

2 - J’ouvre une école pour éviter d’ouvrir une prison.

On l’a dit et répété, du temps du gouvernent de gauche : la gauche pratique une politique de casse sociale, comme n’importe quel gouvernement libéral ; et elle compte sur l’école pour réparer les pots cassé. Je réduis à la misère et au chômage les banlieues, mais je crée des ZEP ou les bons instits vont remettre à flots ces pauvres enfants livrés à eux mêmes par des parents incapables, submergés par leur dénuement, et tentés par tous les trafics. Résultat ?

3 - L’école = comme les prisons, sous le contrôle de la police

Et si les écoles étaient des bouges infectes pour la racaille des banlieues, en sorte qu’il faille transformer les écoles en prisons ? C’est ce que nos journaux révèlent aux yeux effarés du public. Trafic, violence, racket en tous genre ; profs menacés, armes blanches (pour le moment) dans les cours de récréation, continuez vous même la liste, je fatigue.

Ne comptez pas sur moi pour pleurer sur la situation de l’école, ça prendrait trop de place pour ce post. Mais simplement je voudrais pointer ce fait que l’école n’est plus - si elle l’a jamais été - un îlot de paix et de justice comme le croyait Victor Hugo (optimisme positiviste ?). On regrette de constater que même si apprendre est une source d’égalité et de justice (quoique…), l’envie d’apprendre(1), elle, n’est absolument pas également répandue et qu’elle fait partie de l’héritage social (Bourdieu bien sûr…)


(1) Vous avez noté que je n’ai pas écrit : « la faculté »

Monday, May 15, 2006

Citation du 16 mai 2006

À cause du clou, le fer fut perdu

À cause du fer, le cheval fut perdu.

À cause du cheval, le cavalier fut perdu.

À cause du cavalier, la bataille fut perdue.

À cause de la bataille, la guerre fut perdue.

À cause de la guerre, la liberté fut perdue.


Tout cela pour un simple clou

Benjamin Franklin

Ça s’appelle l’effet papillon. C’est le météorologiste Edward Lorenz qui l’a inventé en 1963. Il s’énonce ainsi : le battement des ailes d'un papillon au Brésil peut déclencher une tornade au Texas ; autrement dit, des variations infimes entre deux situations initiales peuvent conduire à des situations finales sans rapport entre elles.

Mais nous serons plutôt du coté de Benjamin Franklin : ce n’est pas dans le ciel de nos vacances que nous scruterons le chaos ; c’est dans nos sociétés. L’effet papillon est un défi à l’historien, comme aux prévisionnistes de tout poil : l’avenir est indéterminé, donc imprévisible. Et cela non pas parce que le hasard domine la vie des hommes ; pas non plus parce que leur liberté est souveraine et donc également imprévisible ; mais bien parce que les mécanismes en place, fonctionnant selon leurs lois habituelles vont produire sans qu'on sache le prévoir dans certaines circonstances un basculement, générateur d’une état nouveau, et également imprévisible. Bref, c’est le chaos déterministe qui nous guette.

D’abord, parce que la circulation de l'information est devenue toujours plus rapide et plus dense entre les différents acteurs de la société et les diverses parties du monde. Ceci fait que des événements auparavant isolés, peuvent maintenant être reliés très rapidement. Ce qui favorise la transmission et l'amplification des changements. Ce n’est pas une théorie, c’est une réalité : voyez comment se déclenchent les krachs boursiers.

Mais on dira que la bourse peut mettre des barrières à de tels phénomènes et donc que l’effet papillon ne peut plus s’y manifester. Ce serait alors le cas dans l’ensemble de la société, dont les forces conservatrices élèveraient des remparts contre ces perturbations. Mais la modélisation mathématique de l’effet papillon montre qu’un système est particulièrement vulnérable lorsqu’il atteint un point de bifurcation (comme la chaudière qui monte régulièrement en température et qui tout à coup explose). A l'aube du troisième millénaire, les sociétés humaines sont manifestement arrivées à un point de bifurcation : nous sommes dans une période de redéfinition complète des normes et des valeurs en matière de travail, d'économie, mais aussi de vie sociale et de rapports entre Etats. Dans ce type de situation, une infime modification peut tout faire basculer.
Sommes-nous donc entrés dans le troisième millénaire ?

Sunday, May 14, 2006

Citation du 15 mai 2006

Créon : Et ainsi, tu as osé violer ces lois ?

Antigone : C'est que Zeus ne les a point faites, ni la justice qui siége auprès des dieux souterrains. Et je n'ai pas cru que tes édits pussent l'emporter sur les lois non écrites et immuables des dieux, puisque tu n'es qu'un mortel.

Sophocle - Antigone

Antigone c’est cette femme qui se rebelle contre la loi du tyran de Thèbes, son oncle Créon, qui refuse une sépulture à son frère qui est mort en le combattant. La loi de Dieu l’emportant sur celle des hommes, Antigone obéit au commandement religieux en ensevelissant sa dépouille ; elle désobéit donc à la loi humaine, en l’occurrence celle de son oncle. La rébellion est donc un acte héroïque (qu’Antigone paiera de sa vie), et légitime parce qu’il repose sur l’existence d’un ordre (ici religieux) supérieur à la loi humaine.

Alors ça vous fait penser à quoi ? Les jeunes musulmanes voilées de nos lycées ne se sont-elles pas réclamées du Coran pour refuser de retirer leur foulard ? Leurs Imams n’ont-ils pas dit que les lois de Dieu étaient des prescriptions que personne, pas même la République laïque, ne pouvait dispenser d’observer ?

On a appelé au bon sens et à la tolérance ; après tout dit-on il faut vivre les uns avec les autres, acceptons nos différences, ce n’est pas un foulard qui va révolutionner nos rapports sociaux… En réalité il s’agit de savoir si la laïcité est simplement une attitude passive ou si c’est une conception de l’homme, issue de la philosophie des lumières, fondant la déclaration de droits de l’homme et donc à l’origine de notre société politique.

On connaît la suite, le problème paraît réglé dans les faits mais en réalité il ne l’est pas du tout parce que ce débat n’a rien donné et on n’en sortira que par une transformation soit de notre démocratie, soit de l’islam.

Si la port du foulard n’était qu’une coutume sociale et non une prescription religieuse on pourrait facilement tomber d’accord pour l’interdire comme contraire à nos coutumes, ou pour le tolérer comme insignifiant. Mais le fait qu’il y ait une telle résistance, montre qu’il y a un tout autre enjeu.

S’il y a des Antigones dans nos banlieues, qui donc sera Créon ?

Saturday, May 13, 2006

Citation du 14 mai 2006

Les sensations --------- ont cela de remarquable qu'en les éprouvant l'être humain fait du bien à un autre être humain par son plaisir même. On ne rencontre pas beaucoup de ces dispositions bienfaisantes dans la nature.

Nietzsche Aurore

Aujourd’hui, parce que c’est dimanche, La citation du jour vous propose un petit jeu : le mot perdu.

Un mot a été perdu dans la citation de Nietzsche. Quel est-il ? A vous de jouer.

Friday, May 12, 2006

Citation du 13 mai 2006

Etre adulte, c'est avoir pardonné à ses parents.

Goethe

Terrible Goethe ! Qu'on soit enfant (c’est à dire futur parent), ou parent (c’est à dire ancien enfant), on ressent sa sentence comme le couperet de la guillotine qui tranche irrémédiablement dans la vie, instituant la rupture entre le passé et le présent. Et en même temps, on ne peut s’en détacher, comme si sa vérité nous poursuivait malgré nous.

Ce que dit Goethe, c’est d’abord qu’être adulte, c’est avoir définitivement tourné une page. Pas de retour en arrière possible : la régression infantile ? Si elle existe, ce n’est que la continuation d’un état qui n’a jamais cessé d’être. Celui qui n’a pas abandonné définitivement son enfance ne sera jamais adulte (qu’on s’en réjouisse ou qu’on le déplore n’est pas ici en question). Mais que signifie « abandonner définitivement son enfance » ?

Deuxième affirmation de Goethe : on ne devient adulte qu’après avoir pardonné à ses parents. Je ne vais pas convoquer ici toute la littérature freudienne qui permettrait de développer cette intuition de Goethe ; je ne retiens que l’évidence : pour être adulte, il faut cesser d’être celui qui a des comptes à régler avec ses parents. Ne plus être celui qui pleurniche parce que sa maman lui a refusé de le prendre dans son lit le dimanche matin, ou parce que son papa lui a défendu de sortir dimanche après midi. Ne jamais être celui qui attribue ses difficulté d’adulte à l’incompréhension de ses parents (« …s’ils m’avaient écouté, j’aurais pu faire des études de journalisme, je serais aujourd’hui grand reporter en Afrique, au lieu de bosser dans ce boulot de merde »).

Et il importe peu que ces reproches soient justifiés ou non. Car le pardon, ici, commence avec l’oubli, c’est à dire cette force active dont parle Nietzsche, celle qui nous permet de secouer la tête et de dire « Allons, c’est devant qu’est la vie ».

Et si vous n’avez pas pardonné à vos parents alors non seulement vous allez ressasser indéfiniment le passé, ce qui va vous stériliser, mais en plus vous allez transposer votre conflit dans la vie présente, devenant l’enfant de votre épouse, qui n’en a pas envie, ou de vos amis qui n’y sont pour rien. Ou encore vous allez vous efforcer d’être pour vos enfants le parent sans tache, celui à qui on n’aurait rien à pardonner.

Et ça c’est encore pire.

Thursday, May 11, 2006

Citation du 12 mai 2006

"Bien que le dicton "la franchise est la meilleure politique" incarne une théorie qui, malheureusement est fréquemment contredite dans la pratique, la proposition également théorique selon laquelle "la franchise vaut mieux que n'importe qu'elle politique" transcende infiniment toutes les objections et constitue en fait un préalable nécessaire à toute politique quelle qu'elle soit"

Kant - Projet de paix perpétuelle - Appendice I

Admirez la nuance ! Si la franchise n’est pas la meilleure politique, en revanche, la franchise vaut mieux que n’importe quelle politique.

Première observation : la politique est une affaire qui ne peut en aucun cas se limiter à des principes théoriques ; la pratique doit absolument être prise en compte. Or, la franchise n’y est pas présente, au mieux le secret y domine, le mensonge l’emporte aussi souvent. On est encore dans la politique, mais pas dans la meilleure.

Deuxième observation : la théorie fait néanmoins retour comme « préalable nécessaire » à toute politique. Le principe qu’il faut être franc (donc dire la vérité, tout simplement) transcende la politique, c’est à dire qu’il la domine mais aussi qu’il en constitue la norme, comme si on ne pouvait s’écarter de ce principe que pour mieux y revenir .

Question : à qui profite le déni de vérité ?

S’il s’agit du refus de communiquer, on entend souvent évoquer le « secret défense ». En quelque sorte on fait le bien des administrés en secret parce qu’on les soupçonne tous d’être des agents doubles à la solde de l’ennemi. Merci bien !

Mais s’il s’agit de mensonge ? A qui profite-t-il ? A supposer que la politique soit l’administration du bien public, tout se passe comme si l’homme politique nous disait : « je te mens, mais c’est pour mieux te servir ; je te cache la vérité, mais ce n’est pas pour mon bien, c’est pour ton bien…. ». Admettons qu’il ne nous mente que par facilité, parce que ses manœuvres sont inavouables, mais que ses buts sont effectivement honnêtes, alors il se conduit simplement comme ces parents peut scrupuleux qui disent à leur enfant, avant de l’emmener chez le dentiste, « tu as voir le monsieur à la blouse verte, il est très gentil, il va te soigner ça ne te fera pas mal du tout ». Dans ce cas le mensonge est simplement la contrepartie de l’immaturité des citoyens : il y a comme une contradiction dans cette formule.

Mais hélas, le plus simple est bien de supposer que le mensonge ne couvre pas seulement les moyens, mais aussi les fins, moins généreuses qu’on le croirait. Comme de régler des comptes pour se positionner avantageusement en vue de la prochaine élection.

Oui… mais on nous demande alors de croire que c’est pour le bien de la Nation.

Wednesday, May 10, 2006

Citation du 11 mai 2006

Quelquefois, un cigare est juste un cigare.

Sigmund Freud

Là, je n’en crois pas mes oreilles ! Que ce soit Bill Clinton qui dise cela, pour se disculper devant le procureur Kenneth Starr, passe encore. C’est un mensonge de plus. Mais toi, Sigmund, où as-tu la tête ? Rappelle-toi toutes tes analyses de rêves, et puis rappelle-toi des Zeppelins, du Concorde, et même de Carmen, la belle cigarière qui roule les feuilles de tabac sur sa cuisse brune… Tiens, est-ce que tu crois que ceux qui lisent ce post (les veinards…) ne sont pas « émus » par cette évocation de Carmen ?

Alors tu me dis que la réalité est au moins parfois juste rien d’autre que ce qu’elle est, que nul fantasme ne vient la recouvrir, la redoubler pour la faire nôtre, pour qu’elle nous dise quelque chose de notre jouissance - ou de notre angoisse - ? Je ne te crois pas, parce que dans ce cas plus rien ne nous interpellerait de l’extérieur, tout serait platement utile, interchangeable, technique.

En réalité la moindre automobile nous en dit beaucoup plus sur nos désirs que sur la manière dont elle fonctionne ; que dis-je ? Plus ça va, plus elle nous en dit sur nos désirs, et moins elle nous montre comment elle fonctionne… C’est donc toi, le Père de la psychanalyse, qui est aussi celui de la société de consommation. Sans toi qui donc aurait su nous manipuler aussi efficacement, pour nous faire consommer encore et encore ? Ce ne sont tout de même pas les publicitaires qui ont inventé la symbolique du désir ; en revanche ils s’en servent assez correctement. A toi, Sigmund, les remerciements de Publicis….

Alors, je comprends que ta remarque est juste ironique. Elle est une concession faite aux critiques de ta théorie ; tu leurs dis « Bon, bien sûr, admettons… Mais la vérité du cigare c’est quant même autre chose que de pouvoir se fumer. » D’ailleurs c’est beaucoup moins cancérigène.

N’est-ce pas Monica ?

(Désolé, je n’ai pas pu m’en empêcher… Encore une pulsion incontrôlable…)

Tuesday, May 09, 2006

Citation du 10 mai 2006

« Les enfants, qui naîtront des mariages entre les esclaves, seront esclaves, et appartiendront aux maîtres des femmes esclaves, et non à ceux de leurs maris, si le mari et la femme ont des maîtres différents. »

Code noir - 1685 - Art. 12 (1)

Voilà donc l’esclavage tel que défini par Colbert, et c’est ce qui a sans doute le plus scandalisé (Voir par exemple Rousseau, Contrat social, I, 4 : «Quand chacun pourrait s’aliéner lui-même, il ne peut aliéner ses enfants ; ils naissent hommes et libres ; leur liberté leur appartient, nul n’a droit d’en disposer qu’eux. »). L’esclavage est donc héréditaire, et celui qui perd sa liberté la fait perdre également à toute sa descendance ; ce qui fait qu’aux Amériques, l’interdiction « d’importer » des esclaves au XIXème siècle a débouché sur « l’élevage d’esclaves ». Les esclaves constituent ainsi une variété de bétail, et cela suffirait à attester qu’ils ne font plus partie de humanité.

Aujourd’hui, nous avons une perception un peu déformée de l’esclavage : on le voit plutôt comme la perte de la liberté caractérisée par le fait de travailler sans cesse, sans aucun bénéfice autre que d’avoir la vie sauve. On peut alors avec Marx parler des prolétaires comme d’esclaves des temps modernes. Mais être un esclave, c’est bien autre chose : c’est justement être une chose qu’on achète, qu’on revend, dont on peut hériter ou qui sera saisie en cas de dette. L’esclave est une marchandise qu’on évalue et palpe comme le cheval ou le bœuf ; il ne saurait donc se définir simplement par la suppression de la liberté d’aller ou de venir, de disposer de son temps, de décider qui il veut rencontrer, comme l’est par exemple le prisonnier. L’esclave du Code Noir, c’est cet animal qu’on marque au fer rouge du monogramme de son maître et qu’on punit en cas de faute par mutilation, pour pouvoir le repérer à coup sûr.

On ne peut donc se contenter de le définir, comme on le fait parfois en philosophie, par la perte de la responsabilité ou de l’humanité. Non que ce soit faux. Mais ce sont les faits qui importent, en particulier ceux du monde actuel, parce que sont eux qui créent le choc de l’insupportable, ce sont eux qui sont le scandale. L’esclavage existe toujours, il s’exhibe jusque sur nos trottoirs : il s’appelle - entre autre - prostitution.

Et là, même pas de Code Noir.

(1) On peut consulter l’intégralité du Code noir avec notes sur : http://abolitions.free.fr/IMG/pdf/codenoirtxt.pdf

Monday, May 08, 2006

Citation du 9 mai 2006

« Si les signes vous fâchent, ô combien vous fâcheront les choses signifiées. »

Rabelais Tiers livre (ch. 20 )

Euphémisme : figure de pensée par laquelle on adoucit ou atténue une idée dont l'expression directe aurait quelque chose de brutal, de déplaisant. Nous avons donc peur des mots, et si vous ne me croyez pas, cherchons des exemples.

On ne dit pas aveugle, mais malvoyant ; sourd mal malentendant ; paralytique mais personne-à-mobilité-réduite ; « il est mort » mais « il est parti »… Inutile, n’est-ce pas, de prolonger cette liste, on a compris. Compris qu’il y a des vilains mots, des mots qui fâchent, des gros mots. Oui. Mais pourquoi ?

Peut-être est-ce du côté de Freud qu’il faut chercher. Ces mots qu’on ne prononce que péniblement, dont chacun de nous peut trouver un exemple en lui-même, sont l’objet d’un refoulement. En fait, c’est l’idée de ce qu’ils désignent qui est interdite, et c’est son évocation qui blesse notre conscience ; ce qui signe l’origine inconsciente du phénomène c’est la force de rejet qui se manifeste ainsi. Car pour l’inconscient, l’équation est simple : Mot=idée=réalité ; entre le mot et ce qu’il désigne il n’y a pas de différence, contrairement à ce que prétend Rabelais. Voyez les B.D. américaines, lorsqu’un enfant dit un « gros » mot, sa maman lui lave la bouche au savon : la souillure est physique (dirty words disent les anglais).

Mais pas de rejet phobique sans désir : c’est l’ambivalence qui est la règle ici, il n’y a dégoût que de ce qui fait jouir, et si ces mots sont interdits, c’est qu’ils sont liés à un désir. C’est la raison qui explique l’attrait des enfants pour les mots défendus : le folklore obscène des cours de maternelles qui étonne tant les adultes n’a sans doute pas d’autre origine que le plaisir, non pas de braver un interdit (encore que…), mais de signifier ce qui est défendu. Ces petits les prononcent non pour choquer, mais pour évoquer ce qui est lié à leur plaisir :

- Caca boudin !

Sunday, May 07, 2006

Citation du 8 mai 2006

Vous n'aurez pas l'Alsace et la Lorraine,
Et, malgré vous, nous resterons français.
Vous avez pu germaniser la plaine,
Mais notre coeur vous ne l'aurez jamais.

Paroles : Gaston Villemer et Henri Nazet Musique : Ben Tayoux (1871)

Halte-là ! En ce jour du 8 mai je lance un cri de révolte et d’avertissement.

La paix est une mauvaise chose, elle va contre la nature des sociétés, elle les fragilise et les désoriente, elle les laisse désarmées devant les épreuves de l’Histoire. Pas de réconciliation, pas de consensus mou ! Il faut bander nos muscles, exacerber nos passions, exercer notre habileté aux armes, apprendre aux plus jeunes contre qui ils doivent déchaîner leur violence, qui ils doivent massacrer, qui ils peuvent violer. Il nous faut de la barbarie au-delà des frontière, pour être bien sûr qu’elle n’est pas chez nous. …

Bref. Il nous faut un ennemi, héréditaire ou non, peu importe, dont l’existence soit un stimulant de notre propre existence, qui nous empêche de dégénérer, qui stimule et canalise en même temps nos plus bas instincts, ceux dont Nietzsche dit qu’ils sont néanmoins indispensables à la vie.

Rappelons-nous les thèses de René Girard (même si elles sont un peu passées de mode) : comme la violence est inévitable dans la société, il faut qu’elle puisse s’exprimer, et pour cela il lui faut une victime émissaire (bouc émissaire ou pharmakos (1)). Nos sociétés modernes ne dérogent pas à cette règle, seulement elles n’ont plus d’institution pour la prendre en charge : voilà cette violence qui ne sait plus où aller parce que personne ne l’oriente vers un but qui soit neutre ou qui soit récupérable pour le bien de la société : c’est l’anarchie assurée ! Voyez les émeutes de novembre. Il a suffit de parler de racaille et de Kärcher pour que tout s’enflamme, comme si le brasier était déjà prêt, n’attendant que l’étincelle pour s’enflammer.

Nicolas Sarkozy : le pharmakos des banlieues ! Voilà un titre tout trouvé pour Libé le Figaro !

(1) A Athènes, on entretenait à grand frais par prévoyance quelques malheureux destinés au sacrifice. Lors d'une calamité, cette victime sacrificielle : le pharmakos, était promenée dans la ville puis tuée ou chassée.

Saturday, May 06, 2006

Citation du 7 mai 2006

« Mais à moi particulièrement, les moustaches que j'ay pleines, m'en servent : si j'en approche mes gans, ou mon mouchoir, l'odeur y tiendra tout un jour : elles accusent le lieu d'où je viens. Les étroits baisers de la jeunesse, savoureux, gloutons et gluants, s'y collaient autrefois, et s'y tenaient plusieurs heures après. »

MONTAIGNE - Essais - Livre I Chapitre 55 - Des Senteurs

Alors voilà : il suffit que ce soit Montaigne qui nous raconte l’avantage qu’il y a à avoir des moustaches pour qu’on s’extasie ! Moi je dis non ! C’est dégoûtant !

Le défi du jour : que dire qui rattrape cette inconvenance ? Seule la science peut s’aventurer sur ce terrain avec la justification de découvrir et de faire connaître la vérité.

En réalité, ce rejet de l’odorat vient de loin. Déjà Platon ne le retenait pas dans la liste des sens dont la satisfaction puisse être considérée comme esthétique ; et Hegel en rajoute en disant que l’odorat (comme le toucher et le goût) nécessite le contact matériel avec ce qui produit la sensation (oui, même pour l’odeur), et qu’il n’est donc pas « spiritualisable » comme peuvent l’être la vue et l’ouïe (qui ne nécessitent pas de contact physique avec l’objet visible ou audible).

Et de fait il semble que l’effet de l’odorat soit trop puissant pour qu’on ne le canalise pas, pour qu’on ne se méfie pas de lui. Comment surmonter le dégoût suscité par le malpropre de clochard qui vient s’asseoir près de vous dans le bus ? La charité chrétienne s’y épuise. Inversement, peut-on résister à l’attirance de l’odeur agréable quelle que soit sa nature ? La marchande de poulet rôtis du marché, comme les parfumeurs ont la même arme. Qu’on lise le fascinant roman de Patrick Suskin Le parfum pour y trouver une description de ce pouvoir : le maître de l’odeur est le maître des hommes…

Voilà : maintenant vous êtes au parfum

Friday, May 05, 2006

Citation du 6 mai 2006

"Hegel fait quelque part cette remarque que tous les grands événements et personnages historiques se répètent pour ainsi dire deux fois. Il a oublié d'ajouter : la première fois comme tragédie, la seconde fois comme farce".

Karl Marx - Le Dix-huit Brumaire de Louis-Napoléon Bonaparte

Empereur des Français : Napoléon Bonaparte « Tragédie » ; Napoléon III « Farce ».

Coups d’Etat : 18 brumaire « Tragédie » ; 2 décembre 1852 « Farce ».

Et aujourd’hui ?

- 41e président des Etats-Unis : George H. W. Bush (Tragédie ? ). 43e président des Etats-Unis : George W. Bush, , fils du précédent (Farce !).

- Guerre du Golf : 16 janvier 1991 (Tragédie). Guerre d’Irak : 20 mars 2003 (Farce ???).

Marx aurait-il donc raison ? On hésite à la croire, et pourtant même s’il est cynique de qualifier de comédie par exemple une guerre cruelle qui ne fait que des victimes, on doit admettre que l’histoire se répète souvent et qu’alors c’est toujours sur un mode mineur.

Pourquoi en irait-il toujours ainsi ? Parce que les hommes ont du mal à inventer une attitude nouvelle ou une solution inédite ; ils vont chercher dans le passé quelque chose qui a marché et qu’on pourrait réutiliser. Et ce qu’ajoute Marx, c’est que ça ne marche pas : en réalité l’histoire ne se répète jamais, et toute tentative pour l’y contraindre conduit à un échec. Pire encore, c’est le ridicule de l’homme d’Etat qui révèle ainsi sa petitesse et son incapacité à jouer le rôle qu’il prétend incarner.

Mais ce qu’il faut ajouter, c’est que même sous forme de farce, l’histoire avance. Il en sort toujours quelque chose, même si ce n’est pas du tout ce qui avait été espéré. Napoléon III a bel et bien contribué à faire la France moderne, même s’il n’a pu obtenir qu’elle soit bonapartiste. Georges W n’obtiendra peut-être pas que le moyen orient soit démocratique, ni que le monde soit « plus sûr qu’avant » ; mais à coup sûr ne il sera plus jamais comme avant.

Et chez nous ?

- 1981 : François Mitterrand président - 1er mandat (L’espoir du peuple de gauche)…. 1988 : François Mitterrand président - 2ème mandat (= la Tonton-mania). Ça marche !

- 1995 : Jacques Chirac président - 1er mandat (Mangez des pommes)… 2002 : Jacques Chirac président - 2ème mandat (Elu contre Le Pen). Là c’est l’inverse : d’abord la comédie et ensuite la tragédie.

Thursday, May 04, 2006

Citation du 5 mai 2006

Histoire juive - L’un dit à l’autre : « Je vais à Cracovie », et c’est la vérité, il dit vrai. Mais l’autre, le soupçonnant de mentir, lui dit : « Mais pourquoi me dis-tu que tu vas à Cracovie alors que tu vas à Cracovie, pour que je croie que tu vas à Varsovie ? »

Freud - Le mot d’esprit et ses rapports avec l’inconscient.

On peut être trompé, même par la vérité. Voilà la morale de cette histoire juive, qui pourrait tout aussi bien servir à décrypter le mensonge politique qui nous préoccupe tant en ce moment.

Le paradoxe est le suivant : tout le monde sait que les politiciens mentent, mais personne ne pardonnera à celui qui se fait prendre en flagrant délit de mensonge ; qu’on se rappelle l’affaire du Watergate : Nixon n’est pas condamné à démissionner seulement pour avoir couvert la pose de micros au siège des démocrates, mais aussi pour avoir menti sous serment. Le premier mensonge du politicien est d’affirmer sa sincérité lorsqu’il parle, la première naïveté du citoyen est de le croire.
C’est qu’en politique la vérité n’importe pas beaucoup plus que le mensonge : cette histoire juive nous a déjà montré qu’on peut être trompé aussi bien par l’un que par l’autre. Ajoutons maintenant qu’en politique la vérité est une assertion qu’on peut évaluer en terme d’efficacité et non en terme de connaissance : je ne dis la vérité que pour être cru et pour obtenir de ce fait satisfaction. Derrida relève que la vérité comme le mensonge entrent dans la catégorie des énoncés performatifs (1), c’est à dire des actes de paroles dont la valeur se mesure à l’efficacité.

La naïveté des citoyens n'est donc que la contrepartie des mensonges des politiciens : ce sont eux, les citoyens qui entretiennent, le mensonge politique. Car s’ils n’y croyaient pas celui-ci serait abandonné parce qu’inefficace.

(1) Un exemple d’énoncé performatif peut-être le « Oui » que les futurs mariés échangent devant le maire, où la formule rituelle par la quelle un chef d’Etat déclare l’ouverture des Jeux Olympiques (selon J.L Austin)

Wednesday, May 03, 2006

Citation du 4 mai 2006

"Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu'ils font"

Evangile de Luc 23.34

Cette phrase prononcée par Jésus crucifié fait polémique : de qui parle-t-il ? Qui sont les « crucifixeurs » ? Les juifs sont-ils responsables de la mort de Jésus, ou bien s’agit-ils des romains ?

Aujourd’hui ce problème est plus politique qu’historique, et plus historique que théologique. Nous ne nous estimons pas en mesure d’apporter une lumière là dessus. En revanche on peut se demander tout à fait tranquillement s’il est possible de ne pas savoir ce qu’on fait.

Je vous entends d’ici : « voilà le prof de philo qui recycle ses vieux sujets de dissert… avec ça il n’est pas tout neuf celui-ci ! Que de fois il a servi à discuter de la responsabilité entre les tenants de la morale et ceux de la psychanalyse… ». Et alors ?

Le gamin qui a inondé la salle de bain va dire : « C’est pas vrai, j’ai pas voulu inonder la salle de bain, j’ai juste joué avec les robinets, et puis maman elle m’a appelé pour le goûter, j’y suis allé très vite pour qu’elle m’attrape pas et du coup j’ai oublié de les refermer. » … « Père, pardonne-moi, car je ne savais pas ce que je faisais. » Donc :

1 - Ce qui est inconnu, ce n’est pas ce qu’on fait, c’est la conséquence de ce qu’on fait, et donc :

2 - ce qu’on fait ne se définit que par les conséquences qui en sont issues.

Tel est le présupposé de notre citation. Jouer avec les robinets, c’est un jeu, donc une action sans conséquence. Lorsqu’il y en a une, alors ce n’est plus un jeu ; ou plutôt, il est requalifié par ses conséquences en action véritable.

Jésus a donc parfaitement raison : si la crucifixion est bien nécessaire pour que le sacrifice du Fils rachète les péchés des hommes, alors ceux qui le condamnent ne savent pas qu’ils ne sont que des instruments entre les mains de Dieu. Voilà qu’ils accomplissent un sacrifice religieux alors qu’ils croyaient procéder à une exécution judiciaire.

Comme quoi on n’échappe pas si facilement à la théologie…

Tuesday, May 02, 2006

Citation du 3 mai 2006

« Miroir, mon beau miroir, dis-moi, quelle est la plus belle ? »

Jacob et Wilhelm GRIMM - Blanche-neige

Blanche neige est un drame de la vie quotidienne transfiguré par le conte, qui met en scène dans le merveilleux et le narratif un traumatisme de la vie infantile et sa résolution : on aura reconnu la référence à la Psychanalyse des contes de fées de Bruno Bettelheim. Ici nous nous intéressons à un fragment de cette histoire : les démêlées de la reine mère avec sa fille, où le traumatisme est pour l’adulte et non pour l’enfant.

La reine, mère de Blanche neige, veut chaque jour la confirmation de sa beauté, et elle questionne pour cela son miroir. Elle veut que ce Maître du reflet la confirme dans la certitude de sa beauté ; que cet émerveillement qu’elle suscite soit, en plus, une réalité objective, définie par Celui qui possède la science des apparences.

Mais la reine ne se contente pas d’être belle ; elle veut être « la plus belle », et on sait que le drame de Blanche neige est d’être devenue plus belle qu’elle. On devine ici le drame familial que constitue la rivalité mère-fille : la mère veut être la référence absolue, indépassable, essentielle. Mais elle ne peut l’être que si sa fille ne reste, au mieux, que l’imparfaite copie du modèle qu'elle constitue ; et du jour où cette enfant devient une femme adulte autonome, vivant à sa manière sa propre vie, de ce jour là tout s’effondre pour elle.

Il ne s’agit donc pas, dans la vie quotidienne, de savoir si la fille est plus que la mère ; car il suffit qu’elle soit autre pour qu’elle perdre son rôle de modèle. Supposons que Blanche neige soit un laideron. La méchante reine pourrait triompher d’elle facilement ; le Miroir la désignerait toujours comme étant la plus belle. Mais que Blanche neige lui dise : « Mère, vous êtes plus belle que moi, c’est vrai. Mais vous êtes aussi une vraie gourde, vous faites des fautes de français à chaque mot, et mes amis - étudiants de Harvard - se tordent de rire à chaque fois que je leur raconte vos bourdes. » ; on la verra s'effondrer.

Ce post est destiné aux mamans. Que les papas patientent : leur tour viendra.

Monday, May 01, 2006

Citation du 2 mai 2006

« Sur ce que je luy [le sauvage] demanday quel fruit il recevoit de la superiorité qu'il avoit parmy les siens (car c'estoit un Capitaine, et noz matelots le nommoient Roy) il me dit, que c'estoit, marcher le premier à la guerre… »

Montaigne, Essais I, 30 (Des cannibales)

Certains (dont Rousseau) ont ironisé sur ce bel avantage du Roi Cannibale (en réalité ce sont les Indigènes d’Amazonie de l’ethnie Tupi) qui consiste à prendre tous les risques de la guerre ; combien de nos rois, disait-on, accepteraient de le rester à ce prix ?

Pourtant le roi comme chef de guerre et guerrier intrépide est resté dans l’imagerie populaire, même chez nous, démocrates non mangeurs d’hommes : c’est Bonaparte au pont d’Arcole, s’élançant sur le pont balayé par la mitraille entraînant son armé, protégé par les plis de drapeau français.

La bonne question est alors : à quoi reconnaît-on un chef ? A ses insignes ? A ses compétences ? A son charisme ? A sa bravoure ?

Les cannibales de Montaigne nous invitent à répondre : à son invulnérabilité. Si le Roi cannibale marche le premier à la guerre, si Bonaparte brave la mitraille, c’est parce qu’ils se savent invulnérables, immortels, nous dirions aujourd’hui : insubmersibles.

Car vous voyez où je veux en venir. Nos chefs démocratiquement élus, reçoivent des citoyens leurs légitimité de chef ; mais la qualité qui les fait élire, n’est-ce pas la confiance qu’ils inspirent ? Et cette confiance n’est-elle pas liée à leur aptitude à rebondir après échecs, coups tordus, vilaines casseroles accrochées à leurs basques ?

Si c’est vrai alors il faut dire que comme ces rois sauvages, nos hommes politiques sont immortels ; seulement, ce n’est pas dans la bravoure qu’ils le prouvent, c’est par la durée de leur règne. Et pour durer, il faut marcher le dernier à la guerre.