Monday, August 31, 2015

Citation du 1er septembre 2015

Si l’on passait l’année entière en vacances ; s’amuser serait aussi épuisant que travailler.
William Shakespeare – Henry IV

Les vacances ? Dès le deuxième jour, l'ennui commence sitôt le petit-déjeuner expédié. On va acheter des cartes postales qu'on adresse à des truffes qui s'ennuient autre part en vous écrivant les mêmes.
Frédéric Dard

Ding-ding-ding…. C’est la rentrée ! Finies les vacances ? Snifff !
Mais non – on va pas se mentir : en réalité on est heu-reux. Oui, heureux de rentrer de vacances, de retrouver les amis-les-copains, de s’asseoir de nouveau à son bureau, de se remettre derrière son établi ou son volant. On est bien chez soi ; et chez soi, c’est ce qui nous a manqué pendant les vacances.
Et pour le vérifier, songez que certains pays (comme la Finlande) envisagent de rendre le travail facultatif : ce qui veut dire qu’on rentre de vacances quand on veut – et jamais si on le veut. Ce qui suppose que les gens rentreront effectivement pour travailler, et que peut-être ils prendront encore moins de vacances qu’aujourd’hui.
Ça, c’est ce qu’on appelle « le revenu universel ». Revenu universel ? Comment ça marche ?
- Dans les pays qui l’adopteront on versera à chacun une allocation uniforme (entre 800 et 1000 euros mensuels) sans condition de ressources ou de travail. On trouvera ici des détails plus  approfondis sur la question, mais il suffit quand même de se rappeler combien d’allocations sont déjà versées pour comprendre qu’en les mettant bout à bout, on n’arriverait pas loin du résultat escompté.
Bref : aller travailler sans obligation, simplement parce que c’est une manière de s’insérer dans la société, est-ce une utopie ? On lira en annexe les réflexions de feu Jacques Marseille, qui n’avait rien d’un utopiste.
o-o-o
« Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front » : pourquoi ne pas surmonter cette malédiction ? On a déjà l’accouchement sans douleur, pourquoi pas le travail sans souffrance ?
Rentrer de vacances parce qu’on en a assez et qu’on préfère reprendre le travail, serait une utopie ? Probablement pas : moi je pense qu’il y a beaucoup de gens qui le font déjà mais qui ne l’avouent surtout pas. Des hypocrites, comme ces profs qui brûlent du désir de retrouver leurs élèves, mais qui retrouvant leurs collègues lors de la pré-rentrée :
- Dites-moi, chers collègues, combien de semaines jusqu’aux vacances de la Toussaint ?
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Annexe

« Le pari de l'allocation universelle est que l'insertion sociale ne peut se construire sur la contrainte mais sur la confiance placée dans les bénéficiaires de ce nouveau droit. Une utopie, sans doute, pour tous ceux qui n'accordent aucune confiance aux individus et pensent que seule la contrainte de "gagner son pain à la sueur de son front" est le meilleur garde-fou contre la paresse. Un pari sur l'intérêt et la nature humaine pour tous ceux qui pensent au contraire qu'un individu préférera toujours cumuler ce revenu à un autre salaire, surtout quand ce salaire correspondra à un travail qu'il aura librement choisi. »  Jacques Marseille, L'Argent des Français, chap. 32, Éditions Perrin, 2009.

Sunday, August 30, 2015

Citation du 31 aout 2015

C’est un malheur du temps que les fous guident les aveugles.
William Shakespeare – Le roi Lear
Les fous précipitent les hommes qui les suivent vers l’abime. Les aveugles qui les suivent ne voient pas où on les entraine. Donc :
1 – Ceux qui peuvent guider les autres (= qui ont le pouvoir de le faire), ne savent pas le faire de façon raisonnable.
2 – Ceux qui obéissent ne savent pas évaluer les ordres aux quels ils obéissent.
Vu comme ça, et dans la perspective de la vie politique actuelle on ne peut que souscrire au jugement de Shakespeare.
Bien sûr, ces propos sont pessimistes. De plus, ils semblent cautionner les ennemis de la démocratie : « Trouvons, nous disent-ils, les meilleurs et donnons leur le pouvoir tout en empêchant le peuple de les chasser pour remettre les fous à leur place ».
Ensuite, on peut imaginer que si les fous guident le peuple, c’est parce que justement il faut être fou pour prétendre faire une telle chose. Ce qui reviendrait à dire qu’au lieu de vouloir gouverner un pays, il vaudrait mille fois mieux laisser les choses se faire comme ça, sans qu’on prétende y changer quoique ce soit, sans prétendre faire avancer le coche comme la mouche de la fable.
Oui, mais alors, à qui s’en remettre ?
Demandez aux Grecs (1), vous verrez ce qu’ils vous répondront.
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(1) Je parle des grecs d’aujourd’hui, pas des concitoyens de Platon.

Citation du 30 aout 2015

Honi soit qui mal y pense

Rien n'est bon ni mauvais en soi, tout dépend de ce que l'on en pense.
Shakespeare – Hamlet


Deux approches de la même idée, toutes deux venant de notre voisine et amie, l’Angleterre.
1 – La jarretière accessoire vestimentaire des femmes, souvent assimilé à leur intimité et qu’on ne devrait pas évoquer en dehors de leur boudoir, peut devenir un insigne de la plus haute dignité – telle que les plus grands du royaume soient honorés de l’arborer.
L’idée est qu’il ne faut pas honnir quiconque, car l’honneur n’est pas forcément  lié à une apparence visible ; la véritable grandeur d’un homme est dans la considération qu’on lui accorde. Une autre idée est aussi que la puissance d’un grand roi s’évalue à sa capacité à hisser le plus vil ornement à hauteur des plus grandes distinctions. Il arrive que ce qui touche à l’intime des rois corresponde à ce phénomène : ainsi de la maitresse de Louis XV (La Poisson devenue Marquise de Pompadour) ; ainsi de la jarretière de la comtesse de Salisbury, maitresse du roi Édouard III.
2 – Le bon et le mauvais dépendent tous les deux non de la réalité auxquelles on applique ces évaluations, mais de l’évaluateur lui même. On pense bien sûr à l’ouvrage de Nietzsche Par delà le bien et le mal (1).

Sans vouloir forcer la ressemblance (mais après tout qu’importent les siècles qui séparent Shakespeare de Nietzsche ? La philosophie touche ici des concepts sur les quels l’histoire n’a pas de prise), la question de l’origine des valeurs se trouve évoquée dans des contextes identiques. Il n’est pas dans notre capacité de rencontrer le mal absolu : tout ce qu e nous pouvons dire c’est que notre être est dans sa totalité convulsé par les horreurs commises par des hommes : le mal nait de cette convulsion.
Alors, je sais que ça nous coute beaucoup de dire une chose pareille devant les abominations commises par certains. Mais certaines de ces abominations sont encore plus abominables lorsque ceux qui les commettent prétendent le faire au nom du Bien absolu. Ainsi des viols « religieux » des adeptes de l’Etat Islamique.
Révoquer le mal absolu c’est aussi révoquer le Bien absolu.
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Citation du 29 aout 2015

L’intempérance animale dans la jouissance de la nourriture est l’abus des moyens de jouissance, qui contrarie ou épuise  la faculté d’en faire un usage intellectuel.
Kant – Doctrine de la vertu (Première partie, section 1, article 3, §8)
(Lire le texte complet en annexe)


Pire que l’abus d’alcool, pire aussi que l’usage des stupéfiants qui stimulent un moment l’imagination, la gloutonnerie est une jouissance animale parce qu’elle n’occupe que les sens et jamais l’imagination ; elle met donc dans un état encore plus proche de la brute.
La faute n’est pas seulement de rechercher la jouissance pour elle-même, de vivre comme un des ces « pourceaux d’Epicure » (1). Plus grave peut-être, cette faute consiste à refuser de rechercher la jouissance par des moyens « intellectuels ». Car enfin, je peux aussi user de mon intellect et de mon imagination pour en tirer un plaisir. Ainsi, moi qui vous parle, je suis entrain de jouir en écrivant ces petits textes qui flattent mon narcissisme (2) : et si ce n’était que pensum, je ne me livrerais sans doute pas si volontiers à ce travail.
Ainsi donc, ce qui est indigne de l’homme ne consiste pas à chercher le plaisir, mais à l’obtenir sans la complicité de son esprit.
A ce titre (et toujours selon Kant), la drogue (« l’opium et autres productions du règne végétal ») est moins coupable que la gloutonnerie parce qu’elle stimule pour commencer les forces imaginaires dont le texte (cf. en Annexe) nous dit qu’il s’agit d’un jeu actif des représentations.
Bon. Et si on trouve quelque substance d’origine végétale qui stimule encore plus l’imagination, ne serions nous pas justifiés d’en consommer ? C’est ce qu’ont pensé beaucoup de poètes et artistes, dont André Breton.

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(1) Horace, Epitres I, 4 «Au milieu de tes espérances, de tes soucis, de tes craintes, de tes emportements, regarde comme le dernier chacun des jours de ta vie. L'heure que les dieux y ajouteront, tu la recevras avec reconnaissance, comme une faveur inattendue. Si tu veux rire, viens me visiter ; tu verras un homme gras, poli, fort occupé de sa peau, un pourceau d'Épicure. »
(2) Evidemment, ce genre de plaisir n’a qu’un temps : il s’agit ensuite d’expurger ces productions de tout ce qui n’a d’autre effet que de donner un plaisir complaisant.
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Annexe :
« L'intempérance animale dans la jouissance de la nourriture est l'abus des moyens de jouissance, qui contrarie ou épuise la faculté d'en faire un usage intellectuel. Ivrognerie et gourmandise sont les vices qui rentrent sous cette rubrique. En état d'ivresse l’homme doit être traité seulement comme un animal, non comme un homme. Gorgé de nourriture et un tel état il est paralysé pour un certain temps, s’il s'agit d'actions qui exigent de l'adresse et de la réflexion dans l'usage de ses forces.- Que ce soit transgresser un devoir envers soi-même que de se mettre en un tel état, c'est là ce qui tombe sous les yeux. Le premier de ces états qui nous ravalent en dessous de la nature animale même, est habituellement l'effet de boissons fermentées, mais aussi d'autres moyens de s'étourdir, tel l'opium et autres productions du règne végétal, et il est séduisant par le fait qu'il procure pour un moment le bonheur rêvé, qu'il libère des soucis et donne même des forces imaginaires ; mais il est nuisible parce qu'il entraîne par la suite abattement, faiblesse, et, ce qui est le pire, la nécessité de prendre à nouveau du produit qui permet de s'étourdir et même d'en prendre plus. Aussi bien la gloutonnerie (gefrässigkeit) peut encore être classée parmi les jouissances animales, puisqu’elle n’occupe que les sens, qu’elle laisse dans un état passif, et jamais l’imagination, comme il arrive dans l’état précédent où se rencontre un jeu actif des représentations ; elle est donc encore plus voisine de la jouissance de la brute. » Kant Métaphysique des mœurs, Doctrine de la vertu, § 8


Friday, August 28, 2015

Citation du 28 out 2015

Le nu éveille des émotions excessives. La chasteté du vêtement les tempère. Comment dicter des lettres raisonnables à une secrétaire nue?
André Maurois – Lettres à l'Inconnue
Une secrétaire nue ? Fi donc ! Quelle vulgarité ! Une secrétaire sexy oui – car ce qui compte, ce n’est
pas de voir sa secrétaire nue, c’est de l’imaginer.
Voilà une raison de plus pour souscrire à l’avis de Maurois : Le nu éveille des émotions excessives. La raison d’être du vêtement est justement de neutraliser cet effet du corps sur la sexualité. Bien sûr il ne peut jouer ce rôle que dans un contexte social donné, puisque l’émoi sexuel n’est pas seulement lié à des données physiologiques, mais aussi à des tabous sociaux-culturels.
- Sinon, comment comprendre que pour les musulmans une mèche de cheveux suffise à mettre leur sexualité en émoi ? D’ailleurs c’était la même chose chez nous quand une femme « en cheveux » passait pour être une femme de mauvaise vie. Mais comme on dit : « Ça, c’était avant ». Aujourd’hui, tout cela s’est envolé, et de nouveaux codes ont pris la place : si le vêtement habille, il dénude aussi, comme le montre la photo jointe.

Oui, ça, c’est aujourd’hui. Mais est-ce toujours vrai ? Songeons à ces photographies d’art montrant des femmes dénudées, photos si léchées (sic) si élégantes que les formes qui s’y dévoilent nous tiennent à distance par leur perfection formelle. Comme tout ce qui est artistique, le nu ici ne déroge pas à la pureté, du moins pas à celle de l’émotion.


--> Occasion de distinguer entre ce qui est de l’art et ce qui n’en est pas. L’art dégage les formes de leur matérialité et de leur fonctionnalité. Un sein, un sexe sont pour le sculpteur ni plus ni moins que des formes pour faire vibrer la lumière, pour faire rebondir le regard de courbes en courbes.