Saturday, March 31, 2007

1er avril 2007

Cher amis,
La citation du jour a décidé de réunir tous ses fidèles lecteurs sur le parvis du Trocadéro ce soir à 18h afin de faire connaissance.
Je vous propose donc un jeu destiné à faire mieux connaissance.
1- Vous apprenez cette chanson :

2 - Ce soir, au Trocadéro, vous formerez un cercle. Tout en chantant, vous vous passerez un ballon (rouge). Celui qui se retrouvera avec le ballon à la fin de la chanson se présentera en disant son nom.
Mon nom est…
Pour ceux qui se connaissent déjà, on peut faire le même jeu mais, cette fois-ci, celui qui dit son nom le fera d’une façon prédéterminée: rapidement, lentement, d’un ton fatigué, fâché, fort, faible, joyeux, en chantant, en murmurant, etc.
A bientôt chers amis.

Friday, March 30, 2007

Citation du 31 mars 2007

On disait à Delon, médecin mesmériste: «Eh bien! M. de B... est mort, malgré la promesse que vous aviez faite de le guérir. - Vous avez, dit-il, été absent, vous n'avez pas suivi les progrès de la cure: il est mort guéri.»

Chamfort - Maximes et Pensées

Voici ce que j’écrivais dans mon message du 13 mars 2006.

« On demandait un jour au concours d’infirmières de réfléchir à une statistique montrant qu’en 20 ans le nombre des décès à l’hôpital (comparé à celui des décès à domicile) avait augmenté dans des proportions extraordinaires. Une candidate répond : « les gens meurent d’avantage à l’hôpital qu’à leur domicile parce qu’ils sont plus nombreux à mourir malades. C’est un problème de santé publique. »

Donc, autrefois on mourait en bonne santé, et les progrès de la médecine nous ont juste permis d’attendre d’être malades pour mourir. Qu’en penserons-nous ?

Je laisserai de coté les questions si épineuses des causes de la mort naturelle : après tout je ne sais même pas si les généticiens ont résolu le problème : s’agit-il d’une déglingue accidentelle mais inéluctable, comme l’entropie dans l’Univers ? Y a-t-il un gène létal qui nous occis de façon programmée à l’avance ?

Par contre on peut se demander avec plus de pertinence s’il faut absolument mourir de maladie. N’est-ce pas le problème affronté par les cas d’euthanasie ? J’entends bien que l’euthanasie s’applique à des malades incurables, et non à des gens biens portants. Mais le problème avec la médecine moderne, c’est qu’elle peut empêcher - provisoirement, mais durablement - un tel malade de mourir. Votre cancer généralisé (voir là encore la citation du 13 mars 2006), il aurait dû vous tuer il y a longtemps, bien avant qu’il vous fasse si horriblement - et si longuement -souffrir. C’est même ce que soutenait Epicure : si tu souffres rassure-toi : ça ne va pas durer longtemps, parce que la mort mettra fin à tes tourments. Hé bien, voilà : votre cancer, vous pouvez en profiter pendant 6 mois de plus.

Six mois de souffrance en plus : profitez-en pour mériter votre paradis.

Thursday, March 29, 2007

Citation du 30 mars 2007

Le meilleur moyen de consoler un malheureux est de l'assurer qu'une malédiction certaine pèse sur lui. Ce genre de flatterie l'aide à mieux supporter ses épreuves, l'idée de malédiction supposant élection, misère de choix.

Emile CIORAN - Écartèlement

Pourquoi la souffrance ? Pourquoi le mal ? A cette question, la réponse la plus courante est : « nous souffrons parce que on nous veut du mal ; on nous veut du mal parce qu’il y a des méchants ». Là dessus Cioran pousse un cran de plus : si les méchants nous veulent du mal, à nous, ce n’est pas seulement leur nature mauvaise qui en est la cause ; c’est aussi parce que nous sommes intéressants. C’est nous, personnellement qui sommes visés. Prétexte consolateur, ou paranoïa ?

- Paranoïa ? Peut-être. Mais je trouve plus intéressant de voir ici l’une des thèses abordée dans le Livre de Job (1) : c’est parce que Job était à la fois puissant et vertueux qu’il a été l’objet de cette expérience satanique de la tentation de renier Dieu dans le malheur. Il fallait, pour que cette expérience soit significative, aller à l’extrême : extrême malheur de celui qui tombe de haut (plus dure est la chute) ; extrême injustice de l’homme pieux, frappé plus durement que l’impie, du juste traité comme le pire des criminels…

- Prétexte consolateur ? Cioran, dans son pessimisme habituel, nous dépouille de notre consolation : « Nous sommes des farceurs, dit-il, nous savons bien qu’il n’y a que le désespoir qui soit vrai, mais nous faisons comme si il y avait un salut à espérer de quelque part… » Mais là aussi, le Livre de Job contient une réponse à Cioran.

La réponse du Livre de Job, c’est que le monde est opaque : Dieu est caché dans les nuées et sa volonté nous est inconnue. La prétention intenable de Job est justement de prétendre mériter d’être chéri de Dieu en raison de sa vertu. Cioran fait comme si le monde était transparent, comme si rien ne nous échappait. Au fond les pessimistes sont tous comme ça : pour eux le mal est évident. Voyez Schopenhauer : il passe sont temps à nous dire : « Allez voir les champs de bataille, les hôpitaux, les prisons, et revenez me dire si vous croyez en la bonté du monde. » Dieu s’adresse à Job : « Où étais-tu quand je fondais la terre ? Dis-le moi, puisque tu es si savant. » (Job, 38-4).

Conclusion : le malheur est un mystère dont la solution nous échappe nécessairement. Mais, la seule chose dont on soit certain, c’est qu’il n’est pas absurde.

Plus que le reniement de Dieu, c’est l’absurdité qui est impie.


(1) Le livre de Job : à lire ici
Sur le livre de Job, on peut lire ceci
Si on est pressé, on peut lire ça

Wednesday, March 28, 2007

Citation du 29 mars 2007

Il est beau de ne pratiquer aucun métier, car un homme libre ne doit pas vivre pour servir autrui.

Aristote - Rhétorique

Voilà une citation dont on serait tenté de se détourner d’un haussement d’épaule : voilà bien, dirait-on, une pensée d’esclavagiste, qui assimile le travail à un statut social - le servage.

Bien sûr, mais regardons-y à deux fois avant de jeter l’eau du bain : le bébé n’y serait-il pas resté ?

- D’abord, il y a cette idée, que si le travail est toujours pour servir autrui, c’est parce qu’on ne peut se contenter de consommer ce qu’on produit soi-même. Il s’agit donc du travail social : il ne s’agit pas de faire pousser ses salades pour les manger avec les œufs de sa basse-cour. Il s’agit d’échanger ces produits avec ceux d’autres producteurs pour arriver à satisfaire tous les besoins de la vie. Si le travail limite ma liberté, c’est parce que je ne peux travailler que si en face il y a quelqu’un pour acheter mon produit. Combien d’étudiants en philo (mais aussi en psycho) se sont avec dépit rendu compte que la philo, décidément, y a pas d’acheteurs pour ça ? Voilà une idée.

- Maintenant, deuxième idée : pour être libre, il ne faut pas travailler pour autrui. Et si je ne travaille pas pour autrui, je ne travaille pas du tout ? Ça dépend. Si je travaille pour moi-même, je suis libre, mais à condition que ce travail ne serve pas à satisfaire des besoins, mais serve à développer mes capacités. En effet : je fais pousser des salades : si c’est pour me nourrir, mon travail n’est pas libre, puisque je n’ai pas le choix, sa finalité (= me nourrir) étant contrainte par la nature (les besoins) de mon corps. Mais si c’est pour apprendre comment vivent des plantes, pour développer mon intelligence et élargir ma vision du monde, alors, oui : là je suis libre, parce que mon action n’a que moi-même pour fin. Seulement, Aristote n’appelle pas ça du travail ; il appelle ça du loisir.

Alors, jeunes gens, restez le plus longtemps possible chez papa-maman, c’est là que vous serez les plus libres.

Et tant que vous y êtes, votez pour le candidat qui vous promet la retraite à 50 ans (heu, non : 40 ans).

Tuesday, March 27, 2007

Citation du 28 mars 2007

Un baiser, mais à tout prendre, qu'est-ce? Un serment fait d'un peu plus près, une promesse plus précise, un aveu qui veut se confirmer, un point rose qu'on met sur l'i du verbe aimer; c'est un secret qui prend la bouche pour oreille.

Edmond Rostand - Cyrano de Bergerac II, x

Je suis sûr qu’avec la venue du printemps, la poursuite de l’enquête commencée par La citation du jour sur le baiser ne va pas manquer de vous passionner.

Je vais laisser les amateurs de poésie sirupeuse se délecter avec le « point rose qu'on met sur l'i du verbe aimer »… après tout je n’ai pas grand chose à en dire. En revanche, la formule finale m’intéresse d’avantage : « un secret qui prend la bouche pour oreille ».

D’abord il ne s’agit pas du bisou, mais du baiser amoureux, le baiser sur la bouche. On a déjà vu ça avec Rodin. Mais nous avions vu aussi que pour ce baiser, la pose n’était pas des plus évidentes, et même que la physiologie du visage ne s’y prêtait pas volontiers (1).

La question est donc : quel est l’endroit le plus propice pour déposer un baiser ? Je ne parle que du visage, nous sommes entre gens de bonne compagnie, tout de même !

Voici une réponse :


Klimt - Le baiser (détail)

Klimt nous propose le baiser sur la joue : à mi-chemin de l’oreille et de la bouche, là où l’espace « baisable » (« bisable », si vous voulez) est suffisamment large, et qui présente un aplat qui évite tout glissade intempestive, là enfin où le nez de l’un n’entre pas en conflit avec celui de l’autre (1).

Bon, je devine une déception chez certains de mes lecteurs : vous trouvez que tout ça c’est seulement pour le fun et que le surplus de sens n’est pas au rendez-vous… On devient exigeant à ce que je vois.

Alors que pensez-vous de cette conception du secret - ou de la confidence plutôt - « qui prend la bouche pour oreille » ? Ça veut dire que le baiser remplace le langage, ou si vous préférez le langage des amoureux est fait de contacts physiques et non de symboles. S’agit-il toujours d’un langage ? Je serais tenté de croire qu’il n’en n’est rien : là où il n’y a pas de signe arbitraire, il n’y a pas de langage. Mais les amoureux vont me démentir, eux qui soutiennent que :

… l'on croit toujours
Aux doux mots d'amour
Quand ils sont dit avec les yeux… (lire la suite)


(1) Voir citation du 9 novembre 2006

Monday, March 26, 2007

Citation du 27 mars 2007

Qu’un sang impur / Abreuve nos sillons

La Marseillaise

La saviez-vous.

Le sang impur, qu’est-ce que c’est ?

… Alors voilà, c’est chaque fois la même chose. Quand quelqu’un s’exclame : « Patrie, Bleu-Blanc-Rouge, Marseillaise », vous avez un ronchon (1) qui répond : « Qu’un sang impur abreuve nos sillons : c’est ça que vous voulez faire chanter à vos enfants dans les écoles ? »

Un peu d’histoire pour nous rafraîchir la mémoire (en vous épargnant l’exposé complet)

Avec Galien, le sang est une sécrétion, il est assimilé à une humeur : issu du foie, il fait un circuit dans le corps, mais il disparaît au cours de sa circulation, et il faut une nouvelle production pour qu’il circule de nouveau (2). Si le sang disparaît en circulant, c’est parce qu’il est un aliment : c’est la nourriture qui le produit, d’où l’importance de la diététique pour son épaisseur, sa couleur, sa qualité nutritive, etc. Vous avez compris que le sang impur est encombré de résidus de nourritures impropres à la santé de l’organisme. Vous avez compris aussi que ce n’est pas avec cette conception qu’on peut expliquer les paroles de la Marseillaise.

Mais une autre conception apparaît au XVIIIème siècle : le sang est alors porteur de l’hérédité, sens qu’il a encore obscurément de nos jours : c'est le sang bleu des nobles, le pur-sang chevalin, les métis de sang-mêlés, etc. C’est ainsi que le sang devient synonyme de race. Avec cette confusion qu’on va retrouver après Gobineau (3) entre pureté du sang et supériorité de la race : pour les nazis, les juifs étaient issus du mélange de toutes les autres races ; ce sont des dégénérés. Le sang impur serait donc soit celui d’une race inférieure, soit celui qui résulte du mélange des races.

Et ça, Rouget de Lisle ne le précise pas.

(1) Voir José Bové dans Libé d’hier

(2) Le rôle de la saignée s’explique alors par un défaut dans cet écoulement : une trop grande réplétion du sang doit être corrigée par une ponction.

(3) Gobineau - Inégalité des races humaines (voir des extraits du texte)

Sunday, March 25, 2007

Citation du 26 mars 2007

- Monsieur, si j'étais votre épouse, je mettrais de l’arsenic dans votre café.
- Madame, si j'étais votre mari, je le boirais.

Sir Winston Churchill - Dialogue avec Lady Astor. (1)

Lady Astor était-elle toxique à ce point? J’avoue n’en rien savoir. Mais ce qui est sûr, c’est que bien des couples pourraient échanger de tels propos pour peu qu’ils aient de l’esprit. Comment la vie de couple peut-elle devenir un tel enfer ?

- Qui peut répondre à cette question ? Où il est passé, le philosophe, qu’on lui demande s’il existe une philosophie du couple ?

- Pas de panique : il suffit de demander à Platon, avec le Banquet, la référence première. On y trouve l’idée que le couple résulte de la partition regrettable d’un être mythique (voir citation du 18 janvier) : le couple naît de la complémentarité entre deux êtres. Pas de quoi préférer l’arsenic… Mais attendez la suite : lorsque le couple s’établit, c’est dans la durée. Et que dit Platon ? Que les amants ne savent pas eux-mêmes pourquoi ils restent ensemble, étant entendu que la jouissance sexuelle, ça n’a qu’un temps. Il leur faut la révélation d’un Dieu (Héphaïstos en l’occurrence), pour découvrir que ce qu’ils attendent l’un de l’autre : c’est de constituer un seul tout, être soudés l’un à l’autre, ou fondus dans le même alliage ; il leur faudrait son pouvoir de Dieu forgeron pour y arriver. Le couple doit être fusionnel, mais comme c’est impossible, alors ça ne marche pas.

- Vite, de l’arsenic ???

- Allons, allons, un peu de patience : tenez on n’a pas encore consulté Kierkegaard. Lui, c’est un spécialiste du mariage : ça vous va ?

Le mariage correspond au stade éthique de l’existence, celui qui est juste après le stade esthétique. Dans le stade esthétique, on cherche le plaisir sensuel sans cesse renouvelé : c’est Don Juan. Dans le stade éthique, au contraire, c’est la fidélité à l’engagement qui prime : le mariage est une étape éthique de la vie, parce qu’il est indissoluble. Alors, si c’est avec l’être le plus exquis, n’est ce pas le paradis plutôt que l’enfer ?

- Ça ne marche toujours pas. Imaginez une vie entière avec la même personne, simplement parce qu’on s’est engagé par serment à lui être fidèle ? (2)

– Là c’est de la mort aux rats en tartine qu’il nous faut !


(1) Lady Astor to Churchill: “If you were my husband, I’d put arsenic in your coffee.”
Churchill: “Madam, if I were your husband, I’d drink it!”

sur Lady Astor : lire ceci

(2) Voir message du 25 février 2006, 2ème commentaire

Saturday, March 24, 2007

Citation du 25 mars 2007

Le passé, voilà l'ennemi; c'est ce qui me fait m'écrier dans toute la sincérité de mon âme: on mettrait le feu aux bibliothèques et aux musées qu'il y aurait pour l'humanité, non pas perte, mais profit et gloire.

Jules Vallès - Lettre ouverte à M. Covielle, le Nain jaune, 24 février 1867

Faut-il brûler les livres ? Jules Vallès répond oui, au nom du progrès.

Scandale ? Bien sûr quand on voit avec quels compagnons il se retrouve en se rangeant parmi les destructeurs de bibliothèques et de musées.

Mais pour qui n’a pas peur des mots, l’idée est peut-être moins révoltante qu’il n’y parait. Il ne se pose pas en « Big Brother », qui bave de haine devant les intellectuels et les artistes. Il se pose en défenseur de l’innovation et de l’invention, contre les oukases des docteurs au bonnet carré, ou des prêtres qui prospèrent dans l’obscurité et la peur.

Le passé inhibe, il encourage à faire ce qui ne marche plus, il décourage de tenter ce qui n’a jamais été fait. Le passé est un carcan stérile, et quand il est historique, c’est encore pire : « produit le plus dangereux… » disait Valéry (voir citation 5 avril 2006).

Que faire du passé ? Si on ne le rejette pas, il faut :

- soit l’inscrire dans une continuité qui, partie de loin, aboutit à nous, avec l’inconvénient de croire qu’à chaque étape, à chaque œuvre nouvelle (référence aux bibliothèques et aux musées), c’est nous mêmes qui étions le but visé. Le passé sert à notre auto-glorification.

- soit le considérer comme une première présentation de ce qui existe toujours aujourd’hui, de ce qui a donc toujours existé. Et alors le passé n’est pas dépassé ; il n’est même pas passé (1).

- soit le considérer comme ayant un intérêt en soi, mais on risque alors de devenir antiquaire.

Pourquoi pas. Mais je dirais tout de même que Jules Vallès n’écrirait plus aujourd’hui cette lettre : les bibliothèques sont vides (2), quant aux musées, s’ils sont remplis, c’est avec de gens qui cherchent des idées pour décorer le mur au dessus du buffet de la salle à manger

(1) Beau sujet pour une dissert de philo, vous ne trouvez pas ?

(2) C’est faux ? Sans doute parce qu’elles sont devenues « médiathèques » où on emprunte CD et DVD

Friday, March 23, 2007

Annexe au post du 20 mars 2007

Le mieux serait de lire l’ouvrage de Rancière cité dans le message. Faute de mieux, je renvoie au commentaire en ligne du même Rancière, sachant qu’à la suite d’une corruption son texte est présenté sans aucun paragraphe : c’est plutôt indigeste…Dans ce qui va suivre, j’ai volontairement laissé de coté l’aspect politique.

Par ailleurs, vouloir « expliquer » le texte de Rancière, c’est entrer dans la contradiction en prétendant « expliquer » qu’on ne doit jamais expliquer (car telle est la thèse de Jacquotot).

- Voici quatre thèses de son texte :

1 « C’est un maître qui enseigne - c’est-à-dire qui est pour un autre cause de savoir - sans transmettre aucun savoir »

2 « la " transmission du savoir " comprend en fait deux rapports intriqués et qu’il convient de dissocier : un rapport de volonté à volonté et un rapport d’intelligence à intelligence »

3 « le maître ignorant n’exerce aucun rapport d’intelligence à intelligence . Il est seulement une autorité , seulement une volonté qui commande à l’ignorant de faire le chemin , c’est-à-dire de mettre en oeuvre la capacité qu’il possède déjà, la capacité que tout homme a démontrée en réussissant sans maître le plus difficile des apprentissages : celui de cette langue étrangère qu’est pour tout enfant venant au monde la langue dite maternelle ».

4 - « Postulat de l’égalité des intelligences : le maître et l’élève sont à égalité dès lors que l’un veut être compris de l’autre. Le reste est affaire d’autorité : il faut contraindre l’élève à faire l’effort de chercher à comprendre. »

- Voici deux témoignages :

1 - celui d’une prof d’anglais qui enseigne à des élèves débutants de 6ème :

Mon rôle consiste énormément à encourager mes élèves ou plutôt à faire en sorte qu'ils gardent confiance en eux malgré leurs erreurs répétées (et c'est pas si simple!). Quand cette partie là est gagnée alors la motivation vient tout naturellement et ne demande pas tant d'efforts que ça. Mon rôle consiste aussi à contrôler leurs acquis (c'est indispensable pour préparer les cours). Mais je suis pour mes élèves et surtout en 6ème leur principale source de vocabulaire et de structures grammaticales. J'essaie de laisser le plus possible la parole à mes élèves mais c'est après avoir injecté les outils nécessaires à la réalisation de la tâche que je veux obtenir d'eux. Donc, maître-ignorant me paraît un peu extrême. Ce que je pourrais ignorer et qui n'entraverait peut-être pas vraiment l'apprentissage de la langue pour mes élèves ce sont les termes grammaticaux et autres découpages linguistiques. En fait ma classe est comme un bain dans la langue et la culture anglophone et mon enseignement calqué sur l'apprentissage de la langue maternelle. Je suis donc d'accord pour dire qu'il n'y a pas de méthode. Chacun intègre à sa vitesse et à sa façon. Il est donc primordial d'accepter l'erreur. La seule méthode que j'applique est dans le choix des supports et des thèmes enseignés. A travers ce choix j'amène les élèves à découvrir, utiliser puis intégrer un champ lexical particulier et des structures ciblées (le tout reste quand même très varié bien sûr). Je mets en fait en place au contexte pour que les élèves accèdent au sens et mémorisent plus facilement.

2 - celui du prof de philo que j’ai été jusqu’à la rentrée dernière :

D’abord, les élèves qui ne comprennent pas ce qu’on leur explique ont en fait compris quelque chose qui fait justement obstacle à ce que je cherche à leur passer. Ça ne sert à rien de leur expliquer, tant qu’on n’a pas compris soi-même à quoi ils pensent. Il faut débusquer cette pré-compréhension spontanée qui doit être comparée à ce que reçoit l’élève et modifiée en fonction de ça.

Exemple : mon élève ne comprend pas des exemples de jugements logiques (du genre le cheval est blanc). Elle me dit : « Mais les jugements, c’est quand on a fait quelque chose de défendu par la loi. » C’est là que le maître ignorant intervient (ignorant : entendez qu’il n’a pas besoin d’expliquer mais seulement de présenter): «Ecoute, les mots ont plusieurs sens, tu dois admettre que le mot jugement désigne aussi une certaine manière de formuler sa pensée. »

Autre exemple - Je reçois un sujet de bac blanc : le commentaire de texte est balisé par de nombreuses marques fluo : roses, vertes, bleues. Mes élèves étaient comme ça : à la première lecture, avant d’avoir compris quoique ce soit au texte - pire : pour le comprendre - on recherche les mots charnières, balises, tout ce que vous voudrez, « Comme, Mais, Car, Toutefois…. » Comme s’ils avaient un sens en eux-mêmes, comme si le texte était un train fait de wagons accrochés les uns aux autres. Le pire, c’est que certains de mes collègues (attention, je balance : c’étaient des profs de français, pas de philo !) leur avait appris qu’il fallait le faire. Le prof de philo, c’est quelqu’un qui va dire : « Faites une hypothèse sur le sens du texte, et puis soumettez cette hypothèse à la lecture : s’il y a des passages obscurs ou incompréhensibles, c’est sans doute le signe qu’il faut modifier votre hypothèse. »

Ce prof est le maître-ignorant de Jacquotot parce qu’il est là, à coté de l’élève à lui dire : « C’est ton travail, personne ne peut penser à ta place. Qu’est-ce que tu veux dire, ? formule ta pensée autrement. Moi j’ai compris ça : est-ce bien ce que tu veux dire ? » Je ne crois pas qu’il y ait d’autres exercice qui veillent pour apprendre à philosopher.

Citation du 24 mars 2007

Je mettais entre les excès toutes les promesses par lesquelles on retranche quelque chose de sa liberté.

René Descartes - Discours de la méthode (1637) (3ème partie - 1ère maxime)

Ah !... Le ministère de l’identité nationale ! Vivement qu’il existe, parce que je suis certain que Descartes en sera l’emblème le plus brillant : comme on le sait, le français est cartésien, alors on va sans doute mettre au programme des écoles l’étude du Discours de la méthode. C’est sûr….

Hé bien, justement, ceux qui devraient l’étudier, ce Discours, ce sont les candidats à l’élection présidentielle. Parce que leur méthode pour agir sur l’opinion, c’est la promesse. Normal, si vous y pensez un peu : un candidat n’a pas de pouvoir, il ne peut rien faire d’autre que d’annoncer ce qu’il fera si…

Seulement, voilà, Descartes nous dit : attention ! Ne faites pas de promesses. Et non pas parce qu’on ne pourrait pas les tenir. Mais parce que ça limite notre liberté : c’est sûr que si on a promis quelque chose, on est moins libre que si on ne s’est engagé à rien.

Alors, Descartes nous explique : on peut faire et respecter des contrats juridiques, on peut exiger par la loi que certaines de nos promesse soient tenues « pour la sûreté du commerce ». Mais, nous dit-il, « je ne voyais au monde aucune chose qui demeurât toujours en même état » : la promesse a lieu dans un monde, et son exécution dans un autre. La liberté, c’est de pouvoir s’adapter au monde, agir en fonction de ce qu’il est et non de ce qu’il a été.

L’exemple, c’est dans la pièce de Sartre Les mains sales qu’on le trouve. Hugo, le personnage principal, est un militant qui vient d’être libéré après une peine de prison qu’il a purgée pour avoir assassiné le dirigeant du parti ennemi. Ses anciens amis le recueillent et lui expliquent que désormais ils ont fait alliance avec ce parti. Il doit désavouer son engagement politique, ou bien devenir lui-même l’ennemi. C’est ce qu’il fait : « irrécupérable » : tel est le mot de la fin.

Le candidat qui ne promet rien (il parait qu’il y en a un), c’est celui qui conserve toute sa liberté d’action. On ironise sur cette promesse de ne pas promettre, parce qu’on ne comprend pas l’enjeu philosophique : y a-t-il une action politique là où il y a contrainte ?

Moi, j’ai une autre question : peut-on élire une liberté ?

Thursday, March 22, 2007

Citation du 23 mars2007

La censure est la formule ratée de la critique

Miss.Tic

- Est-ce qu’on peut couper Miss.Tic en deux ? - D’un côté la Miss, et de l’autre le Tic ???? - Mais non. Est-ce qu’on peut couper en deux ses pochoirs ?
Vérification.

1er temps : la formule toute seule

Une formule bien balancée oui, c’est vrai, faisant de la censure une forme d’impuissance : quand la critique a échoué, et qu’on ne sait plus quoi faire, on censure. Faute de dire pourquoi on n’aime pas, on supprime. La force brutale contre l’esprit, etc… C’est bien.


2ème temps : le pochoir tout seul

Là bien forcé de dire qu’on est devant une représentation de Bondage, voire même SM, ce qui n’est bien sûr pas incompatible. Seul une moitié de l’image est présentée : la Miss attachée par les pieds, qu’est-ce qu’on lui fait ? Chacun imaginera ce qu’il voudra pour la partie qu’on ne voit pas, mais on a l’impression que c’est la situation qui est évoquée, pas son exploitation. Et à juste titre, car…












3ème temps : l’ensemble

Voilà le pochoir entier. Bien entendu on comprend que la dénonciation de la censure s’applique à la scène SM. Et du coup tout cela change de signification, preuve qu’on ne eput séparer la formule du pochoir.

Et en effet :

1 - La censure est la formule ratée de la critique cesse d’être une idée générale, aseptisée, qu’on signerait comme on signe une pétition, pour devenir un engagement sulfureux, dangereux. Oui, si vous n’êtes pas capable de supporter ce que produit en vous l’idée du sado-masochisme, si vous ne comprenez pas que certains s’y adonnent ou en apprécient la représentation, alors vous allez censurer.

2 - Ensuite, la scène de bondage n’est plus destinée à exciter le mâle, ni à éveiller ses pensées « perverses ». Elle est là pour situer le rejet de la censure : il doit aller jusque là.

3 - Alors, certains diront : si on ne peut pas censurer ça, alors on ne peut plus rien censurer. Oui, pourquoi pas ?

Mais attention à la nuance : ne pas censurer ne signifie pas ne pas interdire : quelle est la différence ? Il n’est pas défendu de critiquer : « Dégradant, indigne de l’être humain, à bannir comme contraire aux Droits de l’homme… ». Ça ne veut pas dire censurer.

Selon moi, la censure porte sur des idées, l’interdit porte sur des actes. Sade a écrit des romans ; Robespierre a coupé des têtes : c’est ça qu’il aurait fallu empêcher… (1)

… Mais j’attends que Miss.Tic signe un pochoir « Il est interdit d’interdire »

(1) D’ailleurs sauf erreur, Sade a écrit les 120 journées de Sodome lorsqu’il était à la Bastille : ce n’est donc pas pour ça qu’on l’y a mis.

Wednesday, March 21, 2007

Citation du 22 mars 2007

Plus je connais les hommes, plus j’aime mon chien.

Proverbe

- Bonjour ma’me Denise, comment ça va ? Tient ! Et voici Nono : bonjour Nono, tu viens me donner la pa-patte ? Ho ! le pauvre, il boite ? Et puis il n’arrive même plus à lever la patte… Viens ici Nono, viens me voir… C’est vrai j’oubliais qu’il était aveugle.

Dites-moi, madame Denise, il faudrait pas le faire piquer Nono ? Parce que y a plus rien d’un chien dans vot’Nono ?

- Madame Marcelle, plus je vous connais, plus j’aime mon chien.

…Stop ! Arrêtons-nous ici. La question du jour n’est pas : « faut-il ou non faire euthanasier nos petits compagnons à quatre patte ? » ; elle est : « comment se fait-il qu’on aime d’amour nos animaux favoris ? ». Et je préviens tout de suite : je ne juge pas ; je n’explique pas. Je constate que ça existe et qu’on ne se l’avoue pas. S’agit-il d’un objet d’amour symbolique ? S’agit-il plutôt d’une connivence entre l’homme et l’animal qui remonte aux origines de notre espèce ? Qui saura le dire, le dira.

Comment expliquer le deuil qui suit la mort du chien ou du chat de la maison ? Comment comprendre qu’il arrive que notre Médor nous manque plus que le grand-père ? Oui, c’est ça qui dérange, mais il peut se faire qu’on de nos défunt soit moins pleuré que notre chien. Et quand Jacques Brel supplie l’amante qui l’a quitté, en lui disant qu’il veut être « l’ombre de son chien », (lire) on comprend qu’il accepterait de coucher en travers de sa porte pour être près d’elle ; mais en réalité, il ce qu’il veut, c’est compter autant que le chien.

Et c’est sans doute déjà beaucoup.

Tuesday, March 20, 2007

Citation du 21 mars 2007

Plaignons les tourterelles, qui ne baisent qu'au printemps!
Ninon de Lenclos (1616-1706)
Aujourd’hui, 21 mars, ayons une pensée pour célébrer la venue du printemps…
Comment le faire mieux qu’avec cette pensée de la délicieuse Ninon de Lenclos, courtisane adorée, femme de lettre admirée, qui a subjugué par son salon, l’«intelligentsia» française (1). Tout ça pour dire que si vous avez des doutes sur le sens du verbe « baiser », parce que, ma foi, au XVIIème siècle, il se peut qu’on entende par là le chaste frôlement des lèvres sur la main (oui, mais les tourterelles ???), alors c’est que vous êtes un gros naïf. Point final.
Donc, les tourterelles ne baisent qu'au printemps, parce qu’elle ne le font que pour procréer. Une fois par an, c’est bien suffisant compte tenu du temps et de la fatigue occasionnés par les soins à prodiguer à la couvée. Sachant que, si vous faites des enfants, vous en prenez pour 20 à 25 ans, j’ai un conseil à vous donner : soignez bien votre partenaire, parce que vous n’êtes pas près de recommencer.
Alors, si l’homme est supérieur à l’animal, ce n’est pas (ou pas seulement) par son intelligence, sa conscience morale, son essence divine, c’est aussi parce que sa sexualité échappe aux contraintes de la reproduction (2). C’est l’occasion d’évoquer Sade, qui stigmatisait « le plat souci de la propagation de l’espèce ». Que nous dit la nature ? Des faire des enfants ? Point du tout. La nature nous a dotés de molécules furieuses, issues de nos esprits animaux ; ce sont elles qui nous poussent vers les excès de la cruauté (et donc de la sexualité), elles qui expriment notre véritable nature. Pas de nature humaine sans excès : voilà la leçon de Sade. Et comment mesurer l’excès ? Par rapport à la nature animale ? Oui, bien sûr, mais surtout c’est la gaspillage et l’indifférence aux résultats qui comptent. La nature animale veut la reproduction, parce qu’il faut transmettre et conserver nos gènes (cf. le néo-darwinisme). L’homme dissipe et gaspille, parce qu’il n’est pas modelé par la nature.
1968 : on écrivait sur les murs « Je sperme à tous vents… » (3). Façon de dire qu’on n’est pas des tourterelles…
(1) Courtisane et femme de lettre elle sut parfois combiner ses deux talents, ainsi qu’en témoigne de quatrain du grand Christian Huyghens :
Elle a cinq instruments dont je suis amoureux:
Les deux premiers, ses mains ; les deux autres, ses yeux;
Pour le plus beau de tous, le cinquième qui reste,
Il faut être fringant et leste.
…Evidemment, on peut préférer sa prose, telle que révélée dans sa correspondance avec Descartes.
(2) Nous avions déjà abordé la question le 4 mars 2006 - avec Beaumarchais, preuve que de siècle en siècle l’intérêt pour cette question s’est maintenu.
(3) Voir mon message du 21 mars 2006 (oui, le printemps de l’an dernier)

Monday, March 19, 2007

Citation du 20 mars2007

A voir ce que l'école exige aujourd'hui de nos fils, je me demande combien de pères seraient capables d'être des enfants.
Paul Morand - Eloge du repos
Paul Morand a tort : au rythme où vont les réformes de l’école, les pères vont bientôt retrouver avec leurs enfants les méthodes et les programmes scolaires…de leurs grand mères. A quand les tabliers noirs, l’encre violette, et les coups de règles sur de pauvres mains gercées ?
Mais en attendant, la remarque de Paul Morand a été une vérité : au XIXème siècle, les ouvriers dont les enfants allaient déjà à l’école étaient incapables de suivre les progrès de leurs enfants : ils ne savaient pas lire.
Cette situation a fait l’objet d’une entreprise tout à fait exceptionnelle : il s’agit de celle de Joseph Jacquotot, dont Jacques Rancière retrace l’œuvre dans Le maître ignorant (1). Selon lui, les pères illettrés peuvent parfaitement aider leurs enfants à apprendre à lire, et même plus. Je me refuse à résumer cette œuvre, Rancière le fait d’ailleurs lui-même, et fort bien (lire ici). Sans passer par le déploiement d’une méthode, ce que je retiendrai, c’est l’exemple donné par Rancière d’un apprentissage sans maître : en effet, c’est ainsi que nous avons appris notre langue maternelle.
Comment se fait-il que les difficultés d’apprentissages de la lecture soient ciblées sociologiquement, si ce n’est que l’enfant apprend chez lui et non à l’école ? Réciproquement, pourquoi aucune méthode pédagogique ne permet-elle de surmonter ces difficultés de façon statistiquement valable (voir les statistiques sur la maîtrise de la lecture à l’entrée en 6ème)? La réponse de Jacquotot est simple : parce qu’il n’y a pas de méthode. Pas plus qu’il n’y a une « méthode » pour apprendre le vélo, il n’y en a pour comprendre. Le rôle du maître est de « faire faire », ou mieux encore, de faire-avec. C’est l’autodidacte qui a raison : simplement il doit être encouragé dans son effort, contrôlé dans ses résultats (là encore, il faut lire Jacquotot pour saisir sa démarche).
En tout état de cause, la citation de Paul Morand pointe quelque chose de central : l’école est le lieu de l’inégalité, et d’abord de l’inégalité maître-élève. Pour Jacquotot, cette présupposition d’inégalité a un effet : l’abrutissement. Que le maître soit ignorant (que le père illettré enseigne la lecture à son fils), et voilà l’inégalité première effacée. Rancière montre comment c’est possible avec Jacquotot, et si le cœur vous en dit, lisez son texte pour vous en convaincre (2).
Ni Dieu, ni maître…sauf si c’est un maître ignorant.
(1) Jacques Rancière - Le maître ignorant : Cinq leçons sur l'émancipation intellectuelle (10/18)
(2) J’avoue qu’il y a tant à dire sur ce sujet que je me sens à l’étroit dans la formule de ce blog. J’y reviendrai éventuellement, s’il y a de la demande…

Sunday, March 18, 2007

Citation du 19 mars 2007

La justice humaine, qui ne voit que les actions, n'a qu'un pacte avec les hommes, qui est celui de l'innocence ; la justice divine, qui voit les pensées, en a deux, celui de l'innocence et celui du repentir.

Montesquieu - De l'esprit des lois

Qui donc peut sonder les cœurs et les reins ? En général à cette question on répond : « Dieu », ce qui signifie que personne ne peut prétendre accéder à l’exacte connaissance des pensées et donc des motivations d’un individu qui a commis un crime. On ne peut donc condamner les pensées, mais seulement les actes ; et on ne peut tenir compte, en jugeant les actes, des sentiments, et donc du repentir. On ne peut pas relier la justice à la morale : l’absolution obtenue par le repentir moral ne peut donc exister. A la place on trouve la punition du criminel, qui doit porter sur l’acte, indépendamment des intentions. On ne peut pas faire plus.

Pourtant, on peut discuter : les intentions font bel et bien partie du droit pénal, et on ne condamnera pas de la même façon l’homicide crapuleux et l’euthanasie compassionnelle… Reste que c’est de l’à-peu-près, de l’estimation faite sur des apparences, et que la justice se trompe peut-être lorsqu’elle en tient compte, mais elle le fait pour éviter une plus grande injustice (1).

Mais je voudrais souligner quelque chose de plus percutant dans la citation de Montesquieu : si je comprends bien son idée, le repentir restitue l’innocence (cf. l’absolution des péchés), alors que la justice ne peut le faire. Donc, la sanction pénale ne lave pas le criminel, elle ne lui redonne pas sa pureté originelle. Pourtant, aujourd’hui, nous considérons que la punition - la prison p. ex. - permet de payer sa dette à la société, et que le prisonnier libéré est redevenu un citoyen comme un autre.

On comprends sans doute où je veux en venir : les résistances multiples des braves citoyens à admettre qu’un ancien taulard est un homme comme un autre, qu’on peut l’embaucher, le prendre comme locataire, voir sa fille le fréquenter, comme si de rien n’était. Partout ça résiste : quand le pacte d’innocence a été rompu plus rien ne peut le restaurer.

Alors la question à poser c’est : que faut-il faire des criminels ?

(1) « Summum jus, summa injuria » cf. citation du 15 février 2006

Saturday, March 17, 2007

Citation du 18 mars 2007

Ce qui n'est point utile à l'essaim, n'est point utile à l'abeille.
Montesquieu
Est-ce que c’est la ruche qui vit pour l’abeille ou l’abeille qui vit pour la ruche ? Faut-il penser aux autres - à tous les autres - avant de penser à soi-même ?
Mandeville (1) pense que c’est l’individu, poursuivant ses intérêts propres, qui fait la prospérité de la société. Dans la Fable des abeilles (2) il imagine la société sous la forme d’une ruche, dont les abeilles, vicieuse et corrompues assurent pourtant, par leur activité destinée à satisfaire leurs vices, la richesse de la ruche. Lorsque Jupiter, outré par tant de débauche, les transforme en abeilles vertueuses, alors l’essaim périclite. Vices privés, bien publiqueprivate vices, publick benefits »), tel est le sous-titre de cette fable dont la publication en 1714 a fait un énorme scandale, et dont Montesquieu se rappelle peut-être dans cette citation (3).
La question du rapport entre les intérêts individuels et la politique a été réactivée avec la démocratie participative de la candidate socialiste. La démocratie participative consiste à demander aux « vrais gens » de décrire leurs « vrais problèmes ».
Ecoutons-les.
- Moi, je ne trouve pas de crèche pour mon bébé, et je dois reprendre mon travail dans 1 mois. Faites plus de crèches SVP.
- Merci Maya, ce que vous me dites est très important. Si je suis élue présidente, je ferai une grande loi sur la famille, intégrant le doublement du nombre de places dans les crèches et un vrai salaire maternel pour les femmes qui choisiront de se consacrer à leur enfant.
- Attention à ne par oublier les seniors ! Bientôt, les retraites ne suivront plus la hausse du coût de la vie ; si on ne peut pas tout financer, il faut être au moins être juste avec les anciens sans qui les nouveaux n’existeraient pas !
- Doucement ! On ne va pas déclencher un conflit dans la ruche : il faut que chacun y trouve son compte. Ce sont des réformes gagnant-gagnant que je veux. Plus de vieux riches, ça veut dire plus de consommateurs donc plus de producteurs et plus de travail. Plus d’enfant ça veut dire l’espoir d’avoir plus tard plus de cotisants pour les caisses de retraites.
Voilà : quant à moi, je ne cherche pas ici à savoir si c’est sérieux ou bien si c’est un discours pour endormir les électeurs. Ce que je dis, c’est qu’aujourd’hui, contrairement à ce qu’avait cru Rousseau, ce n’est pas la considération du bien public qui motive le citoyen, mais la revendication de la satisfaction de ses désirs égoïstes : Mandeville avait vu juste. Ce n’est pas avec des promesses vertueuses sur le bien public qu’on va faire marcher la société. Car ce qui compte, c’est qu’on est près à faire n’importe quoi pour avoir une jouissance, et c’est là qu’on nous attend pour nous faire contribuer au bien être des autres : taxes ! Sur le tabac, sur l’alcool, sur les jeux…
… et s’il n’y en a pas sur la fornication, c’est qu’on n’a pas su comment faire.
(1) Sur Mandeville, voir c eci
(2) A lire ici la traduction française
(3) Toutefois, il suit ici le chemin inverse : il va de l’essaim à l’abeille et non pas de l’abeille à l’essaim.

Friday, March 16, 2007

Citation du 17 mars 2007

« Eppur, si muove ! ». (« Et pourtant elle tourne »)
Galilée - 22 juin 1633
Une remarque avant de commencer : mes élèves des générations lointaines savaient ce que voulait dire cette phrase de Galilée. Plus tard, ils n’y ont plus rien compris parce qu’ils pensaient que Galilée avait été condamné pour avoir dit que la terre était ronde alors qu’on la croyait plate (d’ailleurs ils étaient unanimes pour affirmer qu’il avait été brûlé pour ça). Et les générations les plus récentes ne commettent plus cette erreur parce que Galilée est pour eux un inconnu. Fin de la séquence souvenir.
Eppur, si muove ! … Légende ou réalité ? On ne sait, mais on prend cette citation comme une mise en évidence de l’inexistence des idéologies devant les faits : on ne peut décidément pas faire tourner le soleil autour de la terre simplement parce que ça cadre avec notre représentation de l’univers.
Puéril. Comment peut-on croire de pareilles balivernes ?
En réalité, ce n’est pas si étonnant. Voyons un peu.
D’abord, ce qui reste vrai, dans cette histoire, c’est qu’on a eu besoin de justifier le mouvement apparent du soleil dans le ciel ; comme s’il ne suffisait pas que ça existe, mais qu’il faille aussi montrer que c’était bon. C’est ainsi qu’au soir du troisième jour de la création, Dieu fit les astres pour éclairer la terre, et « Dieu vit que c’était bon » (1). Vous connaissez la suite : si l’univers n’est pas centré sur l’homme, alors on est dans l’infini comme un point errant et sans signification : Pascal en frissonnait encore (2).
Le ciel ne nous parlerait donc plus ? Je n’en crois rien : voyez les horoscopes, et dites moi si votre thème astral ne vous concerne pas : êtes-vous né sous une bonne étoile ? Même si vous n’y croyez pas, vous devez vous le demander de temps en temps.
Ensuite, c’est vrai : le soleil tourne autour de la terre. Voici une anecdote - fictive - : Galilée et Tycho Brahé sont au bord de la mer ; c’est le lever du jour. Tycho Brahé dit : « Le soleil se lève ». Et Galilée de répondre : « Non. C’est l’horizon qui s’abaisse. ». Hé bien, c’est Tycho Brahé qui a raison : personne ne voit l’horizon s’abaisser sous le soleil, pas même Galilée, et le mouvement apparent du soleil ne présente pour nous aucune différence avec le mouvement réel de la lune. Les apparences nous trompent peut-être, mais notre vie se déroule avec elles, sans aucune difficulté.
Reste à ne pas en rajouter avec la bienveillance divine.
(1) Genèse 1-17. Mon édition (Livre de poche) précise qu’en faisant des astres de simples luminaires pour éclairer la terre, le texte biblique s’oppose aux religions qui les divinisaient. C’était donc une thèse religieuse.
(2) Voir message du 4 octobre 2006

Thursday, March 15, 2007

Citation du 16 mars 2007

- Le séjour de la félicité sera le partage des hommes vertueux.
- Il sera planté d'arbres et de vignes.
- Des filles célestes au sein arrondi et palpitant en feront l'ornement.

Mahomet - Le Coran, Sourate LXXVIII

« - Dis, c’est quoi le paradis ? - Le paradis, c’est là où il y a du vin et des femmes aux gros nichons. »

Si le Prophète l’a dit, c’est sûrement vrai. Reste qu’on peut regretter que cette représentation du Paradis soit un peu réductrice…

Loin de moi de récuser cette représentation qui fait du paradis un lieu où on trouve tout ce qui faisait le bonheur sur terre. Bon nombre de religions ont un tel paradis, et chez les chrétiens, les Gospels des noirs américains parlent du paradis comme d’un « vert jardin ».

Mais justement, la confusion repose sur le fait qu’on oublie qu’il y a deux paradis. D’abord, le paradis terrestre, le jardin d’Eden, où à coup sûr on rencontrait tout ce qui devrait faire le bonheur terrestre. Et, à côté du paradis-jardin, il y a le paradis céleste qui s’oppose au purgatoire et à l’enfer. C’est situé juste sous l’empyrée, et si vous lisez Dante, vous verrez qu’on est plus près de l’astrophysique que du catalogue Vilmorin.

Mais il est caractéristique qu’on n’ait pu se défaire de cette représentation profane du paradis, comme si la béatitude abstraite ne pouvait durablement motiver l’effort des hommes pour plus de vertu. « - Ecoute, Amin, tu mets cette ceinture d’explosif, et tu vas te faire péter au prochain check-point américain. - Et puis ? - Et puis après, tu te retrouves sous la voûte céleste à écouter des cantiques »… Ça ne marche pas.

Reste que l’éternité à jouir des plaisirs terrestres, c’est un peu lassant aussi. Voyez le roman de Julian Barnes (1) : il imagine que son personnage arrive au paradis, et là il jouit de tout ce qui fait le bonheur d’un homme : le sexe, les mets raffinés, et…le golf. Il se perfectionne au point qu’il parcourt les 18 trous en 18 coups. Et tout le reste pareil : plus rien de neuf n’est possible, il a tout essayé, tout fait, tout réussi. Il ne lui reste plus qu’à obtenir de s’anéantir, ce qu’il fait pour terminer.

(1) Une histoire du monde en 10 chapitres 1/2

Wednesday, March 14, 2007

Citation du 15 mars 2007

Le régime totalitaire est un régime où tout ce qui n'est pas interdit est obligatoire.

Malaparte

Trois possibilités :

- 1 - Tout ce qui n’est pas interdit par la loi est autorisé. Nous sommes sous ce régime, et sous réserve que le domaine de l’interdit soit justifié (cf. Déclaration des droits de l’homme), la liberté, même limitée, reste authentique : car, puisque la loi qui encadre la liberté ne lui prescrit pas ce qu’elle doit faire, l’invention libre reste possible. Etre libre, c’est être - de droit - imprévisible.

- 2 - Tout ce qui n’est pas autorisé par la loi est interdit : c’est la tyrannie, puisque les seuls actes non répréhensibles sont en quelque sorte programmés à l’avance, et que de ce fait, toutes les actions possibles sont parfaitement prévisibles et définies.

- 3 - Tout ce qui n’est pas interdit par la loi est obligatoire. Malaparte renchérit donc sur la formule précédente : non seulement ce que la loi préconise est permis, mais c’est même obligatoire. Les réjouissances populaires pour la fête de la nation sont permises par la loi (on peut lancer des pétards et danser sur les places publiques) ; mais supposez que ce soit obligatoire ? (1)

Voilà donc ce qu’il faut pour détruire la liberté : il faut trucider la volonté. Et pour détruire la volonté, il faut la priver de l’occasion de s’exercer en la devançant, en voulant avant elle et à sa place. Au fond, ce que dit Malaparte n’a peut-être pas l’occasion de se réaliser chez nous dans l’ordre politique (espérons-le pour quelque temps encore - attention à bien voter). Mais dans l’ordre de la famille, des amis, voire même de la profession, on voit régulièrement de telles choses.

« Kévin, tu penseras à monter chez ta grand-mère pour lui souhaiter sa fête, n’est-ce pas ? ».

« Chéri, tu sais quel jour on est ? Tu n’as pas oublié notre anniversaire de mariage, hein ? ».

« Moulinot, votre client, là, c’est bien celui qui nous a passé cette grosse commande alors que notre concurrent était moins cher ? Vous avez bien l’intention de lui faire un petit cadeau, je suppose ? ».

(1) Rappelez-vous Brassens : Le jour du 14 juillet, je reste dans mon lit douillet

Tuesday, March 13, 2007

Citation du 14 mars 2007

Qui ne reculerait d'horreur et ne choisirait la mort, si on lui offrait le choix entre mourir et redevenir enfant!

Saint Augustin La Cité de Dieu (420-429)

Comment comprendre cette phrase de Saint Augustin, alors que pour nous tous - et pour l’Eglise aussi - l’enfant est le symbole de l’innocence et de la pureté ? Qui de nous souscrirait à cette affirmation ?

C’est Elisabeth Badinter qui a attiré notre attention sur ce fait (1) : l’enfance n’a pas toujours été valorisée comme le moment de l’innocence et de la pureté ; dans les temps anciens, on l’a longtemps vue au contraire comme le moment du péché, des passions sans contrôle, de l’absence de raison (2). Avant l’âge de raison, l’enfant est considéré un petit animal ; après l’âge de raison, il est un adulte en miniature.

L’enfant est un pervers disait Freud (voir citation du 27 octobre 2006) et il ajoutait que c’était un stade normal du développement de la sexualité, et de la personnalité. Il est donc tout à fait inutile de s’en offusquer comme on peut supposer que le fait saint Augustin. Mais il est tout aussi inutile de survaloriser cette époque de la vie, comme si elle contenait le trésor de l’humanité, comme si chaque jour qui passe, nous faisait perdre quelque chose d’essentiel en nous éloignant un peu plus de notre enfance.

Il faut sans doute remonter à Rousseau pour retrouver l’origine de cette valorisation : l’enfant qui vient de naître est tel que la nature l’a fait : il est aussi parfait qu’un être humain peut l’être ; et si l’on peut le préserver de la corruption de la civilisation, alors l’essentiel est sauvé (3). Mais si l’enfant est pur, il est aussi vierge, au sens où la tablette de cire est vierge : rien n’y est inscrit. L’enfant doit devenir autre que ce qu’il est, parce que l’être humain est strictement cela : un devenir. On a raison de stigmatiser les mères qui voudraient que leur enfant reste indéfiniment un enfant pour pouvoir le conserver. Outre leur égocentrisme, leur faute est de vouloir préserver ce qui ne doit pas l’être.

Mais que dire alors des adultes qui regrettent indéfiniment leur petite enfance ? A-t-on inventé le Paradis perdu pour autre chose que pour symboliser ce regret ? Et Peter Pan ? Et Oscar, le nain du Tambour de Günter Grass ?

(1) Voir l’Amour en plus, édité en Champs-Flammarion.

(2) Déjà Platon condamnait la pédophilie comme le fait de perdre son temps en se consacrant à un enfant dont on ne sait pas s’il va devenir en grandissant bon ou mauvais.

(3) En écrivant Emile, Rousseau décrit l’éducation d’un enfant de 3 à 20 ans : il ne s’agit pas de réformer le monde, mais de rendre Emile incorruptible dans une société corrompue.

Monday, March 12, 2007

Citation du 13 mars 2007

J’ai souvent été frappé du fait que les professeurs de sciences, plus encore que les autres si c’est possible, ne comprennent pas qu’on ne comprenne pas.

G. Bachelard - La formation de l’esprit scientifique.

Je vais faire plaisir aux cancres - s’il y en a qui me lisent : votre professeur y est peut-être pour quelque chose.

En disant cela, je sais que je cours le double risque de paraître donner des leçons à ceux qui font ce dur métier ; et de flatter bassement tous ceux qui ont tâté de l’échec scolaire. Autant dire que je m’adresse à ceux qui auront la patience de lire, et l’esprit libre de préjugé.

Bachelard évoque ici une psychologie de l’erreur, qui ne doit rien aux préjugés sociaux-culturels (encore que ça existe bien évidemment) et il met en cause, chez les enseignants, l’indifférence - voire l’ignorance - pour ces mécanismes. Dans certaines erreurs, le langage, et surtout l’intuition première y sont pour quelque chose : prenons, dit Bachelard, l’exemple du principe d’Archimède. On n’y comprend rien parce qu’on suppose que le morceau de bois « flotte » sur l’eau ; quand on l’enfonce, on dit qu’il « résiste ». On est de ce fait incapable de comprendre qu’il est en réalité soutenu à la surface par une poussée calculable mathématiquement.

Vous êtes prof de physique, vous expliquez cela à vos jeunes élèves : ils vont être morts de rire. Dur métier, oui… Mais demandez au prof de physique pourquoi ses élèves ne le comprennent pas, et il vous répondra qu’ils n’ont pas écouté, ou qu’ils sont de mauvaise volonté ; peut-être même qu’ils sont trop bêtes.

Alors vous me direz qu’il y a des IUFM pour résoudre ces difficultés, que des théoriciens de la pédagogie ont depuis longtemps trouvé la parade, etc… Mais dans la pratique, il y a toujours des profs qui «ne comprennent pas qu’on ne comprenne pas ». Pourquoi ?

A mon avis, c’est que les profs ne savent pas ce que c’est que d’être un élève qui ne comprend pas : eux, ils ont été des bons élèves qui ont toujours su trouver leur place dans la classe et se faire apprécier de leurs profs - bref : ils ont aimé ça. Oui, mais quand on a été humilié par des profs sadiques, « cancrifié » dans des disciplines fondamentales, même - et surtout - si on a pris sa revanche dans la vie, on ne se mêle pas de devenir prof.

Pour lutter contre l’échec scolaire, il faudrait réserver les concours de recrutement des enseignants à ceux qui ont été des cancres. Eux seuls comprendraient qu’on ne comprenne pas.

Sunday, March 11, 2007

Citation du 12 mars 2007

Définition - La tendresse est la tendance à se livrer en toute faiblesse à la douceur d’être faible

Paul Valéry - Mélanges

La tendresse comment ça marche ?

Lisez cette citation, et puis dites-moi si vous êtes d’accord avec cette définition. Non ? Vous trouvez que Valéry disqualifie la tendresse, en fait un sentiment… comment dire ? Féminin ? Et alors, est-elle spécialement féminine ? N’y a-t-il pas une tendresse masculine ? Entre les amoureux, la tendresse est-elle la même que celle de la mère pour son enfant ? Ne vous bousculez pas : je vais vous répondre.

… Ou plutôt, je vais appeler au secours oncle Sigmund. Oncle Sigmund a toujours des images pour faire comprendre sa pensée de façon agréable. - L’amour, dit l’oncle, voyez-vous, c’est comme un tunnel qu’on creuserait par les deux bouts à la fois (comme le tunnel franco-anglais sous la Manche) : d’un côté, c’est la sensualité (=sexuel) qui creuse ; de l’autre, c’est la tendresse. Celui qui va le plus vite réduit d’autant l’espace acquis par l’autre. Plus il y a de sexualité, moins il y a de tendresse ; et réciproquement.

- D’accord, oncle Siggy… Mais tu n’as pas répondu à ma question : la tendresse, qu’est-ce que c’est ? - Hé bien voilà : la tendresse est une attitude envers autrui qui reproduit la relation de petit enfant envers sa mère - ou son père - censée lui apporter la sécurité, c’est à dire à ce besoin lié à sa pulsion d’auto-conservation. La tendresse, c’est l’amour pour celui qui protège, et non la revendication d’une jouissance pour soi-même, ce que sera la sensualité. Voilà pourquoi les deux sont antithétiques.

- Bon, oncle Sigmund, on a compris… Mais tu sais, tu n’as pas inventé grand chose. Nos théologiens ont depuis longtemps opposé l’amour de bienveillance (agapè) et l’amour de concupiscence (éros). En cette période de carême, il faudrait quand même s’en souvenir !

Va donc demander à Benoît XVI !

Saturday, March 10, 2007

Citation du 11 mars 2007

Il faut juger les sentiments par des actes plus que par des paroles.
George Sand - Le marquis de Villemer
- Dis mon Chouchou, dis, tu m’aimes ?
- Oui Chloé, je t’aime.
- Chouchou, quand tu m’aimes, qu’est-ce que tu sens ?
- Je sens comme un long et délicieux spasme qui me prend à la nuque et qui descend jusque dans la plante des pieds.
- Non, Chouchou, c’est pas ça que je veux dire. Quand tu me regardes là de l’autre coté de la table du petit déjeuner, tu penses à quoi ?
- Je pense qu’il faut que j’aille démarrer la voiture, déposer la petite chez la nourrice et me taper 1 heure d’embouteillages avant d’arriver dans le bureau du Manager et expliquer pourquoi j’ai pas fini mon rapport.
- Et quand le soir on se met au lit, et que je viens me blottir contre ton épaule, hein ? Qu’est-ce qui se passe ?
- Mais enfin, Chloé, tu le sais : je suis si fatigué que je coule à pic dans le sommeil.
- Bon, voilà Chouchou, je voulais te dire que aujourd’hui j’ai éprouvé des sentiments sexuels pour le nouveau stagiaire qui a débuté hier. J’ai l’intention de le coincer quand il va aller dans la réserve, et que s’il est compétent, je vais pas me gêner.
- QUOI ?.... Salope, tiens prends ça.
- OUCH !... Ça fait mal…
Mais là au moins Chouchou, je sais que tu m’aimes

Friday, March 09, 2007

Citation du 10 mars 2007

Il n'y a pas de suicide au Sahel / Pas de psychiatre en plein désert / Pas d'overdose à Kinshasa / Réponses ou questions ? Je sais pas.

Jean-Jacques Goldman - Paroles de la chanson Petite fille

[Séquence nostalgie - C’était il y a 20 ans… Mes élèves, les filles de terminale, avaient des classeurs dont la couverture était constellée de citations des chansons de Jean-Jacques Goldman. Une nostalgie peut en cacher une autre : je me disais à l’époque que « de mon temps », c’étaient des citations de Boris Vian qu’on portait ainsi en blason.]

Soyons un peu sérieux. La chanson de J.J. Goldman est un bric-à-brac incroyable (lire le texte), mais elle permet de soulever la question du bonheur dans nos civilisation de l’abondance : trouve-t-on le bonheur là où on le cherche ? Faut-il le proposer aux « autres », ceux qui ne vivent pas comme nous ? Plus encore : elle met en cause les mécanismes de survie et leur rôle dans notre existence. Si on admet en effet que les difficultés de la vie sont un stimulant pour celle-ci, alors oui, les conditions les plus primitives, la dureté de l’existence, ne sont pas des obstacles à évincer, mais des tremplins pour s’élancer. Certes il y a danger à vouloir tout niveler, comme si les changements dans l’histoire des hommes n’étaient que des oscillation autour d’une position fixe et non un progrès ordonné. Mais la vraie question, pour moi n’est pas là.

En réalité, ce que cette citation soulève, ce n’est pas la question de l’inutilité du progrès, mais celle de sa cohérence. Comme le dit Lévi-Strauss (Cf. Race et histoire), ce qu’on gagne sur un plan on peut le reperdre sur un autre, comme le joueur de 421 qui risque de perdre sur un dé en réussissant avec l’autre. Plus de téléphone et de vidéo, mais moins d’amis à qui parler… Plus de paradis artificiel, mais moins de chaleur humaine…

Comment faire pour ne pas être malheureux avec ce qu’on fait pour l’être. Réponses ou questions ? C’est plutôt une question sur une réponse.

Thursday, March 08, 2007

Citation du 9 mars 2007

L’entraînement mental minutieux auquel il [le membre du parti] est soumis pendant son enfance, et qui tourne autour des mots novlangue arrêtducrime, blancnoir, et doublepensée, le rend incapable de réfléchir et de vouloir réfléchir trop profondément.

Georges Orwell - 1984

(Téléchargez le texte complet du roman)

Georges Orwell détaille dans son roman les armes du totalitarisme (stalinien en particulier). La manipulation des archives photographiques en font partie ; mais plus encore, la novlangue dont cette citation donne un échantillon lui permet de contrôler la pensée en éradiquant son autonomie.

Faut-il voir dans la « langue de bois » de nos politiciens un avatar de ce dévoiement du langage ?

On s’amuse ces temps-ci avec les discours de nos présidentiables : leur langage stéréotypé, les façon de répondre à tout sans rien dire de déterminant. Les projets « gagnant-gagnant », la faculté laissée à chacun de « gagner plus en travaillant plus », l’indifférence aux objections, tout cela résume ce qu’on appelle la « langue de bois » (1).

On a affaire à du bourrage de crâne, relevant de techniques si grossières qu’on se demande si ce ne sont pas leurs utilisateurs qui en sont les premières et les seules victimes

La novlangue fait référence à quelque chose de plus terrible. Je me contenterai de rappeller la formule de Philip K. Dick : « The basic tool for the manipulation of reality is the manipulation of words. If you can control the meaning of words, you can control the people who must use the words. »

En voici les principes à partir des développements d’Orwell : Novlangue - Les mots sont les choses mêmes ; les pensées sont le décalque de la réalité ; il y a des mots pour chaque pensée ; une pensée qui n’a pas de mots pour la dire n’existe pas ; en dehors du vocabulaire officiel il n’y a rien.

On comprend de quoi il s’agit : d’une part empêcher la pensée de s’élaborer ; d’autre part limiter la pensée à des contenus définis à l’avance. A l’ère de la communication généralisée (n’oublions pas que l’arme principale de Big Brother est constitué par des « télécrans », un système de vidéo-surveillance installé dans chaque appartement : la communication n’existe pas parce qu’elle est monopolisée par le pouvoir ), si on ne peut contrôler les moyens techniques de la communication, on s’efforce de contrôler l’aptitude à le faire.



(1) (1) Sur cette notion voir ceci

Voir aussi les générateurs de langue de bois

Wednesday, March 07, 2007

Citation du 8 mars 2007

Les femmes ont fait plus de mal que de bien. La contrainte et la dissimulation ont été leur partage. Ce que la force leur avait ravi, la ruse leur a rendu ; elles ont eu recours à toutes les ressources de leurs charmes, et le plus irréprochable ne leur résistait pas

Olympe de Gouge - Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne (1791) - Postambule

Jeudi 8 mars 2007 : Célébration de la journée internationale de la femme. Cette citation d’Olympe de Gouge n’est pas celle qu’on attendrait, et pourtant elle n’est pas un provoc - mais alors pas du tout. Pour vous en convaincre allez lire le texte (à consulter ici).

Olympe de Gouge stigmatise la perversité des femmes, réponse à la condition qui leur est faite par les hommes. Le seul moyen pour elles d’accéder au pouvoir : être maîtresses des rois et des seigneurs. Etre des esclaves qui dominent leurs maîtres parce que ceux-ci en tirent un immonde avantage. En pleine apothéose des Lumières, Olympe de Gouges en appelle à la Raison : la femme doit jouir des mêmes droits que les hommes, y compris des droits politiques. Et elle doit en jouir pour les mêmes raisons : la nature l’a dotée de la même intelligence, elle est un être raisonnable comme l’homme. Ne voir en elle que la courtisane qui doit ses privilèges à une beauté qu’elle perdra et qui sera répudiée à l’instant même est indigne des Hommes Justes qu’elle interpelle dès le préambule de sa Déclaration.

Tout le monde connaît la réponse de Robespierre : elle fut guillotinée en novembre 1793 peu après les girondins.

J’ai toujours été frappé du fait que l’émancipation des hommes, prônée et partiellement réalisée durant le XVIIIème siècle par le mouvement des lumières, ait si peu profité au femmes. Sans aller jusqu’à citer Rousseau le misogyne parfait, ni Kant, ni Diderot, ni d’Alembert n’ont jamais rien fait dans ce sens ou alors de façon très abstraite (libéraliser les moeurs). C’est que la femme est disqualifie par ces messieurs dès qu’il s’agit de rationalité : être de passion, de sensibilité elle ne peut qu’être éloignée de la raison. Plus vous valorisez la raison, plus vous dévalorisez les femmes.

C’est contre cela que s’élève Olympe de Gouge dans cette citation.

Tuesday, March 06, 2007

Citation du 7 mars 2007

La politique, c'est l'art de rendre possible ce qui est nécessaire.

Jacques Chirac

Faites une petite expérience : tapez « Chirac » dans le moteur de recherche d’un dictionnaire de citation sur Internet : vous aurez une série d’âneries absolument effarante. A croire qu’on n’attend de J. Chirac que cela : des stupidités dont le cancre de la classe n’oserait pas dire le quart. Chirac : le cancre de la vie politique française ?

Moi qui ne suis pas chiraquien (fallait-il le dire ? Vous en connaissez, vous, des « chiraquiens » ? Je veux dire : aujourd’hui ?), je vais prendre sa défense avec cette citation que nos plus subtils philosophes ne rougiraient pas d’écrire. Et dont la lecture rend sensible la difficulté - de plus en plus grande - pour le citoyen à s’invertir dans la vie politique.

- « Rendre possible ce qui est nécessaire » - et non l’inverse, vous l’aurez observé - c’est établir la volonté du choix dans l’ordre des choses inévitables. Exemple : admettons que je sois contraint de travailler pour gagner ma vie ; je pourrais néanmoins prétendre que si j’avais le choix entre être oisif et travailler, je choisirais de travailler plutôt que d’être un parasite vivant du labeur des autres. Le prototype de cette situation se trouve dans le choix d’Ulysse dont on a dit un mot récemment (voir le 15 février 2007) : Ulysse doit se réincarner dans une existence dont tous ont eu le choix, sauf lui, parce qu’il est le dernier appelé à choisir. Seulement, Ulysse déclare : « si j’avais eu le choix, c’est ce destin que j’aurais choisi. »

Gouverner c’est choisir disait Mendès-France ; mais là où il n’y a pas de marge de manœuvre, l’acte politique passe par une autre alternative. Ou bien vous dites comme Ulysse que ce que vous êtes contraint de faire coïncide avec vos valeurs, que vous vous reconnaissez dans ce que vous allez faire ; ou bien vous dites que cette situation fait de vous un héros tragique, condamné à périr en résistant - comme Antigone - ou à survivre révolté dans une existence absurde - comme le Sisyphe de Camus.

- « La politique, c'est l'art de… ».. Nous avions négligé le début de la citation : c’est que nous avions gardé le meilleur pour la fin. La politique, c'est l'art de faire accepter l’inévitable comme un choix que le citoyen raisonnable doit faire à moins de n’être qu’un irresponsable. La retraite à 65 ans : vous êtes libre de la refuser ; mais dites alors ce que vous voulez ? Endetter le pays pour que vos descendants jusqu’à la 3ème génération remboursent vos égarements en maudissant votre souvenir ? Vous êtes libres : choisissez. C’est vous le citoyen ; c’est vous qui êtes responsable. Ce qui veut dire que l’homme politique non seulement vous fait croire que sa gestion est encore de la politique, mais de plus que vous l’avez choisi pour ça.

Jacques Chirac est plus du côté de Machiavel que de Mendès-France.

Monday, March 05, 2007

Citation du 6 mars 2007

La liberté et la fraternité sont des mots, tandis que l'égalité est une chose.

Henri Barbusse

Voilà ce que nous oublions facilement : l’égalité existe dans la nature, elle est contrôlable, visible. L’animal lui-même la perçoit, si on en croit l’anecdote de l’âne de Buridan (1). Et pourtant nous faisons de l’égalité une chimère bonne pour les utopistes.

Que savons-nous de l’égalité ? Comment cette idée vient-elle à notre esprit ? Est-ce l’enfant qui réclame la même chose que son petit voisin (« Moi aussi, moi aussi !! J’y ai droit ! ») ? Est-ce l’indifférenciation des individus dont l’identité garantit l’égalité (comme à l’armée où le soldat qui tombe est remplacé par le soldat de réserve) ?

Une réponse pourrait être trouvée chez Hobbes : on sait que pour lui, dans l’état de nature, chaque homme est en lutte avec tous les autres pour s’approprier les moyens de sa subsistance. Ce conflit généralisé vient justement de l’égalité naturelle des hommes : chacun se sentant d’égale force peut espérer l’emporter dans son combat contre un adversaire qu’il estime ne pas être plus fort que lui, et cela tant que l’ordre civil (= pouvoir politique autoritaire) ne sera pas instauré pour imposer la paix. Autrement dit, c’est l’inégalité de condition (issue du pouvoir civil) qui est artificielle, et c’est elle qui impose la paix civile. Seule une forte hiérarchie sociale peut empêcher la discorde de l’anarchie

Seulement voilà : les choses se compliquent avec nos sociétés modernes. Une comparaison avec les poules nous aidera à le comprendre : le « pecking order » ou « hiérarchie du coup de bec » (2) désigne le fait que dans un poulailler, chaque poule sait de qui elle peut recevoir un coup et à qui elle peut sans risque de représailles en donner un : c’est une hiérarchie acceptée, gage de paix et de tranquillité. Tout va bien… tant que le poulailler ne compte pas trop d’individus (une cinquantaine). Mais dès que ce chiffre est dépassé, les poules, dont la cervelle est un peu limitée comme chacun sait, ne peuvent plus conserver en mémoire la hiérarchie de ces trop nombreux individus : les coups de becs pleuvent à tort et à travers (3), causant la mort de nombreuses volailles.

Chez nous, ce n’est pas tant l’effectif de la population que la disparition des marqueurs sociaux (= inégalité de condition) qui initie ce phénomène : il s’appelle « anomie » (cf. Citation du 22 juillet 2006).


(1) A lire pour ceux qui l’ignorent - en vue de la future interro de culture G : Buridan (XIVème siècle, disciple de Guillaume d’Occam) affirmait que si son âne avait également soif et faim, il mourrait de soif et de faim s’il était placé à égale distance d’une seau d’avoine et d’un seau d’eau.

(2) Sur le pecking order, voir

(3) Pour ceux que l’élevage des poules ne laisse pas indifférent rappelons que l’an dernier avec le confinement des volailles du fait de la grippe aviaire, ce phénomène avait été signalé comme cause de surmortalité dans les poulaillers.
Ce phénomène existe aussi dans les meutes de chiens avec le simulacre d’acte sexuel : le male qui est le plus faible est désigné du nom de « male du dessous ». Ravissant n’est-ce pas ?

Saturday, March 03, 2007

Citation du 5 mars 2007

L’instant est une coupure mobile de la durée […] Il y a des images-mouvement qui sont des coupures mobiles de la durée.

Gilles Deleuze - Cinéma 1 - L’image mouvement

Question : comment une image fixe peut-elle exprimer le mouvement ?

1er cas : l’instantané (1)



Voyez l’image ci-contre (que nous empruntons à Miss.Tic, après avoir supprimé l’interpellation : « Est-il urgent d’attendre ? ») : elle représente non seulement un moment d’un mouvement, prélevé sur lui, mais elle est solidaire de ce mouvement, elle signifie à la fois ce qui précède et aussi - surtout - ce qui va suivre. On pourrait même dire, sans trop dénaturer l’image, que ce qu’elle montre, ce n’est pas une Miss entrain de retirer son soutif’, mais bien le mouvement de ce déshabillage en train de s’accomplir (2).

2ème cas : la pose

Maintenant, voyez cette statue de Rodin, dont on a déjà parlé ici (9 nov. 2006).


L’image (la statue) exprime ici le terme final ou le point culminant érigé en moment essentiel d’un processus ; mais ce processus reste présent comme ce qui a été avant. Les amants ne sont pas en mouvement, mais ils l’ont été : leur pose est l’aboutissement de l’enlacement, elle l’achève et le récapitule. Loin d’être un instant qui renvoie au processus en train de se faire (comme le déshabillage précédent), le baiser soude dans en état stable (autant que le permettra le souffle de ces amoureux…) deux êtres que rien ne peut plus séparer.

3ème cas : la pulsation


Et voici maintenant l’image pieuse.

La pulsation du sacré cœur (conservée dans cette image animée, mais qui est suggérée de toute façon par le rayonnement qui sort des mains de la Vierge Marie) exclut absolument un hors champ : ni un avant (comme l’enlacement des amants), ni un après (la Miss enfin déshabillée) : c’est l’immobilité de ce paradoxal éclatement qui symbolise la transcendance du Sacré-Cœur. Cette image est donc autoréférentielle.


(1) Ce passage de l’ouvrage de Deleuze est inspiré de Bergson

(2) D’ailleurs ce terme est trop imprécis : il y a manière et manière de se déshabiller : la Miss qu’on nous présente ici ne nous montre pas un « effeuillage » de stripteaseuse ; manifestement, pour elle ce qui compte, c’est ce qui va venir après. Mais je n’insiste pas, il ne s’agit pas de faire ici une exégèse miss-ticienne.

Citation du 4 mars 2007

« Préludes de la science. - Croyez-vous donc que les sciences se seraient formées et seraient devenues grandes si les magiciens, les alchimistes, les astrologues et les sorcières ne les avaient pas précédées, eux qui durent créer tout d'abord, par leurs promesses et leurs engagements trompeurs, la soif, la faim et le goût des puissances cachées et défendues ? Si l'on n'avait pas dû promettre infiniment plus qu'on ne pourra jamais tenir pour que quelque chose puisse s'accomplir dans le domaine de la connaissance ?

Nietzsche - Le Gai Savoir

1 - Il y a des puissances cachées et défendues ;

2 - elles détiennent le secret du savoir absolu.

3 - La science est l’effort humain pour s’approprier ce savoir ;

4 - cet effort est à la fois nécessaire au développement scientifique, et

5 - il promet infiniment plus qu'on ne pourra jamais tenir

D’Auguste Comte à Claude Lévi-Strauss en passant pas Nietzsche, bien des penseurs se sont efforcés d’attirer notre attention sur la continuité du développement du savoir humain. Nous avons toujours cherché l’ordre dans le chaos, et les « magiciens » de Nietzsche, les « théologiens » de Comte, les « chamans » de Lévi-Strauss n’ont fait que pousser au-delà du raisonnable les limites de notre connaissance. Leur mot d’ordre est : tout savoir, de peur de ne rien savoir.

C’est Pascal qui a le plus clairement fait la théorie de cette attitude : dans les deux infinis (1), il nous dit qu’à défaut de connaître l’infiniment petit et l’infiniment grand, nous ne pouvons prétendre avoir une science certaine de ce qui se passe à notre échelle. Traduisez : la physique des particules et celle qui se révèle par l’astrophysique comportent des lois de l’univers sans les quelles rien de ce qui se passe sous nos yeux ne pourrait être compris.

Quoique… demandez au chat de Schrödinger ce qu’il en pense…(2)

(1) Disproportion de l’homme, pensées n° 72 Lire

(2) Cf. message du 4 janvier 2007