Monday, January 31, 2011

Citation du 1er février 2011

… l'instinct achevé est une faculté d'utiliser et même de construire des instruments organisés ; l'intelligence achevée est la faculté de fabriquer et d'employer des instruments inorganisés.

Bergson – L'évolution Créatrice

Vous arrive-t-il de philosopher en utilisant votre Windows Seven™ ou votre Office 2010 ?

N’avez-vous pas remarqué combien version après version, de .2 à .3 et ainsi de suite jusqu’à .7, votre Windows et votre Word sont de plus en plus formatés ? Certes on vous facilite la tâche, certes on démultiplie les possibilités, mais ce qu’on vous offre ainsi, c’est un usage prédéfini, correspondant à l’idée que le concepteur se fait de votre demande.

Avec Word, par exemple : votre mise en page, les polices de caractères qui vont avec, voire même l’orthographe qui vous est proposée, tout correspond à une certaine idée de ce que vous devriez faire avec votre ordinateur.

Un autre exemple, dans un tout autre domaine : que dire des appareils photos qui ne se déclenchent pas s’ils n’ont pas détecté des sourires sur les visages ?

Soulager l’utilisateur en lui glissant sous la main les usages auquel on le suppose prédisposé, voilà comment la technique moderne relaie l’instinct – tel que le définit Bergson ; c’est qu’il s’agit de limiter et non de développer sa libre initiative.

Contre quoi, il faut revendiquer des instruments inorganisés (1), ou si vous préférez, des appareils qu’on doit organiser selon ses propres règles.

D’ailleurs, on peut sans mal reprendre l’exemple de la photo, en la comparant cette fois à la peinture ou au dessin. Pour le créateur, peindre ou dessiner est incomparablement plus facile que de photographier : l’artiste se donne alors tout ce dont il a besoin (la couleur, la lumière, la présence ou l’absence de tel objet, etc.), alors que le photographe doit attendre que ça arrive…

Sinon pourquoi les réalisateurs de ciné se donneraient le mal de faire des storyboards ?

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(1) Vous avez remarqué ? Bergson dit « instrument » et non comme nous le ferions aujourd’hui « outil ».

Sunday, January 30, 2011

Citation du 31 janvier 2011

Allons ! Faisons boire du vin à notre père et nous coucherons avec lui pour donner vie à une descendance issue de notre père.

Genèse – 19 – verset 32 (Episode des Filles de Loth)

Jan Massis – Loth et ses filles (1595) Musée des Beaux-Arts Bruxelles

J’ai à diverses reprises parlé de Peau d’Ane, jeune et belle princesse qui est pourchassée par son père qui veut l’épouser afin de remplacer sa défunte épouse. L’inceste Père-Fille est un tabou que le conte de Perrault dépeint complaisamment.

Mais il y a mieux – ou pire – : quand c’est la fille qui viole le père, comme dans l’histoire des filles de Loth racontée dans la Genèse. La voici :

Ça se passe juste après le terrible épisode de Sodome et Gomorrhe. Le vieux père Loth, patriarche de Sodome, fuit la ville maudite avec ses filles ; sa femme qui a voulu enfreindre l’interdit s’est retournée pour voir tomber le feu céleste et elle a été changée en statue (=colonne) de sel.

Voilà donc ses deux filles (oui : en plus il y en a deux) qui se lamentent : plus d’hommes pour leur permettre d’avoir une descendance… Plus d’homme ? Sauf leur père. Le plan est vite conçu : à tour de rôle chacune enivrera Loth et profitera de son ivresse pour coucher avec lui et l’amener à lui faire un enfant. Ce qui fut fait, comme le montre sans fausse pudeur le tableau de Jan Massis qu’on peut voir à Bruxelles.

On admet sans trop se poser de questions que la prohibition de l’inceste est absolument rigoureuse quelles que soient les sociétés et les civilisations. Il est vrai que Loth n’est pas vraiment consentant puisqu’il faut le saouler ; mais en même temps, on voit aussi d’après ce passage de la Bible (auquel il faudrait ajouter comme nous l’avons déjà signalé celui d’Onan), que plus encore que l’inceste, le malheur pour une femme est de ne pas avoir d’enfant.

Saturday, January 29, 2011

Citation du 30 janvier 2011



- La Providence a mis du poil au menton des hommes pour qu'on puisse de loin les distinguer des femmes.
Epictète
- Votre sexe n'est là que pour la dépendance: / Du côté de la barbe est la toute-puissance. /
Molière – L'école des femmes (Acte III, scène 2 et ici)
- Illustration ci-contre : Sainte-Wilgeforte – Eglise de Wissant
Je vous sens impatients de tout savoir sur les femmes à barbe : allez donc voir ici, et vous en saurez autant que moi.
Epictète tient la barbe pour le signe le plus évident de masculinité. Et sans doute est-ce une évidence depuis longtemps, comme en témoigne la légende de Sainte Wilgeforte, dont on trouve ce récit (Wikipedia) :
« Sainte Wilgeforte était une princesse sicilienne catholique du XIe siècle. Contrainte à un mariage forcé avec un roi du Portugal alors qu'elle avait fait vœu de chasteté, Wilgeforte fait une prière à Dieu pour que ce dernier la rende la plus laide possible. Le miracle a lieu et elle se retrouve affublée d'une épaisse barbe, décourageant totalement son prétendant. De colère, son propre père (païen) la fait crucifier. »
Dieu lui-même ne trouve pas un meilleur moyen pour décourager la libido masculine que de lui présenter une femme à barbe ; et aujourd’hui encore, si la pilosité féminine est l’objet de toutes sortes de fantasmes, les poils de barbe ou de moustaches sont rigoureusement pourchassés des visages féminins.
Molière quant à lui exclut le port de la barbe chez les femmes parce que celle-ci est l’indice de la puissance virile.
Là, il ne s’agit pas de propos arbitraires : depuis longtemps la barbe a été identifiée à cette puissance masculine sans doute parce qu’on a observé qu’après la mort, la barbe, comme les cheveux (et aussi les ongles) continue de pousser un certain temps : Emmanuel Le Roy Ladurie dit que les cathares les considéraient comme dépositaire de l’« astre » (= éclat) du défunt.
Voilà donc où nous en sommes, et on pourrait s’étonner que les mouvements féministes n’aient pas revendiqué pour les femmes le port de la barbe : après tout, la médecine moderne est capable de bien s’autres miracles.
Après les implants mammaires, les implants pileux ?

Friday, January 28, 2011

Citation du 29 janvier 2011

Les médecins administrent des médicaments dont ils savent très peu, à des malades dont ils savent moins, pour guérir des maladies dont ils ne savent rien.

Voltaire

Les médecins administrent des médicaments dont ils savent très peu :

En lisant cette citation de Voltaire, chacun aura une pensée pour les maléfices du Mediator, ou pour les malheureux qui ont autrefois absorbé de l’Isoméride – voire même, encore plus autrefois, de la Thalidomide.

Mais, qui donc a une pensée pour les médicaments qu’il prend chaque jour ? Car l’indignation devant les abus et les incompétences d’hier ne devraient pas nous faire oublier que des médicaments similaires sont sans doute encore à l’œuvre aujourd’hui.

Nous savons bien que le Mediator a été prescrit par les médecins à des gens pressés pour les aider à perdre des kilos– ce pour quoi il n’était pas fait. Les victimes de ce médicament l’ont pris pour ses effets secondaires : ils ont été servis ! On se dit alors qu’en se limitant à l’usage « normal », de tels médicaments seraient sans danger. On ne voit vraiment pas pourquoi. En tout cas voyez la notice qui accompagne votre médicament (n’importe lequel – ou presque), voyez les contre-indications, les effets indésirable – voyez qu’il y en a 4 pages imprimées en caractères si petits qu’on devine qu’ils sont faits pour décourager la lecture. Hé bien, dites-vous qu’on ne vous dit pas tout !

… Dites-moi : comment va votre foie ? Et les reins, hein ? Et puis puisqu’on est entre nous, dites-moi : la libido, comment ça va depuis que vous vous gavez d’anxiolytiques et de neuroleptiques (sans parler des médicaments contre le cholestérol) ?

Pour éviter de telles catastrophes, renonçons à demander des miracles à la médecine et revenons au temps de monsieur Purgon.

Thursday, January 27, 2011

Citation du 28 janvier 2011


Je me suis frileusement blotti dans un peu de tendresse.

André Gide – Journal, 23 juillet 1891

Saint Martin a donné la moitié de son manteau à un pauvre : comme ça, ils ont eu froid tous les deux.

Jacques Prévert

Houdon – La frileuse (Musée Favre – Montpellier)

La Frileuse de Houdon est comme le Saint-Martin de Prévert : elle se blottit dans un châle trop court qui du coup lui laisse les fesses à l’air. (1)

La Frileuse est émouvante parce qu’elle nous fait éprouver son frissonnement : ce blotissement qui la resserre sur elle-même est un mouvement qui nous donne à ressentir le froid qui doit lui tomber sur les reins.

Maintenant, regardez (ci-dessous), le tableau de Masaccio, intitulé Saint-Pierre baptisant les néophytes, daté de 1424-1428. Remarquez le néophyte de droite : au lieu de contempler Saint Pierre avec son auréole et d’attendre en extase d’être baptisé par lui, que fait-il ? Il grelotte et il serre ses bras autour de sa poitrine, exactement comme la Frileuse le fera, 4 siècles plus tard.

Il est intéressant alors de remarquer que les représentations de la frilosité, au cours de l’histoire de l’art sont restées les mêmes : preuve qu’il s’agit bien d’une manifestation constante dans l’espèce humaine. Mais surtout, c’est la même émotion qui renait chez le spectateur : comme le fait observer Gide, la frilosité est une recherche de réconfort, comme l’enfant qui se réfugie dans la tendresse les bras protecteurs et tendres qui l’enlacent.

L’auto-blotissement du frileux est en fait analogue au fouissement du nourrisson dans le giron de sa mère.

Notre Frileuse est donc une orpheline.

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(1) L’art du sculpteur se manifeste d’ailleurs par le fait que les visiteurs du musée Favre passent devant la statue sans en faire le tour pour la voir par derrière