Saturday, June 30, 2012

Citation du 1er juillet 2012


Les vrais paradis sont les paradis qu'on a perdus.
Marcel Proust    Le Temps retrouvé
1 – Il ne nous appartient pas de vivre dans un paradis quelconque.
2 – Les vrais paradis sont les paradis qu'on a perdus.
3 – On a donc déjà vécu au paradis, mais on l’a quitté.
--> Qu’est-ce donc que ce paradis perdu ?
Plusieurs hypothèses sont susceptibles d’être avancées, par exemple
- que ce Paradis est celui des mythes et que nous n’y avons été que par ancêtre mythique interposé.
- Ou alors (toute autre hypothèse) que l’amour de jeunesse a été sans qu’on le sache le moment où notre vie a été le plus proche du paradisiaque.
- Ou encore que si nous l’avons perdu, ce paradis, c’est simplement parce que nous ne savons pas y demeurer, nous sommes toujours en mouvement, toujours à chercher autre chose, jamais content de ce que nous avons.
Cela, c’est la thèse des stoïciens : alors que notre vie est la meilleure possible, puisque l’ordre de la Nature est à la fois bon et immuable nous sommes toujours instables et en mouvement comme disait Sénèque, trouvant dans cette agitation de ses contemporains en quête d’un « toujours-plus » l’explication de leur malheur.
Pour ma part, je pencherais plutôt pour la thèse suivante : si le Paradis appartient au passé, c’est parce que son lieu naturel est dans la mémoire. Le paradis est fait de souvenirs, et qui plus est de souvenirs infidèles : il est ce qui reste quand on a oublié tout le reste.
Le Paradis, c’est l’enfance avec ses senteurs de foin ses tartines de confiture, et les histoires que racontait Grand-mère pour s’endormir (1).
Le Paradis, c’est le parfum de la femme que nous avons pour la première fois tenue serrée dans nos bras.
Le Paradis, c’est quand la baguette de pain ne coutait que quelques centimes, du temps où le franc existait encore…
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(1) A noter : ça marche aussi avec les tartines de Nutella et le club Dorothée.

Friday, June 29, 2012

Citation du 30 juin 2012


S'il n'est pas sûr, malgré le dicton, que l'esprit vienne aux filles avec l'amour, il semble s'aiguiser dans le désamour.
Hervé Bazin – Madame Ex (1974)
Primo : rares sont les citations consacrées au désamour.
Secundo : encore plus rares celles qui lui donnent un sens positif.
L’idée de Bazin est de faire du désamour le contraire de l’amour. Or, que fait l’amour ? Il aveugle les filles et les rend idiotes : elles ne voient pas que le garçon qu’elles aiment ne leur chante des poèmes que pour coucher avec elles, que ses promesses d’avenir sont du vent – et que passé le printemps, le Prince Charmant n’aura plus un regard pour elles.
Alors, le désamour serait simplement ce qui fait faire le chemin en sens inverse, ce qui dessille les yeux ?
Pour en avoir le cœur net, j’ai consulté les forums où cette question a été agitée.
Voici par exemple ce que j’ai trouvé sur le forum aufeminin.com : « On ne pense plus à l'autre, on l'évite parfois, on ne vibre plus sous son regard ou ses caresses, on est vite irritée, on ne pardonne plus ses défauts, on dit "j'ai bcp de tendresse ou d'affection pour lui", on se renferme, on n'est plus réceptif à ses signaux d'appels, on étouffe, on a envie de tourner la page... en mode "je l'ai vécu", mais je garde beaucoup de tendresse pour lui ».Ninondelenclos  (pseudo – lire ici)
Passons sur les détails – l’important est bien que la symétrie entre amour et désamour n’existe pas : il n’y a pas d’équivalent du coup de foudre pour le désamour. Pas de réveil le matin en se disant "celui qui dort là, à côté de moi, qui était mon amour d’hier soir, n’est plus qu’un compagnon comme un autre ce matin." Le désamour suppose une progressivité, un abandon silencieux qu’on ne perçoit pas.
Le désamour, c’est comme la calvitie qui s’installe, cheveu qui reste dans le peigne après cheveu qui reste dans le peigne. La soudaineté est alors la révélation de ce qui était là déjà depuis un bon moment. D’où évidemment son caractère irréversible.
Il faudrait donc des détecteurs de désamour, comme il y a des détecteurs de fumée, qui se déclenchent bien avant que l’incendie  ne se soit propagé.
--> On pourrait peut-être utiliser les propos de Ninondelenclos qui insiste sur ces signes que sont la lassitude sous les caresses, l’impatience suscitée ces défauts qui ne passent plus, etc. Mais ces signes vont mettre longtemps avant de nous émouvoir ; par contre, il y  en a d’autres qui se révèlent plus rapidement : voilà cet homme (cette femme) que j’aime. Et maintenant, voilà que je le (la) respecte ? Que j’ai bcp de tendresse pour elle (lui).
Danger !

Citation du 29 juin 2012


Faute d'argent, c'est douleur non pareille.
François Rabelais – Pantagruel (1532), 16
Rabelais présente ici Panurge, éternel étudiant, éternel fauché, éternel inventeur de procédés pour s’en procurer (voir le texte sur ce site).
De nos jours les étudiants souffrent  toujours de la maladie des désargentés. Pourtant, ils ne font pas usage des même remèdes que du temps de Rabelais (dont le moindre était le larcin).
Et, que font nos étudiants pour trouver les moyens de financer leurs études ?
1 – Obtenir une bourse d’étude : à condition d’avoir des parents bénéficiaires de RSA, ça peut marcher…
2 – Décrocher des petits jobs, tel que vendeur chez Mc Do – ce qui bien sûr risque de pénaliser leurs chances de réussite en accaparant leur temps et leur forces (1).
--> D’où l’autre solution :
3 – Emprunter à son banquier et rembourser au terme des études : «Vous avez jusqu’à 9 ans pour rembourser votre prêt, avec une possibilité de différé. » nous dit la Société générale !
Toutefois, pas d’illusion : « on vous prêtera davantage si vous êtes inscrit dans une grande école plutôt qu'en fac de sciences humaines. De même obtiendrez-vous une somme plus importante en master qu’en 1ère année de licence... » précise la revue l’Etudiant.
Bref : n’ayant pas moi-même à trouver un tel financement, je laisserai mes lecteurs mener l’enquête si le cœur leur en dit.
Toutefois, je me demande si depuis Rabelais les rôles ne se sont pas inversés : les voleurs aujourd’hui, ce ne sont plus les étudiants… mais leurs banquiers – Du moins si l’on s’en tient à ce qui se passe aux USA, où après avoir vendu et sur-vendu du prêt étudiant, maintenant que, leur diplôme en poche, ces pauvres jeunes gens arrivent sur la marché du travail, on ne leur propose aucun emploi, et il ne reste plus qu’à les jeter sur le pavé et à faire rendre gorge à leur caution…
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(1) à propos vous connaissez la blague qu’on raconte en Grèce (et peut-être ailleurs) : « A l’étranger, les étudiants travaillent chez Mc Donald pour poursuivre leurs études ; en Grèce, ils poursuivent leurs études pour pouvoir travailler chez Mc Donald. »

Wednesday, June 27, 2012

Citation du 28 juin 2012


Amis vous noterez que par le monde y a beaucoup plus de couillons que d'hommes, et de ce vous souvienne.
Rabelais Le Cinquième Livre, ch. 8

Le couillon, au 16ème siècle, désigne le testicule et non comme aujourd’hui le sot l’imbécile, le poltron. Toutefois, il n’est pas impossible que Maitre Æditue, qui prononce cet avertissement à l’intention de Pantagruel et de ses compagnons, joue sur l’ambiguïté du sens. Toujours est-il que l’éditeur du texte de ma bibliothèque (L’intégrale/Seuil) croit nécessaire pour ceux qui ne comprendraient pas la formule il y a beaucoup plus de couillons que d'hommes, de préciser : il devrait y en avoir exactement deux fois plus.
Mais, justement : comment se fait-il que ce mot, qui désigne ce qui fait la virilité et donc la fierté des hommes, en vienne à désigner l’imbécilité ou la lâcheté ? Et que du coup il en vienne même à rejoindre le con, qui selon la même logique désigne l’organe sexuel féminin et la bêtise ?
La solution vient du petit livre de Catherine Rouayrenc Les gros mots, un Que sais-je ? édité aux PUF. Voici ce que nous précise l’auteur :
L’insulte qui vise les imbéciles est la même que celle qui dénonce les cons : ce sont des gens qui restent dans la passivité stupide alors que d’autres jouissent de la vie par leur activité et par leur ingéniosité.
Les couillons (sens étymologique) ne participent pas activement à l’acte sexuel. Pendant que le pénis s’active dans le « con » (organe de la passivité), eux, ils restent à ballotter à l’extérieur, un peu comme l’homme qui attendrait derrière la porte de la chambre que son copain ait fini de profiter de la copine.
Je me risquerai à ajouter une note plus personnelle où je dévoilerai un détail de l’intimité masculine : les « couillons » sont un organe bien encombrant qui à la différence du pénis érectile pendent systématiquement, se coincent dans le caleçon et – pire encore – sont extrêmement sensible et constituent le défaut de la cuirasse masculine – raison pour la quelle Panurge, au chapitre 8 du Tiers livre revêt une braguette en acier pour aller au combat, disant :
« La tête perdue, ne périt que la personne ; les couilles perdues périrait toute humaine nature. » (Lire ici)

Tuesday, June 26, 2012

Citation du 27 juin 2012


On ne devient pas pervers, on le demeure.
Sigmund Freud
Que faire d’un pervers criminel s’il est vraiment incurable ?
Cette question ressassée à propos des pédophiles, est en réalité beaucoup plus vaste, et elle englobe une bonne partie des récidivistes.
Supposons en effet qu’il y ait un déterminisme quelconque qui prédétermine un criminel à récidiver : on pense bien sûr aux crimes sexuels, mais pourquoi ne pas repérer aussi des escrocs ou des tire-laines qui retournent en prison à peine en sont-ils sortis.
- Pourquoi remettre en liberté de tels délinquants ? Pourquoi exposer les honnêtes gens à de tels dangers ? Et si ces criminels ne relèvent pas des hôpitaux psychiatriques, faut-il inventer une autre façon de les empêcher de nuire ?
On a parlé de castration chimique irréversible pour les pédophiles et les violeurs compulsifs. Dans cette logique, on devrait comme le préconise la charia couper la main voleuse des voleurs ou le nez des escrocs – histoire qu’on les reconnaisse de loin.
Autrefois, notre arsenal répressif comportait une mesure d’éloignement radicale : la relégation destinée aux bagnards de Cayenne : une fois purgée leur peine d’emprisonnement, il leur était interdit de revenir en Métropole, ce qui signifiait qu’ils devaient rester en Guyane jusqu’à la fin de leurs jours.
Qu’est-ce qui nous trouble donc dans de telles mesures ? Pourquoi les refusons-nous avec mépris ? (1)
Je suppose que c’est parce que nous croyons qu’un être humain est toujours susceptible de rachat, et que la rémission des péchés peut être accordée quelle qu’en soit la gravité. C’est donc notre culture chrétienne qui parle en nous.
Ce qui supposerait que lorsqu’on réclame de telles sanctions, alors c’est nous qui devenons  pécheurs en perdant confiance en la miséricorde divine.
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(1) Quand je dis « nous » je parle au nom d’une communauté sociale supposée. Je sais bien que, quand les tabloïdes britanniques publient l’adresse des pédophiles c’est bien pour les pourchasser indéfiniment, en les transformant en juif errant.
Aujourd’hui même on annonce qu’un Etat des USA vient d’édicter une loi obligeant des pédophiles ayant purgé une peine de prison de mentionner celle-ci lorsqu’ils publient sur Facebook.

Monday, June 25, 2012

Citation du 26 juin 2012


Entende, qui a des oreilles !
Parabole du semeur – Évangile selon Luc XIX, 12-27 (1)


1 – Qu’est-ce qu’une parabole ?
[Déf. : Les paraboles des évangiles sont des récits allégoriques faits par Jésus de Nazareth et présentant un enseignement moral et religieux. (Wikipédia)]
2 – Pourquoi parler en parabole ?
Telle est la question posée par les disciples à Jésus (2).
Et Jésus de répondre : « Parce qu'à vous il a été donné de connaître les mystères du Royaume des Cieux, mais à ceux-là ce n'a pas été donné. »
La Parabole du semeur est une méta-parabole, ou si l’on veut, c’est une parabole qui explique pourquoi il existe des paraboles. Elle nous dit que si Jésus parle ainsi, c’est justement pour éviter d’être entendu par ceux qui ne sont point faits pour cela. Ceux qui ne sont pas ouverts à la parole de Dieu ne doivent pas l’entendre, et s’y essayer, c’est semer dans les ronces ou le sable stérile.
--> Autrement dit :
- la parabole n’est pas simplement un message métaphorique ou symbolique destiné à faire entendre ce qu’on ne pourrait pas dire en langage clair : d’ailleurs, l’exégèse biblique montre sans difficulté qu’on peut y arriver.
- la parabole est un message dissimulé, afin que ceux qui ne méritent pas de l’entendre ne l’entendent point, et que seuls les disciples qui le méritent le comprennent. C’est ainsi que le Gourou, dans un conte chinois (3), donne rendez-vous à ses disciples pour la nuit suivante dans un message codé que seuls les plus fins peuvent déchiffrer. Les autres resteront à la porte.
C’est ainsi que le Semeur ne jette ses graines que dans la bonne terre et non dans les ronces : la parabole est un message réservé à l’élite.
--> Oui, mais alors, quid de la Bonté divine ? S’il faut un message de Dieu pour être sauvé, il y aurait des pauvres d’esprits (pas seulement en esprit) qui resterait à la porte du Paradis ?
De deux choses l’une : ou bien ils ont, comme dit Jésus, « des yeux et ils ne voient point, des oreilles et ils n’entendent pas » : ils sont donc responsables de leur malheur.
Sinon, ils sont pour de bon pauvres d’esprits et pour eux il y a la foi du charbonnier.
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(1) « Voici, disait-il, que le semeur est sorti pour semer. Et comme il semait, des grains sont tombés au bord du chemin, et les oiseaux, étant venus, ont tout mangé. D'autres sont tombés sur des endroits pierreux, où ils n'avaient pas beaucoup de terre, et aussitôt ils ont levé, parce qu'ils n'avaient pas de profondeur de terre: mais, le soleil s'étant levé, ils ont été brûlés, et faute de racine, ils se sont desséchés. D'autres sont tombés sur les épines, et les épines ont monté et les ont étouffés. Mais d'autres sont tombés sur de la bonne terre, et ils ont donné du fruit, l'un cent, l'autre soixante, l'autre trente. Entende, qui a des oreilles ! »
(2) Et, s’avançant, les disciples lui dirent : « Pourquoi leur parles-tu en paraboles ? »
(3) Je crois me rappeler que c’est le Singe Pèlerin (Si-yeou-ki : à lire – en anglais – ici) : mais je ne garantis rien.

Sunday, June 24, 2012

Citation du 25 juin 2012


L’éducation doit donc, premièrement, discipliner les hommes. Les discipliner, c’est chercher à empêcher que ce qu’il y a d’animal en eux n’étouffe ce qu’il y a d’humain, aussi bien dans l’homme individuel que dans l’homme social. La discipline consiste donc simplement à les dépouiller de leur sauvagerie.
[…] Le manque de discipline est un mal pire que le défaut de culture, car celui-ci peut encore se réparer plus tard, tandis qu'on ne peut plus chasser la sauvagerie et corriger un défaut de discipline.
Kant – Traité de pédagogie, Introduction (lire ici)
Voici les vacances ! Beaucoup d’écoliers (et peut-être quelques maitres ?) jettent leurs cahiers à la poubelle en rêvant qu’il n’y aura pas de prochaine rentrée, que ces vacances seront sans fin…
Et si c’était vrai ? Que perdrions-nous en perdant l’école ?
La réponse de Kant prend à rebrousse-poil l’opinion éclairée d’aujourd’hui : l’école est indispensable, parce qu’elle discipline ces petits animaux sauvages que sont les enfants. Elle les contraint à se tenir tranquilles sur une chaise à ne pas bavarder, à répondre avec respect et seulement quand on leur adresse la parole.
Et quand bien même elle ne ferait que cela, ce serait une tâche absolument essentielle : car passée la petite enfance, il n’est plus possible de l’effectuer. Ceux qui en grandissant n’ont pas acquis étant petits cette discipline, restent à tout jamais des  hommes indisciplinés, incapables de mener une vie sociale harmonieuse. Et, notez-le bien, Kant – comme Rousseau – ne considérait pas que cette tâche de civiliser les enfants incombe seulement aux parents, mais que l’école y jouait un rôle essentiel.
On dira que plus personne ne croit ce que dit ici Kant ; que les enfants bien élevés ne font en réalité que reproduire le modèle proposé par les  parents, de sorte qu’il y a là une sorte de déterminisme social (et non scolaire). Par ailleurs, les psychologues nous répètent que l’on peut toujours remédier par une démarche appropriée aux défauts du comportement. Quant à certains dirigeants politiques, ils estiment certes que les petits sauvageons existent, mais que c’est là l’effet d’une génétique loupée et que la seule possibilité est de les isoler à la naissance ou presque, pour qu’ils ne perturbent pas la société.
Reste que Kant nous suggère la remarque suivante : aujourd’hui, nous pensons que l’école (que l’écris avec un e minuscule pour bien montrer que je vise la réalité scolaire et non l’Institution) a pour tâche de former des gens capables de gagner leur vie en accédant à un métier. Et si, avec Kant nous disions que le rôle de l’école n’était pas de former, mais de transformer un petit animal en un homme ? Mais en se rappelant que l’homme qu’il convient de faire naitre ainsi ne doit pas être un simple pion pour le jeu d’échec social.
D’ailleurs si nous revenons au Traité de pédagogie de Kant, nous lisons : Il ne suffit pas de dresser les enfants ; il importe surtout qu’ils apprennent à penser.
Après la discipline : la culture.

Saturday, June 23, 2012

Citation du 24 juin 2012


Je me suis proposé de décrire des maladies produites par la masturbation, et non point du crime de la masturbation ; n'est-ce pas d'ailleurs assez en prouver le crime, que de démontrer qu'elle est un acte de suicide
Dr S.TISSOT, L'onanisme. Dissertation sur les maladies produites par la masturbation, Préface de 1813. (p. X) (1)
(Cité dans l’intéressant article de P.O. De Busscher – (DEA 1993) L'imaginaire médical de la masturbation : de la crise anti-onanisme au sexe à moindre risque (XVllle-XX SIECLE) )

Cher ami désespéré,
tu veux mettre fin à tes jours, mais tu hésites encore sur le moyen à utiliser ? La corde ? La noyade ? Le saut fatal du pont de l’autoroute ?
Non – rien de tout ça ! N’hésite plus : masturbe-toi jusqu’à ce que mort s’en suive !
Je vois que tu doutes : tu crois que je me moque de toi, que je refuse de te prendre au sérieux ?
Pas du tout ! Lis donc le livre du Docteur Tissot. On y trouve cette énumération des ravages effrayants de cette perversion :
- épuisement des forces physiques, qui se dispersent avec les orgasmes répétés.
- consomption des forces psychiques qui restent en permanences tendues par l’obsession sexuelle.
- obsession qui justement génère la folie : non seulement en entraînant la dégénérescence de la matière cérébrale, mais encore en menant à l’isolement : à la différence du débauché, le masturbateur est un solitaire.
Si tu n’y laisses pas rapidement la vie, du moins cesseras-tu d’exister comme être humain, puisque tu perdras la conscience morale qui t’élève au-dessus de l’animal.
Ami désespéré ! Tu doutes encore de mes paroles et tu te dis que si cet acte abominable entrainait de tels maléfices on le saurait. Mais sais-tu qu’on ne l’ignore que parce qu’on le veut bien ? Que si nous reprenions les traités du Docteur Tissot et de ses confrères, ou bien encore si on pratiquait les manuels de confession du 18ème siècle, on aurait tôt fait de constater que ce vice continue de faire des ravages. (2)
Bien sûr, la liberté et la dépravation sexuelle ont limité le développement de la satisfaction solitaire. Mais la débauche continue, et avec elle la démoralisation, la dégénérescence de l’espèce, l'épuisement des forces humaines.
Comment comprendre autrement le dégoût du travail qui s’est aujourd’hui généralisé ?
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(1) L’ouvrage de Tissot, dans son édition de 1813 est intégralement reproduit ici.
(2) Sur le sujet, on peut lire avec intérêt le livre d’Alain Corbin L’harmonie des plaisirs (sous-titré : Les manières de jouir du siècle des Lumières à l’avènement de la sexologie).

Friday, June 22, 2012

Citation du 23 juin 2012


Celui qui se transforme en ver de terre ne doit pas se plaindre par la suite qu’on lui marche dessus.
Kant – Doctrine de la vertu I, I, 2 (Trad Philoneneko, p.111)
Ainsi, il existe des citations de Kant qui n’ont pas besoin d’être relues 3 fois pour être comprises, et même comprises sans contre sens, ainsi qu’on peut le vérifier en complétant notre Citation-du-Jour pas celle-ci péchée quelques lignes plus haut :
S’agenouiller ou se prosterner jusqu’à terre, même pour rendre sensible l’adoration des choses célestes est contraire à la dignité humaine.
Kant – Idem
Un ambassadeur anglais (au 18ème siècle je crois) se présente devant le Tzar (1). Selon la coutume, on veut qu’il se mette à genoux devant lui : il refuse, disant qu’un anglais se met à genoux seulement devant Dieu ; devant le roi, il ne met qu’un genou à terre.
Il y a donc dans l’usage de l’humilité un mésusage qui ne relève pas de la fausse humilité.
- La fausse humilité, en effet, consiste à se montrer humble pour avoir le plaisir qu’autrui vienne nous démentir et nous relève dans tous les sens du terme.
- En revanche, le mésusage de l’humilité consiste à humilier à travers notre personne ce qui ne devrait pas l’être, c’est-à-dire, selon Kant, l’humanité qui est en nous. Or, la dignité de l’humanité doit être conservée et honorée dans la personne de chacun d’entre nous.
Nous avons en nous un idéal de l’humanité, qu’on résumera en disant qu’elle fait de l’homme un être qui a sa fin en soi-même.
Etre une fin en soi, c’est incarner une valeur qui ne peut être subordonnée à quoi que ce soit, valeur qui ne saurait donc être un moyen au service d’autre chose – moyen qu’on laisserait de côté quand il cesserait d’être efficace. Le respect d’une telle valeur est en réalité inconditionnel.
Dans le cas qui nous intéresse, cela veut dire qu’on n’a pas le droit d’humilier ce qu’il y a d’humain en chaque individu, mais aussi que nous n’avons pas le droit de le faire en nous-même.
Et voilà l’humilité qui apparait : si elle consiste à humilier quelque chose en nous, que ce ne soit pas en nous soumettant à quoi que ce soit, passion animale, désespoir de l’humain, ni même subordination totale à autrui. Car alors nous détruisons l’humain en nous.
Il est vrai que l’humilité n’est pas la seule circonstance où nous détruisons l’humain que nous devrions respecter : il y a aussi (toujours selon Kant) par exemple la masturbation (qui considère notre corps comme un simple instrument au service de la jouissance animale) et surtout le suicide, circonstance dans laquelle nous nions notre personne morale, en « extirpant du monde … la moralité dans son existence même » (Métaph. des mœurs – §6).
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(1) A moins que ce ne soit l’Empereur de Chine ?

Thursday, June 21, 2012

Citation du 22 juin 2012


Il faut profiter de l’immortalité sans tarder - c’est la plus courte des saisons.
Francis Dannemark –  Qu’il pleuve
Souvent les citations parce qu’elles sont séparées de leur contexte perdent complètement leur sens. Mais il peut se faire aussi que leur caractère énigmatique tienne au fait qu’elles sondent un mystère de l’existence : ainsi de l’immortalité, conçue comme « une saison » de la vie.
Décryptons :
- A quel moment de notre vie sommes-nous immortels ? Réponse : dans la jeunesse. Non pas que nous ignorions alors que la mort rode, mais on n’en sent pas les prémices en nous. Le grand-père est mort, oui. Mais il était bien vieux, et rien dans une vie de jeune ne donne à vivre ce que c’est que la vieillesse, ni quel est le goût de la mort prochaine dans la bouche du vieillard.
- Toutefois, la jeunesse, pour qui l’observe du haut de la science du philosophe ou de l’inspiration du poète, est elle-même emportée dans la course de la vie. Elle est une gare sur le trajet du train de la vie –  il y passera peut-être au ralenti, mais hélas ! il ne s’y arrêtera pas… Il ne s’arrêtera d’ailleurs qu’à son terminus, qui va se profiler bientôt à l’horizon.
--> Il faut donc profiter de la jeunesse quand il en est temps. Oui…
Mais que faut-il faire pour profiter de sa jeunesse ? Vivre des passions torrides ? S’éclater dans des boites de nuit à Ibiza ? Se charger de toutes sortes de substances toxiques pour en profiter 24 heures sur 24 ?
Inepties ! Profiter de sa jeunesse, c’est jouir de cette sensation d’être immortel, c’est-à-dire jouir de la vie sans qu’aucune limite ne vienne en obscurcir l’horizon, ni ternir l’éclat de ses sensations. Etre immortel en ce sens, c’est jouir d’une durée non pas infinie, mais indéfinie.
Alors, évidemment, de temps en temps on nous dit que puisque ça ne durera pas, alors il faut rechercher une autre forme d’immortalité, celle dont on jouit au Paradis (1)
Pourquoi pas ? Mais moi, je me dis – en paraphrasant Woddy Allen : Quand on sait ce qu’il faut faire pour aller au Paradis, on n’a plus très envie d’y aller.
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(1) Sur le Paradis, voir ce site, où l’on trouve en particulier ceci :
« La forme du Paradis est toujours changeante parce qu'il est le produit de désirs humains inconscients. Montre-moi ton paradis, et je te montrerai ce qui manque dans ta vie. Les habitants du désert qui écrirent la Bible et le Coran connaissaient la soif - donc des rivières, des fontaines et des sources coulaient toujours au paradis. Les esclaves afro-américains croyaient qu'ils allaient au paradis où «les premiers seraient les derniers, et les derniers seraient les premiers» - ainsi ils seraient des hommes libres qui domineraient les esclaves blancs. Les jihadistes islamistes de nos jours vivent dans une société sevrée de sexe, donc on plonge dans une orgie peuplée de 72 vierges dans leur paradis. »

Wednesday, June 20, 2012

Citation du 21 juin 2012


La fourmi qui amasse et l’araignée qui ratiocine ne peuvent rien sans l’abeille qui transforme : l’imagination.
Luc Peterschmitt (Commentaire de l’ouvrage de Chantal Jaquet : Bacon et la promotion des savoirs)
Cette citation résume un texte de Bacon qu’il vaut mieux lire pour commencer : on le trouvera en annexe
Voici « la célèbre image opposant la fourmi empirique qui amasse tout ce qu’elle trouve, l’araignée rationaliste qui tire d’elle-même son discours et l’abeille qui transforme ce qu’elle découvre. » (Ch. Jaquet)
Il est possible que vous soyez victime d’une phobie des insectes, en particulier de l’araignée. Sachez pourtant que cette  bestiole n’est absolument pas nuisible à condition d’apparaitre solidairement avec les deux autres : pas d’araignée dans la maison sans fourmis et sans abeilles.
--> Décryptons : le savoir ne peut progresser qu’à condition de réunir trois facultés qui ont souvent le défaut de régner de façon solitaire :  
- L’empiriste qui, comme une fourmi, se contenterait de collectionner des faits d’observation, ne peut élaborer à lui tout seul que des tristes compilations sans aucun effet pour la connaissance.
- Le logicien qui, livré à lui-même, formule des discours métaphysiques sur les essences et les substances, et ne nous donne que des abstractions sans rapport avec la réalité. Ses toiles d’araignées resteront désespérément vides.
- Enfin, l’imagination qui transforme ces deux sources en effectuant leur synthèse, et qui, sans les deux autres facultés, ne nous livrerait que des songes évaporés. Bacon la compare donc à « l’abeille [qui] garde le milieu ; elle tire la matière première des fleurs des champs et des jardins ; puis, par un art qui lui est propre, elle la travaille et la digère. »
Réunir ces trois supports est le propre de l’esprit scientifique, qui, selon Bacon, doit éclairer le savoir quel qu’il soit. Il s’agit ici d’un « discours de la méthode » légèrement antérieur à celui de Descartes, mais qui a la même ambition : nous mettre en état de formuler une connaissance rigoureuse qui nous donne une prise sur la réalité.
… Tout ceci devrait être bien connu, depuis bientôt 4 siècles que Bacon l’a écrit. Mais quand on voit l’extraordinaire gravité avec laquelle s’énoncent aujourd’hui des opinions sans fondements qui ne font qu’abrutir les malheureux consommateurs d’information, on se dit qu’il serait bon de revenir aux « fondamentaux ».
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Annexe
« Les philosophes qui se sont mêlés de traiter les sciences se partageaient en deux classes, à savoir : les empiriques et les dogmatiques. L’empirique, semblable à la fourmi, se contente d’amasser et de consommer ensuite ses provisions. Le dogmatique, tel que l’araignée, tisse des toiles dont la matière est extraite de sa propre substance. L’abeille garde le milieu ; elle tire la matière première des fleurs des champs et des jardins ; puis, par un art qui lui est propre, elle la travaille et la digère. La vraie philosophie fait quelque chose de semblable ; elle ne se repose pas uniquement, ni même principalement sur les forces naturelles de l’esprit humain, et cette matière qu’elle tire de l’histoire naturelle et des expériences mécaniques, elle ne la jette pas dans la mémoire telle qu’elle l’a puisée dans ces deux sources, mais après avoir aussi travaillé et digéré elle la met en magasin. Ainsi notre plus grande ressource et celle dont nous devons tout espérer, c’est l’étroite alliance de ces deux facultés : l’expérimentale et la rationnelle, union qui n’a point encore été formée. » Francis Bacon, Novum Organum (1620), livre I, aphorisme 95