Tuesday, June 30, 2015

Citation du 1er juillet 2015

Il n'y a pas de problèmes; il n'y a que des solutions. L'esprit de l'homme invente ensuite le problème.
Gide
Le savant n'est pas l'homme qui fournit les vraies réponses; c'est celui qui pose les vraies questions.
Lévi-Strauss
Qu’est-ce qui vient en premier : le problème ou la solution ? Ne répondez pas trop vite, vous pourriez le regretter.
Selon Gide, nous rencontrons d’abord des solutions et puis nous remontons au problème qui en est la source. Bien sûr, si on demande : « Mais comment savoir que telle situation est une solution si on ne sait pas qu’elle découle un problème ? » la réponse devra faire intervenir une démarche scientifique particulière (cf. ici). Mais il semble que Gide ne pense pas spécialement à une telle méthode : il paraît songer au fait que seuls des esprits torturés par une pathologie psychologique (à moins que ce ne soit par la philosophie !) peuvent s’ingénier à trouver des difficultés là où tout va bien.

Lévi-Strauss nous aide à remettre les choses à leur place : une réponse n’a d’intérêt que si nous savons quel domaine elle éclaire. La recherche scientifique est faite d’une telle investigation : ainsi Torricelli qui, avant de répondre à la question des fontainiers de Florence : « pourquoi la pompe ne permet-elle pas de faire monter l’eau du puits quand il plus profond que 10m ? », doit d’abord poser le vrai problème : « quelle est la force qui s’exerce sur la surface de l’eau pour empêcher le vide de la pompe de la faire remonter ? » Comme on le voit, la bonne question est celle qui non seulement peut être résolue, mais aussi qui nous permet de comprendre quelle est la portée de cette réponse.


Revenons à Gide maintenant. Il y a deux sortes de problèmes : ceux qui enrichissent mon intelligence et ceux qui l’obscurcissent. Bien sûr, si je m’inquiète en voyant des nuages et que du coup je me dis : « Tient ! On dirait qu’il va y avoir de l’orage… », je transforme les nuages en signes qui réfèrent à une pluie abondante – mais du coup je peux quand même anticiper et prendre mon parapluie. Mais si, quand je me ramasse la pluie sur la figure, je me demande : «  Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ? » alors là j’ai la seconde catégorie de question. 

Monday, June 29, 2015

Citation du 30 juin 2015

Évidemment, réclamer la liberté d'expression n'est pas réclamer une liberté absolue. Il faudra toujours, ou du moins il y aura toujours, tant qu'existeront des sociétés organisées, une certaine forme de censure. Mais la liberté, comme disait Rosa Luxemburg, c'est la liberté pour celui qui pense différemment. Voltaire exprimait le même principe avec sa fameuse formule : Je déteste ce que vous dites ; je défendrai jusqu'à la mort votre droit de le dire. (1)
George Orwell – La Ferme des animaux (Préface inédite)

Quoi ! Encore la liberté d’expression ? Liberté de blasphémer, de critiquer, d’injurier peut-être ! Encore deux minutes et on va nous demander si nous aussi, « nous sommes Charlie » ! Marre !
- Marre, peut-être. Mais quand même : pourquoi quelqu’un comme Orwell (et comme beaucoup d’autres) n’affronte-t-il pas l’objection : si on ne nous permet pas de tout dire, alors à quoi sert le droit de dire autre chose ? Et puis, c’est quoi donc cette « certaine forme de censure » ? Bref :
            1 – La liberté admet-elle une limite ?
            2 – Si oui, comment la situer ?
            3 – Avec quelle conséquence ?
Vous reconnaissez peut-être ici le point où les débats sur le Blasphème capotent.
1 – La liberté civile admet une limite, celle qui assure à chacun de pouvoir jouir de la même liberté que les autres citoyens. Il est clair que si ma liberté consiste à tester le fil de mon couteau en coupant l’oreille de mon voisin, alors non : je n’aurai pas cette liberté, puisqu’elle nuit à l’intégrité physique d’autrui. Alors blasphémer le Prophète (d’un musulman), n’est-ce pas comme lui couper l’oreille (au musulman) ?
Réponse : peut-être, si la loi le dit. Car ça dépend d’elle : celle de la République française dit que non, ce n’est décidément pas la même chose.
2 – Car c’est le peuple qui établit la loi qui limite la liberté civile. On comprend que le propre des religions soit de fixer cette limite autrement – selon leurs propres dogmes. Par exemple, si vous voulez interdire le blasphème, il faudra demander aux prêtres et à leurs Livres Saints de dire en quoi il consiste. Si, entre la loi de la République et celle de Dieu il y a un « conflit des limites », il faut le trancher en établissant soit une hiérarchie des systèmes de référence (ex. : dans un Etat religieux, à la différence de ce qui se fait dans un Etat laïque, ce sont les lois saintes qui sont au-dessus des lois civiles). Soit en délimitant les zones ou les lieux où ces lois sont reconnues. Par exemple, dans un espace public (comme la rue) qui ne connait que la loi civile, je peux librement blasphémer – par contre dans un Eglise, ce ne le sera pas.
Il me semble que le débat est clos.
--------------------------------------

 (1) Cette citation de Voltaire est jugée apocryphe, mais puisqu’elle fait partie de la citation d’Orwell, on s’en contentera.

Sunday, June 28, 2015

Citation du 29 juin 2015

Messieurs, il se coupe trop de têtes par an en France. Puisque vous êtes en train de faire des économies, faites-en là-dessus. Puisque vous êtes en verve de suppressions, supprimez le bourreau. Avec la solde de vos quatre-vingts bourreaux, vous payerez six cents maîtres d’école. Songez au gros du peuple. Des écoles pour les enfants, des ateliers pour les hommes. Savez-vous que la France est un des pays de l’Europe où il y a le moins de natifs qui sachent lire ! Quoi ! La Suisse sait lire, la Belgique sait lire, le Danemark sait lire, la Grèce sait lire, l’Irlande sait lire, et la France ne sait pas lire ? C’est une honte. 
Victor Hugo – Claude Gueux (1834)
Actualité de Victor Hugo :
            - En 1834 déjà, il souligne que les Français sont les moins aptes à la lecture de tous les enfants européens. Nous en sommes encore là en 2015
            - Les députés français étaient déjà (1834) entrain de faire économies sur le budget de l’Etat, en particulier dans l’éducation.
            - On réglait déjà des problèmes de budget : combien un bourreau vaut-il de maitres d’école ?
(Solution : si 80 bourreaux = 600 maitre d’école ; alors : 1 bourreau = 7,5 maitres d’école
Autant dire qu’il est certainement plus difficile de faire le bourreau que de faire le maitre l’école, et que c’est pour cela qu’il faut le payer plus cher.)

Voilà : quels progrès avons-nous fait en 180 ans ?
            - En lecture ? Oui, nous avons créé l’école publique et obligatoire. Et alors ? Nos enfants savent-ils lire ? Hélas ! Nous sommes obligés de le dire : Victor Hugo était bien naïf : il croyait qu’il suffisait d’apprendre pour savoir.
            - Les économies sur le budget de l’Etat ?  Beaucoup pensent que le budget de l’Education nationale est trop élevé eu égard aux résultats obtenus. Nous payons très cher des professeurs grognons qui ne veulent enseigner qu’aux meilleurs élèves – c’est à dire ceux qui apprendraient aussi bien sans eux.
            - Nous n’avons plus de bourreaux – la belle affaire ! Les maîtres d’école nous coûtent à présent si cher, et leurs résultats pour prévenir la délinquance sont si piètres, qu’on ne croit plus comme Hugo que le progrès de l’instruction publique résoudrait la question de la criminalité. Il nous faut donc toujours recruter des bourreaux (1) ? Oui, mais ce n’est pas si facile : par exemple on manque de main d’œuvre en Arabie saoudite.
-------------------------------------
(1) De fait, on se contente de gardiens de prison ; mais à la longue, ça coute plus cher…


Saturday, June 27, 2015

Citation du 28 juin 2015


Certains auraient tendance à prendre la raie de leurs fesses comme méridien d'origine.
René Lefèvre

Vous trouvez ça bizarre, vous, de prendre ses fesses pour origine du monde ?
Bien sûr, on ne va pas philosopher ici sur le tableau de Courbet : ce serait intéressant mais un peu long (1). En plus le monde qui s’origine à partir d’un sexe (monde=ensemble des hommes) n’a rien à voir avec la mappemonde qui s’arrondit sur ces fesses.
Alors bien sûr on aurait pu prendre une opulente paire de seins comme support de la mappemonde : ses deux hémisphères auraient pu sans difficultés y prendre place. Mais avouez que ce serait dommage d’exclure l’homme de cette métaphore. Car il ne vous aura pas échappé que le créateur, bien qu’il ait fait don aux hommes de toutes sortes de supériorités, n’a pas cru utile de les doter de ces organes charmants.
Enfin, bien sûr on s’étonnera peut-être aussi qu’on n’ait pas fait référence au nombril comme centre symbolique du monde (2). Certes, le nombril n’est pas accolé à des rondeurs hémisphériques. Mais comme centre il est mieux approprié que la raie des fesses qui localise un espace beaucoup plus vaste. Si vous regardez le repère indiqué sur l’image ci-dessus, vous verrez que le monsieur (ou la madame ?) habite quelque part entre Helsinki et Le Cap : pas très précis…
Et vous, mon cher lecteur, en quel endroit situez-vous le centre du monde ? Quelque part sur votre corps (vous avez le choix de l’endroit : rappelons qu’Atlas le porte sur ses épaules), ou bien refusez-vous un tel enracinement, estimant que le monde n’existe que là où vous avez mis le pied ?
------------------------------------
(1) Et en plus je l’ai déjà fait : voyez ici.

(2) Il faut dire que là encore j’ai largement entamé l’examen de la question (ici).

Friday, June 26, 2015

Citation du 27 juin 2015

Un fonctionnement, même optimal, d'une économie de marché, fût-elle la plus riche, ne garantit pas la survie de l'ensemble de la population.
Jean-Paul Fitoussi
Justification de la pauvreté II
Allons bon ! Nous revoilà (comme hier) avec la question de l’écart entre les riches et les pauvres ? Et avec celle des classes favorisées comparées aux défavorisés ? Qu’est-ce qu’on peut encore raconter d’intéressant là dessus ? Revenir au gâteau qu’on partage, et se demander s’il faut se battre pour avoir le couteau ou bien trimer pour le faire grossir ? Mais enfin ! Quelle naïveté ! Comme si on ne savait pas que depuis le premier jour de la création c’étaient toujours les plus forts qui l’emportaient et les plus faibles qui souffraient ! Quelle justice dans quelle société ? A part la Jérusalem céleste, je ne vois pas où la chercher, car c’est là que nous trouvons la promesse du retour au paradis perdu, à la pureté qui redeviendrait la nôtre une fois que nous aurons été définitivement lavés de nos péchés. Un lieu où nous serions enfin auprès de Dieu.

Bref : si c’est cela que nous demandons, alors on nous explique que ce n’est pas vers l’économie de marché qu’il faut se tourner pour l’obtenir. Car on comprend que dans l’immanence de la société – je veux dire : dans ce qu’elle est et ce qu’elle peut faire là, maintenant – rien de tel ne peut se produire : les forts exploiteront toujours les faibles, et s’ils ajoutent des justifications ce ne seront que des mensonges qui auront pour effet d’humilier d’avantage les victimes.
Si donc la société ne peut, dans son immanence nous donner ce que nous cherchons, où donc trouver la transcendance qui le permettra ?
Réponse : dans l’amour et l’amitié de la communauté humaine (réduite, pour commencer, à quelques hommes) ; ou dans l’espoir d’un avenir tel que celui de la société sans classe, ou encore dans l’attente d’un accomplissement ultime de l’humanité parvenue à la Raison. Bref c’est en la transcendance horizontale qu’il faut espérer.

Ceux que ce concept fait rire peuvent lire l’interview de Luc Ferry ici.