Monday, March 31, 2008

Citation du 1er avril 2008

Poissons morts / Allez donc dire aux moissonneuses / Poissons morts / Que la graisse de mitrailleuse / N'est pas la brillantine des dieux / N'est pas la brillantine des dieux
Poissons morts - Texte E.Roda Gil, musique Julien Clerc.
Breaking news - Breaking news - Breaking news - Breaking news - Breaking
De source sûre on apprend que l’énigme des poisons morts qui flottent au large des côtes bretonne a été éclaircie.
Il ne s’agit pas de pollution industrielle ni du dégazage de pétrolier, mais bien de travaux sous-marins.
En effet, la SNCF enhardie par le succès de l’Eurostar, et dans l’espoir de ravir de nouvelles parts de marché aux compagnies aériennes vient de décider la mise en chantier d’un tunnel transatlantique.
Que ceux qui restent sceptiques observent cette photo sous-marine
P.S. On prétend que les compagnies aériennes s’apprêtent à répliquer en mettant en place une liaison héliportée entre Paris et la Banlieue. Je conseille la plus grande réserve à nos lecteurs, devant cette information que nous n’avons pu vérifier.

Citation du 31 mars 2008

L'effet des richesses d'un pays, c'est de mettre de l'ambition dans tous les cœurs. L'effet de la pauvreté est d'y faire naître le désespoir. La première s'irrite par le travail ; l'autre se console par la paresse.

Montesquieu De l'esprit des lois

Est-ce que j’ai bien compris ? Est-ce que Montesquieu veut dire que la paresse est la consolation des pauvres ? Et que les pauvres sont pauvres parce qu’ils vivent dans un pays pauvre ? Et que s’ils vivaient dans un pays riche, ils seraient au contraire ambitieux et donc travailleurs ? Est-ce que c’est ça ?

Parce que, si c’est ça, alors on ne doit pas s’irriter de la paresse de nos concitoyens ou de celle de nos enfants : c’est une conséquence et de l’économie du pays, et d’une défense naturelle liée à la psychologie humaine.

Si vous n’êtes pas d’accord, libre à vous. Reconnaissez tout de même que c’est un peu stimulant de se dire que – peut-être – la paresse n’est pas un vice lié à la mauvaise volonté du paresseux, mais que c’est un effet de la situation socio-économique des individus. Dans ce cas, on devrait aussi s’interroger sur l’origine des élites. S’agit-il de surdoués que la nature fabrique avec parcimonie, ou bien des héritiers d’une classe privilégiée. Même pas besoin de ressortir les bouquins de Bourdieu pour répondre à la question.

Moi, ce qui me stimule les neurones, c’est plutôt d’imaginer que la paresse est une consolation. Non pas à titre de mauvaise foi, du genre sartrien, consistant à dire : « Si je voulais travailler, je réussirais ». Ça, c’est banal. Mais plutôt, j’aimerais considérer la paresse comme un plaisir que celui qui ne travaille pas éprouve dans sa plénitude. Le chômeur dirait alors : « Je n’ai pas de travail, je vis avec le RMI… Mais que c’est bon de ne rien faire ! ».

J’imagine que notre société moderne verrait là une perversion, dont l’évocation viole un tabou. Comme quoi, détruisez les tabous, il en renaîtra toujours d’autres. Et que ceux qui se désespéraient de ne plus avoir de tabous à violer se réjouissent.

Bon. Sur ce, je vais me recoucher.

Saturday, March 29, 2008

Citation du 30 mars 2008

Tout vrai langage est incompréhensible.

Antonin Artaud - Ci-gît 1947

N.B. On prendra ici le terme de langage comme désignant non pas la fonction qui permet de parler (comme quand on évoque le « centre cérébral du langage »), mais bien l’usage de cette fonction dans un cas déterminé (comme quant on dit : « il va falloir un langage plus châtié »)

N’est-il pas paradoxal de partir sur une pareille citation quand on prétend communiquer ses réflexions sur l’incommunicabilité ? Comment Artaud pouvait-il croire à ce qu’il disait, dès lors qu’il écrivait pour être lu ? Et comment reconnaître le vrai langage : n’importe quoi d’incompréhensible en serait-il un ?

Je crois que toutes ces questions se résolvent dès qu’on songe à ce qui se passe lorsque nous lisons une œuvre littéraire. On dit parfois qu’il faut du temps pour « entrer dans un roman » ; parfois au contraire, on apprécie tel livre, et puis à peine l’a-t-on refermé qu’on l’a oublié, parce qu’il ne nous a rien apporté… C'est bien parce qu'il peut - il doit - y avoir une certaine distance entre le "langage du roman" et le "langage quotidien"

On dit (qui ? J’ai oublié, justement) que tout roman « véritable » devrait être lu comme si il était écrit dans une langue étrangère. C’est peut-être cela qu’Artaud voulait dire : la narration, la pensée, les mots, sont des créations, qui n’ont qu’un rapport ténu avec le langage courant. Non pas que ce soit nécessairement hermétique ; mais parce que ce sont des œuvres de l’esprit humain, tout cela doit être quelque chose qui enrichit notre expérience d’une façon ou d’une autre. Que cela vaille aussi pour les mots ne fait que renvoyer aux mécanismes de la création des énoncés dans la parole

Les philosophes sont habitués à cette situation, eux qui doivent poser explicitement le sens de leur concept et la position de départ de leur pensée. Les poètes n’ont pas à le faire : la poésie n’existe que si elle est langage créateur (1). Dans le cas des romans, la situation est plus ambiguë : comme on l’a dit, le roman de kiosque de gare est écrit comme le journal. Mais dès qu’on devient plus ambitieux (et il n’est pas nécessaire d’aller jusqu’à Proust pour trouver des exemples), alors il nous faut un peu de temps pour « entre dedans ».


(1) On se rappelle que poésie vient du verbe grec « poïeïn » qui signifie aussi créer. Le poète est le créateur-type.

Friday, March 28, 2008

Citation du 29 mars 2008

Certains s'imaginent que les princes qui ont une réputation de sagesse la doivent seulement à leurs conseillers, non à leurs qualités naturelles, mais ils se trompent. Car voici une règle infaillible : un prince qui manque de sagesse ne sera jamais sagement conseillé, à moins qu'il ne s'en remette complètement au choix du hasard, et que le hasard désigne un sage second. En ce cas, on pourrait bien évoquer la sagesse du prince, mais elle serait de courte durée, car ce gouverneur lui ravirait son État.

Machiavel - Le Prince - chapitre 23

C’est devenu une opinion assez générale : les hommes politiques sont des communicants (1), ils ne font que faire passer les projets, les idées conçus par leurs conseillers, politiques ou spécialistes. On a même l’impression parfois que ces hommes d’Etat sont comme les écrivains qui ont recours à des nègres : pour ceux-ci, on ne reconnaît pas leur style d’un livre à l’autre ; pour ceux-là on se trouve devant une autre pensée (2).

Machiavel prend le problème par son bout politique : l’homme d’Etat qui ne fait que suivre ses conseillers perdra le pouvoir immanquablement ; soit parce qu’ils seront incohérents ; soit parce que le sage conseiller va ravir le pouvoir pour lui seul.

Les conseillers du président – Notre Président ! – sont-ils sages ? Je me garderai bien de répondre ici à cette question. Mais ce que j’observe, c’est qu’on est toujours à la recherche de l’auteur de ses discours. Qui est sa plume ? Claude Guéant, Henri Guaino, Emmanuelle Mignon, ça fait du monde, et on en ignore sans doute encore beaucoup…

En fait je constate que désormais, on n’entend plus le discours du Président, parce qu’on cherche à deviner l’influence du conseiller. Le Président flotte dans son discours comme un communiant dans le costume trop large pour lui de son grand frère. Et lorsqu’il s’exprime personnellement et qu’il lâche une énormité (du genre « J’inclinerai pour ma part, à penser qu’on naît pédophile »), alors on se dit : « Tient ! Il essaie de parler comme X. »

On rapporte que Bill Clinton au bout d’un an de présidence a viré tous les conseillers issus de ses proches pour les remplacer par des professionnels. On devrait alors imaginer que les conseillers doivent être de simples techniciens, et qu’ils ne peuvent que dire comment tenir le cap, et non le choisir.

Mais pour choisir le cap, il faut être un grand homme d’Etat… ou savoir écouter le peuple ?


(1) Qu'on se rappelle le cas de Ronald Reagan, dont on disait qu'il était un excellent communicant, mais qu'il ne tenait pas plus de 20 minutes quand il fallait travailler sur dossier.
(2) Voyez l’irruption en 1995 du thème de la fracture sociale dans la compagne du candidat de droite.

Thursday, March 27, 2008

Citation du 28 mars 2008

L'homme a la conscience d'être Dieu, et il a raison, puisque Dieu est en lui. Il a conscience d'être un cochon et il a également raison parce que le cochon est en lui. Mais il se trompe cruellement quand il prend le cochon pour un Dieu.

Léon Tolstoï - Journal intime

On dit que dans le cœur de tout homme, il y a un cochon qui sommeille.

Rectifions : en chaque homme, il y a un cochon qui sommeil dans le cœur d’un Dieu.

[Je transforme certes la formule de Tolstoï en introduisant le cœur là où Tolstoï parle de la conscience. Je prends cette liberté, parce que je parle ici du cœur au sens biblique : centre de la personnalité. Et certes la conscience n’est pas seulement conscience de soi, mais aussi conscience morale, intuition des valeurs et de ce qu’est le bien et le mal.]

Ce qui intéresse Tolstoï, c’est de maintenir la dualité, et surtout de nous prévenir contre une tentation de réduire cette dualité en prenant notre cochon pour le Dieu que nous devrions être (à noter que l’autre réduction consisterait à trucider le cochon, mais Tolstoï ne va pas jusque là : il reste réaliste).

- Ça veut dire au moins que nous savons parfaitement en quoi nous sommes cochon ; mais nous n’avons aucune idée de ce que nous serions si nous étions Dieu.

Demandez à qui vous voudrez ce que veut dire Tolstoï : chacun saura dire ce que c’est que ce cochon d’homme. Pour vérifier, demandez aussi si la femme est également concernée : vous aurez des réponses mitigées : peut-être aurez vous la jouissance de la cruauté, mais rien de plus. Donc, le cochon d’homme est bien masculin et il se remplit d’alcool, se nourrit de graisses, et il se vautre dans la fornication.

Demandez ce que c’est qu’être un Dieu : on vous répondra que c’est organiser un Paradis sur mesure pour y vivre indéfiniment. C’est donc courir le 100 mètres en 5secondes, faire son golf en 18 coups, écrire la 10ème symphonie de Beethoven…. Et puis s’envoyer des créatures de rêves chaque nuit (1).

Et revoilà le cochon qui se prend pour Dieu.

(1) Pour cette représentation du Paradis, je me suis inspiré de Julian Barnes Une histoire du monde en dix chapitres et demi.

Wednesday, March 26, 2008

Citation du 27 mars 2008

Pour que dans le cerveau d'un couillon, la pensée fasse un tour, il faut qu'il lui arrive beaucoup de choses et de bien cruelles.

Louis-Ferdinand Céline

Ne croyez pas que je rejoigne la misanthropie aigrie de Céline ; on sait où ça l’a mené.

Par contre ce qu’il faut remarquer, c’est que, prenant le cas du « cerveau d’un couillon », il n’a fait que prendre un cas, évident peut-être, mais nullement particulier.

Je ne serais donc pas loin de Céline, et sans doute pas loin de Nietzsche, si je dis : « Pour que la pensée d’un homme quelqu’il soit se mette en mouvement, il lui faut une souffrance, une douleur, ou au moins une inquiétude. »

Principe de moindre action ? Paresse ? Domination du cerveau moyen sur le cortex cérébral ? Disons ça comme on veut, mais je voudrais que cette idée nous aide à comprendre non seulement nos semblables, mais aussi les génies de l’humanité.

Car si la phrase de Céline vise le cerveau d’un couillon, je prétends qu’elle s’applique aussi au cerveau d’un génie.

En fait, sans aller jusqu’aux poètes romantiques qui se sont tous déclarés maudits et en but à des souffrances morales innombrables – souffrances sans les quelles ils ne pourraient écrire : qu’on se rappelle l’Albatros ! – je prends en considérations tous ceux qui ont soutenu que sans une névrose quelconque, l’écrivain resterait silencieux, le peintre ne peindrait pas, le musicien ne composerait plus…

Et pourquoi s’arrêter à de pareils exemples ? Si la pensée de Céline est valable, elle l’est pour tout ce qui d’étend entre le couillon et le génie : c'est-à-dire vous, moi, et toutes nos pensées les plus ordinaires.

Concluons : si vous pensez sans souffrir – d’une façon ou d’une autre – alors vous ne pensez pas vraiment.

Tuesday, March 25, 2008

Citation du 26 mars 2008

Ne rien convoiter, c’est épargner ; ne rien acheter, c’est s’enrichir.

Cicéron

Donc, vous êtes ministre du budget, ou du travail, ou Premier Ministre, voire même Président – Notre Président ! – et voilà avez un tas de casse pieds qui sont sous vos fenêtres et qui réclament une hausse du pouvoir d’achat.

Vous allez leur dire quoi ? Travaillez plus, vous gagnerez plus ?

Pfffttt : ils vous rient au nez. Eux, ce qu’ils veulent c’est pouvoir gagner plus sans travailler plus, parce qu’autrement ils n’auront plus le temps de dépenser leur argent.

Et là, miracle : vous vous rappelez de votre vieux prof de latin et d’une version qu’il s’obstinait à vous faire traduire ; c’était du Cicéron : Ne rien convoiter, c’est épargner ; ne rien acheter, c’est s’enrichir.

Le pouvoir d’achat, c’est ce qui reste quand on a payé l’indispensable. Si vous n’achetez rien au-delà de l’indispensable, vous êtes riche ; et pour ne rien acheter, il suffit de ne rien convoiter. C.Q.F.D.

Mais la populace est obstinée. Elle va vous dire que si elle réclame du pouvoir d’achat, c’est que précisément elle convoite des biens, et même elle sait parfaitement ce qu’elle ferait de ces 150€ d’augmentation (après impôts) qu’elle vous réclame. Elle veut partir en vacances plus longtemps, ou mettre plus d’essence dans le 4X4, ou s’acheter une Rollex made-in Hongkong et un sac Vuitton (chinois évidemment), histoire de frimer un peu.

Inutile de répondre que les caisses sont vides et que vous n’avez pas de baguette magique. Vous savez parfaitement que ça va les énerver plutôt qu’autre chose.

Mais si vous vous rappelez de votre cours de philo, avec l’anecdote de Socrate traversant la place du marché à Athènes en disant « Que de choses dont je n’ai pas besoin ! », alors vous allez enfin comprendre ce qu’il voulait vous dire ce prof barbu style soixante-huitard en vous racontant ça.

Vous allez dire à tous ces gens : vous voulez gagner plus, pourquoi faire ? Vous n’êtes pas heureux comme ça ? Hein ? Dépenser, toujours dépenser, à quoi ça sert ?

Monday, March 24, 2008

Citation du 25 mars 2008

La raison et la parole unissent les hommes entre eux.

Cicéron

Logos : tel est le terme qui, en grec signifie d’abord la parole, et puis la raison. Cicéron, écrivant en latin, ne pouvait ignorer cela, et on peut supposer que tel est le sens de sa remarque.

La raison est langage, ou plutôt discours (1). Le discours est langage, moyen de communication et donc d’union des hommes entre eux. Mais si la communication nous unit, elle peut aussi nous désunir : quiproquos, propos blessants, insultes… Il faut donc que la communication soit aussi dialogue raisonnable, discours rationnel – comme on voudra - pour éviter les quiproquos, renoncer aux insultes, créer une communication qui passe de l’un à l’autre sans laisser de résidus.

Donc, tout le monde s’accorde sur ce rôle de la raison, elle nous rassemble autour d’aimables conversations, elle évite les controverses stériles, elle garantit à l’humanité d’être bienveillante…

Stop ! Si telle était l’opinion de chacun, pourquoi la raison aurait-elle des ennemis, pourquoi y aurait-il de la misologie (2), jusque chez les philosophes ? Voyez Rousseau, et son analyse des malheurs de l’homme en société. C’est le développement de la raison qui nous permet d’étouffer les élans de la pitié qui nous portent naturellement à secourir nos semblables. Le philosophe qui, du fond de son lit, entend égorger dans la rue un passant, dit « meurs, je suis en sécurité ». Voilà à quoi mène la raison. Aujourd’hui, le même raisonnement nous poussera à calculer les avantages et les inconvénients de déclencher une guerre ou de laisser un peuple en asservir un autre.

Alors, pourquoi ce qui peut nous unir peut-il aussi nous désunir ?

Nous retrouvons ici une problématique déjà évoquée récemment (28 février - 2 mars 2008) avec la compassion. Comment vivre ensemble, si ce n’est par le sentiment ? Mais aussi comment le sentiment peut-il former une société juste et organisée selon le bien commun ?

(1) Je prends discours ici au sens de « suite d’opérations élémentaires et partielles permettant de construire la pensée ». Quoi ? Mais non, ce n’est pas le mot du jour ! Voyez plutôt note 2

(2) Misologie : haine de la raison (Platon Phédon 89d)

Sunday, March 23, 2008

Citation du 24 mars 2008

Le danger dans le passé était que les hommes deviennent des esclaves. Le danger dans le futur est qu'ils deviennent des robots.

Erich Fromm (psychanalyste américain 1900-1980)

1er danger : tomber en esclavage.
2ème danger : devenir un robot
3ème danger : que les robots réduisent les hommes en esclavage.

Avouez qu’on est un peu surpris de ne pas trouver ce 3ème danger signalé par notre auteur. Sauf a supposer qu’il n’ait pas voulu entre dans le débats des trois lois d’Isaac Asimov (1), ce qui supposerait que les robots soient des être intelligents et responsables - autrement dit des sujets de droit - ce qui relève de la science fiction. Toutefois, si les hommes devenaient eux-mêmes des robots, alors ils seraient soumis aux lois d’Asimov - à supposer que cela ait encore un sens, c'est à dire que l'humanité ait encore une forme d'existence.

Laissons pour le moment de côté cet aspect, et concentrons nous sur le passage du 1er danger au second.

Pour faire un peu vite, relevons que le danger de l’esclavage pour l'homme moderne consiste dans l’inconscience du moment où il succomberait à cet état : il ne s’agit pas d’un rapt violent suivi d’une mise en vente sur le marché aux esclaves. Il s’agit plutôt de l’homme qui devient esclave de lui-même, esclave de ses habitudes, des dépendances qu’il s’est créées, etc.

On admettra donc que le danger de devenir un robot concerne des hommes dont le comportement devient stéréotypé, inconscient, systématiquement copié sur des règles ou des usages jamais remis en question.

Quelle différence entre devenir un esclave et devenir un robot ?

Ecartons l’absence de responsabilité : le robot, même extra lucide quant aux conséquences de ce qu’il fait n’est pas responsable de ses actes ; exactement comme l’esclave, qui ne peut être tenu pour responsable des actes qu’il a commis sous la responsabilité de son maître. Le Code Noir insiste pour dire aux maîtres : vous êtes toujours responsables de ce que font vos esclaves.

Mais il y a surtout la déshumanisation : même si l’esclave n’était jamais considéré que comme un « instrument animé » (Aristote), il lui restait tout de même un résidu d’humanité, quelque chose qui faisait qu’on pouvait s’imaginer être à sa place. C’est ainsi que le même Aristote disait qu’il était avantageux pour l’esclave d’être gouverné par un maître, car cela lui donnait ce qui lui manquait, à savoir l’art que possèdent normalement les humains de décider ce qu’il convient de faire. Le robot, lui ne peut jamais décider de son avenir, puisque seul le programme qui lui a été fixé peut le déterminer.

Il y a aussi l’insensibilité : le robot n’a pas de sentiment, pas d’émotions, et si ça lui arrive, ça le détraque, il cesse d’être une machine pour devenir un homme. Voyez Terminator : l’émotion n’est pas à sa place dans ses circuits électroniques.


(1) Comme les Mousquetaires de Dumas, les 3 lois sont en réalité 4 :

  • Loi Zéro : Un robot ne peut nuire à l’humanité ni, restant passif, permettre que l’humanité souffre d’un mal.
  • Première Loi : Un robot ne peut porter atteinte à un être humain ni, restant passif, laisser cet être humain exposé au danger, sauf en cas de contradiction avec la Loi Zéro.
  • Deuxième Loi : Un robot doit obéir aux ordres donnés par les êtres humains, sauf si de tels ordres sont en contradiction avec la Loi Zéro ou la Première Loi.
  • Troisième Loi : Un robot doit protéger son existence dans la mesure où cette protection n’est pas en contradiction avec la Loi Zéro, la Première ou la Deuxième Loi.


Saturday, March 22, 2008

Citation du 23 mars 2008

Variations sur le thème de la Jeune fille et la mort (suite): Schubert et Hans Baldung

1 - Vorüber! Ach vorüber!
Geh, wilder Knochenmann!
Ich bin noch jung, geh Lieber!
Und rühre mich nicht an.

("Va-t-en - Ah va-t-en /loin de moi squelette cruel / je suis encore jeune, laisse-moi / ne me touches pas, chère mort »)

Schubert - Lied D. 531 "Der Tod und das Mädchen" (poème de Matthias Claudius)

A lire ici. A écouter chanté par Marian Anderson ici

Le thème est encore célébré par Schubert, dont le lied D.531 « der Tod und das Mädchen » (à ne pas confondre avec le quatuor - D. 810, composé un peu plus tard et popularisé par le film de Polanski) composé en février 1817, sur un texte de Matthias Claudius. On peut aussi - et surtout ! - l’écouter. La jeune fille, frêle oiseau agité et tremblant est aux prises avec la mort dont la séduction l’enveloppe et l’apaise.

La mort est alors sommeil, repos, paix éternelle.


2 - Mais la mort n’est pas toujours aussi séduisante : voyez Hans Baldung

Le squelette cruel du Lied mérite bien son nom : voyez sa violence lorsqu’il saisit le Jeune fille par les cheveux ; voyez surtout à quoi ressemble le baiser de la mort, baiser cannibale. En mettant les choses au mieux la mort approche silencieusement de la jeune beauté tout entière occupée par sa vanité.

Alors que chez Ophélie la jeunesse et la beauté permettait de rendre encore plus déchirante la mort, la thématique sans doute d’inspiration religieuse que développent ces œuvres, les utilise pour nous rappeler que la sensualité est mortifère parce qu’elle met notre âme en danger de péché mortel.

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Note - Ceux que ne rebute pas l’exploration de la mort comme thème artistique auront intérêt à visiter ce remarquable site

Friday, March 21, 2008

Citation du 22 mars 2008

Variations sur le thème de la jeune fille et la mort - Aujourd’hui : Ophélie

1 - Là, tandis qu’elle grimpait pour suspendre sa sauvage couronne aux rameaux inclinés, une branche envieuse s’est cassée, et tous ses trophées champêtres sont, comme elle, tombés dans le ruisseau en pleurs. Ses vêtements se sont étalés et l’ont soutenue un moment, nouvelle sirène, pendant qu’elle chantait des bribes de vieilles chansons, comme insensible à sa propre détresse, ou comme une créature naturellement formée pour cet élément. Mais cela n’a pu durer longtemps : ses vêtements, alourdis par ce qu’ils avaient bu, ont entraîné la pauvre malheureuse de son chant mélodieux à une mort fangeuse.

Shakespeare - Hamlet - Acte IV, scène 7 (1)

Une mort fangeuse… Mais qui est mort ? Ophélie, « séparée d’elle même » par la folie, était déjà à moitié morte. Mais ce qui restait encore en vie, sa jeunesse, sa beauté, son innocence, la meilleure partie de son être était encore en vie. C’est cela qui n’a pu survivre, c’est cela qui s’est noyé.

Une telle vie peut-elle s’éteindre tout à fait ?

2 - …et voici la célèbre image de cette mort d’Ophélie par J.E. Millais


Il y a de l’éternité dans la mort d’Ophélie ; le tableau la représente éternellement mourante : voyez ses mains, elles sont vivantes, elles s’écartent dans un geste d’accueil. Est-ce la mort qu’accueille Ophélie ?

3 - Voyez encore le poème de Rimbaud Ophélia :

Sur l'onde calme et noire où dorment les étoiles
La blanche Ophélia flotte comme un grand lys,
Flotte très lentement, couchée en ses longs voiles...
- On entend dans les bois lointains des hallalis. (2)

Rimbaud aligne la mort d’Ophélie sur la folie qui l’a saisie lorsque cherchant l’amour et la liberté, elle ne trouva que ce pauvre fou d’Hamlet pour répondre à son appel. La mort d’Ophélie, c’est la mort de l’élan de la jeunesse, brisé par l’âpreté d’un monde où tout n’est que bassesse et servitude, loi du plus fort et du plus corrompu.

L’Ophélie de Rimbaud hante notre bas monde depuis mille ans ; ce fantôme n’est pas comme le Hollandais volant condamné à errer sans fin sur l’eau. Il est là pour nous rappeler que l’innocence et la pureté sont condamnées à mourir.

à suivre

(1) Traduction de Victor Hugo disponible ici

(2) voir l’ensemble du poème ici

Thursday, March 20, 2008

Citation du 21 mars 2008

Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage ?
Dit cet animal plein de rage :
Tu seras châtié de ta témérité.

La Fontaine - Le loup et l’agneau

Rousseau s’en prend, dans l’Emile, à La Fontaine que, déjà à son époque, on faisait étudier aux enfants: la fable Le corbeau et le renard lui semblait un déplorable exemple dans la mesure où les enfants y apprenaient que la flatterie permettait de réussir là où une entreprise honnête aurait échoué.

Hé bien, voyons un autre exemple : le loup et l’agneau.

Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage : avant d’être une méditation sur l’origine de la justice, le loup nous invite à une réflexion sur la pollution. Voilà une morale que La Fontaine n’avait pas perçue en écrivant sa fable.

En effet, vous souvenez vous de la réponse de l’agneau ? La voici :

Sire, répond l'Agneau, que votre Majesté / Ne se mette pas en colère ; / Mais plutôt qu'elle considère / Que je me vas désaltérant / Dans le courant, / Plus de vingt pas au-dessous d'Elle, / Et que par conséquent, en aucune façon, / Je ne puis troubler sa boisson.

Voilà : qu’importe que je pollue la rivière si ce n’est pas chez moi. Je rejette mes égouts en aval de mon village : pas besoin de station d’épuration. Quelle mentalité ! Le loup a bien raison de dévorer cet agneau cynique.

A moins de se dire que La Fontaine vivait, ainsi que son agneau dans un autre monde que le notre. Un monde où les hommes ne pouvaient pâtir les uns des autres que par contact immédiat ; un monde où ce que faisaient les Chinois n’avait aucune importance pour moi, dès lors que ça se passait en Chine.

Un monde où les nuages radioactifs s’arrêtaient aux frontières.

Wednesday, March 19, 2008

Citation du 20 mars 2008

3.7-8 L’Eternel dit: "j'ai vu la souffrance de mon peuple qui est en Egypte, et j'ai entendu le cri que lui font pousser ses oppresseurs, car je connais ses douleurs. Je suis descendu pour le délivrer de la main des Egyptiens et pour le faire monter de ce pays dans une terre fertile et spacieuse, dans une terre où coulent le lait et le miel, au lieu qu'habitent les Chananéens, les Héthéens, les Amorrhéens, les Phérézéens, les Hévéens et les Jébuséens.

Exode, 3, 7-8

Nous savons que l’existence de l’Etat d’Israël dépend d’une décision internationale des Etats associés à l’ONU.

Mais nous savons aussi que les fondamentalistes religieux juifs ont voulu fonder la légitimé de l’Etat israélien sur la Bible. Le mythe de la Terre Promise, est-il fondateur de la présence du peuple Israélien en Palestine ? Est-il aussi la justification de l’éviction du peuple palestinien, de la confiscation de ses terres ? Dieu a-t-il voulu tout ça ?

Les fondamentalistes religieux d’Israël pensent que oui. Mais pour nous, les « gentils », nous qui ne lisons pas la Bible si souvent (du moins, pas l’Ancien Testament), la surprise est de découvrir que la Palestine était déjà occupée quand l’Eternel la donna aux Hébreux ; et même très occupée. Les Chananéens, les Héthéens, les Amorrhéens, les Phérézéens, les Hévéens et les Jébuséens, ça fait 6 peuplades : ce n’est pas rien.

Mais patience : continuons notre lecture :

33.1-2 L'Éternel dit à Moïse: Va, pars d'ici, toi et le peuple que tu as fait sortir du pays d'Égypte; monte vers le pays que j'ai juré de donner à Abraham, à Isaac et à Jacob, en disant : Je le donnerai à ta postérité. J'enverrai devant toi un ange, et je chasserai les Cananéens, les Amoréens, les Héthiens, les Phéréziens, les Héviens et les Jébusiens.

Voilà donc de quoi justifier les exactions à l’encontre des Palestiniens : l’armée Israélienne ne ferait que continuer la tâche de l’Ange Exterminateur. Les Palestiniens n’étaient pas dans la liste dressée par l’Eternel comme devant déguerpir à l’arrivée des Hébreux ? Bon, qu’à cela ne tienne : on va les rajouter…

Reste un point que je ne comprends pas encore très bien : les Israëliens considèrent que leur occupation de la Palestine est un retour à la Terre Promise, que non seulement ils ne font que rentrer dans leur pays d’origine, mais encore qu’il en étaient les premiers occupants. Les fouilles archéologiques à Jérusalem auraient ainsi pour objectif de démontrer que les vestiges qu’on trouve en creusant sont juifs et non arabes. C’est le droit du premier occupant qui est ainsi revendiqué.

Mais si ces vestiges étaient Chananéens, Héthéens, Amorrhéens, Phérézéens, Hévéens ou Jébuséens ?

Note - Certain contesteront mon interprétation en disant que l’Eternel a donné bien avant l’Exode ce territoire à Abraham (qui ne s’appelait encore que Abram) ; et qu’ainsi la Terre Promise n’est autre que celle que les peuples d’Israël ont quitté en partant pour l’Egypte. Et c’est vrai. Mais ça ne change pas grand chose à ma remarque concernant le premier occupant, parce que cette terre donnée à Abram était déjà occupée par les Cananéens (Genèse - 12,6-7)

Tuesday, March 18, 2008

Citation du 19 mars 2008


Paul Claudel - Cent phrases pour un éventail (1)

(Traduction des idéogrammes:
Moku: silence.
Toki: temps.
)

Voilà, j’étais à la recherche de la citation impossible à commenter, c’est à dire de celle qui devrait perdre tout intérêt dès lors qu’on la développe.

Je suis arrivé à l’idée que les Haïkus (ou haï kaï ?) correspondraient bien à cela. Mais comment les choisir ?

Les Cent phrases pour un éventail de Claudel sont nés dans l’univers de l’Haïku tout en étant assez proche de nous : déjà, ils ne posent pas de problème de traduction, ce qui est essentiel. De plus ils sont immédiatement accessibles à notre sensibilité et à notre intelligence.

Vous voulez en savoir plus ?

Chut !....

(1) Voir une présentation ici, et quelques exemples là

Monday, March 17, 2008

Citation du 18 mars 2008

Dieu est le possible qui réside au-delà de l'actuel. Dieu n'existe pas. Dieu est une création car l'éternité ne suffit pas.

Henry Miller - Lettres à Anaïs Nin

Trois thèses = trois raisons de brûler Henri Miller comme hérétique.

1 - Dieu est le possible qui réside au-delà de l'actuel.

Le possible est le futur ; c’est le bourgeon par rapport à la feuille, la fleur par rapport au fruit ; la graine par rapport à la plante. Bergson a critiqué cette conception considérant que le possible était déjà du réel. Si Dieu est le possible, c’est donc parce qu’il se tient au-delà du réel, qu’il y a quelque chose qu’on appellerait aujourd’hui un « dessein intelligent ». Donc, Henry Miller n’est pas si hérétique que ça ; tout au plus doit on dire que pour lui la Création est encore entrain de se faire, et qu’un projet divin est à l’œuvre. Mais que disait d’autre Theillard de Chardin (1)?

2 - Dieu n'existe pas. Dieu est une création

Dieu n'existe pas : dans le contexte, cette sentence n’a de sens que si on entend le fait d’exister comme le fait d’être compris dans des limites établies et fixes. Dieu est une création, parce qu’il est en devenir, on devrait même dire « Dieu est la création ». Car dire que Dieu, être absolument infini, est une création est absurde, puisqu’il lui faudrait alors un Créateur, qui serait en fait le véritable Dieu. Reste donc que Henry Miller soit panthéiste comme Spinoza : Dieu est la nature, et donc si la nature est en devenir, Dieu l’est aussi

3 - Dieu est une création car l'éternité ne suffit pas.

l'éternité ne suffit pas. Ce qui veut dire que Dieu peut être sempiternel - entendez qu’il ne finira jamais d’exister - mais qu’il n’est pas éternel en ce sens qu’il n’est pas immuable. En effet, si Dieu est en création continue (2), il ne peut-être immuable.

Reste que l’affirmation que l’éternité ne suffit pas est bien intéressante : on dirait que Henry Miller considère que l’éternité est trop étroite pour Dieu. Comme on l’a vu plus haut, il ne conçoit pas qu’un Etre infiniment infini ne produise pas en permanence des effets nouveaux.

Pourquoi donc Dieu se serait-il reposé le 7ème jour ?

(1) Il est vrai que Theillard a été mis à l’index par le Vatican et qu’il y est resté longtemps.

(2) Bien entendu, cette création est une autocréation - Self made God.

Sunday, March 16, 2008

Citation du 17 mars 2008

Les Lacédémoniens même, tant religieux observateurs des ordonnances de leur pays, étant pressez de leur loi, qui défendait d'élire par deux fois Amiral un même personnage, et de l'autre part leurs affaires requerrant de toute nécessité, que Lysandre prit derechef cette charge, ils firent bien un Aracus amiral, mais Lysandre surintendant de la marine.

Montaigne - Essais, I, 23 (De la coutume et de ne changer une loi reçue)

Ça ne vous rappelle rien ? Mais si, bien sûr…

- 2008 : le Président Poutine, ne pouvant se faire élire une troisième fois président, est choisi par le nouvel élu comme premier ministre, poste d’où il pourra diriger tout aussi bien le pays.

Si l’histoire ne se répète pas, alors autant considérer ces pratiques comme anhistoriques, c’est à dire comme relevant de la mécanique sociale, ou des tendances humaines.

Montaigne cite cet exemple au milieu d’une foultitude d’autres pour montrer que plutôt que de changer les lois, il vaut mieux les tourner, les interpréter de telle sorte qu’elles s’adaptent à la réalité, du moins la réalité telle que souhaitée par celui qui gouverne. On est encore au XVIème siècle dans la perspective grecque selon la quelle les lois sont uniquement constitutionnelles, et qu’une fois fixé le cadre législatif il n’est plus nécessaire de légiférer ; les lois sont alors comme la mécanique de l’horloge, d’autant plus parfaite qu’on n’a pas besoin d’y retoucher. On verra jusque chez Montesquieu et même chez Rousseau cette conception quasi sacrée de la loi.

Bref : la jurisprudence est une règle, l’art de gouverner n’est pas l’art de faire de nouvelles lois, mais d’ajuster les anciennes à la réalité.

Seulement, voilà : où passe la limite entre la jurisprudence et l’abus constituant un viol de la loi ? Pour ne pas créer de polémique, reprenons l’exemple russe : Poutine dit que le rôle du premier ministre est de gouverner, et Dmitri Medvedev, le nouveau président, affirme que c’est au contraire au Président de gouverner. Polémique réelle ou seulement de façade ?

Heureusement : ce n’est pas chez nous que ça arriverait.

Saturday, March 15, 2008

Citation du 16 mars 2008

Passant à Vitry-le-François, je pus voir un homme, que l'évêque de Soissons avait nommé Germain en confirmation, lequel tous les habitants de là ont connu et vu fille jusques à l'âge de vingt-deux ans, nommée Marie.

Montaigne - Essais I, 21 (cf. aussi le Journal de voyage en Italie, septembre 1580)

Que s’est-il passé à Vitry-le-François, pour que Marie devienne Germain? En lisant ce qui suit (cf. Annexe), on apprend qu’alors qu’elle sautait, les attributs virils « se produisirent », et qu’elle changea de sexe.

Des commentaires de cette citation, on en trouve sur le Net (en voici un) ; si nous commencions par celui de Montaigne ?

Montaigne (comme on peut le lire infra) considère que l’imagination - on dirait aujourd’hui le fantasme - de la bissexualité est si forte qu’elle porte avec elle la certitude que les filles sont réellement aussi des garçons (1). L’imagination nous donne à croire que ce que nous désirons existe effectivement, au point que nous finissons par le trouver dans la réalité : on aura compris que ce que nous trouvons alors n’existe sûrement pas, mais que justement, c’est là la force de l’imagination, que de nous faire confondre nos désirs et la réalité.

Quel est donc ce désir ? Effacer la frontière entre les sexes, faire que Marie devienne Germain tout en restant Marie ? Que l’hermaphrodite décrit par Platon dans le Banquet devienne une réalité ? Peut-être, et c’est vrai que le héros de cette histoire se nomme Marie-Germain. Mais outre que ce personnage après sa transformation est strictement viril, le désir dont nous parle Montaigne est celui des femmes de devenir des hommes, et donc de quitter définitivement leur féminité. Et compte tenu de ce qu’était à l’époque le statut de la femme par rapport à celui de l’homme, on le comprend facilement. L’histoire regorge d’exemple de femmes qui se travestissaient en homme pour bénéficier des avantages qui leur étaient réservés.

Il y a toutefois un exemple bien troublant : c’est celui de Jeanne d’Arc. On dira qu’elle était une femme-soldat, qu’elle ne s’était jamais faite passer pour un homme, et qu’elle exhibait même sa féminité, au point que les contemporains voyaient une preuve du caractère miraculeux de sa mission dans le fait que les soudards qui l’environnaient n’avaient jamais tenté de la violer, lorsque, ajustant sa cuirasse, elle leur laissait apercevoir ses tétins.

Mais la virginité de Jeanne-la-Pucelle la situe en dehors de la féminité comme en dehors de la virilité. Je crois que le désir dont il faudrait parler ici est d’un autre ordre : c’est celui de ne plus avoir de sexe du tout - ni masculin, ni féminin.

- Etre un ange.

(1) D’ailleurs j’ai lu quelque part qu’effectivement Ambroise Paré supposait que les organes sexuels des hommes étaient présent chez la fille mais restaient internes (un peu comme les petits garçons dont les testicules ne sont pas « descendus »).

******************
Annexe.
« Passant à Vitry-le-François, je pus voir un homme, que l'évêque de Soissons avait nommé Germain en confirmation, lequel tous les habitants de là ont connu et vu fille jusques à l'âge de vingt-deux ans, nommée Marie. Il était à cette heure-là fort barbu et vieil, et point marié, Faisant, dit-il, quelque effort en sautant, ses membres virils se produisirent; et est encore en usage, entre les filles de là, une chanson, par laquelle elles s'entravertissent de ne faire point de grandes enjam­bées, de peur de devenir garçons, comme Marie Ger­main. Ce n'est pas tant de merveille que cette sorte d'accident se rencontre fréquent ; car, si l'imagination peut en telles choses, elle est si continuellement et si vigoureusement attachée à ce sujet, que, pour n'avoir si souvent à rechoir en même pensée et âpreté de désir, elle a meilleur compte d'incorporer une fois pour toutes cette virile partie aux filles. »

MontaigneEssais I, 21

Friday, March 14, 2008

Citation du 15 mars 2008

Il faut tirer le meilleur du pire.

Alain Peyrefitte - discours à l' Assemblée Nationale - 21 Mai 68

Un peu partout on célèbre le 40ème anniversaire des événements qui, de Nanterre à la Sorbonne ont agités la France entre mars et juin 1968. Nous revenons aujourd’hui sur cette période : en 40 ans, la prophétie de Peyrefitte s’est-elle réalisée ?

- 1978 : 10 ans déjà que mai-68 est passé. Que sont devenus nos révolutionnaires ?

Giscard, le choc pétrolier, déjà l’inflation, et puis Raymond Barre…

En ce temps-là, le CAQ 40 n’existait pas et l’inflation galopait, dévorant les dettes des emprunteurs… Les babas-cool avaient troqué leur peau de chèvre et leur guitare contre une carte bleue, mais ils avaient conservé leur insouciance…

Le disco ravageait les oreilles mais les nouvelles chaînes Hi-fi aux basses super amplifiées en profitaient pour faire trembler les murs… Le meilleur était là au creux du pire, et Peyrefitte avait bien compris la situation…

Seulement voilà, des petits êtres commençaient d’apparaître, avec des diplômes plein le berceau, de la compétition dans les entrailles dès la maternelle, et le concours d’HEC en mire dès le collège. Les babas de 68 avaient des enfants qui ne leur ressemblaient pas du tout.

- 2008 : il est devenu quoi ce petit en costard que Wolinski imagine lisant la presse économique pendant que son père taquine la gueuse ? Est-il entrain de faire des économies pour que ses enfants fassent des études dans une boite privée bien cotée ? Cotise-t-il pour une mutuelle complémentaire, se finance-t-il une assurance vie ? Va-t-il chez Lidl pour économiser de quoi partir en vacances à La Tranche-sur-Mer ? Bien sûr… Hélas…

Ainsi va l’histoire : que le meilleur du pire engendre le pire du meilleur, c’est ce qu’on sait depuis toujours…

Mais, courage mes frères, tenez bon : en mai 2018, ça va péter !

Thursday, March 13, 2008

Citation du 14 mars 2008

Deux fois : une fois de trop.

Ambrose Bierce - Le dictionnaire du diable

- Je ne le répèterai pas : tu dois m’obéir illico, à la première injonction…

- Achetez votre studio en multi-propriété : une semaine chaque année aux Baléares..

- La foudre ne tombe jamais deux fois au même endroit.

- Le facteur sonne toujours deux fois.

- « - Montand:
Je t'aime... Je t'aime... Je t'aime...
- La téléphoniste:
Je t'aime, je t'aime... Alors ? trois fois je t'aime ? » (Texte du sketch)

--> Vous avez remarqué ? A part la déclaration d’amour (et encore…) la répétition est reçue comme un affaiblissement, comme un affadissement : il n’y a que le facteur - visiteur inessentiel - pour sonner deux fois. Quand aux vacances passées chaque année au même endroit, tous les ados en gardent un souvenir calamiteux..

L’idée est toujours la même : on ne revient pas sur le passé, quand on remet ses pas sur ses traces anciennes, on ne fait que leur ajouter des traces nouvelles ; les regrets de ce qui ne se répète pas ne sont pas que stériles. Ils relèvent d’une incompréhension profonde de ce qui fait la valeur de la vie.

Alors, faut-il malgré tout le répéter ? Il faut un philosophe comme Nietzsche pour théoriser l’Eternel retour, qu’il oppose à la philosophie chrétienne de l’histoire qui va de la chute à la rédemption.. L’Eternel retour dont je ne garderai ici que la valeur de test : c’est lui qui permet de savoir si nous aimons la vie, dans la mesure où nous aimerions qu’elle revienne et répète indéfiniment ce qui vient de nous arriver - en bon comme en mauvais.

Toutefois, c’est Saint Augustin - Saint Père de l’Eglise, faut-il le rappeler (= une fois de trop !), qui disait :

Le bonheur, c'est de continuer à désirer ce qu'on possède.

Wednesday, March 12, 2008

Citation du 13 mars 2008

La censure épargne les corbeaux et s'acharne sur les colombes.

Juvénal Satires

Il a raison Juvénal, - même si aujourd’hui on opposerait plus volontiers les colombes aux faucons qu’aux corbeaux - l’appel à la guerre a toujours été plus audible que l’appel à la paix..

Je voudrais évoquer cette censure du pacifisme à travers la célèbre chanson de Boris Vian : le Déserteur.

Voici 3 versions de cette chanson :

- La version originale, paroles de Boris Vian, chantée par Boris Vian: Si la pacifisme de la chanson composée par Boris Vain a été censuré, au point que même dans les années 60 on n’entendait qu’une version édulcorée, c’est qu’en plus de l'appel à la désertion,elle interpellait le Président - sous entendu : de la République.

Le Déserteur composé en 1954 est inspiré par le pacifisme de lutte contre la guerre d’Indochine qui s’achevait alors dans le sang à Dien-Bien-Phu, et qui commençait en Algérie. C’est un moment de l’histoire coloniale française.

- La version censurée/édulcorée (je n’ai pas retrouvé le nom de l’interprète). C’est une version plus « internationale » et plus « hippie » : après avoir repris de la censure des années 50 l’apostrophe aux « messieurs qu’on nomme grand », en lieu et place de « Monsieur le Président », elle remplace le couplet d’origine qui appelle à la désertion : « Refusez d'obéir / Refusez de la faire / N'allez pas à la guerre / Refusez de partir », par une benoîte déclaration de fraternité « profitez de la vie /éloignez la misère / les hommes sont tous des frères / gens de tous les pays ». Avouez qu’il n’y a même pas la trace d’une censure ici : c’est carrément autre chose, avec une autre intention. Seule la musique reste.

- La version de Renaud. Les années 70 ont vu se développer un mouvement de contestation contre l’armée ou plutôt contre le service militaire obligatoire. Les colombes de Juvénal ne sont pas à la lutte contre la guerre, mais contre les militaires de carrière dont avaient à souffrir les appelés du contingent. Et ça donne cette version de Renaud. Ecoutez -la et vous serez édifié : la chanson de Boris Vian est déjà devenue tellement célèbre qu’il suffit de l’évoquer pour être entendu. Le message c’est : laissez nous fumer notre hash tranquille entre potes. Quant à déserter pour éviter de « tuer des pauvres gens », il n’en est plus question : qui donc se mêlerait de militer aujourd’hui pour la paix ?

Censeur : un métier sans avenir…

Tuesday, March 11, 2008

Citation du 12 mars 2008

Le Pape, combien de divisions ?

Joseph Staline

Selon ce site, Staline aurait répondu par cette phrase à Pierre Laval qui lui suggérait - en 1935 - de prendre des mesures favorables aux chrétiens pour se concilier le Pape.

On a donné cette citation de Staline pour vraie, et elle est encore dans toutes les mémoires, parce qu’elle correspond parfaitement à une certaine attitude politique privilégiant les rapports de force sur les idéaux - ou les idéologies.

Je pense qu’il y a deux degrés dans l’interprétation de cette phrase.

- 1er degré : les décisions politiques doivent être réalistes et tenir compte des rapports de force. Il est inutile de s’insurger contre les chef d’Etats qui engagent leurs pays dans une politique conciliante vis-à-vis de tel dictateur, lorsque celui-ci possède des ressources - par exemple énergétiques - indispensables et le moyen d’en disposer comme bon lui semble. C’est le degré le plus évident, celui que tout le monde évoque, en faisant comme si il était évitable.

--> Abdallah d’Arabie Saoudite : combien de divisions ?

- 2ème degré : les idéaux sont eux-mêmes appuyés sur la puissance politique et militaire. Supposez que le Pape ait eu des divisions blindées en 1935 : est-ce que ça n’aurait pas changé quelque chose à l’attitude de Staline vis-à-vis de cette religion ? Disons mieux : est-ce que la religion catholique elle-même n’aurait pas eu plus de fidèles en URSS ?

--> Klaus Barbie a déclaré en substance après sa capture en Bolivie : « Si nous avions gagné la guerre, nos idéaux seraient aujourd’hui reconnus comme valeurs et non comme crimes. »

J’entends bien que la force des armes ne peut rien ni pour ni contre la valeur eschatologique (1) d’une religion. J’entends aussi les protestations de ceux qui insistent sur l’origine du christianisme, religion des faibles et des opprimés.

Seulement voilà : si cette religion n’était pas devenue religion d’Empire, si dans le monde médiéval, Clovis n’avait pas pris le baptême, que serait devenue le christianisme ? - Et pourquoi célèbre-t-on encore aujourd’hui cet événement ?

Finalement, Staline avait raison : le sabre et le goupillon, ça va ensemble.

(1) Eschatologie : c’est le mot du jour.

Monday, March 10, 2008

Citation du 11 mars 2008

Les choses importantes ne se disent jamais.

Michele Mari - Tout le fer de la tour Eiffel (traduit de l’Italien)

Belle citation, n’est-ce pas ? Vous allez sans doute la recopier - à l’encre violette s’il vous plaît - dans votre cahier de citation.

Seulement voilà : vous avez fait des rubriques pour vous y retrouver et vous ne savez pas si vous devez la mettre dans la partie consacrée à la linguistique ou dans la psychologie. Que faire ?

Comme mon jeune alias (Docteur-Philo, vous connaissez ?) a traité un sujet voisin récemment, je laisserai ces approches savantes de côté pour m’en tenir à une approche plus intuitive : quand est-ce que nous parlons de ce qui compte vraiment dans notre vie ? Posé autrement, la question pourrait être : est-ce que nous ne pourrions pas éviter de tant parler, puisque ce que nous disons est inessentiel ?

Du genre :

- Allo ? Tu es où ? Sur le trottoir de Galeries Lafayette ? Ecoute, je suis pas loin, on peut se voir ? Tu es pressée… Non, je n’ai pas parlé à ma femme, je le ferai demain. Dis-moi, comment tu t’es coiffée ? Et ton chemisier bleu ciel, tu l’as mis ? Tiens, tu te photographies et tu m’envoies de suite la photo ? D’accord ?

Voilà je vous avais dit qu’on serait au raz du quotidien aujourd’hui : c’est fait.

Alors, pourquoi donc ne disons nous jamais les choses importantes ?

- Parce qu’elles nous troublent, en nous mettant au contact de ce qui nous met en jeu vraiment ; le divertissement (au sens pascalien) voilà ce qu’il nous faut pour vivre tranquille.

- Parce qu’en les disant, nous les faisons exister avec plus d’acuité ; et en les disant à d’autres, nous les faisons exister une fois de plus (1).

- Parce qu’en les pensant (et comment les dire, même à nous-mêmes, sans les penser), nous en prenons clairement conscience.

Tenez, faites une exercice : prenez votre beau cahier et votre porte-plume à l’encre violette ; vous allez y écrire quelque chose de vraiment important pour vous, que ce soit un événement ou le résultat d’une de vos entreprises. Qu’est-ce que ça vous a fait ?

Quoi ? Vous protestez parce que vous avez abîmé une page de votre cahier ? Dites-vous que ça sera comme une citation que vous n’aurez qu’à signer de votre nom - ou d’un pseudo...

Ou alors c’est que vous aurez écrit la première page de votre journal intime.

(1) Comme Phèdre (acte 1, sc. 3 - cf. post du 25 juin 2006)

Quand tu sauras mon crime et le sort qui m’accable

Je n’en mourrai pas moins, j’en mourrai plus coupable

Sunday, March 09, 2008

Citation du 10 mars 2008

La foi consiste à croire, non ce qui semble vrai, mais ce qui semble faux à notre entendement.

Voltaire - Dictionnaire philosophique (Article Foi)

Voici l’un des passages de l’article de Voltaire : il illustre sa définition.

« Un jour le prince Pic de La Mirandole rencontra le pape Alexandre VI chez la courtisane Émilia, pendant que Lucrèce, fille du saint-père, était en couche et qu’on ne savait pas dans Rome si l’enfant était du pape ou de son fils le duc de Valentinois, ou du mari de Lucrèce, Alphonse d’Aragon, qui passait pour impuissant. La conversation fut d’abord fort enjouée. Le cardinal Bembo en rapporte une partie. « Petit Pic, dit le pape qui crois-tu le père de mon petit-fils? — Je crois que c’est votre gendre répondit Pic. — Eh! comment peux-tu croire cette sottise? — Je la crois par la foi. — Mais ne sais-tu pas bien qu’un impuissant ne fait pas d’enfants? — La foi consiste, repartit Pic, à croire les choses parce qu’elles sont impossibles; et de plus, l’honneur de votre maison exige que le fils de Lucrèce ne passe point pour être le fruit d’un inceste. […]Alexandre tomba sur son sofa à force de rire. »

La fille du Pape engrossée ou par son frère ou par son père : scandale énorme, que seule la foi permet de masquer (1). Est-ce qu’on peut prétendre sauver ainsi les apparences ? Ou bien le pouvoir du Pape était-il alors si fort que peu importait qu’on croie ou qu’on ne croie pas à la « version officielle » du Vatican ?

Ce n’est certes pas la problématique de Voltaire, qui se sert de cette anecdote pour montrer le caractère absurde des dogmes de l’Eglise. Mais c’est sans doute ce qu’on retiendrait aujourd’hui, où des scandales de ce genre éprouveraient un pouvoir démocratique ; qu’on se rappelle les soins pris par le Président Mitterrand pour retarder la découverte par le publique de sa fille adultérine.

Au fond, ce ne sont pas les scandales qui ont changé ; c’est la façon dont on les craint. Le Pape Alexandre VI avait plus de pouvoir qu’un Président d’un Etat démocratique

Maintenant, qu’est-ce que la foi ? « croire sans preuve, et même contre les preuves » dit Alain (Cf. Post du 10 octobre 2006), d’accord semble-t-il avec Voltaire. Et c’est vrai que la foi ne recouvre pas la totalité des dogmes de la religion : partout où ces dogmes sont crédibles, la raison suffit. Mais là où ils sont en contradiction avec les vérités de la science, alors la foi est indispensable ; on dirait même que c’est ce caractère incroyable qui est l’épreuve envoyée au fidèle pour vérifier sa foi.

(1) On prétend que Alexandre VI - Borgia - était également bisexuel. Mais pour l’époque, ça ne pouvait choquer personne, même chez un pape. Son portrait reproduit ici est de Pinturicchio

Saturday, March 08, 2008

Citation du 9 mars 2008

L’homme est tellement au-dessus de ce qu’il fait ; gardons-lui cette place."

Alain, Propos, 27 décembre 1934, Pléiade, t. I, p. 1239-1241 (1)

Nous retrouvons Kévin, qui retape sa terminale. Il vient de demander un entretien à son professeur principal.

- Bonjour Madame Lemercier.

- Bonjour Kévin. Tu veux me parler ?

- Oui.

- Tu veux qu’on parle du dernier D.S., celui où tu as eu 5 alors qu’on l’avait préparé la veille en classe ?

- Non Madame Lemercier. Là j’étais mal, j’avais pas trop dormi la veille.

Je voudrais vous voir pour mon orientation pour l’an prochain.

- L’an prochain ? Mais c’est déjà fait, tu as déjà transmis des vœux et pris des préinscripitions n’est-ce pas ?

- Ouais, mais vous voyez, tout ça, j’y crois pas. On m’a dit de faire un B.T.S. force de vente, parce qu’il y avait des débouchés, mais moi en costard et cravate, à démarcher les hypers avec le p.c. portable, j’y crois pas…

- Vois-tu Kévin, tout ça, ça dépend de toi. Si tu veux faire une école d’ingénieur, tu peux y arriver en passant par la fac. Mais il va falloir travailler plus !

- Ça non plus j’y crois pas. Vous voyez, mon D.S., c’est vrai que j’aurais pas du le foirer. Mais j’arrive pas à me mettre au travail : dès que je suis devant mon bureau, je déprime et alors je pense à autre chose. C’est comme ça que je sors avec mes potes au lieu de bosser. Et à la fac, je suis sûr que ça va être pareil.

- Mais enfin, Kévin, tu dois pouvoir te concentrer sur un travail qui t’intéresse !

- Ouais, ça c’est vrai. L’été dernier, j’ai aidé des amis qui ont un groupe rock à faire une tournée dans les discothèques du coin. Là, je crois que je pourrais faire ça.

- Faire quoi ?

- Organiser des tournées.

…Savez si y a un B.T.S. d’organisateur de concerts rocks ?

(1) Superbe texte, que je n’ai pas suffisamment exploité. Pour me faire pardonner, le voici sans coupure. Et pour ceux qui en demandent plus voici un recueil des Propos où on peut le retrouver (téléchargeable ici. Au format Word, c’est p. 145)

Maintenant j'ai à dire encore qu'il ne faut pas orienter l'instruction d'après les signes d'une vocation. D'abord parce que les préférences peuvent tromper. Et aussi parce qu'il est toujours bon de s'instruire de ce qu'on n'aime pas savoir. Donc contrariez les goûts, d'abord et longtemps. Celui-là n'aime que les sciences ; qu'il travaille donc l'histoire, le droit, les belles-lettres ; il en a besoin plus qu'un autre. Et au contraire, le poète, je le pousse aux mathémati­ques et aux tâches manuelles. Car tout homme doit être pris premièrement comme un génie universel ; ou alors il ne faut même pas parler d'instruction ; parlons d'apprentissage. Et je suis sûr que le rappel, même rude, à la vocation universelle de juger, de gouverner et d'inventer, est toujours le meilleur tonique pour un caractère. Cela lui donnera cette précieuse constance qui vient de ce qu'on ne croit jamais avoir mal choisi, et de ce qu'on juge digne de soi de pouvoir beaucoup dans n'importe quel métier. La vie sauvage de la guerre a révélé à beaucoup d'hommes qu'ils étaient prêts à toute action ; tel sans-filiste, nature d'ajusteur, a appris l'anglais et l'allemand, sans compter le bon français. Je voudrais dire que ces aventures, qui élargissent le métier, élargissent l'âme aussi, et donnent du paysage à la connaissance de soi. Avoir de l'âme, c’est peut-être s'échapper en des métiers possibles, de façon à juger de haut le métier réel. L'homme est tellement au-dessus de ce qu'il fait ; gardons-lui cette place.

[Alain, Propos, 27 décembre 1934, Pléiade, t. I, p. 1239-1241].

Friday, March 07, 2008

Citation du 8 mars 2008

- L'Éternel Dieu dit: Il n'est pas bon que l'homme soit seul; je lui ferai une aide semblable à lui.
- L'Éternel Dieu forma de la terre tous les animaux des champs et tous les oiseaux du ciel, et il les fit venir vers l'homme, pour voir comment il les appellerait, et afin que tout être vivant portât le nom que lui donnerait l'homme.
- Et l'homme donna des noms à tout le bétail, aux oiseaux du ciel et à tous les animaux des champs; mais, pour l'homme, il ne trouva point d'aide semblable à lui.
- Alors l'Éternel Dieu fit tomber un profond sommeil sur l'homme, qui s'endormit; il prit une de ses côtes, et referma la chair à sa place.
- L'Éternel Dieu forma une femme de la côte qu'il avait prise de l'homme, et il l'amena vers l'homme.
- Et l'homme dit: Voici cette fois celle qui est os de mes os et chair de ma chair! on l'appellera femme, parce qu'elle a été prise de l'homme.
- C'est pourquoi l'homme quittera son père et sa mère, et s'attachera à sa femme, et ils deviendront une seule chair.
- L'homme et sa femme étaient tous deux nus, et ils n'en avaient point honte.

Genèse - 2.18-25

A moins que ce ne soit une interpolation, les versets 19-20, énumérant l’« aide semblable à l’homme », décrivent la création des animaux. Puis, voyant qu’ils ne suffiraient pas à Adam, l’Eternel créa la femme.
Bon : je vais encore me faire taxer de provocateur, et on va croire que je cherche l’Audimat, en suggérant que la femme ne fut créée que pour compléter de cheptel de l’homme.

--> Donc je vais dire que c’est une interpolation (ou quoi que ce soit que les herméneutes de l’Ancien Testament voudront bien expliquer) et je vais passer à quelque chose de plus sérieux.

En cette journée internationale des femmes, je me pose la question : qu’est-ce qui se serait passé si l’Eternel n’avait pas créé la femme ?

Là encore, inutile de pouffer de rire et de se pousser du coude : je ne vais pas décrire les substituts de femmes aux quel vous, les ados boutonneux, vous pensez.

Non. Je vais simplement suggérer une hypothèse : si la femme n’avait pas existé, c’est l’homme lui-même qui l’aurait remplacée. Non pas que des invertis se soient révélés, et qu’ils aient pris une place laissées vacante par les femmes dans la société. Après tout ils sont capables de le faire dans les sociétés qui laissent aux gays la liberté de faire ce qui leur plait.

Je veux dire que si les femmes n’avaient pas existé, nous les hommes, nous aurions libéré la part féminine qui est en nous. J’entends par « part féminine » une certaine affectivité, qui vient irriguer à la fois les travaux quotidiens et les relations sociales. Je suppose que certains hommes qui passent pour « efféminés » sont des hommes qui n’ont pas refoulé leur féminité au profit d’une virilité qui bien sûr est aussi en eux, mais qui, aidée par des pressions culturelles vient habituellement prendre le pas sur le reste.

Alors, quand les femmes, grâce au progrès de la Civilisation ont conquis un rang social équivalent à celui des hommes, on a dit : « elles vont se viriliser ». Oui et non. Non parce qu’elles restent très femmes ; et oui parce qu’elle laissent libre cours à leur agressivité. Simplement il y a une manière-femme de devenir homme. Et réciproquement, bien entendu…

En ce jour du 8 mars, nous les hommes, nous bénissons le Seigneur d’avoir créé la femme. Mais nous lui disons : « Seigneur, fait que nous aussi, les hommes nous puissions être un petit peu femmes. »

Que le 8 mars soit aussi notre fête à nous, les mecs.

Thursday, March 06, 2008

Citation du 7 mars 2008

« …si les yeux sont quelquefois l’organe où se révèle l’intelligence, le nez (quelle que soit d’ailleurs l’intime solidarité et la répercussion insoupçonnée des traits les uns sur les autres), le nez est généralement l’organe où s’étale le plus aisément la bêtise. »

Marcel Proust - Sodome et Gomorrhe (p.304)

Alors, on savait déjà que Marcel Proust n’aimait pas le nez, obstacle au baiser ; maintenant il faudrait s’en méfier parce qu’il révèle notre bêtise.

On a récemment évoqué le pouvoir des yeux de dire ou de faire comprendre nos sentiments. Et voilà que nous apprenons que le nez est également un organe expressif.

Comment comprenez-vous ça ? Le nez est parfois associé à des tempéraments (le nez spirituel), ou à une attitude (nez au vent, inquisiteur), ou à des modes de vie (nez rouge de l’ivrogne). A quoi ressemble donc un nez « bête » ?

Il n’est pas si étonnant qu’on arrive à croire qu’il y ait des signes extérieurs de la bêtise humaine, voire même qu’un organe pourrait avoir pour fonction (non exclusive il est vrai) de la révéler. On aime à faire du nez le révélateur de quelque chose : d’une attitude morale - on a ici même évoqué le nez de Pinocchio ; ou bien on fantasme sur la longueur du nez. Ce qui est sûr c’est qu’on le prend toujours comme révélateur de quelque chose : pourquoi est-ce qu’on pourrait détester son nez au point de lui en faire couper un bout ?

Toutefois, outre que la bêtise reste fort relative et qu’elle n’existe peut-être que par le jugement qu’on porte sur nos prochains (voir Post d’hier), ce qui étonne, c’est qu’on puisse croire que l’intelligence ou la sottise puisse se lire sur les visages. Essayez un peu de deviner les diplômes des gens qui passent dans la rue, ou leur métier ; combien de profs de facs auriez-vous classé parmi les bouchers ou les bûcherons (1) ? J'ai eu l’honneur de côtoyer Alain Badiou : il aurait fait un bûcheron canadien très présentable.

(1) Il va de soi que ces métiers sont choisis pour la carrure physique qu’ils supposent et non pour le quotient intellectuel supposé de ces artisans.

Wednesday, March 05, 2008

Citation du 6 mars 2008

[La raison de vivre de la Philosophie est de] nuire à la bêtise.

Nietzsche - Gai savoir - § 328

Vous connaissez tous ces T-shirts portant la mention : « Mort aux cons »… Pas malin, parce qu’on se dit que ceux qui portent ça doivent avoir une tendance suicidaire.

La bêtise est de la même nature : ce sont toujours les autres qui sont « bêtes » et chasser la bêtise est une œuvre qui nous détourne de nous-mêmes. Tel était le délassement de Flaubert : collationner dans un vaste « Dictionnaire de la bêtise » les stupidités, comme d’autres collectionnent les papillons.

Les philosophes échapperaient-ils à la Bêtise généralisée, ou bien cette prétention n’est-elle qu'une bêtise de plus ?

Dans le paragraphe 328 du Gai savoir - abondamment repris par Gilles Deleuze - Nietzsche affirme que la bêtise provient de la croyance dans une opinion commune, que l’on suit par instinct grégaire et qu’on considère comme vrai parce que justement, tout le monde le dit. « Habitude de végéter suivant la règle et de vous subordonner au jugement du voisin » dit Nietzsche, telle est la bêtise, et l’on voit bien comment la philosophie - du moins celle qu’on pratiquait du temps de Socrate - a nui à cette tranquille certitude. L’ironie socratique est l’arme anti-bêtise (« Anti-cons » diraient aujourd’hui nos T-shirts), parce qu’elle somme celui qui affirme une opinion de justifier ce qu’il affirme comme s’il venait de le penser lui-même. La bêtise, c’est de penser par procuration : c’est pour cela qu’elle est grégaire. Pascal la louait même pour ça (1)

Mais bien sûr, les philosophes n’ont pas tous écouté le message socratique, à commencer déjà par l’auteur de Zarathoustra…La bêtise, chassée sur le territoire des autres ne fait-elle pas retour sur notre propre territoire, à nous les philosophes qui après avoir tant critiqué, assènent leurs certitudes ?

« L'affirmation et l'opiniâtreté sont signes exprès de bêtises. » disait Montaigne : ne faut-il pas trouver là une description de bon nombre de nos philosophes actuels ? Si nous allions dans ce sens, alors seul le scepticisme serait « intelligent » : et tel est sans doute l’attitude de Montaigne.

Mais si nous voulions suivre Descartes, lui qui commence son parcours avec la règle suivante : « ne jamais admettre aucune chose pour vraie que je ne la connusse évidemment être telle », nous comprenons que penser comme les autres, c’est d’abord penser avec soi-même, c’est à dire être en accord avec les critères de la vérité.

(1) « Il est bon qu’il y ait une erreur commune… » Pensées, voir ici, sous le n°17

Tuesday, March 04, 2008

Citation du 5 mars 2008

Nous devons proportionner le châtiment, non au crime qui est grand, mais au criminel qui est petit.

Victor Hugo - Lors du procès de Joseph Henry (Choses vues

Aujourd’hui, où on proclame que la minorité n’est plus une excuse et qu’on doit condamner le responsable d’un délit de la même façon, qu’il ait 13 ans ou 18 ans, qui donc souscrirait à cette déclaration humaniste ?

Mais d’abord de quel châtiment parle-t-on ? A quoi sert-il ? Qui peut le mesurer et à partir de quel étalon ?

S’agissant de la sanction pénale : quelle est sa juste mesure ?

1 Il y a quatre points de vue possibles pour déterminer le châtiment :

- celui de la victime, qui constitue la justice compassionnelle, dont nous avons parlé récemment. Le châtiment est alors la vengeance de la victime, ou au moins le moyen pour elle de « tourner la page » (aux U.S.A., la peine de mort est infligée au coupable pour que les victimes puissent faire leur travail de deuil).

- La Loi, qui mérite d’être protégée des délits commis à son encontre. Le châtiment est alors fonction de la majesté de la Loi, selon son rang dans la constitution, ou selon la noblesse du Législateur (Dieu, le Roi - le régicide était le crime le plus grave sous l’Ancien régime : Cf. le supplice de Damien). Le supplice a pour rôle d’illustrer la majesté de la Loi

- On peut aussi considérer que, comme le dit Victor Hugo, c’est le coupable qui soit déterminant. Il doit, non seulement être en état de comprendre la peine qui lui est infligée (être éligible à la sanction comme disent si poétiquement les juristes), mais encore, si la faute et le fautif ne font qu’un, que la sanction soit proportionnée au criminel.

Un quatrième point de vue, résultant des deux précédents peut encore être envisagé ; le châtiment met en jeu alors :

- Le but escompté par la punition, selon qu’on espère réinsérer le coupable dans la société ou au contraire qu’on souhaite le bannir à tout jamais.

2 Conséquence quant à l’étendue du châtiment.

Dans le premier cas, la sanction est illimitée, ou du moins ne prendra fin que quand la victime s’estimera dédommagée.

Dans le second la sanction est mesurée, elle est même prédéterminée : elle descend sur le coupable, sans que le juge n’ait à se prononcer (1)

Dans le troisième, elle sera fonction de la nature du coupable, par exemple fixer une amende selon la fortune du contrevenant.

Dans le quatrième, la sanction est d’abord la mise à l’écart du coupable, le refus de vivre avec lui. Les prisons se comprennent aussi comme des peines de relégation (peine qui existait autrefois dans notre code pénal, et qui venait parfois redoubler la peine du bagne).

Il faut relire Pierre Legendre et Lévi-Strauss : Legendre affirme que notre obsession de mettre à l’écart le criminel, fait écho à notre inquiétude de commettre nous-mêmes le crime qu’il a commis : « Parce que, à chaque crime, à chaque meurtre, nous sommes touchés au plus intime, au plus secret, au plus obscur de nous-mêmes: un bref instant nous savons que nous pourrions être celui-là, le naufragé, un meurtrier. A chaque crime, à chaque meurtre commis, il nous faut réapprendre l’interdit de tuer. » (2)

Quant à la réinsertion, c’est Lévi-Strauss qui nous explique comment les sauvages des plaines d’Amérique du Nord savent - bien mieux que nous - réintégrer dans leur communauté le coupable après l’en avoir chassé (3).

De toute façon, si la sanction est graduelle, la réintégration doit intervenir à un moment où à l’autre.


(1) C'est le triomphe de la liberté, lorsque les lois criminelles tirent chaque peine de la nature particulière du crime. Tout arbitraire cesse; la peine ne descend point du caprice du législateur, mais de la nature de la chose; et ce n'est point l'homme qui fait violence à l'homme.
Montesquieu Esprit des lois, Livre XII, chapitre 4, la suite à lire ici, p. 86

(2) Pierre Legendre, L’homme en assassin.

(3) Dans Tristes tropiques, A lire ici, page 162-163

Monday, March 03, 2008

Citation du 4 mars 2008

Il y a sans doute plus dans la littérature russe que dans la vie.

Philip Roth, La contrevie.

J’ai longtemps hésité à utiliser cette citation (merci à P.J de me l’avoir fournie) parce que mes ressources en littérature russe sont absolument élémentaires… Il me reste des choses à découvrir, tant mieux !
Si je la reprends aujourd’hui, c’est en mettant la qualificatif « russe » entre parenthèse, avec votre permission bien entendu.

Gille Deleuze dit quelque part qu’il n’est pas indispensable de voyager, parce que lire peut nous emmener aussi loin. Moi qui vous parle, j’ai visité Rome en lisant : et ce n’était pas le Guide Bleu, mais la Modification de Michel Butor.
Maintenant, Philip Roth veut sans doute dire qu’on connaît mieux la vie après l’avoir découverte dans les romans, et que ceux-ci nous ramènent à la réalité plutôt que de nous en couper comme on le croyait autrefois.

C’est cette réflexion que je me faisais après le scandale récemment dévoilé du mensonge de Misha Defonseca, l’auteur de Survivre avec les loups. Car ce qui déçoit ici (à condition de mettre de côté la tromperie et ses motifs), c’est que cette histoire qu’on croyait vraie se révèle n'être qu'une fiction.
Pourquoi lorsqu’on lit un roman, est-on déçu de constater qu’il n’est que ce qu’il doit être : une fiction ? Pourquoi un tel désir de retrouver un environnement réel, et - plus encore - la vie réelle ? Le roman n’est-il pas là pour nous faire éprouver des passions qu’on ne pourrait jamais espérer vivre, ou des expériences qu’on ne connaîtra jamais, comme de vivre la vie d’un multimilliardaire ?

Mais en fait je crois que le problème n’est pas là. Il me semble que ce que nous voulons, c’est savoir que ces personnages, qui ne vivent pourtant que de ces sentiments que nous vivons pour eux, soient réels, que leur amour, leurs joies ou leurs souffrances soient réelles et non liées à la fantaisie des auteurs : puisque tout cela nous le vivons vraiment par la lecture, alors il faut que ça ait existé vraiment.

D’ailleurs, si on arrive à un happy end, nous sommes heureux de savoir que tout s’est arrangé ; et lorsqu’il y a une suite au roman, nous attendons le volume suivant pour savoir ce qui est advenu des héros. Telle la suite d’Autant en emporte le vent, ou celle des Misérables : que devient Cosette ? Comme si ces personnages de fictions n’étaient pas autant notre produit que celui de leur auteur ; pourquoi est-ce qu’on ne pourrait pas nous mêmes écrire la suite des Misérables ?

Si nous ne le faisons pas ce n’est pas seulement parce que nous ne sommes pas Victor Hugo ; c’est parce que Cosette nous ne la connaissons pas, nous ne savons pas où elle habite, nous ne connaissons personne qui puisse témoigner de sa vie, et que donc nous ne savons pas ce qui lui est arrivé.

Moi je sais ce qui est arrivé à Cosette : après avoir plaqué Marius, elle a racheté l’auberge des Thénardier, et elle s’est mise à son compte

Sunday, March 02, 2008

Citation du 3 mars 2008

Quand la bouche dit : oui, le regard dit peut-être.

Victor Hugo Ruy Blas

Allez, un peu de romantisme que diable !
Vous préférez la bluette ? En voici :

Car l'on croit toujours
Aux doux mots d'amour
Quand ils sont dits avec les yeux

Lucienne Delyle - Mon amant de Saint-Jean - Paroles: Léon Agel. Musique: Emile Carrara 1942 (Voici l’enregistrement audio en prime - et je vous épargne Patriiick - Aïe, tapez pas !)

Voici ce qu’on a toujours admis sans l’interroger : en amour - ou dans le domaine des sentiments en général - il y a un langage des yeux, ou du regard, comme on veut.

Et il s’agit pas d’un code - comme envoyer une œillade ; il s’agit de l’expression d’un sentiment dans un regard. On dit aussi « fusiller du regard » comme si aucun doute n’existait sur le sens de ce regard.

Admettons. On dira qu’il y a ici un signe qui adhère à la chose signifiée : le regard est la manière d’être de l’amour au niveau des yeux, comme comme c'est du reste le cas avec d'autres réactions physiologiques (les battements du cœur : qu’alliez vous imaginer petits polissons ?). Le langage des yeux est donc d’abord une expression avant d’être une communication.

Bien. Maintenant la questions est : le langage des yeux est-il plus sincère que celui de la bouche - entendez : la parole proférée ?

On serait tenté de répondre oui. En effet, si le regard n’est que l’expression d’un état de l’être, alors il ne peut mentir. Et s’il contredit la parole, c’est elle qui ment. Mais la pauvre Lucienne qui croit au aux doux mots d'amour de son valseur de Saint-Jean parce qu’ils sont dits avec les yeux, elle a été bien déçue n’est-ce pas…

- Ma pauvre Lucienne, il faut que tu révises tes classiques : écoute plutôt Victor Hugo. Et puis, dis-toi que les signes sont équivoques, surtout quand ils prétendent évoquer des réalités aussi complexes que l’amour. Bien sûr qu’il t’aimait, ton valseur. Mais est-ce que tu t’es demandé ce que ça voulait dire pour lui, qu’aimer une jolie femme ?

Saturday, March 01, 2008

Citation du 2 mars 2008

Les gens déjà chargés de leur propre misère sont ceux qui entrent davantage par la compassion dans celle d'autrui.

Jean de La Bruyère

Ce Post a pour objet d’attirer l’attention de ses lecteurs sur le petit livre (=100 pages) de Myriam Revault d’Allonnes - L’homme compassionnel (Seuil). Voici un livre de philosophie qui ne recule pas devant l’interrogation sur l’actualité politique. Rare)

Comprenons que La Bruyère veut dire que compassion signifie égalité, ou du moins sentiment d’égalité. De l’égalité à la démocratie, on dirait qu’il n’y a qu’un pas que nos politiques ont aujourd’hui allègrement franchi. Ont-ils eu raison ?

Nous avons il y a quelque jours attiré l’attention sur le Discours de Charleville « La France qui souffre ». La compassion est devenue une arme politique dans tous les camps : il n’est que de se rappeler Ségolène et le paralytique (Ah !... la raideur des trois pas franchis pour mettre la main sur l’épaule cet homme…).

La question que pose Myriam Revault d’Allonnes est : la compassion est-elle un sentiment démocratique ? Car plutôt que d’ironiser sur son efficacité électorale, il est plus essentiel est de se demander s’il peut être introduit dans la sphère du politique.

Autrement dit : l’homme souffrant est-il l’objet de l’action politique ? La compassion - mécanisme d’identification au semblable (p.21) - permet-elle de construire le vivre-ensemble qui peut constituer le point de départ de la démocratie ?

Distinguons l’action morale de l’action politique. Emu par la compassion, je peux faire l’aumône, ou même me mobiliser dans une association caritative : il s’agit bien sûr de morale. La compassion procède du spectacle de la souffrance d’autrui : il s’agit toujours d’un événement singulier, même si cet événement touche beaucoup de gens (exemple : le Tsunami). C’est cela qui distingue la morale de la politique : celle-ci œuvre pour le bien public, qui est comme son nom l’indique toujours dans la visée du collectif.

Qu’en est-il de la compassion dans le domaine politique ? Je ne prétends pas remplacer ici les analyses de l’auteur : qu’on s’y reporte. Je dirai simplement que, si je l’ai bien comprise, la compassion est pour elle un moyen de prendre conscience des souffrances d’autrui (cf. l’appel de l’Abbé Pierre - hiver 54), mais que ce n’est pas un substitut de l’action politique (1) : car la compassion n’est pas généralisable, alors la politique exige comme on vient de le dire la considération du Bien public.

Tout le problème est donc d’articuler la compassion sur le choix politique. Mais contrairement à ce qu’on voudrait nous faire croire, cela ne permet pas de remplacer le moment du choix par la sensation de la misère des autres.

J’ajouterai deux remarques :

1 - Que les politiques doivent se méfier de l’effet de la commisération sur les citoyens.
Même le bon peuple si prompt à apprécier les larmes de la commisération finit par dire qu’il y a des limites : voyez le rejet de la proposition d’associer le souvenir d’un enfant juif mort à un petit enfant vivant. Même dans ce domaine qui relève pourtant de la morale plus que de la politique il y a des limites à la compassion.

2 - Que les citoyens doivent être très vigilants sur leur propre tendance à répondre aux sollicitations de la compassion : en témoigne les dangereuses dérives juridiques opérées au nom de la compassion pour les victimes.

(1) La mobilisation de l’hiver 1954 n’aurait été qu’un feu de paille si des lois ad-hoc n’avaient pas été votées au Parlement.