Friday, March 31, 2017

Citation du 1er avril 2017

On admet qu’est démocratique le fait que les magistratures soient attribuées par tirage au sort, oligarchiques le fait qu’elles soient pourvues par l’élection
Platon – Politique IV. 9, 1294b

(Suite à l’ordre donné à tous les médias de France de relayer le communiqué ci-dessous, l’épisode 4 de la vie amoureuse de Ronsard sera publié plus tard.)

****Communiqué du Conseil d’Etat****
Pour éviter les aléas des élections effectuée par un peule prompt à suivre ses émotions ou bien – pire encore – à voter dans l’espoir d’élire un candidat favorable à ses intérêts privés, le Conseil d’Etat vient d’instituer la règle qui fait du tirage au sort le moyen de choisir le futur Président de la République, ainsi que les députés.

En effet, contre le clientélisme qui encourage les citoyens à choisir celui qui leur ferait gagner quelques avantages, au point de réclamer ensuite le droit de destituer leurs élus qui ne les auraient pas favorisés comme espéré, il a été décidé de remplacer le scrutin présidentiel à deux tours par un tirage au sort effectué entre des citoyens choisis pour leur compétence. On évitera ainsi les manœuvres douteuses destinées à  impressionner favorablement ou défavorablement les électeurs ; et on évitera également les récriminations après le vote, chacun ayant conscience que personne n’a pu influencer le choix.


Dans notre société laïque, il ne sera en effet pas pas tenu compte de l’influence de Dieu dans le hasard. Par contre on instituera une véritable sélection pour départager les citoyens qui prétendent participer au tirage final.

Thursday, March 30, 2017

Citation du 31 mars 2017

Et qui veut tout pouvoir doit oser tout enfreindre, / Fuir comme un déshonneur la vertu qui le perd, / Et voler sans scrupule au crime qui le sert.
Corneille – La mort de Pompée (1643)

Moi j'ai les mains sales. Jusqu'aux coudes. Je les ai plongées dans la merde et dans le sang. Et puis après? Est-ce que tu t'imagines qu'on peut gouverner innocemment?
Jean-Paul Sartre – Les Mains sales (1948)
De la trahison de monsieur Valls
Corneille est un écrivain de grande ressource pour qui veut réfléchir en compagnie des auteurs classiques aux aléas de la vie actuelle. Car si notre vie est faite de petits évènements qui apparaissent et qui s’envolent au hasard de l’actualité, Corneille, quant à lui, ne pense et n’écrit que dans l’universel et l’éternel.
Oui, la trahison (ou comme on voudra l’appeler) de monsieur Valls désertant le camps qu’il avait juré de défendre pour se ranger sous la bannière de son ennemi paraît n’être qu’une petite manœuvre électoraliste ; mais Corneille, lui, nous explique que bien au contraire tous les hommes de pouvoir feront pareil, partout et toujours, et on devine que ceux qui ne le font pas sont en réalité ceux qui ont su dissimuler leur trahison plus soigneusement.
Car qu’est-ce que le déshonneur ? Le refus d’honorer la parole donnée ? Certes, mais il y a peut-être un plus grand déshonneur au regard du quel celui-ci n’existe plus. Pour l’homme de pouvoir, la vertu qu’il doit servir en toute circonstance est ce qui donne et permet de conserver le pouvoir : on comprend qu’il s’agit de la virtu de Machiavel, celle qui porte en elle la force et la détermination de s’en servir. Une telle valeur est suprême elle ne peut donc avoir de justification, sans quoi on devrait la rattacher à une autre valeur – la quelle serait également à fonder sur une cause supérieure et ainsi de suite.
o-o-o

Certains hausseront les épaules : Machiavel est l’homme au quel il a toujours été mal vu de se rattacher. Et puis, on reproche à monsieur Valls un bien vilain parjure, puisque qu’on peut lui montrer le papier qu’il a signé par le quel il jure de faire ce qu’il vient de refuser : soutenir le candidat de son parti. Mais un peu comme dans Les mains sales, la pièce de Jean-Paul Sartre, voici que la situation a changé : l’ennemi d’hier est devenu l’allié d’aujourd’hui. Pour sauver la patrie c’est à lui qu’il faut désormais s’allier. Les valeurs ne sont pas transcendantes, elles résultent de nos choix et de nos engagements : Manuel Valls est un héros existentialiste. Il ne craint pas de se salir les mains.

Wednesday, March 29, 2017

Citation du 30 mars 2017

Corydon, marche devant ; / Sache où le bon vin se vend ; / Fais rafraîchir la bouteille, / Cherche une feuilleuse treille / Et des fleurs pour me coucher. / Ne m’achète point de chair, / Car, tant soit-elle friande, / L’été je hais la viande ;
Achète des abricots, / Des pompons, des artichauts, / Des fraises et de la crème / C’est en été ce que j’aime, / Quand, sur le bord d’un ruisseau, / Je les mange au bruit de l’eau, / Etendu sur le rivage / Ou dans un antre sauvage.
La vie quotidienne de Pierre Ronsard 2
Comment vivait-on au 16ème siècle ? Peut-être vivait-on dans les chaumières de pain sec et d’une cruche d’eau ? Ou dans les châteaux de petits oiseaux rôtis et de tartines de miel ?
Mais très vite on devine que quant à nous nous pourrions espérer vivre comme et comme Ronsard – eux, en tout cas nous donnent les détails pour nous y repérer.

- Hier, au petit matin, nous avons suivi Ronsard alors qu’il tentait de réveiller la belle endormie qui avait partagé sa couche. Il est maintenant midi ou à peu près. Nous retrouvons Ronsard, qui a « l’esprit tout ennuyé » par la matinée d’étude qu’il vient de passer enfoui dans ses livres, et qui estime que ce temps est du temps perdu parce qu’il vaut mieux « manger au bruit de l’eau / Etendu sur le rivage… ».
C’est l’été et c’est décidé : ce sera un déjeuner sur l’herbe. Ronsard a fixé le menu : retenons-le, car il est assez précis pour être reproduit aujourd’hui. Déjà, observons qu’il n’y aura pas de barbecue : la viande en été, ce n’est pas très recommandable (il est vrai que du temps des poètes de la Pléiade la chaine du froid était inconnue). Mais du vin, oui, ça, il en faut. Du rosé ? Peut-être pas, mais un vin frais, venu de la feuilleuse treille, ça – oui. Ajouter les fruits et les légumes frais, les artichauts, les fraises  avec la crème : oui, tout cela nous savons quelle en est la saveur et nous pouvons gouter le repas de Ronsard comme lui-même l’a gouté, tout comme nous pouvons imaginer en rêve déjeuner sur l’herbe avec Manet.



Nous sommes alors au 19ème siècle, mais, qu’est-ce que ça change ? La belle dame ne serait-elle pas par hasard Marie, la belle endormie rencontrée hier ?

Tuesday, March 28, 2017

Citation du 29 mars 2017

Marie, levez-vous, ma jeune paresseuse… / Çà ! çà ! que je … baise votre beau tétin, / Cent fois, pour vous apprendre à vous lever matin.
Ronsard – Second livre des Amours – Marie, levez-vous, ma jeune paresseuse
La vie quotidienne de Pierre Ronsard 1
Comment vivait-on au 16ème siècle ? Peut-être vivait-on dans les chaumières de pain sec et d’une cruche d’eau ? Ou dans les châteaux de petits oiseaux rôtis et de tartines de miel ?
Mais très vite on devine que nous pourrions vivre comme Ronsard – lui, en tout cas nous donne les détails pour nous y repérer.
- Nous voici au petit matin, Ronsard se réveille et la belle Marie, sa douce amie, se prélasse dans le sommeil alors qu’il l’invite à descendre au jardin pour trouver la fraicheur matinale.
Oui, quoi de plus tonique que de sortir au jardin au petit matin d’été, de se mouiller les pieds dans la rosée qui a rendue l’herbe perleuse ? Et d’aller voir les boutons de roses, les œillets mignons, toutes ces fleurs arrosées le soir et qui resplendissent le matin comme au sortir d’un sommeil réparateur ?
Oui, mais voilà : la belle a les yeux cillés par le sommeil, on devine son jeune corps, nu entre les draps qui en dessinent le contour et qui, coquinement, le dénudent au hasard


J-B Reiter – Femme endormie

Il menace alors la jeune paresseuse de la réveiller de façon peu ordinaire : «  Çà ! çà ! que je … baise votre beau tétin, / Cent fois, pour vous apprendre à vous lever matin. » (lire ici). Avouez qu’on aurait pu y penser nous-mêmes…

Monday, March 27, 2017

Citation du 28 mars 2017

Que lentement passent les heures,
Comme passe un enterrement.

Tu pleureras l'heure où tu pleures,
Qui passera trop vitement,
Comme passent toutes les heures.
Guillaume Apollinaire – Alcools, À la santé (1913)

Je persiste à croire qu’il ne faut pas commenter les poèmes, il faut leur laisser leur mystère, mystère de leur signification, mystère de l’émotion qu’ils suscitent, mystère des gouffres qu’ils enjambent. Si je fais une exception aujourd’hui pour ce poème, c’est uniquement pour observer de près un paradoxe qu’il charrie, en espérant toutefois ne pas en déflorer la chair.

Tu pleureras l'heure où tu pleures : pour Apollinaire le bonheur peut très bien se cacher dans le malheur, et nous pourrions faire le vœu de voir passer la vie à la cadence d’un enterrement, afin de conserver le souvenir de nos pleurs anciens comme d’une joie enfuie. Mais enfin, qu’est-ce donc que ce bonheur qui a été vécu comme tristesse et comme larmes ? Par quelle alchimie cette transmutation s’est-elle opérée, si toutefois elle s’est opérée, et si le poète n’utilise pas ses sortilèges pour nous illusionner ?
On peut se rappeler Nietzsche et son éternel retour qui signe l’amour de la vie. Oui, qu’il existe ou n’existe pas – peu importe : l’éternel retour reste le souhait de voir revenir tous les épisodes d’une vie de sorte qu’arrivés à l’ultime seconde de notre existence, on se dise : « Ah… Si seulement ça pouvait recommencer, j’aimerais tout revivre, y compris les échecs aux larmes amères et les trahisons cruelles tout autant que les triomphes ».
Oui, aurions-nous le même amour de la vie que Nietzsche ? Serions-nous comme lui et comme Apollinaire à rêver à nos larmes d’autres fois comme à une ondée de printemps. « Oui, nous étions bien jeunes en ce temps là, nous pleurions comme ne pleurent pas les vieux dur-à-cuire. Que ces larmes étaient savoureuses… » ? Bien sûr ce n’est pas du tout l’attitude qui prime aujourd’hui, où il nous faut consommer le bonheur comme on consomme un hamburger : tout de suite, sur place, à ne surtout pas empiler au fond d’un placard avec l’intention de l’exhumer plus tard, l’hiver venu.

Et pourtant n’est-ce pas cela qu’il faudrait faire ?