Sunday, May 31, 2009

Citation du 1er juin 2009

Sire, faites, vous aussi, la même chose avec la Reine, et bien vous ferez

Mademoiselle de Vendôme

Je vous laisse lire le commentaire de cette phrase adressée au jeune Louis XIII. Et je vous laisse à votre perplexité quant à la filiation de Louis XIV – qui donc était son père ?

Par contre, si l’anecdote rapportée est exacte, la nuit de noce de mademoiselle de Vendôme se serait passée devant plusieurs témoins, donc justement le jeune roi de France, son demi-frère.

On a compris qu’il s’agit sans doute de la vérification de l’existence du pucelage de la demoiselle, et qu’au fond la coutume qui veut que dans certains pays encore aujourd’hui le jeune marié exhibe à la fenêtre après la nuit de noce le drap maculé de sang relève de la même logique.

On doit remarquer que les limites qui séparent la vie privée et la vie publique sont étrangement variables : on sait que même en dehors de la sphère étroite de la noblesse, on pratiquait le même reversement qui consiste à faire en public ce que nous réservons au domaine privé. Par exemple, au moment de la mort, les historiens nous expliquent qu’encore au 17ème siècle, l’agonie était publique, ou du moins que le mourant était entouré de toutes sortes de gens qui allaient et venaient, sans aucune gêne.

Ce qui résulte de ces exemples c’est que notre intimité est une chose toute relative, et qui dépend de mentalités forgées par l’histoire et variant avec elle.

Verrons nous un jour s’inverser toutes les valeurs du privé et du public, un peu comme dans ce sketch du charme discret de la bourgeoisie, de Bunel, où l’on voit des gens autour d’une table, installés sur des sièges de W.C. entrain de faire leur grosse commission, et puis se retirer seul dans une pièce close pour consommer leur repas ?

Saturday, May 30, 2009

Citation du 31 mai 2009

La plus nécessaire disposition pour goûter les plaisirs, c'est de savoir s'en passer.

Madame de Lambert (1647-1733) – Avis d'une mère à son fils

Voyez comme le bonheur est simple, s’il est lié au plaisir : il suffit de choisir les plaisirs facultatifs. Fumer, oui, mais à condition de ne pas être accro au tabac ; boire seulement si vous n’êtes pas alcoolique.

Et vous allez vous récrier : mais comment éprouver du plaisir s’il s’agit de quelque chose qui ne nous tente pas ? Et si ça ne nous tente vraiment qu’au moment même où nous le prenons, ce plaisir – comme le rut animal une fois par an – alors nous retombons dans le cas de la contrainte et on ne goûterait plus le plaisir…

Je vais raconter quelque chose qui, moi, me permet de mieux comprendre cette citation. En 1968 – ça ne nous rajeunit pas – voilà que les cigarettes viennent à manquer. Grève de la SEITA, paralysie des transports, etc. Moi qui à l’époque étais fumeur, me voilà à courir partout pour trouver mes clopes. De la région parisienne je devais m’éloigner toujours d’avantage vers la province pour trouver des bureaux de tabacs pas encore démunis. Sauf que comme on le sait les stations services ont aussi été fermées et on n’avait plus que les camions de l’armée pour se déplacer : inutile de dire que eux il ne faisaient pas la tournée des bureaux de tabacs.

Bref, même une fois sorti ce cette « chienlit », mon plaisir n’était plus le même : j’avais découvert mon assujettissement et c’est ça qui rompait le charme.

Madame de Lambert nous avertit que le vrai plaisir est celui qui s’accompagne de liberté. Toute contrainte l’altère même quand il s’agit de la contrainte issue du besoin de prendre ce plaisir.

Autant dire que le vrai plaisir n’est autre que celui qui est lié à l’exercice de la liberté.

Friday, May 29, 2009

Citation du 30 mai 2009

Léon Brunschvicg m'a raconté qu'étant jeune étudiant en philosophie, il rencontra Degas, rue de Douai, chez Ludovic Halévy, et il lui fut présenté.

Degas, apprenant qu'il avait affaire à un métaphysicien, l'attira dans l'embrasure d'une fenêtre, et lui dit vivement : "Voyons jeune homme, SPINOZA, pouvez-vous m'expliquer cela en cinq minutes ?"

Je trouve que cette question ahurissante donne à penser.

Peut-être ne serait-il pas tout à fait anti-philosophique, ni sans conséquences intéressantes de diviser toutes les connaissances en deux classes, celles qui peuvent s'expliquer en cinq minutes et les autres...

Paul Valéry – Degas Danse Dessin (1936)

Pour un philosophe – de carrière, précisons-le – ce qui est ahurissant ce serait que Valéry songe qu’il y a en philosophie des connaissances qui s’expliquent en 5 minutes (à moins qu’il ne songe à la connaissance en général…).

En réalité pas plus Spinoza que n’importe quel minuscule concept de la philosophie ne s’explique en 5 minutes.

Et cela non pas seulement parce qu’on n’a jamais affaire à des concepts isolés, mais à des réseaux, à des systèmes de concepts, mais surtout parce que la philosophie suppose une conversion de l’esprit, un retournement de la pensée sur elle-même, sur ses propres sources. Une attitude critique qui demande du temps et de l’effort.

Je n’ai besoin que d’un exemple pour illustrer cela : les Méditations métaphysiques de Descartes, qui sont découpées en six parties, réparties sur six journées. Descartes nous en avertit : il est nécessaires de lire ces méditations jour après jour, à chaque partie sa journée. Et non parce qu’elles seraient vraiment trop longues pour êtres lues en une seule fois. Mais parce qu’il faut du temps pour se défaire de ses anciennes opinions, que nos préjugés ont la vie dure et que ce sont eux qui font obstacle à la compréhension.

Le fait que nous ne prenions pas au sérieux l’avertissement de Descartes, et que nous lisions ses œuvres dans la foulée, c’est exactement la même erreur que de croire qu’on peut expliquer Spinoza en cinq minutes : on fait comme si on avait affaire à un théorème qu’il suffirait d’appliquer pour arriver à la solution.

Thursday, May 28, 2009

Citation du 29 mai 2009

La compassion n'engage à rien, d'où sa fréquence. Nul n'est jamais mort ici-bas de la souffrance d'autrui. Quant à celui qui a prétendu mourir pour nous, il n'est pas mort : il a été mis à mort.

Cioran – Sur les cimes du désespoir

La compassion n’engage à rien, et c’est d’ailleurs une raison pour se méfier de l’importance qu’on lui donne aujourd’hui en politique (cf Post du 2 mars 2008).

Notre propos du jour sera un peu différent. Cioran fait mine de nous alerter sur une trop grande crédulité : ne comptez pas trop sur la compassion pour vous tirer d’affaire – même Jésus n’y a rien pu. Laissons le blasphème et allons à ce qui nous semble essentiel. Car la compassion est une passion ou si l’on préfère un sentiment, et on devrait se demander si un sentiment a jamais changé quelque chose dans l’ordre du monde.

Alors, c’est vrai Hegel nous avertissait que « rien de grand ne s’est accompli dans le monde sans la passion » (cf. Ici). Mais la passion – et même la compassion – ne fait rien par elle-même ; elle a besoin de la raison pour la guider (le même Hegel disait aussi que si la passion est la voile, la raison est le gouvernail).

Bref, pour agir il nous faut quelque chose de plus que le sentiment qui nous pousse en avant. Il nous faut un peu d’organisation, un peu de rationalité dans l’action ; mais il nous faut aussi une représentation de l’avenir – par exemple celui que nous devons souhaiter à ceux que nous aimons. L’amour des autres est un bon début ; mais il faut savoir aussi ce que cet amour nous conseille comme avenir pour eux. Que devons-nous vouloir de bon pour eux ? Rappelons que même par rapport aux enfants, il n’est pas sûr que l’amour d’une mère soit le meilleur conseiller. Rousseau a confié ses propres enfants à l’Assistance Publique (1), et il a décrit dans Emile l’éducation modèle d’une garçon, confié dès l’age de 3 ans à un précepteur, un père n’ayant selon lui pas compétence pour le faire.


(1) J’ai lu quelque part que notre Philosophe souffrant d’une affection aigue de la prostate hésitait à croire que ces enfants étaient les siens ! Quoi ? Thérèse l’aurait trompé ? Shocking !

Wednesday, May 27, 2009

Citation du 28 mai 2009

Etre réaliste, c'est préférer une réforme modeste, qui en permet une autre, à un miracle impossible.

Habib Bourguiba – Discours

J’aime bien cette manière d’opposer la réforme au miracle. De mon temps (années 68 et suivantes), on considérait plutôt que la réforme s’opposait à la révolution. Mais au fond c’était la même idée.

L’idée que réformer, c’est être pragmatique, ne pas chercher à atteindre d’un coup l’idéal pourtant absolument indispensable, la justice sociale, la liberté pour tous, l’égalité réelle entre les citoyens, etc…

Mais comme d’habitude, ces citations, quand elles sont intéressantes, le sont par un détail qui ne frappe pas tout de suite l’attention.

Ainsi ici : préférer une réforme modeste, qui en permet une autre

Voilà : qu’est-ce qu’une bonne réforme ? C’est une réforme qui va dans le bon sens comme on dit aujourd’hui, et qui, sans prétendre l’atteindre, nous en rapproche : c’est donc une réforme qui en permet une autre. Autrement dit, il faut voir derrière la réforme qui se met sur les rails, le train de réformes qui se profile.

Donc, en face d’une proposition de réforme :

- D’abord, il faut se demander si celle qu’on nous propose est susceptible d’être complété et donc améliorée par d’autres réforme, ou bien si elle est refermée sur elle-même au point que pour l’améliorer il n’y aurait plus qu’à la détruire pour repartir sur de nouvelles bases.

- Ensuite, il faut se demander quelles sont les réformes futures induites par celle qu’on nous propose.

Car c’est bien ça qu’on fait sans le dire : rappelez-vous, la réforme de GDF. On nous avait dit : pas de privatisation dans la loi qu’on vous demande de voter. Et pas d’intention de le faire…

Les opposants disaient : derrière cette restructuration se profile la privatisation, elle est logique.

Je ne dis pas si GDF-Suez est une chance ou un péril. Je dis simplement que, comme le dit Bourguiba, il faut se méfier des réformes, parce qu’elles sont rarement complètes et qu’elles ne révèlent leur vérité complexe qu’au cours du temps, par une articulation progressives de réformes complémentaires.

Je crois bien que c’est à ça que se heurte la réforme des universités aujourd’hui. Et c’est pour ça que le gouvernement réécrit ses lois sans hésiter. Il sait que ce qu’il a effacé aujourd’hui pourra être réécrit demain.

Il suffit que la locomotive du train de réforme soit mise sur les rails, et qu'on sache où ils vont.

Mais il faut quand même se demander s'il y a des aiguillages sur l'itinéraire.

Tuesday, May 26, 2009

Concours

La citation du jour lance un concours entre ses lecteurs.

Faites le commentaire que vous inspire cette citation :


D'abord continuer, ensuite commencer.

William James


La meilleure intervention sera reprise en Post sur le Blog.



Citation du 27 mai 2009

La photographie acquiert un peu de la dignité qui lui manque, quand elle cesse d'être une reproduction du réel et nous montre des choses qui n'existent plus.

Marcel Proust – A l'ombre des jeunes filles en fleurs

Curieuse citation : si nous n’en avions que le début, nous pourrions la considérer comme à la fois exacte et banale : La photographie acquiert un peu de la dignité qui lui manque, quand elle cesse d'être une reproduction du réel.

Les choses se gâtent quand nous lisons la suite : et nous montre des choses qui n'existent plus. Car nous comprenons que pour Proust la photographie n’est jamais qu’une reproduction du réel, mais que celui-ci disparaît alors qu’elle subsiste. La photo de mariage de la grand-mère, le portrait du bébé joufflu que nous avons été.

Et nous voici replongé dans une vieille, très vieille histoire de la photographie, elle qui à ses débuts a été considérée comme un enregistrement mécanique de la réalité. On espérait même acquérir une image de la réalité objective, débarrassée de notre subjectivité. La photo aurait été capable de nous dire comment sont les choses quand nous avons le dos tourné et que nous ne sommes plus là pour les regarder !

On s’étonne qu’au début du 20ème siècle Proust en soit encore à imaginer que la photo n’ait d’autre réalité que celle-là. Mais après tout, c’était sans doute une certitude bien enracinée : puisque la photo est liée à un appareillage technique, alors la créativité humaine n’y a pas sa place – d’autant que les appareils photos de l’époque ne facilitaient sûrement pas la chose.

Mais, si nous sourions à la naïveté de ce jugement de Proust, prenons bien garde de ne pas le partager en silence. Regardons nos photos prises il y a quelques années, sur la plage avec nos adorables mouflets. Comme ils ont grandis ! Et cette nana super-canon ? Mais c’est notre adorable épouse ! Ou plutôt, c’était…

Monday, May 25, 2009

Citation du 26 mai 2009

La philo n'est pas mal non plus. Malheureusement, elle est comme la Russie : pleine de marécages et souvent envahie par les Allemands.

Roger Nimier – Le Hussard bleu (1950)

Décidément, Roger Nimier ne portait pas une grande estime à la Russie… (1)

Mais voilà : c’est à la philosophie qu’il a réservé sa flèche la plus acérée, et c’est elle qui nous atteint ce matin…

Le marécage de la philosophie : des thèses, et puis des pages dans les quelles on s’enfonce sans jamais trouver un sol stable, c'est-à-dire une certitude sur la quelle reposer pour avancer avec sûreté.

Mais on peut tout de même appeler la philosophie française à la rescousse pour s’en sortir : et voilà René notre secouriste en chef, « …je déracinais cependant de mon esprit toutes les erreurs qui s'y étaient pu glisser auparavant. […] tout mon dessein ne tendait qu'à m'assurer, et à rejeter la terre mouvante et le sable, pour trouver le roc ou l'argile. » (Descartes Discours de la méthode 3ème partie) (2)

Alors bien sûr, ce sont les allemands qui sont responsable de cet enlisement marécageux ; et avons-nous quelqu’un de plus évident que Heidegger à citer pour illustrer cette thèse ? Le marécage du questionnement heideggérien ne nous tire pas vraiment vers la clairière de l’Etre là où la vérité brille sans retrait...

Sommes-nous si souvent, nous philosophes, envahi par les allemands ?

Et si c’était eux qui malgré tout nous tiraient du marécage ?

Qui donc mieux que Nietzsche pour nous hisser sur le bord du marécage, loin des crapauds et des grenouilles ? Ainsi Zarathoustra interpelle-t-il le fou (3) : « Te tairas-tu ? … Pourquoi t’es-tu attardé au bord du marécage jusqu’à devenir toi-même grenouille ou crapaud ? N’as-tu pas dans tes propres veines le sang putride et spumeux des marécages, pour avoir si bien appris à coasser et à blasphémer ? Pourquoi n’es-tu pas allé en forêt ? Pourquoi n’es-tu pas allé labourer la terre ? Et la mer n’est-elle pas couverte d’îles verdoyantes ? »


(1) Voir aussi cette sentence, extraite du même ouvrage : On peut battre une femme, tuer un enfant, voler une pauvresse, après la vodka, c’est encore la faute de la Russie.

(2) Sur le marécageux chez Descartes, voir aussi ceci : « …je comparais les écrits des anciens païens qui traitent des moeurs, à des palais fort superbes et fort magnifiques, qui n'étaient bâtis que sur du sable et sur de la boue. » Idem, 1ère partie

(3) Le fou est dans ce passage le symbole du nihilisme, celui qu'on attribue à Zarathoustra, et qu'il refuse de tout son amour pour l'humanité. Nietzsche – Ainsi parlait Zarathoustra 3ème partie (Passer son chemin, t. 2, p. 65 de l’édition bilingue Aubier-Flammarion)

Sunday, May 24, 2009

Citation du 25 mai 2009

La crédulité est un signe d'extraction : elle est peuple par essence. Le sceptique, l'esprit critique est l'aristocratie de l'intelligence.

Edmond et Jules de Goncourt – Journal (24 mai 1861)

Oui, je sais : les Goncourt sont irritants avec leur préjugé de classe, leur croyance à une nature populaire opposée à une nature aristocratique…

Toutefois, si on veut bien l’oublier, cette opposition entre la faiblesse de la crédulité et la force de l’intelligence sceptique – à condition il est vrai de l’identifier à l’esprit critique – ne manque pas d’intérêt.

La crédulité : croire sans autre preuves que celle de l’autorité de celui qui parle. Et aussi : croire parce que ça console ou que ça tranquillise.

Le scepticisme comporte une forme qui n’aboutit pas à l’esprit critique : ce scepticisme contient une volonté de rester en deçà de la critique, pour pérenniser cette position en absence d’issue. Impossible de faire marche arrière, impossible d’aller plus avant. (1)

On a parfois associé Descartes à cette attitude ; le doute n’est-ce pas…

Par contre, les Goncourt identifient le scepticisme à l’esprit critique, c'est à dire justement à ce qui commence avec ce doute. Qui commence, mais qui ne finit pas avec lui.

Et c'est là qu’on retrouve Descartes, qui commence l’exposé de sa méthode avec ce précepte si connu : ne jamais admettre aucun chose pour vraie que je ne la connusse évidemment être telle. Ce qu’il recherche, c’est à évacuer les préjugés qui font obstacle à la vérité.

Il ne peut être sceptique, puisque la vérité évidente est l’horizon immédiat de sa démarche.


(1) Sur la croyance qu’il ne faut croire à rien : voir ici.

Citation du 24 mai 2009

L’Europe est un Etat composé de plusieurs provinces.

Montesquieu

On a le sentiment aujourd’hui que l’Europe existe mais pas les européens.

On pourrait dire que, dès le 18ème siècle, les européens existaient, même si l’Europe n’était pas encore née. Du moins, c’est ce qu’on croit

Montesquieu nous prouve qu’au contraire, l’Europe existait déjà bel et bien, mais simplement qu’il restait à réunir les provinces dispersées aux quatre coins d’un vaste continent.

On a fait grief aux Rothschild d’avoir été apatrides, essaimant un peu partout leur famille pour défendre exclusivement leurs intérêts : le Rothschild de Berlin, qui s’associait avec le Rothschild de Paris le quel commerçait avec celui de Londres, etc…

On oublie donc qu’à l’époque de Montesquieu (ou peu après) les fils de Bach faisaient la même chose : Wilhelm Friedemann à Halle (le Bach de Halle comme le nommait Mozart) ; Carl Philipp Emanuel à Hambourg, Johann Christian à Londres, Johann Christoph Friedrich à Bückbourg… Et qui donc a bercé les anglais de musique italienne, sinon Haendel ?

Au 18ème siècle, ce qui se faisait, c’était l’Europe de la culture.

Aujourd’hui, ce qui se fait, c’est l’Europe de l’économie et de la finance.

Ce qu’on voudrait inventer, c’est l’Europe des institutions politiques. Le problème, c’est que cette Europe est censée être inventée par ses citoyens mêmes.

Thursday, May 21, 2009

Citation du 23 mai 2009

Les espèces qui survivent ne sont pas les espèces les plus fortes, ni les plus intelligentes, mais celles qui s’adaptent le mieux aux changements.

Charles Darwin


Alors, ça y est, on l’a trouvé l’ancêtre ? Le chaînon manquant, celui qui montre comment la lignée des primates a commencé à se scinder en deux les lémuriens d’un côté, les singes et les hommes de l’autre ?

Et à quoi on l’a reconnu ? A son pouce opposable, comme on le voit sur la photo ci-contre. (1)

Alors certains avaient essayé avant ça d’imaginer comment s’était effectué le passage évolutif aboutissant à l’homme.

Les autres avaient imaginé ça : c’étaient des optimistes.


(1) Les scientifiques sont des jaloux: ils dénoncent une opération de com' organisée par le paléontologue norvégien Jorn Hurum qui publie sur ce petit mammifère découvert en ... 1983.

Citation du 22 mai 2009

Tout ce qui est parfait en son espèce doit dépasser son espèce.

Goethe – Les affinités électives (Folio, p.254)

Encore un des ces paradoxes dont les amateurs de citations sont si friands ? Oui et non.

Oui, parce qu’il s’agit surtout d’une phrase tronquée pour tenir l’intérêt en haleine et remplir l’objectif de la citation. Juste après, Goethe donne l’exemple du rossignol dont le chant merveilleux dépasse tout ce que les autres oiseaux s’essaient à faire, pour leur monter ce qu’est cet l’idéal inaccessible pour le quel ils s’égosillent.

Non, parce que le paradoxe est qu’on ne peut appartenir à une classe sans en être quelque peu indigne.

Comme si on ne pouvait être homme sans avoir le déshonneur de ne pas être un surhomme.

- Aurions-nous le devoir d’être ce qu’on ne pourra jamais atteindre ?

Voilà une conception bien tragique de l’existence, quelque chose qui me semble bien chrétien : sans le Sauveur, ton devoir te restera inaccessible, tu ne pourras jamais par tes propres forces être ce que pourtant tu dois devenir.

Si le héros romantique est tragique, c’est parce qu’il lutte avec la conscience de ne jamais pourvoir gagner. L’amour romantique s’accomplit dans la mort et jamais dans la jouissance. C’est exactement comme le janséniste qui vit pour mériter son salut et qui sait pourtant que ça s’est joué dans son dos, alors même qu’il n’existait peut-être pas encore… La pureté de l’homme sans tache est une inaccessible perfection qu’on nous fait pourtant le devoir d’atteindre…

Finalement, je préfère encore la leçon de Nietzsche. Parce que, lorsqu’il nous dit : L’homme est ce qui doit être dépassé, il ne nous compare pas à l’oiseau qui doit se faire rossignol.

Il nous compare plutôt au marin qui largue les amarres pour des rivages inconnus, rivages qu’il va créer par son voyage même.

Wednesday, May 20, 2009

Citation du 21 mai 2009

Il est des cas, oui, il en est, où toute consolation abaisse, où le devoir est de désespérer.

Goethe – Les affinités électives (Folio, p.164)

Il est des cas… où toute consolation abaisse – Sommes-nous en présence d’une proclamation de stoïcisme romantique, du genre de celle de Vigny dans La mort du loup (rappelez-vous votre récitation d’écolier : Gémir, pleurer, prier est également lâche…) ?

Ce serait je crois une erreur de s’en tenir là, car voici la suite : le devoir est de désespérer.

Au fond, c’est là le contenu véritable de notre citation : comme la plus part des philosophes pessimistes, ce que dit Goethe dans ce texte, c’est qu’il faut lutter non pas contre ce monde mauvais, mais contre les dispositifs mis en place pour le cacher.

Des dispositifs comme ceux-là, nous en avons : voyez l’oubli de la mort – contre les quels ont lutté des philosophes comme Heidegger, parce qu’en réalité ils nous font oublier bien plus que ça.

Car il ne s’agit pas simplement de lâcheté :

– Dis moi que la mort ne me concerne pas, ou bien que, parvenu au moment où elle devient inévitable, elle n’est qu’un sommeil, ou qu’un grand voyage.

Ces dispositifs sont autant de moyens de fuir notre réalité, c'est-à-dire de fuir la vie humaine.

Alors, c’est vrai, Goethe ne nous dit pas exactement ça : la lucidité nous appelle au devoir de désespérer.

Qu’est-ce que cet étrange devoir ? Faut-il le prendre au sérieux ? Est-il plus que la simple contrepartie de l’exigence de lucidité dont nous parlions ? Peut-être.

Pour ma part, j’estime que s’il y a du désespoir à constater qu’il n’y a rien au-dessus de l’horizon de l’existence, sans doute y a-t-il de l’espoir à voir qu’il y a quelque chose en dessous.

Le désespoir est peut-être dû à un éblouissement qui nous empêche de voir cet en deçà de la mort, qui se révèle selon Heidegger dans le souci de la vie.

Tuesday, May 19, 2009

Citation du 20 mai 2009

De me trouver tout seul en présence d'une seule femme me déconcerte beaucoup plus que d'en affronter deux. Une femme, c'est un monde. Mais une femme plus une femme, ce n'est qu'une paire...

Jacques Audiberti – La fête noire

Une femme, seule à seule avec un homme, c'est un monde… car on est dans la relation de personne à personne.

Par contre, une femme plus une femme, ce n'est qu'une paire... Audiberti veut dire je suppose que les deux femmes en question sont face à une autre personne , qu’on est dans la logique d’une relation sociale - ou de séduction amoureuse : ces femmes sont des copines ou des rivales, bref elle jouent l’une et l’autre un rôle destiné à simuler ou dissimuler.

Laissons de côté la question de savoir si cette citation ne concerne que les femmes et pas les hommes, question qui ne m’intéresse pas vraiment : je me sens d'avantage concerné par l'idée que la complexité d’un être ne se mesure pas à la perplexité qu’il soulève.

Et en effet, l’idée que, homme ou femme, nous ayons deux réalités, l’une qui coïncide avec notre être social et une autre qui suit les méandres de notre personnalité plus secrète et sans doute plus authentique me paraît crédible.

Que savons-nous de cette personnalité plus secrète ? Pourquoi n’existe-t-elle pas pour les autres ? La connaissons-nous en nous-mêmes ? Pouvons-nous seulement en parler ?

Elle qui est la source de notre pensée, la source de nos sentiments, la source de nos convictions intimes, il est probable qu’elle ne se pense pas elle-même, ne se sent pas elle-même, ne se rencontre pas elle-même – pas plus que l’œil ne se voit lui-même.

Reste donc notre être social.

Comment évaluer notre réalité sociale ? Si nous l’avons forgée nous-mêmes pourquoi ne pas nous reconnaître en elle ? Après tout quand je pense à moi, est-ce que je pense à autre chose qu’à ça ? Je veux dire : je ne pense finalement qu’à ce que je pourrais dire de moi aux autres.

C’est lorsque les autres m’imposent un personnage que je n’ai pas choisi, pire encore : quand je m’identifie à ce personnage qu’on m’impose (comme le juif de Sartre) que surgit l’aliénation. Ce n’est pas d’être un exemplaire dans une série quelle conque qui est aliénant ; c’est de se voir enfermé dans cette série là, qu’on n’a pas choisie.

Monday, May 18, 2009

Citation du 19 mai 2009

X*** disait, à propos de sottises ministérielles et ridicules : "Sans le gouvernement, on ne rirait plus en France."

Chamfort (1740-1794) – Maximes et Pensées

Comment le gouvernement nous fait-il rire ?

Il y a tellement de façon de rire du gouvernement que cette citation ne peut avoir un seul sens.

1 – Nos comiques font rire des hommes politiques, mais pas seulement en les caricaturant.

Le fin du fin est de redire – en imitant leur voix – exactement ce qu’ils viennent de déclarer, et alors là tout le monde est écroulé de rire.

Que n’avions-nous ri tout de suite ?

C’est que nous avons là, transformé en signe, ce qui n’était d’abord qu’une forme d’action. Tout le monde se rappelle comment il pouvait se moquer de ses professeurs – c’est mal – en redisant leurs petites phrases un peu mécaniques qui émaillaient leurs cours. C’est que séparées de leur contexte elle deviennent ridicules.

2 – Ensuite, les gouvernants font rire parce qu’ils prétendent changer la réalité avec des mots. Si tout à l’heure on riait des phrases qu’on avait coupées de la réalité, là on rit avec des propos qui se coupent eux-mêmes de la réalité, sans qu’on ait rien à faire.

Lorsque Jacques Chirac déclarait, parlant de la crise en 1976 : « Nous voyons le bout du tunnel », tout le monde était écroulé de rire, tant il était évident que cette formule incantatoire était décalée par rapport à la réalité.

3 – Si nous rions de nos gouvernants, c’est plus généralement parce qu’ils sont au prise avec la réalité. On ne rirait pas d’eux si comme les prophètes de tout acabit ils nous promettaient un avenir radieux. Bien au contraire : on l’espère tant que l’on ne demande qu’à y croire. Mais c’est quand ils nous annoncent, par exemple à la fois des baisses d’impôts et le maintien du service public, qu’on est mort de rire (Lol).

Et pourtant, on aimerait y croire…

Sunday, May 17, 2009

Citation du 18 mai 2009

Le mouvement de population et de l'émigration est biologique ; nul n'y peut rien. Supposons une infiltration d'étrangers par centaines de mille, et d'étrangers qui restent étrangers, le problème silésien peut se poser en Champagne. Ainsi la guerre se montre, mais elle est moins effet que cause ; c'est parce qu'elle se montrait d'abord que les difficultés s'élèvent. Si les pensées étaient occupées de bonne entente, d'association, d'échanges fructueux, et non point de guerre, le fleuve humain coulerait lentement du continent vers nos rivages, comme il l'a toujours fait, et les Français ne craindraient nullement de devenir Allemands par cette force du nombre, évidemment invincible ; au contraire les immigrants allemands deviendraient Français. La France a toujours dû sa nature propre à de tels mélanges ; et je crois que toujours la géographie vaincra l'histoire.

Alain – Propos, 21 août 1921

Le problème de l’immigration n’est pas dans la venue dans un pays de gens d’origine étrangère – ça existe depuis la nuit des temps, et ça ira jusqu’à la fin des temps. Le problème, c’est qu’ils restent étrangers. C’est donc en terme d’intégration que ça se pose.

Tout ça est trop connu pour qu’on y insiste. Et le Propos d’Alain tient son intérêt d’autre chose. Il est de dire que dans la non-intégration, ce qui prime c’est la volonté de faire pâtir l’étranger, que ce qu’on veut, c’est le maintenir étranger justement pour le lui reprocher et pour avoir l’occasion de lui faire la guerre. Ecrit en 1921, ce Propos est fortement imprégné de la mentalité du l’époque : la haine du Boche. Enlevez la haine, mettez le kurde à la place, et vous aurez quelque chose qui ressemble à notre époque.

S’il fallait une preuve que ce que dit Alain est vrai, pourrions-nous en trouver une plus forte que le cas des Juifs ? Pendant des siècles – voire même un millénaire – ils ont été parqués dans des Ghettos, marqués de l’étoile jaune (qui est bien antérieure aux nazis), privés de droits civiques, obligés de créer leur propre institution – le Consistoire juif – pour avoir une existence publique, cantonnés dans des métiers spécifiques, etc. Faut-il après cela s’étonner qu’ils ne se soient pas intégrés à la population locale, au point qu’on leur ait dénié d’appartenir à celle-ci dans un passé récent et sans doute encore aujourd’hui dans certains pays.

À Apt (Vaucluse) une plaque sur un mur de la vieille ville rappelle qu’au 16ème siècle existait là un ghetto, mais que la population juive n’a pas survécue à la grande peste qui ravagea le pays à l’époque : ils périrent non de la peste, mais d’un pogrom destiné à exterminer ceux qu’on tenait pour responsables de l’épidémie.

Et aujourd’hui encore : on dirait bien, à l’encontre d’Alain que l’histoire a vaincu la géographie.

Saturday, May 16, 2009

Citation du 17 mai 2009

Je suis trop sceptique pour être incrédule.

Benjamin Constant

Je ne suis pas sceptique. Je ne crois à rien, mais j'y crois fermement...

Henri Jeanson – Dialogue du film de Julien Duvivier Au royaume des cieux

Je ne croyais à rien mais je n’y crois plus.

Miss.Tic

Allez, c’est dimanche, et même si ce n’est pas jour de fête (1), voici trois citations pour le prix d’une…

Peut-on ne croire à rien ? Peut-on dire « rien n’est vrai – et ça au moins c’est vrai ? » (2)

On est dans ces petites phrases que la logique condamne comme étant contradictoires en elles-mêmes – comme celui qui dit « Je mens » dit la vérité… s’il ment vraiment.

Non, le vrai problème c’est celui du scepticisme : n’est-il qu’une posture de retrait pas rapport aux croyances, ou bien est-il une position philosophique sérieuse ?

- Oui, mais la quelle ? A vous de choisir.

Faut-il se dire : après tout on croit toujours en quelque chose, alors ne prétendons pas donner des leçons aux autres, et prenons la croyance qui nous convient le mieux. Le scepticisme devient une position de confort, comme le doute de Montaigne est selon lui un mol oreiller.

Ou au contraire, dirons-nous que la certitude qui est à notre portée est celle de la limitation de nos facultés, suffisantes pour notre survie animale, insuffisante pour une science véritable ?

Car la science, exigence de vérité, exige trop pour être accessible : si nous ne pouvons tout savoir, alors nous ne savons rien – scepticisme de Pascal aux prises avec les deux infinis ?


(1) On n’est pas à Bamako, hélas…

(2) On aura reconnu la répartie de la mère Denis

Friday, May 15, 2009

Citation du 16 mai 2009

C'est une sagesse vieille comme le monde qui dit que de toute vie mortelle il faut attendre le terme avant d'affirmer qu'elle fut heureuse ou malheureuse.

Sophocle – Les Trachiniennes

Dis-moi comment tu interprètes cette sentence et je te dirai qui tu es.

- S’agit-il de considérer qu’une vie heureuse est une vie dans la quelle le bonheur l’emporte sur le malheur ? Que la colonne où l’on décompte les évènements heureux, soit plus longue que celle qui additionne les évènements malheureux ? Bref, qu’une vie ne peut être déclarée heureuse qu’en terme de bilan.

Je salue en toi, cher lecteur le gestionnaire qui organise sa vie en comptable pointilleux.

- S’agit-il au contraire de dire que la vie ne s’évalue qu’à son terme parce qu’elle forme un tout dont chaque partie n’a de sens que par rapport l’ensemble ? Qu’une vie heureuse est une vie réussie, et que réussir sa vie ce n’est pas autre chose que la construire comme on construit sa maison ? Que chaque bonheur ou chaque malheur n’est en réalité qu’un détail qu’on ne peut évaluer pour lui-même mais par rapport seulement à l’édification qu’il parachève ou qu’il détruit. Bref, une vie, c’est une œuvre dont la réussite n’existe que par la totalité achevée.

Je salue en toi l’artiste ou le philosophe qui pense sa vie et qui vit sa pensée.

Mais tout compte fait, je me demande si on doit opposer l’une à l’autre ces deux évaluation.

Que notre vie soit faite de petites jouissances qui se succèdent, comme les perles d’un collier, mais qu’il y ait un fil pour les relier entre elles de telle sorte qu’elles tiennent ensemble, quoi d’étonnant ?

Et que ce soit au terme de notre vie que seulement, oui seulement là, au seuil du trépas, nous jouissions du bonheur est-ce plausible ? Nous serions jugés heureux mortel en mourant ? Et par qui le serons-nous si nous mourons ? Par la renommée ?

La belle affaire !

Thursday, May 14, 2009

Citation du 15 mai 2009

Qui juge lentement juge sûrement.

Sophocle – Oedipe Roi

C’est curieux comme ce précepte a traversé les âges au point qu’il sert encore aujourd’hui à justifier les lenteurs de la justice.

On nous dit : c’est parce que la justice est sérieuse, parce qu’elle prend tout le temps nécessaire pour instruire l’affaire, qu’il ne faut pas tenir compte des jours et les années à attendre que justice soit rendue, mais être seulement attentif à la mise en lumière de la vérité. Et d’opposer à la vénérable justice, la justice expéditive, celle des émeutes, de la populace et des lynchages.

Oui, mais les victimes protestent : pour elles pas de justice sans punition, et pas de coupable non châtié. Le délai mis à le condamner est autant de jours de justice volés aux victimes. En témoigne la revendication de l’emprisonnement préventif : que je croise dans la rue mon agresseur en instance de jugement et c’est un épouvantable déni de justice – alors que ce n’est que la stricte application d’une principe fondateur de celle-ci, je veux dire l’habeas corpus.

- Oui, mais interrogeons cette hâte à châtier : n’y a-t-il pas là quelque chose qui se dit ?

Quelque chose qui aurait à voir avec la vengeance ?

La condamnation du criminel ne serait alors qu’un substitut de vengeance – une vengeance institutionnelle. Or, la vengeance est une passion de l’ordre de la réaction à l’agression. Et comme telle elle n’a qu’une hâte, c’est qu’au crime succède instantanément le châtiment.

Et même si on dit d’elle que c’est un plat qui se mange froid, il faut entendre je crois qu’elle se consomme même froide. Mais qu’elle est meilleure chaude.

Wednesday, May 13, 2009

Citation du 14 mai 2009

Je veux t'aimer comme l'on aime / Du printemps le premier beau jour. » Les natures simples ont le privilèges d'être émues par de semblables inepties.

Alexandre Pothey – La fée des mines

C’est fou comme le printemps suscite de platitudes ou d’ineptes enflures pseudo-poétiques.

Notre auteur (1) en épingle une, pas pire que beaucoup d’autres, et – c’est là son originalité – déclare sans ambages qu’en être ému est un privilège.

Car, on pourrait dire : en être ému est un signe, qui veut dire qu’on a une nature simple. Et alors il faudrait presque envier cette simplicité plutôt que de s’en moquer. Après tout qui dit que l’émotion vécue à écouter de pareilles fadaises ne constitue pas un bonheur au moins comparable à beaucoup d’autres ?

On arrive ainsi à une interrogation sur le kitsch, l’art du bonheur comme on l’a dit Abraham Moles : ce qu’on appelle art, c’est ce qui produit ce bonheur-là, cette émotion jugée artistique par ceux qui l’éprouvent.

Regardez un peu : si je dis en effet que « Je veux t'aimer comme l'on aime / Du printemps le premier beau jour » est une ineptie qui signale un individu qui a très mauvais goût, ou bien qui est inculte ; et si vous, vous aimez ces vers, vous me demandez de quelle autorité je me réclame pour porter un tel jugement. Que pourrais-je répondre ? Qui dit que mes émotions à moi, en lisant Baudelaire ou Aragon valent mieux que les vôtres qui vous pâmez à l’écoute de ces vers de mirliton ? Et qui dit que ces illustres auteurs n’ont pas eux-mêmes encensé des œuvres qu’on considère aujourd’hui comme des kitscheries ? Tenez, même dans la musique, même chez les plus grands compositeurs : écoutez les décharges de mousquets dans la bataille de Vitoria de Beethoven, les coups de canon dans l’ouverture 1815 de Tchaïkovski, ce n’est pas kitsch ça ?

Alors comme on n’a pas pu éliminer la jouissance de l’art, on l’a anoblie en la cantonnant dans l’exercice d’une faculté spéciale, que Kant nommait le goût. (2)

Malin, n’est-ce pas ?


(1) Alexandre Pothey : écrivain français 1820-1897. C’est tout ce que je trouve dans sa biographie…

(2) KANT – Critique de la faculté de juger – Analytique du beau. « Le goût est la faculté de juger un objet ou un mode de représentation par la satisfaction ou le déplaisir d’une façon toute désintéressée. On appelle beau l’objet de cette satisfaction. » (§5)

C’est donc un plaisir spécifique car indifférent à la possession ou à la consommation qui est éprouvée au spectacle de la beauté dans l’art, et non l’agrément que produit la sensualité ordinaire qui implique l’un ou l’autre.

Tuesday, May 12, 2009

Citation du 13 mai 2009

L’artiste doit peindre ce qu’il voit et non ce qu’il sait.

Ruskin

I'm not a man, I'm Eric Cantona.

Dialogue du film de Ken Loach "Looking for Eric", en compétition à Cannes


Le peintre doit peindre ce qu’il voit, c'est-à-dire l’individu – et non ce qu’il sait, c'est-à-dire ce que récapitule le concept - l’idée du genre. Il peint tel homme, et non l’homme ; tel animal – par exemple ce chien, ce loup, et non le chien ou le loup.

C’est en ce sens qu’il peint ce qu’il voit et non ce qu’il sait ; ce qui veut dire aussi que l’on ne connaît que ce qui est général – le concept ; et non ce qui est individuel – tel homme.

Et c'est en ce sens également qu'Eric Cantona peut tranquillement affirmer qu'il n'est pas un être humain, puisque l'être humain est un concept générique qui, en tant que tel, n'existe pas (1)..

Il s’en suit deux affirmations réciproques : d’une part, ce n’est pas l’homme que nous croisons dans la rue, mais tel individu. D’autre part, de cet individu nous ne savons rien, si non qu’il appartient à un genre, qui est l’homme.

Voilà de quoi alimenter nos réflexions, ce qui je crois a été fait par Clément Rosset dans l’Objet singulier (2) – toute l’aventure du langage se déploie dans le va et vient entre la réalité singulière qu’on ne peut pas dire et le concept qui n’existe pas.

Mais, si nous revenons à la peinture, ce jugement ne risque-t-il pas de justifier les critiques négatives opposées aux tableaux donnant une vision fantastique ou imaginaire du réel – ou encore n’offrant aucune représentation du réel ? Ne va-t-on pas entériner les remarques entendues dans les expos d’art moderne : « Qu’est-ce que ça représente ? On n’y reconnaît rien ! »

Si le peintre doit peindre ce qu’il voit, alors pourquoi ne pas le remplacer par un appareil photographique ? C’est au moins ce qu’on a cru pouvoir faire lors de l’invention de la photographie au XIXème siècle.

Entre ce qu’on sait et ce qui est, il n’y a pas seulement place pour ce qu’on imagine.

Il y a aussi place pour ce qu’on voit, de là où l’on est placé avec les yeux que nous avons et l’expérience de notre vie. Voilà bien des conditions particularisantes.


(1) Tout ceci est bien connu depuis l'antiquité : il s'agit de la célèbre querelle des universaux, qui, comme on le voit, n'est pas encore tout à fait terminée...

(2) Edition de minuit – 110 pages, 140 grammes

Monday, May 11, 2009

Citation du 12 mai 2009

Scarron fait des merveilles car il a le cul rond et fait des étrons carrés.

Nicolas Poussin – Lettres et propos sur l’art (cité par D. Arasse – Le détail, une histoire rapprochée de la peinture, p.59)

Je suis un homme carré dans un corps rond.

Raymond Barre – (propos cité dans sa nécro)

Quand on pense au rapport du cercle et du carré, on pense à la quadrature du cercle, et bien sûr on imagine un problème impossible à résoudre. On dirait même que c’est le problème insoluble, celui qui sert de symbole pour signifier une entreprise condamnée à l’échec.

Voilà pourquoi réaliser la synthèse du rond et du carrée signale une prouesse extraordinaire.

Je suppose que Poussin était un peu ironique parlant de Scarron, puisqu’il va éclairer l’art d’écrire de Scarron par celui de déféquer. Et remarquez aussi que suggérer qu’il y ait un art de déféquer constituant une prouesse extraordinaire du déféqueur est plutôt saisissant !

- Par contre, les propos de Raymond Barre sont ceux d’un politique plutôt que d’un géomètre. Car il ce qu’il veut dire, c’est qu’un rond peut dissimuler un carré. L’homme débonnaire que suggère son embonpoint n’empêche sa volonté d’être inflexible pour imposer l’austérité.

--> Et nos politiques aujourd’hui : sont-ils plutôt comme Scarron ou plutôt comme Raymond Barre ?

Je ne sais pas quel est le poids moyen des membres du gouvernement, mais je n’ai pas l’impression qu’il penche du côté de l’obésité. Exit donc le corps rond.

Reste à examiner si nos gouvernants ont la particularité de Scarron.

Mais là je n’ose pas leur demander.

Sunday, May 10, 2009

Citation du 11 mai 2009

Obéir aux lois et aux coutumes ; être résolu dans ses actions ; aligner ses désirs sur les possibilités du monde ; cultiver la science.

Descartes – Discours de la méthode, 3ème partie (Abstract) (1)

Les conseils de La Citation du jour.

Aujourd’hui : quelle morale enseigner à nos enfants ?

Dans le Discours de la méthode, Descartes, après nous avoir expliqué combien était facile la découverte scientifique (4 préceptes), nous confie les 4 maximes de la morale par provision, morale minimale que chacun peut adopter en attendant la découverte d’une autre morale, objective celle-là.

Dans le cas où nous serions encore dans les ténèbres de l’incertitude morale, cette morale pourrait être un viatique suffisant pour traverser cette vie.

On remarquera que ces maximes morales sont plutôt des règles d’action : nulle valeur proclamée (par exemple : l'humanité) ; nulle conversion exigée (en finir avec une vie qui ne serait pas entièrement consacrée à l’observance des valeurs).

Non, il s’agit plutôt de maximes de la prudence : si vous voulez bien vivre, vivez comme ça, et nous vous plaignez pas de ce qui vous arrive si vous faites autrement.

Alors, est-ce bien une morale à enseigner à nos enfants ?

La Citation du jour ne vous donne que des conseils : libre à vous de ne pas les suivre, et d’enseigner par exemple à vos petits que s’ils n’écoutent pas les lois du Bon Dieu ou celles de la République ils deviendront des êtres méprisables.

Alors admettons que la morale enseignée ici par Descartes constitue bien une morale par provision, un viatique dont on doit être pourvu en attendant qu’une autre morale plus élevée et plus rigoureuse apparaisse à notre horizon.

Et considérons que ce n’est pas encore le cas aujourd’hui


(1) Bien sûr vous méritez le vrai texte : le voici.

« La première [maxime] était d'obéir aux lois et aux coutumes de mon pays, retenant constamment la religion en laquelle Dieu m'a fait la grâce d'être instruit dès mon enfance, et me gouvernant en toute autre chose suivant les opinions les plus modérées, et les plus éloignées de l'excès, qui fussent communément reçues en pratique par les mieux sensés de ceux avec lesquels j'aurais à vivre. […]

Ma seconde maxime était d'être le plus ferme et le plus résolu en mes actions que je pourrais ; et de ne suivre pas moins constamment les opinions les plus douteuses, lorsque je m'y serais une fois déterminé, que si elles eussent été très assurées. […]

Ma troisième maxime était de tâcher toujours plutôt à me vaincre que la fortune, et à changer mes désirs que l'ordre du monde ; et généralement de m'accoutumer à croire qu'il n'y a rien qui soit entièrement en notre pouvoir que nos pensées, en sorte qu'après que nous avons fait notre mieux touchant les choses qui nous sont extérieures, tout ce qui manque de nous réussir est au regard de nous absolument impossible. […]

Enfin, pour conclusion de cette morale je m'avisai de faire une revue sur les diverses occupations qu'ont les hommes en cette vie, pour tâcher à faire choix de la meilleure, et sans que je veuille rien dire de celles des autres, je pensai que je ne pouvais mieux que de continuer en celle-là même où je me trouvais, c'est-à-dire, que d'employer toute ma vie à cultiver ma raison, et m'avancer autant que je pourrais en la connaissance de la vérité, suivant la méthode que je m'étais prescrite. […] »


P.S. Le texte intégral : version audio pour les aveugles et ceux qui ne savent pas lire; version avec traduction des mots difficiles et surlignage des parties importantes pour ceux qui ne comprendraient pas la langue de Descartes ; version normale pour les autres – s’il y en a.

Saturday, May 09, 2009

Citation du 10 mai 2009

Vivre de telle sorte qu'il te faille désirer revivre, c'est là ton devoir.

Nietzsche – Fragments posthumes

Les conseils de La Citation du jour.

Aujourd’hui : découvrir pourquoi et comment aimer la vie

Commençons par le « comment » :

On a coutume de dire qu’un bon vivant, c’est quelqu’un qui «aime la vie ». Il mange, il boit, il aime les femmes, il rit…

Oui… Mais quand vient la maladie, la vieillesse, la solitude, on le voit qui pâlit et qui grisaille. Privé de ce qui faisait sa jouissance, plus de bon vivant, plus d’amour de la vie.

Et pourtant, la vie c’est ça aussi.

Qu’est-ce qu’aimer la vie ?

Chez Nietzsche, c’est la doctrine de l’éternel retour qui nous donne la clé du mystère. On aime la vie quand on désire qu’elle recommence encore et encore. Pas question d’éternité (Ô temps, suspend ton vol…), mais la sempiternalité, oui. C’est l’éternel retour du même.

En désirant que la vie recommence indéfiniment, on veut aussi qu’elle recommence avec ses joies et ses peines, ses jouissances et ses douleurs : en aimant la vie, j’aime aussi les peines et les douleurs de ma vie.

Venons-en maintenant au «pourquoi »

Désirer revivre, c'est là ton devoir.

Autrement dit, on n’a pas à aimer la vie par calcul (pour être heureux) ou par reconnaissance envers ses bienfaits. C’est un devoir parce que la vie représente le souverain bien.

A vrai dire, je ne sais pas si on peut conseiller d’aimer la vie par devoir. Il est possible que ce soit une sorte d’instinct, donné avec la vie à certains et pas à d’autres…

Mais on peut au moins donner ce critère comme conseil : si tu maudis la vie pour les angoisses qu’elle te procure, si tu souhaites ardemment vivre une autre vie parce que celle-ci te dégoûte, alors dis-toi que tu n’aimes pas vraiment la vie, que si tu l’aimais, tu l’aimerais avec ses défauts, comme l’amant passionné qui adore aussi les défauts de sa belle.

Voilà : finalement je suis moins exigeant que Nietzsche…