Friday, July 31, 2009

Citation du 1er août 2009

Un charme est au fond des souffrances comme une douleur au fond des plaisirs : la nature de l'homme est la misère.

Chateaubriand – Pensées et Premières Poésies

Voilà un propos digne de Pascal – en tout cas, on peut dire sans risquer de se tromper qu’il est né dans le même contexte religieux …

Bien entendu, Chateaubriand ne parle pas ici spécialement de la misère matérielle, celle que nous rencontrons chez le SDF ou dans les files d’attente des restos-du-cœur. Il s’agit de la faiblesse et de l’état pitoyable de la créature corrompue par le péché, égarée loin de son Créateur, et qui clame son désarroi dans les ténèbres de sa conscience. Sa seule lueur semble naître du besoin qu’elle a de Le retrouver…

Mais non ! Lisons mieux la citation de Chateaubriand : Un charme est au fond des souffrances comme une douleur au fond des plaisirs. L’homme jouit de ses souffrances et souffre de ses plaisirs : il est profondément masochiste, au point d’inverser radicalement l’échelle des valeurs – tout en haut est ce qui procure la souffrance et tout en bas est ce qui apporte du plaisir.

Mais, bien plus qu’une disposition psychologique, c’est sa nature profonde qui explique une telle inversion. L’être imparfait ne peut jouir que de ce qui lui ressemble : le mal.

Voilà donc la différence entre Pascal et Chateaubriand :

- tandis que l’un attribue à certains hommes la capacité à retrouver leur créateur parce qu’au fond de leur nature il y a la trace que Dieu y a imprimée – c’est un optimiste ;

- pour l’autre, tout au fond de lui-même, l’homme ne trouve que le néant. C’est un pessimiste qui devrait aspirer à se dissoudre complètement comme le font les âmes bénéficiant d’un bon karma dans les religions orientales.

Et vous mes chers lecteurs, quand vous regardez au fond de vous mêmes qu’est ce que vous voyez ?

Thursday, July 30, 2009

Citation du 31 juillet 2009

Les autres nous semblent toujours plus heureux que nous, et pourtant ce qu'il y a d'étrange, c'est que l'homme qui changerait volontiers sa position ne consentirait presque jamais à changer sa personne. Il voudrait bien peut-être se rajeunir un peu, pas trop encore, et marcher droit s'il était boiteux ; mais il se conserverait tout l'ensemble de sa personne, dans laquelle il trouve mille agréments et un je ne sais quoi qui le charme. Quant à son esprit, il n'en altérerait pas la moindre parcelle : nous nous habituons à nous-mêmes et nous tenons à notre vieille société.

Chateaubriand – Pensées et Premières Poésies,

Un petit jeu pour les soirées apéro avec des amis sur la terrasse de votre studette de l’été :

- Demandez leur de dire ce qu’ils feraient s’ils avaient le pouvoir de transformer leur personne, leurs caractéristiques mentales, spirituelles, affectives, leurs performances et leur aspect physique, leur age, etc…

Il faudra bien sûr exclure comme étant hors sujet les réponses portant sur la fortune, l’époque à la quelle on choisirait de vivre, les gens avec les quels on vit, le travail, etc…

On vous donnera sans doute bien des réponses qui tourneront autour de l’aspect physique : avoir des pectoraux dignes de Tarzan, et un profil de médaille grecque ; être blonde et porter du 95-D ; ou bien encore avoir 20 ans de moins, retrouver comme Faust une jeunesse perdue, et la séduction qui va avec.

Mais qui songera à réclamer un peu plus d’intelligence ? Un peu plus de sociabilité ? Un vrai talent d’artiste ?

Un conseil : ne demandez pas à vos amis pourquoi ils ne réclament rien de tout ça, parce que si vous le faites, votre apéro de demain, vous le prendrez tout seul.

Et pourquoi ? Lisez la citation de Chateaubriand jusqu’au bout :

[l’individu] se conserverait tout l'ensemble de sa personne, dans laquelle il trouve mille agréments et un je ne sais quoi qui le charme. Quant à son esprit, il n'en altérerait pas la moindre parcelle : nous nous habituons à nous-mêmes et nous tenons à notre vieille société.

Bref : chacun s’aime profondément au point de ne vouloir sous aucun prétexte changer réellement.

--> Que si l’on objecte que certains ne s’aiment pas et refusent de se montrer tels qu’ils sont parce qu’ils ont honte d’eux-mêmes, qu’on admette qu’ils ont enraciné en plein cœur, un juge supérieur qui examine leur personne avec sévérité. Un juge qui est encore – qui est déjà – eux-mêmes !

Dans la honte, c’est encore l’amour de soi qui parle. (1)


(1) C’est ce que dit Nietzsche : Celui qui se méprise s’estime de se mépriser.

Wednesday, July 29, 2009

Citation du 30 juillet 2009

Dans l'adultère ont habituellement leur part la tendresse et l'abnégation ; dans l'homicide, le courage ; dans les profanations et le blasphème, certaines lueurs de satanisme.

Jorge Luis Borges – Fictions

Chaque réalité comporte une parcelle de réalité qui lui est contraire.

Et pour le blasphème, quel contraire trouverons-nous en son sein ?

Le blasphème se distingue par une part d’absolu qui contraste avec la petitesse de l’homme qui crie sa haine de Dieu – Cet absolu s’appelle Satan !

Pour comprendre la pensée de Borges, le mieux est de se confronter au choc du blasphème.

Pour un chrétien, le blasphème le plus blessant et sans doute le plus horrible est celui qui touche à la crucifixion, et en particulier celui qui représente la croix avec une femme crucifiée en lieu et place de Jésus. Au lieu de la contrition que l’on doit éprouver face au supplice du Sauveur, il n’y a que la charge érotique d’une femme à moitié dénudée.

Bettina Rheims en a fait une photo qui a connu son heure de scandale, et que je vous propose en couverture du magazine.

Toutefois, le blasphème opéré par cette image est incomplet, si l’on en croit Borges : ici, point de satanisme, tout est clean, on nous a même fait grâce du suintement du sang autour des plaies.

Borges a raison, car voilà que je tombe sur une autre représentation de la femme crucifiée, due à Félicien Rops, et représentant la Tentation de Saint Antoine.

Effectivement, voici un blasphème d’un autre genre : disons que celui-ci est dynamique. Et en effet, on voit sur ce tableau le Christ évincé par le corps de femme basculer dans le vide tandis que le démon grimaçant surgit derrière la croix du calvaire. Sous les yeux hallucinés du saint, la femme ouvre les bras non pas pour qu’ils soient cloués sur la croix, mais pour offrir sa nudité impudique à l’homme ; sur la droite, un chien au groin de porc vient compléter la mise en scène.

- Que peut-on ajouter à un tel tableau pour décrire le blasphème ?

Ceci : selon Borges, le satanisme apporte une lueur, autrement dit s’il n’existait pas il nous manquerait quelque chose.

Tuesday, July 28, 2009

Citation du 29 juillet 2009

Le péché est une maladie, le repentir est un remède, l'abstinence est une guérison.

Hazrat Ali

Le sujet du sermon du jour est : l’abstinence (1)

1 – D’abord, pas d’abstinence sans privation. Vous qui ne fumez pas et qui n’avez jamais fumé, vous n’êtes pas abstinent. Vous par contre qui venez d’écraser votre dernière clope avec l’intention de ne plus jamais en rallumer, vous êtes abstinent depuis une heure.

Bien sûr, ça entraîne la conséquence suivante :

2 – Pas d’abstinence sans péché, comme le dit notre citation. Si l’abstinence est une vertu, alors, pas de vertu sans le péché.

Réciproquement :

3 – La maladie que guérit l’abstinence s’appelle le péché. Lorsque notre bon Pape nous rappelle qu’on n’évite le sida que par l’abstinence, il veut dire que le sida est non seulement une maladie, mais encore qu’il est un péché, ou plutôt la conséquence d’un péché. (2)

Et voici le moment de la parole pastorale :

4 – Le sida a été envoyé par Dieu pour punir les pécheurs, et en particuliers les lubriques et les drogués…

Comment, mes frères, vous objectez que dans les années 80, quand le sida est apparu, les jamaïcains en ont été les premières victimes et vous demandez quel était leur péché ? Et la même chose, un peu plus tard les hémophiles ?

Guérissez vous mes frères du péché d’orgueil qui consiste à vouloir connaître les intentions du Seigneur : les voies de Dieu sont impénétrables !

Faites abstinence en renonçant à vouloir tout comprendre.


(1) Voir le TLF dont j’extrais cette brève définition :

A – Dans le domaine de la mor. ou de la relig. Action ou disposition permanente de la volonté consistant à se priver de certains biens ou plaisirs dans une intention de perfection mor. ou spirituelle :

B – MÉD. Privations consenties dans une intention thérapeutique

(2) Sauf qu’avec le sida, il vaut mieux l’abstinence aujourd’hui que le repentir demain. Ici, il est difficile de se maintenir dans le sens moral sans glisser dans le sens médical (voir def. TLF ci-dessus)

Monday, July 27, 2009

Citation du 28 juillet 2009

Même en Enfer, régner est digne d'ambition ; mieux vaut régner en enfer que de servir au ciel.

John Milton – Le paradis perdu

Avouez que vous aussi vous pensez qu’il vaut mieux régner en enfer que servir au ciel.

Et vous n’avez sans doute pas tort, parce que si on regarde bien, à côté des pauvres damnés, il y a les démons qui les torturent et qui y prennent manifestement du plaisir… Par contre être un simple numéro dans la cohorte des anges et chanter en chœur les louanges du Seigneur, ad vitam eternam, ça saoule…

Plus sérieusement, Milton nous suggère que les hommes recherchent plus la satisfaction de leurs passions que l’épanouissement de leurs vertus, et que la plus grande de toutes les passions est celle du pouvoir. Il ne s’agit pas de montrer le vice triomphant de la vertu, mais plutôt les aspirations humaines fusionnant sous la houlette d’une seule et unique passion. Et cette passion est la passion politique par excellence : l’ambition de régner.

Et si tous les hommes étaient comme ça, je veux dire, si il n’y avait au fond qu’une seule et unique passion qui les anime, les autres restant subalternes ? Ils ne diffèreraient que par la nature de la passion qui domine les autres : chez les uns les femmes, chez les autres, le jeu, d’autres encore la domination, etc…

Hé bien, nous aurions là une clé pour évaluer les hommes politiques qui se proposent à nos suffrages.

Méfiez-vous de celui qui proclame : « Non, je ne suis pas un saint et les dames, elles me plaisent toujours autant. » Peut-on servir deux maîtres à la fois, la politique et la libido ? À mon avis les italiens ont été trop indulgents avec Silvio Berlusconi…

Par contre, Notre-Président (1), qui ne boit pas, qui ne fume pas, qui n’est pas plus porté que ça sur les jupons (dites-moi si je me trompe), mais qui nous fait comprendre que le pouvoir, oui, le pouvoir : il aime ça follement ; voilà un homme sérieusement épris de la politique.

Rappelez vous que Fourier qui voulait organiser son phalanstère sur la base des passions mises au service de la communauté affirmait qu’il fallait réserver les emplois politiques à ceux qui avaient la passion cabaliste (2).

En tout cas, ça permet de mettre le bling-bling à sa place : signe extérieur de pouvoir – et rien d’autre.


(1) Ce Post était rédigé avant son malaise de la Lanterne auquel il ne fait aucunement allusion.

(2) C’est la passion qui encourage à la rivalité et à l’intrigue. Voir ici.

Sunday, July 26, 2009

Citation du 27 juillet 2009

L'ambition est le dernier refuge de l'échec.

Oscar Wilde – Formules et maximes à l'usage des jeunes gens

Comment accepter l’échec ? Ou plutôt, pour parler la langue d’aujourd’hui, comment le gérer ?

L’attitude courante consiste à dire que l’échec nous instruit, qu’il nous fait découvrir quels sont nos moyens réels, et quelles sont les résistances du monde qui nous entoure. Malheur au jeune homme qui n’a pas connu l’échec, il avance dans la vie comme dans un songe. Plus dure sera la chute.

Hé bien, tout ça c’est bien bon, mais ça ne suffit pas. Ecoutez plutôt Oscar Wilde : c’est l’ambition qui nous fait échouer, et mieux vaut échouer par ambition que réussir modestement.

Oui, on pourrait ne jamais échouer et même il y a une quantité de gens qui n’échouent jamais : ce sont ceux qui règlent leur niveau d’aspiration sur leur niveau de performance. Ne pas chercher à faire plus que ce qu’on se sait capable de réussir.

Et c’est sûr que beaucoup de gens doivent se reconnaître là-dedans ; et que bien des éducateurs enseignent aux jeunes à se méfier de leur ambition : ne pas avoir plus grands yeux que grand ventre comme dit la sagesse populaire.

Et puis vous avez des gens comme Victor Hugo qui écrit sur son cahier d’écolier « Chateaubriand ou rien ».

Alors bien sûr, on ironise : il ne fut ni l’un ni l’autre. Mais croit-on qu’il aurait échappé au rien s’il n’avait tenté d’écrire comme l’auteur du Génie du christianisme ?

Et puis encore : c’est Gilles Deleuze qui, à la suite de Spinoza nous dit : « Nous ne savons pas de quoi nous sommes capables », et qui donne comme exemple un séminariste qu’il avait connu du temps de ses études. Ce jeune homme était médiocre en latin, ce qui pour un séminariste était gênant. Voilà qu’il tombe éperdument amoureux et qu’il est aimé en retour. Là encore c’est gênant pour un séminariste, sauf que, du même coup, il fait des progrès fulgurant en latin !

Comment savoir si nous sommes radicalement incapables de quelque chose ? L’ambition est cette passion qui nous pousse à dépasser nos limites, et qui les fait reculer – parfois, pas toujours certes, mais quand même : parfois.

Allez, essayez à votre tour :

- Barbara Cartland ou rien !

Saturday, July 25, 2009

Citation du 26 juillet 2009

Tous les parents se valent.

Boris Vian – L'herbe rouge

La citation du jour réserve aujourd’hui son message aux masochistes.

Voilà comment ça marche : imaginez un enfant bien emm… couvé par des parents bien complaisants ; ou bien si vous préférez, un pauvre gamin maltraité par des parents odieux, genre Thénardier – vous voyez ce que je veux dire ?

Et maintenant dites haut et fort : Tous les parents se valent.

Ouch ! Ça fait mal, hein ?

Alors, vous, qui êtes si attentifs au développement de votre bambin, vous qui, de Françoise Dolto à Laurence Pernoud, avez lu tous bons auteurs pour savoir élever et chérir votre petit, vous qui avez même appris à cuisiner des petits pots qui ne lui colleront pas d’allergies alimentaires, vous voilà ravalé(e) au rang de parent lambda…

Et encore… S’agit-il de dire que si tous les parents se valent, c’est qu’ils sont tous bons, ou tous mauvais, ou tous inutiles ?

On connaît la répartie de Freud, à qui on demandait comment élever les enfants : « Comme vous voulez, de toute façon ce sera mal. ». Je suppose que c’était aussi l’idée de Boris Vian, puisque dans l’Arrache cœur, le petit qui mange des limaces bleues cherche à échapper à l’attention obsessionnelle et angoissée d’une mère qui le prive de toute liberté par peur du danger.

Je considère pour ma part que l’éducation des enfants devrait se faire de façon systématiquement expérimentale : considérons l’enfant comme une boite noire (par celle des avions ; celle des cybernéticiens (1)).

Tout acte éducatif – autant dire toute relation avec l’enfant – doit être considéré du point de vue des résultats, ou si l’on veut de la réaction de l’enfant. Il y a d’un coté notre action à nous parents – puis l’enfant (boite noire) – puis ses réactions. Rapportons ce que nous avons voulu faire à ce que nous avons obtenu, et nous aurons la réponse à la question : avons-nous bien fait ?

- Et l’instinct maternel, hein ? Qu’est-ce que vous en faites ? L’instinct est infaillible. La maman est la seule à savoir ce qu’il faut à son enfant et à pouvoir le faire.

Si c’est une maman qui dit ça, bon – mais quand même…

Vous voulez une preuve que l’instinct n’est pas non plus la norme recherchée par les parents ? Ecoutez cette anecdote : il y a bien longtemps, alors que je débutais dans le métier d’enseignant j’ai connu un prof de français de troisième qui avait donné à étudier à ses élèves quelques pages de Boris Vian, l’Arrache cœur, justement, le passage où la maman fait la toilette de son petit en le léchant comme les ourses. Les parents ont déposé plainte et ça a fini devant les tribunaux.


(1) Une boîte noire est la représentation d'un système sans considérer son fonctionnement interne (que ce soit un objet mécanique ou électronique, un organisme, une personne, un mode d'organisation sociale, ou n'importe quel autre système).

Ce fonctionnement interne est soit inaccessible …, soit omis délibérément. …Le fonctionnement de la boite noire n'est donc appréhendé que sous l'angle de ces interactions

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Friday, July 24, 2009

Citation du 25 juillet 2009

Ce n'est pas l'or, ce sont les bons soldats qui sont le nerf de la guerre. L'or ne fait pas trouver de bonnes troupes, mais les bonnes troupes font trouver de l'or.

Machiavel – Discours sur la première Décade de Tite-Live II x p.538

Vous savez à quoi me fait penser cette citation de Machiavel ? A ces déclarations de l’état major français, dans les années 30, affirmant que les machines de guerre que sont les tanks et les avions ne remplaceraient jamais les fantassins. Et de construire la ligne Maginot pour arrêter les hommes mais sûrement pas les bombardiers de la Luftwaffe…

On comprend bien sûr que Machiavel, si perspicace quand il s’agit de pouvoir politique soit si limité par la compréhension des mécanismes de la guerre : c’est que la politique – ou plutôt les hommes qui en font – n’a pas tellement changé de nature, alors que la guerre a connu des mutations énormes liées au progrès technique.

Mais en même temps, on voit bien que si les armées modernes misent tout sur la machine et les techniques, dans le même temps elle s’appuie de moins en moins sur les hommes.

Dès lors que la nature du terrain restreint le champ d’action des machines de guerre, les armes les plus puissantes du monde en viennent à battre en retraite devant une poignée de farouches guerriers qui n’ont que leur kalachnikov à leur opposer. C’est bien ce qui s’est passé dans la guerre du Vietnam, et c’est se qui passe encore aujourd’hui dans la guerre contre les Talibans.

Où sont les G.I.s capables de ramper le couteau entre les dents pour aller égorger les montagnards qui leur tirent dessus depuis un piton rocheux ?

Le jour où l’or investi pour faire la guerre effacera les montagnes et les vallées reculées, il sera en effet le nerf, l’unique nerf de la guerre.

Remarquez : ce jour est arrivé depuis le 6 août 1945 à Hiroshima…

Thursday, July 23, 2009

Citation du 24 juillet 2009

Lune 3

Ne te moque pas de ma demeure / La poutre en est inclinée et la chambre petite / Mais la lune qui brille sur la montagne est à moi.

Sin Heum

Voilà une inversion poétique bien classique : nous ne possédons pas réellement ce que nous avons sous la main ; mais ce qui est hors de notre portée nous appartient – c’est même notre seule véritable propriété.

Ma vraie demeure est celle de mes rêves, mes seuls biens sont dans mon imagination et dans mes rêves – non dans la réalité prosaïque.

Et la lune est un support du rêve sans égal.

Si la conquête de la lune a été si passionnante et si décevante à la fois, c’est qu’on espérait voir les astronautes américains fouler un sol que nous connaissions déjà par nos rêves ; découvrir pour de bon les mystères de cet astre si proche et si lointain en même temps…

Et voila la réalité :

- Quand Neil Armstrong, le commandant de la mission Apollo XI est sorti de son module lunaire, tout ce qu’il a trouvé à dire pour commencer consistait à décrire l’état des pieds de l’engin par rapport au sol lunaire : pas très poétique.

- Quand à son second, le pilote Edwin Aldrin, il déclare aujourd’hui que si on le voit sur la vidéo marquer un temps d’arrêt en descendant l’échelle du module lunaire, c’est qu’il voulait satisfaire un besoin naturel avant de poursuive. Et d’ajouter que s’il n’a pas été le premier à marcher sur la lune il a été le premier à y pisser. Là encore, pour la poésie, vous repasserez.

C’est donc à juste titre qu’on s’est complètement désintéressé des missions lunaires et que, si la conquête lunaire redevient le temps d’un anniversaire un sujet prisé dans les médias, c’est parce qu’on a complètement oublié les détails concrets de cette expédition pour se remettre à rêver de l’exploit qu’elle a constitué.

On en est venu à regretter que tout se soit si bien passé au cours de leur voyage : si seulement Apollo XI et Apollo XIII avaient fait une seule histoire, là, oui : ces hommes auraient eu définitivement l’étoffe des héros.

Wednesday, July 22, 2009

Citation du 23 juillet 2009

Lune 2

J'aime penser que la lune est là même si je ne la regarde pas.

Albert Einstein

La lune est-elle la même quand je ne la regarde pas ? Faut-il être un génie comme Einstein pour se poser la question ? Ou bien un psychopathe, comme celui dont parle Merleau-Ponty qui se retournait pour voir si le monde continuait d’exister dans son dos ?

En réalité la question est mal posée parce que la réponse est tronquée.

Je suppose que Einstein se propose de connaître la lune (et bien sûr le cosmos) comme si l’homme n’était pas là pour les voir. Ce qui signifie non seulement que la connaissance doit être objective, mais encore qu’on ne peut y parvenir qu’à condition de faire table rase de tout ce qu’on croit connaître de l’objet étudié.

Oublier la lune qui influence le tempérament des lunatiques ; oublier la lune qui n’est là que pour éclairer nos nuits ; écarter les croyances sur la nature de la lune montante qui la distinguent de celles de la lune descendante ; et bien sûr oublier aussi la lune qui inspire les poètes et les amoureux.

Bref, jeter pardessus bord toute cette instrumentalisation de la lune qui en ferait une réponse aux besoins de l’homme, exactement comme pour comprendre le système solaire il a fallu renoncer à croire que le soleil n’était là que pour éclairer la terre de toute part également, c'est-à-dire comme un flambeau qui tournait autour d’elle.

Croire que la lune est la même quand je ne la regarde pas, c’est accepter l’idée que mon existence – et celle de l’humanité en général – n’a aucun impact sur l’univers, qu’il soit lointain comme Aldébaran, ou proche comme notre astre des nuits.

Toutefois, comme le disait Freud, accepter cela c’est s’infliger une humiliation narcissique. (1)


(1) Freud – Une difficulté de la psychanalyse (voir le texte ici)

Tuesday, July 21, 2009

Citation du 22 juillet 2009

Lune 1

Les mathématiciens étudient le soleil et la lune et oublient ce qu'ils ont sous les pieds.

Diogène Le Cynique

Voilà ce que l’épopée des astronautes américains il y a 40 ans a contribué à effacer : on peut être dans la lune sans perdre le sens des réalités.

Mais enfin, comment a-t-on pu prendre la lune comme symbole de l’absence de réalisme, voire même comme preuve de la rêverie tenace ?

Je crois que les grecs y sont pour quelque chose, et l’anecdote rapportée par Diogène et développée par Platon (cf. l’annexe en fin de message) nous le montre plaisamment.

Toutefois, si vous avez eu le courage de lire le texte de Platon jusqu’au bout, vous aurez constaté que la leçon qu’il tire de cette anecdote n’est pas tout à fait la même : ce qu’on peut reprocher aux savants spéculatifs (dont les philosophes), ce n’est pas d’ignorer les phénomènes naturels, mais de ne pas comprendre les hommes aux yeux des quels il passe pour un imbécile.

Toutefois, le reproche fait par Diogène aux mathématiciens n’est pas tout à fait juste, puisque, dit-on, la même année Thalès, prévoyant grâce à ses observations du ciel un été très chaud pour les mois à venir – phénomène qui garantissait une récolte d’olives exceptionnelle - acheta tous les moulins à huile qu’il pût trouver, les louant à prix d’or quand les besoins qu’il avait prévus se firent sentir.

Il faut connaître le ciel pour mieux connaître la terre.

Est-ce bien cela qui a constitué la leçon de la mission lunaire américaine ?

Regardez l’image ci-dessous et dites moi à quel genre d’action était dédiée la mission Apollo.

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Annexe – Platon, Théétète

Socrate : L’exemple de Thalès te le fera comprendre, Théodore. Il observait les astres et, comme il avait les yeux au ciel, il tomba dans un puits. Une servante de Thrace, fine et spirituelle, le railla, dit-on, en disant qu’il s’évertuait à savoir ce qui se passait dans le ciel, et qu’il ne prenait pas garde à ce qui était devant lui et à ses pieds. La même plaisanterie s’applique à tous ceux qui passent leur vie à philosopher. Il est certain, en effet, qu’un tel homme ne connaît ni proche, ni voisin ; il ne sait pas ce qu’ils font, sait à peine si ce sont des hommes ou des créatures d’une autre espèce ; mais qu’est-ce que peut être l’homme et qu’est-ce qu’une telle nature doit faire ou supporter qui la distingue des autres êtres, voilà ce qu’il cherche et prend peine à découvrir. Tu comprends, je pense, Théodore ; ne comprends-tu pas ?

Théodore : Si, et je pense que tu dis vrai.

Socrate : Voilà donc, ami, comme je le disais en commençant, ce qu’est notre philosophe dans les rapports privés et publics qu’il a avec ses semblables. Quand il est forcé de discuter dans un tribunal ou quelque part ailleurs sur ce qui est à ses pieds et devant ses yeux, il prête à rire non seulement aux servantes de Thrace, mais encore au reste de la foule, son inexpérience le faisant tomber dans les puits et dans toute sorte de perplexités. Sa terrible gaucherie le fait passer pour un imbécile. Dans les assauts d’injures, il ne peut tirer de son cru aucune injure contre personne, parce qu’il ne connaît aucun vice de qui que ce soit, faute d’y avoir prêté attention ; alors il reste court et paraît ridicule.

Platon – Théétète (174a)

Monday, July 20, 2009

Citation du 21 juillet 2009

C'est drôle comme les hommes ne pensent pas à être complexés. Ca doit être bien, d'être comme ça. Ne penser qu'à son regard qui se pose et pas penser à la réciproque.

Virginie Despentes – Les Jolies Choses

Les hommes ne pensent qu’à ça

Si vous dites ça, on vous répond ingénument :

- Ils ne pensent qu’à quoi ?

Et si vous répondez : « Ils ne pensent qu’à faire crac-crac » votre interlocuteur, tout compte fait moins ingénu qu’il ne semblait, va chercher à vous coincer :

- Ah bon ? C’est une pensée ? Je ne savais pas…

Le problème n’est vraiment pas de savoir à quoi pensent les hommes quand ils pensent à ça ; il est de savoir à quoi ils ne pensent pas.

Virginie Despentes répond : ils ne pensent pas au regard de l’autre, autrement dit ils ne se demandent pas à quoi ils ressemblent quand ils sont en pleine action.

J’en entends qui ricanent :

- Voilà bien notre spécialiste des citations, lui qui critique l’ingénuité supposée de ses lecteurs, le voilà qui se montre lui-même encore plus ingénu.

Parce que ce que vous dites là c’est une banalité, et en plus, qu’est-ce qui vous dit que la dame se soucie de son apparaître dans le même cas ?

Voilà : j’avoue que je me suis laissé prendre au piège de la facilité.

En fait on pourrait plus sûrement dire que ce à quoi les hommes (1) ne pensent pas dans l’élan du rut, c’est au jugement que leur partenaire va porter sur eux. Quand, la prenant comme instrument de leur jouissance, ils ne s’interrogent même pas à ce que peut ressentir leur partenaire, quand ils ne font que suivre la ligne de crête de leur jouissance – et elle seule – alors, oui, on peut dire qu’ils ne s’intéressent pas au regard qu’on peut porter sur eux.

Ce n’est qu’après qu’ils y pensent, lorsque, dans le rengorgement satisfait de leur virilité repue, ils vont l’interroger :

- Alors, Chérie, heureuse ?


(1) Je corrige : « Certains hommes » - tout de même !

Sunday, July 19, 2009

Citation du 20 juillet 2009

L'esclavage humain a atteint son point culminant à notre époque sous forme de travail librement salarié.

Bernard Shaw - Bréviaire d'un révolutionnaire


Magritte – Pour faire diminuer la durée du travail – Projet d’affiche pour la Centrale des ouvriers du textile de Belgique, 1938.


Ne comptez pas sur moi pour revenir sur les 35 heures et sur le dimanche chômé : j’ai déjà beaucoup donné, et ça finirait pas lasser.

Non, je préfère la plongée dans le passé historique, ce lointain passé dont nous avons du mal à croire qu’il ait jamais existé et qui revendiquait l’avenir radieux des congés payés et de la diminution du temps de travail.

C’était un temps où les gens croyaient qu’ils étaient sur terre pour autre chose que le travail, et qu’une vie de farniente, de pétanque et de chaise longue serait le bonheur sur terre.

Magritte a réalisé cette affiche en 1938, alors qu’il était encore membre du parti communiste belge. Comme beaucoup de surréalistes, il croyait alors que le Parti communiste allait faire la révolution dont il rêvait.

Ils n’avaient pas tout à fait compris et l’information qu’en l’URSS, on fêtait les héros du travail, Stakhanov et compagnie, ne les avait pas encore touchés.

Ce qu’ils n’avaient pas compris – que nous avons fort bien intégré – c’est que l’important n’est pas de travailler plus ou moins, mais de savoir pourquoi on travaille.

Nous on sait : c’est pour gagner plus.

Merci Président !

Saturday, July 18, 2009

Citation du 19 juillet 2009

[Pour la poésie], il s’agit toujours de prendre le langage comme objet, et de triturer cet objet pour lui ajouter ou pour en extraire une signification supplémentaire.

Georges Charbonnier – Entretiens avec Claude Lévi-Strauss p. 135

Quand on essaie de parler de poésie, la difficulté est de s’entendre sur l’objet même dont on parle : la poésie, qu’est-ce que c’est ? Un ensemble de règles ou de conventions d’écriture ? Des images serties dans les textes ? L’inspiration du poète ? Ses souffrances ?

Lévi-Strauss qui n’a pas l’habitude de s’embarrasser de pensées confuses choisit de trancher dans le vif : la poésie, c’est un texte, qui produit quelque chose que la prose ne produit pas.

Il n’est pour s’en persuader que de lire – à voix haute si possible – un poème de votre choix. L’émotion que vous éprouvez alors ne saurait exister dans une autre forme de texte, ou bien, dite autrement.

Prenons garde à ne pas banaliser ce qui se passe alors : on ne saurait confondre la spécificité d’un poème avec celle d’un énoncé quelconque dont on déplore que la traduction dans une autre langue soit une tentative toujours approximative.

Le poème a pour effet d’ajouter ou d’extraire une signification supplémentaire par rapport à tout ce qui peut se dire sous une autre forme.

Mais comment fait-il pour obtenir ce résultat ? Il triture le langage qu’il considère comme un objet , c'est-à-dire comme quelque chose qu’il a devant lui, non pas un élément de son être, mais une chose qu’il est capable de transformer, un peu comme le bout de ferraille ou de bois pour le bricoleur.

Car, pour Lévi-Strauss qui a élevé le bricolage au rang de métaphore pour rendre compte de la production des mythes, nul doute : le langage, pour le poète, ce n’est pas son âme, ce n’est pas non plus un outil ni un instrument.

C’est quelque chose comme le bout d’allumette que le bricoleur glisse dans le trou trop large pour que la vis tienne correctement (1).


(1) Bien sur je l’ai fait. Bien sûr, ça tient.

Friday, July 17, 2009

Citation du 18 juillet 2009



Etre libre, c’est être seul ?

Miss.Tic – À voir sur le site du Miss.Tic Fan club.

Oui, faut-il être seul pour être libre ?

Evidemment, Miss.Tic ne prend pas parti : selon votre goût, vous choisirez la petite Nana qui danse en toute liberté – seule – ou bien le Mec qui étreint une cavalière imaginaire sans la quelle sa danse n’a pas grand sens.

Sur le sujet, je rappellerai la thèse de Schopenhauer (1) : l’homme de qualité sera d’autant plus libre qu’il jouira plus longtemps de la solitude. Il n’en sortira que pour partager l’œuvre qu’il aura créée dans la solitude de son cabinet, et encore, à condition qu’il ait besoin de partager quoique ce soit.

La danseuse a-t-elle besoin de spectateurs pour danser ? L’oiseau chante bien sans se préoccuper qu’on lui réponde.

Bon, c’est bien tout ça, me direz-vous, mais que faites vous de l’amour ? La liberté d’aimer, qui s’épanouit dans la solitude s’appelle narcissisme, et par rapport à l’amour véritable, c’est une régression.

Bon, très bon. Mais alors pour aimer, s’il ne faut pas être seul, combien faut-il être ?

Miss.Tic va vous répondre : il faut être deux – jamais plus à la fois


(1) Post du 2 juin 2006

Thursday, July 16, 2009

Citation du 17 juillet 2009

Cette évocation de la nuit et du jour me semble douée du pouvoir de nous surprendre et de nous enchanter. J’appelle ce pouvoir la poésie.

René Magritte – Cité par le Musée Magritte de Bruxelles


- Ci-contre : Magritte: L’empire des lumières (1954)


Pour ceux qui croient que peinture figurative et réalisme vont de paire, l’œuvre de Magritte ne peut qu’être salutaire. Si la peinture devait reproduire ce que la réalité nous présente, elle n’aurait réellement aucun intérêt.

Contre cette croyance, Magritte et son fameux secret. La peinture a pour rôle de faire éclater, de rendre évident le secret des choses. Non pas pour le dissiper. Mais bien au contraire pour nous faire prendre conscience de son existence.

Mais souvent, comme ici, ce secret qui recèle la poésie du monde résulte de la juxtaposition de ce qui ne se voit que séparément. Ainsi de la maison plongée dans la nuit sous le ciel de midi.

- De quel secret s’agit-il ? Si on pouvait le dire ce ne serait plus un secret. Et d’ailleurs Magritte refuse obstinément de commenter ses propres toiles (1).

Le philosophe (2) prendra le risque de dire que le secret, c’est la réalité elle-même débarrassée de son vêtement utilitaire. L’artiste est celui qui dira que la porte jaune n’a pas la même taille selon la manière dont elle est éclairée, qu’il voit le dessus de la table vertical sans que la bouteille posée dessus ne tombe ; et que son imagination lui permet de coller ainsi la maison nocturne sous le ciel bleu.

Platon méprisait la peinture la considérant comme le reflet d’une apparence. Le peu de réalité conservé par l’apparence disparaît dans sa représentation. C’est ce que la modernité refuse : il y a dans l’apparence une réalité supérieure qui se donne à voir pour qui sait voir. C’est ce qu’on a appelé la surréalité.


(1) Notez que c’est le propre de la plupart des artistes, qui à l’encontre des romanciers, refusent d’expliquer leurs œuvres, laissant les critiques prendre ce risque.

(2) Nous pensons à Bergson.

Wednesday, July 15, 2009

Citation du 16 juillet 2009

Si tu pleures de joie, ne sèche pas tes larmes : tu les voles à la douleur.

Paul-Jean Toulet – Les trois impostures

Pourquoi pleure-t-on de joie ?

Des émotions aussi opposées que la joie et la douleur s’expriment par des larmes :

- s’agit-il d’une simple particularité physiologique, qui entraînerait mécaniquement la sécrétion de larmes dans certaines conditions ? Moyennant quoi elles n’auraient pas de signification particulière.

- Ou bien y a-t-il une parenté secrète entre elles ? La joie serait-elle une douleur qui a bifurqué vers autre chose ? Une douleur dénaturée ?

- Notre auteur opte semble-t-il pour une troisième solution : les larmes sont l’expression d’un paroxysme de souffrance, mais comme nous n’avons pas dans notre lexique des émotions l’équivalent pour un paroxysme de joie, alors on pleure de joie… On pleure de joie par défaut, parce que nous ne savons pas quoi faire d’autre…

Les larmes ont en outre c’est certain un caractère historique et culturel :

- Il y a des civilisations où on pleure abondamment et bien bruyamment lors des deuils ; l’antiquité a même eu des pleureuses quasi professionnelles ;

- Quant au 18ème siècle, il est celui où on versait des torrents de larmes : Rousseau raconte qu’il pleurait en lisant à Thérèse les pages de la Nouvelle Héloïse qu’il avait écrites dans la journée.

--> Mais aujourd’hui les larmes sont perçues plutôt sur le versant psychologique : elle sont l’expression – mieux même : l’occasion – d’une décompensation des émotions. Un peu comme la catharsis d’Aristote, elle permettent d’évacuer la tension émotionnelle, elles sont ce que la cellule de soutien psychologique vise à obtenir en faisant parler les victimes après l’accident.

Et donc : si une dame pique devant vous une grande crise émotionnelle, qu’elle casse le vase de fleurs, qu’elle vous griffe ou vous insulte, n’hésitez pas : giflez là. Si elle pleure, alors vous pourrez vous dire que vous lui avez fait du bien.

Et encore : si nous ne pleurions pas dans les plus grandes joies, c’est alors que nous souffririons.

Soit… N’empêche que ça a quand même moins d’allure que de dire que les larmes de joies sont dérobées à la douleur.

Tuesday, July 14, 2009

Citation du 15 juillet 2009

La douceur mesmes des halaines plus pures n'a rien de plus excellent que d'estre sans aucune odeur qui nous offense, comme sont celles des enfans bien sains. Voylà pourquoy, dict Plaute, Mulier tum benè olet, ubi nihil olet : la plus parfaicte senteur d'une femme c'est ne sentir à rien (trad. de Montaigne), comme on dict que la meilleure odeur de ses actions c'est qu'elles soyent insensibles et sourdes.

Et les bonnes senteurs estrangieres, on a raison de les tenir pour suspectes à ceux qui s'en servent, et d'estimer qu'elles soyent employées pour couvrir quelque defaut naturel de ce costé-là. D'où naissent ces rencontres (bons mots) des Poëtes anciens, c'est puïr (puer), que sentir bon.

Montaigne – Essais, Livre I, chapitre 55 (Des senteurs)

C’est puïr que sentir bon…Allez, un petit tour du côté de Montaigne, notre parfumeur en chef…

Je plaisante, bien sûr, car si quelqu’un est hostile au parfum, c’est bien lui. Encore qu’il ne le soit pas pour ce qui est des odeurs, comme on l’a constaté avec son immortelle apologie des moustaches.

En espérant ne pas nous répéter, nous reviendrons aujourd’hui sur cette méfiance à l’égard du parfum. Montaigne fait comme si le parfum servait essentiellement à masquer certaines mauvaises odeurs corporelles ; et sans doute avait-il de la chose une expérience que nous n’avons plus (1).

En réalité, cette méfiance à l’égard du parfum tient surtout au pouvoir de séduction qu’il exerce sur les hommes. Et plus encore : parlons du pouvoir tout court exercé par les odeurs dans leur ensemble sur l’être humain en général. On pourrait détailler, évoquer l’attrait des senteurs culinaires, que savent répandre les fabricants de viennoiseries comme les rôtisseurs de poulet. Mais le plus simple est de lire le roman de Patrick Süskind, Le parfum (2), dont un film a été récemment tiré.

Le plus extraordinaire dans cette histoire n’est pas tant celle de ce meurtrier doué d’un odorat de chien de chasse. L’épisode le plus saisissant intervient à la fin, lorsqu’il domine une foule hostile par l’odeur dont il s’est imprégné.

Les biologistes ont insisté sur le rôle joué dans le monde animal par les phéromones. Ils nous apprennent que chez l’homme, il y a production de phéromones, mais pas les capteurs ad hoc. Façon de dire que les phéromones n’ont pas d’odeurs du moins que ce n’est pas par là qu’elles agissent.

Ça veut dire :

1° qu’on n’est pas des bêtes ;

2° que les odeurs ont sur nous une action spirituelle et non simplement physiologique.


(1) Je me suis laissé dire que l’usage de l’éventail chez les belles dames de la cour avait pour objet non pas de les rafraîchir, mais de dissiper les odeurs nauséabondes répandues dans le voisinage par certains individus.

(2) Wikipedia lui a consacré un article.

Monday, July 13, 2009

Citation du 14 juillet 2009

Dans bien des cas, la patrie aura été défendue par des «sans-patrie», et abandonnée par des «patriotes»

Mauriac – Bâillon dénoué. (1945)

Autrefois, la Patrie qu’on célèbre en ce 14 juillet était ce sans quoi on ne pouvait réellement vivre. La terre où étaient ensevelis les ancêtres était en même temps le terreau des nouvelles générations. On ne pouvait l’emporter à la semelle de ses souliers, et les apatrides étaient des hommes sans droit, presque sans existence. Au point que la Charte des Nations Unies a cru nécessaire de garantir le droit imprescriptible pour chacun d’avoir une nationalité.

Or, comme le rappelle Mauriac, pendant l’occupation les vrais patriotes, ceux qui ont défendu au péril de leur vie l’intégrité du territoire national, ont été aussi les apatrides, des gens chassés de leur pays, expatriés de force et déchus de leurs droits. Des gens qui avaient choisi la France comme pays des libertés contre l’oppression, d’où qu’elle vienne.

Si on me permet la licence de glisser de la patrie à la nation, alors on me permettra aussi de rappeler la conférence de Renan Qu’est-ce qu’une nation ? où il affirme que c’est l’adhésion à une communauté qui la constitue : L'existence d'une nation est (…) un plébiscite de tous les jours… (Lire la suite ici)

L’existence des sans papiers rappelle aujourd’hui celle des apatrides d’hier, même si bien entendu, il y a des nuances à apporter. Mais la problématique reste la même:

- D’abord il faudrait rappeler que notre civilisation s’est construite sur une idée du droit qui est universelle et qui donc ne suppose pas des conditions de race, de religion, de naissance pour exister. Ce qui ne paraît pas si évident vu des dunes de Calais.

- En suite que, si nous suivons Renan, nous devrions dire que nous sommes tous des sans papiers, c'est-à-dire que chacun de nous doit les mériter, en adhérant activement aux valeurs de la République.

--> Pour faire court : quand on a dit qu’il faudrait passer un examen de français (pourquoi pas une dictée ?) pour avoir un permis de séjours, alors, là, je me suis dit qu’il faudrait poser la même condition à tous les français.

Ça va nous faire de la place…

Sunday, July 12, 2009

Citation du 13 juillet 2009

L'amour s'en va comme cette eau courante / L'amour s'en va / Comme la vie est lente / Et comme l'Espérance est violente

Vienne la nuit sonne l'heure / Les jours s'en vont je demeure

Guillaume Apollinaire Le Pont Mirabeau (Extrait de Alccols)

Voyez comme vont les choses quand on se lance dans l’étude un poème comme celui-ci.

--> Moi, je m’étais dit : voilà l’occasion d’évoquer la relativité du temps. Non pas celle de Einstein, mais celle de son écoulement : qui donc passe ? Lui, ou nous ?

Et en effet, ici, vous avez

- le temps mobile (celui de l’amour qui fuit),

- et vous avez le temps immobile, celui du sujet qui ne parvient pas à rejoindre l’avenir que trace son Espérance…

- Quand au passé, il est simplement du présent – mon présent – figé, englué dans l’immobilité d’une vie sans espoir.

Et donc me dis-je, avec Ronsard on avait rencontré le sujet (1) ; sauf qu’ici nous sommes à l’exact opposé : pour Ronsard, le temps est fixe et nous nous en allons ; pour Apollinaire, le temps fuit et nous restons.

Belle symétrie, bien vu. Et encore un Post de ficelé, un.

--> Et puis voilà que je veux écouter le poème, dit par Apollinaire himself : c’est pratiquement insupportable, malgré tout le respect qu’on porte à l’auteur.

J’essaye donc autre chose : les chanteurs qui ont transformé le poème en chanson.

Et alors stupéfaction : il y a en une kyrielle qui se sont emparés de ce poème : Ferré, Lavoine et bien d’autres que je ne connais même pas.

Et là on se demande non pas s’il faut ou non braver l’interdit de Hugo (2), mais qu’est-ce qui fait que tous ces chanteurs se sont dit un jour : Tiens et si je mettais en musique le Pont Mirabeau…

Plus encore : la musique d’un poème, c’est le poème lui-même qui la produit. Mais alors, comment se fait-il que des hommes différents interprètent cette musique différemment ? De la valse de Léo Ferré à la musique rock, quel rapport ?

Quel pont emprunter pour passer du poème à la musique?


(1) Le temps s'en va, le temps s'en va Madame / Las ! le temps non, mais nous nous en allons… – Voir Post du 27 avril 2006 (Plus de 3 ans déjà… Comme le temps passe…)

(2) « Défense de déposer de la musique le long de mes vers » aurait-il dit.

Saturday, July 11, 2009

Citation du 12 juillet 2009

Beaucoup d'hommes se défont, peu d'hommes meurent.

Marguerite Yourcenar – Feux

Mes chers lecteurs, La citation du jour vous apporte un peu d’optimisme aujourd’hui : peut-être ne mourrez-vous pas !

Oh, certes, il vous arrivera sans doute de disparaître un jour et vos proches vous pleureront en parlant du « Cher disparu »…

Mais ce qu’ils oublieront c’est que ce n’est pas vous, vous l’être conscient, l’être qui s’est construit au cours de toute l’existence, vous que leur souvenir gardera à tout jamais, qui est mort : parce que cet être là s’est défait progressivement, qu’il s’est effiloché, détricoté, maille après maille au cours du temps.

Alors certes, comme le dit Marguerite Yourcenar, ce n’est pas le cas de tout le monde : c’est même trop évident pour qu’on soit obligé de le détailler.

Mais avec les progrès de la médecine, qui prolongent la vie au-delà des pathologies mortifères qui l’emportaient autrefois, voilà que certains en arrivent à disparaître avant que d’être morts. On pense bien sûr à la maladie d’Alzheimer : que reste-t-il de la personne – au sens moral – quand vient l’heure de son trépas ? Quand vous ne reconnaissez plus ni vos enfants ni votre époux(-se), quand l’instant qui vient de s’écouler est parti sans laisser de trace, quand juste sorti dans la rue vous avez oublié votre adresse, qui donc êtes vous ? Votre âme immortelle, celle qui est la source de vos sentiments de vos actes, de vos vertus comme de vos vices – bref : celle qui a fait de vous un être unique – où est-elle passée ?

Quand la mort viendra sonner à votre porte, que restera-t-il à perdre ?

Alors voilà : pour moi, ça, c’est plutôt réconfortant. Comme je l’avais dit il y a déjà longtemps, je veux mourir usé jusqu’à la corde pour ne rien regretter.

Comme le chantait notre – regretté – Daniel Balavoine.