Thursday, August 31, 2017

Citation du 1er septembre 2017

Laissez moi reposer jusqu'à ce que vienne le jour désiré
(Dimitte me paululum ut quiescam donec optata veniat dies)
Sur une pierre tombale – Cathédrale saint Pierre de Troyes




Voilà une mort qui ressemble à une hibernation… Quel sort désirable !
Oui, dormir jusqu’à ce que vienne le printemps charmeur, ou bien le bel amoureux, ou encore la résurrection des justes : n’est-ce pas cela que nous souhaitons ?
Voilà ce que doivent se dire bon nombre de ceux (1) qui reprennent le travail ce matin et qui souhaiteraient peut-être pouvoir dormir jusqu’aux prochaines vacances.
Quoique… J’ai écrit « bon nombre d’entre nous » - or, les retraités comme moi doivent s’exclure du nombre des candidats à l’hibernation. Car notre vie ressemble plutôt à celle des heureux vacanciers qui se demandent le matin à quoi ils vont passer leur journée, étant entendu que nulle obligation ne leur incombe et que le champ des loisirs qui s’offre à eux est indéfini.
Laissez moi reposer jusqu'à ce que vienne le jour désiré… Oui, car comment abolir le temps, sinon par le sommeil ? Supposons qu’on n’ait pas d’occupation impérative, l’ennui nous gagne et le temps s’étire alors indéfiniment, faisant espérer que le sommeil abolisse notre conscience malheureuse.


Cette conception de la vie offre une belle illustration de ce que serait l’« épanouissement », à l’opposé de ce que Marx appelle « aliénation » : car dit-il, l’homme aliéné par son travail est dépossédé de lui-même : tantôt il travaille, tantôt il vit. Que ne peut-il dormir comme un somnambule qui dormirait en même temps qu’il travaille ?
Éh oui ! Nous voilà un peu comme l’insomniaque qui se réveille fatigué de sa nuit si fragile et qui dit : « Vivement l’heure de la sieste ! ». Ou bien comme ces gens pour qui le bonheur est d’être au lit plongé dans un sommeil semi-hypnotique.
Maintenant, n’oublions pas que cette citation s’applique à une morte en attente de la résurrection du Jugement dernier. Ce sommeil serait donc surnaturel, un peu comme la dormition de la vierge Marie.
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(1) Je pense aux enseignants dont c’est la pré-rentrée ce matin.

Citation du 31 aout 2017

Clarté du français.
Qui sait si cette clarté n'est point due à la diversité des races en présence sur notre sol. Une population mêlée formerait pour s'entendre un langage moyen. Inverse de Babel. Chez nous Latins et Germains et Celtes.
Paul Valéry – Cahiers (Langage)
Le globish (mot-valise combinant global, « planétaire », et English, « anglais ») est une version simplifiée de l'anglais n'utilisant que les mots et les expressions les plus communs de cette langue. C'est le jargon utilisé par des locuteurs de diverses autres langues quand ils veulent communiquer en anglais.
Art. Wiki.
« Parfois appelée aussi broken English (« anglais hésitant », « mauvais anglais ») ou « anglais d'aéroport », cette langue n'a rien de formalisé, elle se construit spontanément par la pratique. Il est donc difficile de déterminer si tel ou tel exemple d'anglais est du globish ou non. », poursuit Wiki, signalant au passage que cette forme d’anglais n’est surtout pas à recommander, qu’il s’agit d’un anglais « hésitant » voire même  « mauvais ». Même en admettant que le globish soit parfois considéré comme un anglais certes basique, mais suffisant pour soutenir la communication entre hommes de toute nationalité, il n’en reste pas moins qu’on a là une tout autre vision que celle proposée par Valéry.

En effet, suivant Valéry il faudrait se féliciter d’un usage spontané et créolisant de la langue française, comme si une épure de la langue devait en résulter, les différents usages rabotant les ornements baroques dus aux raffinements de la cour de Louis XIV. Un peu comme lorsque des étrangers apprenant difficilement notre langue nous interpellent sur des irrégularités de l’orthographe ou de la grammaire, et qui nous demandent pourquoi donc conservons-nous ces particularités ? Pourquoi disons-nous que « nos genoux sont mous » et non que nos « genous sont mous » ? Après tout n’ont-ils pas eux aussi le droit à la parole en tant qu’usagers de la langue ? Et qu’est-ce donc qu’une langue sinon ce qu’en font ceux qui la parlent ? N’y a-t-il pas un peu de ridicule à légiférer dans le langage ? Je sais bien que le 17ème siècle a connu d’un coté les précieux et leur langage orné et de l’autre l’Académie française qui se chargeait de dire quel était le bon usage (sous-entendu : celui de la Cour) ; mais notre époque qui voit triompher le libéralisme devrait aussi déréguler la langue.

(Sur le parler urbain, voir ici)

Tuesday, August 29, 2017

Citation du 30 aout 2017

Dès que nous nous blâmons, il nous semble que personne n'a plus le droit de le faire.
Oscar Wilde – Le Portrait de Dorian Gray

On se rappelle la « tirade du nez » où Cyrano de Bergerac décrit avec minutie et facétie les défauts de son gigantesque nez, tout en affirmant que personne n’aurait pu dire le quart de cela avant qu’il lui ait passé son épée au travers du corps. De même on sait que les blagues juives ne sont tolérables que lorsqu’elles sont dites par les juifs eux-mêmes. A chaque fois on a l’impression que seul celui qui se critique a le droit de le faire, les autres n’ayant plus que le droit de se taire : quelle valeur faut-il accorder à l'autocritique destituerait-elle quiconque du droit de critiquer ?
Et d’abord, devons-nous admettre l’autocritique comme un preuve quelconque d’authenticité ? Dans notre droit, les aveux ne constituent pas une preuve de culpabilité, et l’autocritique qui a été largement pratiquée par les régimes totalitaires (staliniens en particulier) n’était qu’une extension et une banalisation des procès où l’accusé devait réciter fort scrupuleusement les forfaits dont on l’accusait, manière d’endosser leur responsabilité. Ce que veut le dictateur ce n’est pas seulement que l’homme qu’il veut perdre avoue des crimes sous la torture : il veut en plus que ce malheureux critique ces actes comme s’ils étaient les siens – quand bien même ils ne seraient que des mensonges.
C’est alors qu’on pense à 1984, le livre de Georges Orwell, dont le héros-dictateur « Big Brother » veut un pouvoir absolu sur les sujets qui lui sont soumis. Pour cela il a une arme terrible : les « télécrans » qui lui permettent de voir à l’intérieur des murs des maisons, effaçant d’un seul coup la vie privée. Mais n’oublions pas l’essentiel : le but du tyran est d’être aimé de ces hommes qu’il tyrannise. Et du coup qu’il n’ait  même pas besoin de dénoncer leurs forfaits, puisque cet amour devrait suffire à le leur faire confesser – oui, confesser comme le fidèle à genoux devant Dieu-le-Père demande son pardon dans l’intimité du confessionnal.
Aujourd’hui encore on n’imagine pas qu’une telle chose soit possible. Et pourtant le « Cher-leader » de Corée du Nord prouve largement le contraire.



Le peuple Nord-coréen en larmes à la mort de Kim-Jong-Il, le cher-leader.

Citation du 29 aout 2017

L'endroit le plus érotique d'un corps n'est-il pas là où le vêtement bâille ?... Celui de la peau qui scintille entre deux pièces ( le pantalon et le tricot), entre deux bords ( la chemise entrouverte, le gant et la manche) ; c'est ce scintillement même qui séduit, ou encore : la mise en scène d'une apparition-disparition.
Roland Barthes – Le plaisir du texte
(Cité le 2 avril 2006)



Mireille Darc –
Cette citation de Barthes a été souvent évoquée ici même depuis 2006. Ces réemplois tiennent à la justesse du propos et à la difficulté de le remplacer par d’autres citations.
De surcroit, alors que la mort de Mireille Darc émeut le public, la presse nous propose presque systématiquement la séquence de la robe noire dénudant le dos jusqu’à la raie des fesses portée par l’actrice dans Le Grand blond avec une chaussure noire – encore faut-il la montrer correctement c’est à dire avec le personnage joué par Pierre Richard qui mate (avec ahurissement) cette « chute de reins ».
Oui, si on revient sur cette image de Mireille Darc, c’est bien parce que le vêtement baille sacrément, et pas simplement entre deux pièces. C’est d’ailleurs la limite du sujet : du bâillement, point trop n’en faut ! On a voulu faire avec les fesses ce qu’on fait avec les seins, c’est à dire montrer leur sillon : c’est peut-être abusif, mais on ne va pas chicaner : si tout le monde se précipite sur ce sujet, y compris Raphaël Enthoven (dans son émission que je n’ai malheureusement pas eu l’occasion d’écouter), c’est bien parce qu’il y a quelque chose à en dire.
Maintenant est-ce que cette image que sans doute beaucoup ont gardée en mémoire est une bonne image de la femme que fut Mireille Darc ?

Un exemple : que Brigitte Bardot vienne à mourir – ce qu’on espère pour le plus tard possible – son image sera sans doute assez variée, mais toujours autour de la séduction comme avec ce mambo dansé sur la table du cabaret (voir ici). Maintenant voilà Mireille Darc avec son dos dénudé : c’est le personnage provocateur et audacieux qui la caractérise dans l’esprit du public.

Monday, August 28, 2017

Citation du 28 aout 2017

Le flirt, c'est l'aquarelle de l'amour.
Paul Bourget – Physiologie de l'amour moderne -
Enigmatique citation qu’on comprendra mieux en lisant le texte complet (1). Selon Paul Bourget le flirt serait une façon d’aimer « sans tempérament » je dirais presque sans hormones, qui laisse échapper tout ce qui dans l’amour est significatif et définitif. Le flirt serait quelque chose qui, comme l’aquarelle, peut se détremper, se diluer, voire même s’effacer
On laissera de côté la critique non voilée des aquarellistes pour ne s’en tenir qu’à cette description du flirt, en cette période de retour de vacances où nombre de flirts sont entrain justement de sombrer dans l’oubli. Toutefois, la question est de savoir s’il est opportun de parler encore de nos jours de « flirts » à propos des émois sensuels vécus par les jeunes gens et des gestes qui les ont accompagnés. Combien de jeunes filles et de jeunes gens y ont perdu leur virginité ? Et pourtant tout cela n’est que passade, comme si ces premières (ou presque premières) fois n’avaient aucune importance ?
--> Oui, que signifie exactement le mot « flirt » : peut-il encore être utilisé malgré tout ? Quelles sont les limites dans les privautés des caresses et des attouchements à ne pas franchir quand on ne fait que flirter ?
Ouvrons le dictionnaire :
« FLIRT, subst. masc.
A.− Relations affectives entre personnes de sexe opposé, dénuées de sentiment profond et pouvant servir, mais pas nécessairement, de prélude à l'amour ou aux relations sexuelles. Avoir un flirt; être en flirt avec qqn. Faire la cour sans but précis. » (CNTRL)
On comprend que ces difficultés à définir le flirt sont précisément ce qui en fait l’essence. Le flirt n’a pas de limites précises, pas de sentiments propres – et pire encore – pas de but. On flirte parce que c’est la saison, parce qu’on en a l’opportunité, si on en est empêché tant pis ; si celle (ou celui) qui est visé est indisponible, hé bien ! allons ailleurs. De même que l’abeille « flirte » avec la fleur, pénétrant sa corolle profondément pour en recueillir le nectar et puis hop ! la voilà partie recommencer ailleurs, de même le flirt ne dure pas plus que la soirée, et on peut aller plus loin pour flirter avec quelqu’un d’autre.
Seulement voilà aujourd’hui que les vacances se terminent que les flirteurs se séparent, il y a parfois des déchirements qui montrent que les sentiments s’étaient développés un peu plus que prévu. Certaines abeilles sont prises au piège de corolles vénéneuses qui les engluent et les retiennent – à tout jamais !
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(1) Citation complète : « Femme qui flirte, homme qui s'y complaît, signe de peu de tempérament, comme le goût de l'aquarelle chez un peintre. Je réserve cette préciosité pour une feuille d'album : Le flirt, c'est l'aquarelle de l'amour. » - Paul Bourget