Monday, June 30, 2008

Citation du 1er juillet 2008


Je crois en l’éternel féminin.

Miss.Tic – Exposition à la Galerie Fanny Guillon-Laffaille (1)

- Oui, je vois l’heure ; il est l’Éternité !

Baudelaire – L’horloge (Poème en prose)

« Il est l’Éternité » Baudelaire conclut ainsi un poème en prose où il prétend possible de lire l’heure dans la prunelle de sa « belle Féline », comme les chinois lisent l’heure dans l’œil des chats.

Qu’est-ce que cet Eternel qui est si féminin ?

- Au sens le plus courant l’éternel féminin, quelque soit la façon dont on le juge, signifie que toutes les femmes partagent la même essence, qu’elles sont toutes des filles d’Eve. De toute éternité elles ont donc le même comportement, la même attitude face à la vie, elles accordent la même importance aux passions, etc.

Et certes, voilà de quoi satisfaire les plus exigeantes d’entre elles, qui se méfient du féminisme à la Beauvoir (cf. Post du 23 janvier 2008) : oui, il y a une nature féminine, oui il peut y avoir une communauté des femmes ; oui c’est à elle de juger ce qui en fait partie et ce qui n’en fait pas partie.

- Permettez que je propose une interprétation un peu plus ambitieuse de cet éternité : celle de Baudelaire.

Que voit-on dans la prunelle de la femme aimée ?

Déjà, on peut dire qu’on y voit exactement la même chose que dans toute prunelle : on voit l’âme. Oui, la prunelle est la porte de l’âme, ce par quoi on sait ce que pense l’autre, ce qu’il ressent. Ne dit-on pas « Les yeux dans les yeux, dites-moi que vous ne mentez pas » ? – et pour soutenir le regard inquisiteur il faut ne rien avoir à cacher.

Si Baudelaire affirme que dans la prunelle de la femme aimée on voit l’Eternité, c’est que pour lui cette femme est Dieu. Car c’est à Dieu seul qu’il appartient d’être éternel.

L’Eternel est féminin parce que la femme est déesse. A condition d’être aimée.

(1) Courez vite voir cette expo, 4 avenue de Massine Paris – 8ème. Vous y découvrirez les pochoirs de Miss.Tic réalisés sur des tôles rouillées et rivetées, qui ajoutent leur chaleur et leur grain à ses œuvres. Ces tôles étant des réutilisation de fragments de démolition, je peux vous dire qu’on sait enfin ce qu’est devenu le porte avion Clemenceau : Miss.Tic l’a racheté.

Sunday, June 29, 2008

Citation du 30 juin 2008

L'homme est infiniment grand par rapport à l'infiniment petit et infiniment petit par rapport à l'infiniment grand ; ce qui le réduit presque à zéro.

Vladimir Jankélévitch

On suppose en lisant cette citation – que comme vous je découvre privée de son contexte – que Jankélévitch commente ici le passage des Pensées où Pascal parle des deux infinis (1).

Ce n’est pourtant pas le commentaire de ce passage si connu qui va me retenir, mais plutôt ce « presque zéro » que Jankélévitch, ce penseur de « presque rien », utilise pour qualifier l’homme.

Alors que pour Pascal, le zéro qui nous caractérise est celui de l’éloignement où nous sommes de l’infiniment grand et de l’infiniment petit, et qu’il nous rend incapable de la moindre connaissance objective – même un ciron ferait mieux – pour Jankélévitch ce « presque » zéro est la « marque de fabrique » de l’homme.

L’homme est un être incertain : capable d’héroïsme ou d’abnégation, mais aussi des pires horreurs, sa caractéristique est d’être à la fois au dessus et au-dessous de l’humanité (Merleau-Ponty) ; il peut basculer dans l’un ou dans l’autre de ces domaines. Mais jamais il ne sera vraiment et exclusivement ou l’un ou l’autre.

Une dernière remarque : on voit que l’homme n’étant ni ange, ni bête (encore Pascal) aucun absolu ne lui est accessible, celui du mal absolu pas plus que celui du souverain bien. C’est peut-être ça l’idée à la quelle on résisterait le plus volontiers : que la sainteté ne soit pas à notre portée, passe encore ; mais que l’horreur du bourreau qui déshonore l’humanité de sa présence ne soit encore qu’un petit rien du tout par rapport à l’infini du mal, comment l’accepter sans frémir ?

Frémissez tant que vous voudrez, mais si Jankélévitch et Pascal ont raison, l’homme – vous, moi – est ce presque zéro, cet ε qui oscille en permanence un cran au-dessus, un cran au-dessous de l'animal.

(1) Qu'est-ce qu'un homme, dans l'infini ? A lire ici

Saturday, June 28, 2008

Citation du 29 juin 2008

On n'est jamais mieux déçu que par soi-même.

Jean-Marie Poupart - C'est pas donné à tout le monde d'avoir une belle mort

Trop évidente pour être commentée, cette citation ?

Croyez-vous ?

Demandez autour de vous, vous verrez qu’il existe des gens assez contents d’eux mêmes et qui se trouvent toujours assez d’excuses pour expliquer par la malchance ou la malveillance leurs échecs ou leurs lâchetés. C’est ce qu’on appelle usuellement la mauvaise foi.

Donc, notre auteur (1) pense que la mauvaise foi, ce que Sartre appelait « le mensonge à soi même » ne saurait exister, sans doute parce qu’on ne pourrait être en même temps le menteur et la victime du mensonge.

Plutôt que d’entrer dans ce débat je voudrais dire qu’on est en plus confronté au problème à l’évaluation de soi-même : certains ne se croient-ils pas toujours capables d’être au-dessus des résultats qu’ils vont obtenir ? Lorsqu’on croit avoir réussi, c’est là que l’échec est bien décevant.

Alors il y a une expérience psychologique bien simple qui s’appelle « l’évaluation du niveau d’aspiration ». Il s’agit de demander à un sujet de tester son habileté – par exemple au lancer de pièce de monnaie sur une ligne tracée sur le sol (vous pouvez faire la même chose avec la pétanque). On demande au joueur d’évaluer le nombre de lancer qu’il compte réussir. On constate alors que cette évaluation va suivre, de tentative en tentative, les résultats : celui qui échoue va baisser son niveau d’aspiration ; celui qui réussit mieux que prévu va l’augmenter. Voilà, certes une grosse banalité. Sauf à dire que ce qui motive les changements d’aspiration à la baisse, ce n’est pas seulement le résultat objectif, c’est aussi la peur d’être déçu par soi-même.

Car, et c’est là aussi un aspect évident de notre citation, c’est que si on n'est jamais mieux déçu que par soi-même, c’est parce que là est la vraie déception, celle qui contient la fameuse blessure narcissique. Après tout on peut être absolument minable dans un domaine donné et ne pas en être déçu, ni en souffrir. Si nous craignons l’échec, c’est que nous avons un investissement narcissique dans le domaine concerné, et c’est celle-là qui est source de souffrance et donc de peur.

Mais ça peut être – en cas de succès – une source de jouissance et donc d’espérance.

Encore une banalité ? Que voulez-vous, c’est le sujet qui veut ça…

(1) Dont j’avoue n’avoir rien lu d’autre que cette citation fournie par un moteur de recherche avec la mention « écrivain canadien contemporain ». Si vous ne savez plus, dites-le moi.

Friday, June 27, 2008

Citation du 28 juin 2008

La pauvreté dans la jeunesse…a cela de magnifique qu’elle tourne toute la volonté vers l’effort et toute l’âme vers l’aspiration.

V. Hugo – Les misérables (III,V,III)

- Tiens ! Pierrot ! Comment vas-tu ? Ça fait vraiment longtemps que tu n’es pas venu me voir.

- Je sais grand-père, mais j’étais en stage pour mon CAP de boulangerie.
- Alors, ça a marché ?

- Oui, grand père,et j’ai trouvé une embauche pour septembre.

- Formidable ! Tu vas pouvoir te mettre en ménage avec Lily comme ça.

- Plaisante pas, Grand-père, tu sais ce que ça gagne un ouvrier boulanger ? Hein ? Dis un peu pour voir ? En plus je ne serai même pas à plein temps.

- Je ne sais pas moi… De toute façon, tu n’auras qu’à travailler plus et tu gagneras plus.

- Mais je te l’ai dit Grand-père, arrête de plaisanter. On n’aura même pas un Smic pour deux, plus un loyer à payer, plus les charges, plus les transports pour que Lily aille au lycée, à peine de quoi vivre. Imagine un peu qu’on ait un enfant en plus.

- Moi de mon temps, on ne se posait pas tant de question. On prenait ce qu’on nous donnait et ça allait bien comme ça.

- C’est justement pour ça que je suis venu te voir. Grand-père, comment on faisait de ton temps quand on était pauvre ?

- Ben on n’achetait presque rien, voilà. S’il le fallait, on faisait des kilomètres à pied pour trouver où acheter moins cher ; on fabriquait ce qu’on n’avait pas : ta grand-mère, elle faisait les vêtements des enfants, elle tricotait les chaussettes… Elle sait tricoter ta Lily ?

- …

- Et puis tiens, je me rappelle : quand ton père est né on acheté notre 1ère voiture. C’était une 4L. Elle est vite devenue trop petite,

- Alors tu l’as changée ?

- Mais pas du tout ! On a acheté une remorque et c’est tout.

- Bof…

- Mais tu sais Pierrot, la pauvreté, ça a été pour nous une bonne école. Ensuite, on n’a jamais songé à se plaindre, ni à demander des aides, des allocations, rien.

Grâce à la pauvreté on a appris le goût de l’effort, ce qui nous a permis d’être libres et autonomes.

- Merci pour la leçon, Grand-père. Je m’aperçois que papa, avec sa paye de technicien de surface était encore trop riche pour me permettre d’espérer un bel avenir.

Thursday, June 26, 2008

Citation du 27 juin 2008

Quand on s'abandonne, on ne souffre pas. Quand on s'abandonne même à la tristesse, on ne souffre plus.
Antoine de Saint-Exupéry
Courage fuyons ! On connaît cette boutade par la quelle on résume les thèses de Henri Laborit (1). On voit que cette intuition remonte à loin dans notre culture, à Saint-Exupéry, et même bien au-delà, et que les images pour l’illustrer sont légion. A commencer par celle du voilier qui fuit le gros temps, ou qui, surpris par lui, affale les voiles et se laisse dériver.
Les stoïciens soutenaient un peu la même idée, puisque nous ne devons pas lutter contre ce qui relève de la nature ; eux ils ont simplement ajouté qu’en plus on devait aimer ce qui nous arrive…
Bon, je ne vais pas épiloguer là-dessus. Par contre, ce qui surgit c’est l’objection : ne risquons-nous pas de devenir des légumes à regarder passer la vie sans bouger de peur de souffrir ?
Ou cette autre : ce qu’on abandonne pour éviter la souffrance, c’est ce qui est différent du milieu extérieur, c’est donc notre originalité, c’est notre individualité, comme le veulent les hindouistes pour qui l’individu – la personne - qui disparaît avec la mort ne méritait pas d’exister. Est-on prêt à jeter tout ça par-dessus bord ?
Ne vaudrait-il pas mieux souffrir, si pour l’éviter il faut rejeter tout ça ?
En tout cas, il y en a qui, pour ne pas souffrir, s’abrutissent d’alcool. Serge Gainsbourg, ivrogne avéré, disait : « Je ne peux pas être lucide 24 heures par jour. » Il soignait son pessimisme au scotch whisky. C’est plus toxique que le stoïcisme, mais à part ça…
(1) Quelques extraits de l’Eloge de la fuite, de Henri Laborit : ici et ici

Citation du 26 juin 2008

Dieu n'entre pas dans les détails ! Les détails, il les abandonne à la créature, pour que la demi-liberté de l'homme trouve à s'employer.
Vladimir Jankélévitch - La Mort
Jankélévitch, c’est l’homme qui disait qu’on ne posait jamais les bonnes questions concernant Dieu. Par exemple : « Quelle est la vitesse de Dieu en plein vol ? ».
Ici : « Dieu a-t-il créé les détails ? »
Toutefois, cette question, les théologiens et les philosophe médiévaux l’ont déjà posée à leur manière : « Quelle est l’efficace des causes secondes ? » Ce qui voulait dire : sachant que les hommes n’ont jamais le pouvoir de Dieu, quelle est la part de pouvoir qui leur reste, sachant qu’ils en ont nécessairement un peu, ne serait-ce que pour expliquer le péché.
Ce qui donne, réinterprété en langage jankélévitchien : « En quoi consistent les détails qui sont en notre pouvoir ? »
Là, je vous laisse libre de répondre comme vous l’entendrez. Je me contenterai de rappeler qu’au cours de l’histoire il y a un domaine qui a été attribué tantôt à l’homme, tantôt à Dieu, c’est le gouvernement de la société politique.
Parce que, ou bien vous direz comme Saint Thomas, que Dieu a voulu que les hommes se gouvernent eux-mêmes, et que la liberté humaine (l’efficace des causes secondes), éclairée il est vrai par la Révélation, doit y suffire.
Ou bien vous direz que l’humanité, tentée par le démon et portée vers le mal doit s’en remettre en permanence au gouvernement de Dieu. Mais comme Dieu n’est pas toujours là pour nous dire ce qu’il convient de faire, il faut suivre les prêtres qu’Il a désigné pour être l’interprète de Sa Sainte Volonté.
Donc faites bien attention à la façon dont vous allez répondre à la question : Dieu permet-il aux hommes de se gouverner eux-mêmes ?
Parce qu’il s’agit tout de même de savoir si c’est – ou non – un point de détail.

Monday, June 23, 2008

Citation du 25 juin 2008

L'art de diriger consiste à savoir abandonner la baguette pour ne pas gêner l'orchestre.

Herbert von Karajan

Quiconque est un peu anarchiste a dû se poser cette question : qu’est-ce qui se passerait si le chef d’orchestre devenu indisponible, celui-ci jouait sans chef, quitte à demander au premier violon de donner le signal du départ ?

Voilà la réponse de Karajan – réponse authentifiée par les nombreux enregistrements du Philharmonique de Berlin récemment diffusés à la télé : tous attestent que Karajan, s"il gardait sa baguette, il ne s'en servait pas pour conduire l'orchestre. Karajan dirigeait les yeux fermés.

Les yeux fermés, ça veut dire que le chef ne donne aucune directive précise en cours d’exécution, comme un geste pour retenir les timbales un peu sonores, ou pour exciter les violons un peu mous (1). Ça, quand ça existe, ça se voit, et le chef n’a sûrement pas les yeux fermés à ce moment là (voir le prédécesseur de Karajan : Furtwängler, dont on dit que les musiciens n’étaient jamais sûr de savoir comment il les dirigerait le soir du concert).

Alors, venons-en à la question qui vous brûle les lèvres, j’en suis sûr : comment fait-on pour diriger un orchestre ?

Selon Karajan, on peut dire à coup sûr que c’est avant le concert que le chef dirige son orchestre. Je veux dire : durant les répétitions, dont on dit qu’il en faisait un nombre se séances extraordinaire. L’orchestre devait accéder alors à une intimité totale avec l’œuvre, ou plutôt avec ce que le chef voulait faire de l’œuvre ; chaque instrumentiste ne pense même plus à ce qu’il doit faire : il le fait comme par instinct. C’est là que la baguette du chef risquerait de gêner l’orchestre.

Deuxième question toute aussi brûlante : que fait alors le chef devant son orchestre la baguette à la main, durant le concert ?

A mon avis, le chef qu’est Karajan mime la musique. Il est cet instrumentiste, dont le corps est l’instrument, qui restitue par ses attitudes, par ses mimiques, l’œuvre telle qu’il la ressent, telle qu’il la produit en même temps que l’orchestre. (2)

Je ne crois donc pas tout à fait à la thèse de Bergson selon la quelle si le chef d’orchestre, au cours du concert, mime effectivement la musique, il reste néanmoins extérieur à sa production. Je croirais plutôt une co-production : l’orchestre induit l’émotion vécue par le chef ; la vue du chef dans son émotion garantissant aux instrumentistes qu’ils ont bien sur la même « longueur d’onde » que lui.

(1) Les yeux fermés, ça veut dire aussi que le chef connaît par cœur la partition : mais ça c’est une autre histoire.

(2) Je suis persuadé que la plupart des chefs font place à ces deux fonctions : de donner au fur et à mesure non seulement le bon tempo, mais encore la juste exécution, et de vivre par ses attitudes la musique ainsi produite. D’ailleurs c’est aussi ce que fait le visage du pianiste, voire même son corps.

Citation du 24 juin 2008

N’importe quoi, sauf la vérité. Il n’y a que ça qui ne se vend pas.

Boris Vian

Ne jetez pas la pierre au vendeur soupçonné du coup d’être un fieffé charlatan qui vous trompe tant qu’il peut : si on mettait en vente la vérité, vous n’en voudriez pas.

Ecartons l’objection facile : si on achète ce dont on a besoin, la connaissance objective de l’objet acheté est indispensable. Car on n’achète jamais ce dont on a simplement besoin, ou plutôt cet acte d’achat est si inessentiel qu’il ne rencontre même pas notre conscience.

Supposez que vous teniez votre journal intime, au jour le jour. Vous marqueriez dedans : « Aujourd’hui, suis allé chez le boulanger acheter une baguette de pain. » ?

Non bien sûr. Vous pourriez écrie : « Aujourd’hui, j’ai trouvé une superbe revue sur les sports nautiques », ou bien : « Ai trouvé une paire de ballerines roses. Très choutes. »

Voilà donc l’idée simple : on n’achète jamais que ce qui fait plaisir, et la vérité ne fait pas plaisir. Au mieux elle satisfait un besoin ; on a besoin de vérité comme on a besoin de l’air qu’on respire. Alors, bien sûr, il peut se faire qu’on achète ce qui nous est nécessaire, et la connaissance qui peut aussi être nécessaire, peut aussi s’acheter.

Mais ça n’implique pas dans ce cas un vendeur. Le vendeur est là pour vous faire passer à l’acte d’achat ; il n’intervient que si vous n’êtes pas absolument déterminé à acheter. Il doit vous persuader que cet achat est bon, et pour cela il a deux possibilités : soit vous persuader que ce qu’il vous propose est loyal c'est-à-dire que votre besoin sera satisfait ; soit que votre bonheur ou votre plaisir est à ce prix.

Dans le premier cas, un comparatif d’achat ou un test de laboratoire ferait aussi bien – même mieux. Dans le second, c’est bien autre chose que la vérité qui est en cause, et là le talent du vendeur devra se déployer pour rencontrer votre désir secret.

« Désir secret » = celui qui nous fait croire qu’on peut acheter le bonheur.

Sunday, June 22, 2008

Citation du 23 juin 2008

Si nous créons quelque chose, c’est que le germe de cette chose n’était pas rigoureusement contenu dans l’instant antérieur.

J.P. Sartre – La responsabilité de l’écrivain (conférence à l’UNESCO, Paris, novembre 1946)

On a souvent de la création une idée fumeuse, principalement parce qu’on se focalise sur l’effort créateur, plutôt que sur son effet.

Et d’imaginer l’artiste en héros titanesque – Hugo ! - arc-bouté sur son œuvre, entrain de la faire jaillir du néant… Découragés par la distance qui nous éloigne d’un tel homme nous renonçons à imiter son effort.

- Sartre nous donne un critère simple : il y a création, dit-il, lorsqu’il y a production intentionnelle de ce qui ne s’est jamais produit, et qui ne n’aurait pu exister sans cette intention, autrement dit à chaque fois qu’il y a un acte libre.

C’est simple, oui, mais c’est un peu trop simple. L’acte le plus inessentiel peut donc être un acte créateur, dès lors qu’il serait fait pour la première fois ?

Alors ajoutons encore ceci : Sartre évoque le germe de cette chose qu’on appelle une création. Si ce germe n’est pas dans un enchaînement de causes et d’effets, alors il faut qu’il soit dans notre esprit, dans notre volonté, dans notre être, selon ce que vous voudrez dire ; il faut donc que cette chose nous exprime d’une façon ou d’une autre.

Non seulement la création c’est quelque chose qui n’existe que grâce à nous, mais surtout, en elle nous aimons à nous reconnaître.

– Reste à éviter le piège du narcissisme qui nous conduit à baptiser orgueilleusement « création » une production tout à fait quelconque.

Un exemple ? Les interminables séances photos de vacances que vous infligent vos amis. Là où il ne s’agit pas de vous faire partager le bonheur qu’ils ont vécu, ces gens-là espèrent vous faire reconnaître l’originalité de leurs images….

Car si la définition de Sartre a le mérite d’être claire, elle ne nous donne pas le moyen d’évaluer la création. Si toute création est originale, elle est comme un absolu : inclassable, incomparable, inévaluable. Comme l’infini

Quoique… Voyez l’infini : non seulement il y en a plusieurs, mais on peut encore les classer. Comme l’a montré Cantor, l’ensemble des entiers naturels a plus d’éléments que celui des nombres pairs, même si celui-ci est lui aussi un ensemble infini. On peut donc les classer.

Reste à trouver le modèle mathématique permettant de comparer les Fleurs du mal et Emaux et camées (1).

(1) Deux œuvres complètement différentes, puisque, malgré ce titre, Théophile Gautier ne fait pas comme Baudelaire l’apologie de la drogue

Saturday, June 21, 2008

Citation du 22 juin 2008

Dans le patois des Flandres, assure un explorateur, "épousailles" se dit "trouwplechtighied". Ce n'est pas un joli dialecte que le flamand.

Paul-Jean Toulet - Les trois impostures

Whangdepootenawah n. Dans la langue Ojibwa, désastre. Affliction inattendue qui frappe très très fort.

Ambrose Bierce - Le Dictionnaire du Diable (1911)

L’ethnocentrisme, celui qui rejette les cultures et les langues étrangères est peut-être aussi vieux que l’humanité, en tout cas il est aussi ancien que la civilisation. On sait que les grecs qualifiaient de barbares les étrangers, à commencer par les Thessaliens, dont la langue leur paraissait similaire au chant des oiseaux – barbaros étant alors une onomatopée qui en évoque le bruit.

Je connais une jeune étudiante chinoise qui me disait qu’au début de son séjour en France, ne comprenant rien à notre belle langue, elle appelait les français les « Blablas » parce que c’est tout ce qu’elle retenait de notre langage. Pas plus choquant que de se faire appeler barbare…

Alors, est-il scandaleux que « trouwplechtighied » signifie épousailles ? Et que « Whangdepootenawah » veuille dire « affliction inattendue » ? Le rapport entre le mot et l’idée est-il un rapport naturel ou bien n’existe-t-il que par la force de l’habitude ?

Sartre disait que pour lui le mot Florence désignait tout à la fois une femme, une ville et une fleur. Bon. Mais tout cela, qui se perdrait dans une autre langue, n’existe quand même pas par le fait de la nature des femmes et par celle des fleurs.

Au fond, ce qui choque dans ces mots étrangers « pas jolis », c’est qu’on n’éprouve pas de plaisir en les prononçant. Dans le plaisir de parler, il y a le plaisir de former des sonorités avec la langue, avec les lèvres, comme le bébé dans son babil. Oui, comme le bébé, nous aimons jouer avec les mots comme on joue avec des cailloux qu’on frictionne entre ses mains.

Alors, si c’est le jeu avec les sonorités qui compte, qu’importe que ce jeu ne soit pas exactement le même d’une langue à l’autre ? (1)

(1) Il et vrai que le français privé d’accent tonique favorise ces jeux que d’autres langues vont limiter - voir par exemple le célèbre vers de Corneille : Et le désir s’accroît quand l’effet se recule - Polyeucte, acte I (Citation du 6 mars 2006)

Friday, June 20, 2008

Citation du 21 juin 2008

- Comment il se fait que ce n'est qu'en cherchant les mots qu'on trouve les pensées.

Joseph Joubert - Carnets (28 février 1799)

- Si étrange que cela soit, nous sommes dominés par la nécessité de parler sans savoir ce que nous allons dire

Alain - Les idées et les âges


Si vous cherchez comment tirer parti des citations, en voici une : articulez-les pour en faire un tout (et non un catalogue).

1ère étape : pour trouver des pensées, commencez par chercher les mots pour les dire.

- Oui, mais comment les chercher si précisément les idées on ne les a pas ?

Selon Joubert, c’est un fait avéré, même si on ne se l’explique pas.

Il faut aller chercher Merleau-Ponty pour commencer à y voir plus clair. L’expression dit-il en substance est un va et vient entre l’intention de dire et ce qu’on dit effectivement. Ce que l’on connaît, c’est le décalage entre cette intention encore confuse et ce qu’on dit effectivement. C’est ce décalage qui nous révèle le contenu effectif de notre pensée. C’est aussi ce qui explique que la pensée soit fécondée par le langage – tant par la langue que par la culture.

2ème étape : parlez sans savoir ce que vous avez à dire, car si vous attendez de savoir ce que vous allez dire pour le dire, vous ne parlerez jamais.

Mais comment se fait-il que les uns disent des choses intéressantes, et les autres ne font que répéter ce qu’on a ressassé mille fois ? C’est précisément en répétant toujours les mêmes chose, les mêmes idées, les mêmes mots, qu’on parle sans penser, et donc « sans savoir ce qu’on dit »

C’est ce que dit Alain, et je ne crois pas pouvoir faire mieux que de vous donner son texte (Annexe).

Même si vous n’en lisez que les premiers mots, vous y découvrirez que la langue est un instrument – et pas un outil.

C’est déjà ça.

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« La langue est un instrument à penser. Les esprits que nous appelons paresseux, somnolents, inertes, sont vraisemblablement surtout incultes, et en se sens qu'ils n'ont qu'un petit nombre de mots et d'expressions ; et c'est un trait de vulgarité bien frappant que l'emploi d'un mot à tout faire. Cette pauvreté est encore bien riche, comme les bavardages et les querelles le font voir : toutefois la précipitation du débit et le retour des mêmes mots montrent bien que le mécanisme n'est nullement dominé. L'expression "ne pas savoir ce qu'on dit" prend alors tout son sens. On observera ce bavardage dans tous les genres d'ivresse et de délire. Et je ne crois même point qu'il arrive à un homme de déraisonner par d'autres causes ; l'emportement dans le discours fait de la folie avec des lieux communs. Aussi est-il vrai que le premier éclair de pensée, en tout homme et en tout enfant, est de trouver un sens à ce qu'il dit.

Si étrange que cela soit, nous sommes dominés par la nécessité de parler sans savoir ce que nous allons dire ; et cet état sibyllin est originaire en chacun ; l'enfant parle naturellement avant de penser, et il est compris des autres bien avant qu'il se comprenne lui-même. Penser c'est donc parler à soi. » Alain - Les idées et les âges

Thursday, June 19, 2008

Citation du 20 juin 2008

Le fait que les hommes tirent peu de profit des leçons de l'Histoire est la leçon la plus importante que l'Histoire nous enseigne.

Aldous Huxley - Collected essays

C’est un poncif un peu irritant : il faut apprendre l’histoire pour ne pas refaire les erreurs que nos ancêtres ont commises.

Car, à quoi bon apprendre ce qui ne sera plus ? Dès lors que l’époque a changé, même les erreurs qu’on y a commises ne sont plus possibles aujourd’hui.

Il y a quelques années Robert Hossein réalisait des grandes mises en scènes, des reconstitutions historiques comme le procès de Marie-Antoinette, et faisait voter le publique pour savoir s’il aurait condamné la malheureuse à l’échafaud. Ridicule.

Aldous Huxley nous aide donc à y voir plus clair : la leçon de l’Histoire (H majuscule !), c’est qu’il n’y en a pas. Et déjà pour la raison que nous avons dite.

Mais aussi j’aimerais suggérer que l’histoire en délimitant le territoire du changement (progrès des techniques et des sciences ; évolution des sociétés politique ; etc.), délimite aussi ce qui n’est pas soumis au changement (en gros : les besoins et les données physiologiques humains – et peut-être la nature humaine). Dans ce domaine, inutile d’espérer tirer parti des exemples passés là où nous ne pouvons que les répéter ; demanderait-on à un ivrogne de prendre exemple sur l’ivrognerie de son père pour y renoncer pour lui-même ?

S’il y a encore débat, c’est sans doute pour établir l’extension de ce qui ne change pas au cours de l’histoire. Les hommes de Cro-Magnon étaient-ils sensibles à la beauté d’un coucher de soleil ? Pouvaient-ils s’attendrir devant l’enfant qui vient de naître ? Etaient-ils secourables pour le malheureux affamé ?

Il n’est pas besoin d’être Rousseau pour se poser ces questions, même s’il est le seul à croire qu’on pouvait y répondre (1).



(1) Petit rappel. Rousseau affirme:

1 - Il y a une nature humaine.
2 - Cette nature change avec son environnement. Rien donc ne subsiste dans l'homme actuel de l'homme des origines
3 - L'histoire de ces changements est l'histoire de la corruption de l'humanité.
4 - La leçon qu'on peut tirer de l'histoire est simplement celle-ci : n'espérez pas revenir aux temps heureux de l'innocence originaire. Tout ce que vous pouvez espérer c'est d'arrêter cette évolution .

Wednesday, June 18, 2008

Citation du 19 juin 2008

Celui qui trouve sans chercher est celui qui a longtemps cherché sans trouver.

Gaston Bachelard

- La chasse de Pan : le Dieu Pan part à la chasse. Dans une clairière, il trouve une Nymphe au lieu du gibier qu’il convoitait. Il en fait son affaire.
Bacon (1) prend ce mythe comme illustration des hasards de l’expérience : la connaissance des choses rencontre, lors d’expériences ou de recherches pour des applications mécaniques, les inventions utiles par une sorte de hasard et comme dans la chasse de Pan. Ne pas tenter une expérience simplement parce que rien de semblable n’a jamais été tenté, certes. Mais ne pas exclure le hasard, qui doit même être introduit dans le protocole d’expérience.
C’est ce que Bacon appelle « la quête vagabonde »

- 3 septembre 1928 : découverte de la pénicilline par Fleming (2), le hasard ayant fait que sa culture de staphylocoques a été durant son absence, contaminée par une souche de champignon microscopique que cultive son voisin de paillasse. Fleming observe que les staphylocoques ont été détruits par le penicillium. Seulement voilà : Fleming bien que médecin ne voit que l’intérêt expérimental de cette découverte. Pendant plus de 10 ans, la pénicilline est utilisée pour sélectionner une bactérie qui lui résiste : on découvre la pénicilline non pour soigner en détruisant les bactéries, mais pour en cultiver une. L’application médicale se fera en 1940, soit 12 ans après la découverte de Fleming.

On peut trouver sans chercher, oui. Mais alors il faut aussi avoir longtemps cherché sans trouver.

Sinon, il faut aussi découvrir ce que l’on doit chercher.

(1) The advancement of learning

(2) Alexander Fleming (pas Ian Fleming…). Pour les détails de la découverte, voir par exemple ici.

Tuesday, June 17, 2008

Citation du 18 juin 2008

Le peuple, il n'a pas d'idéal, il n'a que des besoins.
Louis-Ferdinand Céline
Le peuple, n'a pas d'idéal, il n'a que des besoins. Ne dites pas ça à nos hommes politiques, car vous allez les désespérer.
Oui, je dis bien « les désespérer », et non les réjouir.
Car certes, on croit qu’ils rêvent d’un peuple bien avachi dans ses désirs de consommation, et qu’on pourrait tenir avec des fêtes et des manifestations grandiloquentes. Encore que… Voyez le peuple romain réclamant Panem et circenses : les jeux du cirque pour se divertir et du pain pour manger. Les jeux du cirque, pour les produire, il suffit d’avoir des chrétiens et des lions ; par contre, pour donner du pain, il faut encore avoir des esclaves qui cultivent les champs.
Franchissons encore une étape : les idéaux, on peut toujours faire rêver qu’on s’en rapproche. Qui donc reprochera à un dirigeant politique de ne pas avoir donné le bonheur éternel aux amoureux, la liberté aux passionnés, la paix de l’âme aux anxieux ? Par contre, il lui suffira de dire que les lois qui réorganisent la presse, ou l’école, ou même qui réglementent l’accueil les réfugiés sur le sol de notre belle patrie sont la condition pour réaliser nos idéaux, et nous pourrons y rêver. Que demander de plus ?
Par contre, faites rêver le mal logé et lui disant qu’il a trouvé l’appartement qu’on lui promet depuis 10 ans. Là il faut de la réalité, de la belle et dure réalité. De celle qu’aucune discours ne pourra remplacer.
Alors, quand vous réclamez au gouvernement du pouvoir d’achat, qu’est-ce que vous croyez qu’il va arriver ? On va vous répondre : « Les caisses sont vides, débrouillez-vous tout seul.
D’ailleurs, vous êtes des porcs à réclamer comme ça plus de plaisirs et moins de travail. Il est temps de remettre de la morale dans la politique.
Oui, mesdames et messiers, de la morale, j’ose ce gros mot.
Cherchez plutôt dans les valeurs qui sont au-delà de votre ligne d’horizon : comment pouvez-vous vivre sans l’idéal enseigné par les religions ?
Oui, l’homme a besoin d’idéal plus encore que de pains ou de vacances aux Seychelles.
Et ça, vos chefs politiques peuvent vous y conduire.
Suivez-les. »

Monday, June 16, 2008

Citation du 17 juin 2008

Deucalion et Pyrrha

Nous sommes, à nous deux, les seuls débris de l'espèce humaine ; les dieux l'ont ainsi voulu ; ils ont sauvé en nous un modèle des hommes

Ovide – Métamorphoses - Livre 1

Lorsqu’on imagine les débuts de l’humanité avec un couple originaire (Adam et Eve, Noé et… (1)), on se demande comment l’humanité a pu se développer à partir de là.

Alors, il y bien sûr les frères les sœurs qui peuvent s’y mettre aussi. Mais ça ne change rien : comment faire pour échapper à l’inceste et à la consanguinité ?

La solution a pourtant été trouvée : Deucalion et Pyrrha, ont selon Ovide repeuplé la terre en semant des pierres : à chaque nouvelle pierre jetée pardessus leur épaule un nouvel enfant naissait.

On résout ainsi deux problèmes d’un seul coup :

- on sait que les hommes naissent de la terre, comme les herbes ou les arbres : ils ne sont pas fils de l’homme, et s’ils sont frères, c’est pour être issus du même terroir. Ils sont ce que l’on appelle des autochtones

- et puis on sait aussi que leur procréation est un fait surnaturel.

Oui, mais, ça signifie donc que l’acte sexuel n’a plus de rapport avec la procréation, et réciproquement ?

Exactement : les célèbres Trobriandais peuple des îles Trobriand (N.O. de la Mélanésie) étudiés par Malinowski (2), croient que les enfants sont l’œuvre d’un esprit surnaturel, et que la paternité n’existe pas. Ils en feraient même un principe de la nature, puisqu’ils laissent leurs truies errer dans la forêt d’où elles reviennent engrossées par des porcs sauvages, alors même qu’ils ont un tabou alimentaire sur ces derniers. Ils ajoutent comme preuve que les filles n’ont jamais d’enfant hors mariage, bien qu’elles aient une totale liberté sexuelle.

Ouf !

(1) La Genèse ne donne pas le nom de la femme de Noé.
(2) Dans la vie sexuelle des sauvages du nord-ouest de la Mélanésie (à télécharger ici)

Sunday, June 15, 2008

Citation du 16 juin 2008



Ceci est une pipe – Miss.Tic

Si vous êtes majeur, vous avez le droit de retourner votre écran pour contempler l’œuvre de Miss.Tic

Moi, je dis merci à Miss.Tic.

Merci de décomplexer les hommes, qui sont toujours suspectés d’avoir des idées un peu cochonnes dans des situations où la culture et l’élévation d’esprit sont de rigueur.

- L’étudiante de l’école du Louvres qui vous sert de guide au musée a un décolleté avantageux ? Le jeune couple qui suit ses explications se tient enlacé un peu fort ? Et voici l’imagination du mâle qui part à bride abattue. Et voici finie l’exaltation devant l’œuvre sublime…

- Et quand vous entendez le mot pipe, à quoi pensez-vous ?

- A la même chose que vous, grand dégoûtant !

--> Oui, mais voilà Miss.Tic qui arrive.

- Inutile de vous culpabiliser : si Magritte a choisi la pipe pour nous alerter sur l’équivoque de l’art, c’est parce que la pipe est elle-même un objet équivoque. Alors avouons-le, et pensons à autre chose. Car ce qui compte c’est qu’on ne perde pas de temps à fantasmer là-dessus. Hop ! Un petit pochoir, ça soulage.

Et maintenant, le sourire de la Joconde, ça vous va ?

- Merci Miss.Tic !

Saturday, June 14, 2008

Citation du 15 juin 2008

Ce qu'il y a de plus extraordinaire peut-être dans le besoin de l'extraordinaire, c'est que c'est, de tous les besoins de l'esprit, celui qu'on a le moins de peine à contenter.

André Gide - Journal 1889-1939

De tous les besoins de l'esprit, l’extraordinaire est celui qu'on a le moins de peine à contenter : voilà une pensée à la fois piquante et évidente… trop peut-être. C’est le genre de pensée à la quelle on acquiesce en se disant : « Ça, c’est bien vrai», avec l’impression toutefois que ça ne devrait peut-être pas aller de soi.

L’idée, c’est que l’extraordinaire résulte en fait de la rencontre d’un désir et du hasard. Aristote le disait : si je lance un tabouret en l’air, qu’il retombe n’importe comment, c’est le hasard ; qu’il retombe sur ses pieds, c’est la chance (1). Mais ça ne fait aucune de différence pour le tabouret. En réalité, l’extraordinaire ne contrevient pas aux lois de la nature ; il résulte seulement d’une interprétation subjective : tant que l’arc-en-ciel a été vu comme l’écharpe d’Iris, il a été extraordinaire. Voilà pourquoi ce besoin est si facile à satisfaire.

Mais ne devrions-nous pas être un peu plus exigeant ?

Et si l’extraordinaire était non seulement ce qui nous surprend, nous émerveille, mais en plus ce qui ne résulte pas des lois ordinaires de la nature ?

Et si, pour être tel, l’extraordinaire devait être une création, une invention humaine ? L’extraordinaire, c’est d’abord l’homme d’exception. C’est le génie. C’est aussi le monstre, et il faut avouer qu’ils sont plus courants que les génies.

Alors, bien sûr, cette fascination pour l’extraordinaire fait qu’on est attirés par les monstres dont l’exception nous stupéfie, suscitant effroi et attirance. Hitler a sans doute profité d’un tel sentiment, et nous devons nous en méfier.

Mais reste que les œuvres humaines sont aussi des productions qui dérogent à l’ordre de la nature : soit un tout petit peu (chaque petite œuvre est une déjà une création) ; soit beaucoup.

Ce qui ne dérange rien est insignifiant.

(1) Je ne sais plus où j’ai lu ça. Si vous avez la référence, merci de me la communiquer. Sinon, ça sera une pensée de plus « attribuée à » Aristote, qui n’en est plus à une près.

Friday, June 13, 2008

Citation du 14 juin 2008

Dans une société*, on reconnaît les gens élevés à une chose assez simple : ils vous parlent de ce qui vous intéresse.

Edmond de Goncourt – Journal littéraire - 13 mai 1884 (T.2, p. 1073)

- Bonjour, Je suis Gérard. Je n’ai pas le plaisir de vous connaître. Vous êtes un ami de Robert ?

- Exactement. Moi, je suis Jean-Paul. C’est plutôt sympathique à Robert d’inviter des gens qui ne se connaissent pas, ça permet de faire de nouvelles relations.

- Voilà, oui. Qu’est-ce que vous faites dans la vie ?

- Oh, moi je suis retraité. J’écris des textes que je mets sur différents blogs, c’est une activité qui me passionne.

- L’ordinateur… Hé bien, figurez-vous que l’ordinateur, moi je ne m’en approche que pour mon travail.

- …

- Oui, je dirige une entreprise de transport. J’ai une flotte de 10 camions, et vous ne pouvez pas vous imaginer le casse-tête que c’est : non seulement il faut trouver du fret pour les faire rouler, mais en plus il faut prévoir de les remplir pour ne pas rentrer à vide.

Et avec le prix du gazole, c’est de la corde raide.

- Ah… La corde raide… L’aventure… Quand je me lance dans un nouveau Post c’est aussi une aventure. Tenez, l’autre jour…

- Le gazole ! Il faudra quand même qu’on m’explique comment on veut faire pour trouver au coin de la rue la boutique pleine, et ne pas payer le transporteur qui amène tout ça. Le gouvernement…

- Excusez moi de vous interrompre, j’aperçois là-bas quelqu’un que je dois absolument rencontrer.

A bientôt j’espère.

--> Et toi, moi cher lecteur, te reconnais-tu dans ce portrait saisi sur le vif ?

- Moi ? Mais quand je parle de moi, c’est parce que ça intéresse les autres.

N.B. Ça peut se chanter aussi

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* Société – Relation entre des personnes qui ont ou qui mettent quelque chose en commun (Robert – Dictionnaire de la langue française)

Thursday, June 12, 2008

Citation du 13 juin 2008

Quand Margot dégrafait son corsage
Pour donner la gougoutte à son chat
Tous les gars, tous les gars du village
Etaient là, la la la la la la

Georges Brassens – Brave Margot

Après les chiens, les chats : pas de jaloux.

En fait de jalousie, j’en connais bien qui aimeraient être à la place de ce minou ; c’est d’ailleurs le message de la chanson de Brassens.

Pourquoi les chats sont-ils considérés comme ayant une affinité particulière avec les femmes, au point que les hommes qui les affectionnent particulièrement sont parfois considérés comme efféminés ?

Serait-ce parce que le chat sollicite et apprécie les caresses et que les femmes sont, en tant que mères, considérées comme caressantes ? Et réciproquement que le chat est un animal qu’un doux pelage rend agréable à caresser ?

Serait-ce parce que le chat a un comportement souvent imprévisible, et que bien des hommes considèrent que c’est le cas des femmes (La dona e mobile…)

Y aurait-il simplement une répartition des animaux domestiques : à l’homme le chien pour la chasse – le chien emblématique de l’extérieur, donc du domaine public ; à la femme le chat pour la maison – le chat pour l’espace privé ?

Les psychanalystes nous ont habitués à ces symboliques zoologiques, sous-tendues par des attirances irrationnelles ou des phobies. Simplement pour la symbolique féminine, les animaux emblématiques sont usuellement le chat et … l’araignée : la mauvaise mère, terrifiante, et la bonne mère.

Et revoilà Margot.

Wednesday, June 11, 2008

Citation du 12 juin 2008

On m'a vu ce que vous êtes ; / Vous serez ce que je suis.

Pierre Corneille - Stances à Marquise (1)

Peut-être que je serai vieille, / Répond Marquise, cependant / J'ai vingt-six ans, mon vieux Corneille, / Et je t'emmerde en attendant.

Tristan Bernard - Stance de Corneille – Brassens l’a chantée

Nous avons été ce que vous êtes / Vous deviendrez ce que nous sommes.

Epitaphe collective à l’entrée du cimetière des Salles-du-Gardon (Gard) (2)

Avouez que le thème du temps qui passe pour tout le monde est plutôt mignon s’agissant de l’écart entre le vieux barbon et la jeune et affriolante comédienne de Molière, mais que ça fait plutôt frémir quand on lit ça à la porte du cimetière…

Il y a deux façons de se positionner par rapport à ce type d’avenir :

- Songe que tu te nourris pour nourrir les vers qui vont te ronger : ça c’est la contre-réforme, qui, au 17ème siècle, s’efforce de développer la peur de l’imminence de la mort pour inciter les hommes à mériter leur salut à chaque instant (et comment mériter son salut sans obéir humblement à notre Sainte Mère l’Eglise ?)

- Soit le Carpe diem d’Horace : après tout vivons au jour le jour. C’est dans le présent seul que nous vivons, l’avenir, si certain qu’il soit (et c’est vrai la seule chose dont on soit absolument sur, c’est que nous mourrons un jour), n’existe pas. Seule la jolie fille, qui est là, sous ma main et le verre de vin frais qui est dans l’autre, existent.

Choisis ton camp camarade.

(1) Marquise est le nom de scène d’une comédienne de la troupe de Molière. Sophie Marceau l’a incarnée à l’écran.

(2) Vu également au-dessus de la porte du cimetière du hameau de Fouillouse en Saint-Paul-sur-Ubaye, patrie du père de l’abbé Pierre.

Tuesday, June 10, 2008

Citation du 11 juin 2008

La majestueuse égalité des lois interdit aux riches comme aux pauvres de coucher sous les ponts, de mendier dans la rue et de voler du pain.

Anatole France

Les arrêtés anti-mendicité fleurissent dans toutes les communes : il est interdit de mendier, donc il est interdit d’être pauvre. A Nice, il y a quelques années, la municipalité ramassait les mendiants sur le coup de midi et les relâchait dans la montagne à 20 Km de là, en supposant que le temps qu’ils reviennent les honnêtes gens seraient débarrassés d’eux.

Dans le préambule de la Constitution de 1958 (repris de 1946), il est dit : Chacun a le devoir de travailler et le droit d'obtenir un emploi. Autrement dit, le travail est d’abord un devoir avant d’être un droit. Donc si vous mendiez votre pain, c’est d’abord parce que vous ne faites pas votre devoir. Et si on n’a pas le plein emploi ?

Si c’est ça, allez donc à l’ANPE, eux ils vont vous trouver du boulot. Si après ça vous n’en avez toujours pas, c’est que vous être un chômeur de mauvaise volonté, un de ceux dont la loi vient de régler récemment le sort : plus d’indemnités. Bien fait. Et vous mêlez pas de mendier. Ni de voler, sinon vous irez coucher en prison.

… Les choses seraient-elles en train de changer ? Le droit opposable au logement devrait supprimer les sans-logis ; et il est question de l’étendre à la nourriture.

Les squats serait-ils devenus autorisés ? La mère de famille condamnée – il y a quelques années – pour avoir volé une escalope dans un super marché pour nourrir ses enfants serait-elle acquittée aujourd’hui ?

Je vous laisse répondre. Quant à moi, j’infléchirai mes réflexions en direction de ce curieux épithète, accolé au mot « droit » : « opposable ». Tout se passe comme si le droit opposable et lui seul était une obligation, alors que le droit « tout court » ne serait qu’une posture morale, quelque chose qu’on proclame sans vraiment être obligé de s’y tenir.

Martine Aubry disait récemment que toute épithète accolée au mot « socialisme » le dénaturait. C’est vrai aussi du droit.

Monday, June 09, 2008

Citation du 10 juin 2008

Matinal. L'être, preuve de moralité – Si l'on se couche à 4 heures du matin et qu'on se lève à 8, on est paresseux, mais si l'on se met au lit à 9 heures du soir pour en sortir le lendemain à 5, on est actif.

Gustave Flaubert - Dictionnaire des idées reçues

La France qui se lève tôt… en avons-nous assez parlé comme ça ? Et combien on nous a rebattu les oreilles avec cette rengaine !

Une petite confidence si vous le permettez : je suis un insomniaque du matin : je me lève très tôt (vers 4h30) et je ne m’en porte pas plus mal, parce que je suis particulièrement actif au début du jour.

Or, lors que je dis cela, je sais que nombre de gens me regardent l’air apitoyé ou incrédule, alors que si je disais : « moi, je ne peux pas me coucher avant 1 heure du matin – je me lève après 8 heures », je sais que je passerais pour quelqu’un de tout à fait normal, en tout cas pas exceptionnel. Le bonheur c’est de se lever tard, et si le travail est une servitude c’est déjà parce qu’il implique le lever matinal. D’ailleurs pourquoi la France qui se lève tôt serait elle plus méritante que celle qui se lève tard ? Parce qu’on ne se lève tôt que pour aller au travail ; par contre, dès qu’on est libéré du travail, on se lève tard, on flemmasse, on traîne au lit – même si on y est seul. (1)

Bien de gens ne peuvent travailler que la nuit, et donc dorment le jour. Or on ne pense jamais au veilleur de nuit quand on célèbre le travail matinal. Voyez donc comment les préjugés sont pernicieux.

Mais nous avons ici un second préjugé : c’est que le travailleur est un homme méritant ; mieux : un homme bon. Le travail est une preuve de moralité comme dit Flaubert. Hé bien, voilà encore un préjugé à démolir. On est en pleine fiction, et des brutes épaisses qui triment toute la semaine et qui le samedi vont traîner dans les bars et battent leur femme en rentrant, ce n’est pas que dans Zola.

(1) N’oublions pas de signaler que la nuit est le moment de prendre des plaisirs que la journée ne permet pas.

Sunday, June 08, 2008

Citation du 9 juin 2008

Les bons toutous ! Ah ! Ils sont chouettes, les bons toutous !
Le chien est aimant et fidèle, dit-on, mais quel mérite à s'attacher au premier venu uniquement parce qu'il s'intitule votre maître, beau ou laid, drôle ou rasant, bon ou mauvais ?
On a vu des chiens, dit-on encore, se faire tuer en défendant leur maître contre un bandit.
Parfaitement, mais le même chien aurait pu être aussi bien tué en attaquant l'honnête homme pour le compte du bandit, si ce bandit avait été son maître et si l'honnête homme avait détenu l'indispensable revolver.
Alphonse Allais - Le bec en l'air (1897)
Voilà une citation qui a le mérite de ne pas être dans le droit fil de l’opinion commune.
- Quoi, ce bon toutou dont je vous donne une photo si émouvante – et n’en dites pas de mal s’il vous plaît car ce chien est un ami – serait le pire ennemi de l’homme ? Considérez ce regard tendre, ces oreilles suppliantes (oui, suppliantes), cette truffe gercée par le grand âge : ne dirait-on pas que c’est là le meilleur ami de l’homme ? Déçu par les hommes ? Jamais par mon chien (1).
… Oui, mais voilà : même si votre chien ne vous aime pas exactement comme un bifteck (2), il n’en reste pas moins que les sentiments du chien ne sont pas tout à fait ceux des humains.
Déjà, on reste surpris que la pire des brutes soit encore aimée par son chien ; mais aussi que la plus attentionnée maîtresse soit dévorée par ses molosses : quel manque de discernement se dit-on.
Seulement, le chien est un animal de meute, qui ne connaît qu’une chose : le respect du chef – le célèbre mâle alpha, et la violence à utiliser pour l’être. Si vous parvenez à vous faire « aimer » de votre chien c’est que vous êtes pour lui le mâle alpha, ce qui fait que ses manifestations d’intérêts ne sont que des efforts pour se maintenir dans les bonnes grâces du chef.
Maintenant si vous êtes le mâle oméga… méfiez-vous ! Parce que dans les meutes, lors de certains accouplements, le mâle oméga est celui qu’on appelle « le mâle du dessous » : vous voyez la scène ?
(1) Cf. « Plus je connais les hommes, plus j’aime mon chien. » citation du 22 mars 2007
(2) « Mon chien m'aime comme on aime le bifteck.», disait Alphonse Karr

Saturday, June 07, 2008

Citation du 8 juin 2008

Le français achèvera de se décomposer dans l'illettrisme pendant que nous discuterons du sexe des mots. ... Leur genre n'a rien à voir avec le sexe de la personne qu'ils concernent, laquelle peut être un homme.

Jean François Revel de l'Académie Française - Gazette de la presse francophone - de juin 1998 numéro 85

Aujourd’hui j’ai la flemme de faire un post sur le sexe des mots, et surtout je ne saurais pas faire mieux que ça :

Un gars : c'est un jeune homme
Une garce : c'est une pute
Un courtisan : c´est un proche du roi
Une courtisane : c´est une pute
Un masseur : c´est un kiné
Une masseuse : c´est une pute
Un coureur : c´est un joggeur
Une coureuse : c´est une pute
Un rouleur : c´est un cycliste
Une roulure : c´est une pute
Un professionnel : c´est un sportif de haut niveau
Une professionnelle : c´est une pute
Un homme sans moralité : c´est un politicien
Une femme sans moralité : c´est une pute
Un entraîneur : c´est un homme qui entraîne une équipe sportive
Une entraîneuse : c´est une pute
Un homme à femmes : c´est un séducteur
Une femme à hommes : c´est une pute
Un homme public : c´est un homme connu
Une femme publique : c´est une pute
Un homme facile : c´est un homme agréable à vivre
Une femme facile : c´est une pute
Un homme qui fait le trottoir : c´est un paveur
Une femme qui fait le trottoir : c´est une pute
Un péripatéticien: c´est un élève d´Aristote
Une péripatéticienne: c´est une pute
Roland Coenen, cité par Bernard de France

Friday, June 06, 2008

Citation du 7 juin 2008

Je suis Sonia, et pourtant je ne suis pas Sonia. Qui suis-je ?

Devinette Carambar


On se rappelle peut-être de cette énigme posée par les élèves de Bernard de France à leur prof de philo : le malheureux, qui s’était engagé à enlever une pièce de vêtement à chaque réponse fausse, s’est retrouvé à poil devant sa classe – d’où émotion, scandale, etc… (1)

Il y aurait beaucoup à dire sur le type de relation pédagogique sous-tendu par cet épisode. Je n’en ai pas la place, et ça serait un peu du réchauffé.

On ne pourra donc que reprendre la réflexion entamée récemment sur les homophonies - voire même les homonymies - de la langue française.

En réalité, ce qui se manifeste ici, c’est la nécessité de faire intervenir le contexte pour qu’une phrase ait un sens. On dit parfois que les machines à traduire seront au point quand elles sauront traduire la phrase suivante : « les poules du couvent couvent. » (2)

Mais qu’on se rassure : les autres langues ont les mêmes caractéristiques : demandant un jour à la traduction automatique de Google de mettre en français une article d’encyclopédie en anglais sur Hitler, j’ai trouvé un titre traduit ainsi : « La théorie des courses de Hitler »

--> courses=race. Of course… Vous m’avez compris… Bref, comment une machine peut-elle comprendre un texte ?



(1) Et vous, vous auriez aussi fini à poil ? La réponse était « Je suis le chien de Sonia »

(2) D’ailleurs mon correcteur d’orthographe me signale qu’il y a un mot répété. Quel crétin !

Citation du 6 juin 2008

Perrette là-dessus saute aussi, transportée : / Le lait tombe : adieu veau, vache, cochon, couvée.

La Fontaine – Perrette et le pot au lait.

Dans la série : les fables de La Fontaine qu’il vaut mieux ne pas faire apprendre à nos enfants, voici Perrette et le pot au lait.

D’abord, relisez je vous prie cette fable dont vous avez peut-être oublié le contenu.

Maintenant dites-moi si Perrette ne manifeste pas l’esprit d’entreprise le plus sympathique qui soit.

- Quoi ? Voilà cette jeune femme, soucieuse de retour sur investissement, ayant un plan de développement pour son entreprise, et de surcroît animée de la volonté de faire fructifier son travail, qui est ridiculisée pour écervellement, et en plus menacée d’être battue par son mari ! Notez que je n’insiste même pas comme je pourrais le faire sur le fait qu’elle a trouvé un marché porteur : celui de l’agroalimentaire.

Alors on me dira : ce que La Fontaine fustige, c’est que Perrette n’intègre pas le facteur risque dans son projet d’entreprise. Soit, mais avouez qu’au XVIIème siècle, les assurances pour perte d’exploitation, il ne devait pas y en avoir beaucoup.

Vous croyez peut-être que je badine ? Pas du tout. Car le pire est à venir.

Au nombre des châteaux en Espagne, La Fontaine met les rêveries de pouvoir : « je vais détrôner le Sophi ; /On m'élit roi, mon peuple m'aime ; /Les diadèmes vont sur ma tête pleuvant ». Autrement dit, faire fructifier son travail et rêver qu’on devient roi, c’est exactement la même chose, c’est aussi improbable, ou du moins ça ne dépend pas plus de ma volonté. Seule la « fortune » permet d’accéder à la fortune.

C’est à vous décourager de travailler plus.

Wednesday, June 04, 2008

Citation du 5 juin 2008

Attention : ce post contient une image qui peut choquer les personnes sensibles.
- Mais, concluent, je dys et maintiens qu'il n'y a tel torchecul que d'un oyzon bien dumeté (duveteux), pourveu qu'on luy tienne la teste entre les jambes.
Rabelais – Gargantua (ch 13)
- Sur le plus beau trône du monde, on n'est jamais assis que sur son cul.
Montaigne
- Sans déroger aux premiers Blasonneurs / Du trou du Cul, et sauves leurs honneurs, / Et de tous ceux qui ont savoir condigne / Pour blasonner une chose tant digne, / Je derechef lui don’rai un blason / Car sa louange est toujours de saison.
Eustorg de Beaulieu (Cité in Louise Labbé – Œuvres poétiques. Gallimard poésie p. 153)

Pourquoi faut-il éviter l’évocation de certaines parties du corps humain, en particulier l’anus ?
Pourquoi ne le fait-on que pour injurier, comme en témoigne ce portrait-mosaïque de Georges W. Bush, intitulé « Bush asshole » ?

Nos auteurs renaissants ont fait preuve de beaucoup plus de simplicité.
- Rabelais fait de Gargantua âgé de 5 ans un surdoué lancé dans l’expérimentation de toutes sortes de « torchecul » dont il ressort qu’un oison est en effet le plus confortable.
- Montaigne rappelle que le cul est bien ce qui unit tous les êtres humains, principe de démocratie, c’est toujours la même partie de l’anatomie humaine qui permet de s’asseoir.
- Mais le plus éloquent est encore Eustorg de Beaulieu qui rédige (au 16ème siècle) dans la série des Blasons du corps féminin (1), un poème pour célébrer le cul, rappelant que c’est de son bon fonctionnement que dépend la santé, « la beauté, teint, plaisirs et délices ».
Au fond, peut-être que je suis injuste avec mes contemporains : ils n’ont pas oublié de célébrer cette partie de notre anatomie. Il n’est que de voir les publicités pour tous ces aliments fibreux qui assurent un bon « transit intestinal ».

(1) Voir Post du 22 mai 2007, note 2

Citation du 4 juin 2008

Poissons morts / Qui descendez le cours des fleuves / Poissons morts/

[…] Allez donc dire aux moissonneuses / Poissons morts / Que la graisse de mitrailleuse / N'est pas la brillantine des dieux…

Paroles: Étienne Roda-Gil. Musique: Julien Clerc 1973

Une fois n’est pas coutume : nous reprenons aujourd’hui presque à l’identique une citation déjà donnée le 1er avril, en raison d’un commentaire dont le sérieux laissait à désirer

1973… L’anarchiste Roda-Gil écrit cette chanson pour fustiger la guerre et les atrocités que les hommes commettent, y compris contre leur environnement.

Et aujourd’hui, en 2008, que reste-t-il de ce combat pour l’anarchie ? Où sont ces farouches combattants de la paix et de l’indépendance, qu’ont-ils fait de leurs drapeaux noirs, où sont leurs communautés ? Hélas…

Ce qui reste vivant, c’est la dénonciation de la destruction de l’environnement. Ce ne sont même plus les poissons que nous faisons mourir : ce sont les humains qui mangent ces poissons. Et il ne s’agit pas des indiens ou des africains ; les habitant des rives du Rhône (1) font très bien l’affaire…

1973 : on croit encore en l’utopie de la paix imposée par ceux qui souffrent de la guerre contre les marchands de mitrailleuses. On fait comme si on ne savait pas que les premiers à prendre la Kalachnikov sont précisément les plus pauvres et les plus fugitifs. Combat dévoyé du dynamiteur de radar routier qui se présente comme révolutionnaire…

Aujourd’hui, on ne peut plus.

Alors, il nous reste le combat pour la planète, le poissons mort de Roda-Gil n’est plus un symbole : il est une réalité, et la graisse de mitrailleuse a été remplacée dans nos préoccupations par l’huile de friture qui vient remplacer dans nos moteurs le diesel hors de prix…

Quel micmac… en réalité, les poissons sont bien content que les pécheurs soient en panne de diesel : pendant ce temps, les chaluts restent à quais.

(1) Les polychlorobiphényles (PCB), ça vous dit quelque chose ?

Tuesday, June 03, 2008

Citation du 3 juin 2008

L'éternité, c'est ce qu'il y a de plus fragile, c'est du papier. Qu'est-ce qui reste de tout le passé ? Non pas les idées, parce qu'elles s'envolent, mais des mots écrits.

Jean d'Ormesson - Entretien avec Bernard Pivot - Juin 1978

Les paroles s’envolent, les écrits restent…

Certes, une éternité de mots c’est fragile, mais moins que les idées.

- Tenez-vous le journal de votre vie ? Non pas un blog dans le quel vous racontez à vos copines vos aventures sentimentales, mais un cahier dans le quel vous écrivez ce qui vous passe par le tête et qui vous paraît devoir être remémoré.

Les mots écrits… Ça peut aller de l’almanach au livre de bord (logbook) en passant par les carnets qu’on porte dans ses poches pour y griffonner les observations de l’instant.

- Et des Mémoires ? Pourquoi pas des Mémoires ? Chateaubriand a bien écrit les Mémoires d’outre-tombe : c’est bien pour poser devant l’éternité. Mais outre que les mémoires sont les mots qu’on écrit sur les souvenirs qui nous restent, il faut dire aussi qu’elles sont adressées à un certain public, ou qu’en tout cas elles sont faites pour être lues.

--> La question que je voudrais poser n’est pas « Pourquoi voulons-nous une éternité de papier ? », mais plutôt « Pour qui la voulons-nous ? ». Et je répondrai : pour nous-mêmes.

J’ai ici même fait l’étonné devant l’obsession des écrivains de tout poil à faire lire leurs œuvres. C’est le moment de corriger le tir : ceux qui écrivent leur journal ne cherchent pas de lecteurs ; mieux même : ils doivent se cacher pour écrire, et planquer leurs précieux carnets.

- Qu’est-ce qu’apporte cette clandestinité ? Elle apporte la liberté : un texte qui n’est adressé à personne est affranchi de tout désir de plaire – ou de déplaire – à une quelconque lecteur.

Alors pourquoi écrire si n’est pas pour être lu ?

On écrit alors pour l’éternité de papier.

Sunday, June 01, 2008

Citation du 2 juin 2008

Pour un plaisir, mille douleurs

Proverbe français

Ce proverbe, attribué parfois à Villon, centré sur les maladies vénériennes, utilisé pour illustrer le Prologue du Pantagruel de Rabelais : il y affirme que la lecture de quelques pages de Pantagruel est le seul soulagement des pauvres vérolés dedans leurs étuves.

La syphilis, s’il faut l’appeler par son nom a été une terrible maladie, qu’on a d’abord attribuée aux étrangers (mal de Naples pour les français, mal français pour les autres (1)), et dont on a tu l’existence tant qu’on a pu – maladie honteuse.

On a pleuré sur les morts du sida, les intellectuels, les philosophes, sur Michel Foucault, sur Robert Aron, et d’autres que j’oublie…

Mais ce qu’on oublie aujourd’hui, c’est que la syphilis, dans son évolution neurologique a frappé une quantité effroyable d’artistes, d’écrivains, de musiciens et de peintres (2). Imagine-t-on les chefs d’œuvres dont nous avons été privés par cette maladie ? Baudelaire, Maupassant, Nietzsche… et tant d’autres.

Je sais bien que Sartre disait qu’il était inutile de se demander ce qu’auraient été les œuvres que Mozart aurait pu composer s’il avait pu vivre plus longtemps, puisque seules celles qu’il a écrites lui donnent une existence de compositeur.

Oui, c’et vrai : Mozart compositeur est celui qui compose ; Mozart qui meurt est un homme sans plus. Mais quand même ; Nietzsche enfermé dans son farouche silence, le cerveau lessivé par la maladie : ce n’est pas n’importe quoi.

Ça nous interpelle…

(1) A Strasbourg le quartier de la petite France qu’on croit évoquer l’attachement historique des alsaciens à notre cher pays, doit en réalité son nom au fait que c’était là qu’étaient installées les étuves utilisées pour soigner les syphilitiques – porteur du mal français. Pas très poétique, mais qu’y puis-je ?

(2) Des hommes politiques aussi ? Oui. et des papes ? Egalement (voir liste)