Wednesday, September 30, 2015

Citation du 1er octobre 2015

Racine n'ira pas loin.
Madame de Sévigné
Il faut du temps pour que les réputations mûrissent
Voltaire – Œuvres complètes vol. VII
« Madame de Sévigné, la première personne de son siècle pour le style épistolaire..., croit toujours que « Racine n'ira pas loin ». Elle en jugeait comme du café, dont elle dit « qu'on se désabusera bientôt. »
Voltaire – Œuvres complètes vol. VII)

Racine passera comme le café : on prétend que madame de Sévigné prophétisa ainsi l’oubli de Racine, au même titre que le goût pour le café qui commençait à faire fureur à son époque. Double erreur, mais qui nous invite à faire notre autocritique : de combien d’erreurs du même genre nous rendons-nous coupables ? Combien d’écrivains dont le nom restera dans les temps futurs oublions-nous ? Et combien d’écrivains encensés aujourd’hui par la critique vont-ils inexorablement être oubliés dans 10 ans ?
Il n’est que de reprendre la presse d’une époque un peu éloignée pour être stupéfait de tant d’aveuglement. Non seulement nos auteurs les plus célèbres ont été ignorés par les prix littéraires, mais encore ceux qui ont été récompensés paraissent de pâles créateurs qui ont triomphé de (futurs) monuments de littérature.
L’exemple le plus célèbre est bien celui de Proust contraint de faire publier à compte d’auteur Du côté de chez Swann, son premier volume de la Recherche, les comités de lectures lui ayant opposé un refus digne de l’aveuglement de Madame de Sévigné : «mal écrit», «une œuvre de loisir, le contraire d’une œuvre d’art». (Henri Ghéon). Quant à l’éditeur Ollendorff, il justifie ainsi son refus : «Je suis peut-être bouché à l’émeri, mais je ne puis comprendre qu’un monsieur puisse employer trente pages à décrire comment il se tourne et se retourne dans son lit avant de trouver le sommeil.» (1)
Nos jugements n’iront jamais plus loin que l’époque dans la quelle ils ont été produits, et nos époques durent de moins en moins longtemps. Le délectable sera bientôt imbuvable, et l’illisible deviendra génial. 
… ou pas !
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(1) Lire ici -Rappelons que quelques années après, un autre grand écrivain de la modernité, James Joyce, se vit refuser le manuscrit d’Ulysse par Virginia Woolf !

Tuesday, September 29, 2015

Citation du 30 septembre 2015

Semblablement, où est la reine / Qui commanda que Buridan / Fût jeté en un sac en Seine? / Mais où sont les neiges d'antan?
François Villon – Le Testament (1461), Ballade des dames du temps jadis
Nous retrouvons Buridan que nous avions laissé hier en compagnie de son âne, engagé cette fois dans une aventure un peu plus dangereuse.
Jean Buridan, philosophe et docteur scolastique  nait en 1292 et meurt en 1363, c’est à dire un siècle avant que Villon compose cette ballade. L’histoire à la quelle il fait allusion est celle de la Tour de Nesle : Marguerite épouse du futur Louis X, s’y serait livrée à la débauche en compagnie de ses deux belles-sœurs, se débarrassant au petit matin de ses amants de la nuit, cousus dans un sac et jetés dans la Seine. Un tel traitement aurait également été réservé à Buridan qui, quant à lui, en serait sorti vivant. (Cf. Ici) (1)
Quoiqu’il en soit de la réalité de cet épisode, j’observe qu’un siècle plus tard, la débauche de Marguerite restait vive dans les mémoires. Pourquoi ?
Est-ce parce qu’une (future) reine de France se livrait à la débauche au lieu de réserver son sexe pour procréer une royale descendance ? Ou bien parce qu’elle n’hésitait pas à supprimer l’amant qui venait de la faire crier de jouissance (Mmmmm !). Qui le dira ? – tant il est vrai que les jugements sont historiquement déterminés. Pour ma part, je tenterai bien un réponse : comme nous sommes sensibles aux actes de cannibalismes des mantes religieuse (religieuses !) qui dévorent le mâle qui vient de les féconder, nous pouvons être impressionnés par le mépris des femmes qui considèrent l’homme comme un étalon parfaitement facultatif en dehors de cette fonction.
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(1) Les reines de la Tour de Nesle épargnèrent  deux de leurs amants, mais ce fut pour leur malheur car, démasqués et arrêtés sur ordre de Philippe le Bel, « ils moururent écorchés vifs, châtrés, décapités, puis suspendus à un gibet ». Voilà : en cet heureux temps nous n’avions rien à envier à l’Arabie Saoudite en matière de supplice. (Pour mémoire, voici le châtiment qui va être à présent infligé à Ali Al-Nimr (un opposant) : « La charia stipule qu'Ali Al-Nimr, opposant chiite, doit être décapité. Et comme il s'est dressé contre le roi Salman, crime particulièrement grave, il est prévu que son corps sera crucifié et ornera la croix jusqu'à ce que pourrissement s'ensuive. » Lire ici)

Monday, September 28, 2015

Citation du 29 septembre 2015

Celui qui, affligé d'une faim et d'une soif très vives, mais également intenses, se trouve à égale distance des aliments et des boissons : lui aussi demeurera nécessairement immobile !
Aristote – De Caelo (295b32), (trad. P. Moraux).
On aura reconnu dans ce texte l’origine de la fable de l’âne de Buridan : « L‘âne de Buridan est une fable philosophique célèbre, attribuée au philosophe scolastique Buridan et mettant en scène un âne qui se laisse mourir de faim, faute d’avoir pu choisir entre un plat d’avoine et un seau d’eau. » (Art. Wiki).
Ce dilemme de la liberté a fait beaucoup réfléchir, mais il semble bien qu’on n’ait en réalité seulement que deux solutions positives possibles :
            - l’une qui affirme qu’il y a un dynamisme propre à l’action, et que l’âne ira sans aucune réflexion vers l’un des deux objectifs, sans se soucier de l’autre (d’ailleurs en toute rigueur il devrait mourir de toute façon, de soif s’il va vers le picotin, de faim s’il va vers le seau d’eau).
            - l’autre qui met en avant la liberté d’indifférence : « La liberté d'indifférence désigne la capacité du sujet humain à faire ou ne pas faire une action, indifféremment, ou encore à choisir n'importe laquelle de plusieurs possibilités qui se présentent à lui, en toute indifférence, signalant par là qu'il est doué d'un libre arbitre et non pas déterminé dans les choix qu'il fait. » (Art. Wiki).
Bref : l’âne dispose d’une faculté qui lui donne le pouvoir de s’autodéterminer indépendamment de tout motif extérieur (puisque ces motifs se neutralisent réciproquement)
… ou pas : Spinoza estime qu’on ne peut jamais s’autodéterminer qu’il y a toujours une force qui nous incline à aller d’un côté ou de l’autre.

Et vous, cher lecteur, qu’en pensez-vous ? Si on vous proposait le choix entre un jour entier avec la possession d’une Ferrari GTO ou bien une nuit dans le lit de Kim Kardashian, sauriez-vous surmonter ce dilemme ?

Sunday, September 27, 2015

Citation du 28 septembre 2015

Les laides, on ne saurait en parler ; c'est assez qu'il y en ait.
Boris Vian – L'Automne à Pékin
La beauté (contrairement à la laideur) ne peut vraiment s'expliquer : elle se dit, s'affirme, se répète en chaque partie du corps mais ne se décrit pas.
Roland Barthes – S/Z (Cité le 6/7/2008)

Deux citations qui se contredisent quelque peu : la laideur peut-elle se commenter ou bien faut-il s’y  refuser et lui rendre l’hommage du silence ?
Lorsque jadis j’avais commenté la citation de Barthes, j’avais tenté de recenser les thèmes qu’on doit aborder lorsqu’on veut évoquer la laideur : esthétique, moral ; le style ; dans le cas du corps : profusion des graisses qui étouffent les formes…
Mais relisons : lorsque Barthes évoque des concepts, Vian parle des gens. Il ne songe pas à la laideur : il songe aux laides – c’est à dire aux femmes laides. Le silence qu’il impose est celui d’un refus de conceptualiser une telle injure faite à la Femme.
Seulement qu’y peuvent-elles, les pauvres ? Le peintre qui produit une croûte est responsable de sa laideur, et de même pour celui qui commet un acte répugnant de bassesse. Mais qu’une femme ait un vilain nez, une taille mal dégrossie et des dents mal plantées : qu’y peut-elle ? Et d’ailleurs pourquoi en faire grief aux femmes et pas aux hommes ?
Quoique là, on commence à comprendre : la laideur correspond à la répulsion qu’un homme éprouve à l’encontre d’une femme considérée comme un objet sexuel. Une laide, c’est une femme qui n’est pas « baisable » (excusez le terme : c’est là le registre de la catégorie d’hommes concernés).

La femme laide n’est donc ni inesthétique ni immorale : par contre elle est repoussante sexuellement. C’est ce jugement que nous pouvons critiquer : si la beauté est (comme le dit Kant) ce qui impose le respect, la laideur est ce qui choque parce que contraire au bon goût (voir ici). C’est là, et non dans une étape du jugement érotique, que la laideur devient repoussante, même si du coup on entre dans des évaluations variables selon la période historique. Et en même temps, c’est là que la sexualité "d'accouplement"  passe au second plan, puisque celle-ci est du domaine de la reproduction donc de l’espèce et nullement de l’histoire des civilisations : les femmes laides n’ont rien à voir avec les femmes fécondes.

Saturday, September 26, 2015

Citation du 27 septembre 2015

L'âge d'or était l'âge où l'or ne régnait pas. Le veau d'or est toujours de boue.
Graffiti de Mai 68, Théâtre de l'Odéon
Le veau d’or est toujours debout
Gounod – Faust  Acte II.

On appréciera au passage l’humour de nos jeunes révolutionnaires de 68 : ils maniaient le calembour avec autant d’aisance que les pavés (il faut dire qu’il était parfois aussi lourd). C’est bien loin tout ça… L’idée reste en revanche remarquablement stable : l’adoration de l’or (ou plutôt de l’argent) est synonyme de corruption ; de même, chez Gounod, c’est l’œuvre  de Satan. Raison pour la quelle les meneurs de mai-68 se sont totalement discrédités quand on a su, quelques années plus tard, qu’ils s’étaient rangés dans le camp des possesseurs de cartes bancaires (moins répandues qu’aujourd’hui).
Je note en effet que cet anathème jeté sur la recherche du profit est toujours présent et souvent dans des œuvres largement connues et débattues. Ainsi de Qui est Charlie, le livre contesté d’Emmanuel Todd, qui situe le point de dérapage de l’Europe-Unie au traité de Maastricht qui est selon lui l’adoration du veau d’or – c’est à dire de l’euro.

En quoi consiste le règne de l’or ? Question ambitieuse, qui demanderait des développements sérieux qui ont d’ailleurs déjà été faits. Pour moi, je dirai ceci : l’or ou l’argent, bref : la monnaie, est une abstraction, un signe de quelque chose d’absent. Selon certains l’argent est un signe, celui d’une reconnaissance de dette, une promesse de rendre cette valeur sous forme de biens matériels : ce sont eux qui sont absents. L’argent est le substitut d’un troc.
Dès lors, on comprend que vouloir accumuler de la monnaie peut ne pas avoir de limites. Je pourrais en effet être saturé de biens matériels, avoir suffisamment de territoire, avoir plus de soldats qu’il n’en faut pour ma garde personnelle, être repu de femmes et de parfums – mais quand donc aurais-je suffisamment d’argent ? Cette question n’est pratiquement jamais abordée par les riches : je me souviens de Thierry Margerie, malheureux Directeur général de Total (lui qui est mort dans un accident d’avion : son parachute doré ne l’a pas sauvé) qui répondait à la question de justifier ses énormes salaire : « Oui, peut-être bien que je n’ai pas besoin de tout cet argent… »
Certains comme  Bill Gates reconnaissent qu’ils ont le devoir de redistribuer une part de cet argent dans des œuvres de bienfaisance  (1) : on est dans une tradition nord américaine issue des Pères fondateurs (en grande partie protestants). Le mérite se mesure aux gains et quand ceux-ci dépassent les besoins individuels, alors il est juste de redistribuer sous forme de dons. On peut vivre avec le veau d’or qui a étable ouverte dans notre salon, mais il est bon de l’emmener promener chez les pauvres de temps en temps.
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(1) On pourrait aussi évoquer Warren Buffett, le milliardaire américain qui affirme ne pas payer assez d’impôts.