Tuesday, May 31, 2016

Citation du 1er juin 2016

Il semble que la nature, qui a si sagement disposé les organes de notre corps pour nous rendre heureux, nous ait donné aussi l'orgueil pour nous épargner la douleur de connaître nos imperfections
La Rochefoucauld – Maxime XXXVI

- Série larochefoucaldienne. Aujourd’hui : L’orgueil.
Croyez-vous que ces impitoyables moralistes du XVIIème siècle vont chercher à humilier l’orgueil dans le quel nous nous pavanons ? Pas du tout – et même : bien au contraire ! Ecoutez La Rochefoucauld : il nous faut l’imperfection de l’orgueil pour supporter le cortège de nos innombrables défauts !
Dissipons d’abord le paradoxe apparent : au contraire de ce que dit La Rochefoucauld, notre orgueil ne devrait-il pas nous faire souffrir de nos imperfections ? – Certes, ce serait le cas s’il ne comportait pas dans son fonctionnement même cette force d’illusion qui, nous faisant croire à notre grandeur, nous empêche de connaître nos imperfections. Exemple ? Le sot orgueil du paon qui se pavane en faisant la roue et qui n’imagine pas que du coup il montre son croupion ridicule et ses pattes de dindes.

Nous sommes pétris d’illusions et c’est le principe même de notre existence ; car déjà il nous faut oublier que nous sommes mortels. Autrefois, cet orgueil prétendait nous égaler aux Dieux. Aujourd’hui, plus besoin de Dieux : soyons nous-mêmes et par nous-mêmes immortels.
Faisons comme si nous ne devions, jamais mourir ! Envoyons les vieillards moribonds crever à l’hôpital, pour ne pas voir ce qui va nous arriver. Et (suprême raffinement) faisons mine de croire que s’ils sont morts, ce n’est pas naturel, qu’ils l’ont bien cherché par leur imprudence, par leur ignorance des précautions à prendre.
Et puis si on insiste un peu  nous allons évoquer le tranhumanisme de Google, selon le quel la mort n’a plus que quelques décennies encore à durer, ensuite on l’aura vaincue grâce aux progrès qui s’esquissent déjà dans des laboratoires secrets. Là où l’espèce se contentait de sauver nos gènes en les transmettant de générations en générations, les tranhumanistes prétendent les perpétuer dans notre propre existence.
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(1) Qu’on m’excuse pour ce terme pédant : je n’en ai pas trouvé d’autres. Il s’agit on l’aura reconnu, de l’adjectif qualifiant ce qui concerne La Rochefoucauld.

Monday, May 30, 2016

Citation du 31 mai 2016

Moi, j’aime quand je suis toute seule avec ma maman. Mais il faut des papas aussi : ils ont des petites boules sous le zizi pour faire des enfants.
Caroline – 3 ans. (Le prénom a été changé)
Interview « fêtes des mères » sur France Inter

Une remarque si charmante n’a pas pu être inventée par une enfant de trois ans : il faut bien que quelqu’un lui ait dit ça – peut-être justement pour contrer ce désir d’effacer tous ceux qui s’intercaleraient entre cette petite et sa maman chérie. Reste que ça dit encore pas mal de choses, à commencer par l’idée que les hommes sont faits pour la reproduction et que là pourrait (= devrait ?) s’arrêter leur fonction.
Je laisse intentionnellement la psychanalyse et son explication par la femme-castrée, parce qu’il faut selon moi prendre cette affirmation au ras de la conscience : tout comme les femmes apparaissent à certains hommes comme des machines à baiser et à perpétuer le lignage, l’homme apparait à certaines femmes comme  le moyen de mettre au monde des enfants – et de les protéger.
A partir de là, l’idée intéressante est que l’humanité devrait ne comporter qu’un seul sexe – masculin ou féminin, peu importe. D’ailleurs il s’en est fallu de peu puisque le Seigneur n’avait pas prévu autre chose et que s’il a été obligé de créer Eve, c’est parce qu’Adam, ce lourdaud, n’arrivait pas à se débrouiller tout seul. Du coup n’est-ce pas le narcissisme qui parle ici ? On explique parfois l’homosexualité par le désir d’étreindre sa propre image, mieux que Narcisse qui ne l’a cherchée que dans le reflet de la fontaine. On peut dire ainsi que les « mecs » qui s’agglutinent sur le canapé devant le foot en buvant des bières et en rotant bruyamment adoptent un comportement de meute pour éjecter les femmes, indésirables trouble-fêtes de cette virilité.
Mais les femmes aussi ont leurs fêtes entre copines, et puis leurs secrets de femmes, aussi éventés que ceux de la Maçonnerie, disposés comme remparts autour d’un domaine où elles sont sûres de pouvoir être plus femmes parce qu’entre femmes.
--> Eh bien voilà l’Euro de foot : les hommes dans les fan-zones ; les filles au restaurant entre copines, et tout le monde sera content. Généralisons ça ! 
Ah… Si seulement on pouvait faire comme si l’autre sexe n’existait pas ! Si seulement les grecs n’avaient pas inventé Eros, ce dieu qui n’engendre pas mais qui force à s’accoupler avec l’être différent !

Quoique : Jean-Pierre Vernant présente Eros comme le principe qui « rend manifeste la dualité, la multiplicité incluse dans l'unité » (lire ici). Vous m’avez compris les mecs : vous avez de la gonzesse au fond des tripes. Et vous mesdames, de la virilité éructantes au bord du cœur.

Sunday, May 29, 2016

Citation du 30 mai 2016

De toutes les vanités, la plus vaine c’est l’homme.
Montaigne
Montaigne a raison : quelque soit notre misanthropie, et même si c'est vanité, c’est quand même l’homme que nous aimons pardessus tout. Ou plutôt, l’Homme avec Grande et Belle majuscule, c’est à dire le genre humain. Après ça, libre à vous de détester tous les hommes en particulier parce qu’indignes selon vous d’en faire partie.
Maintenant nous pouvons nous demander s’il faut croire sérieusement que les hommes aiment l’humanité entendue comme l’ensemble des hommes passés présents et à venir. Considérons en effet le sort que nous réservons à nos enfants et aux enfants de nos enfants, alors qu’on pille allègrement les ressources qui leur seront nécessaires, et cela sans aucune honte : voilà qui est bien édifiant ! Détaillons :
- Déjà, la dette : nous sommes obligés de nous endetter rien que pour en payer les intérêts. On nous fait honte en nous disant que nous laisserons à nos descendants le soin de rembourser tout ça. Et tout ce que nous trouvons à faire c’est de hausser les épaules en disant : « Bof ! Ils n’auront qu’à ne pas rembourser ! » Demandons aux Grecs ce que ça veut dire…
- Ensuite, les ressources de la planète : plus de pétrole ! Ils auront intérêt à avoir des idées.
- Et encore : l’air que nous respirons, la nature qui nous environne, les rivières où nous nous baignons, où nous puisons l’eau que nous buvons ; si nous aimions véritablement l’espèce humaine, nous serions soucieux de léguer à nos enfants qui sont chargés de la perpétuer tout cela que nous avons reçus des générations qui nous ont précédés - et qui reste déterminant pour la survie des générations futures.

Mais voilà : on s’en moque éperdument. Ils n’auront qu’à inventer d’autres moyens pour vivre. Bien sûr on suppose qu’une fois qu’on aura cramé les champs et les bois, le désert qui restera sera un espace où ils pourront évoluer librement… Et puis ils auront surement trouvé un moyen d’épurer l’air et l’eau et puis des bactéries rongeuses de radioactivité.
Et s’ils ne le font pas ? Qu’importe ! Il suffit que nos chers enfants que nous aimons tant aient eu de quoi vivre. Après tout ils n’ont pas l’obligation de faire eux-mêmes des enfants.
C’est Hans Jonas (1) qui a introduit en morale l’obligation de respecter la vie future – et non pas seulement la vie de ceux qui coexistent avec nous, comme dans la morale classique. Mais il semble bien qu’il n’ait pas été vraiment entendu.
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(1) Hans Jonas – Le principe responsabilité

Saturday, May 28, 2016

Citation du 29 mai 2016

Maman, papa, en faisant cette chanson, / Maman, papa, je r'deviens petit garçon, / Et, grâce à cet artifice, / Soudain je comprends / Le prix de vos sacrifices, / Mes parents. / Maman, papa, toujours je regretterai, / Maman, papa, de vous avoir fait pleurer / Au temps où nos cœurs ne se comprenaient encor' pas, / Maman, papa, maman, papa.
Brassens – Maman Papa, chanson en duo avec Patachou
(paroles ici – en audio ici)
Aujourd’hui, jour de la fête des mamans on s’attend peut-être à ce que j’ironise sur cette désastreuse invention des marchands d’épilateurs électriques qui n’ont rien trouvé de mieux pour remplir leur tiroir-caisse que de détourner à leur profit l’amour des petits enfants pour leur maman ? Que nenni ! Allez, les Bout’chou ! Ce matin, embrassez votre maman en lui disant : « Maman, je t’aime ! »
… Ce que je voudrais signaler quand même c’est qu’il est curieux qu’on disjoigne ainsi les mamans des papas – surtout à l’époque où les genres s’entremêlent et où les papa-poules font bon ménage avec les mamans-coqs.
Un peu clivant comme remarque ? Bon – Reste que « Fête des mères ; Fête des pères ; Fête des grand-mère … » et puis quoi encore ? Vous ne trouvez pas que ça fait un peu beaucoup ? Pourquoi monnayer la Fête des parents en toutes ces fêtes ?
--> Fêtons donc directement les parents : c’est ce qu’avait compris dès 1952 Georges Brassens avec cette chanson (écrite je crois pour Patachou) ; on embrasse en même temps maman et Papa. D’ailleurs, pour un petit qu’est-ce que c’est qu’une maman là où il n’y a pas de papa ? Si cette question parait saugrenue, on admettra pourtant que sa réciproque ne l’est pas : un Papa sans une maman, et c’est la dépression qui gagne le foyer (1). Allez, les petits : chantez Brassens pour fêter maman-papa
Ou alors, apprenez à vos enfants que les rôles peuvent se mélanger, que la maman peut faire comme papa, et papa faire la maman -  et tant pis pour les psys qui vont rester en rade avec leur Œdipe sur les bras.
Nota bene – Ceux que ce Post a dégoutés peuvent lire la suite :
Toutefois je devine que les maitresses d’écoles maternelles elles aussi seraient hostiles à cette idée : le collier de nouilles ou le cendrier en plâtre verni ça va pour l’une pas pour l’autre et réciproquement.
En plus, parmi les parents, j’en connais qui sont anti-genre et qui refuseront que leur progéniture soit habituée à considérer qu’une papa et un maman c’est du pareil au même. Oui j’en connais qui vont jusqu’à exiger que les cadeaux de fête des mères soient non seulement « genrés » mais aussi « sexués ». Comme cela par exemple :

Vitrine d’antiquaire –  à Rouen ces jours-ci.
--> Petits enfants, vous qui cherchez un cadeau très féminin pour votre maman, offrez-lui un bourdaloue, et faites écrire dessus : « A ma Maman que j’aime de tout mon cœur »
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(1) On garde en mémoire cette chanson dépressive de Serge Reggiani : Le petit garçon.

Friday, May 27, 2016

Citation du 28 mai 2016

Le passé n’est pas passé – Il n’est même pas dépassé.
            Anonyme (probablement issu d’un sujet de dissertation de philo)
Le temps est la croix du philosophe, parce qu’il doit, selon son programme, dire quel est son mode d’existence. Ce qui, concernant le passé, est particulièrement agaçant puisqu’il faut déjà savoir quelles sont ses limites : qu’est-ce qui appartient au passé et qu’est-ce qui ne lui appartient pas ?
Même si on s’en tient à cette approche, on sent combien le passé historique comporte de points d’accroche irritants pour nos consciences qu’on croit engagées complétement dans l’actualité. Qu’on prenne l’exemple de la guerre d’Algérie ou même celui de l’occupation allemande, on peut constater que pour certains l’horloge s’est arrêtée au moment du  8 mai 1945 ou aux accords d’Evian (18 mars 1962). Ce passé n’est pas passé parce que rien n’a été résolu : ni le renoncement à l’Algérie française, ni la nostalgie du temps du Maréchal.


Wolinski – Vu ici
Nous aurions donc deux obligations symétriques et contradictoires vis à vis du passé : d'une part le devoir de mémoire et d'autre part l’obligation de tourner la page, c’est à dire d’oublier. Et ni l’une ni l’autre de ces contraintes ne parait réalisable – ni même légitime.
Je laisse de côté le devoir de mémoire, qui mêle de façon bancale la morale et la psychologie : les discours de nos dirigeants sont là pour détailler le programme ! Mais c’est la même chose avec l’obligation de continuer à vivre aux côtés de nos concitoyens qui n’ont pas respecté les mêmes valeurs que nous : les blessures des conflits passés ont besoin de soins pour se refermer et il n’est pas du tout sûr que le temps puisse le faire. On peut le vérifier avec les trahisons amoureuses : on survit certes ; mais on n’oublie jamais. Et dans l’histoire, il faut faire comme si rien ne s’était passé, reprendre la vie courante avec le boucher collabo ou avec l’arabe-du-coin qui fut FLN – et aussi avec le FN maréchaliste.

Or pour que le passé se referme et laisse libre passage au flux du présent, il faudrait le pardon c’est à dire un peu de sagesse – ou d’amour. Et ça, on ne peut pas dire que tout le monde en ait.