Monday, August 31, 2009

Citation du 31 août 2009

Les grands mangeurs et les grands dormeurs sont incapables de quelque chose de grand.

Henri IV


C’est vrai que, quand nous irons voter pour élire notre prochain président, nous devrions nous renseigner pour savoir quelles sont les habitudes intimes des candidats : aiment-ils manger, dorment-ils beaucoup, recherchent-ils les plaisirs de l’amour, etc ? Je suis sûr que les magasines people auront à cœur de remplir une tâche aussi éminemment citoyenne…

Mais enfin, pourquoi donc notre bon roi Henri a-t-il critiqué spécialement les manageurs et les dormeurs ? Les dormeurs encore, admettons : pendant qu’ils dorment le monde continue d’avancer, mais sans eux. Mais les mangeurs ? Même s’il pensait plutôt aux bâfreurs qu’aux gourmets, qu’est-ce qui les empêche d’être à l’œuvre dans de grands projets ?

Je suppose ceci : les dormeurs et les mangeurs sont des gens qui se contentent de peu ; ils sont heureux en dormant et en mangeant, c’est dire qu’ils n’ont pas cette insatisfaction fondamentale qui en pousse d’autres à se dépasser sans cesse pour être un peu contents d’eux.

L’erreur n’est-ce pas consisterait à croire que c’est la sensualité qui stérilise l’action humaine. Pas du tout : c’est la tranquillité de l’esprit, car c’est l’angoisse, la manie, le narcissisme obsessionnel qui nourrissent la création.

L’homme normal est incapable de grandes choses, et c’est bien évident, car autrement tout le monde en accomplirait.

Celui qui fait de grandes choses est un homme anormal, un névrosé qui doit son génie à sa névrose.

Sunday, August 30, 2009

Citation 30 août 2009

Ne combat jamais un homme qui n'a rien à perdre.
Baltasar Gracian (voir également ici)

Voilà un conseil facile à comprendre : combattre jusqu’à la mort, prendre tous les risques, voilà ce que l’homme pourvu de biens hésitera à faire, car il a trop à perdre. Par contre, celui qui ne possède rien, celui dont le lendemain n’est même pas garanti, celui-là est dangereux car il est capable de risquer sa vie pour bien peu de chose…
Mais un conseil peut en cacher un autre : si celui qu’on vient de détailler est bien connu, par contre on songera moins spontanément à sa conséquence : fais en sorte que personne – et surtout pas ton ennemi – n’ait rien à perdre.
Oui, mais dira-t-on, nous ne sommes pas tous des potentats ayant en leur immense pouvoir des biens à distribuer – un peu comme ce roi de France(1) donnant la Normandie aux Wikings pour calmer leur appétit de pillage…
Reste que si nous négocions avec des adversaires, il nous est possible de leur laisser un gain suffisant pour qu’ils aient envie de ne pas le perdre s’ils prennent l’initiative de la rupture.
C’est peut-être le b-a. ba de la négociation. Mais on l’oublie peut-être un peu trop lorsque on voit les innombrables négociations des plans sociaux aujourd’hui, où chacun donne l’impression de vouloir emporter toutes la mise.
Tout cela conforte l’idée qui nous a été suggérée par un commentateur à propos du « pragmatisme » de Notre-Président : il est nous dit-on avocat d’affaire de formation. Or l’avocat d’affaire est un spécialiste de la négociation plus que de la plaidoirie. Un bon accord vaut mieux qu’un mauvais procès ; le pragmatisme présidentiel trouverait son secret là-dedans. Accepter de perdre du terrain pour en conserver plus que si on livrait un combat sans merci (2)
Reste que, une fois que ton ennemi est pourvu de son lot, il est encore un homme qu’il faut combattre.
(1) Il s’agit de Charles le Simple comme dit mon Encyclopédie habituelle.
(2) On songe par exemple au CPE de Dominqiue de Villepin

Citation du 29 août 2009

Nous n'avons rien à nous que le temps.

Baltasar Gracian – l’homme universel


Séquence souvenir : l’époque de nos lointaines rentrées scolaires, quand le prof de philo préparait ses élèves à leur première dissertions, choisissant un sujet bien classique :

On a dit : l’espace est la dimension de notre puissance, le temps est celle de notre impuissance. Qu’en pensez-vous ?

Rassurez-vous, il ne s’agit pas de savoir ce que vous en pensez (d’autant que vous n’en avez peut-être rien à faire).

Non, c’est plutôt pour faire comprendre l’étonnement que peut susciter la citation de Gracian. Si le temps est ce qui nous appartient, comment se fait-il que nous soyons impuissants à le gouverner ?

Et en effet : quand on pense aux regrets que suscitent les souvenirs – rappelez-vous, ces dernières vacances, la boite de nuit au bord de la plage, la moiteur des slows avec une fille sublime, forcément sublime…

Et votre grand-père (oui, celui qu’on a rencontré il n’y a pas longtemps, le spécialiste d’Emmanuelle Arsan), ne répète-t-il pas qu’il faut ne jamais gaspiller son temps, parce que la vie est bien courte…

Bon pas besoin de vous faire un dessin : lors que nous disons que nous avons le temps, c’est en général parce qu’il nous importe peu. Dès qu’il devient central pour notre action, alors il commence à être rétif, il file plus vite que le vent : on devine qu’il ne nous appartient pas, qu’il peu en effet nous être utile, mais sûrement pas qu’il nous obéit.

Pour illustrer cette idée le plus simple est peut-être de rappeler ce passage d’Alice au Pays des merveilles, intitulé Un thé chez les fous.

Alice arrive chez le Chapelier pour prendre le thé, et elle trouve les convives installés devant une immense table, buvant leur tasse de thé ; après l’avoir reposée, ils se décalent d’une place, prennent une nouvelle tasse qu’ils boivent à nouveau. Alice s’étonne, on lui répond que le chapelier s’est fâché avec le temps (parce que nous dit-on, il voulait marquer le temps). Du coup, le temps s’est arrêté, et désormais, c’est toujours l’heure du thé, jamais celui de faire la vaisselle.

Voilà : ça suffit pour dire que le temps nous est indispensable pour accomplir n’importe quelle action ; mais ce n’est sûrement pas suffisant pour dire qu’il nous appartient.

Thursday, August 27, 2009

Citation du 28 août 2009

Il est hélas devenu évident aujourd'hui que notre technologie a dépassé notre humanité.

Albert Einstein

On se dit d’abord que Einstein, le génie qui n’a pas dédaigné de mettre ses mains dans le cambouis de la technologie de la bombe A, doit savoir ce qu’il dit quand il affirme que l’humanité est maintenant dépassée par ses inventions technologiques.

Dépassée ? En quel sens ?

Je ne crois pas qu’Einstein parle de l’humanité au sens de disposition morale bienveillante, parce qu’on imagine qu'il pense plutôt à la technique comme moyen utilisé par la férocité humaine pour se renforcer ; moyennant quoi, ce serait l’humanité comme collection de tous les hommes existant qui serait visée ici.

Et d’imaginer que notre époque est celle de l’autodestruction de l’humanité, de l’extinction de l’espèce détruite par elle-même. Et c’est vrai que la peur de la 3ème guerre mondiale a été nourrie de ce genre de réflexion.

Et puis, on se dit que croire qu’on attendu les progrès techniques pour génocider l’espèce ce n’est pas si évident que ça et que l’humanité a toujours eu les moyens de se détruire.

- Rwanda 1994 : 700000 morts à la machette. C’est avec une technologie qui date de l’age du fer (quelques millénaires en arrière) que les Rwandais sont arrivées à ce résultat. Et je ne parle pas des camps d’extermination nazis, abattoirs humains qui n’étaient guère high-tech.

Alors, c'est vrai dans tous ces cas les génocideurs ne risquaient pas d'être victime de leur propre férocité.

Mais on savait pourtant que c'était possible: les victoires à la Pyrrhus, ça ne date pas d'hier.(1)


(1) Dénombrant les pertes subies par son armée à la victoire d'Ausculum, il aurait déclaré: "Si nous devons remporter une autre victoier sur les romains, nous sommes perdus".

Wednesday, August 26, 2009

Citation du 27 août 2009


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Les inventeurs visionnaires : Platon et la télévision.
- …penses-tu que dans une telle situation ils [= les prisonniers de la caverne] aient jamais vu autre chose d'eux-mêmes et de leurs voisins que les ombres projetées par le feu sur la paroi de la caverne qui leur fait face ?
- Et comment ? observa-t-il, s'ils sont forcés de rester la tête immobile durant toute leur vie ?
- Et pour les objets qui défilent, n'en est-il pas de même ?
- Sans contredit.
Platon République VII (515a)
Pour un extrait un peu plus long, cf. infra. Pour le passage complet avec les images, cliquer ici
Ah !... La caverne de Platon… Imaginez le nombre d’innocents lycéens qui vont prochainement entrer tout frissonnant de curiosité dans leur premier cours de philosophie et qui vont se cogner la tête contre son plafond. Car, il faut le savoir, bien des profs de philo, désireux de faire comprendre qu’on n’apprend de la philosophie qu’au prix d’une conversion de l’esprit et de sa pénible ascèse, font de cet extrait le contenu de leur premier cours.
Bon, passons… Ce superbe texte a été aussi un excitant pour des amateurs de Science Fiction autour du film Matrix… Respect, d’autant que d’éminents philosophes n’ont pas dédaigné de se pencher sur le parallèle (1).
Moi, modestement, je me contenterai de relever qu’ici Platon ne fait rien d’autre que d’inventer la télévision. Et plutôt TF1 qu’arte si vous voyez ce que je veux dire…
L’idée que nous avons ici, c’est que la télévision, au lieu d’être une fenêtre ouverte sur le monde (une étrange lucarne comme disait le Canard enchaîné) est un substitut de la réalité, quelque chose qu’on prend pour la réalité, mais qui n’en est pas.
Toute la question est alors : qu’est-ce qu’on voit sur la paroi-écran de la caverne ?
Dans le texte de Platon, il s’agit de tout ce qui nous entoure, l’illusion consistant à prendre le monde sensible pour le monde réel.
Mais pour nous, ce que la télévision nous donne à voir, comme si c’était la réalité, c’est l’objet de nos désirs. Ni plus ni moins. Telle est notre caverne – elle s’appelle certes Télé-réalité, mais on voit bien qu’on doit trafiquer la réalité pour qu’elle coïncide avec nos désirs.
Oubliez la réalité, entrez dans le monde du fantasme.
Quoi ? Vous le trouvez creux et vulgaire ?
Oui… J’oubliais : c’est le monde des fantasmes des ménagères de moins de 50 ans.
(1) Je veux parler de Matrix, machine philosophique édité chez Ellipses. Voir ici
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Extrait :
(514a) Maintenant, repris-je, représente-toi de la façon que voici l'état de notre nature relativement à l'instruction et à l'ignorance. Figure-toi des hommes dans une demeure souterraine, en forme de caverne, ayant sur toute sa largeur une entrée ouverte à la lumière ; ces hommes sont là depuis leur enfance, les jambes et le cou enchaînés, de sorte qu'ils ne peuvent bouger ni voir ailleurs que devant eux (514b), la chaîne les empêchant de tourner la tête ; la lumière leur vient d'un feu allume sur une hauteur, au loin derrière eux ; entre le feu et les prisonniers passe une route élevée : imagine que le long de cette route est construit un petit mur, pareil aux cloisons que les montreurs de marionnettes dressent devant eux, et au-dessus desquelles ils font voir leurs merveilles.
Je vois cela, dit-il.
Figure-toi maintenant le long de ce petit mur des hommes portant (514c) des objets de toute sorte, qui dépassent le mur, (515a) et des statuettes d'hommes et d'animaux, en pierre, en bois, et en toute espèce de matière ; naturellement, parmi ces porteurs, les uns parlent et les autres se taisent.
Voila, s'écria-t-il, un étrange tableau et d'étranges prisonniers.
Ils nous ressemblent, répondis-je ; et d'abord, penses-tu que dans une telle situation ils aient jamais vu autre chose d'eux-mêmes et de leurs voisins que les ombres projetées par le feu sur la paroi de la caverne qui leur fait face ?
Et comment ? observa-t-il, s'ils sont forcés de rester la tête immobile (515b) durant toute leur vie ?
Et pour les objets qui défilent, n'en est-il pas de même ?
Sans contredit.
Si donc ils pouvaient s'entretenir ensemble ne penses tu pas qu'ils prendraient pour des objets réels les ombres qu'ils verraient ?
Il y a nécessité.
Et si la paroi du fond de la prison avait un écho, chaque fois que l'un des porteurs parlerait, croiraient-ils entendre autre chose que l'ombre qui passerait devant eux ?
Non, par Zeus, dit-il.
Assurément, repris-je, (515c) de tels hommes n'attribueront de réalité qu'aux ombres des objets fabriqués.
C'est de toute nécessité.
Platon République VII (514a-515c)

Citation du 26 août 2009

L'éternel amour peut durer une seule nuit, parce que l'éternité n'est pas ce qui fait durer, mais ce qui abolit la durée.

Emmanuelle Arsan – Emmanuelle IV

- Grand Père, Grand Père tu as lu Emmanuelle Arsan ?

- Quoi ?

- Tu es sourd Grand Père ? Emmanuelle Arsan, la philosophe qui a écrit 4 volumes intitulés Emmanuelle. C’est sur Sœur Emmanuelle ?

- Petit voyou ! Tu as fouillé dans ma bibliothèque ?

- Te fâche pas Grand Père, je n’ai pas fouillé dans tes affaires. C’est sur Internet que j’ai trouvé ça, une citation qui parle de l’amour qui abolit la durée. Comme je sais que tu as fait de la philo dans ta jeunesse je me suis dit comme ça : « Sûr que Grand Père il va m’expliquer ce que ça veut dire »

- Bon. Tu me rappelles cette citation ?

- L'éternel amour peut durer une seule nuit, parce que l'éternité n'est pas ce qui fait durer, mais ce qui abolit la durée.

- Oui, je vois. Tu sais mon petit il y a des choses que tu ne comprendras que quand tu seras grand, parce que là, c’est un peu tôt.

- Pourquoi Grand Père, pourquoi ? Je croyais que maintenant on faisait de la philo dès l’école maternelle ?

- C’est que cette citation pratique la philosophie expérimentale vois-tu. Pour comprendre ce que ça veut dire, il faut non pas analyser des idées, mais faire certaines choses – et que ces choses-là, tu ne peux pas encore les faire.

- Ben pourquoi je peux pas ?

- Parce qu’il faut d’abord que ton corps change mon petit…


N.B. Si comme ce pauvre enfant vous n’avez aucune idée de ce que fut la vie et l’œuvre d’Emmanuelle Arsan, cliquez vite ici.

Si votre soif de spiritualité éveillée par ce charmant Post n’a pas été assouvie, vous pouvez toujours essayer ça.

Monday, August 24, 2009

Citation du 25 août 2009

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D'où vient qu'un boiteux ne nous irrite pas, et un esprit boiteux nous irrite ? À cause qu'un boiteux reconnaît que nous allons droit, et qu'un esprit boiteux dit que c'est nous qui boitons ; sans cela nous en aurions pitié et non colère.
Blaise Pascal – Pensées (Fragment 101)
un esprit boiteux dit que c'est nous qui boitons… Jolie manière de faire comprendre que l’arrogance des sots est sans limite et que c’est cela que nous ne leur pardonnons pas.
Qu’un sot soit un sot, nous pouvons encore lui pardonner : il est peut-être né comme ça. Mais qu’il nous dise que lui est intelligent que lui a compris et que c'est nous qui sommes les imbéciles, voilà ce qui est impardonnable.
Oui mais voilà : chacun aura compris que rien ne nous dit que le sot ce n’est pas nous qui croyons avoir raison : après tout nous disons exactement la même chose que lui : c’est toi qui boites.
[Remarquez que Pascal n’est absolument pas troublé par cette objection : il suffit que nous croyons être mis en cause par un vrai sot pour que s’explique l’irritation dont cette Pensée fait l’objet]
Mais nous avons peut-être un moyen de comprendre. Vous êtes forcément comme moi : vous connaissez des gens qui a tout bout de champ laissent tomber ce jugement sans appel : c’est un con. Si vous vous risquez à demander « Qu’est-ce que c’est qu’un con ? », vous n’aurez je crois bien pour toute réponse qu’un haussement d’épaule.
Un con – un sot – est un con, il n’y a rien à en dire sinon qu’il est con de la tête au pied, 24 heures sur 24. Il est con, c’est sa nature, et non pas une façon épisodique d’être (1). C’est parce qu’il appartient à une race différente, qu’on ne peut comparer à nous justement parce que nous n’avons rien en commun avec elle – c’est pour ça qu’on ne peut rien en dire. Il n’est ni plus ni moins que nous : il est autre, radicalement autre…
Avec le boiteux d’esprit, il y a un point d’accord : nous ne marchons pas de la même manière.
Oui, mais si – contrairement à ce que dit Pascal – la norme de l’esprit droit n’existait pas ? Nous serions, nous les gens « intelligents » d’accord avec cet « imbécile », d’accord pour chercher à exclure l’autre de la « race » des gens normaux.
Et si la « connerie » c’était précisément ça ?
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(1) Vérité que chantait Brassens:  Le temps  ne fait rien à l'affaire / Quand on est con, on est con.

Sunday, August 23, 2009

Citation du 24 août 2009

Un joli mot que Régnier m'a raconté cette après-midi, de M. Nisard, notre ambassadeur à Rome.
Dans un groupe, on parlait d'un absent.
- C'est un imbécile, dit l'un,
- C'est un sot, dit un autre.
- C'est un con, dit un troisième.
- Vous exagérez, dit M. Nisard. Il n'en a ni l'agrément, ni la profondeur. »
Paul Léautaud – Journal littéraire 2 février 1909

Et revoici le con, adorable objet dont on a si souvent disserté ici (1) ? N’en a-t-on donc pas encore fait le tour ?
Rassurez-vous, chers lecteurs. Plutôt que de lasser votre patience avec je ne sais quel fétichisme, c’est du mot d’esprit que je voudrais vous entretenir aujourd’hui.
Car en effet, notre ambassadeur à Rome joue sur les mots comme on le constate,
Freud dans son étude sur le Mot d’esprit croit pouvoir dire qu’il faut être trois pour qu’il existe : celui qui l’énonce, celui qui en rit, et un troisième qui en sera victime, soit qu’il soit dénigré par l’ironie ; soit – mieux encore – qu’il reste incapable de la comprendre. Rire de celui qui est exclu par son imbécillité... Le pied !
Dans le mot d’esprit cité ici, il n’y a que deux protagonistes : celui dont on se moque est absent ; serait-il incapable de le comprendre ? Peut-être, mais nous n’en savons rien..
Pourtant je crois que là comme ailleurs le mot d’esprit a une fonction agressive, qui est d’afficher sa supériorité dans une conversation : déjà parce qu’on retire l’initiative à celui qui parlait en recentrant la conversation sur ce registre (à moins qu’on soit dans un concours de plaisanteries). Et puis aussi – et surtout – parce qu’on affirme la supériorité de son esprit sur tous les autres qui n’ont pas su saisir l’opportunité de faire eux-mêmes le bon mot.
Avoir de l’esprit, cela faisait sans nul doute partie de l’art de la conversation qu’on prisait tant dans l’aristocratie du XVIIIème siècle. Le joli mot de M. Nisard en fait partie.

(1) Voir ici et

Saturday, August 22, 2009

Citation du 23 août 2009

Le besoin de certitude a toujours été plus fort que le besoin de vérité.

Le Bon – Aphorismes du temps présent (1913)

Dans la série « Pourchassons les platitudes et les enfonceurs de portes ouvertes », la citation d’aujourd’hui constitue un gibier de choix…

Car dites moi si ça vous apprend quelque chose de dire que les gens – n’importe qui sauf vous et moi, bien sûr – se moquent de la vérité du moment qu’ils ont la certitude ? Ou si vous préférez qu’on n’appelle vérité que ce qui est accompagné d’une intime conviction. Ou encore, qu’on n’aime la vérité que pour autant qu’elle met un terme aux doutes et aux débats…

Mais, pas si vite ! Déjà, on ne peut passer à la trappe l’existence des vérités absolument prouvées et qui nous dérangent. Ce n’est donc pas tant le besoin de certitude que celui de conserver nos opinions qui nous importe. La peur du problème – la peur de l’x disait Nietzsche – n’est donc pas le seul motif qui nous pousse à nous accrocher comme des malheureux à nos croyances.

Ces croyances nous représentent, elles sont une part de nous mêmes, on ne peut les réfuter sans nous infliger une blessure. Narcissique la blessure ? Peut-être, tout dépend de l’origine de ces convictions intimes.

Parce que toutes nos convictions ne sont pas l’objet de notre sollicitude, seules certaines d’entre elles en bénéficient. D’où viennent-elles ? Les psychosociologues parlent de représentations socioculturelles pour désigner les préjugés qui viennent de notre milieu social, c'est-à-dire de celui où nous avons grandi.

C’était aussi l’opinion de Descartes qui écrit que l’origine des préjugés se trouve dans la petite enfance où l’autorité de nos précepteurs associé à nos passions à réussi à tromper notre crédulité et à nous égarer (1).

Nos erreurs sont autant de souvenirs chéris de notre petite enfance, ce sont elles qui nous ont bercés pour nous endormir et consolés quand nous avions mal.

Père Noël, qui donc a réussi à me persuader que tu n’existais pas ?


(1) « je pensai que, pour ce que nous avons tous été enfants avant que d'être hommes, et qu'il nous a fallu longtemps être gouvernés par nos appétits et nos précepteurs, qui étaient souvent contraires les uns aux autres, et qui, ni les uns ni les autres ne nous conseillaient peut-être pas toujours le meilleur, il est presque impossible que nos jugements soient si purs, ni si solides qu'ils auraient été, si nous avions eu l'usage entier de notre raison dès le point de notre naissance, et que nous n'eussions jamais été conduits que par elle. » Descartes – Discours de la méthode, 2ème partie

Friday, August 21, 2009

Citation du 22 août 2009

C’est à vous républicains à achever votre ouvrage et à purger la France de tous les jean-foutres qui ont partagé les crimes de ce tyran (=Louis XVI). Ils sont encore en grand nombre, sa femme et sa bougre de race vivent encore : vous n'aurez de repos que lorsqu'ils seront détruits. Petit poisson deviendra gros, prenez-y garde, foutre, la liberté ne tient qu'à un cheveu.

Hebert. Oraison funèbre de Louis Capet, dernier roi des Français, prononcée par le Père Duchesne (le Père Duchesne, n° 212 - janvier 1793)

foutre, la liberté ne tient qu'à un cheveu. J’ai failli ne retenir que cette fin de citation, et puis je me suis dit que privé de son contexte révolutionnaire, la rhétorique du Père Duchesne risquait de dérouter.

Pourtant sa remarque tient toujours la route : le liberté est un bien si fragile… ne la laisse pas tomber (comme dit la chanson).

Comment en viendrait-on à perdre sa liberté ? Le Père Duchesne est clair : il y a une race de tyrans qu’il suffit d’éteindre pour être tranquille. Mais, tant qu’ils vivront : alors, oui – la liberté sera fragile.

Mais il faut dire que le Père Duchesne, malgré toute la sympathie qu’on a pour lui a une réflexion un peu courte. S’il avait lu La Boétie, il saurait que les tyrans n’ont pas de victimes, ils n’ont que des complices. Les hommes aiment obéir et être asservis, ils sont habités par un désir de servitude voilà ce qui explique la faiblesse des résistances rencontrées par les despotes.

Pourtant, d’autres analyses expliquent la fragilité de la liberté, je les évoque rapidement :

- Rousseau pour qui le peuple ne crie à l’attentat liberticide que quand on s’en prend à sa bourse, ce que les despotes avisés, écrit-il, ne font qu’en dernier.

- Kant, pour qui c’est la paresse et la lâcheté qui explique la soumission à l’autorité.

- Sartre pour qui la liberté est une épreuve parce qu’elle met en jeu notre responsabilité, au point qu’on aime faire comme si notre liberté n’existait pas, afin de reprocher nos déceptions à d’autres plutôt qu’à nous-mêmes.

Et nous ? Ce que nous recherchons comme étant notre liberté n’est-ce pas justement ce qui nous prive de liberté ? La consommation, le désir de sécurité, l’amour du troupeau… Les papys et les mamies qui étaient à Woodstock il y a 40 ans le savent bien : ils n’ont vécu qu’une utopie, qui comme toutes les utopies, ne devait pas durer.

Viva las cadenas, comme clament les autruches dans le film de Louis Buñuel (1)…


(1) Si je ne me trompe pas il s’agit du Fantôme de la liberté

Thursday, August 20, 2009

Citation du 21 août 2009

- Messieurs les Anglais, tirez les premiers !

Voltaire – Précis du règne de Louis XV, (Récit d’un épisode de la bataille de Fontenoy le 11 mai 1745)

On lira cet excellent récapitulatif des commentaires sur cette répartie du comte d’Anteroche, répondant au capitaine anglais qui l’invitait à ouvrir le feu : « Messieurs, nous ne tirons jamais les premiers ; tirez vous-mêmes ».

Il ne nous importe guère de savoir si cette réplique a été ou non prononcée : il nous suffit de remarquer qu’elle a été retenue comme représentative de la politesse et de l’insouciance d’une certaine noblesse et d’un certain siècle.

Car c’est bien de cela qu’il s’agit : même au combat, les usages de la Cour restent impératifs, comme si Versailles n’avait pas d’autres frontières que celles du monde, et qu’un champ de bataille soit analogue à un salon aux plafonds dorés.

Est-ce de l’inconscience ? Sans doute. Mais cette inconscience consiste en une confusion ou un oubli : confusion entre un salon doré de Versailles et un champ de bataille. Oubli que les lois qui y règnent ne sont pas les mêmes.

Reste que les objectifs peuvent fort bien quant à eux être absolument identiques. Croit-on que le comte d’Anteroche ne souhaitait pas vaincre ? Non – il souhaitait semble-t-il ne pas être l’agresseur et répondre à la décharge anglaise par un feu roulant de ses canonniers.

Il y a donc de l’agressivité jusque dans la politesse, et si elle n’a pas d’application sur un champs de bataille, rien ne dit qu’il n’y ait pas de lieux où elle permette de remporter la victoire.

Il s’agit donc d’un monde d’affrontement où la politesse est un élément stratégique qu’il faut mettre en œuvre sans quoi on serait mis hors jeu d’emblée.

Tel était le Versailles du comte d’Anteroche ; tel est le business asiatique aujourd’hui.

Wednesday, August 19, 2009

Citation du 20 août 2009

Si vous voulez plaire aux femmes, dites-leur ce que vous ne voudriez pas qu'on dît à la vôtre.

Jules Renard – Journal

dites-leur ce que vous ne voudriez pas qu'on dît à la vôtre

Vous avez remarqué, hein ?

« Qu’on dît à la vôtre » : subjonctif imparfait du verbe dire. Même mon correcteur d’orthographe ignore ce qu’est le subjonctif imparfait : il me demande de supprimer l’accent circonflexe ! Rendez-vous compte : les concepteurs de ce dictionnaires ignorent donc qu’il y a un subjonctif imparfait en français – et que la concordance des temps ne nous laisse pas le choix. Il faut pourtant l’utiliser, content ou non. (1)

Alors, je sais bien que l’usage est de se défiler devant l’emploi de ce temps du subjonctif, et que même on veut nous faire croire que son emploi alourdit la phrase au point de la rendre ridicule. Et certains de dire que seuls des gens comme Jean-Marie Le Pen l’utilisent encore…

Mais enfin, qu’est-ce qu’on veut ? Etre seulement écouté ou bien être en plus compris? Veut-on parler sans choquer, un peu comme de l’eau tiède, ou bien dire très exactement ce que l’on pense ?

Ecrivez : « Dites-leur ce que vous ne voulez pas qu’on dise à la vôtre » : les deux évènements sont situés dans le même temps, ou du moins leur succession est strictement logique. Vous êtes en effet dans le simple enchaînement logique : si A, alors B. Si tu baratines ma femme, alors moi pas contentent.

Alors je propose de créer une association pour l’emploi du subjonctif imparfait en français, et que des campagnes d’information soient dispensées pour en vulgariser l’emploi. J’aurais aimé aussi que les écoles l’inscrivissent dans leurs programmes, afin que dès leur plus jeune âge les enfants s'accoutumassent à sa douce musicalité.


(1) Besoin d’un recyclage en grammaire ? Essayez ça.

Voir aussi le poème d’Alphonse Allais (déjà cité dans mon Post du 19 novembre 2008)

Tuesday, August 18, 2009

Citation du 19 août 2009

On prétend que Dieu a fait l'homme à son image, mais l'homme le lui a bien rendu

Voltaire

En faisant les Dieux à l’image des hommes, ce sont les hommes qui se prennent pour Dieu.

Et pourtant, personne, pas même Dieu n’a le pouvoir de faire une copie absolument parfaite : il lui manquera toujours quelque chose pour être identique au modèle. Une bonne partie du platonisme s’est construite là-dessus.

Aussi, on peut bien supposer que Voltaire insiste sur un fait évident, mais qu’on oublie bien souvent : si Dieu n’a pas voulu être homme (encore qu’Il s’incarne dans Son Fils pour y parvenir (1)), l’homme en revanche ne cesse de se prendre pour Dieu.

Et c’est bien cela le problème : la copie veut prendre la place du modèle, sans tenir compte du décalage inévitable entre elle et Lui. Il ne s’agit pas de croire en des Dieux qui seraient, comme chez Homère, des hommes héroïsés, car leur pouvoir en est amoindri du fait des multiples conflits qui secouent l’Olympe. Non, notre modèle, c’est le Tout-Puissant, seul et unique maître de l’univers. Et nous voulons que nos passions humaines : la jalousie, la colère deviennent aussi des comportements de cet Etre là. Mais c’est bien que me prenant pour Dieu, ma jalousie devient totalement justifiée avec sous les débordements ; ma colère devient une sainte colère, etc…


(1) Complément blasphématoire pour incroyants

N’allons pas trop vite : le question de l’Incarnation est de celles dont on en se défait pas si facilement.

Et en effet : chez les grecs, Zeus n’arrête pas de prendre les traits humains pour, tester les hommes, tenter et surtout séduire les femmes… Or, voilà que le Dieu des chrétiens lorsqu’il veut sauver les hommes et racheter leurs péchés ne prend pas l’aspect humain, mais délègue ce pouvoir à son fils – le quel est un dieu de sang mêlé, ce que les grecs auraient appelé un héros. C’est que le sacrifice est dans la feuille de route du Sauveur, et que ce serait singulièrement compliqué d’impliquer Dieu là dedans.

Monday, August 17, 2009

Citation du 18 août 2009

S'il n'y avait en Angleterre qu'une religion, le despotisme serait à craindre ; s'il y en avait deux, elles se couperaient la gorge ; mais il y en a trente, et elles vivent en paix et heureuses.

Voltaire – Lettres philosophiques

Voilà comment se justifie la laïcité anglo-saxonne : la paix civile repose sur la multiplicité des religions : plus il y en a et plus l’espace de la vie civile sera neutre.

Notons donc l’essentiel : cette laïcité ne dépend pas – ou pas seulement – des lois imposant la tolérance, mais bien de l’existence des religions elles-mêmes.

Quand Voltaire accompagnait sa signature de l’injonction e.i. (= écrasons l’infâme), ce qu’il visait c’était le fanatisme de la religion catholique qui avait éliminé toute autre forme de religion en France à commencer par le protestantisme.

Une seule religion, c’est le despotisme parce que le pouvoir politique et le pouvoir religieux vont se confondre

Que deux religions coexistent et sans que le pouvoir politique ait à s’en mêler elles vont déclencher les plus horribles des guerres, les guerres religieuses qui sont aussi des guerres civiles.

Trente religions, et voilà la paix assurée sans que le pouvoir politique ait à s’en soucier, parce qu’aucune d’entre elle n’ayant l’espoir de dominer les autres ne cherchera à les détruire. Voltaire pense ici à l’Angleterre et ses multiples sectes protestantes, mais on cite souvent aujourd’hui le cas de l’Inde, où la pluralité des religions apparaît comme une évidence, troublée par des massacres seulement quand deux d’entre elles se battent pour la suprématie.

Le problème qu’on se pose à l’époque de Voltaire concernant les religions n’est pas celui de la désacralisation du pouvoir, comme ce sera le cas avec la révolution française (1) ; il est celui de la tolérance quand à la pratique du culte. Et tolérer le culte des autres, c’est ne pas les empêcher de le pratiquer, et rien d’autre.

On voit combien la laïcité française est éloignée de ce modèle (n’oublions pas que Voltaire, quoique proche des mouvements qui porteront la révolution, ne cherche pas un nouveau modèle politique : il a celui de l’Angleterre et il le trouve fort satisfaisant). Il s’agit de définir une sphère civile rigoureusement distincte de la sphère religieuse. Au lieu de compter sur le nombre des religions pour se neutraliser mutuellement, on va pour habiter cette sphère inventer un homme nouveau, un homme a-religieux, un homme universel.

Inventer l’homme nouveau, c’est strictement ce que cherchent à faire toutes les révolutions.

Et ça loupe à tous les coups.


(1) Pas tant que ça d’ailleurs : cf. le culte de l’Etre suprême.

Sunday, August 16, 2009

Citation du 17 août 2009

Les inventions les plus étonnantes et les plus utiles ne sont pas celles qui font le plus d'honneur à l'esprit humain.

Voltaire Lettres philosophiques,

Qu’est-ce qu’il veut dire Voltaire ?

Que les inventions utiles sont en même temps les moins sophistiquées ? Ou bien qu’elles ne prennent pas particulièrement en charge des fonctions très relevées de la vie des hommes ? Ou les deux à la fois ?

Oui, c’est peut-être cela…

Vérifions :

- l’empereur Vespasien, bienfaiteur des hommes pour avoir « inventé » la vespasienne (enfin on dira ça) : pourquoi pas ?

- Le préfet Poubelle, inventeur de la boite à ordure, et de l’obligation de l’utiliser qui va avec…

- Le docteur Guillotin promoteur de la guillotine…

Là on va se récrier : si les autres ont créé de l’hygiène et contribué à l’assainissement des villes, on n’en dira pas autant de Guillotin ! Mais avant de protester, voyons de plus près ce qui s’est réellement passé (voir le détail ici).

Il s’agit pour ce député de la Constituante – nous sommes en octobre 1789 et le docteur Guillotin est député du tiers état de Paris – de « démocratiser » la mise à mort des criminels. En effet, jusqu’alors, l'exécution de la peine capitale différait non seulement selon le forfait mais encore selon le rang social du condamné : les nobles étaient décapités à l’épée, les roturiers à la hache, les régicides écartelés, les hérétiques brûlés, les voleurs roués ou pendus. Que tout le monde soit décapité de la même façon et de la manière la moins douloureuse possible, voilà ce qui contribue à la démocratie en 1789. N’oublions pas que nous sommes dans l’idéologie de l’universalité : tout ce qui a une valeur doit pouvoir être universalisé (c’est ce que dira Kant : bon pour un à condition d’être bon pour tous) : la peine capitale aussi bien que le reste.

Somme toutes, il ne s’agit pas seulement d’une mesure humanitaire consistant à ne pas infliger de souffrances inutiles ; il s’agit des fondement politiques de la République française.

Reste que Voltaire ne pouvait pas songer au docteur Guillotin en ironisant sur ce qui fait honneur au genre humain, vu qu’il est mort en 1778.

D’ailleurs qu’il eut vécu 15 ans de plus et peut-être qu’il aurait connu de façon très personnelle, je ne dis pas l’inventeur, mais bien l’invention.

Saturday, August 15, 2009

Citation du 16 août 2009

C'est une des pires humiliations de la vieillesse, de ne rien recevoir que de la pitié.

Lamennais

La pauvreté, c’est comme la richesse : ça pourrit tout.

Quand vous êtes riche toute l’affection qu’on vous donne est suspecte d’être intéressée.

Quand vous êtes pauvre les secours qu’on vous apporte le sont par pitié.

Est-il donc si difficile de donner ? Je veux dire : vraiment donner, sans chercher une contrepartie (reconnaissance ou part de Paradis), sans vouloir effacer une culpabilité ou je ne sais quoi ?

Chacun répondra en son âme et conscience, mais je remarquerai simplement que nous ne vivons pas dans une société du don – et encore moins dans une société charitable.

La vieillesse était autrefois respectée, les vieux étaient non seulement dépositaires d’une expérience et d’un savoir dont les plus jeunes avaient besoin, mais encore ils étaient par leur proximité de la mort les intercesseurs avec les mânes des ancêtres dont ils allaient bientôt faire partie : mieux valait être en bons termes avec eux…

Mais il faut croire que déjà à l’époque de Lamennais c’était fini : la vieillesse n’était plus que ce qui rime avec faiblesse. Des économiquement faibles comme on disait autrefois…

Où est le progrès depuis le 19ème siècle ? A-t-on réussi à faire une petite place aux vieux dans nos cœurs ? Sont-ils respectés, à défaut d’être aimés ?

Bien sûr que non… Mais on a trouvé quand même quelque chose : ça s’appelle la retraite, et c’est sonnant et trébuchant. Oh, bien sûr ce ne sont pas des parachutes dorés, mais ça amortit bien quand même les aléas de l’existence. Pas de chômage à craindre, pas de perte de revenus. Le retraite, ça tombe tous les mois, et ça ne dépend pas de la pitié des autres.

Enfin : pas pour le moment…

Friday, August 14, 2009

Citation du 15 août 2009

Mon fils, sois attentif à ma sagesse, Prête l'oreille à mon intelligence, Afin que tu conserves la réflexion, Et que tes lèvres gardent la connaissance. Car les lèvres de l'étrangère distillent le miel, Et son palais est plus doux que l'huile ; Mais à la fin elle est amère comme l'absinthe, Aiguë comme un glaive à deux tranchants.

…fais ta joie de la femme de ta jeunesse, Biche des amours, gazelle pleine de grâce : Sois en tout temps enivré de ses charmes, Sans cesse épris de son amour. Et pourquoi, mon fils, serais-tu épris d'une étrangère, Et embrasserais-tu le sein d'une inconnue ?

Bible – Livre des Proverbes (chapitre 5)

Ah, les vacances… époque de tous les dérèglements, mais aussi de tous les engagements. Voyages lointains, fertiles en rencontres sensuelles, où les belles étrangères viennent jusqu’à nous pour hanter nos nuits, et puis nos jours, et puis finissent par s’installer dans la maison du père…

Il y a de cela longtemps, bien longtemps, le roi Salomon avait mis sa sagesse au service de son fils pour le mettre en garde contre les maléfices des étrangères. « Tu dois rester fidèle aux femmes de ton pays, fais leur joie, enivre toi de leurs charmes. Embrasserais-tu le sein d’une inconnue ? »

- Ben, pourquoi pas ?

Voilà : c’est exactement ici que commence le message biblique. Avec toutes les femmes, les choses commencent de la même façon : miel et huile. Mais avec les étrangères, ça finit plutôt mal : absinthe et glaive à deux tranchants.

Toutes les femmes qui sont séduisantes ne sont pas forcément séduites, certaines d’entre elles cherchent à dominer l’homme et à en tirer profit. Comment savoir ? Demandez à Salomon :

- Pourquoi une étrangère viendrait elle s’intéresser à toi, mon fils ? Une étrangère n’a quitté son pays que poussée par la nécessité, elle vient pour piller tes ressources, chasser tes vieux parents et prendre leur place. Et peut-être même faire venir toute sa tribu à sa suite.

Il n’y a qu’avec la femme de ton village, avec ta voisine que tu sais exactement à quoi tu t’engages.

… Ah ! Mes enfants, écoutez la sagesse de Salomon : avant d’embrasser le sein d’une inconnue, demandez lui d’abord ses papiers.

Thursday, August 13, 2009

Citation du 14 août 2009


La vérité est comme le meilleur coup aux échecs : elle existe, mais il faut la chercher.

Arturo Perez-Reverte – Le Tableau du Maître Flamand
La vérité, existe, mais il faut la chercher
Faut-il donc écrire de pareilles banalités ? Tout le monde le sait que la vérité est difficile à trouver et qu’il faudra de chance pour la voir sortir, toute nue du puits – même que, il faudra être là au bon moment si on veut arriver à l’attraper… (1)
Si on essayait d’être un peu sérieux, maintenant qu’on s’est offert une belle image de dame à poil ?
En fait, notre auteur suggère que la vérité pourrait bien être une affaire de déduction, mais aussi bien d’analyse et de synthèse. Toutes ces opérations sont des enchaînements logiques, qui s’opposent donc à l’intuition pure et simple qui s’offrirait à nous en toute spontanéité.
Autrement dit :
- La vérité se cherche, ça veut dire qu’on ne la trouve pas comme ça, qu’elle ne surgit pas en nous comme lorsque je perçois d’un coup un détail négligé du paysage.
- Mais ça veut dire aussi que la vérité existe de façon incontestable, qu’elle n’est pas relative au point de vue de chacun (du genre : A chacun sa vérité…). Parce que, allez donc contester le meilleur coup aux échecs ! Toutes les tentatives que vous ferez se solderont par des pertes encore plus grandes.
- Et puis, ça veut dire simplement : la vérité existe, et si vous ne l’avez pas, c’est que vous ne l’avez pas assez cherchée.
--> Donc, si vous prétendez que rien n’est vrai (scepticisme), ou bien que tout est vrai (relativisme), c’est que vous êtes décidément un(e) sacré(e) feignant(e)…
(1) Ci contre : La Vérité sortant du puits – Peinture d' Edouard Debat-Ponsan, musée de l'Hôtel de ville d'Amboise

Wednesday, August 12, 2009

Citation du 13 août 2009

C'est le fait d'un ignorant d'accuser les autres de ses propres échecs ; celui qui a commencé de s'instruire s'en accuse soi-même ; celui qui est instruit n'en accuse ni autrui ni soi-même.

Epictète – Le manuel

Le conseil d’Epictète a ceci d’étonnant qu’il finit par suggérer que l’échec n’a pas de cause humaine, que personne – ni moi, ni les autres – n’en est véritablement responsable.

L’échec, ce serait donc toujours la faute à Pas-de-chance ? Moi qui échoue, serais-je né sous une mauvaise étoile ? Et ceux qui réussissent seraient-ils des chanceux, des veinards ?

Pas si évident…

Et d’abord, quel savoir possède celui qui est instruit ?

Sachant qui est Epictète et ce qu’est le stoïcisme, on répondra sans hésiter : celui qui est instruit sait ce qu’est l’ordre nécessaire de la nature, il sait que l’homme lui est soumis comme n’importe quel autre élément naturel – soumis, à l’exception de sa volonté qui peut se retourner contre lui (1).

L’échec n’est que la révélation d’une discordance entre l’ordre de la nature et celui de la volonté : j’échoue parce que j’ai voulu l’impossible.

Résumons-nous : si j’échoue dans ma tentative c’est parce que :

- Soit le contexte a été défavorable, mais comme tout est déterminé dans la nature, il ne pouvait de toute façon en être autrement : personne n’est responsable.

- Soit c’est moi-même qui suis responsable, mais c’est qu’alors j’ai voulu faire ce dont je n’étais pas capable – et certes je peux bien me le reprocher, mais je peux aussi reconnaître que cet échec est une conséquence de ma nature, orgueilleuse ou fantasque qui m’a poussé à m’engager imprudemment : c’est donc aussi une certaine nécessité dont je ne suis pas responsable, puisqu’il n’est pas en mon pouvoir de me changer.

Admettons, me direz-vous ; mais alors quid de la morale ? Nous n’avons plus d’effort à fournir, simplement à dire : compte tenu de ce que je suis, il n’est impossible de m’améliorer – et voilà ?

C’est que le stoïcisme est d’abord une science avant d’être une morale : connaissons la nature et sachons quelles actions elle accepte et les quelles elle rejette. Modelons notre comportement là dessus.

Fort bien… Mais alors plus de conversion morale, plus de valeur à reconnaître, plus d’ascèse de l’être ?

Si, tout de même : nous avons à travailler sur nous-mêmes pour mettre nos désirs à l’unisson de la nature : Sequi naturam.


(1) Il s’agit d’un des aspects de la prohairesis. Voir ici

Tuesday, August 11, 2009

Citation du 12 août 2009

Je demande, pour ma part, à être conduit au cimetière dans une voiture de déménagement.

André BretonManifeste du surréalisme

Surréalisme, l’art de l’image…

Pas de surréalisme sans une image, montrée ou imaginée. L’image doit fonctionner à deux niveaux : au niveau symbolique, évidemment, mais aussi au niveau immédiat, au premier degré. L’image surréaliste, même si vous ne comprenez pas tout de suite sa signification, vous le prenez en plein dans le buffet, c’est même ça qui vous signale qu’elle est surréaliste.

Ainsi donc, l’image du corbillard remplacé par un camion de déménagement. Il faut imaginer tout de même qu’en 1924 les corbillards ressemblaient à ça :


A quoi on opposera ça :

On voit donc que, vu ici, le camion de déménagement fait choc, avant même que l’on sache pourquoi.

Reste que le symbole apparaît très vite : refus du cérémonial, recherche de ce qui va faire de la dépouille du défunt un objet qui encombre et dont on va se débarrasser. Les funérailles sont une façon élégante de débarrasser le plancher, et le camion de déménagement ne fait que démasquer les faux semblant.

Reste que le camion de déménagement va forcément d’un lieu à l’autre : on le déménage d'ici pour qu’il emménage , autrement dit on emporte le mort pour le déposer dans une sépulture qu’on ira fleurir à la Toussaint. C’est là qu’il emménage, c’est là qu’il va reposer éternellement. Bien des gens vont jusqu’à retenir une place – leur place – dans un cimetière en fonction du paysage qu’on y voit. Tant qu’à faire, ils devraient aussi se soucier des autres morts du voisinage (1).

Maintenant on fait beaucoup plus fort que Breton : plus de camion, plus de déménagement : une urne de cendres éparpillées au vent, et le tour est joué.

Je demande pour ma part, le jour de mon enterrement, que soit branché un bon ventilateur.


(1) Des fois que les molécules des uns se mêlent aux molécules des autres, comme le suggérait Diderot

Monday, August 10, 2009

Citation du 11 août 2009

Le grand art, c'est toujours de l'érotisme camouflé.

Jacques de Bourbon Busset – Journal

Le grand art, c'est … de l'érotisme camouflé : bien vu ! Et je dirai même : plus l’érotisme est camouflé, plus l’art est grand.

L’érotisme, c’est dans la surprise qu’il se trouve, dans le regard qui attrape à la dérobée ce qu’il n’aurait pas du voir – dans le vêtement qui baille, dans la porte entrouverte de la salle de bain – et donc aussi dans le détail qui se glisse subrepticement dans le tableau.

En voici un exemple :


Il s’agit du tableau du Tintoret : Mars et Vénus surpris par Vulcain, et de l’analyse qui en est faite par Daniel Arasse (1).

Vous connaissez l’histoire : Vénus est l’épouse de Vulcain, le dieu forgeron boiteux. Vénus le cocufie avec le beau dieu Mars, dont elle a un rejeton, Cupidon.

Selon la mythologie, Vulcain forge un filet d’acier très fin avec le quel il piège les amants sur leur couche, et puis il fait défiler les Dieux de l’Olympe devant les coupables. Seulement c’est de lui qu’on se moque : Vulcain, le Dieu cocu…

Voici maintenant ce qu’en fait le Tintoret : pendant que le petit Cupidon dort dans son berceau, Vulcain arrive et surprend Vénus nue sur son lit, alors que Mars se cache sous la table et que le petit chien aboie, signalant ainsi sa présence : une scène de vaudeville ? (2)

… Pourtant Vulcain ne semble pas dans cette action-là : il parait être entrain d’achever de dénuder son épouse et son regard darde vers son sexe.

Mais ce n’est pas encore ça la surprise : voyez le miroir rond qui est appuyé contre la fenêtre au fond de la pièce (3). Que nous montre ce miroir ? Logiquement, vu sa position, il devrait nous montrer Vénus et Vulcain, vus à contre champ.

Or, que voit-on ? Vulcain, au lieu d’avoir un seul genou posé sur le lit est carrément à deux genoux dessus, penché sur le corps qu’on devine ouvert de Vénus.

--> Conclusion : ce miroir nous montre ce qui va se passer dans un instant : Vulcain n’est pas du tout entrain de découvrir son infortune, mais il est entrain de monter sur le lit, il s’apprête à prendre la place laissée vacante par Mars. Ce que nous donne à voir le miroir, c’est l'assaut donné à la déesse de l’amour par son époux .

Si le grand art réserve son érotisme au regard inquisiteur des petits malins, disons que là, c’est du grand art, en effet.


(1) Daniel Arasse – On n’y voit rien (Descriptions) – Chapitre 1 (Folio-essais, p.11-17)

(2) On peut voir ici une représentation beaucoup plus conventionnelle de la même scène peinte par Vigée Le Brun

(3) Certains interprètes ont voulu y voir un bouclier : admettons ; reste que ce bouclier aurait une surface polie reflètant la scène qui se déroule dans la pièce