Saturday, May 31, 2014

Citation du 1er juin 2014


Lui cependant méprise une telle victoire ; / Tient la gageure à peu de gloire ; / Croit qu'il y va de son honneur / De partir tard.
La Fontaine. Le lièvre et la tortue (Fables – Livre VI,  10)
Dispense ma valeur d'un combat inégal ; / Trop peu d'honneur pour moi suivrait cette victoire: / À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire. / On te croirait toujours abattu sans effort ; / Et j'aurais seulement le regret de ta mort.
Corneille – Le Cid (Acte II, scène 2)
Deux citations pour dire que les plus modernes théories de l’évolution ne font que réactiver ce qu’on sait – ce qu’on dit – depuis fort longtemps. Il en va ainsi de la moderne théorie du handicap, illustrée ici par La Fontaine et Pierre Corneille.
Il y a deux sortes de handicaps :
            - celui qui est imposé aux compétiteurs pour égaliser les chances : comme dans les courses hippiques nommées justement « handicaps » où l’on modifie le poids porté par le cheval en fonction de ses performances.
            - celui que le compétiteur s’impose à lui-même à titre d’affichage de sa force. Il s’agit d’un signe pénalisant, que l’individu s’impose non pour égaliser les chances mais bien au contraire pour montrer qu’il est tellement fort, que même dans ce cas il est sûr de l’emporter.
--> Telle est la théorie du handicap. L’intérêt de cette théorie est d’expliquer certaines caractéristiques animales incompréhensibles en termes d’évolution. Ainsi de la queue du paon : elle sert dans la parade sexuelle et le reste du temps est, vu son poids, un handicap pour l’animal. Le message adressé à la femelle serait donc :
- Vois ma belle queue : je suis assez fort pour vivre normalement malgré son poids écrasant ! Je suis donc digne de m’accoupler avec toi.
o-o-o
… J’en entends qui se raclent la gorge avec gêne : Quoi donc ! Ce Blog si distingué nous a mené jusqu’ici pour nous expliquer que l’homme est comme le paon, à la seule différence qu’il ne fait pas la roue avec sa queue ? Fi donc !
Tiens ? Je n’y avais même pas pensé. Je pensais plutôt aux dames aux gros nichons : le message est aussi celui du handicap :  
- Bien que je sois obligée de trimbaler tout ce bazar, je réussis quand même à faire tout ce qu’une femme doit faire – aller chercher l’eau pour la lessive et le bois pour le feu ; ramasser les souris et les gros vers de terre pour le repas du soir, etc…

Friday, May 30, 2014

Citation du 31 mai 2014



Servile en toute chose en vue de dominer.
Tacite – Histoires, I, 36
1 – Méfiez-vous des gens serviles : ils n’acceptent de vous cirer les chaussures que pour arriver à tirer votre portefeuille pendant que vous regardez ailleurs.
2 – La soumission et la servilité, deux attitudes identiques ? Sans doute dans la mesure où elles répondent au même paradoxe : s’abaisser parce que ça permettra un jour de s’élever.
3 – Application :
            a) ces vérités sont sans doute bien connue des hommes politiques qui ont des attachés de cabinet – voire des stagiaires ! – qui n’attendent qu’une chose : grimper dans la hiérarchie pour prendre la place de leur chef.
            b) La soumission se renverse en domination au moment de la trahison : c’est le moment où l’esclave sort de sa chaussette le poignard qu’il va plonger dans le sein de son maitre ; il n’a accepté sa soumission que pour arriver à prendre sa place.
o-o-o
A nous, peuple des démocraties de tirer parti de cet avertissement : croyons-nous à la fidélité et à la sincérité de nos dirigeants – oui, ceux-là même que nous avons élus : seront-ils fidèles à leurs engagements ? Ne nous trahiront-ils pas pour servir leurs intérêts et ceux de leurs bons amis ?
En tout cas, n’hésitons pas à les virer à la première occasion : si nous ne savons pas pourquoi, eux, ils le savent. (1)
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(1) Pour mémoire, lors des présidentielles et des législatives de 2012 qui ont vu l’échec de la droite, l’affaire Bygmalion était totalement inconnue.

Thursday, May 29, 2014

Citation du 30 mai 2014



Epectase – Subs. masc. : L’épectase est, chez les chrétiens, une tension et un progrès de l’homme vers Dieu. Cela désigne aussi, dans un sens familier, le décès pendant l'orgasme (Cf. Le Robert, « Le président Félix Faure est mort en épectase. »).
Article de Wiktionnaire
La vie des mots (Suite)
Epectase : curieuse vie que celle de ce mot ! Passer comme ça de l’élan vers Dieu à la mort orgasmique, ça suppose qu’on saute pardessus un gouffre ! Quel renversement de sens !
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Il y a bien des cas de renversement de sens dans l’évolution sémantique d’une langue.
- Ainsi de l’adjectif « énervé » qui signifiait à l’origine « priver de nerf » (1) et qui en est venu à signifier exactement le contraire.
- Ainsi également de l’usage systématique d’un terme pour signifier le contraire de ce qu’il dit en réalité – même quand il existe un mot exact pour cela. Qu’on pense à l’avalanche des dépêches de presse relatant l’implosion de l’UMP suite à la déflagration qui la secoue (2) : en toute rigueur une déflagration fait exploser et non imploser. En revanche il est exact que ça pourrait à terme faire imploser l’UMP, si du coup elle se vidait de ses adhérents et de ses électeurs.
Mais alors, pourquoi un tel usage ? Qu’est-ce qui explique qu’on utilise un mot relativement peu connu de façon inexacte pour remplacer un mot bien connu et exact ?
C’est qu’en parlant, nous cherchons à attirer l’attention de notre interlocuteur, et que pour ça les mots doivent l’éveiller, se faire remarquer, un peu comme si on le tirait pas la manche. Il nous faut du neuf et de l’exotique – et non de ces mots usés comme de vieilles pièces de monnaie qu’on glisse en silence dans la main (Cf. Mallarmé, ici n°2). Imploser, ça attire l’attention alors qu’exploser (en tant que mot) ça passe sans se faire remarquer – même si ça veut dire exactement ce qu’on cherche à signifier.
Moralité :
Tout ça veut dire que le plus important est de se faire écouter – même si on n’a rien à dire.
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(1) En fait il s’agissait du traitement barbare que les romains réservaient aux esclaves fuyards qu’ils reprenaient : ils les estropiaient en leur coupant les tendons (= nerfs) derrière les genoux, les rendant ainsi incapable de se tenir sur leurs jambes
(2) Il s’agit de l’Affaire Bygmalion. Pour ceux qui vivent loin de nos frontières, voir ici.

Wednesday, May 28, 2014

Citation du 29 mai 2014



Antonomase : Figure de style basée sur le remplacement d'un nom commun par un "équivalent nom propre" : ''Entrant dans l'atelier, je me fis expliquer la machine par le Tournesol de service''
Site : « Des mots savants » (pour jouer au cuistre et au pédant en société)
La vie des mots I
Vous en connaissez, vous, des pédants qui étalent leur science – ça encore, ça pourrait passer – en utilisant des mots que personne ne comprend ? Ça, oui on peut en faire reproche, et si vous ne connaissez personne qui réponde à cette définition, vous ne perdez vraiment rien. En tout cas, la page de ce site référencé plus haut saura vous amuser si jamais vous avez 10 minutes à perdre.
o-o-o
Que de mots bizarres… Comment imaginer qu’on ait pu, un jour, les employer sérieusement ?
Comment peut-on se décider à les employer, sachant que personne ne les comprendra sauf à se précipiter sur un dictionnaire ?
1 - Alors bien sûr on peut affirmer que c’est le mot juste, le seul qui soit juste. Ainsi Antonomase est le mot exact pour définir la figure employée dans la phrase citée (''Entrant dans l'atelier, je me fis expliquer la machine par le Tournesol de service''). On peut alors l’employer de bonne foi, parce qu’on ne sait pas quoi dire d’autre.
2 - Mais souvent il y a aussi la volonté d’écraser l’interlocuteur sous la domination du langage : rien n’est plus amusant que de voir comment, lorsqu’on est piqué au vif par un propos désobligeant, on y répond en grimpant dans les niveaux de langage aussi haut qu’on peut – parfois même jusqu’à l’imparfait du subjonctif !
3 - Tout cela n’explique pourtant pas le succès de mode de certains mots, tels obsolète (1) ou procrastination. Je crois qu’alors il s’agit d’utiliser des mots rares et exotiques, comme signe de ralliement dans un groupe-tribu : c’est un peu cri comme de la chouette pour les chouans (2).
4 - Enfin, on peut aussi supposer que c’est la sonorité jugée amusante de ces mots qui les fait employer. Antonomase, c’est un son aussi amusant à prononcer que  « perlimpinpin » (3)
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(1) Obsolète – et non « obsolescence ». Je fais remonter la mode de ce mot à une série d’articles du Nouvel Observateurs (alias « Nouvel Obs »), intitulés : Etes-vous Obs- ?
Suivi d’articles intitulés : Etes-vous obsédé ? Etes-vous obsolètes ? Etc…
 (2) Sur ce cri, voici ce que nous dit Wiki : « Les membres de la famille Cottereau portaient ce surnom de « Chouan » (en gallo « chat-huant », ou « chouin », nom local de la chouette hulotte), … parce qu'en faisant la contrebande du sel, ils contrefaisaient le cri du chat-huant pour s'avertir et se reconnaître. »
(3) Perlimpinpin : prononcer  /pɛʁ.lɛ̃.pɛ̃.pɛ̃/ A noter que c’est un cas d’exception où le second /n/ ne se transforme pas en /m/ devant un /p/ - à la différence du premier (perlimpinpin). Vous me suivez ? Non ? Voyez ici.

Tuesday, May 27, 2014

Citation du 28 mai 2014



Que serions-nous sans nos  haines ? Ce sont elles qui nous promettent la victoire.
Dialogue du film « Le miroir magique » de Manoel de Oliveira (2005)

Cette citation a été cueillie parmi une quantité d’autres possibles dans ce film si puissant (la puissance calme d’un réalisateur presque centenaire à l’époque où il réalisa ce film). Je renonce à en parler, d’autres l’ont fait il y a déjà longtemps (voir ici).

On sait que la haine est un puissant adjuvant de l’instinct de survie lorsque les conditions en sont très dégradées. On pense en particuliers aux détenus, emprisonnés pour de longues peines, sans autre horizon que l’espoir de se venger de ceux qu’ils estiment responsables de leur malheur. (1)
Pour le prisonnier, la haine est alors plus qu’un sentiment, plus qu’un désir : elle est le metteur en scène qui donne à vivre ce moment où les portes de la prison se refermeront derrière lui.
En évoquant le rôle d’un metteur en scène, on pense inévitablement à ces films qui ont exploité cet espoir, en particulier le western ou le film noir américain. Il s’agit à chaque fois de montrer l’épisode  de la vengeance, un peu comme le Comte de Monte-Cristo d’Alexandre Dumas.
Mais ce n’est pas tant à cela que nous pensons aujourd’hui : il s’agit moins de la vengeance réelle que du fantasme qui la précède.
De même, nous éviterons d’évoquer cet aspect de la haine qu’on résume parfois par cette expression issue du parler-banlieue : « j’ai la haine ». Il ne s’agit pas en effet de cette boule psycho-physiologique qui place notre haine dans notre estomac, telle une pierre que nous aurions avalée et qui y resterait. (2)
Qu’est-ce que la haine apporte donc au malheureux prisonnier ? Comment est-elle capable de soutenir cet homme victime de toutes sortes de privations durant de si longues années ? C’est qu’en lui promettant de revivre cette fois victorieusement l’épisode de la trahison, la haine lui promet la victoire.
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(1) Nous parlons essentiellement du prisonnier enfermé pour une longue peine. Mais il va de soi que tout homme qui a subi un grave échec qu’il estime l’effet d’une trahison est concerné.
(2) Il faudrait faire une place à part au film de Mathieu Kassovitz : voir ici.