Sunday, July 31, 2011

Citation du 1er aout 2011

Dieu, c'est comme le sucre dans le lait chaud : Il est partout et on ne le voit pas, et plus on le cherche moins on le trouve.

Coluche

Est-ce que c’est réellement Coluche qui a dit ça ? Je ne sais pas, car s’il y a quelqu’un à qui on a attribué toutes sortes de pensées déjà connues avant, c’est bien lui.

Par ailleurs, qu’a-t-il voulu dire plus particulièrement ? Que Dieu reste caché, même s’il est là, près de nous ? Ou bien qu’il est partout sans qu’on le voie ?

Je me contenterai de cette dernière idée, ou plutôt d’un petit bout de celle-ci : Dieu est partout dans le monde qui nous environne, et il n’est nulle part ailleurs (pas plus que le sucre n’est dans la cuillère qui remue le lait). Bref on aura reconnu le panthéisme, du moins celui de Spinoza : Deus sive natura (= Dieu ou pour mieux dire la nature – sous-entendu : c’est la même chose).

On dira, qu’après tout, qu’on appelle ça Dieu ou Nature, ça n’a guère d’importance ; question de mots et rien de plus. Mais ça ne révèlerait pas l’essentiel.

Un monde qui s’identifie à Dieu, un Dieu qui s’identifie au monde, ça veut dire qu’il n’y a nulle part de transcendance : rien ne dépasse, ni dessus, ni dessous, ni avant, ni après. Rien que de l’immanence !

Le matérialisme antique, c’est d’abord ça. Et c’est ce qui le distingue du matérialisme marxiste qui voit dans le devenir historique un destin de l’humanité, quelque chose que l’homme fait tout seul, oui – mais quelque chose qui ressemble quand même à une transcendance « horizontale » (voir ici).

Je constate que cette idée, pourtant rassurante (cf. Epicure), est en fait une source d’angoisse pour mes contemporains, comme s’ils se sentaient à l’étroit dans les bornes de leur existence. Ils ont besoin de quelque chose qui la dépasse, soit une vie après la vie, soit une lignée dans laquelle ils se prolongent, soit une œuvre qui les fera connaitre (et donc survivre) par les générations futures.

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N.B. Si ce Post vous rend dépressif, attendez celui de demain : vous y trouverez l’antidote.

Saturday, July 30, 2011

Citation du 31 juillet 2011

L'atome n'est que le dernier refuge où l'être, rendu à ses éléments premiers, poursuivra une sorte d'immortalité sourde et aveugle.

Albert Camus

Rien ne vient du néant, et rien, après avoir été détruit, n'y retourne. Les atomes se déplacent dans tout l'univers en effectuant des tourbillons et c'est de la sorte que se forment les composés : feu, eau, air et terre.

Démocrite

Il nous arrive de nous extasier sur telle ou telle pensée d’un auteur contemporain, et puis en suite de nous dire : Bah ! Après tout il n’a fait que paraphraser un auteur de l’antiquité.

Moi qui ai tenté d’enseigner la philosophie et de noter des copies d’élèves, je vous dirai ceci : qu’une paraphrase intelligente (= qui ne trahit pas un texte tout en le maintenant intelligible), ce n’est pas si mal.

Ainsi de Camus, qui reprend à son compte la pensée de Démocrite concernant l’atome, qui matérialise le plus petit niveau de l’être, si petit qu’il en devient indestructible (1). L’atome est le dernier refuge de l’être, parce qu’il ne peut retourner au néant. Avec en prime la thèse qu’il n’y a pas de passage entre l’être et le néant (cf. la thèse de Parménide dans le Sophiste de Platon).

On objectera qu’après Hiroshima on sait bien qu’on peut diviser l’atome, et même que ça répand le néant un peu partout. Mais en réalité, on imagine que si l’atome se divise, il en résulte un tas de petits atomes, qu’on appellera « particules » et rien n’aura véritablement changé.

Bachelard a ironisé sur l’ignorance des philosophes qui se prétendent hardiment « matérialistes » comme s’ils savaient ce que c’est que la matière. Et de fait, la philosophie a échoué à la penser autrement que comme une « chose » qui, si petite soit-elle, pourrait être posée sur une table ou bien être rangée dans une boite. A cela, les physiciens répondent : l’onde, la tension, l’énergie doivent remplacer la matière-objet et après ça débrouillez-vous pour philosopher sur l’existence !

Mais on le voit avec cette pensée de Camus : ce n’est pas la matière qu’il est impossible de penser ; c’est le néant. (Voir notre Post du 28 janvier 2008)

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(1) a-tome : qu’on ne peut diviser.

Friday, July 29, 2011

Citation du 30 juillet 2011


Bâiller c'est se délivrer de penser par se délivrer d'agir.

Alain – Les idées et les âges

Ceux qui n’aiment pas les philosophes affirment que ce sont des gens qui pérorent à perte de vue sur des choses sans importances, ou bien qui, comme Socrate, posent des questions oiseuses dont tout le monde connait déjà la réponse.

Tentons de vérifier cette hypothèse sur ce texte d’Alain consacré au bâillement (voir l’Annexe).

Quoi de plus insignifiant que le bâillement ?

Oh, certes, il est bien énigmatique : la contagion du bâillement par exemple, présente déjà chez l’animal est très curieuse ; mais à qui appartiendra-t-il de dissiper le mystère ? Au savant éthologue ? Au psychologue ? Au physiologiste ? En tout cas de très sérieux universitaires se sont penchés sur la question et leurs travaux sont l’objet de rapports aussi volumineux que passionnants (1).

Bon – Et les philosophes, me direz-vous : que viennent-il mettre leur grain de sel ici ?

Les philosophes – ou du moins Alain dans notre citation du jour – ont une habitude, qui est de donner du sens à ce qui parait ne pas en avoir : rien n’est pour eux tout à fait gratuit.

Ainsi, le bâillement est-il pour Alain une manière de nier toute attitude, de renoncer à toutes préparation à l’action. Et là où certains verraient l’absence de toute signification, puis qu’on a ici de degré zéro de l’emprise sur les choses et sur nous-mêmes, Alain voit un désengagement qui manifeste une confiance totale en notre sécurité. L’homme qui bâille a relâché tous ses muscles, il a abandonné toute vigilance, il est totalement détendu (relaxé dirait-on aujourd’hui). Lorsqu’on bâille, on est comme le cow-boy qui a fini sa mission : on dépose les armes et on retire les bottes. C’est pour cela que le bâillement est un prélude au sommeil.

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(1) Voir ce passage sur l’échokinésie du bâillement : c’est un extrait de cet étonnant site consacré au bâillement.

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Annexe :

« On sait que bâiller est une agréable chose, qui n'est point possible dans l'inquiétude. Bâiller est la solution de l'inquiétude. Mais il est clair aussi que par bâiller l'inférieur occupe toute l'âme, comme Pascal a dit de l'éternuement, solution d'un tout autre genre. Par bâiller on s'occupe un moment de vivre. C'est, dans le vrai, un énergique appel du diaphragme, qui aère les poumons profondément, et desserre le cœur, comme on dit si bien. Bâiller est pris comme le signe de l'ennui, mais bien à tort, et par celui qui n'arrive pas à nous plaire ; car c'est un genre d'ennui heureux, si l'on peut dire, où l'on est bien aise de ne point prendre intérêt à quelque apparence qui veut intérêt. Bâiller c'est se délivrer de penser par se délivrer d'agir ; c'est nier toute attitude, et l'attitude est préparation. Réellement bâiller et se détendre c'est la négation de défense et de guerre ; c'est s'offrir à être coupé ou percé ; c'est ne plus faire armure de soi. Par ce côté, c'est s'affirmer à soi-même sécurité pleine. » (ALAIN / Les idées et les âges / Les Passions et la Sagesse / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1960) p.10

Thursday, July 28, 2011

Citation du 29 juillet 2011

Il n'est en art qu'une chose qui vaille : celle qu'on ne peut expliquer.

Georges Braque – Le Jour et la nuit

On ne peut expliquer une œuvre d’art ; c’est même à cela qu’on peut la reconnaitre.

Développons un peu cette idée :

- D’abord, il est exact qu’une œuvre d’art excède toujours ce qu’on en peut dire.

--> Déjà parce qu’il n’y a pas d’œuvre d’art sans qu’il y ait chez le spectateur une certaine émotion ; or, l’émotion déborde tout ce qu’on peut en dire.

--> Et aussi parce que l’œuvre d’art est un réservoir de sens inépuisable, qu’il suffit de changer d’époque ou de contexte, voire même de changer d’humeur pour que sa signification change en même temps.

- Ensuite, l’œuvre d’art étant unique par définition (c’est telle création de tel artiste à tel moment), il n’y aura jamais qu’une seule Joconde, même si ce tableau était reproduit un nombre incalculable de fois (1). Or, ce qui est unique est forcément au-delà de toute conceptualisation ; c’est Clément Rosset (2) qui l’a rappelé fortement : l’objet singulier ne peut être exprimé par un concept, ni même par l’entrecroisement de plusieurs concepts.

- Alors, doit-on admettre que n’importe quel objet, dès lors qu’il est unique et qu’il cause une certaine émotion est un objet d’art ? Ne va-t-on pas bénir n’importe quoi, et si je me pâme d’émotion en lisant un ouvrage de la collection Harlequin, ne suis-je pas justifié à dire que c’est un chef d’œuvre de la littérature ?

C’est qu’en réalité on oublie quelque chose d’essentiel : si l’œuvre d’art est inexplicable, il n’en reste pas moins qu’elle nous explique quelque chose à propos des gens et des choses, ou si l’on préfère qu’elle nous ouvre les yeux (ou l’esprit) à un aspect du monde qui nous aurait échappé autrement. (3)

Si l’œuvre d’art est inexplicable elle n’est toutefois pas incompréhensible.

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(1) C’est ce qu’exprime le concept d’aura chez W. Benjamin.

(2) Voir L’objet singulier aux éditions de Minuit.

(3) On devrait ici raffiner quelque peu l’analyse : la peinture non-figurative et plus encore la musique ou la danse expriment non ce que sont les choses mais plutôt notre rapport à elles.

Wednesday, July 27, 2011

Citation du 28 juillet 2011

Il n'est pas nécessaire qu'un auteur comprenne ce qu'il écrit. Les critiques se chargeront de le lui expliquer.

Abbé Prévost (1697-1763) – Réflexions et dialogues (1)

PHILAMINTE – Faites-la sortir, quoi qu'on die: / Que de la fièvre on prenne ici les intérêts:/ N'ayez aucun égard, moquez-vous des caquets, / Faites-la sortir, quoi qu'on die. / Quoi qu'on die, quoi qu'on die. / Ce quoi qu'on die en dit beaucoup plus qu'il ne semble. / Je ne sais pas, pour moi, si chacun me ressemble; / Mais j'entends là-dessous un million de mots.

Molière – Les femmes savantes acte III, scène 2

La flèche décochée par l’abbé contre les auteurs de romans mal ficelés est une flèche à deux coups, parce qu’elle atteint aussi les critiques littéraires qui vendent leur pédanterie pour masquer leur ignorance. En témoigne cette célèbre scène des Femmes savantes, où le pédant explique le lamentable poème de Trissotin à ces dames qui se pâment devant son talent d’exégète.

Dois-je l’avouer ? Molière ne me fait pas souvent rire ; mais là oui, ça fonctionne.

Outre le pédantisme dont on se gargarise toujours (2), le commentaire à perte de vue sur des textes abscons reste un exercice très prisé, non seulement parce qu’il est bon de montrer qu’on comprend ce que les autres ne comprennent pas, mais encore parce que c’est l’obscurité qui permet justement d’inventer des interprétations au kilomètre.

Alors, c’est vrai, l’obscurité d’un poème ne signifie nullement qu’il soit nécessairement insignifiant. Mais c’est tout de même un procédé qui permet de retenir l’attention du lecteur : Valéry, à propos de la Jeune Parque déclarait : son obscurité m’a mis en lumière…

Si les papillons de nuit sont attirés par la lumière, certains esprits le sont par l’obscurité.

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(1) L’Abbé Prévost est l’auteur de L’Histoire du chevalier Des Grieux et de Manon Lescaut, autrefois bien connu de tous les lycéens.

(2) De nos jours l’habitude de s’extasier devant des nullités simplement parce qu’elles sont énoncées dans un charabia convenu entre les membres de la même chapelle est toujours aussi intense. Et je pense plus particulièrement aux lacaniens, même si dans les ouvrages de Lacan il y a quand même autre chose.