Friday, April 29, 2011

Citation du 30 avril 2011

La croissance de l'homme ne s'effectue pas de bas en haut, mais de l'intérieur vers l'extérieur.

Franz Kafka

Je crois me rappeler que Kierkegaard comparait la jeune fille à un arbre qui jaillit du sol et qui croit ainsi, en gagnant de l’altitude. C’est d’ailleurs ce que nous pensons quand nous disons d’un enfant qu’il grandit : il s’éloigne du sol.

Alors écoutons Kafka : pour lui il y a aussi une croissance spécifique à l’homme – et non aux végétaux – qui est de croitre de l’intérieur vers l’extérieur.

Car si nous considérons la croissance des arbres, nous savons bien que chaque année ajoute un anneau d’écorce de plus à leur tronc. Mais justement : cet anneau s’ajoute de l’extérieur, de sorte que c'est le passé de l’arbre qui se lit dans le cœur de la plante.

Chez l’homme par contre, la croissance consiste à extérioriser ce qui n’était que potentiel – situé donc à l’intérieur de l’être. Cette croissance est donc différente de la croissance biologique, elle est propre aux êtres doués de spiritualité – ou plus modestement d’esprit.

- Reste que cette image de l’être humain extériorisant peu à peu ce qui n’était qu’en puissance en lui est peut-être une aliénation plutôt qu’une stimulation. On imagine en effet le jeune se regardant devant le miroir et se demandant : « Pour quoi suis-je fait ? » Et désespérant de lui parce qu’il ne se voit aucun destin tracé, même en pointillé. « Bon à rien ! Propice à aucun espoir ! Dénué de toute vocation ! »

Voilà pourquoi, contre cette conception aristotélicienne (1) je préfère le bergsonisme qui nous dit tranquillement que l’avenir n’existe pas, que ce qui est n’a pas été auparavant « possible », mais simplement qu’il faut l’inventer, le créer et que c’est en se faisant que ça devient et possible et réel – dans le même moment.

On dira peut-être que Pablo Picasso était un génie de la peinture à l’âge de 8 ans et que son père peintre a cassé ses pinceaux quand il a vu que son jeune fils était meilleur peintre que lui : d'où lui venait donc tout ce génie si précoce ? N'était-il pas inné en lui ?

Oui, mais voilà : Picasso a lui-même cassé sa palette pour remettre en cause ce qu’il était et ce qu’il savait. Devenir le peintre qu’il n’était pas – même en puissance.

Ou si vous voulez, dites alors comme Kafka que l’homme croit de l’intérieur vers l’extérieur, à condition que l’intérieur soit simplement cette force qui cherche à produire, inventer, dépasser.

Bref, faites du Nietzsche.

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(1) Conception consistant à dire que tout ce qui existe a été « en puissance » avant d’être « en acte ».

Thursday, April 28, 2011

Citation du 29 avril 2011

Nous voulons substituer, dans notre pays […] toutes les vertus et tous les miracles de la République, à tous les vices et à tous les ridicules de la monarchie.

Robespierre (voir texte en annexe)

Ceux qui répugnent à la facilité grimaceront en voyant apparaitre ici le nom de Robespierre. C’est qu’en effet, dès qu’on veut disqualifier une idée, on la cherche chez lui, c’est lui que l’on cite – et on ajoute triomphalement : « Voilà ce qui arrive quand on pense comme ça : la Terreur ! »

Bon – C’est vrai, mais en même temps où allons-nous trouver une source de réflexion sur l’entrecroisement de la morale et de la politique ? Avant la période révolutionnaire, la politique est affaire de naissance ; après elle est affaire de profit. Entre les deux citez si vous voulez Rousseau ou Saint Just. La différence (sous cet angle du moins) ne sera pas fondamentale.

Si nous faisons le recensement des vertus que Robespierre cherche à rétablir et des vices qu’il cherche à éteindre (comme énumérés dans le texte en annexe) nous ne pouvons qu’en être convaincus : qui donc ne souhaiterait la réussite d’un tel programme ?

Mais ce programme est un programme d’action politique. Là où Robespierre nous fait peur, c’est quand on songe aux moyens politiques de le réaliser. Faut-il éradiquer le vice pour que ne restent que les vertus ? Alors la machine à raccourcir les hommes va pouvoir fonctionner – et c’est ce qui s’est passé. Faut-il les transformer pour qu’ils deviennent ce qu’ils n’étaient pas : je veux dire vertueux ? Alors la dictature idéologique et la police religieuse vont se mettre en place.

Sommes-nous à l’abri de ce risque ? Si on se réfère à ce que je disais plus haut (= la bourgeoisie a mis le coffre-fort à la place du tabernacle) alors inutile de trembler : ce danger-là ne nous menace plus.

Mais… Même si l’histoire ne fait jamais machine arrière, il lui arrive de faire des loopings et, quitte à se ramasser en fin de boucle, certains n’hésitent pas à tenter l’aventure du virage moral en politique.

C’est même ce qui m’a fait frémir dans le discours du Chanoine de Latran… il y 4 ans.

C’est vrai que depuis notre bon chanoine nous a plutôt rassuré sur le chapitre du donneur de leçons morales. Mais je reste vigilant. Je vous préviendrai en cas de rechute.

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Annexe :

« Nous voulons substituer, dans notre pays, la morale à l’égoïsme, la probité à l’honneur, les principes aux usages, les devoirs aux bienséances, l’empire de la raison à la tyrannie de la mode, le mépris du vice au mépris du malheur, la fierté à l’insolence, la grandeur d’âme à la vanité, l’amour de la gloire à l’amour de l’argent, les bonnes gens à la bonne compagnie, le mérite à l’intrigue, le génie au bel esprit, la vérité à l’éclat, le charme du bonheur aux ennuis de la volupté, la grandeur de l’homme à la petitesse des grands, un peuple magnanime, puissant, heureux, à un peuple aimable, frivole et misérable, c’est-à-dire, toutes les vertus et tous les miracles de la République, à tous les vices et à tous les ridicules de la monarchie. »

Robespierre – Mercure français, 1794

Wednesday, April 27, 2011

Citation du 28 avril 2011


Ne rien convoiter, c'est épargner ; ne rien acheter, c'est s'enrichir.

Cicéron (cité ici)

Nous sommes plus riches que nous ne pensons ; mais on nous dresse à l'emprunt et à la quête. En aucune chose l’homme ne sait s’arrêter au point de son besoin.

Montaigne – Essais, III ch. 12 – De la physionomie (cité ici)

S'il est vrai que l'on soit riche de tout ce dont on n'a pas besoin, un homme fort riche, c'est un homme qui est sage.

La Bruyère – Les Caractères

Au lieu de parler des pauvres, parlons des riches.

Au lieu de dire : les pauvres ne sont pas si pauvres que ça (cf. Post du 25 avril), disons avec Montaigne et La Bruyère : les riches sont plus riches qu’ils ne le pensent.

Ça veut dire la même chose ? Tout dépend comment on s’exprime.

- Montaigne comme on l’a vu, nous prodigue des conseils en économie domestique : gérez vos biens, nous dit-il, avec la sagesse de l’Ecureuil (tiens : le revoilà celui-là ? Toujours aussi prospère ?)

- Cicéron, quant à lui, nous explique comment faire pour devenir plus riche en faisant la sieste.

- La Bruyère donc parle aux riches : il leur dit non pas « voyez les sages, ils sont plus riches que vous ». Il leur dit : « Vous voulez être encore plus riches ? Devenez sages » A nous de comprendre ce qu’on doit faire pour le devenir.

Alors, comment devenir un sage ? Tout simplement en mesurant nos besoins à l’aune de notre corps. Le protéger du froid ; l’alimenter quand il a faim ; l’abreuver quand il a soif ; l’expurger de tout ce qui l’encombre à l’intérieur. Et les besoins de l’esprit ? Alimenter notre âme de beaux discours entendus ou lus, ça ne coute rien – ou presque. Et en produire nous-mêmes encore moins.

Et nos désirs alors ? Qu’est-ce qu’il en fait, La Bruyère ? Nos désirs, n’est-ce pas, ça ne concerne pas les choses, ça concerne les autres. Je désire l’amour ou la gloire, je désire l’affection, ou les caresses. Et tout ça ce sont les autres qui vont me le donner… peut-être.

En tous cas, si celui qui possède tout ça est riche, alors il faut dire que sa fortune n’y est pour rien.

Heu… Attendez un peu : là il faut que je réfléchisse…

Tuesday, April 26, 2011

Citation du 27 avril 2011

Géomètre de première catégorie, Laplace n’a pas tardé à se montrer un administrateur plus que médiocre […]. Laplace ne traitait aucune question d’un bon point de vue : il cherchait des subtilités de partout, il avait seulement des idées problématiques et enfin il portait l’esprit de l’infiniment petit jusque dans l’administration.

Napoléon – Bulletin de radiation de Laplace de ses fonctions de Ministre de l’Intérieur (1)

Laplace … portait l’esprit de l’infiniment petit jusque dans l’administration. Voilà une formule qui laisse rêveur surtout quand on sait que la fonction qui lui est ainsi retirée est celle de ministre de l’intérieur.

Car nous croyons bien savoir aujourd’hui qu’en effet un tel ministre ne doit pas faire dans la dentelle et que sa capacité principale est de grossir la réalité plutôt que de la réduire à l’infinitésimal. Les déclarations anti-immigration incendiaires et explosantes dont nous bombarde notre actuel ministre de l’Intérieur n’ont en effet rien d’infinitésimales, et, du coup, on se prend à rêver d’un nouveau Laplace confondant mathématique et politique.

Mais justement, lancer une action politique en l’imaginant à partir de raisonnements mathématiques, voire même de mise en équation des paramètres de la situation, n’y aurait-il pas là une piste à explorer ? Platon rêvait d’un roi qui serait aussi un philosophe, et Marc-Aurèle a été effectivement et Empereur et philosophe. Mais n’oublions pas : chez Platon justement, le philosophe était aussi géomètre ; tel était en tout cas le sens de l’avertissement gravé au-dessus de la porte de son école d’Athènes, l’Académie.

Alors, à notre tour de l’imaginer : au-dessus de la porte de l’Elysée, lisons :

Nul n’entre ici s’il n’est Géomètre !

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(1) Voici l’exposé de la situation (Cité ici) :

« Laplace implore le premier consul de lui donner le poste de ministre de l’Intérieur. Napoléon, qui désire le soutien des hommes de science, accepte la proposition mais, en moins de six semaines, la carrière politique de Laplace voit sa fin. Le bulletin de Napoléon à sa démission est le suivant : « Géomètre de première catégorie, Laplace n’a pas tardé à se montrer un administrateur plus que médiocre ; de son premier travail nous avons immédiatement compris que nous nous étions trompés. Laplace ne traitait aucune question d’un bon point de vue : il cherchait des subtilités de partout, il avait seulement des idées problématiques et enfin il portait l’esprit de l’infiniment petit jusque dans l’administration. »

Monday, April 25, 2011

Citation du 26 avril 2011



Sache donc cette triste et rassurante chose / Que nul, Coq du matin ou Rossignol du soir, / N'a tout à fait le chant qu'il rêverait d'avoir !

Edmond Rostand – Chantecler


Voilà de ces consolations dont les Citations-du-jour ont l’habitude de nous abreuver. Ça dit à peu près ceci : si tu n’es jamais content de toi, sache que ceux qui devraient l’être – comme le rossignol de son chant – ne le sont pas non plus. Peut-être que pour les autres tu es toi aussi une incarnation de la perfection – toi le mécontent de toi-même.

Quand je dis « les Citations-du-jour apportent de la consolation à leurs lecteurs», il ne s’agit pas de la nôtre. Car quant à nous, nous n’en avons que faire.

Pourquoi alors citer Chantecler ? Eh bien, tout simplement pour avoir l’occasion de dire quelque chose du chant des oiseaux. Voilà qui est poétique, n’est-ce pas ?

Eh bien non ! Foin de la poésie ! Le chant des oiseaux est une identification de l’individu à l’espèce, c’est tout. Les rossignols chantent comme les corbeaux croassent : pour que leurs congénères les reconnaissent.

Ce n’est d’ailleurs pas spécifique aux oiseaux : les louveteaux passent des nuits entières à hurler avec la meute pour apprendre leur modulation spécifique, celle qui ne ressemblant à aucune des autres meutes lui permettra de ne pas se faire étrangler par les siens quand il les rejoindra.

Car les oiseaux, tout comme les loups, apprennent leur chant, c’est d’ailleurs la raison pour laquelle le dressage permet dans certains cas de leur faire imiter des bruits – ou des chants. Je me souviens d’un ornithologue qui avait appris à un jeune oisillon (de quelle espèce ? je ne sais plus) à siffler le God save the Queen qui était devenu son « chant » normal. Cet homme disait dans un soupir que le malheureux ne pourrait s’accoupler qu’à une femelle connaissant également l’hymne britannique.

Qu’est-ce que Chantecler aurait trouvé à dire là-dessus ? Peut-être qu’on n’a pas le droit de polluer un hymne national en le plaçant dans la gorge d’un oiseau…