Thursday, April 30, 2009

Citation du 1er mai 2009

-->… pendant six jours, Dieu lui-même a "travaillé" à la création ; le septième, il s'est reposé et a remis désormais tout entre les mains des hommes. Le travail de l'homme et de la femme est la continuation et l'achèvement de la création de Dieu ; l'accomplissement de sa volonté.
Le travail – Fiche thématique du Secteur Paroissial de Bruay
1er mai, jour de colère et de protestation sociale ? Ou plutôt jour de prière et de remerciement du Seigneur ?
Oui, mes chers lecteurs, j’ai décidé en ce jour ou la Sociale descend dans la rue de donner la parole à ceux qui ont foi en Jésus Christ, ceux qui savent donner du sens à la vie quotidienne.
Donc, voici que le travail nous a été donné par le Seigneur et il nous met sur le même plan que Lui, là où nous pouvons poursuivre Sa tache, et être fier de nous comme nous sommes en admiration devant Sa création.
Alors certes, le Seigneur ne travaille plus depuis le 7ème jour, mais ce n’est pas pour se reposer : ce n’est que pour nous ouvrir la voie du paradis par le travail.
- Doit-on dire que le travail est une malédiction, et que le paradis est justement l’affranchissement de ses contraintes ? Mais non ! Lisez plutôt la fiche thématique :
Et la malédiction après la chute n'a pas pour objet le travail, ni d'ailleurs l'enfantement; les deux sont désormais la victoire douloureuse de la vie sur la mort.
Bref, vous n’aviez rien compris à la Bible, heureusement que les K-To de Bruay sont là.
Le travail est la victoiredouloureuse il est vrai – de la vie sur la mort.
La preuve : les retraités qui ne travaillent plus ne tardent pas à mourir.
[Si vous en connaissez qui vivent très vieux, méfiez-vous : ils doivent travailler au black]

Wednesday, April 29, 2009

Citation du 30 avril 2009

Le "déterministe" nous jure que si l'on savait tout, l'on saurait aussi déduire et prédire la conduite de chacun en toute circonstance, ce qui est assez évident. Le malheur veut que "tout savoir" n'ait aucun sens.

Paul Valéry – Regards sur le monde actuel

Une intelligence qui, pour un instant donné, connaîtrait toutes les forces dont la nature est animée, et la situation respective des êtres qui la composent, si d'ailleurs elle était assez vaste pour soumettre ces données à l'analyse, embrasserait dans la même formule les mouvements des plus grands corps de l'univers et ceux du plus léger atome : rien ne serait incertain pour elle, l'avenir comme le passé serait présent à ses yeux.

Laplace - Théorie analytique des probabilités. (1812) (1)


rien ne serait incertain pour elle [l’intelligence omnisciente], l'avenir comme le passé serait présent à ses yeux.

Selon le déterminisme, le passé, le présent et le futur sont solidaires parce que déterminés par des lois constantes qui gouvernent tout dans l’univers ; ils coexisteront aussi longtemps que les phénomènes, eux-mêmes.

Voilà donc ce qu’on attend de la science : qu’elle nous prédise ce qui va arriver, aussi sûrement qu’on pourrait prédire les mouvements d’un robot dont on aurait maîtrisé totalement la programmation.

C’est ainsi qu’on attend des spécialistes qu’ils nous disent quand et comment la crise va se résoudre, et si il vaut mieux investir dans la pierre maintenant ou dans 6 mois.

Autrement dit, on fait comme si on pouvait tout connaître. Et comme si « tout » était connaissable.

Valéry nous en avertit : « tout savoir » n’a aucun sens. Notre robot de tout à l’heure, admettons qu’il ait deux mouvements précis de possible – et deux seulement. Supposons maintenant que ces mouvements se déclenchent dans des situations bien spécifiques, mais que chacune de ces situations survienne de façon totalement aléatoire : pourrions nous prédire ce que va faire notre robot ? Nous n’essayerions même pas de le deviner, et nous estimerions ridicule de le faire.

On peut proposer d’aller plus loin : si l’avenir est inconnaissable, ce n’est pas parce qu’il est chaotique, c’est parce qu’il n’existe pas. Et ce qui sera, mais qui n’existe pas aujourd’hui, c’est très exactement ce qui dépend de notre liberté.

Et si la crise financière-économique-sociale-politique (ouf!) que nous traversons faisait partie de ces phénomènes dont l’avenir ne peut être prédit, parce qu’il n’existe pas?

Et si cela signifiait que cet avenir dépendait de nous ? Qu’il sera ce que nous en ferons ?

Ce serait intéressant si c’était vrai : parce qu’alors notre liberté étant proportionnelle à l’indétermination de l’avenir, notre responsabilité (issue des actes de notre liberté) serait proportionnelle à notre ignorance.


(1) Voir aussi Post du 5 juin 2007

Tuesday, April 28, 2009

Citation du 29 avril 2009

En général, si vous voulez créer quelque habitude, pratiquez ; si vous voulez ne plus l'avoir, cessez de pratiquer et habituez-vous plutôt à une autre pratique qui remplace la première. […] Il est impossible que les actes correspondants ne fassent pas naître des habitudes et des dispositions, si elles n'existaient pas auparavant ou, sinon, ne les augmentent et ne les renforcent.

Épictète – Entretiens

Ce que vous faites par habitude vous le devenez peu à peu : marathonien si vous courez régulièrement, lubrique si vous succombez au commerce charnel trop souvent.

Pour Epictète, non seulement la plasticité humaine existe, mais encore elle est sous la dépendance de notre volonté. Pour une fois qu’on ne peut reprocher aux stoïciens leur passivité, on ne va pas se priver d’en profiter.

Supposez que vous ayez l’intention de perdre de l’embonpoint. Vous avez un régime fait de carottes râpées et steak de soja. Mais vous fantasmez sur des pots de rillettes et des gâteaux au chocolat ? Dites-vous que ça ne durera pas et que bientôt vous rêverez de potage aux fanes de radis.

Et l’addiction, me direz-vous ? Epictète, il est bien gentil, mais il faut croire que de son temps, l’addiction, ça n’existait pas. Car aujourd’hui oui, ça existe. Et la volonté elle peut faire ses valises : elle ne sert à rien dans ce cas.

J’ai eu en commentaire d’un ancien post sur l’arrêt du tabac un monsieur qui est je crois coach en arrêt de fumer (qu’il me pardonne l’approximation éventuelle de cette formule). Il dit : pour arrêter de fumer, il ne faut pas faire appel à la volonté, mais stimuler un désir opposé. Arrêter de fumer doit faire plaisir (1). Dont acte.

Après tout ce n’est pas si opposé au stoïcisme. Déjà parce que c’est à peu près ce qu’on trouve dans le Traité des passions, et que Descartes n’est pas si loin du stoïcisme. Et puis de toute façon, en disant qu’on ne lutte contre une habitude qu’avec une contr’habitude, on ne sort pas du déterminisme de notre nature : on se contente d’en exploiter les contradictions.

Mais alors, voilà que notre croqueur de chocolat proteste : il n’y a rien en lui qui puisse s’opposer au délice du chocolat ?

Mais, mon ami, dites-vous que ce n’est qu’une habitude, et que comme toutes les habitudes, il ne dépendait que de vous de ne pas la contracter.

Fallait pas commencer.


(1) Ancien fumeur moi-même, j’atteste que je me suis arrêté de fumer au printemps, pour retrouver mon odorat affecté par le tabac et profiter du suave parfum des fleurs. Il est vrai que j’avais aussi le plaisir narcissique de me dire que j’avais été plus fort que la dépendance, ce qui est un peu contradictoire…

Monday, April 27, 2009

Citation du 28 avril 2009

La pratique du zapping procure au téléspectateur l'illusion de la sélection consciente, alors qu'il ne répond souvent qu'à des réflexes immédiats d'ennui passager.

Joël de Rosnay –Les dossiers de l'Audiovisuel

Le zapping, c'est à domicile et à volonté, le pouvoir absolu : régal des petits chefs, joujou des beaufs, revanche pour les humiliés, les sans-grade.

Bernard Pivot – Le Métier de lire

Cher lecteur, j’ai une question à vous poser : à supposer que j’aie supprimé le mot zapping de ces définitions, et que je vous aie demandé « de quoi parle-t-on ici ? », auriez vous retrouvé ce dont il était question ? Mieux – ou pire – auriez vous deviné qu’il s’agissait du même mot ?

Non sans doute : preuve s’il en fallait que le mot zapping est indéfinissable dès qu’on va le considérer comme signe de quelque chose, soit chez le téléspectateur, soit dans la civilisation contemporaine.

Alors, cherchons dans le dictionnaire :

1 - zap - Slang

v. zapped, zap·ping, zaps

v.tr.

1.

a. To destroy or kill with a burst of gunfire, flame, or electric current.

b. To kill or destroy as if by shooting.

c. To strike suddenly and forcefully as if with a projectile or weapon: "His . . . narrative runs marvelously on and on, zapping the reader with often surprising and . . . painful glimpses" Publishers Weekly.

d. To expose to radiation; irradiate: "perfect for those who can't bring themselves to zap food in a microwave" John F. Mariani.

2. To attack (an enemy) with heavy firepower; strafe or bombard.

3. To use a remote control device to switch (channels on a television) or to turn off (a television set).

v.intr.

--> Mon lecteur, je l’entends d’ici :

Hein? Quoi? Z’auriez pas plus simple ?

2 - Zapping

"C'est l'opération consistant à changer fréquemment de chaîne de télévision. Au sens strict, ce changement s'effectue pour éviter les écrans publicitaires. Cependant, on peut distinguer : le flipping, changer de chaîne en cours d'émission, et le switching, changer de chaîne en cours d'émission afin de regarder une émission préalablement choisie."

--> Non mais des fois, vous seriez pas entrain de vous moquer de moi ?

Encore plus simple SVP !

3 - n.m. zapping [zapiŋ] (mot angl., de to zap, zapper)

Pratique du téléspectateur qui change fréquemment de chaîne à l'aide de son boîtier de télécommande. Larousse Pratique. © 2005

--> Oui, mais, là, mon lecteur il est déjà parti.

Sunday, April 26, 2009

Citation du 27 avril 2009

Un escalier se balaie en commençant par le haut.

Proverbe roumain

Ça vous arrive de philosopher en faisant le ménage ? Non ? Jamais ?

Alors permettez-moi de vous suggérer de mieux balayer votre escalier, de prendre tout le temps nécessaire et même plus encore.

Car, dites-vous bien qu’un escalier est un lieu hautement symbolique, au quel se trouvent attachées toutes sortes de significations (1).

Et voici donc ce proverbe, issu sans doute de la sagesse des peuples, qui vous conseille de vous débarrasser des détritus en commençant par le haut. Le sens politique de cette remarque ne peut passer inaperçu, et aucune révolution digne de ce nom n’a oublié cette recommandation.

Rêvons un peu : essayons d’imaginer ce que deviennent nos dignitaires une fois balayés du pouvoir. Sont-ils supprimés, mis à la poubelle comme la poussière de l’escalier ? Ou bien, doit-on se contenter de leur faire descendre l’escalier en s’arrêtant à l’ultime première marche ?

Vous voyez où je veux en venir ? Non ? Alors rappelez vous la révolution culturelle chinoise : quand elle ne massacrait pas les intellectuels, elle les envoyait se rééduquer aux champs où ils devaient repiquer le riz, dans l’eau toute la journée sous la férule inculte d’un paysan-commisaire du parti.

Situation extrême ? Bon, mais pas tant que ça. Voyez nos ministres, voire même nos anciens présidents. Que deviennent-ils quand ils ont descendu les marches du pouvoir qu’ils avaient gravies du temps de leur splendeur ? Y a-t-il pour eux une vie après l’Elysée (2) ?

Moi, je ne crois que ce que je vois. Et je ne vois jamais aucun homme politique prendre vraiment sa retraite. Même sorti manu militari des allées du pouvoir, on le voit intriguer, se contorsionner pour revenir… même par l’escalier de service.


(1) J’aurais pu commencer par Descartes et son escalier de la méthode, qu’on doit monter marche après marche.

(2) Rappelons que dans la mythologie grecque, les champs Elysées sont le lieu où les gens vertueux goûtent le repos après leur mort.

Saturday, April 25, 2009

Citation du 26 avril 2009

…l'ennui est la prolongation dans le spirituel d'un vide immanent de l'être. En comparaison, Langeweile [l'ennui] est seulement une absence d'occupation.

Cioran – De la France [L'Herne, 96 pages] (Lire des extraits ici)

Qu’est-ce que l’ennui ? Ceux qui manquent d’imagination répondront : « c’est avoir du temps en trop ». Ceux dont la lucidité n’est pas émoussée, diront : c’est la prolongation dans le spirituel d'un vide immanent de l'être.

Autrement dit, l’ennui est métaphysique. Après l’angoisse, l’ennui est le sentiment métaphysique par excellence.

Selon Cioran, les français sont ceux qui ont le mieux perçu cette dimension (contrairement aux allemands), et qui en ont le plus clairement tiré la conséquence. Et le 18ème siècle est celui où cet ennui s’est élucidé le plus clairement, dans les salons où on cultive l’art de la conversation, comme celui de madame Du Deffand (1).

Le 18ème siècle nous dit Cioran, « c'est aussi le siècle qui s'est le plus ennuyé, qui a eu trop de temps, qui n'a travaillé que pour passer le temps. »

Alors bien sûr, il y a tous ceux qui disent que l’ennui est un luxe, qu’il n’affecte que les riches dont le temps n’est pas rempli par la quête de ressources pour vivre.

Le pessimisme de Cioran consiste à dire que cela ne change rien, puisqu’avec l’ennui nous nous situons au niveau de l’essence humaine.

Pour ce qui est de l’occupation besogneuse des pauvres, le fait qu’elle soit laborieuse ne change rien à la nature humaine : elle ne fait qu’en masquer la réalité. L’homme qui travaille pour vivre trouve dans cette activité un surplus qui est d’oublier son néant, exactement comme l’aristo qui discute futilement dans un salon doré. Que l’un gagne sa vie pendant que l’autre la dissipe n’est qu’une opposition d’apparence.

La seule différence est au niveau de la vie animale (la zoè de Foucault) qu’il s’agit ou non d’entretenir par son travail. Par contre la vie humaine (le bios pour rester dans la même référence) n’est que l’occasion d’éprouver le néant.

C’est ça le pessimisme.


(1) "Je ne trouve en moi que le néant et il est aussi mauvais de trouver le néant en soi qu'il serait heureux d'être resté dans le néant." Madame Du Deffand, citée par Cioran

Friday, April 24, 2009

Citation du 25 avril 2009

Le bois dont l'homme est fait est si noueux qu'on ne peut y tailler des poutres bien droites.

E. Kant – Idée d’une histoire universelle du point de vue cosmopolitique. 6ème proposition

Nous sommes à la fin du 18ème siècle. Cette remarque désabusée, Kant la fait en songeant aux qualités qu’un chef d’Etat doit posséder pour exercer sa mission correctement : il ne doit pas avoir les défauts dont il doit protéger ceux qui l’ont choisi pour gouverner.

Faut-il y songer aujourd’hui encore avant de choisir nos élus ?

Il y a des degrés dans le pessimisme politique.

- Le premier degré est un simple scepticisme : du genre tous des incapables.

- Le second degré est anarchisant : tous des despotes à abuser de leur pouvoir.

- Le troisième degré est un raffinement par rapport à celui-ci, et c’est ce que Kant nous suggère.

Nous devrions nous demander non pas si nous avons confiance en ceux qui prétendent nous gouverner pour réaliser les promesses qu’ils nous ont faites, mais seulement pour nous demander s’ils ne vont pas commettre eux-mêmes les méfaits qu’ils sont censés pourchasser.

Comme emprisonner arbitrairement, voler dans la caisse, exproprier injustement, favoriser indûment leur famille ou leurs proches, etc.

Car si la nature humaine est incapable de produire ces êtres intègres qu’il faudrait pourtant avoir pour réaliser un gouvernement digne de ce nom, alors il n’y aura jamais de différence notable entre le voleur et le juge. Entre l’escroc et le percepteur. Entre le pécheur et le prêtre.

Bon... Reste que Kant voit dans les progrès inéluctables de l’espèce humaine ou de la civilisation, les conditions nécessaires pour redresser ce bois humain. Et il pense que ces progrès sont à son époque entrain de s’accomplir.

C’est ça l’optimisme.

Thursday, April 23, 2009

Citation du 24 avril 2009

L'égoïsme est cette loi de la perspective du sentiment d'après laquelle les choses les plus proches sont les plus grandes et les plus lourdes alors que toutes celles qui s'éloignent diminuent de taille et de poids.

Nietzsche – Le Gai Savoir

Pourquoi dit-on que l’égoïste est celui qui se regarde le nombril, si ce n’est parce que le nombril est cette partie de lui qui est la plus proche de lui-même ?

Nietzsche dit joliment que l’égoïsme et un loi de la perspective sentimentale qui accorde le plus d’importance à ce qui nous touche de plus près – j’entends quand à moi, ce qui nous ressemble ou nous concerne le plus.

Mais il nous dit encore que ce qui nous paraît le plus proche est en même temps le plus grand et le plus lourd. On devine que l’égoïste est handicapé par cet encombrant fardeaux qu’il constitue pour lui-même, un peu comme les danseurs de Zadig au sortir du corridor de la tentation, ce couloir obscur rempli des bijoux et de pierres précieuses (1).

Comme beaucoup, j’ai tendance à me méfier des évaluations à l’emporte-pièce, de ces clés qui ouvrent toutes les serrures. N’empêche que cette phrase de Nietzsche pourrait bien nous être utile si nous l’entendions comme une précaution à prendre.

Elle pourrait dire ça : méfions nous de ce qui nous parait grand et important dans la vie. Avant de consentir à nous en charger, vérifions si par hasard cette importance ne serait pas seulement une pesanteur stérile, quelque chose qui ne vaudrait que par rapport à cet égoïsme que nous rejetons pourtant.

Plus encore : demandons nous ce que nous allons être obligé de laisser sur le bord de la route pour pouvoir charger cet encombrant fardeau.

(1) Voltaire, Zadig – À lire ici, à écouter là – c’est le chapitre 14

Wednesday, April 22, 2009

Citation du 23 avril 2009

Sachez que le travail ... c'est la liberté..

.... la liberté.... des autres....

Pendant que vous travaillez, ....... vous n'ennuyez personne ......

Erik Satie – Écrits

- Quoi ? Encore une citation sur le travail ? Mais c’est une véritable obsession chez vous !

Vous n’avez qu’à y aller au travail au lieu d’en parler. Et comme ça vous nous ficherez la paix !

- Oui, je comprends votre colère, mais sans doute n’avez-vous pas lu attentivement la citation d’aujourd’hui. C’est que, justement, Erik Satie (au fait vous savez de qui il s’agit ? Non ? Alors lisez ceci… et écoutez cela) désigne le travail comme une activité absorbante, ce qu’on savait, mais surtout qui absorbe les débordements tyranniques – ou du moins toxiques – à l’égard des autres.

Le travail n’est rien d’autre qu’un absorbeur ; entendez que le travail nous débarrasse de quelque chose. Mais reste à savoir ce qu’il absorbe.

- Couramment et au moins depuis Marx, il est considéré comme ce qui absorbe la vie, c’est à dire la force vitale, ou encore plus simplement le temps de la vie.

- D’autres, plus moraux l’ont considéré comme étant ce qui absorbe la pauvreté, le vice, le péché.

- Certains ont insisté sur le fait que par le travail est un absorbeur de solitude : en travaillant nous entrons en relation avec le reste de la société : de ceux qui consomment ce que nous produisons à ceux qui travaillent avec nous.

Au fond, c’est là que se situe la pique de Satie : la solitude est une bonne chose, non pas en soi, mais parce qu’elle nous protège de la bêtise des autres.

Tuesday, April 21, 2009

Citation du 22 avril 2009

Autrefois, le chemineau faisait horreur ; le saltimbanque était méprisé : les sédentaires se jugeaient supérieurs aux errants. Aujourd'hui, l'homme immobile regarde l'homme bolide écraser sa volaille et disparaître dans une poussière de gloire.

François Mauriac – La Province, p.55 (1964)

La vitesse : voilà qui faisait encore rêver en 1964. Il y avait de la gloire à soulever la poussière de la route, quitte à écraser les poules.

Aujourd’hui, 45 ans plus tard, plus de poules sur le bord de la route, plus de poussière soulevée, plus de vitesse pour cause de réchauffement climatique, mais aussi plus de rêve.

Quand le Concorde a été mis au rancart, a-t-on regretté un avion qui volait à mach 2 ? Pas du tout : ce n’était plus alors qu’un bel oiseau.

Où sont donc les petits MG, et les Aston-Martin des années 60 où se pavanaient les play-boys de l’époque ?

1960 !... Années bénies où pour être marginal il suffisait de rouler en Coccinelle (qui planait à 110 Kms heures) ou en Deuche.

Plus de rêve… Ou peut-être, d’autres rêves ?

Qu’est-ce qui fait rêver les jeunes aujourd’hui ? Il ne m’appartient peut-être pas de répondre à cette question, mais j’ai bien le droit de la poser.

La voiture qui fait rêver aujourd’hui a des performances qui se mesurent en grammes de CO2 au kilomètre. Les super-ordis, les baladeurs MP3 qui font des perfs high-tech sont aussi ceux dont le recyclage est garanti, et dont la fabrication n’a pas contribué à détruire la forêt amazonienne.

Ne croyez pas que les quinquas qui courent après ce qui fait Bling-Bling soient dans le coup. Les jeunes, eux, ils savent que la mode, c’est de relier leur Rolex à des capteurs photovoltaïques.

Ça c’est tendance.

Monday, April 20, 2009

Citation du 21 avril 2009


Même ses amants, qui étaient les seuls à avoir le droit de murmurer son prénom, disent, depuis 2002 (allez savoir pourquoi ?!), Miss.Tic. "Il n'y a plus que le fisc et les flics qui connaissent ma véritable identité."

Véronique Cauhapé – Portrait (le Monde du 16 avril 2009

Photo Tina Mérandon pour le Monde

Miss.Tic, même ses amants ne connaissent pas sa « véritable » identité : quoi d’étonnant ? George Sand quand elle écrivait des lettres – et même à des intimes – signait George et non pas Aurore.

Moi qui ne suis ni flic ni percepteur je n’en sais pas plus que vous, mais au fond, quelle importance ? Je veux dire, s’agissant d’un artiste, comment l’identifier – s’il le faut – autrement qu’à son œuvre et rien d’autre. Que Picasso ne se soit pas vraiment appelé ainsi, mais plutôt Ruiz-Picasso, qu’elle importance (à moins qu’on ne pense que la psychanalyse ait quelque chose d’essentiel à dire sur ses tableaux) ?

Allons un peu plus avant dans la question de l’identité.

Croyez-vous vraiment Miss.Tic quand elle dit que ces fonctionnaires sont les seuls à connaître sa véritable identité ? Qu’est-ce donc que l’identité véritable ?

Pour vous, pour moi, c’est ce que mes intimes connaissent – et encore.

Et pour un artiste ? On a déjà répondu : la personnalité de l’artiste, c’est son œuvre, et c’est vrai. C’est vrai, mais c’est insuffisant. Car alors, il faut dire que lui-même, son corps, sa voix, les méandres de son existence – que sais-je encore ? – son aussi son œuvre (1)

Regardez la photo publiée par le journal : croyez-vous qu’un policier saurait en tirer une fiche pour les R.G. ?

Seulement, si on ne peut tirer de cette photo une fiche anthropométrique, il nous reste à y voir un portrait.

Et comme – coup de chance – nous ne sommes pas des policiers, ça nous va tout à fait.


(1) Sans vouloir faire étalage de pédanterie, on rappellera que faire de la vie quotidienne une œuvre d’art, c’était le vœu de Proust.

Sunday, April 19, 2009

Citation du 20 avril 2009

Nul ne peut par l'accumulation de tous les moyens priver l'autre de l'instruction nécessaire pour son bonheur; l'instruction doit-être commune.

Gracchus Babeuf Manifeste des Plébéien (1)

Et voici l’ancêtre du communisme, le fondateur du mouvement des Egaux qui prêche pour une instruction commune.

L’école communale serait donc ainsi appelée non seulement parce qu’elle est celle de la Commune, entité administrative, mais aussi parce qu’elle prodigue l’instruction en commun ?

Sans vouloir revenir sur le système opposé, à savoir le préceptorat, on peut se demander si cette idée de communauté éducative n’en a pas pris un sérieux coup dans l’aile aujourd’hui.

- L’idée de Babeuf apparaît relativement claire : il s’agit d’assurer l’égalité du savoir, que personne ne puisse se l’approprier au détriment des autres, comme le paysan illettré à qui on refuse ainsi l’accès à l’information qui lui permettrait de comprendre sa situation. C’était une revendication politique, mais qu’on retrouve aussi dans le domaine de la vie quotidienne. C’est ainsi que Condorcet exigeait de l’école qu’elle fournisse à chacun cette autonomie, comme par exemple d’être capable de vérifier la note de la blanchisseuse. Et ici même : l’instruction est nécessaire pour le bonheur de l’individu.

L’originalité, c’est que pour parvenir à l’égalité du savoir Babeuf réclame la communauté de l’instruction.

- Qu’en est-il aujourd’hui ? Il semble qu’on ait parfaitement appliqué l’idéal défendu par Babeuf : tronc commun des études de 6 à 16 ans.

Et pourtant il semble aussi qu’une pareille communauté ne soit pas exactement source d’égalité. Soit on veut marcher au pas des plus rapides, et alors on laisse en route les plus lents ; soit on fait l’inverse et on brime l’intelligence des meilleurs. Dans un cas on a inégalité ; dans l’autre injustice. Que la justice et l’égalité entrent en contradiction, voilà qui ferait retourner Babeuf dans sa tombe si jamais il l’apprenait.

Rassurons-nous : on va réconcilier les deux et vite fait encore. Il suffit d’un peu de pédagogie différenciée ici, de quelques heures de tutorat par là, et le tour est joué. A l’égalité du savoir se substitue l’égalité des chances. Et l’égalité des chances passe par la diversité des techniques. L’égalité républicaine ne recule pas ; elle se différencie.

A condition que ça marche.


(1) Sur Babeuf, voir ceci. Sur la Déclaration des droits de l’homme de 1793, qu’il tenta d’imposer, lire ici

Saturday, April 18, 2009

Citation du 19 avril 2009

Article 31

Les délits des mandataires du peuple et de ses agents ne doivent jamais être impunis. Nul n'a le droit de se prétendre plus inviolable que les autres citoyens.

Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen de 1793.

A l’heure où j’écris ces lignes, la mort d’un homme – un vendeur de journaux je crois – à Londres lors du G.20 reste très mystérieuse. En tout cas la vidéo qui buzze sur Internet montre très clairement qu’il a été victime de brutalités policières, alors même qu’il était tout à fait paisible.

Ce qui retient mon attention c’est que si en 1793 il était nécessaire de proclamer que Nul n'a le droit de se prétendre plus inviolable que les autres citoyens, en 2009 une telle proclamation est toujours aussi nécessaire. Comme si il était des abus dont on ne pouvait se débarrasser, alors même qu’on en reconnaît le caractère délictueux depuis plusieurs siècles.

C’est qu’il y a une tendance profonde et peut-être irrémédiable à assimiler la force au droit. Car ces policiers qui agissent comme détenteurs de la force publique, font comme si cette force justifiait leur brutalité. Qu’on comprenne qu’on n’est pas du tout dans le cas de soudards qui pillent et qui violent parce qu’ils ont des armes et que leurs victimes sont désarmées. Non. Il s’agir de gens qui agissent calmement tranquillement, comme si ils réglaient la circulation au carrefour.

Mais que les lois interdisent de tels agissements, et c’est pour les auteurs de ces délits tout un système de protection et de couverture qui se met en place. Ici, par exemple, on est curieux de savoir pourquoi il a fallu 2 autopsies pour découvrir la cause de la mort de cet homme.

L’omerta, ce n’est pas seulement pour le bandits corses.

Friday, April 17, 2009

Citation du 18 avril 2009

Le comédien, lorsqu'il a fini de travailler, redevient un homme comme les autres ; alors que l'acteur "se joue lui-même" à toutes les secondes.

Jean-Paul Sartre

Il est des mots dont le sens s’est obscurci au point de perdre leur contour et de se confondre avec d’autres mots. Et ainsi de la différence entre l’acteur et le comédien.

Sartre nous le rappelle ici : le comédien « joue » son rôle ; l’acteur « se joue » à travers son rôle.

Autrement dit, si le comédien investit dans son jeu une technique éventuellement apprise dans des cours d’art dramatique, l’acteur y investit son physique, sa vie, ses « tripes ». Pour le comédien, tout rôle est un rôle de composition ; pour l’acteur, il lui faut se recomposer lui-même pour accéder à certains rôles (1).

Si une femme (par exemple) devient actrice alors il lui faut s’identifier totalement et constamment à l’image qu’elle a produit d’elle, au point de ne plus pouvoir jouer quand l’âge la transforme. L’actrice Brigitte Bardot n’a pas su vieillir à l’écran, à la différence de la comédienne Jeanne Moreau.

L’essentiel est que même si l’acteur n’est guère différent dans la vie et sur la scène, tout le monde n’est pas susceptible de le devenir. C’est que ce n’est pas la même chose de vivre et de jouer sa vie.

Sartre a construit sa théorie de la mauvaise foi là-dessus. L’exemple si connu du garçon de café (2), qui appuie ses gestes, sa démarche, ses attitudes de telles sortes qu’il soit immédiatement identifiable comme tel, et surtout qu’on puisse se dire qu’il est ainsi jusque dans le tréfonds de son être – que chez lui, une fois son service terminé, il prend les mêmes attitudes, la même démarche – sert à illustrer cette volonté de figer son être dans son apparence.

L’homme de mauvaise foi est un acteur qui ne quitterait jamais la scène : il joue à être de part en part, à tout moment, celui qu’il paraît être, pour être d’un bloc, comme le granit est granit au plus profond du rocher. Comme l’anti-sémite de la Question juive.

La différence entre l’acteur et l’homme de la rue est que ce dernier se projette dans différentes possibilités, qu’il est tantôt père, tantôt contribuable, tantôt joueur, tantôt travailleur, etc… (3)

Mais si l’homme de la rue devient acteur, alors c’est l’une de ces possibilités seule qui survit.

Si être libre c’est s’inventer à chaque instant, alors l’homme qui joue sa vie comme un rôle nie sa propre liberté. C’est là sa mauvaise foi.

C’est très exactement ce qu’on appelle une aliénation.


(1) Certains acteurs frôlent la folie à incarner des personnages extrêmes, comme Björk dans dancer in the dark.

(2) Dans l’Etre et le néant – voir ceci

(3) Voir là-dessus le joli texte de Virginia Woolf, cité en annexe au Post du 28 février 2009

Thursday, April 16, 2009

Citation du 17 avril 2009

C'est la force des dirigeants modernes d'avoir compris que la religion ayant cessé d'être l'opium du peuple, la loterie, fille du rêve et de la démocratie, qui pour un investissement modique promet l'égalité des chances, pouvait constituer une drogue de substitution.

Philippe Bouvard – Journal 1992-1996

Que n’a-t-on pas dit des jeux de hasard, Loterie, Loto, Truc-à-gratter ? Que c’était du rêve, que c’était un impôt volontaire, que les plus pauvres étaient paradoxalement ceux qui jouaient le plus ?

Tout ça est sans doute vrai. Mais on n’a pas pointé l’essentiel : les jeux de hasard, enfants du rêve et de la démocratie, assurent l’égalité des chances. A chaque tirage, le plus pauvre smicard a autant de chance de devenir riche que son patron. Le patron a le parachute doré, et l’ouvrier a l’OXO (1)

Mais on n’a pas dit devant quoi il y a rétablissement de l’égalité des chances : vivre aussi longtemps ? Séduire aussi facilement ? Devenir un savant nobélisable ?

Vous me direz que je fais le naïf, comme s’il n’était pas évident que c’est l’égalité devant tout ce qu’apporte l’argent. D’ailleurs les publicités pour la Française des jeux sont simples : elles nous promettent une vie de luxe, de farniente, de belles voitures, etc…

Mais rêver de devenir aussi riche que le patron, pour vivre ce qu’il vit (ou du moins ce qu’on en suppose), c’est déjà extrêmement ciblé. L’argent est capable de faire beaucoup d’autres choses.

- Comme de devenir un bienfaiteur de l’humanité comme Bill Gates sans se fatiguer autant que Sœur Emmanuel.

- Ou créer une Fondation pour l’art moderne, sans connaître le monde des artistes comme les Maeght.

- Ou de financer un fonds pour la recherche contre le cancer – ou le sida.

Mais en réalité, si les jeux sont l’opium du peuple, c’est parce qu’ils sont l’espérance d’avoir ce qui est là, juste à l’horizon du désir, à portée de regard mais pas à portée de main.

Dis-moi pourquoi tu joues, je te dirai qui tu es.


(1) Je fais le malin, mais en réalité je ne sais pas exactement ce que c’est sauf que c’est un machin pour savoir qu’on a (gagné ou) perdu presque instantanément.

Wednesday, April 15, 2009

Citation du 16 avril 2009

Attention : lire ce post risque de donner le cancer du poumon.

Je ne veux pas travailler / Je ne veux pas déjeuner / Je veux seulement oublier / Et puis je fume

Pink Martini (Paroles et Musique: Forbes, Lauderdale à lire ici à écouter ici)

Je ne veux pas travailler… Et puis je fume.

- Vous savez de quoi je rêve ? Qu’un jour cette chanson devienne l’hymne d’un mouvement politique qui remporte les élections.

Voilà.

Son programme ?

Au lieu de : Fumer moins pour vivre plus longtemps. Et de : Vivre plus longtemps pour travailler plus.

Il revendiquerait : Fumer plus pour vivre moins longtemps. Vivre moins longtemps pour travailler moins.

Voilà.

- Hé ben…. Peut-être oui, mais vous oubliez que la dame elle dit : Je ne veux pas déjeuner / Je veux seulement oublier / Et ça, ça montre que c’est une chanson dépressive. Votre héroïne elle déprime dur et c’est pour ça qu’elle ne veut pas travailler, et qu’elle fume.

Voilà.

- Chez monsieur c’est vous qui oubliez à qui vous vous adressez. Je suis un spécialiste des citations, moi monsieur. Et je n’ai pas pour rien cité Saint-Paul (le 8 mai 2007) qui relie en effet le travail au besoin de manger (Si quelqu'un ne veut pas travailler, qu'il ne mange pas non plus). Mais vous oubliez aussi l’ermite de Thoreau (1), qui dit : Qui ne mange pas n’a pas besoin de travailler. Réduisons notre besoin alimentaire et nous réduirons du même coup le besoin de travail.

Nouvelle revendication : Manger moins pour travailler moins.

Voilà.


(1) H-D Thoreau - Walden page 256. Thoreau considérait en plus que le gros mangeur est un homme à l’état de larve. Et toc !

Tuesday, April 14, 2009

Citation du 15 avril 2009

Ce qui doit être sera.

Eschyle

Que sera sera / Whatever will be will be / The future's not ours to see / Que sera sera

Paroles : Jay Livingston et Ray Evans (Chanté par Doris Day ici – et pour ceux qui les préfèrent les Pink Martini ici)

Cours de logique – aujourd’hui : le sophisme paresseux.

Enoncé :

Le futur – notre futur – ne nous appartient pas, ne nous en soucions donc pas. Ce qui veut dire qu’on n’a pas à se fatiguer pour le produire, et que si nous n’avons pas à le connaître c’est parce que nous n’avons aucun pouvoir sur lui. A quoi bon se fatiguer ? Que sera sera

C’est exactement ce que Leibniz désignait sous le nom de « sophisme paresseux » (définition ici, texte de Leibniz ici - il s'agit de la réponse au 2ème prosyllogisme de la 3ème objection)

Réfutation :

1ère réfutation du sophisme paresseux : par Leibniz – La prédétermination comporte non seulement celle des évènements (yes, my baby, tu seras rich and pretty) mais encore celle des efforts pour les obtenir. Et même le choix que nous en faisons est prédéterminé, ce qui veut dire qu’être libre, c’est vouloir ce qui doit arriver.

2ème réfutation : par Eschyle – Le héros tragique, justement celui à qui Eschyle annonce que ce qui doit être sera, est en lutte contre le destin. C’est bien parce qu’il n’admet pas ce qui doit arriver et qu’il sait que sa lutte est vaine qu’il est héroïque. Dans la tragédie grecque, le rôle du chœur est justement d’annoncer à tous que le destin est une force qui nous domine, quoique nous fassions.

Par contre, un personnage comme Œdipe qui ne connaît pas quel est son destin, l’accomplit en toute naïveté (ce qui ne veut pas dire en toute innocence). Mais c’est que la tragédie a alors pour fonction de montrer la force du destin et non la folie des hommes.

Allez, c’est l’heure d’aller au boulot, et arrête de te demander pourquoi…

Citation du 14 avril 2009


Aimer un être, c'est le rendre transparent.
Jean Racine
Devenir transparent, voilà l’épreuve imposée à l’être aimé livré sans retrait possible au regard de l’autre…. (voir ici ce que Racine justement en concluait dans Phèdre)
Sartre le dira aussi : sous le regard de l’autre je suis nu comme un ver, ce qui veut dire que mon apparence est devenue ma réalité.
Mais la transparence ce n’est pas la nudité. Cette esquisse de Matisse est là pour en témoigner : Matisse, le maître de la blouse (1) a encore ici le talent de la rendre belle alors même qu’on ne devrait avoir qu’une envie : l’enlever !
Je vous laisse la contempler après avoir juste relevé deux points :
- d’abord la transparence de l’étoffe de la blouse n’est pas évidente, puisque celle-ci n’est que la continuation des motifs de la tapisserie (2)
- ensuite, cette transparence est mise en valeur par les seins qu’on devine à travers l’étoffe. Pour ceux qui connaissent Matisse, il est assez évident que les seins de ses modèles ne l’intéressent vraiment pas : mal fichus, invraisemblables, ils ne sont dessinés que parce qu’il le faut bien (je n’en dirai pas autant des hanches et des fesses). Mais ici, voilà qu’ils sont très corrects, et – disons-le – plutôt désirables. C’est qu’ils ont pour rôle d’accrocher le regard et de révéler la transparence de l’étoffe.
Concluons : la transparence est ici synthèse de la surface et de la profondeur (pour ne pas dire de l’apparence et de l’essence)

(1) La blouse chez Matisse : voir ici l’étonnante collection de blouses présentes dans ses œuvres
(2) Procédé courant chez Matisse qui refuse la rupture entre la peinture et la décoration

Sunday, April 12, 2009

Citation du 13 avril 2009

Ma liberté, comme on m’emprisonne en ton nom.

Aragon – Le paysan de Paris (p. 68)

Méfiez-vous des discours sur la liberté. Comme d’ailleurs de ceux qui sont consacrés à la justice, à la fraternité, à la charité, que sais-je ?

Mais bon. Il faut savoir se limiter, disons donc : on m’emprisonne au nom de la liberté.

On use donc d’une idée de la liberté pour la détruire dans la réalité.

Comme par exemple tous les renoncements dans l’espoir de voir se réaliser nos désirs dans l’avenir. Comme de supposer que pour réaliser notre liberté il faut savoir nous soumettre à la loi des autres.

Est-ce donc cette banalité-là que Aragon signale ?

Disons qu’il s’agit sans doute de cette situation, mais qu’elle n’est pas si vulgaire.

Aragon est à l’époque du Paysan de Paris un surréaliste pur et dur. Comme tous les surréalistes il déteste l’abus fait à son époque de la rigueur rationnelle, considérée comme un carcan destiné à brimer l’imagination, la création, et – justement – la liberté.

Spinoza le disait déjà : être libre, c’est vivre sous la conduite de la raison. Depuis, tous les philosophes – et en particulier Kant – en ont rajouté plusieurs couches : la raison, c’est cette part de nous-mêmes qui est présente chez tous les hommes, c’est elle qui est à l’origine de la liberté : être libre c’est agir selon des principes universels. Certes, l’obéissance à la loi qu’on s’est donnée est liberté, mais cette loi doit être rationnelle, ce qui signifie que pour être libre je ne peux vouloir que ce que tous les hommes voudraient aussi pour eux-mêmes, s’ils étaient dans la même situation.

Donc être libre c’est avoir une conduite prévisible, puisque ordonnée selon une loi, explicable aux autres et coordonnée avec les leurs.

En face de cela, les surréalistes clament que la réalité n’est pas celle-là. La liberté, c’est dans le désir qu’elle se trouve. Et la réalité des désirs, c’est l’incohérence, la versatilité, la contradiction, et l’indifférence à l’égard de tous les autres.

La liberté peut aussi être incohérente, et la raison une prison.

Saturday, April 11, 2009

Citation du 12 avril 2009


- Et que fais-tu de ces étoiles?

- Ce que j'en fais?

- Oui.

- Rien. Je les possède. […]

- Et qu'en fais-tu?

- Je les gère. Je les compte et je les recompte, dit le businessman.

Antoine de Saint-Exupéry - Le petit prince ch XIII

Ce businessman est un emblème tout à fait pertinent pour notre époque : lui, il possède sans pouvoir consommer, puisque les étoiles sont hors d’atteinte, tandis que nos patrons du CAC-40 qui possèdent des milliards de dollars dont personne ne saurait quoi faire dans la durée d’une vie humaine.

C’est curieux comme on oublie cet aspect des choses aujourd’hui : qui donc proteste contre l’excès de la propriété privée ? Qui reprendrait à son compte la définition de Rousseau disant que la propriété ne résulte que de l’usage de la chose possédée ?

Reste que notre businessman fait un peu plus que contempler sa liste d’étoiles : il la gère.

Alors, bien sûr, le ridicule vient de ce qu’on ne gère pas les étoiles ; reste que la gestion est aujourd’hui la justification de la propriété

Que signifie gérer ? Ça signifie compter ? Sûrement pas. Notre homme devrait aussi faire prospérer ses biens, c'est-à-dire augmenter les richesses : les siennes et celles des autres (enfin, de certains autres). Les riches peuvent légitimement s’enrichir s’ils enrichissent aussi les autres..

Alors, que votre patron se fasse des c… en or, on s’en contrefiche à condition qu’il apporte du travail et des salaires.

Mais le jour où il licencie, alors on va les lui ...

Friday, April 10, 2009

Citation du 11 avril 2009

Il ne faut pas gâter les choses présentes par le désir des absentes, mais réfléchir au fait que celles-là mêmes ont fait partie des choses souhaitables.

Épicure / Sentences vaticanes

celles-là mêmes ont fait partie des choses souhaitables : ne vous prenez pas les pieds dans le tapis : il s’agit bien sûr des choses présentes, celles nous possédons.

Alors, voilà : vous êtes marié depuis 2 ans et déjà vous commencez à reluquer les nanas qui vous frôlent en vous croisant sur le trottoir. Déjà votre épouse régulière vous intéresse moins, et le soir, même si elle dévoile en se mettant au lit une nuisette affriolante, votre imagination vous ramène obstinément au décolleté de la petite stagiaire qui est depuis ce matin à l’accueil…

Alors, pensez donc à cette Sentence vaticane (1) : les raisons qui vous ont fait désirer la femme qui est devenue la vôtre ont-elles disparues ? Est-elle moins belle qu’avant ? Moins intelligente et amusante ? A-t-elle moins de grâce qu’au premier jour quand elle relève ses cheveux sur sa nuque ?

La vérité, c’est que nous désirons ce que nous ne possédons pas, simplement parce que nous ne désirons qu’en imagination. La distance entre le réel et nous est celle qui permet au fantasme de s’installer. Si votre compagne ne vous intéresse plus, c’est que vote imagination ne parvient plus à se greffer dessus.

La leçon d’Epicure consiste ici comme ailleurs à remplacer l’imaginaire par la réalité. Même si ça parait prosaïque, sachons désirer – mais vraiment désirer, c'est-à-dire vivre avec bonheur – ce que nous avons.

Attention : Epicure n’est pas stoïcien ; il ne nous dit pas « si tu n’a pas ce que tu aimes, tu dois aimer ce que tu as. »

Il nous dit : « sache prendre les choses par la bonne anse, de telle sorte qu’elles t’apportent le maximum de plaisir ».

Voilà, Mathilde vient juste de se réveiller à vos côtés ; laissez tomber les rêves qui vous ont ému cette nuit, et tâchez de vous pelotonner contre elle. La tiédeur de son corps, ses courbes élastiques… Tout ça c’est du réel.

Et tient – voilà, on dirait que ça vous émeut…


(1) Rassurez-vous, le pape n’a rien à voir avec Epicure : il s’agit simplement d’un manuscrit retrouvé dans la bibliothèque de Vatican.

Thursday, April 09, 2009

Citation du 10 avril 2009

Autre règle : si peu que l'on parle, on parle toujours trop. Le chapeau d'un homme d'État ne devrait jamais savoir ce que pense sa tête.

Edouard Herriot - Jadis (**) D'une guerre à l'autre 1914-1936

Le chapeau d'un homme d'État ne devrait jamais savoir ce que pense sa tête

Belle formule n’est-ce pas, pour dire que la pensée d’un homme politique ne doit pas « transpirer », qu’elle doit être si secrète que personne, si proche de lui qu’on voudra ne doit la connaître.

Je ne sais pas quelles réflexions cela suscite en vous, mes chers lecteurs, mais je me doute que vous devez faire des rapprochements étonnés avec ce que nous entendons à présent.

La mode en politique est à la transparence, à la sincérité, à l’improvisation de discours ou de propos qui ne laisse – semble-t-il – aucune possibilité à la dissimulation.

Aujourd’hui est venu le règne de la démocratie participative, de la proximité, de la compassion : voilà qui impose aux citoyens une confiance absolue dans les propos de l’homme politique. Ce qu’il dit, il le pense, il le pense vraiment, et ce n’est sûrement pas quelqu’un qui a peur de trop parler.

D’ailleurs, comble de la sincérité, Notre-Président nous donne l’exemple de l’homme qui nous fait même participer aux méandres et aux aléas de l’invention de sa pensée. Aujourd’hui, je promets aux ouvriers menacés de licenciements que l’Etat va les secourir et les protéger ; demain je dirai autre chose, parce que voyez-vous, il faut bien être pragmatique

Alors, si vous êtes de ceux qui croient encore que tout ça est calculé, que même ces méandres sont en fait des manipulations et qu’il n’y a que les pauvres naïfs qui se laissent encore berner par ces manœuvres ; si vous croyez que nos hommes politiques ne mettent plus de chapeau parce qu’ils n’ont même plus besoin de ça pour empêcher leur pensée véritable de sortir de leur cerveau, alors allez consulter un psy, vous êtes sûrement entrain de faire une bonne crise de parano.