Friday, October 31, 2008

Citation du 1er novembre 2008


Les morts ont de la chance : ils ne voient leur famille qu'une fois par an, à la Toussaint.

Pierre Doris

On a bien compris : les morts, ça les gonfle de recevoir la visite de la famille.

Ils préfèreraient sans doute recevoir celle de leurs amis, ou de leurs admirateurs s’ils en ont.

- Nous les vivants, nous devrions en tenir compte. Laissez tomber la tombe (1) de vos aïeux, et allez fleurir les tombes de gens que vous aimez vraiment, même si vous ne les avez jamais rencontrés. Par exemple : la tombe de Ravachol, ou celle de Baudelaire, ou alors allez au Panthéon vous recueillir sur la tombe de Victor Hugo…

Justement, le Panthéon – voilà un endroit bien commode pour un jour de Toussaint : il y a plein de gens méritants là-dedans ; pas besoin de courir aux quatre coins de la France.

Sinon, il vous reste le Père La chaise.

En ce jour de Toussaint, La Citation du jour vous offre le lien qui va vous permettre de vous y rendre, pour visiter la tombe du votre héros favori, et vous y recueillir à loisir, sans vous mouiller les pieds et sans risquer de vous enrhumer.


Je vous vois déçu ? Vous cherchiez la tombe de Jean-Paul Sartre et de Simone de Beauvoir ? Évidement, vous ne l’avez pas trouvée : elle est au Cimetière Montparnasse.

Tiens, la voilà



(1) Excusez l’allitération

Thursday, October 30, 2008

Citation du 31 octobre 2008

Destins différents et pourtant solidaires des deux partenaires de l'aventure humaine : l'élément maternel représente la nature et l'élément paternel, l'histoire.
Jean Delumeau - La Peur en Occident
Houlà ! Je sens que je vais m’attirer des ennuis avec cette citation. Surtout si on veut bien l’entendre au sens aristotélicien (et en quel sens voudriez-vous l’entendre ?). Et surtout si nous saisissons l’aventure humaine à son point de départ, dans le contexte de la procréation.
- L'élément maternel représente la nature : c’est à dire la nature biologique de l’être humain en tant qu’existence seulement organique. Ainsi, chez Aristote la matière désigne la réalité matérielle à l’état brut.
- L’élément paternel est représenté par l’histoire, qui est la forme de l’être humain : toujours au sens aristotélicien, la forme d’un être humain, c’est l’ensemble des caractéristiques qui le différencient de l’animal.
On croyait en effet autrefois que dans la procréation, la femme apportait la chair de l’enfant – disons son existence biologique, le sang les os, bref tout ce qui permettait au fœtus de se développer dans l’utérus – alors que le père apportait toutes les caractéristiques de l’être qu’il devait devenir (1).
Voilà, oublions tout ça pour ne retenir que l’essentiel : c’est l’histoire qui fait l’homme, même si son existence biologique reste un fait anhistorique. Cette thèse répond à la question de l’origine de l’humanité.
Que serait l’homme sans l’histoire ? Voilà une question souvent débattue chez les philosophes (rappelons pour mémoire que le Discours sur l’origine de l’inégalité de Rousseau répond à cette demande), mais jamais chez les historiens. Ce qui, soit dit en passant rend notre citation surprenante sous la plume d’un historien justement.
Pourquoi les historiens ne répondent-ils pas à cette question ? Parce qu’ils ne prennent pas en charge la question de l’Origine, si entendant par « Origine » le premier commencement de l’humanité.
Dès que l’on raconte cette origine, on sort de l’histoire et on entre dans le domaine du mythe. Et certes, le mythe peut récupérer des bribes d’histoire pour se construire ; mais il a une caractéristique unique : c’est de transférer ces éléments au début des temps, voire même dans un temps antérieur à celui de l’humanité, quand les Grands Ancêtres étaient d’une race supérieur aux humains d’aujourd’hui.


(1) On comprend que si Jésus est bien Dieu, c’est parce que Dieu-le-Père est le seul responsable de ce qu’Il est. La Vierge Marie ne lui aurait donc apporté quand à elle que l’existence matérielle. Ce qui exclue le phénomène de fusion chromosomique lors de la procréation. Parce que, dans ce cas, Jésus aurait 50% de ses gènes qui lui viendraient de Son Père, et 50% de sa mère. Et donc il serait alors un demi-Dieu, comme il y en a eu tant chez les grecs.
- Quoi ? Et le miracle de l’Incarnation ?
- Hé bien, disons que c’est la condition de vie humaine de Jésus qui l’apporte. Et tant pis si je risque l’excommunication…

Wednesday, October 29, 2008

Citation du 30 octobre 2008


Tout travail travaille à faire un homme en même temps qu'une chose.

Emmanuel Mounier

A quoi bon travailler ? Pour « gagner plus » Pffft…

Non. On travaille pour évoluer, pour se faire, pour se créer petit à petit. Le travail forge le travailleur en même temps que le soc de la charrue.

Alors, une fois qu’on a dit ça, on se tourne vers le mineur, vers le docker croulant sous la charge, vers l’ouvrier respirant les vapeurs de soufre dans son usine chimique.

Tout travail : comment défendre l’usage de cet adverbe ? N’avons-nous pas des cas où le travail transforme l’homme en bête de somme – et sans même recourir au cas des zeks au goulag ?

On peut bien sûr y voir la trace du péché originel : faire l’homme c’est aussi le châtier pour qu’il se repente… Mais je laisse cette interprétation à qui en voudra, pour ma part, je sens que l’humanité se révolte en moi à cette image.

Et si on renversait la formule de Mounier pour voir si ça fonctionnerait mieux ?

Ça donnerait ceci : Tout ce qui contribue à faire un homme en même temps qu’un chose est un travail.

Conséquence :

- Ce qui ne répond pas à ce critère n’est pas un travail. On parlera alors de peine, de corvée, ou de labeur.

On a ici une des limites du concept de travail, qui permet d’en délimiter le domaine d’application : après tout ça met un peu de clarté dans un concept distendu par des applications innombrables.

- D’autre part ce qui développe l’homme consiste en une activité qui produit une chose. La méditation du philosophe, la prière du moine, ne produisant rien de concret ne transforment pas celui qui les pratique en homme.

C’est ici qu’on va avoir le plus de contestation. Faut-il que ce qui est produit par le travail soit une « chose », une réalité matérielle ? Et l’écrivain, il produit quelque chose de matériel ? Et le peintre, va-t-on dire que son tableau se définit comme une chose ? Douteux…

Donc :

1 – Acceptons de restreindre ainsi notre formule : Parmi les actions qui contribuent à faire un homme, certaines produisent aussi en même temps une chose.

2 – Produire une chose c’est aussi produire un homme seulement si cette chose n’est pas strictement conditionnée par le besoin de survie : ainsi le paysan qui cultive sa terre en artiste amoureux de son champ et fier de la valeur de son travail pourrait bien se dire qu’il se crée en même temps qu’il produit de l’avoine.

Là-dessus voit Hannah Arendt.

Tuesday, October 28, 2008

Citation du 29 octobre 2008


Le monde n’a pas besoin de l’exemple de notre force, mais de la force de notre exemple.

Bill Clinton, cité par Lynn Higgins (Libération du 21-10-2008, p. 12)

Bien joué Bill ! Cette citation, chacun va l’applaudir.

A moins qu’il n’y ait quelques ronchons pour se récrier : trop rhétorique, ça cache quelque chose.

Comme dans tout chiasme (de forme AB-BA) il y a 2 éléments qui reviennent 2 fois : ont-ils le même sens à chaque fois ? Sinon quelle différence ?

Et en effet, il se trouve que les deux termes (exemple-force) ont chacun deux sens tout à fait courants et tout a fait distinctes :

- L’exemple : soit il s’agit d’une illustration d’une réalité non visible. Soit il s’agit d’un modèle à imiter (ce qui donne l’adjectif exemplaire)

- La force : soit c’est une quantité physique caractérisant l’énergie. Soit c’est une qualité morale.

Vous l’avez déjà compris, ce que Bill Clinton veut faire, c’est jouer sur l’homonymie de ces termes pour attirer notre attention sur l’idée qu’ils véhiculent.

Bon. Alors maintenant allons à l’essentiel : les U.S.A. n’ont pas à montrer leurs armes mais à rendre désirable leur éthique et/ou leur modèle politique… et leur organisation économique.

En Irak, faire que la démocratie soit désirée par tous – y compris par les chefs de guerre ? Oui par eux aussi.

En Afghanistan faire que la liberté de conscience soit un idéal à réaliser. Et l’égalité hommes femmes aussi ? Même quand il s’agit des talibans ?

Alors là, Bill, tu te fourres le doigt dans l’œil ! C’est quand même plus simple d’envoyer les G.I….

Et puis aussi avec eux les anglais les français les italiens, les Australiens, les canadiens les Néo-zélandais, les Russes, les Chi…

Non, pas eux quand même.

Monday, October 27, 2008

Citation du 28 octobre 2008


Par tout pays, le peuple ne s’aperçoit qu’on attente à sa liberté que lorsqu’on attente à sa bourse ; ce qu’aussi les usurpateurs adroits se gardent bien de faire que tout le reste ne soit fait.

Rousseau – Lettres écrites de la montagne (7ème lettre) Edition du Seuil, p. 458

Comment nous représentons-nous la sécurité ? Comme un bouclier qui nous protège de l’impôt.

Comment imaginons-nous le Paradis ? Comme un endroit où la fiscalité n’existe pas.

Qu’est-ce que l’égalité ? Les premières revendications d’égalité ont été celles du peuple réclamant que soit mis un terme aux privilèges fiscaux des nobles (1)…

Bref, Rousseau a bien vu la chose : c’est notre argent qui nous importe, et quand à nos libertés, c’est tout à fait secondaire.

Mais sa citation comporte une seconde idée, sans doute plus inquiétante encore : ce qu’aussi les usurpateurs adroits se gardent bien de faire que tout le reste ne soit fait.

Quand le gouvernement vous pique vos sous, dites-vous qu’il vous a déjà pris tout le reste, à commencer par vos libertés.

C’est très méchant de dire cela. Très méchant et très injuste. Comment ? Le gouvernement porterait atteinte à nos libertés de nous déplacer, de nous exprimer, de pratiquer la religion que nous avons choisie ? Il censurerait la presse et nos écrits ?

Voilà ce que Rousseau pouvait imaginer au XVIIIème siècle. Mais nous nous savons bien que ça ne s’est pas réalisé.

Liberté de nous déplacer : taxe sur les carburants, péages d’autoroutes, billets d’avion, de TGV… Pourquoi voulez-vous qu’il se prive de cette manne ?

Liberté de pratiquer la religion ? Les Eglises sont vides.

Censurer la presse ? Quelle presse ? Qui la lit ?

Contrôler nos écrits ? Qui donc écrit ?

Pour que nous ayons à défendre notre liberté contre les attaques du pouvoir, il faut qu’elle soit un bien. Pour que la liberté soit un bien, il faut l’exercer.

Aujourd’hui, à part nos sous, il n’y a pas grand-chose que le gouvernement pourrait nous piquer.

Tiens encore une Leçon de pessimisme ?

– Mais non : qui donc se plaint de cette situation ? La liberté n’est pas forcément et pour tout le monde la condition du bonheur.


(1) J’emprunte cette remarque au livre de Leroy-Ladurie Le Carnaval de Roman

Sunday, October 26, 2008

Citation du 27 octobre 2008


Philosopher n'est qu'une autre façon d'avoir peur et ne porte guère qu'aux lâches simulacres.

Céline – Voyage au bout de la nuit, p.206, Folio n°28

Sinistrose, déprime, peur de la crise… De partout nous viennent des messages pessimistes.

La Citation du Jour qui a déjà soutenu le Moral des ménages ne va pas aujourd’hui tout repeindre en rose. Elle va vous montrer ce que c’est que le véritable pessimisme, afin que vous constatiez qu’avec la crise, non, vous ne voyez pas l’avenir en noir, mais seulement en gris.

Leçon de pessimisme 3.

Y a-t-il des hommes qui peuvent échapper au pessimisme ? En philosophant peut-être ? Peut-on être pessimiste quand on est philosophe ?

Philosopher n'est qu'une autre façon d'avoir peur et ne porte guère qu'aux lâches simulacres.

C’est avec des citations comme celle-là qu’on a tout le monde contre soi : les non philosophes parce qu’ils n’y comprennent rien; et les philosophes parce qu’on dit du mal d’eux.

Supposons que Céline vise ici les Consolations philosophiques, du genre de celle de Boèce ou même du Phédon.

Ceux qu’il faut consoler sont ceux qui ont peur – peur de la mort par exemple ; les autres, les courageux, ont la lucidité pour eux. Car la consolation ne porte guère qu'aux lâches simulacres

La peur ne guérissant pas du danger comme dit le proverbe, la consolation ne nous met à l’abri de rien. Il faut donc la refuser si l’on veut connaître la réalité, quelle qu’elle soit.

--> Cette lucidité porte-t-elle au pessimisme ? Tout dépend de ce qu’on va désigner par-là. Maintenant que nous en sommes à la leçon 3, on peut sans doute faire le point là-dessus.

En réalité, nous avons du pessimiste une image très négative : c’est l’homme du désespoir, celui qui ne peut qu’être triste ou désespéré. Les Consolations de Boèce nous montrent au contraire une sérénité nourrie par la certitude que ce que nous avons à perdre est peu de chose au regard de ce qui nous reste : la vertu. Même le tyran qui le fait périr ne peut la lui ôter. C’est là son bonheur – que dis-je ? Sa béatitude.

Il ne suffit donc pas de jouir de l’instant (« Carpe diem »). Il faut encore que cet instant mérite d’être vécu. Ce qui est possible si nous savons en quoi consiste notre vraie dignité.

Pour être vraiment pessimiste il faut donc quelque chose de plus que de trembler de ce qui nous attend dans le futur : être sûr que même l’instant présent ne mérite pas d’être vécu.

C’est à cette condition que la Consolation philosophique – celle de Plutarque par exemple (voit l’Annexe Post du 29 juillet 2008) – consiste, non pas à jouir de la vie sans crainte de mourir, mais à juger les morts comme des bienheureux, débarrassés qu’ils sont du fardeau de la vie. Le suicide philosophique n’est pas loin.

Et voilà la solution

You now what ? I am happy

Saturday, October 25, 2008

Citation du 26 octobre 2008


Plus les hommes s'éloignent de Dieu, plus ils avancent dans la connaissance des religions.

Cioran – De l'inconvénient d'être né - coll. Quarto - Gallimard, p. 1287

Sinistrose, déprime, peur de la crise… De partout nous viennent des messages pessimistes.

La Citation du Jour qui a déjà soutenu le Moral des ménages ne va pas aujourd’hui tout repeindre en rose. Elle va vous montrer ce que c’est que le véritable pessimisme, afin que vous constatiez qu’avec la crise, non, vous ne voyez pas l’avenir en noir, mais seulement en gris.

Leçon de pessimisme 2.

Sœur Emmanuelle nous en a-t-elle donné assez des leçons d’optimisme et de joie de vivre…

Et voilà que, dans une de ses déclarations diffusée en boucle lors de sa mort, elle affirme : « s’il n’y a pas de vie éternelle, alors on ne sait pas ce qu’on fait sur terre. Ça n’a aucun sens... »

Quoi ? Elle qui a sauvé des centaines de milliers d’enfant de la mort, de la misère, de la drogue et de la prostitution, c’est elle qui considère que même tout ça ne suffit pas à justifier son existence et à lui donner un sens ?

Alors, si vous êtes d’accord avec Sœur Emmanuelle, vous serez d’accord aussi pour dire que le véritable pessimiste est un athée.

Et voilà Cioran qui pointe le bout du nez.

Plus les hommes s'éloignent de Dieu, plus ils avancent dans la connaissance des religions.

Terrible leçon, n’est pas ? La vérité, l’authenticité des religions, c’est de nous faire oublier que Dieu n’existe pas. C’est de le remplacer par l’illusion de Sa Présence en créant l’espace sacré de l’Eglise, dans les rituels des prêtres, dans les prières des fidèles.

Maintenant, mes frères, choisissez votre camp.

Friday, October 24, 2008

Citation du 25 octobre 2008


On devient rapidement vieux et de façon irrémédiable encore. On s'en aperçoit à la manière qu'on a prise d'aimer son malheur malgré soi.

Céline – Voyage au bout de la nuit, p.229, Folio n°28

[...] ce n'est peut-être que cela la jeunesse, de l'entrain à vieillir.

Céline – Voyage au bout de la nuit, p.288, Folio n°28

Sinistrose, déprime, peur de la récession… De partout nous viennent des messages pessimistes.

La Citation du Jour qui a déjà soutenu le Moral des ménages ne va pas aujourd’hui tout repeindre en rose. Elle va vous montrer ce que c’est que le véritable pessimisme, afin que vous constatiez qu’avec la crise, non, vous ne voyez pas l’avenir en noir, mais seulement en gris.

Leçon de pessimisme 1.

1 – Qu’est-ce que vieillir ? C’est admettre ses faiblesses et sa caducité parce que c’est là dedans que nous continuerons de vivre. Refuser cette inéluctable déchéance, c’est vouloir sa propre mort. N’est-ce pas là la véritable dimension de la jeunesse ? Etre jeune, n’est-ce pas ignorer qu’on sera un jour un tel déchet ? Et pourtant…

2 – Etre jeune, c’est avoir l'entrain à vieillir.

--> Là, on est ratatiné, il nous a eu le père Céline. On croyait avoir cerné son pessimisme dans sa première citation. Et vlan ! Il nous ne remet une couche – et pas n’importe la quelle.

Vous croyez ce que disent les gens : quand j’étais jeune je me croyais immortel… ?

Balivernes ! On a toujours su, même quand on avait 20 ans que la grand mère qui se ratatine dans son fauteuil roulant n’est autre que notre portrait pour dans 50 ans. Et donc, si le respect de l’humanité qui devrait nous conduire au suicide pour empêcher un tel déclin ne nous mène pas à nous supprimer, c’est parce qu’on préfère lâchement vivre, vivre au prix de n’importe quelle déchéance.

Plus on est jeune, plus on a d’entrain… à vieillir. Façon je suppose de dire que l’amour de la vie qui porte la jeunesse n’est autre que le désir se prolonger notre existence biologique à n’importe quel prix.

- Peut-on être lucide sans pessimisme ? Oui, à condition de parvenir en même temps à tourner le dos au réel.

Comment tourner le dos au réel et être lucide en même temps?

Selon Schopenhauer, c’est la création artistique et elle seule qui peut réaliser un tel exploit.

Thursday, October 23, 2008

Citation du 24 octobre 2008


Un roman n'est intéressant que si son auteur se remet en question et s'expose à ce qu'on lui dise : " C'est illisible”.

Le Clézio - Extrait d’une interview dans Paris Match - Novembre 2000

C’est illisible : oui, tant qu’on n’a pas déchiffré cette langue inconnue qui constitue la substance du roman. Prenez la Recherche du temps perdu. Tant que vous n’aurez pas franchi les 50 premières pages, allez-vous y comprendre quelque chose ? Probablement pas.

Allez vous trouver anormal d’être obligé d’apprendre à lire cette langue ? Peut-être.

- Ne devrions-nous pas nous révolter contre cette difficulté, d’autant plus que parfois elle ne sert qu’à recouvrir bien des gouffres d’inanités ? Pourquoi un roman ne devrait-il pas être lisible de bout en bout ? Puisque l’auteur – ici Le Clézio, un prix Nobel tout de même – est si génial, que n’adapte-t-il pas notre langage à sa pensée sans en faire un chiffre abscons ?

- Oui, mais : si dans le langage de tous les jours on ne pouvait écrire que des platitudes ? Et si, supposé qu’on essaye d’adapter la Recherche avec un langage de coin de rue, on n’arrivait qu’à des banalités sans intérêts ?

Tiens, faites une petite expérience : allez voir une encyclopédie des citations (comme celle-ci), et cherchez justement les citations lisibles qui sont extraites des romans de Le Clézio. Voici ce que vous trouverez :

- Il s'arrêta et descendit de son vélo. Il mit en place l'antivol sur la jante de la roue avant.

Le Clézio – La Fièvre (1965)

- Il alla chercher une petite voiture et se mit à la faire rouler autour des pieds de Bresson, en faisant «brououououm, broum» pour imiter le ronflement d'un moteur.

Le Clézio – Le Déluge (1966)

- Et pourtant je ne fais rien. Je laisse aller.

Le Clézio – L'Extase matérielle (1967)

- Ensuite il allume le feu avec son briquet à amadou en faisant bien attention à mettre la flamme du côté où il n'y a pas de vent.

Le Clézio Désert (1980)

Lisible, n’est-ce pas ?

Wednesday, October 22, 2008

Citation du 23 octobre 2008


Le larcin, le meurtre, l’adultère et toutes sortes d’in jures sont défendues par les lois de la nature. Mais ce n’est pas la loi de la nature qui enseigne ce qu’il faut nommer larcin, meurtre, adultère ou injure à un citoyen. C’est à la loi civile qu’il faut s’en rapporter.

Hobbes – Du citoyen, ch. VI, § XVI

Le larcin, l’inceste, le meurtre des enfants et des parents, tout a eu sa place entre les actions vertueuses.

Pascal, Pensées (Frg 56 Le Guern) (Voir Post du 28 mai 2007)


L’ouvrage de Hobbes n’étant que légèrement antérieur à la rédaction de ce fragment des Pensées, on peut croire que ce thème était alors fort discuté : y a-t-il une (des) loi(s) de nature établissant une justice universelle ?

Comme on le sait, Pascal estime que cette loi existe (1) mais que les hommes en ont perdu la connaissance. Quand à Hobbes il fait une distinction entre la loi et son application. Les lois civiles restent indispensables.

Ainsi, on dira : bien sûr il est toujours défendu de tuer un homme. Mais c’est à la loi qu’il appartient de dire ce que c’est qu’un homme. (2)

Vous ne me croyez pas ?

Agamben dans Homo sacer I montre qu’en droit romain l’homicide n’est pas un fait défini par un acte mais par la nature de celui sur qui il est perpétré. Et que l’appartenance à l’espèce humaine ne suffit pas pour l’établir. L’homo sacer – homme sacré – est celui dont on ne peut faire un sacrifie aux Dieux. Mais il et aussi celui qu’on peut tuer sans qu’il y ait homicide (comme l’esclave par exemple). Vous avez bien lu « droit romain » : on n’a pas attendu les nazis pour dire que tous les hommes n’en sont pas.

Et l’adultère ?

L’adultère est défini par les lois concernant le mariage. Admettons que ces lois étant parfois complètement absentes, les rapports hors mariages doivent être tolérés (3).

Quand à l’inceste on a déjà dit ici que même si toute société humaine le prohibait, néanmoins son périmètre d’application était fort variable. Son existence n’étant plus dès lors justifiée par l’évitement d’une situation objective (empêcher que ne dégénère l’espèce), mais plutôt par la nécessité de consolider les rapports sociaux.


(1) Loi divine plutôt que naturelle, mais de toute façon universelle

(2) Vous reconnaissez dans cet adossement de la loi naturelle à la loi civile le procédé systématiquement mis ne œuvre dans la Déclaration des Droits de l’Homme de 1789

(3) Si je ne me trompe pas, le mariage a d’abord été institué dans l’aristocratie pour établir la filiation, puis étendu aux autres ordres. Voir Le chevalier, la femme et le prêtre de Georges Duby

Tuesday, October 21, 2008

Citation du 22 octobre 2008


Car, par exemple, je voyais bien que, supposant un triangle, il fallait que ses trois angles fussent égaux à deux droits ; mais je ne voyais rien pour cela qui m'assurât qu'il y eut au monde aucun triangle. Au lieu que, revenant à examiner l'idée que j'avais d'un Être parfait, je trouvais que l'existence y était comprise, en même façon qu'il est compris en celle d'un triangle que ses trois angles sont égaux à deux droits, ou en celle d'une sphère que toutes ses parties sont également distantes de son centre, ou même encore plus évidemment ; et que par conséquent, il est pour le moins certain, que Dieu, qui est cet Être parfait, est ou existe, qu'aucune démonstration de géométrie le saurait être.

Descartes – Discours de la méthode (Quatrième partie)

Tiens, un peu de philo, pour changer.

Aujourd’hui : l’argument ontologique, qui consiste en une démonstration rationnelle de l’existence de Dieu (1).

Quoi ? On a démontré rationnellement que Dieu existe, et on ne vous l’aurait pas dit ?

Hé bien, on vous l’a dit. En cours de philo pendant votre terminale, rappelez vous… vous étiez entrain de faire votre problème de math ? D’envoyer un SMS ? De baratiner votre voisine ou de commenter le dernier match du PSG avec votre voisin ?

… Qu’importe, car depuis Descartes, Kant est passé par là et il a tout fichu par terre. Oups !

Ce qui importe quand même c’est de savoir qu’à l’époque de Descartes, il y avait des gens pour dire que la foi n’était pas tout, et que la raison permettait d’entrer dans le royaume de Dieu – si Dieu le veut. Que l’athée était un insensé (2), mais que réciproquement la raison était un bienfait de Dieu dont nous devons tirer tout le parti possible.

Bref, il y avait un espace pour un débat raisonnable sur l’existence de Dieu et sur l’étendue de ses attributs – autant dire que si un dialogue entre croyants et non croyants peut s’instaurer ce n’est que dans ce contexte là.

Hélas : voyez ce qui se passe aujourd’hui. On ne pense la culture religieuse qu’en terme d’histoire des religions, et bien souvent en terme de catéchisme, distillé par le prof d’histoire. Franchement, si on oublie de le faire, il n’y a pas de quoi se désoler.

Par contre, qu’on s’interroge sur Dieu, son existence et ses attributs, et tout cela réfracté par les différentes religions : je ne sais pas si ça aiderait à gagner le Paradis, mais ça aiderait peut-être à être moins bête.

(1) Résumé de l’argument : si l’existence est une propriété du concept au même titre que la quantité, la qualité, la relation etc., alors on ne peut concevoir en son esprit un être possédant la totalité de ces propriétés sans lui attribuer aussi l’existence. Donc, si je peux concevoir Dieu – être infiniment parfait – comme concept, je cois aussi le concevoir comme existant réellement.

(2) Saint Anselme. Proslogion : « Nous croyons que tu es quelque chose de tel que rien de plus grand ne puisse être pensé. Est ce qu'une telle nature n'existe pas, parce que l'insensé a dit en son cœur : Dieu n'existe pas? Mais du moins cet insensé, en entendant ce que je dis : quelque chose de tel que rien de plus grand ne puisse être pensé, comprend ce qu'il entend ; et ce qu'il comprend est dans son intelligence, même s'il ne comprend pas que cette chose existe. Autre chose est d'être dans l'intelligence, autre chose exister. [...] Et certes l'Être qui est tel que rien de plus grand ne puisse être pensé, ne peut être dans la seule intelligence ; même, en effet, s'il est dans la seule intelligence, on peut imaginer un être comme lui qui existe aussi dans la réalité et qui est donc plus grand que lui. Si donc il était dans la seule intelligence, l'être qui est tel que rien de plus grand ne puisse être pensé serait tel que quelque chose de plus grand pût être pensé »

Monday, October 20, 2008

Citation du 21 octobre 2008


-->

Il n'existe que cinq choses contre lesquelles il faut se battre : les maladies et les passions du corps, l'ignorance, les guerres civiles et les disputes de famille. (1)
Pythagore
- Dis donc tu crois qu’il nous regarde encore ?
- Qui ça ?
- La mateur du 2ème étage.
- Sûrement, oui. Il doit être perché sur son balcon, avec son zoom braqué sur nous.
- Hum… C’est pas le moment de s’affaisser. Je me hisse tant que je peux, et je me sers contre toi. Tu me fais une petite place ?
- Tu exagères tout de même. C’est moi qui suis le plus gros de nous deux : tu dois me laisser plus d’espace pour exister.
- Comment ça ? C’est pas parce que tu es le sein droit que tu es plus gros que moi. D’ailleurs, tu apprendras que moi, le sein gauche, je représente le sein de l’amour. Toi, tu n’es là que pour l’utilité des bébés.
- Que tu es vieux jeu ! Tout ça, tout le monde s’en moque. D’ailleurs tu remarques qu’elle, elle nous traite exactement de la même manière tous les deux. Elle nous masse de la même façon avec le gant de crin et puis avec la lotion hydratante. Et le soutien gorge dans le quel elle nous loge, tu crois peut-être qu’il a un bonnet plus gros que l’autre ? Pfff… Ridicule.
- C’est toi qui es ridicule, avec ta prétention à compter autant que moi. Ce n’est pas son avis à elle qui compte : elle, elle n’est que la porteuse de sein.
- Puisque c’est comme ça, je te parle plus. Et puis tiens, casse-toi pauvre c***

(1) Comme on commence à me demander de citer mes sources (et pourquoi pas en effet), je dirai que j’ai trouvé cette citation ici.
Maintenant, que Pythagore ait dit vraiment une chose pareille, ce n’est pas sûr du tout. Mais c’est aussi probable que toutes les autres citations qu’on lui attribue (rappelons que les grecs disputaient entre eux la question de l’existence d’ouvrages écrits par Pythagore)

Sunday, October 19, 2008

Citation du 20 octobre 2008


Regards neufs, vieux trous de serrure.

Lichtenberg – Aphorismes

Regards neufs, vieux trous de serrure : l’idée est claire, mais quelle conclusion en tirer ?

Faut-il dire comme La Bruyère : Tout est dit et l’on vient toujours trop tard, etc… (1)

Faut-il plutôt considérer qu’il s’agit d’un propos désabusé sur la curiosité humaine, sans cesse appâtée par les mêmes scènes ? (2)

Libre à nous de conclure comme nous l’entendons. Je dirai donc qu’à mon avis, si le regard est neuf, alors il n’est pas sûr du tout qu’on voie toujours la même chose en regardant par le même trou de serrure.

Voyez-vous toujours l’écharpe d’Iris dans l’arc-en-ciel ? Entendez-vous toujours la voix de Zeus dans le tonnerre ? Et dans l’enfant malade, percevez-vous les frémissements de l’esprit du mal qui a pris possession de son petit corps ?

C’est vrai que malgré tout on voit toujours le soleil se lever sur l’horizon, exactement comme le fait la lune. Mais au moins nous savons qu’il y a une autre façon de le percevoir.

Je crois donc qu’il y a toujours quelque chose de neuf à voir quand on a un regard neuf.

La question intéressante est alors : qu’est-ce qu’il y a de neuf justement à percevoir dans cet éternel recommencement du monde ? Et si nous en avons le choix, à quel vieux trou de serrure devrions nous plutôt coller notre œil ?

Il n’est pas sûr qu’à mon âge j’aie une réponse pertinente à donner à cette question.

Demandez plutôt à votre petit dernier : il a sûrement une idée.

(1) Voir Post du 7 octobre 2007

(2) Question : pourquoi y a-t-il une serrure à la porte de la chambre des parents ? Réponse : pas seulement pour qu’ils s’y enferment, mais aussi pour que le petit puisse y coller son œil pour les mater pendant leurs ébats amoureux.

Saturday, October 18, 2008

Citation du 19 octobre 2008


Ce qu'on nomme la crise n'est que la longue et difficile réécriture qui sépare deux formes provisoires du monde.

Jacques Attali – Les Trois Mondes (pour une théorie de l'après-crise)

Le changement du monde n'est pas seulement création, progrès, il est d'abord et toujours décomposition, crise.

Alain Touraine – La société invisible

Ces deux citations ne font pas que dire la même chose en inversant l’ordre des termes (chiasme). Elles montrent qu’il y a deux manières d’envisager la crise que nous vivons en ce moment, et d’y mettre peut-être un peu de clarté.

Et en effet, on peut comme Attali, prendre la crise pour un moment limité dans le temps qui articule deux phases successives dans l’évolution historique. Entendez qu’on ne voit alors la crise que d’un point de vue théorique, et non pas comme un événement vécu.

Alain Touraine souligne quant à lui l’aspect négatif de la crise. Au lieu d’être saluée comme le renouveau, elle est vécue comme la décomposition, douloureuse d’un état établi.

On me dira : Bof… C’est encore l’histoire du verre à moitié vide ou à moitié plein. Du Docteur Tant-pis et du Docteur Tant-mieux.

Bien sûr… Mais qu’on veuille bien aussi prêter attention au fait que l’un (Jacques Attali) joue le rôle du scientifique (économiste, historien comme on voudra) pour qui seules les généralités ont un sens (1) ; alors que l’autre (Alain Touraine) se place dans la perspective de l’enquêteur – sociologue – qui cherche à cerner le vécu individuel des « vrais gens ».

Or qu’on le veuille ou non, ces deux dimensions ne peuvent ni se hiérarchiser, ni se résorber l’une dans l’autre.

Hegel et Marx l’ont noté, trouvant par là un moyen d’introduire de la rationalité dans l’histoire de hommes alors même que ceux qui la construisent sont aveuglés par leur passion et leurs intérêts individuels et passagers. C’est aussi la théorie de la main invisible, dont Adam Smith faisait la théorie déjà au XVIIIème siècle.

Il me semble qu’il y a un parfait cynisme à ne voir que cet aspect dans la crise. Lorsque Touraine parle de décomposition, n’oublions pas que c’est de la vie concrète, charnelle des hommes les plus fragiles qu’il parle.

(1) Il n’y a de science que du général (propos attribué à Aristote)

Friday, October 17, 2008

Citation du 18 octobre 2008


A partir du moment où on incarne une idée par une femme, autant qu'elle ait des seins, et de beaux seins !

Sylviane Agacinski – Entretien avec Karl Zéro

Voilà une philosophe comme je les aime : capable de manier le symbole sans renoncer à la réalité.

Mais ça, s’il y a encore peu de philosophes à le faire, les peintres par contre le font depuis longtemps et plus complètement.

Ainsi, La liberté guidant le peuple d’Eugène Delacroix. :

:

Je vous laisserai le plaisir d’inventorier les attributs féminins de cette libératrice combattante et ce qui font d’elle une femme de chair et non une Allégorie de marbre (s’il fallait souligner un détail, voyez la pilosité de l’aisselle).

- Allons à l’essentiel : pourquoi faut-il donc que sa poitrine soit dénudée ? Est-ce pour « faire beau » comme on pourrait le croire en suivant Sylviane Agacinski ? Mais non voyons. Imaginez vous plutôt à la place des révolutionnaires armés qui sont derrière elle. Il vous faut marcher sur un tas de cadavres avec bien sûr la crainte d’en faire bientôt partie.

Mais vous avancez quand même parce que cette belle jeune femme vous y invite… et parce qu’elle a de beaux seins.

Vous ne me croyez pas ? Rappelez vous ce scandale quand les spécialistes de l’histoire islamique ont établi que les femmes des guerriers de Mahomet se mettaient sur un promontoire pendant que leurs hommes combattaient et dénudaient leur poitrine pour stimuler leur ardeur guerrière.

Ajoutons, au cas où vous auriez besoin d’une preuve scientifique, que l’imagerie du cerveau a montré que chez l’homme, le centre de la sexualité activait celui de l’agressivité qui lui est juste voisin.

Moi, les femmes soldat, je suis pour

Thursday, October 16, 2008

Citation du 17 octobre 2008


La différence entre le politicien et l'homme d'Etat est la suivante : le premier pense à la prochaine élection, le second à la prochaine génération.

James Freeman Clarke – Discours (1810-1888)

Cette citation retiendra notre attention parce qu’elle répond de façon nuancée à la question : pourquoi les hommes politiques se consacrent-ils leur vie durant aux tâches épuisantes de conquérir le pouvoir, de l’exercer – et de le conserver ?

Dans une vie antérieure, j’ai fréquenté les milieux de l’Education Nationale, là où les nouveaux ministres sont examinés d’un œil suspicieux. On y avait mis au point une règle bien simple : les ministres de l’Education Nationale les plus redoutés par les professeurs étaient ceux qui sortaient de leurs propres rangs, anciens professeurs ou chercheurs. Pourquoi ? Parce qu’ils appartenaient à la société civile, et n’étaient donc pas des politiciens professionnels.

Un politicien pense toujours à sa réélection, il pliera donc devant une forte contestation qui la menace. Par contre le Ministre issu de l’Université n’a rien à perdre : contesté il retournera à ses chères études, et voilà tout. De ce fait, nous n’avions guère de prise sur lui.

Voilà où je veux en venir : J.F. Clarke a raison : sa distinction tient toujours route. Mais gardons-nous de penser que ça signifie que seuls les hommes d’Etat sont respectables.

Car, s’il se trompe, l’homme d’Etat, son erreur risque d’être beaucoup plus grave que celle commise par le prudent politicien ; plus grave et peut-être plus fréquente.

Reste à dire pourquoi l’homme d’Etat se tromperait alors qu’il pense à l’avenir, et qu’il agit pour le bien des générations futures.

Oui, bien sûr… Mais son erreur n’est-elle pas de croire qu’on peut faire le bien des générations futures sans sacrifier un petit peu du bien être de générations actuelles ?

Car, qui donc est prêt à se sacrifier pour le bien des générations futures ?

Quand les poilus sont allés se faire hacher par la mitraille allemande ce n’était pas pour que la paix vienne sur l’Europe dans 3 générations. C’était pour empêcher les hordes teutonnes d’égorger leurs fils et leurs compagnes.

Wednesday, October 15, 2008

Citation du 16 octobre 2008


S'il y a plus de gens qui visent à la gloire, l'Etat est heureux et prospère ; s'il y a plus de gens qui visent à la fortune, l'Etat dépérit.

Saint-Just – Fragments sur les institutions républicaines

Voyez comme nous sommes : devant cette pensée de Saint-Just, nous avons tendance à nous dire « De toute façon que l’Etat dépérisse n’est pas un mal. Surtout si c’est pour que chacun puisse accroître sa fortune. Parce que, quant à la Gloire, … »

Oui, autre temps, autres mœurs.

La crise actuelle a remis sur le devant de la scène les « libertariens » dont la caractéristique est d’être comme les libertaires favorables à la disparition de l’Etat, mais pas du tout par idéal anarchiste. Eux ce qu’ils veulent c’est la déréglementation totale, et donc la suppression de l’Etat qu’ils définissent uniquement par la fonction d’encadrement de l’activité économique. Les banques sont en faillite ? Laissons donc le marché éliminer les canards boiteux et tout ira mieux bientôt.

Mais ces récents évènements ont semé le doute dans les esprits : est-il si évident que le dépérissement de l’Etat aille de pair avec la prospérité matérielle de chacun ? La prise de contrôle des grandes banques américaine par l’Etat, annoncé par Georges W. Bush avec la mine de celui qui vient d’enterrer toute sa famille, montre qu’à l’évidence l’Etat a probablement encore de beaux jours devant lui.

Quoique… En sommes-nous si sûrs ? Savons nous aujourd’hui ce qu’il va sortir de tout ça ?

Oui, finalement j’aime cette crise, parce qu’un crise, une vraie, c’est un moment où tout devient possible. Tout est possible, parce que rien n’est certain.

Allons nous vers plus de réglementation, vers un retour de l’Etat sur l’avant-scène – et tant pis pour les libertariens ? Devons-nous croire que le capitalisme est fini (comme l’affirme un sociologue qui mobilise une page entière du Monde pour le proclamer) ? Ou alors ne s’agit-il que d’un accès de fièvre d’un système sans lendemain.

Si vous êtes pressé de le savoir, demandez à madame Irma son diagnostic.

Tuesday, October 14, 2008

Citation du 15 octobre 2008


La peine de mort infligée aux criminels peut être envisagée à peu près sous le même point de vue : c'est pour n'être pas la victime d'un assassin que l'on consent à mourir si on le devient. (Voir ne texte en annexe)

Jean-Jacques Rousseau - Du contrat social

[10 octobre 1981. Publication au Journal officiel (p. 2759) de la loi n° 81-908 du 9 octobre 1981. Art. 1er. - La peine de mort est abolie.]

10 octobre 1981-10 octobre 2008 – Voici le 27ème anniversaire de l’abolition de la peine de mort, et nous savons bien que la menace de soin rétablissement plane toujours sur la France, au point qu’il a été question d’inscrire dans la Constitution que cette abolition ne saurait être remise en question, même par référendum…

Surtout par référendum faudrait-il dire, tant sont nombreux les gens prêts à en réclamer le rétablissement. J’ai rencontré des jeunes gens, très sympathiques et avenant qui m’ont dit très simplement que la guillotine était un procédé beaucoup trop doux pour l’exécution des assassins les plus cruels.

Rousseau faisant allusion à l’argument de Beccaria (1) part de la question : comment le législateur peut-il décréter la peine de mort, alors que nul n’a ce droit dans la société ?

Et voyez sa réponse : c’est le criminel lui-même qui consent à l’avance à être soumis à ce châtiment. C’est lui qui devrait se dire en commettant son acte : « Je sais que je risque la peine de mort, et j’y consens ». Et il y consent parce qu’il a toujours compté sur cette sanction pour éviter d’être lui-même assassiné.

Thèse développée par Rousseau, et qui est sans doute encore active aujourd’hui :

Certes, on ne transfert pas à la société un droit qu’on renoncerait à exercer par soi-même (thèse rejetée par Beccaria) ; mais on admet que pour que la société vive en sécurité, il faut que cette peine existe. Qu’importe que la peine de mort soit un assassinat – même légal (2). Ce qui compte c’est d’assassiner seulement les assassins.

Ce sont eux les véritables responsables de la peine de mort.

Lors d’une séance à la chambre des députés sous la 3ème république, on débattait de la suppression de la peine de mort. Une voix au fond de l’hémicycle retentit : « Que messieurs les assassins commencent ! »


(1) À savoir que nul n’a le droit de vie et de mort sur ses semblables. (voir ici)

(2) Aux Etats-Unis, sur l’acte de décès des condamnés à mort, dans la rubrique « Cause du décès », on écrit : homicide légal.

Monday, October 13, 2008

Citation du 14 octobre 2008

L’instinct, c’est l’âme à quatre pattes ; la pensée, c’est l’esprit debout.
Victor Hugo – Océan
Voilà une citation qui fait peur quand on a la prétention de la commenter : car, ou bien c’est une banalité – à savoir l’instinct est animal, la pensée est humaine. Et basta.
Ou bien il faut dire, voilà ce que c’est que l’instinct, voilà ce que c’est que la pensée, et voilà comment l’un s’oppose à l’autre. Et on n’est pas sorti de l’auberge.
Je ne me risquerait donc qu’à considérer la dernière question : quelle différence entre l’instinct et la pensée ?
Et pour répondre sans recourir à des définitions qui appelleraient des contestations infinies, je prendrai un exemple.
Monsieur Jourdain – avouez que vous ne l’attendiez pas celui-là – quand il voit la belle marquise, que fait-il ?
Supposez qu’il ait une érection : voilà l’instinct, voilà l’âme de monsieur Jourdain à quatre pattes.
Maintenant, supposez qu’il lui dise : « Belle marquise, vos beaux yeux me font mourir d’amour ». Voilà l’esprit debout (et pas sur les pattes de derrière).
Bien sûr ça n’empêche par Monsieur Jourdain de s’exciter pendant ce temps là comme une bête, et de regretter que les mots ne relaient pas la puissance de cet élan. Mais on a ici quelque chose de plus, et ce quelque chose passe par le langage.
Voilà où je voulais en venir : dès qu’il y a pensée, il y a langage. Le langage peut même transmuter l’instinct en pensée, quoiqu’il ne puisse le faire qu’en l’altérant.
Le propre de l’instinct c’est d’être corporel sans médiation : le cri en est une expression bien évidente (1). La pensée peut trouver son origine dans le corps, mais elle suppose toujours une distance, une médiation que le langage ne fait que rendre possible.
Alors, vous les amoureux, ne dites pas que les mots sont trop petits, trop étroits pour l’immensité de votre amour. Vous dites qu’après les mots il n’y a que d’autres mots. Peut-être.
Mais ne le regrettez pas, parce qu’en dehors des mots, il n’y a que le rut.


(1) Dans l’exemple choisi on penserait au brame de cerf (et en effet monsieur Jourdain ne brame pas).
Trouvé ça sur un site d’ami des cerfs :
Le brame du cerf – Au début de l’automne, des cris rauques et profonds retentissent dans la forêt. Le brame est le mot qui désigne à la fois le cri du cerf et la période du rut.
Les deux phénomènes sont très liés.
Le brame se déclenche chez le mâle en présence des femelles et à cause d’une poussée de testostérone (hormone sexuelle).

Sunday, October 12, 2008

Citation du 13 octobre 2008


Le plus lourd bagage pour un voyageur, c'est une bourse vide.

Proverbe allemand

Lorsque Jules Vernes invente le personnage de Phileas Fog pour son Tour du monde en 80 jours, il commence par le doter d’un solide compte en banque. Bien évidemment, on imagine que les voyages coûtent chers et que celui qui est sans argent ne peut voyager qu'à pied et sans assistance.

La problématique d’une telle accroche, c’est de se demander si voyager c’est aller loin (et en revenir of course), ou bien rencontrer des gens et des paysages nouveaux.

La question incluse dans ce problème, c’est de savoir si l’argent facilite la rencontre des gens et des paysages.

Pour ce qui est des paysages, disons que chacun sera bien capable d’apporter son opinion ; et qu’on accordera que pour découvrir le Grand Canyon du Colorado mieux vaut partir en avion qu’à pied.

Mais pour ce qui est des gens ? L’argent facilitera à n’en pas douter le premier contact, mais il s’agit alors de rencontrer des « prestataires de service ». Si vous êtes dans un pays « pauvre » alors vous ne serez qu’une « carte bleue sur patte », comme chaque touriste

Mais laissons ces expériences exotiques pour des cas plus proches de nous. Si vous est arrivé de passer une nuit dans un Gîte rural, une de ces fermes plus ou moins transformée, vous avez sans doute comme moi constaté combien la conversation avec la propriétaire des lieux peut être instructive. C’est là qu’on connaît son travail, ses doubles journées de fermière et d’hotesse, les raisons qui l’ont poussée à tout cela. Ce n’est plus l’argent qui nous sert alors – sauf si nous avons encore besoin d’un petit déjeuner. Et ce serait encore plus vrai si on avait frappé la porte d’une maison quelconque pour y passer la nuit.

Sous condition que, sans argent, on ne nous ait pas jeté dehors.

Saturday, October 11, 2008

Citation du 12 octobre 2008


Ernest Hemingway conseillait à l'apprenti écrivain d'omettre dans son récit un point important, que l'auteur connaît mais que le lecteur ignore, de sorte que l'histoire tourne autour de ce point invisible. Ce procédé stimule la curiosité du lecteur et, donc, son attention, et le met à la recherche de la solution du problème dont une donnée importante est absente. Pour le dire autrement, il cherche à résoudre la dissonance cognitive qui provient de la différence entre ce qu'il voit et ce qu'il ne voit pas, mais peut imaginer.

Jean Cottraux – La Répétition des scénarios de vie

Voilà qui devrait guérir les lecteurs que nous sommes de notre admiration idiote pour certains romans et scénarios de films, et pas seulement dans le genre policier, qui utilisent des procédés d’exposition tels que l’énigme artificiellement construite sur un tour de passe passe de la narration..

Je ne crois pas utile de pérorer sur des exemples confirmant la justesse du propos de Hemingway. En revanche, je voudrai souligner que bien souvent nous sommes victimes des stéréotypes de l’auteurs, dont le dispositif décrit ici n’est qu’une variété.

Et c’est vrai que nous sommes fascinée par ces procédés. Ce genre de tache aveugle dont parle Hemingway et dont la présence sert à stimuler l’intérêt n’est en effet qu’une recette parmi d’autres. Je pense que nous devrions être à l’affût de leur présence, même quand il s’agit de « trucs » propres à l’auteur et qui ne se révèlent que par leur répétition de livre en livre. Il en va ainsi du retour, de roman en roman, des mêmes situations, des mêmes personnages, comme, par exemple, les personnages dépressifs et les héros fédérateurs des ouvrages d’Anna Gavalda (1).

On dit que les romanciers passent leur vie à refaire le même livre. Admettons.

Mais alors il y a deux catégories de romanciers : ceux qui réécrivent leur premier livre, et ceux qui de roman en roman poursuivent l’écriture de leur premier et unique livre.

(1) Mon avis sur Anna Gavalda est en réalité très nuancé. En fait même si ses personnages finissent par me porter sur le système nerveux, je dois avouer que j’aimerais savoir écrire comme elle (= avoir autant de choses à dire qu’elle)

Friday, October 10, 2008

Citation du 11 octobre 2008


Bien des gens qui paraissaient être nos amis ne le sont pas en réalité; le contraire est vrai aussi.

Démocrite

On dit de Démocrite qu’il était si savant que ses contemporains l’avaient surnommé non pas le Sage, mais La science.

Avouez qu’il n’y a pas besoin d’être un grand sage pour affirmer que bien des gens qui paraissaient être nos amis ne le sont pas en réalité. C’est même une banalité.

Toutefois, nous serons un peu plus étonnés de l’entendre affirmer : le contraire est vrai aussi.

Comme on ne suppose pas qu’il veut dire qu’il y a des gens qui paraissent être nos amis et qui le sont effectivement – parce que ce serait une banalité encore plus grande – on supposera ici qu’il veut dire que bien des gens sont nos amis qui ne nous le montrent pas.

Voilà un paradoxe bien digne de La science. Car cela signifie qu’on peut être ami de quelqu’un sans se montrer amical, sans faire pour lui des choses que seul un ami saurait faire, en bref, qu’il y a une amitié détachée des actes faits par amitié.

Comme il y a des amoureux transis qui n’osent révéler leur amour, il y aurait donc une amitié secrète et silencieuse ?

Peut-être après tout. Mais pour en revenir à des propos plus communs, peut être y a-t-il des amitiés qui se manifestent sans se dévoiler. Des amitiés qui passent par des gestes dépourvus d’affection, du moins en apparence, mais qui résultent en fait d’une véritable attention à l’autre et du désir sincère de lui être avantageux. Des gens qui, par leur rugueuse critique et leur recommandations bourrues vont faire notre bien malgré nous et sans que nous le sachions ?

Comme nous le suggérions (1) à propos de Rousseau et de Molière, il y a des hommes qui sont misanthropes par philanthropie.


(1) Post du 8 novembre 2006

Thursday, October 09, 2008

Citation du 10 octobre 2008


Octobre est un mois particulièrement dangereux pour spéculer en bourse. Mais il y en a d'autres : juillet, janvier, septembre, avril, novembre, mai, mars, juin, décembre, août et février.

Mark Twain

Voilà qui est dit. Si maintenant vous vous désolez d’avoir perdu en bourse les pauvres économies que vous accumuliez pour vos vieux jours, tant pis pour vous. Vous ne pourrez pas dire qu’on ne vous avait pas prévenu.

Je sais : je ne devrais pas dire ça, parce que même les plus rusés spéculateurs se sont fait plumer par la crise actuelle, et les plus savants spécialistes de l’économie se reconnaissent au fait qu’il avouent ne plus rien y comprendre.

Pour comprendre ce qui nous arrive j’ai fouillé dans ma mémoire à la recherche d’un modèle, et j’ai trouvé ceci : le Bug. Oui, le Bug de l’an 2000 !

Alors, certes de fameux bug n’a pas eu lieu – peut-être du reste parce qu’on l’a vu venir – mais il nous révèle un peu ce qui se passe aujourd’hui : c’est la panne.

Qui niera que la crise actuelle correspond à une panne dans la circulation des liquidités ? Les subprimes n’ont fait qu’allumer la mèche mais ce qui explose aujourd’hui c’est le blocage généralisé du crédit, qui affecte tout le circuit de la finance et – hélas ! – aussi de l’économie.

Or souvenez vous, à la veille de l’an 2000 on a cru que tous les dispositifs asservis à des ordinateurs allaient se bloquer aussi au changement de millésime, que les ascenseurs allaient s’immobiliser, les trains s’arrêter, les avions tomber, les centrales nucléaires exploser.

--> Petite histoire de la panne (1) : la panne est une réalité liée à l’essor de la technique : l’outil ne tombe pas en panne ; il casse et le forgeron du village le répare.

Le développement de la panne suit les progrès des technologies : d’abord issue des matériaux (oxydation, grippage, perte de solidité), la panne migre de la machine d’un côté vers son concepteur (incapable d’anticiper toutes les interactions entre les éléments du système qu’il a conçu – c’est le bug), et de l’autre vers ses utilisateurs (incapables d’utiliser proprement leur machine).

C’est ce dernier élément qui nous importe ici. Pour éviter ce genre de panne, on limite les interventions possibles des usagers sur les machines qui sont mises à leurs dispositions.

C’est ainsi qu’on a vu les fabricants de télécommandes pour téléviseurs, enregistreurs, etc. mettre, pour masquer certains boutons, un volet que n’ouvraient que les hardis pionniers de la technologie.

Même si on conçoit des machines parfaites, elles ne fonctionneront que si l’utilisateur est maintenu dans des rails parfaitement définis.

Alors on voit bien que c’est exactement ce qui se passe aujourd’hui avec les circuits de la finance : les dispositifs de réglementation ont dysfonctionné, en raison bien sûr de l’appétit de profit des utilisateurs, et maintenant toutes les pannes sont possibles, ce qui veut dire qu’on ne peut absolument pas prévoir où ça va s’arrêter.

Car c’est une panne sans dépanneur.

(1) Je m’inspire ici d’un article publié dans le journal Libération le 31-12-1999 par Thibaut Honnet, consultant en système d’information.