Sunday, January 31, 2010

Citation du 1er février 2010

Si vous perdez vos enseignes, cornettes ou guidons, ne perdez point de vue mon panache; vous le trouverez toujours au chemin de l'honneur et de la victoire.

Henri IV – 14 mars 1590 à la bataille d’Ivry

Ralliez-vous à mon panache blanc !...

Quand on a la prétention de livrer à ses lecteurs les plus célèbres citations – celles qui, justement, ont forgé notre Identité Nationale – comment éviter celle-ci ? Mais, s’il faut en plus comme je le prétends en faire un commentaire, alors c’est le piège …

Bon – j’essaie quand même et tant pis pour moi si je me plante.

--> D’abord : ce que dit le futur Henri IV (1) à ses soldats ne se comprend que si le champ de bataille est suffisamment réduit pour que le soldat du dernier rang puisse voir encore le panache qui orne la chapeau de son chef – qui est supposé être en tête de la mêlée. J’ai lu autrefois dans le Dimanche de Bouvines de Duby que cette célèbre bataille s’était déroulée, comme toutes les batailles de l’époque, dans un champ dont les deux armées ennemies occupaient les deux extrémités, en sorte que la disposition des troupes lors de l’affrontement ressemblait à celles des pièces du jeu d’échec. Difficile d’imaginer une telle situation aujourd’hui.

Donc cette citation nous instruit sur les différences qu’il faut reconnaître entre les batailles d’autrefois et celles d’aujourd’hui.

--> Ensuite, le roi chef d’armée est porteur d’une marque distinctive, le panache blanc, qui le signale comme tel à tous – y compris à l’ennemi.

Qu’en est-il aujourd’hui ? On n’imagine pas le général en chef arborant sur le champ de bataille un signe distinctif visible de loin. S’il a bien ses galons, ceux-ci de couleur neutre et surtout pas en métal doré qui brille au soleil !

--> Que reste-t-il de l’ordre du jour de Henri IV à ses troupes ?

La victoire et l’honneur, oui, il n’y a que ça qui reste. Et encore : l’armée est le dernier lieu où l’honneur des hommes soit encore évoqué.

Car si la victoire reste partout requise pour faire avancer coûte que coûte, par contre l’honneur dans nos sociétés occidentales est devenu une notion bien poussiéreuse.

…Vu les circonstances dans les quelles l’honneur est invoqué, je me demande s’il faut le regretter.


(1) Car il s’agissait en fait du futur roi de France, et de l’ordre du jour rapporté ici

Saturday, January 30, 2010

Citation du 31 janvier 2010

La réaction du rabbin Sirat et celle du cardinal Lustiger, [refuant tous deux de visionner le film Shoah] se ressemblent étrangement : le mal n’existe pas.

Claude Lanzmann – Le lièvre de Patagonie, p. 530

Après notre récente observation sur le néant, encore une remarque sur le non-être : celui du mal.

Le refus d’admettre l’existence du mal absolu, s’exprimant par cette douleur intolérable engendrée par des documentaires comme Shoah (qui vient de repasser à la télévision), se justifierait par cette nécessité : préserver à tout prix – malgré l’intolérable évidence qui se déroule pendant 9 heures d’horloge dans ce film – l’idée que le mal n’existe pas.

Certains ont expliqué le refus de se trouver affronté aux crimes abominables de l’Holocauste par une dénégation, résultant de la culpabilité qu'on aurait d’éprouver un désir pervers de jouir du spectacle de la souffrance endurée par les victimes des SS.

Claude Lanzmann en fait un sentiment métaphysique.

- Que veut-on dire en affirmant que le mal n’existe pas ? Le mal – entendons le mal absolu, celui qui est à lui-même sa propre fin, pas un moyen pour autre chose, pas l’occasion d’une jouissance – n’est qu’une abstraction, une incohérence, un concept réunissant comme le disait Leibniz des prédicats qui sont en réalité incompossibles. Ou, si on préfère, songeons à Kant affirmant que le mal absolu est autant hors de la portée des humains que le bien absolu.

Mais on a aussi une autre lecture possible : le mal n’existerait pas, parce que les êtres absolument mauvais se détruiraient d’eux-mêmes, ils périraient victimes de leur propre méchanceté (1).

Mais cette hypothèse ne tient pas vraiment devant cette remarque de Kant dans son opuscule Projet de paix perpétuelle :

Le problème de la formation de l’Etat, pour autant que ce soit dur à entendre, n’est pourtant pas insoluble, même s’il s’agissait d’un peuple de démons (pourvu qu’ils aient l’intelligence) : « Ordonner une foule d’êtres raisonnables qui réclament tous d’un commun accord des lois générales en vue de leur conservation… » (2)

Alors, c’est clair : peut-être que le mal n’existe pas, mais les hommes mauvais, si.


(1) La thèse habituelle étant que Dieu a créé les êtres, l’existence est l’attribut de tout ce qui est. Le mal n’est donc qu’une destruction du bien (comme le néant, il ne peut être qu’un anéantissement).

(2) Kant – Projet de paix perpétuelle, 1er supplément, traduction Gibelin (Vrin). Lire la suite p.45

Friday, January 29, 2010

Citation du 30 janvier 2010

Mais au moment que j'étais prêt à me pâmer sur une gorge qui semblait pour la première fois souffrir la bouche et la main d'un homme, je m'aperçus qu'elle avait un téton borgne. […] je vis clair comme le jour que dans la plus charmante personne dont je pusse me former l'image, je ne tenais dans mes bras qu'une espèce de monstre, le rebut de la nature, des hommes et de l'amour.

Rousseau –Confessions 2ème partie livre VII (1)

Voici la situation : Jean-Jacques Rousseau, le jeune et séduisant secrétaire de l’ambassadeur du roi de France à Venise, vient de monter dans la chambre de Zulietta, une courtisane à la beauté sublime. Jean-Jacques au lieu de se jeter sur elle, se met à gamberger : Pourquoi, se dit-il, accepte-t-elle de faire l’amour avec moi alors qu’elle doit avoir les plus beaux et les plus riches hommes à ses pieds. Naïf, mais méfiant quand même, le Jean-Jacques ! Il en vient à supposer quelques défauts cachés : Ou mon coeur me trompe, se dit-il, fascine mes sens et me rend la dupe d'une indigne salope, ou il faut que quelque défaut secret que j'ignore détruise l'effet de ses charmes et la rende odieuse à ceux qui devraient se la disputer.


Cherchez et vous trouverez… Il découvre que la belle Zulietta a un téton borgne, entendez un téton invaginé. Ce défaut qui n’aurait pas dû suffire à freiner l’élan d’un homme jeune et ardent, dégoûte totalement notre héros, au point qu’il s’en ouvre à la belle qui l’abandonne en lui disant : Zanetto, lascia le donne, e studia la matematica. Laisse tomber les femmes et fais plutôt des mathématiques (2)

Et pourquoi ce trouble ? Parce que Jean-Jacques déjà persuadé que cette femme devait être dégoûtante, ne faisait que chercher un indice le prouvant.

Beaucoup de nos aversions portent sur des détails physiques qui sont en réalité comme le téton borgne de la belle Juliette : repoussant parce que choisis comme preuve que notre dégoût a une véritable explication.


(1) Lire le passage ici

(2) Que mes lecteurs mathématiciens m’écrivent pour me dire si effectivement on ne peut aimer en même temps les mathématiques et les femmes.

Thursday, January 28, 2010

Citation du 29 janvier 2010

Je sais telle personne que j'ai vue tous les jours pendant douze ans, et qui, grâce à une charmante vivacité d'esprit, ne m'a jamais laissé terminer une phrase. - Les personnes de ce caractère croient qu'elles devinent aux premiers mots ce que vous voulez dire ; alors, sans attendre plus longtemps, elles vous coupent la parole, et répondent avec ardeur et véhémence à ce que vous n'avez ni dit, ni voulu dire, ni pensé.

Alphonse Karr – Une poignée de vérités

Dans la série « Les gens qui vous horripilent » : les coupeurs de parole.

Nous connaissons tous – comme Alphonse Karr – des gens qui nous coupent la parole pour nous répondre avant que nous ayons eu l’occasion de terminer notre phrase. Et on pense aujourd’hui à ces débats stériles dont la radio ou la télé nous abreuvent, où chacun essaie de parler « sur » l’autre, non seulement pour l’empêcher de s’exprimer, mais encore pour phagocyter son temps de parole pour profiter d’un plus grand délai pour s’exprimer.

Oui. Mais il y a pire : il y a ceux qui vous coupent la parole pour terminer votre phrase, à votre place, manifestant ainsi avec vous un centre d’intérêt commun, une complicité, une communauté de pensée.

Ceux-là malgré leur intention qu’on suppose amicale sont les pires, non seulement parce qu’ils peuvent se tromper – j’avoue prendre un malin plaisir à poursuivre mon propos sur un chemin qui n’est pas le leur et jouir ainsi de leur mine déconfite – mais parce qu’en disant ce que nous-mêmes nous allions dire, ils prennent un ascendant sur nous, ils se mettent en surplomb par rapport à nous, ils englobent notre pensée dans la leur.

Autrefois, on disait aux petits enfants : « On ne parle pas pendant les repas ! », laissant ainsi aux adultes le droit d’exercer seuls le pouvoir de parler. Et puis il y a eu la révolution éducative, et l’enfant roi, celui qui parle étourdiment en même temps que vous, qui vous coupe la parole parce qu’il n’écoute pas ce que vous dites et que son avis lui paraît plus important que tout.

Mais j’ai connu des enfants encore plus exigeants, qui piquaient des crises de rage quand on ne leur laissait pas terminer leurs phrases. Ceux-là exprimait en toute naïveté ce que nous n’osons plus dire ouvertement : les coupeurs de parole portent atteinte à notre droit à la parole, c'est-à-dire à la libre pensée

Wednesday, January 27, 2010

Citation du 28 janvier 2010

[...] il n'y a vraiment que le néant qui soit continu.

Bachelard – L’intuition de l'instant

Ah… le néant ! Voilà vraiment la pierre de scandale philosophique, la croix du philosophe : pire que la liberté, bien pire même que le temps, le néant est le concept piège par excellence.

Car quoique vous disiez pour le définir, on vous rétorque « En accordant une caractéristique au néant, tu lui accordes forcément une existence, et donc tu te contredis – ou bien tu parle d’autre chose que du néant ». Dans les disputes médiévales, c’était une constante : l’exemple de la contradiction c’était une phrase débutant par la formule : « Le néant c’est… ».

Vous me suivez ? Pour faire simple, reprenons la citation de Bachelard : « il n'y a vraiment que le néant qui soit continu. ». Dire « que le néant soit », c’est supposer qu’il est, donc que, possédant l’existence, il n’est plus le néant. Peut-être bien que le néant est ce dont on ne peut rien dire (1).

C’est vrai, et pourtant la formule de Bachelard est riche, très riche de sens…

Admettons qu’il nous parle ici de la distinction non pas entre l’être et le néant mais entre l’être différencié et l’être indifférencié.

- Si le néant s’oppose à l’être, alors celui-ci doit se définir par le discontinu, c’est-à-dire par l’individualité. L’être différencié, c’est vous, c’est moi, c’est le poisson rouge, l’arbre, ou le rocher. En bref c’est tout ce qui a un contour, une forme qui le met en rapport avec d’autres formes et d’autres contours.

- L’être indifférencié, c’est le chaos, ou le tohu-bohu (définition ici). Parlons plutôt du tohu-bohu qui est de l’énergie, cette énergie qui était dans le monde avant que Dieu ne l’eut façonné en distinguant les différentes parties qui le constitueront finalement.

Or, justement, j’ai l’impression que le « néant » bachelardien, c’est plutôt ça : de l’énergie, du genre de celle qu’on imagine à l’origine de l’univers quand le big-bang vient juste de se produire et que les différentes particules n’ont pas eu encore l’occasion de se différencier.

Bon, rêveries peut-être, rêveries dont notre philosophe est coutumier…


(1) Un autre exemple : quand Sartre parle du néant dans l’Etre et le néant, on devine qu’il a dans la pensée plutôt le vide épicurien. Mais bon, ça n’a pas une importance fondamentale pour le fonctionnement de sa thèse.

Tuesday, January 26, 2010

Citation du 27 janvier 2010

Le fait qu'on se confesse de plus en plus à la radio et de moins en moins dans les églises semble indiquer que la publicité est plus précieuse que le pardon...

Philippe Bouvard – Maximes au minimum

La confession doit être publique ou privée. Etre proclamation offerte à tous ou bien murmurée dans l’oreille du prêtre. Il y a là bien plus qu’une alternative simplement logique, comme de dire qu’une porte doit être ouverte ou fermée.

Car cette alternative se ramifie rapidement dès qu’on y regarde d’un peu plus près. En particulier, la confession publique peut être anonyme, comme à la radio, ou bien expressément nominative comme dans les autocritiques, celles qu'on pratiquait du temps du régime soviétique.

Ces dernières, qui nous semblaient être une insupportable humiliation de l’homme, apparaissaient alors aux marxistes-léninistes comme une arme dans la lutte contre le capitalisme. Du fait d’un renversement des valeurs ce qui est mauvais dans les régimes capitalistes devient bon pour les régimes communistes. (1) Il ne s’agissait pas alors d’obtenir une absolution, mais bien de parfaire la Révolution.

Soit. Mais, si nous en revenons à la pratique radiophonique actuelle, pourquoi confesser ses fautes, ou du moins des détails de son intimité, à des gens qu’on ne connaît pas et qui n’ont aucun pouvoir de nous pardonner ?

- En réalité, la confession est une pratique si complexe qu’elle peut changer totalement de signification d’une situation à l’autre.

Ici, plus d’aveu au sens propre, plus de faute reconnue, plus de pardon recherché. On ne retient plus de la confession que sa nature verbale. Les catholiques, parlant de la pratique du confessionnal, disent que la confession y est auriculaire. N’entre dans l’oreille du confesseur que ce qui est sorti de la bouche du confessé. Des phrases, mots, des syllabes, des phonèmes.

Le langage permet de libérer les émotions, et la confession radiophonique ne fait que remplacer la cellule de soutien psychologique qui est de mise aujourd’hui après chaque catastrophe.

Nous avons alors affaire à une catharsis minimale, celle qui n’exige rien, pas un prêtre, pas un ami, pas une âme compatissante – rien qu’un « autre ».

Même si cet autre est anonyme – même s’il est entrain de faire la vaisselle ou de tirer la chasse d’eau.


(1) « Formes nouvelles de lutte du nouveau contre l'ancien, instruments propres à éliminer les contradictions, la critique et l'autocritique découlent de la nature même de l'Etat soviétique, qui représente la forme supérieure de la démocratie, la démocratie socialiste. » Lire le reste ici.

Monday, January 25, 2010

Citation du 26 janvier 2010

Suzanne – Tu penses que ma dot / Est le fruit de tes seuls mérites? Figaro : Je me flattais en effet de le croire. Suzanne : Ce qu’il veut de moi : / Certaine demi-heure…/ Un ancien droit du seigneur…

Mozart / Da Ponte – Les noces de Figaro (Acte I, Scène 1)

Petite histoire des rumeurs et grande histoire des révolutions : le droit de cuissage du seigneur, mythe colporté par des récits d’origine incertaine, repris par Beaumarchais dans le Mariage de Figaro (ici évoqué à travers l’opéra de Mozart) : le comte Almaviva pousse Figaro à épouser Suzanne pour coucher avec elle le soir de ses noces, exerçant ainsi son droit de cuissage – droit qu’il venait pourtant de supprimer… Bizarre inconséquence, mais il n’y aurait pas de théâtre sans coup de théâtre.

Rappelons que Voltaire dans son Essai sur les mœurs et l’esprit des nations accrédite lui-même cet insupportable pouvoir (1).

Insupportable pouvoir… Parce que c’est bien de cela qu’il s’agit : le Seigneur aurait dans ce cas un pouvoir tyrannique et exorbitant : celui de déflorer toutes les filles de son domaine, exigeant ainsi une propriété sur ce qu’il y a de plus précieux dans une femme. On a fait des révolutions pour moins que ça…

Nous y voilà : le droit de cuissage, aussi inique - aussi fantasmatique - qu’il soit, est un révélateur véridique de ce qu’était la femme dans ces temps lointains (sic) : une virginité – plus prosaïquement un hymen. Combien de jeunes femmes ont-elle eu leur vie ravagée pour être arrivées au mariage déflorée (mot que je n’écris que pour en faire ressentir l’horreur).

On rappellera alors l’extraordinaire courage de Buffon qui a affirmé que l’hymen n’existait pas – ou plutôt : qu’il se développe au cours de la croissance de la fillette, et qu’il est susceptible de repousser après avoir été déchiré (lire ici).

Mais voilà : Buffon s’était trompé, l’hymen ne repousse pas… Et il y a encore aujourd’hui des cliniques où on les reconstitue … Et il y a sans doute des comtes Almaviva beaucoup moins scrupuleux que lui… Et il y a des femmes vitriolées pour être arrivées dévirginées au soir de leur noce…

Et il y a encore des Révolutions à faire.


(1) Vous avez vu, aux douzième et treizième siècles, les moines devenir princes, ainsi que les évêques ; ces évêques et ces moines partout à la tête du gouvernement féodal. Ils établirent des coutumes ridicules, aussi grossières que leurs mœurs ; le droit exclusif d'entrer dans une église avec un faucon sur le poing, le droit de faire battre les eaux des étangs par les cultivateurs pour empêcher les grenouilles d'interrompre le baron, le moine, ou le prélat ; le droit de passer la première nuit avec les nouvelles ma­riées dans leurs domaines ; le droit de rançonner les marchands forains ; car alors il n'y avait point d'autres marchands.

Voltaire – Essai sur les mœurs et l’esprit des nations (p.148)

Lire le reste ici

Sunday, January 24, 2010

Citation du 25 janvier 2010

[A propos de l’aveugle du Puisaux] : Si nous avons à vivre plus de plaisir que lui, convenez qu'il a bien moins de regret à mourir.

Diderot – Lettre sur les aveugles – Partie 1. (1)

Les maximes de la sagesse, où comptez-vous les trouver ? Dans la Bible ? Dans les œuvres sublimes des philosophes des temps anciens ? Ou bien chez les amuseurs d’aujourd’hui ?

Bien sûr ces derniers seront écartés du choix. Or, rappelez-vous le 25 juillet 2006, je citais sans trembler la chanson de Daniel Balavoine : J'veux mourir malheureux pour ne rien regretter

A quoi bon lire les philosophes après tout ? Si les chanteurs font la même chose, c’est une fatigue qu’on peut s’épargner.

Pourtant, ceux qui auront eu la curiosité de lire ce petit livre de Diderot jusqu’au bout sauront qu’il comporte quelque chose de plus : c’est une vision de la morale et de la religion tout à fait cohérente et décapante. D’ailleurs ce n’est pas une simple opinion sur la mort qui a conduit la censure à interdire le livre et à jeter son auteur dans un cachot du château de Vincennes (2)

Dans sa lettre sur les aveugles, Diderot évoque les conséquences de la cécité sur la moralité, le sens de la vie, etc… L’idée étant que la morale a pour fondement la réalité matérielle de l’existence et non des valeurs transcendantes ou sacrées. Ou si vous préférez, l’une n’a pas plus d’autorité que les autres.

Le sens de la vie, la peur de la mort sont ainsi pour lui (= l’aveugle) quelque chose de radicalement différents. Au fond il n’est pas sûr qu’il soit tant à plaindre.

C’est du moins la thèse de Diderot.


(1) Voici un extrait du texte :

Il [= l’aveugle du Puisaux] eut dans sa jeunesse une querelle avec un de ses frères, qui s'en trouva fort mal. Impatienté des propos désagréables qu'il en essuyait, il saisit le premier objet qui lui tomba sous la main, le lui lança, l'atteignit au milieu du front, et l'étendit par terre.

Cette aventure et quelques autres le firent appeler à la police. Les signes extérieurs de la puissance qui nous affectent si vivement, n'en imposent point aux aveugles. Le nôtre comparut devant le magistrat comme devant son semblable. Les menaces ne l'intimidèrent point. « Que me ferez-vous ? dit-il à M. Hérault. - Je vous jetterai dans un cul de basse-fosse, lui répondit le magistrat. - Eh ! monsieur, lui répliqua l'aveugle, il y a vingt-cinq ans que j'y suis. » Quelle réponse, madame ! et quel texte pour un homme qui aime autant à moraliser que moi ! Nous sortons de la vie comme d'un spectacle enchanteur ; l'aveugle en sort ainsi que d'un cachot : si nous avons à vivre plus de plaisir que lui, convenez qu'il a bien moins de regret à mourir.

(2) L’amenant ainsi par ironie à vérifier l’exactitude du propos au quel justement notre citation fait allusion.

Saturday, January 23, 2010

Citation du 24 janvier 2010

[Dans] cette crise d’insurmontable angoisse (…), il s’agissait toujours d’une prise de conscience suraiguë, intolérable, de la fragilité du bonheur humain, du destin mortel de ce que les mortels appellent précisément « le bonheur », dont la nature est d’être toujours compromis.

Claude Lanzmann – Le lièvre de Patagonie (p.277-278)

Le bonheur est l’état dans le monde d’un être raisonnable, à qui, dans tout le cours de son existence, tout arrive suivant son souhait et sa volonté.

Kant - Critique de la raison pratique (Livre II, chapitre V, §V)

Il faut imaginer Sisyphe heureux.

Camus – Le mythe de Sisyphe (voir également ici)


La femme prise d’une crise d’insurmontable angoisse n’est autre que Simone de Beauvoir (alias le Castor (1)) lorsqu’elle reprend conscience que rien n’est acquis définitivement : Sartre mourra avant elle et Claude Lanzmann (son bien-aimé de l’époque) la quittera un jour – comme elle l’avait pourtant prévu dès le début de leur liaison… C’est qu’en fait, comme le souligne Kant, l’exigence de bonheur est intimement liée au souhait qu’il dure indéfiniment.

Je ne cherche pas aujourd’hui à philosopher sur le bonheur, accessible seulement dans l’illusion puisque dans l’existence humaine tout a une fin, mais plutôt sur l’impuissance de la raison même chez les philosophes à gouverner l’affectivité.

Déjà, Pascal ironisait sur le vertige du philosophe (voir ici) ; mais l’exemple du désespoir du Castor montre combien la lucidité du sage reste en-deça de sa vie.

A quoi sert la science qui nous dit que rien ne dure indéfiniment, que l’avenir n’est pas écrit sauf en ce qui concerne notre mort et celle de nos proches ? Si la seule certitude que nous ayons est celle de nos malheurs, cette certitude aide-t-elle à mieux vivre ? Les sanglots du Castor sont là pour nous le rappeler : le seul bonheur qui nous soit accessible est dans la révolte.

Car, comme le disait Camus, il faut imaginer Sisyphe heureux. (2)


(1) Ce surnom lui aurait été attribué par ses camarades de promotion – avant même qu’elle ne rencontre Sartre – parce qu’elle était une travailleuse acharnée, comme le sont les castors, et que cet animal se nomme en anglais beaver, qui sonne comme Beauvoir.

(2) Aucun commentaire ne remplacera jamais la lecture des textes essentiels – comme l’est celui-ci.

Citation du 23 janvier 2010


Une ville, une campagne, de loin est une ville et une campagne, mais à mesure qu’on s’approche, ce sont des maisons, des arbres, des tuiles, des feuilles, des herbes, des fourmis, des jambes de fourmis, à l’infini. Tout cela s’enveloppe du nom de campagne.
Pascal – Pensées, fragment 61 (éd. Le Guern)
Dans la série – Les inventeurs visionnaires – aujourd’hui : le zoom !
Plaisanterie, parce qu’il y a bien plus à dire, mais quand même : Google-earth – ou Google-Maps – ne font rien de plus que de montrer ce que décrit Pascal ici.
On pourra lire le chapitre que Ricœur consacre à ce fragment (1) : il y insiste sur les variations d’échelles (2) qui font que ce ne sont pas les mêmes choses qui apparaissent quand on regarde de loin et quand on regarde de près. Il ne s’agit donc nullement de dire – comme Platon dans la République (3) – que les détails qu’on aperçoit difficilement chez les individus existent également dans des plus grands corps et qu’ils y sont bien mieux visibles.
Bien au contraire : Pascal insiste sur la diversité des organismes qui sont censés constituer ces grands ensembles. La campagne existe-t-elle ? Oui, bien sûr. Mais peut-on croire qu’elle soit simplement la somme des petites choses qu’elle contient ? Y a-t-il un moyen de fondre ensemble toutes ces jambes de fournis et toutes ces feuilles d’arbre ?
Il y a là-dessus bien des choses à dire… Mais pour m’en tenir à ce qui me paraît aujourd’hui très clair : si l’on remplace la campagne de Pascal par la société, et les fourmis par les individus, on s’aperçoit que de l’un à l’autre il n’y a pas seulement une différence d’échelle, mais aussi une différence d’organisation. Avec pour conséquences que la thèse des utilitaristes (anglo-saxons) affirmant que les individus en poursuivant leurs butes égoïstes font en même temps le bien de la société parce que ce qui est bon pour l’un est aussi bon pour l’autre, est du coup complètement caduque. Le Bien Public et le bien de l’individu, ça ne fonctionne pas selon la même mécanique – ce qu’on voit bien sûr en temps de guerre…
Mais du même coup, ça remet en cause aussi la démocratie participative : faire par exemple des problèmes de voisinage (les jeunes qui stationnent pour picoler dans le hall des immeubles par exemple) un problème politique (faire une loi réprimant ce genre de situation), c’est aussi absurde que de dire que la campagne c’est une collection de pattes de fournis ou de feuilles d’arbres.
Peut-être que le débat sur la burqa devrait intégrer ce genre de réflexion.
(1) Paul Ricœur – La mémoire, l’histoire et l’oubli, édité au Seuil, p.267 et suivantes.
(2) Et non sur les divers aspects d’une ville selon la manière dont on la regarde (comme Leibniz avec l’exemple de la perspective – voir ceci, consacré à la notion de perspective chez Leibniz…)
(3) Voir La République, II [368d] : « Si l'on ordonnait à des gens qui n'ont pas la vue très perçante de lire de loin des lettres tracées en très petits caractères, et que l'un d'eux se rendît compte que ces mêmes lettres se trouvent tracées ailleurs en gros caractères sur un plus grand espace, ce leur serait, j'imagine, une bonne aubaine de lire d'abord les grandes lettres, et d'examiner ensuite les petites pour voir si ce sont les mêmes. »

Thursday, January 21, 2010

Citation du 22 janvier 2010

Il ne faut pas regarder quel bien nous fait un ami, mais seulement le désir qu'il a de nous en faire.

Madame de Sablé – Maximes

Alors, pour madame de Sablé, un ami est quelqu’un qui, croyant nous faire du bien, n’y arrive pas ? Et cela si souvent qu’il faille donner comme maxime de ne considérer que l’intention de nos amis, et non le résultat de leurs tentatives ?

Autant dire que le XVIIème siècle est vraiment le siècle des misanthropes. La Rochefoucauld en témoigne ; et Alceste est son héros emblématique… (1)

Mais on pourrait tenter une autre lecture de la maxime de la marquise de Sablé : ne cherchons pas l’amitié comme une source de profit. L’avantage que nous tirons de nos amis ce n’est pas en terme de richesse matérielle qu’il faut l’évaluer, mais mesurons-le plutôt au souci qu’ils ont de notre bien.Vu comme ça, ça marche.

Une autre réflexion s’impose à notre esprit : c’est qu’on pourrait très bien se passer d’amis dès lors que nous cherchons simplement ce qui nous est avantageux. Par exemple, il vaut mieux avoir un bon médecin qu’un ami qui s’inquiète de notre santé – parce qu’il ne fera rien d’utile pour nous conseiller. Et même, si nos amis sont nos compagnons de débauche ou de beuverie, alors il est certain que notre santé pâtit de leur amitié et que dans ce cas, ne pas avoir d’amis serait bien plus profitable.

Il faut donc ajouter à la Maxime de madame de Sablé ceci : en amitié, considérons aussi le désir éclairé de nous faire du bien.

D’où cette conséquence : choisissez vos amis non seulement pour l’affection qu’ils vous portent mais aussi pour leur perspicacité psychologique. Parce que, ce que vous pouvez leur demander, c’est non seulement qu’ils vous soient affectionnés, mais encore qu’ils vous soient de bon conseil.

Mais je dis des bêtises : un ami, ça ne se choisit pas.(2)


(1) Il est vrai qu’elle s’était retirée au couvent de Port-Royal (= chez les Jansénistes).

(2) Il est vrai que dans un Post précédent je signalais une opinion contraire (On ne choisit pas sa famille mais on choisit ses amis). Certes, mais sur quoi porte donc le choix ? A mon avis les amis sont des gens qui « s’imposent » à nous : sans que nous les ayons élus, ils sont là. Ils sont amis et c’est une inexplicable évidence – Parce que c’était lui, parce que c’était moi…. Tout ce qu’on peux dire c’est que, si nous avions eu à choisir nos amis, ce sont eux qu’on aurait choisi (un peu comme Ulysse ramasse le destin de sa vie future, le seul qui reste disponible et part heureux en disant : « Si j’avais eu à choisir, c’est celui-là que j’aurais pris. »)

Wednesday, January 20, 2010

Citation du 21 janvier 2010

Ce qui importe ce n'est pas de lire mais de relire.

Jorge Luis Borges – Le livre de sable

Le 11 janvier dernier nous avions cité Proust disant que le livre ne commence à nous apporter quelque chose qu’une fois refermé.

Poursuivant notre réflexion sur la lecture, nous en venons à Borges pour qui le livre est essentiel non pas ouvert, non pas fermé, mais rouvert. On ne doit lire que parce que c’est la condition nécessaire pour pouvoir relire.

Passons sur le snobisme qui consiste à dire non pas « Je suis entrain de lire Montaigne », mais « Je suis entrain de relire Montaigne ». Notez bien qu’on hésiterait à faire la même chose avec Don Brown ou Bernard Werber.

- Une question, juste comme ça : après avoir lu un livre (que vous aviez acheté), qu’est-ce que vous en faites ?

Banal, direz-vous : je le mets sur l’étagère de ma bibliothèque. Et quand je n’ai plus de place, je le mets dans un carton à la cave et ensuite je le donne à une œuvre caritative.

Admettons (1). Mais il est des livres qu’il faut relire, et même comme le dit Borges peut-être est-là un indice de valeur : les livres importants sont ceux qu’il faut relire.

- Une autre question maintenant : qu’est-ce que la relecture apporte que la lecture n’apporte pas ?

En fait certains livres sont organisés en vue de la relecture : ainsi fait Julio Cortázar (encore un argentin : est-ce un hasard ?) avec Marelle (2).

Mais surtout, un livre est un monde qu’il convient de visiter deux fois :

- une fois pour l’explorer et donc pour en avoir une vue synthétique ;

- une autre fois pour en découvrir chaque partie (vue analytique).

Notez qu’il y a aussi des livres écrits en vue de vous économiser cette double lecture. Ainsi du dernier ouvrage de Paul Ricœur, La mémoire, l’histoire et l’oubli, dont chaque chapitre débute par une Note d’orientation.

Plus besoin de GPS…


(1) Pour ma part, je ne supporte pas qu’un livre ne soit lu qu’une fois. Alors si c’est un livre qui m’enthousiasme, mais que je suis certain de ne pas relire, je le donne à un ami. Je n’ai en principe dans ma bibliothèque (celle des romans), que des livres pas assez bons pour être offerts.

(2) Edité dans la collection l’Imaginaire de Gallimard. Pour ceux qui ne connaîtraient pas, Marelle comporte trois parties :

- la première qu’on lit comme un roman ordinaire, qui peut même se suffire à elle-même si on n’a pas le temps de lire les deux autres.

- Puis une seconde partie (qui prolonge donc la 1ère) dont les chapitres se lisent dans l’ordre normal,

- sauf qu’on peut aussi à la fin de chacun lire le chapitre de la 3ème partie dont le numéro est indiqué en bas de page. De sorte qu’on peut lire en sautant d'une partie à l'autre comme pour le jeu de la marelle.

Tuesday, January 19, 2010

Citation du 20 janvier 2010

Il faut que nous puissions vouloir que ce qui est une maxime de notre action devienne loi universelle.

Kant – Fondements de la métaphysique des mœurs – 2ème section

Voyez ce que c’et que l’illusion : moi, après le discours de Dakar pompé sur Hegel (1), je croyais que les Hommes du Président allaient défourailler à tout bout de champ de la philosophie allemande. Et qu’en particulier au cours du laborieux débat sur la loi Hadopi, la morale kantienne serait mise à contribution.

Las ! Henri Gaino devait être occupé à autre chose : rien n’est venu.

Il va falloir s’y coller nous-mêmes.

Donc, Hadopi.

Supposez que vous coinciez un petit salopard de téléchargeur, de la race de ceux qui ruinent nos artistes. Pour lui faire la morale, vous lui dites :

- Pourquoi as-tu fait ça ? Ne sais-tu pas que c’est mal ?

- Mal ? Que m’importe ? Ça me fait du bien à moi – le reste je m’en fiche.

- Tu dois agir moralement, sinon tu n’es qu’une bête. Ecoute donc le philosophe allemand Emmanuel Kant.

Il dit que, pour être morale, la maxime de ton action (celle qui exige que ton plaisir soit le plus grand possible), doit pouvoir être énoncée aussi comme une loi universelle de la nature. Tu le sais, ça ?

- …

- Si tu poses que le plaisir doit être le mobile de ton action, alors tu dois vouloir aussi qu’il soit le mobile de toute action, pour qu’importe qui et n’importe quand.

- Bon. Et alors ?

- Alors ? Hé bien, tu te contredis toi-même, puisque l’objet de ton désir est détruit par la loi du plaisir universel que tu viens d’énoncer.

- C’est quoi ce boniment ?

- En voulant que plus rien ne soit payant, tu détruis les hommes qui produisent les œuvres que tu télécharges.

- T’es ouf ou quoi ? Tu sais bien que c’est pas les artistes qui s’engraissent avec les bénéfices, mais les Majors.

Philosophe allemand que tu as dit ? Moi je vais t’en citer un autre de philosophe allemand : Karl Marx, tu connais ?


(1) Évoqué le 6 décembre 2007 (note 1). Voir aussi cet article Sarko, Hegel et les nègres.

Il est vrai que depuis on a cité d’autres sources où aurait pu puiser le Conseiller du Président. Comme celle-ci : « Grâce à nous des peuples de toutes les races humaines, naguère plongées pour la plupart dans cette torpeur millénaire où l'Histoire ne s'écrit même pas, découvraient à leur tour la liberté, le progrès, la justice. » Général De Gaulle, discours prononcé en 1947 en hommage à Félix Eboué.

Monday, January 18, 2010

Citation du 19 janvier 2010

Objets inanimés, avez-vous donc une âme
Qui s'attache à notre âme et la force d'aimer ?

Lamartine (déjà cité ici)

Tout ce dont il se souvenait avec certitude, c'était qu'il avait passé à son volant de très longs moments, hébété de bonheur, dans le même état que lorsque Leigh lui avait soufflé «Je t'aime ».

Stephen King – Christine

Stephen King, mieux que personne a répondu à Lamartine : oui, les objets inanimés nous forcent d’aimer – voire même de les aimer comme Arnie aime sa voiture (nommée Christine) (au point de se désintéresser de Leigh, sa petite amie.) (1)

Les objets sont sexués – dans nos fantasmes du moins. L’intérêt est de savoir s’ils peuvent être bi-sexués, comme justement la voiture objet phallique ou matrice féminine selon qu’on la considère du dehors ou du dedans.

Voici la contribution de La citation du jour à l’enquête cette fois à propos des avions.


- Qu’est-ce qu’il est beau !

- Ça oui ! Et je n’en avais jamais vu de si près.

- Qu’est-il est pointu ce nez …

- Ça ? T’appelles ça un nez ?

- Ben oui : comment tu veux l’appeler ?

- Bon. Après tout pourquoi pas.

- C’est bien un Mirage ?

- Oui : c’est très exactement un Mirage F1.

- Je me demande si ça existe…

- Quoi donc ?

- Les Mirages femelles…


(1) Voir ici

Citation du 18 janvier 2010

Entreprises : Embaucher un jeune de moins de 26 ans, ça vaut de l'or !

Portail de Addeco, emploi intérimaire (Better work – Better life)

Voyez comment des petits jobs, comme la distribution de Post-it (illustration ci-contre) peuvent aider les étudiants à gagner honnêtement leur vie, tout en rendant des service indéniables aux entreprise. (1)

Le travail des étudiants est un bénéfice, et pas seulement pour eux. Addeco vous le révèle : il vaut de l’or pour l’entreprise.

Il se trouve que l’aide aux embauches paraît ciblée sur l’âge des candidats (2). Qui donc en bénéficie ? Si on laisse de côte les handicapés, ce sont essentiellement les jeunes et les seniors. Bref, tous ceux dont l’entreprise ne veut pas.

Est-ce justifié ? Si on prend l’image ci-contre, on remarquera que la distribution de Post-il ne saurait être assumée de la même façon par un senior. Autrement dit, les jeunes valent de l’or non seulement parce qu’il y a des aides à l’embauche, mais aussi parce qu’ils ont des qualités que personne d’autre n’aura.

Car, mise à part la prestance physique, la jeunesse a la foi dans l’avenir et donc aussi dans l’avenir de leur entreprise ; ce dont les vieux ne sont pas toujours aussi persuadés. Mais surtout, la jeunesse a la qualité de ses défauts : n’ayant pas d’expérience, elle est capable d’inventer là où d’autres se contenteraient de fouiller dans leur musette pour en sortir une réponse éculée.

Bachelard disait : ce qui est rationnel, c’est ce qu’on a appris avant 40 ans. Ça montre qu’on pourrait étendre la prime à l’embauche au-delà de 26 ans.



(1) L’image ci-dessus provient du site ricaner.com (Si le cœur vous en dit, consultez ici)

(2) Voir le discours de Notre-Président à Jouy-le-Moutier. Un aveu : sans ce discours, je n’aurais même pas su que Jouy-le-Moutier existait…

Citation du 17 janvier 2010

La vieille habilleuse (...) s'appelait Mme Charlemagne. Elle portait avec humilité ce patronyme extravagant
Duhamel, Suzanne
Je connais une arme plus terrible et plus meurtrière que la calomnie, c'est la vérité.
J. Crétineau-Joly – Ecrivain français (1803-1874)
Mon commentaire ne concernera que les patronymes extravagants, comme la madame Charlemagne dont parle Duhamel.
On aura compris que la seconde citation ne m’intéresse que pour le nom de l’auteur : monsieur Crétineau-Joly. (1)
J’imagine qu’un jour un monsieur Crétineau a épousé une madame Joly (ou le contraire, ça revient au même). Ils ont décidé comme on le fait maintenant couramment en France d’unir leurs patronymes et de le léguer à leurs enfants. Et ce nonobstant le ridicule dont cette union était l’origine.
Ils ont de ce fait négligé cette réalité de l’attachement intime qui nous unit à notre nom. Attachement qui rend insupportable non seulement les rires ou les jeux de mots sur notre nom, mais encore les erreurs de prononciations et les fautes d’orthographe.
Notre nom exprime quelque chose de nous, au point que certains vont justement en changer pour échapper à ce que celui-ci dit d’eux – non seulement pour masquer une origine ethnique, mais encore pour refuser de porter le nom du père (comme Picasso) (2).
On peut au contraire le revendiquer comme un blason sur le quel s’inscrit notre qualité, notre noblesse, notre caractère, issus de la lignée à la quelle ce patronyme nous rattache.
L’identité est d’abord ce qui est inscrit sur la carte du même nom, et ce n’est pas un hasard dû à nos institutions. (3) Il en résulte que les lois sur l’attribution du patronyme – et du « matronyme » – aux enfants est une loi qui porte sur nos mentalités beaucoup plus qu’on ne le croirait.

(1) Sur la vérité comme arme fatale, voir le label vérité (ici)
(2) Changement parfois imposé par la commodité, comme Claude Lévi-Strauss qui, durant son exil américain dans les années 40, avait choisi pour ne plus être importuné par des questions lassantes de s’appeler Claude L. Strauss.
(3) Pour une discussion sur l’identité, voir ici

Thursday, January 14, 2010

Citation du 16 janvier 2010

En France, on fait sa première communion pour en finir avec la religion ; on prend son baccalauréat pour en finir avec les études, et on se marie pour en finir avec l'amour... et on fait son service pour en finir avec le devoir militaire.

Jean Jaurès – L'armée nouvelle

Je dédie cette formule de Jaurès aux amoureux des belles citations, de celles dont on aime se souvenir et répéter l’occasion venue.

Reste que bien sûr, il faudrait la moderniser un peu : le bac n’est plus suffisant pour sortir des études, et le service militaire n’est plus d’actualité… mais ça pourrait revenir !

Si on y réfléchit, pourtant, ce que dit Jaurès est pour le moins insolite : il est des perversions étranges qui nous permettent de transformer les portes d’entrée en portes de sorties.

- La communion, au lieu d’être l’initiation à la ferveur envers Dieu, devient le moyen de ne plus y penser, même pas au cours de catéchisme.

- Le bac : en tenant compte des réserves faites ci-dessus, le bac aurait dû être l’accès à l’autosuffisance dans les études. Le bachelier devait être celui qui était capable d’étudier tout seul (permettez-moi un petit instant d’orgueil : c’est pour cela qu’on lui faisait faire de la philosophie en terminale).

Au lieu de cela, le bachelier de Jaurès n’a qu’une idée : en finir une bonne fois avec tous ces bouquins sur les quels il s’endort.

- On se marie pour en finir avec l'amour : oui, finies les roucoulades sous le balcon de la Dulcinée, finis les regards énamourés pour la séduire, les serments au clair de lune…

Du temps de Jaurès, le mariage, c’est le temps pour le bourgeois d’aller au Lupanar, et pour l’ouvrier de rentrer ivre le samedi soir.

- Et le service militaire, moyen d’en finir avec devoir militaire.

La comparaison laisse rêveur : Jaurès voudrait semble-t-il que ce devoir ne cesse pas, pas plus que la pratique et la ferveur religieuse, pas plus que l’amour, pas plus que l’étude.

Un devoir militaire, c’est participer activement à une l’armée de conscription, ou à une milice populaire, ou à la Garde nationale – que sais-je encore ?

… Après tout, oui, c’est quand même cela qui est vraiment dépassé dans la citation de Jaurès : et pas seulement parce que le service militaire a été supprimé. Ce qui est tout à fait sorti de nos mentalités, c’est l’idée que nous pourrions avoir un devoir militaire, qu’entre l’armée et le citoyen il y aurait une continuité, une connivence, une communauté de nature.

Faire partie d’une armée de citoyens ça devrait être ça le devoir militaire.

Je ne connais pour ma part qu’une armée au monde qui réponde à cette conception : c’est Tsahal, l’armée d’Israël.

Du moins, cette armée qui existait avant… avant l’opération plomb durci.

Citation du 15 janvier 2010

Posséder c’est se faire posséder.


Miss.Tic

Louer c’est rester libre.

Miss.Tic – Publicité Ucar.

Certains d’entre vous se sont peut-être dit en voyant les camionnettes de location siglée du slogan illustré par Miss.Tic qu’elle devait avoir des ennuis avec son percepteur, et que trop honnête pour ouvrir un compte secret en Suisse, elle avait opté pour une solution compatible avec se conscience de citoyenne et qui aurait en plus l’avantage de renflouer les caisses de l’Etat français.

Erreur – Totale erreur.

--> Je ne veux pas dire que la conscience citoyenne de Miss.Tic ne soit pas à la hauteur de cet engagement, mais plutôt que le message diffusé par son œuvre la prédisposait à suivre ce chemin. En dénonçant la possession, Miss.Tic a dénoncé la propriété privée – ce qui, il faut le dire est raccord avec une tendance profonde de notre civilisation.

Car la civilisation du Net – si on me permet cette expression – à pour originalité de s’être construite sur la gratuité, sur le partage et le don. Toutes ces vertus qu’on croyait définitivement enterrées par le matérialisme moderne sont ressorties et on fait florès (1).

On pense que le Net a rendu possible le vol : les droits d’auteurs jamais payés, les musiques illégalement copiées, etc… Moi, je crois que c’est l’indifférence à la propriété qui se manifeste ainsi. Qu’avons-nous besoin de posséder ? Il suffit d’utiliser pour jouir d’un produit de la culture. Quand j’écoute une musique sur le Net, je n’ai pas besoin de la posséder, sauf si c’est pour la balader sur mon MP3.

On l’aura compris : je suis un adepte du streaming, et qu’importe s’il faut payer pour cela ? Car même si je loue, je reste libre…


(1) Et encore je ne parle pas de l’« amitié » cultivée par Facebook.