Thursday, May 30, 2013

Citation du 31 mai 2013


Ce n'est pas la mondialisation qui dissout les nations, mais l'autodissolution des nations qui produit la mondialisation.
Emmanuel Todd
Pire qu'un pouvoir occulte, nous découvrons avec la mondialisation une pure absence de pouvoir.
Luc Ferry

En 1948, Georges Orwell publiait un livre dont le retentissement est parvenu jusqu’à nous : il s’agissait de 1984 (titre obtenu par la permutation des deux derniers chiffres de la date d’écriture du livre). On y voyait le monde divisé en deux blocs, chacun en guerre contre l’autre, le bloc de l’ouest étant dominé par un dictateur totalitaire : Big Brother.
Sous nos yeux cette prophétie se réalise d’étrange façon :
- Non, le monde n’est plus divisé en deux blocs ; oui, il est devenu totalitaire en ce sens que le citoyen est privé de son pouvoir politique.
-  Oui, les peuples du monde sont dominés par une puissance qui leur échappe. Non cette puissance ne s’est établie ni par un scrutin, ni par la ruse, ni par le force des armes.
- Oui, cette domination sonne le glas de la politique : bien qu’elle ne doive rien à la force armée, la mondialisation – puisque c’est d’elle que nous parlons – résulte de la finance et de l’économie, pouvoir diffus, tentaculaire, et qui plus est, pouvoir dont les victimes ne peuvent que souhaiter le triomphe.
Bizarre quand même…
Oui, mais pas tant que ça.
Marx l’a dit et peut-être d’autres avant lui. Le pouvoir réel peut très bien être dissimulé derrière le pouvoir politique, pouvoir fantoche, qui n’est là que comme n’importe quelle idéologie, pour servir de paravent au pouvoir réel.
Il y a très longtemps, les Rois de France pouvaient imposer aux riches banquiers, marchands et manufacturiers de leur donner leur argent sans espoir de le récupérer un jour. On appelait ça : des emprunts obligatoires.
Mais aujourd’hui, une fois dissipées les illusions de la gouvernance politique de l’économie, une fois démasquée l’illusion du pouvoir d’user de son droit régalien de battre monnaie comme bon lui semble, reste la vérité. Dans la dérégulation de la finance, se révèle un extraordinaire pouvoir, qui, comme le vent et l’incendie de forêt dévaste tout, sans autre organisation que celle d’une loi extrêmement simple : le profit.
Mondialisation, disent en cœur Emmanuel Todd  et Jean-Luc Ferry. Oui, mais : mondialisation de quoi ?
De la production de tee-shirt ? De la pollution au CO2 ? Des capitaux itinérants ?


Citation du 30 mai 2013


Le monde entier est en train de devenir une seule population, et cet aspect de la globalisation ne peut être que bénéfique sur le plan génétique.
Luigi Luca Cavalli-Sforza – Evolution biologique, évolution culturelle (2005) chap. Gènes, populations, phénotypes et environnement.   

A l’heure où la France vient de rayer le mot « race » du texte de la Constitution de la 5ème République (1), il est intéressant de voir comment les anthropologues se sont intéressés à la génétique des populations (population, mot employé systématiquement en lieu et place de la race).
1 – On observe en effet une répartition géographique des caractéristiques de certains gènes selon une carte politique de l’Europe (on lira les détails dans cet article très savant illustrant ce point (2)). Bien sûr ce fait n’invalide pas la détermination politique à exclure le terme de race, qui a une signification politique et non scientifique. Par contre, il montre que le concept de population a aussi une dimension génétique.
2 – Il en résulte que, comme le dit notre auteur du jour, ce fait est à corréler avec le brassage des peuples tel qu’il résulte des échanges entre régions permis par les nouveaux modes de transports et nécessité par la concentration économique (qui ne coïncide pas forcément avec les lieux de concentration de population humaine).
3 – De ce fait, le métissage des populations de l’espèce humaine doit se développer, avec une conséquence positive (selon Luca Cavalli-Sforza), qui serait de la renforcer, un peu comme on protège par hybridation certaines plantes des maladies.
4 – Oui, mais qu’arriverait-il à terme ? J’imagine… Un monde où tous les êtres humains auraient le même aspect physique, la même couleur de peau, les mêmes cheveux, la même voix, la même odeur…
Je ne sais pas ce qu’il en est pour vous, mais moi, ça ne me fait pas envie…

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(1) L'article 1er de la Constitution, stipule: "La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée".
(2) On lit par exemple :  « De plus, nous détectons une barrière génétique significative suivant un axe nord-est / sud-ouest qui longe approximativement les Alpes et coupe à travers les Pyrénées, séparant les populations du pourtour méditerranéen de celle d’Europe du nord-ouest » –Source : De l’Europe à l’Inde: structure génétique et diversité des populations de part et d’autre de leurs frontières géographiques et culturelles (Colloque du groupement des anthropologistes de langue française) Voir le texte ici.

Tuesday, May 28, 2013

Citation du 29 mai 2013


Organiser d'urgence les jeux olympiques des dopés, toutes drogues confondues étant admises, du moment que les records tombent. Succès garanti.
Roland Topor

Succès garanti : eh bien, oui – si l’on organisait, à côté des Jeux Paralympiques, des Jeux « doppingless » et à côté encore des Jeux pour sportifs défoncés ; et à supposer que les records tombent comme pluie en mai grâce à ces derniers, je suis certain que le pronostic de Topor serait vérifié.
J’en veux pour preuve le public qui se masse sur le trajet du Tour de France, dans la montée des cols en particulier, là où on peut faire la différence entre le cycliste clean et celui qui s’est soigné – lequel se reconnait à ce qu’il fonce dans les montées à 15% comme s’il traversait les Landes.
- Oui, on sait bien qu’il est chargé comme une mule, mais on applaudit quand même et on crie : Vas-y Armstrong !
Les gens se moquent de la morale, sauf dans une seule circonstance : quand le fautif a été pris la main dans le pot de confiture, et qu’on l’a confondu comme tricheur. Là on peut crier sa colère et son dégout. Ouh ! Honte à Armstrong-le-Tricheur ! Après le plaisir de l’exploit, on ne va pas se priver du plaisir du lynchage.
Mais bon, ce ne sont que des exploits sportifs et sauf à dire que la santé de nos enfants qui sont dans des clubs sportifs en dépend, le dopage est quand même une faute bien légère.
Quoique… Généralisons hardiment : et si ce désintérêt pour le respect des valeurs morales était une généralité et non une exception réservée aux sportifs ? Si le cas des hommes politiques devait s’ajouter à celui des tricheurs  sportifs ? Et si les élections avec trucage des listes, plus le financement des campagnes, et puis pour aller avec, la corruption dans la passation de marchés publics etc., - bref, si tout ça laissait des traces vraiment indélébiles, on perdrait d’un coup tout un personnel politique pourtant bien apprécié… Peut-on se le permettre ? Oublions donc toutes ces casseroles : il n’y a quand même pas mort d’homme ! (1)
Mais pourquoi s’en offusquer ? Nous sommes dans une civilisation de la performance. Tous les moyens sont bons dès lors qu’ils réussissent.
Ça porte un nom d’ailleurs : ça s’appelle le pragmatisme.
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(1) Rappelons que tel était le jugement de Jack Lang à propos de l’affaire DSK (vidéo ici)

Citation du 28 mai 2013


Un terroriste n'est pas seulement quelqu'un avec une arme ou avec une bombe, c'est quelqu'un dont les idées sont contraires à la civilisation occidentale et catholique.
Jorge Videla

On ne peut se réjouir de la mort de quiconque, mais il arrive que celle d’un personnage politique ne nous attriste pas vraiment. Telle a été la mort de Margaret Thatcher (1) ; telle est la mort de Jorge Videla, la dictateur argentin qui, il y a seulement quelques semaines, persistait à dire qu’il n’avait fait que son devoir en supprimant les opposants politiques, auxquels il assimilait non seulement les partis politiques de gauche mais aussi tout ce qui était capable de réfléchir un tant soit peu en Argentine.
Le délit d’opinion est banni de notre code pénal, mais il se peut que certaines idées ne soient pas des opinions : telles sont les proclamations antisémites ou racistes. Videla englobait dans ce cas toutes les idées contraires à la civilisation occidentale et catholique : on devine qu’il ne s’agissait pas seulement de contrer le marxisme, mais aussi de conforter le pouvoir de l’Eglise. On comprend du coup le froncement de sourcils qui a salué la désignation de Jorge Mario Bergoglio comme successeur de Benoit XVI.
Je passe… Reste à dire que selon Videla les idées sont aussi dangereuses que des bombes. Voilà qui en dit long sur la fragilité d’un régime incapable de répondre à des idées par des idées. Inutile d’aller chercher Pol Pot et son horrible machine à broyer tout ce qui dépassait le niveau culturel d’un paysan illettré : l’Argentine de Videla  a fait de même au nom de la civilisation occidentale et catholique : notre civilisation.
Occasion de rappeler Paul Valéry et sa formule tristement célèbre : nous autres civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles. On sortait de la Grande guerre, on se préparait sans le savoir encore à déclencher la seconde : il ne s’agissait pas seulement pour Valéry de dire que notre civilisation comme les autres peut s’éteindre, mais qu’en plus elle peut aussi contribuer à sa propre déchéance.
« Tant d’horreurs n’auraient pas été possibles sans tant de vertus. Il a fallu, sans doute, beaucoup de science pour tuer tant d’hommes, dissiper tant de biens, anéantir tant de villes en si peu de temps; mais il a fallu non moins de qualités morales. » Paul Valéry – La crise de l’esprit (Première lettre) – 1919 (Posté ici)
…il a fallu non moins de qualités morales : méditons cela.

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(1) Ding Dong / The witch is dead (bande originale du Magicien d’Oz – vidéo ici) a été brièvement en tête des ventes au Box-office musical de Londres : les ardents ennemis de la Dame de fer s’arrachaient cette chanson qu’ils considéraient comme descriptive de cette annonce.

Monday, May 27, 2013

Citation du 27 mai 2013


ÉPOQUE (la nôtre) : Tonner contre elle. Se plaindre de ce qu’elle n’est pas poétique. L’appeler époque de transition, de décadence.
Gustave Flaubert Dictionnaire des idées reçues

Notre beau pays est entré en récession. De là à la décadence il n’y a qu’un pas que nous craignons de franchir.
Soucieuse de rehausser le morale de ses compatriotes, La Citation du jour va s’efforcer de montrer qu’il n’est peut-être pas si redoutable que cela d’entrer en décadence.

Décadence III
Après les élans tragico-poétiques d’hier, revenons sur terre.
La décadence dit-on est la fin d’une époque.
- Décadence réelle, quand tout ce qu’une époque avait apporté de civilisation et de raffinement succombe aux ténèbres des invasions barbares.
- Mais il se pourrait qu’elle ne soit qu’un effet d’optique quand, le grand âge venu, notre propre décrépitude semble devenir contagieuse et que nous voyons – ou croyons voir – notre vieux monde tomber en poussière en même temps que nous.
- De toute façon, elle n’est qu’une illusion quand elle n’est simplement qu’une transition entre deux époques.
L’histoire peut en effet apparaitre comme une succession d’époques, chacune comportant 3 phases : le développement ; la maturité ; la décadence. Ce qui veut dire qu’après la décadence apparait une nouvelle époque. Le 20ème siècle apparait sur les ruines du vieux 19ème ; il a fallu certes la Grande Guerre pour accoucher l’histoire de cette nouvelle période (1), mais enfin, le nouveau siècle est arrivé.
Si donc la décadence de notre pays n’est pas tragique, c’est qu’elle n’est que le prélude à une nouvelle étape, où notre pays sera différent, jouant un rôle nouveau etc.
Au lieu de regarder les choses se faire, tâchons d’y contribuer puisque nous ne pouvons les empêcher. Le seul problème, c’est que nous ne savons peut-être pas très bien vers quoi nous allons.
Et pourquoi ne le savons-nous pas ? Parce que nous avons renoncé à faire la Révolution nous-mêmes.

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(1) Voir ce texte d’Engels : La violence joue encore dans l'histoire un autre rôle, un rôle révolutionnaire; que selon les paroles de Marx, elle soit l'accoucheuse de toute vieille société qui en porte une nouvelle dans ses flans; qu'elle soit l'instrument grâce auquel le mouvement social l'emporte et met en pièces des formes politiques figées et mortes...