Monday, November 30, 2009

Citation du 1er décembre 2009

C’est par l’Etat (…) que le gouvernement est autorisé à contraindre les riches à fournir les moyens de se conserver à ceux qui ne le peuvent point. (…) cela ne saurait se faire que de manière obligatoire par des charges publiques et non pas simplement grâce à des contributions volontaires.

Kant – Métaphysique des mœurs, première partie : Doctrine du droit. II, le droit public, première section, remarque, Vrin, pp.208 – 209.

… [la compassion charitable] a une fausse opinion lorsqu’elle veut s’assurer de ce que cette aide de la misère est seulement prise en charge par la particularité du cœur et (…) lorsqu’elle se sent lésée et affaiblie par les ordres et les dispositions obligatoires.

Hegel, Principes de la philosophie du droit, § 242 Rem – Trad Veilliard-Baron (G.F.) p. 288-289

La charité mon bon seigneur… Voici le mois de décembre, le mois de la charité, celui où les quêtes de toute sorte fleurissent, du Téléthon au Sidaction, de la faim dans le monde à la collecte des Restos du Cœur.

Même si on laisse de côté le fait que la charité ne signifie pour la plupart d’entre nous plus rien (et surtout pas la compassion évoquée par Hegel), qu’en voyant le souffrance des autres on ne fait que se voir soi-même dans la misère, et donc que c’est soi-même qu’on secourt – tout de même on voit bien que la question reste de savoir si l’Etat ne devrait pas assumer à lui seul la charge de soulager la misère.

C’est ce que pensait Kant : un de ses amis raconte qu’il chassait à coup de canne le mendiant venu le solliciter.

Quant à Hegel, on voit que pour lui les dispositions du cœur n’ont aucune valeur pour secourir les pauvres, et que seule la détermination rationnelle (1) de l’Etat doit s’en charger. La charité doit se limiter à allumer des cierges et à prier pour les pauvres. Mais qu’elle ne prétende pas remplacer par l’aumône la distribution par la puissance publique des ressources nécessaires.

De nos jours, la même attitude se retrouve chez ceux qui réclament que l’Etat prenne en charge les pauvres et qu’il concentre les ressources de l’impôt sur les secours à leur apporter plutôt que sur les sous-marins nucléaires.

Mais il faut bien remarquer que de nos jours pas un pays riche – et surtout pas le plus riche de tous – n’a réussi à éradiquer la misère. On croyait encore récemment qu’il valait mieux être pauvre aux USA qu’au Bengladesh. On en est moins sûr maintenant que la Crise est passée par là.

Là où l’Etat échoue il ne reste plus que l’homme – l’individu – pour reprendre le flambeau.


(1) C'est-à-dire que l’Etat peut organiser les secours de façon rationnelle, et non en fonction de l’émotion soulevée par le spectacle d’une catastrophe comme par exemple avec le tsunami.

Sunday, November 29, 2009

Citation du 30 novembre 2009


Apocalypse 3

Il portait des culottes, des bottes de moto / Un blouson de cuit noir avec un aigle sur le dos / Sa moto qui partait comme un boulet de canon / Semait la terreur dans toutes la région.

[…]Il bondit comme un diable avec des flammes dans les yeux / Au passage à niveau, ce fut comme un éclair de feu / Contre une locomotive qui filait vers le midi / Et quand on débarrassa les débris...

L’homme à la moto, paroles françaises : Jean Dréjac – Chanté par Edith Piaf.

Si l’homme à la moto chanté par Edith Piaf a gardé son potentiel terrifiant, c’est sans doute parce que cet engin paraît être un substitut du cheval des Cavaliers de l’Apocalypse.

D’où vient cette terreur ? De l’aspect sale et repoussant de l’homme à la moto ? De son allure démoniaque, avec les flammes qui jaillissent de ses yeux ?

Pour le vérifier, voyons ce que ça donne si à sa place on avait une pin-up, du genre Bardot avec sa Harley-Davidson :


Alors c’est vrai que Bardot avec sa crinière blonde et sa moto pourrait nous faire penser à la Walkyrie – plus qu’aux cavaliers de l’Apocalypse.

Mais reconnaissons-le, la ressemblance s’arrête là. La chanson concoctée par Gainsbourg utilise la moto comme un moyen de jouer avec des allusions salaces aux l’effet des trépidations de la machine sur le désir de la blonde, qui d’ailleurs tient moins à la vie qu’à son terrible engin… On ne saurait mieux dire !

Alors doit-on dire que si, de l’Homme à la moto à la femme à la moto, la terreur a disparu, c’est qu’aussi les Cavaliers de l’Apocalypse se sont évaporés ?

Je ne le crois pas. Il me semble que ce n’est que leur représentation symbolique qui a chan

gé, voilà tout.

Au cours des temps, ils ont changé de véhicule, passant du cheval à la moto et de la moto à l’avion






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Saturday, November 28, 2009

Citation du 29 novembre 2009


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Apocalypse 2
Gerhilde – Hojotoho ! Hojotoho ! / Heiaha ! Heiaha ! / Helmwige ! Ici ! / Ici avec ton coursier !
Voix de Helmwige : Hojotoho ! Hojotoho ! / Heiaha !
Richard Wagner – La Walkyrie Acte III, scène 1
Bon, je vous fais grâce du reste des appels de ces vaillantes Walkyries. Mieux vaut écouter le prélude de l’acte III (et le début de la scène 1) avec le célébrissime thème de la chevauchée.

Que les Walkyries ces guerrières farouches parcourant leur domaine sur leurs chevaux fassent le pendant des Cavaliers de l’Apocalypse paraît une évidence si claire que Coppola l’a introduite dans son films Apocalypse now avec cette scène inoubliable de l’attaque des hélicoptères de combat au Vietnam soutenue par cette musique sensée terroriser les vietnamiens.

APOCALYPSE NOW - Scène Mythique par thierrylefranc
Alors, certes les cavalières de Wagner n’apportent plus la destruction de l’humanité comme dans l’Apocalypse, mais en elles ont gardé l’aspect farouche et quasi surnaturel, apparaissant environnées d’éclairs au moment de partir pour le Walhall retrouver Wotan.
Le cheval reste donc ici encore la marque de la force destructrice comme dans l’Apocalypse de Dürer (1), et quand Helmwige, notre Walkyrie, apparaît sur la scène, elle est à cheval avec comme trophée un guerrier mort accroché à sa selle. La Diane de l’antiquité ne chassait que les cerfs et les biches.
Voilà, c’est ça l’Apocalypse : c’est quand les femmes chassent l’homme, mais seulement pour en faire des trophées à accrocher au dessus de la cheminée…

Friday, November 27, 2009

Citation du 28 novembre 2009


Apocalypse 1

Je regardai, et voici, parut un cheval d'une couleur pâle. Celui qui le montait se nommait la mort, et le séjour des morts l'accompagnait. Le pouvoir leur fut donné sur le quart de la terre, pour faire périr les hommes par l'épée, par la famine, par la mortalité, et par les bêtes sauvages de la terre.

Apocalypse de Jean chapitre 6, verset 8

Les cavaliers de l’apocalypse : il n’y a sans doute pas, dans tout ce texte qui pourtant en regorge, d’image plus répandue et mieux connue que celle-là.


Les Cavaliers de l'Apocalypse - Gravure de Dürer

D’où vient sa puissance ? Sans doute de ce qu’elle inscrit le fantastique dans le milieu familier aux hommes à qui ce texte est destiné ; familier non seulement en ce qu’il met en scène des chevaux – et non des griffons ou des dragons – mais aussi parce qu’il évoque des fléaux réels – et non pas des colonnes de feu venant vitrifier des villes entières, comme avec l’épisode de Sodome et Gomorrhe. Le fantastique fait d’autant plus peur qu’il est à peine décalé de la réalité.

En quoi consiste donc ce décalage ? Qu’est-ce qui montre qu’on est à la fin des temps et non pas dans une scène de guerre, une dragonnade ou quelque chose de ce genre ?

La gravure de Dürer le suggère : même si on laisse de côté l’ange exterminateur qui du haut du ciel guide les cavaliers, chaque cavalier est armé pour faire périr les hommes : au premier on croit discerner celui qui amène la famine (même son cheval est étique) et peut-être aussi les épidémies ; puis on trouve celui qui porte la balance des âmes pour le jugement dernier ; et enfin l’épée et la flèche pour exterminer tous les autres.

Mais ce qui est le plus effrayant, ce sont les chevaux, qui incarnent la force de destruction écrasant les humains sous leurs sabots.

Quand c’est Dieu qui mène les opérations, pas besoin de colonnes blindées pour exterminer les hommes.

Thursday, November 26, 2009

Citation du 27 novembre 2009

C'est lui pour moi, / Moi pour lui dans la vie, / Il me l'a dit, l'a juré pour la vie.

Et dès que je l'aperçois / Alors je sens en moi / Mon coeur qui bat

Edith Piaf – La vie en rose (1)

Quels sont les adjectifs qui vous viennent à l’esprit quand vous lisez les paroles de La vie en rose ? Mièvre et Kitsch, n’est-ce pas ? Oui, mais voilà : quand on écoute la chanson, ce n’est plus tout à fait la même chose. On se sent profondément remué, un peu comme si une main invisible nous étreignait les entrailles.

D’où vient l’impact émotionnel de cette chanson ? S’agit-il seulement de la musique et de la voix ? Le texte n’y est-il donc pour rien ? Serions-nous aussi émus si Piaf la chantait dans une langue inconnue (en anglais – ça elle l’a fait – ou en japonais) ?

Je me pose sincèrement la question, parce que souvent en écoutant des chants lyriques italiens (mais c’est aussi vrai de n’importe quelle autre langue, y compris de la notre si difficile à comprendre dès lors qu’il s’agit des vocalises de la soprano), je me demande s’il faut lire en même temps le livret pour savoir de quoi on parle, ou bien s’il faut prendre le parti de l’ignorer, considérant la voix humaine comme un instrument musical. Dans un concerto pour violon, on ne se demande pas s’il faut déchiffrer la partition de cet instrument pour écouter la musique.

Mais je crois que c’est une erreur, parce que le compositeur a fait sa musique pour ce texte, qu’il ne l’a pas considéré seulement comme des sonorités déposées le long de la partition, mais bien comme du sens qui influait sur le déroulement de la mélodie.

Alors, voilà : malgré le caractère rose-bonbon-cucul de La vie en rose, c’est quand même aussi ces paroles là qui nous émeuvent.

Désolé…


(1) À lire ici ; à écouter ici par Edith Piaf – vous avez le droit de préférer la version de Louis Armstrong

Wednesday, November 25, 2009

Citation du 26 novembre 2009


- Les vieillards ont besoin de toucher quelquefois, de leurs lèvres, le front d'une femme ou la joue d'un enfant, pour croire encore à la fraîcheur de la vie et éloigner un moment les menaces de la mort.
Maurice Maeterlinck – Pelléas et Mélisande



- Photo : Couple enlacé, par Marrie Bot (Publié dans Télérama)

Les vieillards ont besoin de toucher le front d’une femme ou la joue d’un enfant… et quand ils n’en trouvent pas, ils font ça entre vieux ainsi que le montre cette photo publiée par Télérama.
Je sais que cette photo met mal à l’aise beaucoup de gens. Est-ce parce qu’elle suggère une sexualité des vieillards ? Ou bien est-ce à cause de ce déballage de chair croulante, de muscles flapis et de peau avachie?
Et puis s’il est vrai que les vieux cherchent une sorte de régénération au contact de la chair jeune et ferme, que peuvent-ils espérer de ces écroulements séniles ?
Toutefois, on comprend aussi que l’émotion suscitée par cette image repose sur une ambivalence : c’est qu’il y a de la tendresse dans l’enlacement de ces corps, comme si sous leur peau se trouvait encore l’âme de l’adolescent et l’émoi de l’amour naissant.
Avec l’age, beaucoup de choses changent, se racornissent, disparaissent, voire même moisissent (1). Par contre il est remarquable que les sentiments, eux ne changent pratiquement pas au cours de l’existence.


(1) Voir ce Post sur la pensée moisie.

Tuesday, November 24, 2009

Citation du 25 novembre 2009

Émanciper la femme, c'est excellent ; mais il faudrait avant tout lui enseigner l'usage de la liberté.

Emile Zola – Chroniques

avant de libérer les femmes, il faut leur apprendre à user correctement de leur liberté. Voilà que Zola se met à philosopher ? Parce qu’on on a envie de mettre la réponse de Kant en face de cette l’affirmation. Car c’est Kant qui affirmait : on ne peut mûrir pour la liberté qu’à la condition préalable d’être placé dans cette liberté (1).

Passons… Je ne voudrais pour aujourd’hui que retenir cette observation : un penseur comme Zola illustre fort bien la méfiance de son siècle (et un peu du suivant) à l’égard des femmes, et cela jusque dans les couches les plus progressistes de la société. Car ce n’est pas – ou pas seulement – dans les milieux les plus religieux ou bourgeois qu’on refuse aux femmes leur émancipation par rapport à l’autorité des hommes.

Si nous laissons de côté les balivernes moyenâgeuses sur l’incapacité des femmes à dominer leurs instincts et leur puérilité, il reste tout de même qu’on a craint fort longtemps qu’elles ne sachent pas gérer leur fortune et qu’elles soient incapables de comprendre l’action politique – entendez qu’on ne les croyait pas capables d’user correctement du droit de vote.

En fait les socialistes eux-mêmes se sont opposés à l’instauration d’un suffrage universel, donnant le droit de vote aux femmes. C’est qu’ils supposaient qu’elles ne sauraient faire usage de leur liberté pour voter selon leurs intérêts (c'est-à-dire ceux de leur classe) et qu’elles voteraient selon les ordres du curé. En réalité on ne voulait pas émanciper les femmes ; on voulait seulement qu’elles changent de maître.

Aujourd’hui que les femmes réclament non plus leur émancipation, mais l’égalité avec les hommes, il est bon de prendre conscience de la nature des résistances qu’il leur a fallu vaincre (avec les suffragettes par exemple). Histoire de vérifier qu’il n’en reste vraiment plus aujourd’hui.


(1) C’est votre jour de chance : j’ai décidé de vous offrir le texte entier :

« J'avoue que je ne puis me faire à ces façons de parler dont se servent même des gens fort sages : "Tel peuple" (en train d'élaborer sa liberté et ses lois) "n'est pas mûr pour la liberté" ; "les serfs de tel grand seigneur ne sont pas encore mûrs pour la liberté"; "les hommes, d'une manière générale, ne sont pas encore mûrs pour la liberté de croyance". Mais dans cette hypothèse, la liberté n'arrivera jamais, car on ne peut mûrir pour la liberté qu'à la condition préalable d'être placé dans cette liberté ; il faut être libre afin de pouvoir user comme il convient de ses facultés dans la liberté. Il est certain que les premiers essais seront grossiers et qu'ordinairement même ils se relieront à un état de choses plus pénible et plus dangereux que celui où l'on vit sous les ordres d'autrui, mais aussi sous sa prévoyance ; seulement, on ne peut mûrir pour la raison que par des essais personnels. » KantLa religion dans les limites de la simple raison

Monday, November 23, 2009

Citation du 24 novembre 2009

Des jeunes gens antisémites, ça existe donc, cela ? Il y a donc des cerveaux neufs, des âmes neuves, que cet imbécile poison a déjà déséquilibrés ? Quelle tristesse, quelle inquiétude, pour le vingtième siècle qui va s'ouvrir !

Emile Zola – Lettre à la jeunesse

Quelle tristesse, quelle inquiétude, pour le vingtième siècle qui va s'ouvrir ! Hélas…

Mettez vingt et unième siècle et ça marchera aussi bien…

S’agit-il encore d’une de nos leçons de pessimisme ? (1)

Parce que l’idée est bien que l’humanité ne progresse pas dans ses haines et son désir d’exclure. Nulle « humanité » dans l’humanité ; nulle pitié, nulle charité, rien que de la haine toujours et partout – toujours la même depuis le meurtre fratricide de Caïn…

Toujours pareil… en pire, parce que si la haine est la même, les moyens de l’assouvir eux ne cessent de progresser. On croyait avoir fait le plein avec les armes de destructions massives. Mais non : parce que, pour ce qui est de la destruction ciblée, on en cesse de progresser. Je ne pense pas aux frappes chirurgicales ; je pense aux moyens de détecter, de cataloguer, de retrouver ceux qu’on s’acharne à détruire. Hannah Arendt souligne que sans le Consistoire juif, les nazis n’auraient pas pu si facilement localiser les millions de juifs qu’ils ont envoyé à la mort. Mais voyez aujourd’hui, avec tous les fichiers informatisés, qui fichent les hommes par des quantités de paramètre – y compris des paramètres ethniques, on sait que ça a été sur le point de se faire chez nous (voir ici) – comme la chose serait facile…

On me parle de sans-papiers qui sont regroupés dans un centre de rétention, tous avec le bout des doigts brûlés afin de détruire leurs empreintes enregistrées dans les fichiers et qui permettent de les identifier. Attendez qu’on les identifie, comme on sait le faire aussi, par l’image de leur rétine.

Alors les jeunes, qu’est-ce que vous en dites ? Expliquez au vieux Zola que la prochaine génération aura mieux à faire qu’à occire des peuples entiers.

Faites l’amour, pas des massacres !


(1) Voir les leçons de pessimismes du 25, 26 et 27 octobre 2008

Sunday, November 22, 2009

Citation du 23 novembre 2009

Le chalenge du jour : assumer la citation de mauvais goût.2

Les non dupes errent.

Jacques Lacan

Les non dupes errent…Les noms du père… Et puis quoi encore ? Est-ce que Kant a abordé la métaphysique en posant la question : Dans quel état j’erre ?

Lamentable !

J’en connais qui vont ricaner : Comment, c’est vous – oui, vous, l’admirateur de Miss.Tic – qui vous scandalisez d’un jeu de mot du Maître de la pensée psychanalytique française ? C’est l’hôpital qui se fout de la charité…

Oui, c’est vrai. Mais instinctivement j’en reste à l’opposition entre la philosophie et la poésie. Que le poète – et l’artiste – se contente d’ouvrir l’imagination par ses suggestions, dont feraient partie les jeux de mots, soit. Mais que le philosophe lance la pensée de ses lecteurs sans faire les frais de son développement, là je ne suis plus d’accord.

Toutefois, n’oublions pas que l’idée qui sous-tend ces calembours philosophiques – dont la présence est attestée depuis la plus haute antiquité, je veux dire depuis Platon (1), c’est qu’ils apportent un éclairage nouveau et surtout qu’on n’obtiendrait pas si on ne les avait pas. Alors, certes, la philosophie n’est pas tout à fait comme la religion qui ne saurait se passer de symboles ; elle pourrait en effet se passer de calembours. Mais reconnaissons que ceux-ci sont très souvent là, un peu à l’instar des métaphores, pour faire jaillir de l’esprit l’étincelle qui illumine le chemin de la compréhension.

Reste que les jeux de mots du philosophe sont tout de même à prendre au second degré, jamais au premier : ils ne sont pas faits pour faire rire, mais pour baliser la route.

Car franchement, au premier degré, « les non dupes errent » ne valent guère mieux que « Comment vas-tu-yau de poêle »…


(1) Je pense au jeu de mot du Phédon sur sôma/sèma (voir le Post du 9 octobre 2006)

Saturday, November 21, 2009

Citation du 22 novembre 2009

Le chalenge du jour : assumer la citation de mauvais goût. 1

Le ciel et le cul, les deux grands leviers.

Emile Zola

Comment Zola a-t-il pu écrire une chose pareille ? Sans doute dans une lettre, en privé.

Mais l’idée s’en retrouve très souvent dans son œuvre, et – il faut le dire – très souvent aussi dans la pensée politique de son époque.

Les hommes sont soumis à deux contraintes : la religion et le sexe. Ce sont les deux forces – des leviers dit l’auteur – qui permettent de les manipuler.

- Premier levier : le ciel, ou si on préfère : la religion. Ou encore : la peur de la mort. Car si on affirme que la religion gouverne le cerveau humain, même celui des rois, c’est bien parce que le désir de ne pas mourir tout à fait – et une fois mort de ne pas subir les châtiments dus à ses crimes – obsède l’homme à l’approche de l’heure fatale.

Le clergé n’a pas manqué de peser sur ce levier, en faisant valoir que seule une vie entière de soumission à la volonté de Dieu, divulguée par les prêtres, permettrait d’entrer au paradis.

Le pouvoir politique qui s’émancipe de la religion doit aussi remplacer ce levier par un autre : soit une religion d’Etat, soit une stimulation des jouissances terrestres, comme les richesses ou – pour le commun des mortels – la consommation.

Ou le cul ?

- Second levier : le cul.

Non, ne rêvez pas : le cul n’est pas un moyen politique de gouverner les hommes. Pas encore du moins (1). Reste que c’est un bon moyen d’obtenir les bonnes grâces d’un homme, si possible puisant, parce qu’alors les avantages obtenus sont plus importants.

Depuis la call-girl de luxe envoyée au ministre par les solliciteurs, jusqu’à l’espionne qui recueille les confidences sur l’oreiller, les cas de corruption par l’attrait sexuel sont innombrables.

On a connu il y a de cela plusieurs années un scandale à propos d’Omar Bongo, à qui un négociateur du gouvernement français offrait des costumes de luxe (sa passion) avec les tops modèles qui lui apportaient jusque dans sa chambre.

Tellement courant qu’on avait même un nom pour désigner cette pratique : On appelait ça « des costumes garnis ».


(1) J’imagine dans longtemps, fort longtemps, un Président déclarant dans un meeting électoral : « Mes chers concitoyens, si vous voulez baiser plus, il faudra travailler plus ! »

Friday, November 20, 2009

Citation du 21 novembre 2009

Il faut d'abord savoir ce que l'on veut, il faut ensuite avoir le courage de le dire, il faut ensuite l'énergie de le faire.

Georges Clemenceau

Savoir, et puis avoir le courage de dire, et enfin mobiliser son énergie pour faire : trois préalables à l’action, trois conditions sans les quelles elle ne pourrait pas exister. Et on dit que l’homme d’action se reconnaît à ce qu’il agit sans délai…

Bon, passons. Reste quand même quelque chose qui étonne : qu’il faille savoir ce qu’on veut faire pour agir, oui, évidemment ; qu’il faille une certaine énergie pour le faire, ça peut arriver. Mais pourquoi diable faudrait-il en plus le dire ?

Imaginons : vous avez coincé votre ennemi intime dans un fond de couloir obscur sans témoin.

1 - Vous savez au moins une chose : votre souhait le plus cher, c’est de le supprimer.

2 - Alors vous lui dites : Je vais te crever, salaud !

3 - Et enfin vous sortez votre couteau de votre chaussette, et vous lui enfoncez dans le ventre.

Est-ce que vous croyez que c’est à ce genre d’exemple que songeait Clemenceau ? Moi je ne le crois pas.

Je crois en fait que sa phrase ne prend son sens que dans le cas de l’action politique. Oui, c’est l’homme d’Etat qui doit, avant d’agir, savoir clairement où il veut aller et avoir l’énergie de déployer son action. Mais surtout il doit dire à ses électeurs ce qu’il veut faire et comment il va l’obtenir, et ça peut sans doute demander du courage. Car s’il a été élu, ce n’est pas pour agir selon son bon vouloir, sans ça la démocratie ne serait qu’un despotisme électif. Non, les électeurs l’ont élu sur un certain programme, et ils doivent s’assurer que leurs dirigeants agissent conformément à celui-ci ; qu’ils agissent comme eux-mêmes agiraient s’ils étaient à sa place. Et donc le chef politique doit leur expliquer le rapport qu’il y a entre les mesures qu’il compte prendre, surtout si elles sont impopulaires, et ce pour quoi il a été élu.

- Mes chers concitoyens, vous m’avez élu pour préserver la Grandeur de la France. Voilà pour quoi je vais augmenter vos impôts…

Le dévoiement de la politique actuelle nous amène à nous méfier de la communication gouvernementale (« De la Com’ », dit-on avec dédain). Mais rappelons-nous que la communication est un moment essentiel de la démocratie. Sans elle, ce que nous perdons, c’est le moment du consensus.

D’ailleurs, un simple rappel : Aristote affirmait que si l’homme possède le langage, c’est parce qu’il est un animal politique (1)


(1) « Mais le langage existe en vue de manifester l'avantageux et le nuisible, et par suite aussi le juste et l'injuste » Aristote – Les politiques (livre I, ch 2, 1253a) Lire le passage ici

Thursday, November 19, 2009

Citation du 20 novembre 2009


Un mélomane est un monsieur qui, lorsqu'il entend Ornella Mutti chanter dans sa salle de bains, s'approche du trou de la serrure... pour y coller l'oreille.
Woody Allen
La question du jour : Faisons-nous l’expérience d’une différence entre nos plaisirs ?
Réfléchissons sur la pensée de Woody Allen :
Oublions un instant la question qui vous taraude l’esprit, j’en suis sûr : Ornella Mutti chante-t-elle bien ?
Quelle est donc la bonne question à poser ici ? Hein ?
- C’est qui Ornella Mutti ?
- Bon, mettez Monica Belluci et n’en parlons plus. Alors, cette bonne question, elle vient ? J’attends…
Quelle bande de nuls quand même…
Il n’y a pas quelque chose qui titille votre imagination dans cette citation ? Quelque chose qui suscite une interrogation, comme par exemple : vaut-il mieux écouter aux portes ou mater par le trou de la serrure ?
Mais comme toujours, une question n’est embarrassante que parce qu’elle en cache une autre. Qui serait : pouvons-nous vraiment juger nos plaisirs en comparant leur intensité ? Autrement dit, le plaisir de mélomane et celui du petit curieux est-il le même ou bien s’agit-il de deux plaisirs différents – et donc incomparables?
Admettons que ce soit le 1er cas qui soit retenu : tous les plaisirs sont identiques par nature.
--> Alors, de deux choses l’une (dans le cas qui nous préoccupe du moins) : ou bien ils sont tous érotiques ; ou bien ils sont tous esthétiques
- On pourrait dire que mater Ornella, comme écouter son chant mélodieux appartienne aux plaisirs esthétiques. Comme Hegel l’a affirmé : les plaisirs esthétiques sont ceux de la vue et de l’ouïe. Mais il n’a jamais dit que ces plaisirs fussent en plus érotiques. Bien au contraire.
- On pourrait au contraire dire, comme l’oncle Sigmund, que l’organe érogène par excellence, c’est l’œil. De lui procèdent un grand nombre de stimuli qui agissent sur la libido.
Et même, ajoutons tant qu’on y est que la théorie freudienne considère que tous les plaisirs sont issus – sous une forme plus ou moins détournée – de la même source : la libido.
Et ainsi : croquer un petit carré de chocolat noir : érotique. Déguster une tranche de foie gras poêlée : érotique. Contempler un bouquet de fleurs, ou la Vénus de Milo, ou le dernier film de J.L. Godard : érotique…
J’arrête, je n’en puis plus… A vous de révéler vos turpitudes.

Wednesday, November 18, 2009

Citation du 19 novembre 2009

Chacun de nous est une lune, avec une face cachée que personne ne voit.

Mark Twain – En suivant l'équateur

Belle image, mais encore incomplète.

1 - On peut aisément admettre que nous sommes comme la Lune, toujours vus sous le même angle, avec une partie de nous-mêmes que personne ne voit.

Mais quand on dit « personne », il faut entendre : pas même nous. Toutefois, comme cette face cachée ne peut être une partie de mon corps – mon dos par exemple que je n’aperçois pas mais que mon voisin voit fort bien, il s’agit forcément de notre intériorité, entendez : notre conscience. Il y a une source obscure de notre conscience que notre conscience elle-même ne peut appréhender, et que personne ne peut observer, sauf à dire qu’on en perçoit les effets – je veux dire : les pensées.

2 – Il faut donc ajouter que cette face obscure agit sur la face éclairée, qu’elle la forme ou la transforme (ce qui la différencie de la face éclairée de la Lune qu’on a fort bien connue avant même d’en faire le tour).

Evitons la mortification consistant à déplorer que, sous le couvert de ce qui est caché, se trouve tout ce qui nous fait honte, tout ce que nous n’oserions pas exhiber devant les autres, comme Adam qui se cache parce qu’il est nu. Non : la face cachée de notre être est simplement ce qui est au centre, ou plutôt à l’origine de notre conscience, que même la conscience, par définition consciente d’elle-même, ne peut pourtant pas appréhender. Comme la tache aveugle de la rétine est au centre de la rétine, là où se concentre un maximum de cellules assurant la vision, la conscience est une source jaillissante d’états de représentations et de pensées – source qu’il ne nous est pas donné de percevoir, encore moins de « gérer ».

Ainsi, si la conscience peut se ressaisir elle-même, se représenter à elle-même, c’est toujours telle qu’elle était dans l’instant qui précède. Il ne lui est pas donné de se saisir dans l’instant même où la pensée jaillit hors de cette source mystérieuse. Car si une telle chose était possible, plus rien d'irrémédiablement obscur ne subsisterait en nous. Nous alors pourrions nous observer, comme on observe un phénomène physique se déroulant hors de nous.

C’est ce qu’Auguste Comte résumait ainsi : on ne peut pas être à la fenêtre et se voir passer dans la rue.

Tuesday, November 17, 2009

Citation du 18 novembre 2009

Dieu est l'ami du silence. Les arbres, les fleurs et l'herbe poussent en silence. Regarde les étoiles, la lune et le soleil, comment ils se meuvent silencieusement.

Mère Teresa

Il faut croire Mère Teresa quand elle parle de Dieu : elle Le connaît.

Donc, Dieu est l’ami du silence, et la preuve en est que si vous relisez la Genèse, vous y trouverez l’origine de beaucoup de choses – mais pas celle du bruit.

Oui, Dieu a créé l’eau et la lumière ; il a créé la terre et les étoiles ; il a crée la vie – et Adam, et Eve. Mais il n’est jamais dit que ce qu’il a créé devait produire un son.

- Je profite de l’occasion pour dire combien il serait urgent de faire le catalogue de ce que Dieu n’a pas créé : il n’a pas créé le mal, ça on le sait ; mais s’il a créé – et tout juste encore – la femme, en revanche il n’a pas créé l’enfant (1). Et voilà donc maintenant une autre lacune dans la création : le bruit.

A quoi sert donc le bruit ? Sur une autre planète – la lune par exemple – le bruit n’existe pas. Est-ce que ça manque ? Les cosmonautes américains qui se sont promenés là haut n’en ont rien dit.

Les sages eux-mêmes le savaient bien, eux qui comme Lao-Tseu enseignaient sans paroles, se contentant de se montrer en exemple à leurs disciples, ou qui, comme Zarathoustra, se réfugiaient au sommet des montagnes pour échapper à la vaine et bruyante agitation du monde.

Le silence est un peu comme la solitude qui l’accompagne souvent : il est l’épreuve que nous faisons de nous-mêmes, la confrontation avec notre être, sans écran, sans rémission. Le mur du bruit – le mur du son – qui nous divertissait tombe et alors nous voici face à nous-mêmes.
Une réelle épreuve !


(1) Voir Post du 17-06-07

Occasion de rappeler que si beaucoup de choses qui existent sont l’œuvre des hommes, c’est en raison de l’efficace des causes secondes qui leur a été accordé par Dieu selon Saint Thomas.

Monday, November 16, 2009

Citation du 17 novembre 2009

Il y a plus affaire à interpréter les interprétations qu'à interpréter les choses, et plus de livres sur les livres que sur autre sujet : nous ne faisons que nous entregloser. (1)

Montaigne – Essais, livre III chap.XIII (2)

Que lisons-nous ? Et pourquoi lisons-nous ?

Montaigne répond : nous lisons pour avoir quelque chose à dire sur les livres que nous avons lus. Et parmi ceux qui ont quelque chose à dire sur les livres qu’ils ont lus, il y en a font des livres pour expliquer ça à leurs lecteurs…

D’ailleurs Montaigne reconnaît qu’il en fait autant puisque les Essais sont initialement des commentaires de citations dont fourmille son texte ; il s’en excuse en disant que ce but premier est devenu une méditation sur sa vie, et que ses lectures en font simplement partie.

On comprend que Montaigne nous suggère qu’il y a mieux à faire que de lire des commentaires et d’en faire nous-mêmes. Qu’il y a à penser de neuf, à écrire si l’on veut écrire, mais en créant quelque chose.

Et qu’en est-il des livres qui se publient aujourd’hui ?

Ils ne méritent sûrement pas le reproche fait par Montaigne aux livres de son temps : à part les ouvrages universitaires, je n’en connais pas qui « s’entreglosent ». Mais ça ne veut surtout pas dire qu’ils inventent quelque chose qui n’aurait pas été dit. Beaucoup d’auteurs se contentent de réécrire les œuvres de leurs confrères, qui eux-mêmes sont allés les piocher dans des œuvres passées et oubliées.

De nos jours on est moins occupé de faire des livres sur les livres que des livres recopiés d’autres livres.

Les auteurs de best-sellers ? Tous des nègres !


(1) Une glose est un bref commentaire destiné à éclairer un texte.

(2) À lire ici. Le passage cité suit la citation de La Boétie, donnée en milieu de page (2ème citation après celle de Manilius donnée tout au début)

Sunday, November 15, 2009

Citation du 16 novembre 2009

Rien de plus absurde que de violenter les habitudes, sous prétexte de servir les intérêts. Le premier des intérêts, c'est d'être heureux, et les habitudes forment une partie essentielle du bonheur.

Benjamin Constant – De l'esprit de conquête et de l'usurpation

Eloge de l’habitude 2 –

Les habitudes forment une partie essentielle du bonheur.

Heureuse philosophie de la vie, qui situe le bonheur dans la routine de l’habitude…

Car si une telle vision du bonheur est fondée, alors rien n’est plus facile à atteindre que le bonheur. Inutile de chercher où le trouver – dans les lointains horizons, sur les plages à cocotiers ? Ou dans le pré ? dans quel pré ? (1)

Inutile de le chercher, parce que vous l’avez déjà : le bonheur est dans les habitudes, c’est à dire dans le retour chaque jour, chaque semaine des mêmes actes, des mêmes situations, des mêmes rencontres.

Je vous sens sceptique : comment peut-on prétendre jouir de la routine alors qu’elle est l’image la plus forte de l’ennui, porteur du désespoir d’une vie qui file vers son terme sans que rien ne la marque.

On pourrait peut-être soutenir que l’habitude permet un certain bonheur : celui de la tranquillité, du repos. Dans l’habitude, pas de stress ! Pas d’angoisse du choix. Par d’effort d’invention ni de crainte de l’échec. Tout est déjà connu, balisé, et les vieux en tirent une tranquille assurance : ils ont déjà fait mille fois les gestes de la vie quotidienne et ils savent déjà ce qui va se passer. Le bonheur est alors dans la paix de l’âme.

Encore dubitatif ? Et vous avez sans doute raison, parce qu’il ne suffit pas que la routine s’installe pour que ce soit une situation heureuse. La petite Cosette avait l’habitude d’aller puiser de l’eau glacée dans son énorme seau, et de le porter de ses doigts gourds tout le long du chemin jusqu’à la maison des Thénardier qui, comme d’habitude, lui mettraient une gifle pour avoir traîné en chemin.

Bon – Précisons alors : l’habitude accompagne le bonheur quand elle est le résultat de ce que nous avons choisi de répéter chaque jour – chaque semaine – parce que c’est le retour de ce que nous aimons. En vrac : le pastis du soir ; le bisou à la femme aimée le matin ; le moment d’écrire ce blog.

Bref : le bonheur est aussi dans l’éternel retour. Nietzsche ne disait pas autre chose. (2)


(1) Allusion au poème bien connu de Paul Fort et non au film d’Etienne Chatiliez

Voir Post du 31-01-06

(2) Voir par exemple Post du 10-05-09

Saturday, November 14, 2009

Citation du 15 novembre 2009

Tout homme tend à devenir machine. Habitude, méthode, maîtrise, enfin - cela veut dire machine.

Paul Valéry – Cahiers I

Eloge de l’habitude 1 –

Tout homme tend à devenir machine. Voilà une affirmation terrifiante, nuancée pourtant par la suite : machine, c’est-à-dire habitude, méthode, maîtrise,

A côté des robots, ces monstres inquiétants, qu’on suppose capables du pire sans états d’âmes parce qu’ils n’ont pas d’âme, voici la part machinale de l’homme.

Valéry place dans l’homme sous le titre de machine tout ce que nous faisons sans n’avoir plus à le penser, à l’organiser ni à le vouloir point par point pour l’effectuer.

- La coordination de nos jambes pour marcher, les mouvements de notre langue pour parler, ceux de notre main pour écrire.

- Mais aussi les doigts du pianiste pour jouer, et le bras du tennisman…

- Et encore le raisonnement d’induction dans la vie quotidienne, le souvenir opportun des opérations à accomplir pour réaliser notre tâche, etc.

Oui, tout cela nous l’avons voulu, nous l’avons organisé, nous l’avons appris. Et puis s’est installée l’automaticité bien faisante qui délivre notre conscience et notre intelligence – voire même notre mémoire – de ces tâches pour leur permettre de se consacrer à des tâches nouvelles.

L’humanité est pétrie et façonnée par ces habitudes, elle est un produit de l’action machinale. Comment expliquer autrement le rôle de la culture, qui, une fois apprise nous permet d’agir et de penser sans avoir à y penser ? Et comment le progrès serait-il possible sans la tradition, là encore source d’action, réactions, pensées machinales ? Du coup, avec Valéry, ce n’est pas tant l’homme qui change d’image que la machine.

Reste qu’à nommer machinales comme le propose Valéry toutes ces actions, toutes ces procédures qui nous permettent de maîtriser non seulement la matière, mais aussi la pensée, nous comprenons que pour être un peu homme, il nous faut aussi inventer et non répéter.

Que ce soit grâce à l’habitude qu’on puisse être libéré pour innover, certes.

Mais reste à innover quand même.

Friday, November 13, 2009

Citation du 14 novembre 2009

Je ne sais pourquoi, je me suis rappelé un mot qu’on a prêté à Clemenceau quand il a pris en main les affaires de la guerre : « La guerre est une affaire trop sérieuse pour qu’on la confie à des militaires. » Évidemment, cela ressemble à une boutade, peut passer pour un paradoxe. Pourtant, il semble bien qu’il y ait là l’expression d’un grand bon sens,

Paul Léautaud – Journal littéraire 9 novembre 1932

La guerre est le prolongement de la politique par d’autres moyens.

Carl von Clausewitz (voir Post du 23-07-06)

Règle absolue quand on lit une telle citation de Clemenceau : éviter la naïveté de Léautaud. Ce n’est pas parce que ça choque le bon sens que c’est forcément vrai.

Certes, s’il est vrai – comme le note Clausewitz – que la guerre constitue une arme politique, alors c’est aux politiques et non aux militaires qu’il incombe – par exemple – d’appuyer sur le bouton rouge du feu nucléaire.

Mais voyez l’exemple concret, le seul qui soit disponible heureusement, de Truman confronté à la décision d’ordonner le bombardement atomique du Japon.

L’armée américaine dispose enfin de la bombe atomique. Le chef d’état major presse Truman de signer l’ordre de la larguer sur le Japon. Truman hésite, tergiverse. Le militaire lui fait comprendre que cette décision est trop importante pour qu’il puisse hésiter. Le président accepte sous la pression des militaires, prouvant ainsi que la guerre est trop importante pour qu’on la confie à des politiques.

D’ailleurs, même si il est vain de prétendre réécrire l’histoire, on peut imaginer que le déroulement de la guerre aurait été tout autre si les opérations militaires allemandes avaient été confiées à des généraux capables et non à Hitler qui s’est obstiné dans des stratégies vouées à l’échec (en Russie).

Seulement, voilà : la guerre est à la fois arme politique et opération militaire. Comment assurer la synthèse ? Faire du général en chef le chef politique ? Ça arrive et souvent c’est le général qui s’est emparé du pouvoir. Malheureusement, là, pour le coup on peut dire que la politique est une affaire trop sérieuse pour qu’on la laisse à des militaires.

Donc le problème est celui d’une impossible synthèse : il s’agit de greffer le pouvoir politique sur la décision militaire.

Pour fixer les idées, voyez les tergiversations de Barak Obama devant la décision d’envoyer un renfort de militaires en Irak.

Thursday, November 12, 2009

Citation du 13 novembre 2009

C'est assez que c'est moi qui le veux.

Louis XIII – Lettre au cardinal de Richelieu

[C'est assez que c'est moi qui le veux : dites donc comment il écrivait en français, Louis XIII ! Encore un qui insulte Vaugelas.

Mais justement : c’est au roi à fixer le bon usage, et la fondation de l’Académie française par Richelieu, est justement là pour le rappeler.]

Bref rappel (voir le détail ici) : Richelieu a offert sa démission au roi. Celui-ci la refuse dans une missive qu’il conclut de cette formule : C'est assez que c'est moi qui le veux – la volonté du roi prime celle de son ministre, y compris pour ce qui est de sa démission.

Bon, ça existe toujours, puisque la démission d’un ministre n’est pas effective tant qu’elle n’a pas été acceptée. Mais élargissons un peu : l’absolutisme royal, que Richelieu contribue à mettre en place pourrait bien être caractérisé par cette toute puissance du monarque sur les volonté de ses sujets, y compris pour ce qui les concerne intimement.

- Considérons la religion : cujus regio ejus religio (1) : pas de liberté de conscience et donc obligation de prier le Dieu du Prince. Voyez la reine d’Angleterre.

Vieille affaire direz-vous et on a tourné la page depuis plus d’un siècle : la reine d’Angleterre bien que chef de la religion anglicane ne décapite plus les infidèles. Peut-être, mais pas tout le monde. Les pays islamiques prennent la chose très au sérieux, beaucoup plus que l’Angleterre.

Au fond, cette formule de Louis XIII nous invite à une évaluation de la démocratie : comme le disait Rousseau, le pouvoir est affaire de volonté. La démocratie est dans le refus de considérer le vote comme l’acte de déléguer sa volonté de citoyen. L’absolutisme est quand les citoyens laissent le souverain gouverner à leur place – c'est-à-dire à exercer sa volonté individuelle en lieu et place de la leur.

Le scrutin démocratique consiste à déléguer le pouvoir exécutif, et à donner mandat au pouvoir législatif. Mandat, cela veut dire que le députés sont élus sur un programme législatif précis, et validé par le vote démocratique.


(1) Telle[est] la religion du prince, telle[est] celle du pays – Voir ici

Wednesday, November 11, 2009

Citation du 12 novembre 2009

Les bons prétextes ne manquent jamais aux mauvaises volontés.

Henri Maret – Pensées et opinions

Voilà une citation en forme de maxime comme les aiment les amateurs de citations : cette formule ne serait-elle pas à graver dans le marbre et à mettre au dessus de la cheminée ?

Quoique… Si un prétexte est bien ce qui sert à dissimuler la vraie cause d’une action (1) alors on se demande ce que peut-être un bon prétexte… Si c’est seulement un prétexte efficace alors notre citation perd beaucoup de son intérêt.

Et si on disait : les bons prétextes sont de fait des bonnes raisons, des justifications valables ?

- Je ne suis pas allé à mon rendez-vous parce que j’avais réellement une épouvantable migraine.

- Je n’ai pas fait le travail promis, parce que j’ai dû mener le petit dernier aux Urgences.

Supposez maintenant qu’avec de pareilles justifications, on vous dise : oui, mais, si vous aviez manifesté de la bonne volonté vous auriez pu ?

C’est quoi donc, la bonne volonté ?

- On peut être kantien et se contenter de dire que c’est la volonté de faire le bien quand bien même il serait impossible de le faire. c'est la pureté des intentions qui caractérise la morale, et non l'efficacité de l'action.

- Mais si ce n’est pas le cas, alors il faudra dire que la bonne volonté c’est l’aptitude à mobiliser ses capacités en vue de faire ce qui nous paraît être bon.

Autrement dit, la mauvaise volonté c’est l’inertie et l’indifférence à l’action, c’est l’inaptitude à se motiver pour faire réellement ce qu’on a voulu. La bonne volonté c’est la capacité à passer à l’acte dès lors qu’on a reconnu la nécessité de le faire.


(1) Prétexte - Raison alléguée pour justifier un dessein, un acte, un comportement (synon. allégation, argument, motif), pour dissimuler la vraie cause d'une action ou pour refuser quelque chose. (Source TLF)

Tuesday, November 10, 2009

Citation du 11 novembre 2009

J'appelle culture la coïncidence entre une langue et un art de prier

Propos de Michel Rocard recueillis par Baptiste Legrand pour le Nouvelobs.com (le 2 novembre 2009)

Ça c’est vraiment ce que Rocard appelle le parler vrai ! Et en plus c’est dans une interview intitulée : « L’identité nationale est un débat imbécile ». (A lire ici)

Débat imbécile, parce que l’identité nationale est suffisamment évidente pour ne pas avoir besoin d’un débat pour être connue. La preuve : qui dit identité nationale dit culture, et la culture se définit tout simplement comme la coïncidence entre une langue et un art de prier.

Et vous, vous auriez dit la même chose ? Peut-être pas, hein ?

Moi, je ne sais pas. En tout cas j’ai dit ici même que être français, c’était parler français. Mais faut-il y ajouter l’art de prier ? Et d’abord, qu’est-ce que c’est que l’art de prier ? Faut-il donc posséder un art pour prier ?

Je comprends que c’est peut-être un style, une manière particulière en relation avec un dogme (on a parlé ici avec Lévi-Strauss des règles de la prière musulmane). Ce qui reviendrait à dire – à peu près – que la culture se définit par un rapport spécifique à la divinité.

Alors là, permettez-moi de vous dire qu’une telle affirmation fait débat ! Parce que le divin n’est pas forcément reconnu comme condition et horizon de la culture. Certes, on admet souvent qu’une transcendance – quelque chose qui nous fait désirer ce qui manque, ce dont notre monde porte la marque en creux – est nécessaire pour que la pensée humaine puisse prendre son vol (1), et donc pour que la culture ait une substance véritable. Mais faudrait-il donc dire aussi que la transcendance serait toujours religieuse ?

Je ne peux que renvoyer au débat entre Marcel Gauchet et Luc Ferry sur la transcendance horizontale (2): on y voit que ce débat-là n’est pas près d’être tranché.


(1) Certains, comme Régis Debray, ajouteraient que la fraternité humaine la présuppose

(2) Luc Ferry et Marcel Gauchet - Le religieux après la religion - Livre de Poche, évoqué le 26 septembre 2008


Monday, November 09, 2009

Citation du 10 novembre 2009

Et toute la beauté charnelle de ma femme / N'a que la minceur de la peau.

Thomas Overbury (1581-1613)

Dans le plaisir que nous donne l’amour, dans l’émotion que nous donne la contemplation de la beauté d’une femme, la peau compte pour beaucoup. Qu’est-ce que la beauté d’une femme sinon l’éclat de son teint, le grain de sa peau, la façon dont elle accroche la lumière ?

Mais – et c’est là une source d’étonnement – la peau, c’est bien peu de choses : quelques tout petits millimètres de chair sous la quelle se trouve une viande sans doute fort peu appétissante. On peut même supposer que sous la peau, nous sommes tous pareils, et c’est précisément le propre des racistes de nier une pareille évidence.

Et même, le joli bronzage qui lui confère cet aspect séduisant, ce n’est en réalité que quelques milligrammes de mélanine (1). Pourtant, voyez le soin qu’on met à se faire bronzer dans les cabines UVA : voilà ce qui atteste de l’importance de la peau dans les rapports sociaux.

Nul doute que les moralisateurs en profiteront pour honnir cette vanité (vanitas vanitatis…) qui nous met à genoux devant une si fragile idole.

Et si au contraire nous disions que, oui – la peau est bien peu de chose, mais ce peu est déjà beaucoup. Car, c’est dans le peu de chose que s’épanouit notre jouissance.

L’amour nous dit-on est le contact de deux épidermes. Certes, ça ne veut pas dire qu’il n’y a rien d’autre à chercher au-delà, ailleurs, pour connaître l’autre. Mais ça veut dire au moins que rien ne pourra jamais remplacer ce contact. Et nous le savons bien : évidemment, la photo de la très-chère ne remplacera jamais le bonheur de la serrer dans nos bras, et de sentir le contact de sa peau contre la notre.

Mais encore faut-il que s’établisse le contact entre deux peaux.

Sauf si comme Roland Barthes vous considérez que le langage est comme une peau symbolique : Le langage est une peau : je frotte mon langage contre l'autre – écrit-il (2).

Barthes vous aura prévenu : méfiez-vous des baratineurs !


(1) À ne pas confondre avec la mélamine.

(2) Roland Barthes – Fragments d'un discours amoureux

Sunday, November 08, 2009

Citation du 9 novembre 2009

Toute secte, en quelque genre que ce puisse être, est le ralliement du doute et de l'erreur.

Scotistes, thomistes, réaux, nominaux, papistes, calvinistes, molinistes, jansénistes ne sont que des noms de guerre.

Il n'y a point de secte en géométrie ; on ne dit point un euclidien, un archimédien.

Quand la vérité est évidente, il est impossible qu'il s'élève des partis et des factions. Jamais on n'a disputé s'il fait jour à midi.

Voltaire – Dictionnaire philosophique

Si nous avons tant de difficulté à définir ce que c’est qu’une secte, peut-être que cela tient à une exigence un peu trop tatillonne. Voyez comme Voltaire s’en tire :

- Une secte est une faction en guerre avec toutes les autres ;

- Une secte détient des dogmes qui ne sont jamais démontrés.

Voilà : il suffisait d’élargir suffisamment le concept, et on est sur que le filet va retenir notre poisson.

Ah, oui : peut-être bien qu’il retiendra aussi d’autres poissons et que ce sont ceux-là que nous voudrions évacuer par une définition plus précise – et en particulier les religions.

Voyez donc comment ça fonctionne :

- Voltaire : tout est secte même les religions (1) ;

- Les américains : tout est religion, même les sectes.

Bienfaisante alternative, car : supposons qu’on ne parvienne vraiment pas à discriminer les sectes des religions ; il nous reste à choisir notre camp, et l’affaire de la scientologie nous montre bien de quel côté nous penchons.

Après tout n’est-ce pas là notre laïcité ? Que nous tolérions les sectes tout comme nous tolérons les religions – soit. Mais il nous reste encore le droit de préférer la certitude géométrique.

Et pour ce qui reste en dehors de la certitude rationnelle, nous avons aussi le droit de préférer notre propre délire – ou notre propre poésie.


(1) De fait à l’époque de Voltaire, la différence entre les deux était affaire d’effectif : une secte était une religion qui avait très peu de pratiquants ; et réciproquement, de sorte qu’on passait de l’un à l’autre en changeant d’échelle mais sans changer de nature.