Thursday, September 30, 2010

Citation du 1er octobre 2010

Un roi, réalisant son incompétence, peut soit déléguer, soit abdiquer. Un père ne peut ni l'un, ni l'autre.

Marlène Dietrich

C’était autrefois la mode de fustiger la démission des parents devant des enfants qui importunaient tout le monde. Erreur on ne peut plus totale : démissionner, déléguer, abdiquer, le roi peut faire – mais le père ne le peut pas. Même incompétent, même s’il fait semblant de l’ignorer, il reste en charge des responsabilités de la paternité. Faut-il préciser que la mère est dans la même situation ?

Quelle est donc cette responsabilité si fondamentale que rien ne peut lui donner congé ?

Vaste question que je ne saurais résoudre tout à fait, mais pour la quelle j’ai une anecdote qui pourrait mettre sur la piste de la réponse.

J’ai eu une élève (18 ans – classe terminale) qui depuis sa jeune enfance avait été confiée par la DASS à différentes familles d’accueil et qui était aidée matériellement et soutenue affectivement par les élèves de la classe. Tout le monde connaissait sa triste histoire et tout le monde veillait sur elle. Un jour au cours d’un débat (dont j’ai oublié le propos, mais il s’agissait de ce genre de discussion qu’on peut avoir en classe de philosophie), voilà qu’elle jette à toute la classe : « Un enfant abandonné reste toujours génétiquement, socialement et affectivement, un étranger. »

Un enfant abandonné reste un enfant sans famille. Même choyé, même adoré dans sa famille d’accueil, il est toujours un invité. La responsabilité d’un père – et bien évidemment d’une mère – c’est donc déjà ça : donner à l’enfant un foyer, c’est à dire un endroit où il soit chez lui, un lieu où il soit enraciné – et non transplanté.

Je crois que c’est ça que veut dire Marlène Dietrich – c’est ça qu’on ne peut ni déléguer ni refuser. Mais en même temps il n’est pas trop difficile de satisfaire à une pareille exigence…

Wednesday, September 29, 2010

Citation du 30 septembre 2010

Je sais que je ne sais rien.

Maxime attribuée à Socrate.

Le plus sage d'entre vous, c'est celui qui, comme Socrate, reconnaît que sa sagesse n'est rien.

Platon – Apologie de Socrate, 23b

Dans ce passage de l’Apologie de Socrate, notre philosophe, accusé de corrompre la jeunesse, et également d’impiété, présente sa défense devant le tribunal.

- J’ai été, dit-il, désigné par l’oracle d’Apollon comme étant le plus sage – c'est-à-dire le plus savant – de tous les athéniens. Surpris d’une telle révélation, je suis allé auprès de tous ceux qui prétendent détenir un savoir (politiciens, généraux, poètes, etc.) Et tous m’ont paru ignorer ce que pourtant ils prétendaient savoir. De sorte, que si je suis le plus savant des athéniens, c’est parce que moi, je ne prétends pas savoir ce que je ne sais pas.

Occasion de rappeler qu’il y a deux formes d’ignorance :

- une ignorance inconsciente d’elle-même qui porte non seulement sur tout ce que nous pourrions savoir et que nous ne savons pas (par exemple, je ne sais pas ce que font mes voisins à l’instant où j’écris ces lignes) ; mais encore et surtout qui prétend savoir quelque chose qu’en réalité nous ignorons. On aura reconnu ici l’ignorance pourchassée par Socrate.

- mais il existe aussi une forme plus « noble » d’ignorance qui est consciente d’elle-même et qui apparaît comme un trou dans le savoir – ou comme sa borne. Par exemple, je connais telle tel évènement qui s’est produit à telle époque historique, mais je suis ignorant de ce qui est arrivé juste après.

C’est cette ignorance qui est la « science » de Socrate : car c’est elle qui produit la recherche de connaissance.

Soyons comme Socrate : délimitons notre savoir et évitons de parler de ce que nous ne connaissons pas. Ça nous permettra peut-être de guérir de notre ignorance.

Et surtout, ça nous évitera de dire des bêtises.

Tuesday, September 28, 2010

Citation du 29 septembre 2010

Cette marchandise [l'argent] (...) est inaltérable (...) on peut la garder sans craindre ni déchet ni avaries

Destutt de Tracy (1) – Commentaire sur Esprit des lois, 1807

A coté de la recherche des économies d’énergie, notre époque est également angoissée par la production des déchets. Comme nous l’avions souligné récemment, les déchets ne sont pas des réalités absolues dans la mesure où le recyclage en fait la matière première d’autres productions. Reste que de recyclage en recyclage on atteint le déchet final, celui qu’il faudra incinérer, ou enfouir (comme les déchets nucléaires). Et nous rêvons au produit idéal, celui qui ne ferait aucun déchet – comme la voiture qui roule avec une pile à combustible et qui ne rejette que de l’eau. Mais ce n’est pas encore tout à fait au point nous dit-on.

N’en rêvez plus : dès maintenant ce produit existe. C’est l’argent.

L’argent – qu’il soit métallique ou de papier – est physiquement imputrescible et du reste il ne dégage comme l’on sait aucune odeur. On peut le conserver dans des coffres sans qu’il s’abîme ou sous une pile de draps sans qu’il les salisse.

On peut aussi le vendre, le louer, le donner même, il ne laisse aucune trace, aucun résidu : on le croirait aussi immatériel que notre âme…

Certains diront qu’il lui arrive de disparaître justement sans laisser de traces et sans qu’on sache ce qu’il est devenu. Certes. Mais c’est là un inconvénient mineur comparé à ses remarquables propriétés écologiques.

Négociez tout ce que vous voudrez : des bananes et il faudra éliminer les peaux ; du vin et ce sont les tonneaux qu’il faudra reprendre ; des piles, des voitures, des ampoules électriques, des cartouches d’encre pour votre imprimante…. et il faudra récupérer et recycler tout ça.

Donc, une seule solution vraiment respectueuse de l’environnement : faites vous banquier.

Ça, c’est une activité éco-responsable.

Ceux qui accusent méchamment leur banquier d’être irresponsable devraient y réfléchir à deux fois.

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(1) Note de Wikipedia sur la vie de notre auteur :

« Destutt de Tracy est arrêté comme suspect, le 2 novembre 1793, et, durant ses onze mois de prison, s'initie à la philosophie sensualiste de Locke et de Condillac, mettant au point sa propre doctrine. Il recouvre la liberté à la chute de Robespierre. »

Autrement dit cet homme qui pouvait s’attendre à perdre la tête à tout moment, utilise son temps de prison pour étudier la philosophie. Voilà ce qu’on appelle un sage – au sens socratique du terme.

Monday, September 27, 2010

Citation du 28 septembre 2010

Certaines ont défini l'homme comme "un animal qui rit". Ils pourraient aussi le définir justement comme un animal dont on rit.

Bergson – Le rire

A propos d’un de mes précédents Post (dont j’ai malheureusement perdu la trace), un correspondant anonyme soutenait que le rire n’est pas le propre de l’homme puisque le singe rit.

Peut-être… De toute façon Bergson a mis tout le monde d’accord : ce qui compte selon lui, ce n’est pas de dire qui rit, mais de savoir qui est risible : « Qu’y a-t-il au fond de risible ? » c’est ainsi qu’il commence son petit essai sur le rire. (1)

On rit d’un homme, on ne rit pas de l’animal, sauf quand il contrefait l’homme. Voilà la thèse de Bergson, qui repose sur l’idée que le risible surgit quand l’homme déchoit de sa grandeur. Ça peut être simplement en tombant sur le trottoir, pantin désarticulé à la place du marcheur élégant. Ça peut être le bégaiement qui décompose l’élocution.

Autrement dit, c’est en quelque sorte une différence de potentiel entre l’attitude normale et celle qui amuse qui fait fuser le rire : il ne suffit donc pas de dire que le rire c’est du mécanique plaqué sur du vivant (2). C’est vrai bien sûr, mais seulement dans le cas de l’être humain qui est censé dominer le mécanique. Sans quoi l’animal nous donnerait bien parfois une image de l’être vivant accomplissant mécaniquement sa tâche.

Dernière remarque – On a l’habitude de définir l’homme par ses capacités : c’est l’être pensant, ou bien créant, ou encore parlant et échangeant avec ses semblables… Et si on le définissait par ses défauts caractéristiques, ceux qu’aucun animal ne possède ? On l’a fait, avec la guerre, la cruauté gratuité, la lubricité…

Oui, mais je reste tenté par la formule de Bergson : l’homme est un être risible.

C’est plus gentil.

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(1) À télécharger ici.

(2) Bergson : cité ici

Sunday, September 26, 2010

Citation du 27 septembre 2010

La cohésion sociale est due en grande partie à la nécessité pour une société de se défendre contre d'autres.

Henri Bergson

Nous connaissions déjà l’éloge de la guerre qu’on trouve chez Bergson (en 1911 il est vrai).

On peut maintenant y revenir, en centrant notre investigation sur la société.

La cohésion sociale est due en grande partie à la nécessité pour une société de se défendre contre d'autres. On pourrait dire bien des banalités à partir de là, du genre : lorsque le pouvoir est en péril il cimente la cohésion sociale autour de lui en inventant des ennemis de l’extérieur ou bien de l’intérieur (1), faisant que tous les bons citoyens soient solidaires avec lui pour affronter le terrible adversaire. Bof… L’essentiel n’est pas là. Il est que selon Bergson, il n’y a pas d’autre façon efficace d’assurer la cohésion dans la société.

Exit donc le contrat social, la citoyenneté responsable, la fraternité sous le drapeau républicain. Tout ça ce sont des balivernes sans consistance scientifiquement observable.

Mais exit aussi le Bien public, l’intérêt commun, le travail solidaire créant du profit pour tous afin que soit assuré le profit de chacun. Ou plutôt oui, ça peut exister ; mais ça n’est pas suffisant pour que l’on puisse parler de cohésion sociale. Celle-ci suppose des forces centripètes puissantes capables de dominer les forces centrifuges qui la travaillent.

On aura reconnu la thèse de Lévi-Strauss sur les sociétés chaudes opposées aux sociétés froides (Voir texte en annexe).

Il est clair que cette vision de la société a pour intérêt de déplacer son centre de gravité : il ne s’agit plus de survie, et pas plus d’engagement moral. Il s’agit plutôt de considérer la société comme une grosse machine à vapeur, qui doit pour fonctionner correctement être sous pression, mais qui doit aussi évacuer la surpression sous peine d’exploser.

Lévi-Strauss ne nous dit pas comment évacuer cette surpression. Peut-être justement en déchaînant les passions de la foule à l’encontre d’ennemis tels que des dissidents jugés responsables des maux subis. (2)

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(1) Que vous nommerez comme vous voudrez (Roms ; banquier et traders ; terroriste ; jeune avec la casquette à l’envers…) : ça n’est pas mon affaire.

(2) C’est la thèse que René Girard a formulée à propos de la victime expiatoire.

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Annexe

« Je dirais que les sociétés qu'étudie l'ethnologue, comparées à notre grande, à nos grandes sociétés modernes, sont un peu comme des sociétés « froides » par rapport à des sociétés « chaudes », comme des horloges par rapport à des machines à vapeur. Ce sont des sociétés qui produisent extrêmement peu de désordre, ce que les physiciens appellent « entropie », et qui ont une tendance à se maintenir indéfiniment dans leur état initial, ce qui explique d'ailleurs qu'elles nous apparaissent comme des sociétés sans histoire et sans progrès. Tandis que nos sociétés ne sont pas seulement des sociétés qui font un grand usage de la machine à vapeur ; au point de vue de leur structure, elles ressemblent à des machines à vapeur, elles utilisent pour leur fonctionnement une différence de potentiel, laquelle se trouve réalisée par différentes formes de hiérarchie sociale, que cela s'appelle l'esclavage, le servage, ou qu'il s'agisse d'une division en classes, cela n'a pas une importance fondamentale quand nous regardons les choses d'aussi loin et dans une perspective aussi largement panoramique. De telles sociétés sont parvenues à réaliser dans leur sein un déséquilibre, qu'elles utilisent pour produire, à la fois, beaucoup plus d'ordre - nous avons des sociétés à machinisme -et aussi beaucoup plus de désordre, beaucoup plus d'entropie, sur le plan même des relations entre les hommes. » Georges Charbonnier, Entretiens avec Claude Lévi-Strauss, 1959, p.38.

Saturday, September 25, 2010

Citation du 26 septembre 2010

Notre durée est irréversible. Nous ne saurions en revivre une parcelle, car il faudrait commencer par effacer le souvenir de tout ce qui a suivi.

Bergson

La maladie d’Alzheimer dont on parle beaucoup en ce moment apparaît comme une tragédie pour l’être humain qui y perd peu à peu son humanité, au point qu’on se demande s’il reste pour finir quelque chose de l’âme immortelle que Dieu a déposée en nous…

Mais c’est aussi l’occasion de réfléchir – tant qu’on le peut encore – sur l’apport de la mémoire.

La femme – l’homme – qui a perdu la mémoire, à supposer que sa faculté de réflexion ne soit pas altérée – et à supposer qu’on puisse réfléchir sans se souvenir – devrait y voir une chance plutôt qu’un péril.

--> N’avons-nous pas le désir de revivre notre passé, de rajeunir et de revivre notre jeunesse ? Or, voilà ce que nous dit Bergson : pour renverser notre durée et retrouver notre jeunesse, il suffit d’effacer le souvenir de tout ce qui l’a suivie. Donc une bonne amnésie et le tour est joué ! Le malade Alzheimer qui dit « Bonjour madame » quand se femme entre dans sa chambre n’est-il pas enviable ? En dehors du miracle de l’amour, chanté par Jean Ferrat (1), comment faire pour que ce soit toujours la première fois ?

Maintenant, supposons que nous ayons le choix entre perdre totalement la mémoire et la conserver intacte : quel parti prendre ?

Désirons-nous revivre notre vie comme si c’était la première fois – avec toute la fraîcheur de l’émotion première, avec l’intensité de la découverte ?

Ou bien mettons-nous au premier plan tout ce que nous avons appris et tout ce que nous sommes devenus à partir de là ?

On dira peut-être que cette question est oiseuse puisqu’on ne peut nous désolidariser de notre passé. Certes – mais la façon dont nous répondrons à cette question sera révélatrice de l’intérêt que nous portons à notre vie.

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(1) Voir ici

Friday, September 24, 2010

Citation du 25 septembre 2010

De quelque manière qu'on définisse et qu'on place la souveraineté, toujours elle est une, inviolable et absolue [...] Le souverain ne peut donc être jugé : s'il pouvait l'être, la puissance qui aurait ce droit serait souveraine, et il y aurait deux souverains, ce qui implique contradiction.

Joseph de Maistre – Du Pape et extraits d'autres œuvres, Textes présentés et choisis par Cioran

Deux idées :

- La première est que le pouvoir souverain ne se partage pas, et que, quoiqu’on fasse, il repose entre les mains d’un seul homme – ou alors qu’il cesse d’exister.

Voilà une idée bien connue, que nous avions déjà envisagée (ici) et qu’en France, les efforts incessants de Notre-Président pour étendre l’emprise du pouvoir exécutif sur le pouvoir législatif et sur le pouvoir judiciaire, ne font que corroborer.

- La seconde est que le souverain ne peut être jugé, sans quoi le Juge serait un autre souverain ce qui implique contradiction, puisque la souveraineté est par définition unique.

C’est à cela que nous devrions être un peu attentif. Dans nos démocraties, quelle instance peut prétendre juger le détenteur du pouvoir ? Certes, en France la Constitution prévoit des cas de haute trahison, qui mettent un terme à cette impunité. Mais ces cas ne se produisent jamais, et la mise en examen du Président dans une affaire pénale ne peut se faire durant son mandat, c'est-à-dire lorsqu’il est souverain – le cas du Président Chirac le rappelle.

On opposera à cela que Notre-Président gouverne l’œil rivé sur les sondages, autrement dit qu’il se soumet (plus ou moins il est vrai) à l’opinion populaire.

Mais alors, est-ce que ça ne voudrait pas dire qu’en réalité nous sommes dans une démocratie directe, que le véritable souverain est le peuple et que son opinion exprimée dans les sondages gouverne tout le reste (y compris dans les affaires judiciaires où l’on voit les juges se ranger finalement aux cotés de l’opinion publique) ?

Peut-être. Sauf qu’il y a une sérieuse restriction : le pouvoir souverain reste défini par la Constitution, et l’opinion publique n’a aucune légitimité en dehors des urnes.

Si l’opinion publique détient donc le pouvoir, c’est seulement par un acte délibéré de délégation du Président, le quel peut quand il le veut reprendre son pouvoir et négliger le cri du peuple (1).

Jusqu’aux prochaines élections.

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(1) On pense bien sûr aux manifestations contre la réforme des retraites.

Thursday, September 23, 2010

Citation du 24 septembre 2010

On n'imagine pas un Pascal voulant être « original ».

La recherche de l'originalité est presque toujours la marque d'un esprit de second ordre.

Cioran – Carnets 1957-1972

On n'imagine pas un Pascal voulant être « original »…

Et certes, voilà qui parait presque trop évident pour être souligné : Pascal est original, il ne cherche pas à l’être.

Les Pensées sont à cet égard exemplaire : ici, pas de coquetterie de style, pas de fioritures rhétoriques : rédigées vite avec une économie de mots extrême (1).

Voyez par exemple la formule qui clôt le fragment consacré au rêve : la vie est un songe un peu moins inconstant (2). Dites moi si c’est « original » et si c’est dans l’intention de l’être que Pascal a écrit cette phrase.

Bien sûr on trouverait ridicule de répondre non à la première question et oui à la seconde.

Une telle question est strictement rhétorique, elle suppose que les penseurs qui se disent originaux ont en réalité la volonté de se faire remarquer, et qu’à ce jeu là ils prouvent simplement la pauvreté de leur inspiration.

Qu’est-ce donc que l’originalité de la pensée ?

Si le texte de Pascal que nous venons de citer est « original », si la pensée qu’il exprime l’est également, c’est parce que son auteur parvient à nous transmettre cette pensée intégralement, telle que son esprit l’a conçue, avec le langage qui lui est propre et qui seul peut l’exprimer adéquatement.

On est original quand on exprime une pensée qui trouve son origine en nous-mêmes, autrement dit qui n’est pas un cliché ou une opinion couramment admise.

Alors, certes, à être totalement original on court le risque d’être incompréhensible. Mais si la pensée originale est celle que nul autre n’a formulée avant qu’on le fasse, son origine peut être en-deçà de nous et se trouver au moins partiellement dans un savoir ou une opinion commune. La vie est un songe, titre du chef-d’œuvre de Calderon fut écrit en 1635, soit 30 ans avant ce fragment des Pensées. Pascal le connaissait-il ? J’avoue que je n’en sais rien. Mais de toute façon, l’idée qu’il n’y a pas de différence notable entre le contenu du rêve et la réalité est très en vogue au XVIIème siècle (qu’on pense à Descartes) ; mais si cette observation permet de comprendre la pensée de Pascal, elle est loin d’en épuiser le contenu.

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(1) Les manuscrits des Pensées sont à cet égard éloquents : certains sont surchargés, gribouillés dirait-on et on imagine Pascal écrivant couché dans son lit (déjà fort malade) et utilisant sa feuille au maximum parce qu’il n’en a pas d’autres sous la main…

Voyez (ci-dessus) ce manuscrit du Pari

(2) Voir Fragment 662 (ed. Le Guern) cité ici.

Wednesday, September 22, 2010

Citation du 23 septembre 2010

Les cannibales n'ont pas de cimetière.

Marcel Mariën

Que faire des enfants indésirés ? Les noyer ? Bon – et après ? Les enterrer ? Les mettre au congélateur ? Les manger ?

Ecoutons notre citation du jour : la meilleure façon de se défaire d’un corps, c’est de le manger et c’est sans doute pour cette raison que Saturne est réputé pour avoir dévoré ses propres enfants (comme le montre ce tableau de Goya) afin de s’en débarrasser définitivement.

On peut aussi voir dans l’anthropophagie un moyen de s’alimenter. Ainsi, à l’époque où les congélateurs n’existaient pas les petites victimes du méchant boucher auxquelles saint Nicolas va rendre la vie (1) se trouvaient dans le saloir, là où on conserve le lard (tiens ? Encore le lard ?)

Lisons ce qu’écrit Pierre Clastres dans sa Chronique des indiens Guayaki. Les Guayaki – ou plutôt les Aché (c’est-à-dire les Personnes, comme ils se désignent eux mêmes) – pratiquent l’endocannibalisme : ils mangent leurs propres morts, entendez tous ceux qui viennent à mourir de vieillesse, d’accident, tués au combat ou même de maladie.

Clastres dans des pages magnifiques de clarté, de précision et de profondeur (2) explique qu’il s’agit pour les Aché d’empêcher que l’âme du mort à la recherche de son ancien corps vienne investir le corps des vivants et les rende malades.

Ainsi, manger un corps humain, c’est le fragmenter en morceaux éparpillés entre tous les estomacs de la tribu et donc décourager l’âme sans corps qui finalement va partir avec la fumée du grill sur le quel on apprête la dépouille avant de la manger.

On le voit, ici point de congélateur, point de saloir : mais il faut quand même métaboliser la chair humaine pour la faire disparaître.

Ne restons pas sur un impression fâcheuse de barbarie : les Aché sont aussi des gens très raffinés, qui aiment la bonne chair : manger de la chair humaine, disent-ils, c’est délicieux, et on ne peut trouver rien d’équivalent dans la viande animale – à l’exception de la chair de porc domestique.

Que le cochon soit un équivalent de l’homme on s’en doutait un peu…

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(1) Voir la Complainte des enfants du saloir ici.

(2) Chronique des Indiens Guayaki - chapitre VIII (Collection Terre humaine)

Tuesday, September 21, 2010

Citation du 22 septembre 2010

Les femmes t’ont perdu / Je t’ai retrouvé

Miss.Tic – Pochoirs sur les murs d’Arles

Votre ville est moche, les rues sont sales et grises ? Appelez Miss.Tic : elle va vous transformer tout ça.

C’est du moins ce qu’elle a fait à Arles, où nous la retrouvons aujourd’hui avec ce pochoir puisé dans la série exposée sur son site. Mais en même temps elle nous révèle une dimension peu connue de l’art de rue.

Alors qu’on pensait que l’art de rue offrait au graffeur (outre l’exposition) principalement l’attrait d’un support toujours renouvelé (la granulosité du mur, le support lisse et fragmenté de la palissade etc.), voici que nous découvrons qu’un pochoir peut mettre en rapport des éléments dispersé dans l’environnement.

Entendons-nous bien : il ne s’agit pas simplement de placer un pochoir au-dessus d’une porte histoire de montrer ce qui nous attend si nous entrons. Il s’agit ici d’un ensemble articulé de 3 éléments : de gauche à droite (sens de la lecture), on trouve :

- Un panneau signalant une impasse ;

- Le pochoir (Les femmes t’ont perdu / Je t’ai retrouvé) ;

- Un pictogramme signalant un risque de brûlure par de l’acide (voir agrandissement).

Voilà une véritable phrase faite de l’articulation de ces trois unités (1), du genre « je te tire de ton impasse, puisque, si Les femmes t’ont perdu / Je t’ai retrouvé ; mais attention car je suis toxique » (ce qui est tout à fait normal avec une Miss de la Miss). En plus on peut interpréter le sens autrement, y compris en jouant avec l’ordre sytagmatique des unités, comme monsieur Jourdain avec son billet à la Marquise (Belle Marquise, etc…)

On peut ajouter deux choses qui sont me semble-t-il singulièrement importantes :

- D’abord que ces unités signifiantes ne le sont que grâce à la médiation du pochoir. Autrement ce sont des éléments (panneau de signalisation, pictogramme de chantier) qui ont certes leur propre signifiance, mais qui ne sauraient en sortir par eux-mêmes.

- Ensuite que l’art de rue est là non pour décorer la rue, mais bien pour la réinterpréter.

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(1) C’est ce que Ferdinand de Saussure décrit dans le texte suivant comme ordre syntagmatique :

Dans le discours, les mots contractent entre eux, en vertu de leur enchaînement, des rapports fondés sur le caractère linéaire de la langue, qui exclut la possibilité de prononcer deux éléments à la fois. […]

Le rapport syntagmatique est in praesentia ; il repose sur deux ou plusieurs termes également présents dans une série effective. […]

Placé dans un syntagme, un terme n'acquiert sa valeur que parce qu'il est opposé à ce qui précède ou ce qui suit, ou à tous les deux. (Saussure – Cours de linguistique générale ch. 5)

Monday, September 20, 2010

Citation du 21 septembre 2010

Dans la plaine les baladins / S'éloignent au long des jardins / Devant l'huis des auberges grises / Par les villages sans églises […]

Chaque arbre fruitier se résigne / Quand de très loin ils lui font signe

Apollinaire – Saltimbanques (recueil Alcools) (1)

Sur le chemin du bord du fleuve lentement / Un ours un singe un chien menés par des tziganes / Suivaient une roulotte traînée par un âne / Tandis que s'éloignait dans les vignes rhénanes / Sur un fifre lointain un air de régiment

Apollinaire – Mai (recueil Alcools)

Gens du voyage… Tsiganes… Gitans… Roms… Ils ont tous nourris un imaginaire farci de poules, de diseuses de bonne aventure, d’acrobates, d’errance et de misère.

On n’en finirait plus d’énumérer leurs méfaits tant la tradition et les siècles les en ont chargés. Rappelons simplement que l’accusation de voler les poules n’est rien comparée aux autres crimes dont on les a accusés, comme de voler les enfants.

Les expulsions des camps de Roms menées par le gouvernement français font appel à la même tradition : ce sont eux qui sont chargés d’incarner le sentiment d’insécurité qui pourrit la vie des gens, au point que Notre-Président a reproché aux journalistes qui l’accablent de leurs critiques d’avoir oublié les incidents de Saint-Aignan (2) provoqués par les gens du voyage. Bien entendu, Notre-Président lui-même a oublié que ces Gens-du-voyage là n’étaient pas des Roms…

Mais ne fait-on pas là encore usage du prodigieux potentiel d’imaginaire qui émane des Roms ? Les poèmes d’Apollinaire – et de bien d’autres – nous le montrent : leur image aux contours flous, décolorée par la distance, sert de support au mieux à nos créations poétiques, ou au pire, aux projections de nos angoisses obsessionnelles.

Création poétique, oui… Mais nous ne sommes pas tous des Guillaume Apollinaire, rêvant derrière les roulottes, dans la poussière de la route : reste à nous imaginer courant après les voleurs de voitures, les casseurs de villages, les assassins de vieilles femmes…
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(1) Ceux qui préfèrent la version musicale (Musique de Louis Bessières) chantée par Yves Montand n’ont qu’à cliquer ici.

(2) Pour ceux que les vacances avaient éloignés de leurs écrans, voir ici

Sunday, September 19, 2010

Citation du 20 septembre 2010

Vouloir se confiner dans les buanderies de la chair, rejeter le suprasensible, dénier le rêve, ne pas même comprendre que la curiosité de l'art commence là où les sens cessent de servir!

Joris-Karl Huysmans – Là-bas (1891)

Eloge du lard 3

Sortez des buanderies de la chair, car l’art commence là où finit le lard.

On dirait que je n’ai plus qu’à remballer ma prétention à faire l’éloge du lard…

- Voyons ça de plus près.

Selon ce que je sais, Huysmans critique ici Zola et son réalisme : les femmes de ses romans sont faites de viande, de muscle bandés par l’effort, leurs seins sont pleins de lait et leurs ventres pleins d’enfants. L’amour se fait dans la paille et la bouse (à moins que ce ne soit sous le comptoir de l’estaminet, dans la sciure de bois), et il obéit aux lois du rut bien plus qu’à celles du Roman de la Rose…

Si l’art doit se détourner de la Réalité pour exister, il faut aussi mettre à l’écart la prétention de nos sens à le soutenir – voire même à en être l’aune (1). Un peu comme chez Platon où la Beauté pour exister a besoin de l’élévation de notre âme qui ne s’obtient qu’en se détournant de la réalité sensible.

Panofsky rappelait (Idea – 1ère partie) le débat antique sur les modèles de l’Aphrodite du sculpteur :

- ou bien elle doit être copiée sur les plus belles femmes de la ville, chacune servant de modèle pour une petite partie du corps de la déesse – de sorte que la statue d’Aphrodite sera comme une chimère composée d’éléments épars dans la réalité (2)

- ou bien il faut imaginer la beauté idéale pour ensuite la modeler selon le corps d’une femme en sorte que la statue ne ressemble à aucune femme réelle.

De toute façon, l’Aphrodite en statue n’est pas faite de lard, ni de marbre, mais bien se pensée et de spiritualité.

Oui, mais, un art désincarné peut-il encore intéresser le spectateur ? Dans ces œuvres spiritualisée y a-t-il à voir autre chose que les obsessions de l’artiste, orgueilleusement brandies comme des étendards aux quels on est prié de se rallier ?

Pour ma part, je veux bien sortir des buanderies de la chair, mais à condition d’emporter le lard avec moi.

Et pourquoi pas ?

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(1) Du moins, dans leur banalité et leur normalité. Il faudrait faire appel à une perception pathologique pour qu’ils puissent ouvrir carrière à la création esthétique. C’est ce que dira Huysmans.

(2) « … on rassemble en un seul et même objet ce qui se trouvait dispersé en plusieurs. » Aristote – Politiques III, 2

Saturday, September 18, 2010

Citation du 19 septembre 2010

O dieux desses celestes, que heureux sera celluy à qui ferez ceste grace de vous accoller, de vous bayser, & de frotter son lart avecques vous.
Rabelais – Pantagruel chapitre 21
[Translation : «O dieux et déesses célestes, qu’il sera heureux celui à qui vous accorderez la grâce de prendre dans ses bras cette femme, de l’embrasser et de frotter son lard contre le votre. »] (1)
Eloge du lard 2
Se frotter le lard… Nous avions rencontré cette expression en commentant Anaïs Nin (voir ici), mais aujourd’hui, l’énergique formule de Rabelais nous invite plutôt à repenser le contact physique et amoureux entre deux êtres humains.
En effet, on a coutume de dire que l’amour, c’est d’abord le contact de deux épidermes. Nous avions commenté ici même cette formule de Thomas Overbury : Et toute la beauté charnelle de ma femme / N'a que la minceur de la peau.
Hé bien, écoutons Rabelais : ce n’est pas la peau qui compte – c’est le lard.
Ou plutôt, il faudrait distinguer entre :
- la peau qui constitue la mince et presque évanescente surface du corps, qui est supposée capable d’en exprimer la beauté justement parce que, dans son peu de matérialité, elle est devenue quasiment spirituelle.
- et le lard qui forme la couche dense du corps, la matière charnelle qu’on peut saisir à pleine main, pétrir etc…
L’amour physique a besoin de la densité du lard, il ne peut se contenter de la minceur de la peau. D’ailleurs, les anglais désignent une fille maigre par le terme de skinny, celle qui n’a que la peau sur les os. Et ça n’est pas vraiment un compliment.
C’est à juste titre qu’on qualifie le bourrelet qui entoure l’estomac des messieurs de poignées d’amour.
Messieurs, ne faites pas fondre vos poignées d’amour. Demandez plutôt à vos épouses d’en développer pour elles-mêmes.
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(1) Pour les curieux : j’ai découvert cet étonnant Glossaire des expressions érotiques de Rabelais dans une éditions des œuvres de François Rabelais datant de 1832

Friday, September 17, 2010

Citation du 18 septembre 2010

Proclamons les princip's de l'art! / Que tout l' mond' s'entende! / Les contours des femm's, c'est du lard, / La chair, c'est d'la viande.

Charles Cros - Le Coffret de santal, Chanson des sculpteurs

Lady Gaga aux MTV Music Awards de Los Angeles

Eloge du lard 1

On a l’impression que Lady Gaga – dont le monde entier parle, et pourquoi pas nous ? – en montant sur scène avec sa robe de barbaque a eu l’intention de traduire dans les faits ces vers de Charles Cros (1)

Bien sûr, ce projet est sans rapport avec la réalisation qui nous est présentée ici : le contraste entre la matière brute (la « barbaque ») et la sophistication des bijoux (bracelet très apparent), ainsi que l’érotisme de la fesse entra-aperçue sous le voile de viande (= sous le lard, la chair) constitue plus un obstacle qu’une illustration à la pensée de Charles Cros.

Car à lire le poème de Charles Cros, on voit bien que dans leur chanson, les sculpteurs nous expliquent quelles sont les propriétés des matières utilisées pour leurs créations : le marbre ; la terre glaise ; le bronze : le plâtre. Et puis le lard – et la viande – des femmes.

On va revenir dans les jours prochains sur cette assimilation de la réalité humaine à la matière brute. Mais occupons nous un instant de cette identification de corps à la statue. Au fond l’impression qui domine dans ce poème, c’est que les frontières doivent être effacées non seulement entre la matière transfigurée par l’art et la matière brute, mais aussi entre la réalité vivante (le corps des femmes) et l’œuvre d’art sortant des mains du sculpteur.

La femme est une statue… de viande.

D’où l’inutile redondance de la robe de bidoche : Lady Gaga n’avait qu’à venir à poil.

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(1) « Cette pièce, que Charles Cros lui-même mit en musique, était chantée «avec des cris farouches de Gaulois exaspérés» (Félix Fénéon) aux soirées des Hydropathes »

Thursday, September 16, 2010

Citation du 17 septembre 2010

La joie qui a besoin d'une cause, ce n'est pas de la joie, mais du plaisir.

Gustav Meyrink – La nuit de Walpurgis

Y a-t-il un plaisir sans joie ? Et une joie sans plaisir ? Est-ce raisonnable d’introduire ainsi une séparation entre deux états que nous vivons en principe simultanément ? Tout ça, c’est ergotage et compagnie…

Pourtant à mieux y regarder, on pourrait quand même dire que si joie et plaisir sont généralement simultanés ce n’est pas pour autant qu’ils se confondent et que, pour bien comprendre leur nature, il faut tout de même les envisager séparément.

Ce que nous pouvons faire avec Spinoza :

- La joie nous dit-il est la conscience d’un passage de notre être d’un état inférieur à un état supérieur. Elle est toute entière interne à nous-mêmes, elle n’a pas besoin d’une cause et surtout pas d’une cause extérieur.

Exemple : vous rencontrez une femme dont vous tombez amoureux. Elle peut bien vous apporter du plaisir – on l’espère même. Mais vous n’aurez de joie que si vous ressentez que vous grandissez à ses côtés – par exemple que vous devenez poète, ou que vous vous dépassez dans des exploits qui vous étaient auparavant inaccessibles.

Faut-il opposer la joie au plaisir ? Peut-être pas, mais les distinguer, sûrement.

Restons avec Spinoza. Selon lui, le plaisir est lié à un sentiment voluptueux qui est forcément éprouvé quelque part, c’est une titillation de tel organe à tel moment. Or, ce plaisir étant forcément limité à cet organe, il peut entrer en contradiction avec tel autre – et donc aussi avec l’organisme. Comme l’ivrogne qui éprouve du plaisir à boire, sans tenir compte que son corps est détruit par là. Le plaisir ici est déplaisir ailleurs. Or, avec la joie, rien de tel. Il n’existe aucune joie qui produirait en même temps de la tristesse. (1)

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(1) Sur la tristesse chez Spinoza, voir ici.

Wednesday, September 15, 2010

Citation du 16 septembre 2010

La nuit n'est peut-être que la paupière du jour.

Omar Khayyâm

Sachons prendre au sérieux des questions qui nous semblent trop simples ou trop naïves pour être posées.

Qu’est-ce que la nuit ?

1 – C’est ce qui succède au jour.

- La nuit, c’est la fin du jour. C’est le moment où la lumière du soleil décline et disparaît tout à fait.

Oui, mais que devient le soleil pendant ce temps ?

- La nuit ici, c’est ce qui rend possible le jour ailleurs. Le soleil va éclairer d’autres régions du globe terrestre, afin que chacun et chacune puisse en bénéficier.

- Ou peut-être est-ce purement et simplement une disparition du soleil, en sorte que chaque matin c’est un soleil nouveau qui monte sur l’horizon ? Un peu comme les égyptiens qui croyaient que la voûte céleste était le corps d’une déesse qui avalait le soleil le soir pour accoucher d’un nouveau soleil le matin.

2 – Et si la nuit et le jour coexistaient ?

- La nuit n'est que la paupière du jour. Le jour est un état permanent, immuable : il y a le jour et rien d’autre, comme on le voit par exemple en été au-delà du cercle polaire.

Dès lors, il fait nuit uniquement quand les volets sont clos ou les paupières fermées.

La nuit n’a pas de réalité, elle n’est qu’un artifice occultant le jour. Autant dire qu’on est loin des ténèbres bibliques qui sont une substance sur la quelle le Seigneur-Dieu étend son pouvoir pour les faire reculer en créant la lumière.

Selon la Bible, c’est le jour qui possède la puissance de l’être et les ténèbres qui représentent le néant (1). Mais qu’arriverait-il si on supposait qu’à l’inverse c’est la nuit qui est l’état le plus stable et le jour qui est transitoire ?

On dirait alors :

3 –Le jour qui succède à la nuit, ou plutôt troue la nuit comme un lumignon qui chasse l’obscurité là où il est allumé.

Dans le vide interstellaire, il n’y a que de la nuit.

(1) Disons plutôt qu’ils symbolisent le néant, mais qu’ils ont quand même une réalité effective.

Tuesday, September 14, 2010

Citation du 15 septembre 2010

Ce qu'on donne aux méchants, toujours on le regrette. / Pour tirer d'eux ce qu'on leur prête, / Il faut que l'on en vienne aux coups ; / Il faut plaider, il faut combattre. / Laissez-leur prendre un pied chez vous, / Ils en auront bientôt pris quatre.

La Fontaine – La lice et sa compagne (Fable – II, 7)

Chalenge du jour : plaider pour les expulsions d’étrangers en général et des Roms en particulier.

France terre d’asile ? Demandez donc aux sans-papiers ! Et aux Roms pendant que vous y êtes…

Et que dire qui puisse justifier de telles expulsions ?

Nous plaiderons que ce qui est en jeu, ce n’est pas tellement la peur de l’autre, ni la recherche obsessionnelle de la sécurité, mais bien le sentiment que le territoire national est une propriété trop sainte pour être laissée à qui voudra s’y installer. Il s’agit comme on l’a dit (1) d’un type de propriété très particulier, qui ne peut s’acquérir si ce n’est pas un droit de naissance (droit du sol dans un sens strict, étendu sur de nombreuses générations – remontant si possible jusqu’à Saint-Louis).

Combien de fois n’a-t-on entendu cette phrase : On n’est plus chez nous ! Phrase où il faut surtout entendre le « chez nous ». Que des étrangers viennent s’installer en France, et c’est une partie du territoire national qui s’en va…

L’absence de « légitimité » de leur présence a pour corollaire la légitimité de leur expulsion.

Bien sûr, s’agissant des Roms, cette légitimité est renforcée par le fait qu’ils sont définis comme « gens du voyage », donc comme n’ayant pas de territoire. Leur roulotte (ou caravane) est leur seule demeure, ce qu’elle a sous ses roues ne leur appartient pas. Les Roms sont des quasi-apatrides (2)

Toutefois, on ne va pas expulser tout le monde… Comment choisir ?

Laissez-leur prendre un pied chez vous, / Ils en auront bientôt pris quatre : telle est la mise en garde de La Fontaine : ils y a les méchants étrangers, et il y a les autres. Tel est le critère.

Méfiez-vous des étrangers qui viennent chez vous avec l’intention de vous en expulser : vous leur offrez l’hospitalité et vous risquez de ne plus récupérer votre maison si vous leur en laissez le pouvoir. D’ailleurs c’est vrai non seulement de la présence physique des étrangers sur telle ou telle partie du territoire, mais aussi de leur mainmise sur tel ou tel domaine économique. Il faut donc les expulser avant.

Alors, c’est là que j’abandonne ma plaidoirie : car pour expulser les étrangers, la France choisit de le faire à l’encontre de ceux qui sont les plus faibles. Mais non pas comme le suggère La Fontaine parce qu’à attendre on risque de se faire expulser soi-même ; mais bien parce que c’est plus facile.

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(1) Sartre – Réflexions sur la question juive.

(2) Je mets « quasi » apatride pour ménager les susceptibilités. Mais quand on entend un ministre roumain dire qu’il faut désigner les Roms par le terme de Tsigane, parce que « Roms » devrait être réservé aux autres roumains, on se dit que cette précaution est superflue.

Monday, September 13, 2010

Citation du 14 septembre 2010

Tant que les hommes pourront mourir, et qu'ils aimeront à vivre, le médecin sera raillé et bien payé.

La Bruyère – Les Caractères

La santé n’est qu’un mot qu’il n’y aurait aucun inconvénient à rayer de notre vocabulaire.

Jules Romain – Knock ou le triomphe de la médecine.

Tous les hommes peuvent mourir et ils aiment vivre nous dit La Bruyère. Que voulez-vous ajouter à ça ?

Peut-être ceci, évoqué également dans notre citation, que notre rapport à la médecine se comprend d’abord à partir de là.

Déjà, elle explique ce paradoxe : au XVIIème siècle, l’époque où les médecins étaient fort incapables de guérir leurs patients – et cela se savait – on recourrait quand même à leurs soins comme si de rien n’était. Ultime et dérisoire espoir… Le médecin est alors en concurrence avec le prêtre, parce qu’il opère sur le même terrain : tout comme les prêtres de l’époque de La Bruyère s’évertuent à rappeler à leurs ouailles qu’ils peuvent mourir à tout instant et que donc il est urgent qu’ils assurent leur salut et qu’ils se prosternent à leurs pieds, le médecin assure qu’il sait ce qu’il faut faire pour éviter de mourir.

- Loin de ces préoccupations métaphysiques, le docteur Knock apparaît comme un médecin molièresque mais aussi un peu escroc. C’est un charlatan génial, qui suscite le besoin pour ensuite le satisfaire. Mais au avant de susciter la peur de la mort, sa charlatanerie consiste à ruiner la tranquille certitude de posséder la santé.

La santé n’est pas pour lui un état, c’est un rapport mouvant entre des forces antagonistes et toutes mortifères. Devant ses patients incrédules il développe une conception « scientifique » de la santé, fragile équilibre entre des pathologies différentes.

Aujourd’hui, sommes nous si loin de tout ça ? Le docteur Knock ferait il encore fortune s’il ouvrait maintenant son cabinet ?

Ce qui a changé aujourd’hui par rapport à la pièce de Jules Romain, c’est qu’il supposait ses villageois comme de gaillards insouciants à qui il fallait d’abord rappeler leur fragile condition, alors que ce n’est plus notre cas. Nous sommes en effet déjà persuadés que de terribles dangers nous menacent, dès que nous mangeons, dès que nous buvons, dès que nous respirons : la pollution, les pesticides, les bactéries résistantes aux antibiotiques, les radicaux libres, le bafouillage de la réplication d’ADN, … tout ça nous pousse vers la tombe.

En plus de ça, alors que le docteur Knock n’a plus les prêtres comme rivaux, et qu’il n’en a même pas même pas chez ses confrères, la médecine est aujourd’hui concurrencée sur le terrain de la santé par toutes sortes d’autres agents : des nutritionnistes pour éviter le cancer et pour garder la forme ; des psycho-zen pour guérir du stress générateur de crise cardiaque ; des spécialistes du fengshui pour canaliser les énergies qui circulent dans la maison.

Si avec tout ça vous mourez quand même, avouez que vous l’aurez fait exprès.

Sunday, September 12, 2010

Citation du 13 septembre 2010

Les étoiles, on ne les désire pas ; on ne peut que se réjouir de leur splendeur

Goethe

"Désirer" est issu […] de sidus, - eris (astre). Le verbe latin signifie littéralement "cesser de contempler (l'étoile, l'astre)", d'où, moralement, "constater l'absence de", avec une nuance de regret. Le désir, au sens étymologique, c'est le regret d'un astre disparu, c'est la nostalgie d'une étoile.

A.Rey Dictionnaire historique de la langue française

Goethe part de l’idée que je ne désire que ce qui m’est accessible, même si cette accessibilité est sans proportion avec mes forces réelles. L’étoile est peut-être splendide, mais elle est surtout symbole de distance : l’étoile est tout au fond de l’espace, hors de ma portée

Pourtant, l’étymologie nous le rappelle : désirer vient d’un verbe latin signifiant proprement : regretter l’absence de l’étoile.

C’est qu’il y a plusieurs façons d’être inaccessible :

- il y a l’inaccessibilité selon l’espace – celle à la quelle fait allusion Goethe.

- Et il y a l’inaccessibilité selon le temps : comme lorsque je désire ce qui n’est pas encore ; ou bien, comme ici dans le regret de l’absence, ce qui n’est plus.

Peut-on désirer une étoile ?

Dans le désir, il y a toujours un élan pour la possession : désirer c’est vouloir posséder. Alors, certes l’espace qui se creuse entre les étoiles et nous est un obstacle infranchissable ; mais en plus – et surtout – pour désirer posséder l’étoile, il faudrait aussi pouvoir s’en servir : Sartre dira que nous n’avons pas avec les étoiles un rapport d’instrumentalité : elles sont là, et elles ne peuvent nous servir de rien. Pas même à nous donner du plaisir.

Pourtant, comme le dit Rey il y a regret d’un astre disparu : c’est donc qu’il y a la nostalgie d’un plaisir. Il y aurait donc malgré tout un plaisir à espérer de l’étoile – celui de la contempler. L’astre disparaît, il bascule de l’autre côté de l’horizon : là où il y avait le plaisir de le contempler, il n’y a plus qu’un souvenir…

On retrouve ainsi l’idée que le désir est toujours désir d’une jouissance passée, que le désir cherche à retrouver ce qui lui a permis ses premières jouissances. C’est, comme le dit le psychanalyste la première fois qui est toujours la bonne.

Oui, mais qu’on désire retrouver le sein maternel, je le comprends. Mais je reste avec l’idée que c’est Goethe qui a raison : les étoiles, on ne les désire pas, parce qu’en réalité, elles ne nous ont jamais procuré de jouissance. Les étoiles ne peuvent procurer qu’une chose, c’est de la sidération (1).

- C’est donc là une troisième forme de distance : c’est la disproportion entre la belle chose et nous, celle qui nous « coupe le souffle ». La splendeur de l’étoile est de cette nature. Cette beauté-là est à proprement parler sidérante, et si nous pouvions la posséder, elle disparaîtrait.

(1) Sidération : Brusque disparition des fonctions vitales, caractérisée par un arrêt de la respiration et un état de mort apparente.

Saturday, September 11, 2010

Citation du 12 septembre 2010

Ne sait-on pas que la morale est pour les prêtres ce que l'hygiène est pour les médecins ?

Rivarol – Seconde lettre à Necker

Hier, nous avons établi que pour que certaines citations soient aujourd’hui admissibles il faudrait en inverser la formulation.

Avec cette citation de Rivarol, c’est à peu près la même chose, à cette différence près que cette inversion était nécessaire déjà à l’époque où elle a été écrite. L’hygiène médicale a repris presque textuellement les prescriptions morales des prêtres, dans le domaine de la vie sexuelle particulièrement.

On lira à ce propos le livre d’Alain Corbin intitulé : l’harmonie des plaisirs, et sous-titré : Les manières de jouir du siècles de Lumières à l’avènement de la sexologie.

Pour faire simple, Corbin rappelle que les médecins hygiénistes, ont repris les interdits religieux concernant l’exercice de la sexualité. Mais ils l’ont fait en établissant une rigoureuse économie de la semence mâle, doublée d’un contrôle de la sexualité féminine. Il ne s’agit plus ici de salut de l’âme, mais de préservation de la fertilité des individus, et aussi de préservation de leur santé. Là où les prêtres parlaient d’interdits divins, ils parlent de « vœu de la nature ». Là où la religion voit dans l’excitation sexuelle un péché mortel, les hygiénistes parlent de dégénérescence et de risque de mort. On pense bien sûr au manuel de Tissot (voir ici l’article bien documenté de Wikipédia), mais Corbin en cite bien d’autres.

On ne saurait être plus explicite.

Mais, alors que l’église voit dans la procréation la seule justification de la sexualité, en sorte que c’est vu sous cet angle que la masturbation est un vice particulièrement odieux (1), la médecine fait de la semence mâle un liquide précieux qu’il convient de ne répandre que dans le « vase féminin ».

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(1) Nous avions eu l’occasion de rappeler que le péché d’Onan est bel et bien d’avoir préféré répandre sa semence sur le sol plutôt que d’en féconder sa belle sœur comme il en avait reçu l’ordre de son propre père (voir ici).

Friday, September 10, 2010

Citation du 11 septembre 2010

Faites-moi de bonne politique et je vous ferai de bonnes finances.

Baron Louis – Phrase historique prononcée en 1830

Comme les choses changent : ce qui devait paraître évident en 1830 est devenu totalement incongru aujourd’hui, au point qu’on lirait maintenant sans sursauter cette phrase si elle était inversée : Donnez moi de bonnes finances, et je vous ferai de la bonne politique.

Pourtant, le baron Louis, ministre des finances à cinq reprises, et sous des régimes différents savait de quoi il parlait (1). Je crois comprendre en tout cas qu’il voulait dire que dans un pays, l’organisation sociale, la décision de créer des infrastructures (routes, ponts, ports, etc.), l’établissement d’une paix juste et durable avec les pays voisins – toutes choses dont les politiques ont la charge – étaient la condition du développement économique, donc de finances saines.

Que dit-on aujourd’hui ? Que pour gouverner il faut avoir les moyens nécessaires pour faire ce qu’il convient afin que le peuple soit satisfait, que c’est là, comme le soulignent Luc Ferry et Alain Renaut que gît la véritable légitimité politique (2). Au point que lorsque le mécontentement populaire se manifeste contre des projets gouvernementaux (comme c’est le cas en ce moment en France avec le projet de réforme des retraites), la légitimité venue des urnes est remise ne cause par les protestations de la rue.

Sans argent, pas de bonne politique, à moins d’admettre comme les anarchistes libéraux qu’il y a toujours trop d’Etat et que la cure d’austérité qui lui est imposée par la crise financière est une très bonne chose.

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(1) Pour une rapide biographie du Baron Louis, voir ici.

(2) Luc Ferry et Alain Renaut – Philosophie politique, 3, Postface. Il s’agit de la distinction entre les droits liberté et les droits créance. Ces derniers sont constitués par les « service publics » que l’Etat est censé apporter aux citoyens, tels que la sécurité, l’éducation, les services de santés etc. Alors que les droits liberté supposent la limitation du pouvoir de l’Etat (supposé menacer les libertés individuelles), les droits créances supposent au contraire un renforcement de celui-ci.

Cette contradiction a été l'un des enjeux , aux Etats-Unis, du débat sur la réforme de l'assurance santé.

Thursday, September 09, 2010

Citation du 10 septembre 2010

Pour rétablir nos finances, il faut déclarer la guerre à la Suisse, puis la perdre afin d'être envahis et de disposer enfin d'une monnaie forte.

Coluche

Une phrase, 3 idées – 3 idées, 3 erreurs…

- D’abord, l’idée que les Suisses pourraient envahir un pays et le doter de leur monnaie… Les nombreuses votations par les quelles les Suisses ont refusé l’élargissement de leurs frontières à l’Europe Unie montrent à l’évidence qu’ils n’y songent vraiment pas.

- Ensuite, l’idée qu’il faut perdre une guerre pour changer de monnaie. J’admets qu’à l’époque où Coluche prononçait cette sentence, on croyait encore dur comme fer que la monnaie était le cœur de la souveraineté, et que « battre monnaie » constituait le pouvoir régalien ultime. La création de l’euro nous a bien détrompés.

- Mais surtout, l’idée que pour rétablir nos finances, il nous faut disposer d'une monnaie forte.

Si on veut bien laisser un simple citoyen – comme moi – s’exprimer sur un sujet aussi technique, voici ce qu’il dira : la santé financière d’un pays peut avoir deux assises :

- l’une qui vient des profits réalisés entre autre – ou surtout : voyez l’Islande, la Grande-Bretagne, l’Irlande, etc… – grâce à la spéculation financière. Là, je ne vois pas du tout ce qu’une monnaie forte pour avoir comme intérêt.

- L’autre qui vient des performances de l’économie « réelle », comme la production industrielle et le commerce.

Là encore, les épisodes récents de la crise mondiale de la finance montrent que la monnaie forte non seulement n’est pas indispensable à la prospérité d’un pays, mais qu’elle peut aussi lui faire obstacle. Que n’a-t-on dit sur la baisse de l’euro par rapport au dollar ? entre autre que si cette baisse résultait du manque de confiance des financiers-spéculateurs sur les chances de rétablissement de l’économie européenne, en revanche elle créait une opportunité de retour de la croissance…

On a même suggéré que la Grèce en rétablissant la drachme pourrait rétablir en même temps son économie…

Wednesday, September 08, 2010

Citation du 9 septembre 2010

Le ministère des Finances devrait s'appeler ministère de la Misère puisque le ministère de la Guerre ne s'appelle pas ministère de la Paix.

Jacques Prévert – Histoires

C’est en 1946 (selon Wikipédia – voir ici) que Prévert aurait écrit cette phrase. En tout cas ce n’est sûrement pas plus tard, car en 1948 le ministère de la guerre est devenu le ministère de la défense nationale, ce qu’il est resté peu ou prou jusqu’à nos jours…

Pourquoi a-t-on laissé tomber cette désignation en 1948 ?

Ministère de la guerre… Mieux vaut en effet oublier cette finalité, si on veut rester sympathique pour les citoyens. Car en matière de guerre, on devait en 1948 garder encore à l’esprit les prouesses de l’armée française en mai-juin 40…

Donc, changement d’objectif.

Par contre pour le Ministère des finances, les choses sont un peu plus compliquées.

Déjà, il est dédoublé :

- Ministère de l'Économie, de l'Industrie et de l'Emploi (titulaire : Christine Lagarde)

- Ministère du Budget, des Comptes publics et de la Réforme de l'État (titulaire François Baroin).

On remarquera qu’ici, plus de fonction assignée : juste un détail des opérations effectuées. C’est comme si le Ministère de l’éducation nationale devenait le Ministère de l’école élémentaire, des collèges et des lycées… Façon de se désengager de l’action politique et se de se limier à des opérations de gestions.

Mais enfin, Prévert nous dit quand même bien autre chose : c’est qu’en politique on nous ment la plupart du temps, et que le discours sert plus à nous tromper qu’à nous révéler la vérité. Car si le ministère de la guerre prépare bien la guerre, celui des finances fabrique bien de la misère.

Pas de finances sans production de misère. Voilà le message.

Je n’ai rien à ajouter.

Tuesday, September 07, 2010

Citation du 8 septembre 2010

L'erreur préférable à l'inquiétude.
Lorsqu'on ne sait pas la vérité d'une chose, il est bon qu'il y ait une erreur commune qui fixe l'esprit des hommes, comme, par exemple, la lune, à qui on attribue le changement des saisons, le progrès des maladies, etc. ; car la maladie principale de l'homme est la curiosité inquiète des choses qu'il ne peut savoir ; et il ne lui est pas si mauvais d'être dans l'erreur, que dans cette curiosité inutile.

Pascal – Pensées (Fragment Le Guern 628)

L'erreur préférable à l'inquiétude… Deux observations donnent raison à Pascal :

- La première, c’est l’incroyable crédulité des « gens » (= tous sauf nous, bien sûr !) a admettre une affirmation tout à fait invérifiée sous réserve qu’elle soit affirmée avec conviction et surtout qu’elle donne réponse à une interrogation qu’ils se posent. (1)

- La seconde, c’est l’attachement que nous avons pour nos opinions dès lors qu’elles nous mettent à l’abri du doute. Le doute, ressenti comme une maladie de l’âme – ou au moins une de ses faiblesses. Pour un néophyte, lire Descartes, présente une difficulté majeure : admettre qu’on puisse douter par volonté de savoir. C’est peut-être encore plus difficile à comprendre que le cogito.

Voyez l’exemple donné par Pascal : le rôle de la lune dans les épisodes climatiques, voire même dans l’évolution des maladies (pensons aux lunatiques). Même moi, qui ne fréquente pas spécialement les jardiniers, j’ai renoncé à ricaner quand ils affirment cultiver avec la lune : a quoi bon se faire des ennemis pour si peu…

Mais lisons d’un peu plus près le texte de Pascal. Il contient une remarque qui doit nous faire dresser l’oreille (ou les neurones ? Oui, si vous voulez) : il ne lui est pas si mauvais d'être dans l'erreur, que dans cette curiosité inutile. Ce qui compte, voyez-vous, ce n’est pas ce que nous faisons objectivement avec notre savoir (comme d’amender le sol du jardin si nous connaissons sa composition, ou lancer une fusée grâce à des calculs balistiques), mais bien ce que ce savoir produit en nous.

La connaissance pour Pascal – du moins dans ce fragment – doit être évaluée en termes psychologiques. Et c’est avec ce critère qu’elle est mise en compétition avec la croyance.

Ou avec la foi.

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(1) C’est ce que dira Lévi-strauss dans un texte justement célèbre, cité et commenté ici.

Monday, September 06, 2010

Citation du 7 septembre 2010

Cueillez la grappe pendant qu'elle pend, on ne fait pas toujours vendange.

Marivaux – Télémaque travesti

[J’en vois qui ricanent : ils se disent peut-être que je vais leur servir un Post sur ces grappes qui pendent et qu’il faut cacher derrière des feuilles de vignes – et qu’il vaudrait mieux justement qu’elles ne pendent pas ? Que nenni ! Je célèbre la vigne et le vin. Point barre. –]

Vendanges 3

Ah... La date des vendanges…. Leur détermination donne lieu à bien des spéculations, à bien des paris. Et pourtant elle est fixée par des experts – un peu comme la date du ramadan.

C’est qu’en effet, on ne fait pas toujours vendange, et il appartient aux spécialistes de dire quel est le moment opportun, sans quoi la récolte est fichue.

- On devine qu’il s’agit aussi pour Marivaux de nous alerter à propos des étapes de la vie : sachons profiter de ce que chacune nous offre sans quoi il sera bientôt trop tard pour en profiter.

Oui, mais il existe aussi des vendanges tardives, et ce sont même celles qui donnent les vins les plus précieux, les plus recherchés.

Laissons de côté les aspects techniques de ces vendanges, et retenons qu’il y a des cépages qui donnent le meilleur d’eux-mêmes quand ils sont en « surmaturité », c'est-à-dire desséchés, donc concentré (1).

Exactement comme avec les âges de la vie humaine, il y a donc des âges du raisin qu’il faut savoir reconnaître et utiliser.

C’est ainsi que nous laisserons les raisins verts de côté (2) ; l’immaturité n’est pas bonne à consommer et il en va de même chez les hommes : comme le disait Platon, ne nous attachons pas aux enfants parce que nous ne savons pas ce qu’ils deviendrons à l’age adulte.

Mais il faut admettre que la surmaturité est – éventuellement – intéressante, et qu’elle offre des avantages que la maturité n’offre pas. Et la métaphore peut là aussi être filée : les seniors sont légion désormais ; sachez, vous les jeunes, tirer parti de cette abondance !

Comme j’ai juré de maintenir haut le niveau moral de ce post, je laisse à d’autres les analogies avec les vendanges de l’amour (3). Mais il y a bien d’autres avantages à courtiser des personnes d’âge mûr… voire très mûrs.

Demandez à François-Marie Banier…. (4)

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(1) Pour ceux qui ne connaîtraient pas, voici l’article de Wikipédia :

« En France, l'appellation Vendanges tardives est réservée aux vins d'Alsace élevés à partir de cépages récoltés en surmaturité, plusieurs semaines après l'ouverture officielle des vendanges.

Les cépages utilisés sont les cépages dits "nobles" : le riesling, le pinot gris, le gewurztraminer et le muscat d'Alsace. Les arômes du cépage et la puissance de ces vins sont accentués grâce au phénomène de concentration de sucres dû au dessèchement des grappes, ainsi qu'au développement de la pourriture noble (botrytis cinerea). »

(2) La Fontaine – Le renard et les raisins

(3) Avouez que vous l’attendiez depuis le début, celle là… La voici pour ceux qui ont eu la patience de lire jusqu’ici.

(4) Pour ceux qui ont passé leurs vacances sur Mars et ne rentrent que maintenant : voir ici