Tuesday, June 30, 2009

Citation du 1er juillet 2009

Im Anfang war die Tat! (Au commencement était l’action!)

Goethe – Faust I – Cabinet d’étude <1> (vers 1237) (1)

Faust est ici dans son cabinet de travail ; il traduit la Bible, et s’attache à l’Evangile de Jean.

Celui-ci a écrit : en archè ên o logos, qu’on traduit depuis Luther par « Au début était le Verbe » (o logos = das Wort).

En réalité, avant d’en venir à la formule citée, Faust a essayé d’autres adaptations.

Successivement :

- Au commencement était la pensée ;

- Au commencement était la force.

C’est qu’il ne s’agit pas simplement de définir la matière première du monde ; il faut aussi découvrir ce qui agit pour le créer. Ce principe créateur, en pénétrant la Création, imprime en elle sa marque, lui donne son sens.

Si le principe créateur était la Parole de Dieu c’est l’acte de la proférer qui est l’acte créateur.

Mais si c’est le sens des mots qui importe, c’est alors la pensée qui prime. Qu’importe que Dieux ait proféré les paroles qui ont accompagnées la Création ; ce qui compte c’est qu’il les ait pensées – même s’il les avait gardées in petto (2).

Pourtant, la Création est une œuvre qui a pour fonction de révéler la toute puissance du Seigneur, car si elle suppose une force qui surpasse tout ce qu’on peut imaginer, nous pouvons néanmoins la deviner en contemplant ses effets.

Et donc, la force n’est rien sans son application. Pas de création sans un « fiat » : fiat lux, (très mal traduit pas « Que la lumière soit ! »). Autrement dit la force doit être action.

Ou si l’on préfère, et pour en revenir plus modestement à l’homme, rien ne préexiste à l’action. Le projet, l’intention, sont déjà des actions ou bien ne sont rien. Rien n’agit qui ne transforme ce qui existe déjà ou qui ajoute une existence de plus.

Oui, Au commencement était l’action ; mais sans oublier la force. Car, que voit-on dans le désir ? C’est que tout ce qu’il est capable de produire est le fantasme.

Et le fantasme c’est la pensée plus l’action sans la force.


(1) Lire le Faust de Goethe dans la traduction de Jean Lacoste et Jacques Le Rider, publié chez Bartillat. On y trouve pour la première fois réunies en Français, les trois versions de Faust (Urfaust, Faust I, Faust II)

(2) In petto : de l’italien in pectore, « dans la poitrine » Ce qu’on pense sans le dire.

Monday, June 29, 2009

Citation du 30 juin 2009

Ce sont les étoiles, les étoiles tout là-haut qui gouvernent notre existence.

Shakespeare – Le Roi Lear

Amateurs d’horoscopes, en quoi croyez-vous ?

1 – Si hautes soient-elles, les étoiles gouvernent notre existence, si basse soit celle-ci.

Non, l’homme n’est pas seul dans l’univers, mais pour cela il n’a pas besoin de Dieux ni de créatures étranges débarquant de vaisseaux spatiaux. Il a les constellations qui par une sympathie entre le macrocosme et le microcosme entraînent par leur mouvement éternel sa propre existence. Contrairement à ce que pensait Aristote, le désordre n’est pas possible, même dans le monde qui est le notre (1). De fait l’astrologie est plutôt platonicienne – et même néo-platonicienne – qu’aristotélicienne.

Ainsi, notre existence, si désordonnée soit-elle, est encore gouvernée par l’ordre immuable des étoiles.

2 – L’existence humaine n’est l’œuvre ni du hasard, ni de la liberté, mais de la Nécessité universelle.

Toute existence est définie dès la naissance, au point qu’il est arrivé qu’on étouffe les nourrissons à leur naissance parce que l’Astrologue avait déterminé qu’ils seraient des criminels. Ainsi d’Œdipe dont l’oracle avait prédit qu’il tuerait son père et qu’il épouserait sa mère, abandonné aux bêtes sauvages dès sa naissance. Ayant survécu et commis tous les forfaits qu’on avait prédits, il fut coupable – mais pas responsable.

Prétendre être libre, c’est aller contre le destin pour imprimer dans l’univers un nouveau chemin, prétendre être une cause nouvelle, à côté des étoiles.

Un monde sans choix, une vie sans culpabilité… Que demander de plus ?


(1) Qu’il nommait monde sublunaire pour dire qu’il s’étendait entre la terre et la lune.

Sunday, June 28, 2009

Citation du 29 juin 2009

Presque tout ce qui va au-delà de l'adoration d'un Être suprême et de la soumission du coeur à ses ordres éternels est superstition.

Voltaire – Dictionnaire philosophique

Quelle est cette étrange prétention de la superstition à aller au-delà de l'adoration d'un Être suprême et de la soumission du coeur à ses ordres éternels ? Peut-on seulement penser un tel au-delà ?

Hé bien, la réponse va de soi : au-delà de l’adoration et de la soumission il y a la volonté de commander à l’Etre suprême.

Et précisément, c’est bien là l’essentiel dans la superstition : car se livrer à des rites bizarres pour obtenir ou pour éviter tel ou tel évènement relève de la certitude qu’on peut gouverner les décrets de l’Être suprême – ou du Destin ce qui en est l’autre nom. C’est d’ailleurs selon Bergson ainsi que de définit la magie.

La religion catholique, pour ne parler que de la religion que je connais le moins mal laisse d’ailleurs une place considérable à la superstition telle que définie par Voltaire : le culte des saints, les pèlerinages,etc… le montrent aisément. Du reste, on sait qu’à la Révolution, le mot de religion était systématiquement remplacé par celui de superstition (1)

Reste à savoir si la définition de la superstition permet d’établir réciproquement celle de la religion : suffit-il d’adorer un Être suprême et de se soumettre du coeur à ses ordres pour être religieux ?

Selon Durkheim, un élément capital manque : c’est le collectif. Une religion, nous dit Durkheim, suppose une communauté morale, sans la quelle elle ne saurait exister. Toute relation personnelle entre Dieu et le fidèle se découpe sur le fond de cette pratique.

Une religion est un système solidaire de croyances et de pratiques relatives a des choses sacrées, c’est-à-dire séparées, interdites, croyances et pratiques qui unissent en une même communauté morale, appelée Église, tous ceux qui y adhèrent (Durkheim – Les formes élémentaires de la vie religieuse Livre 1, I, 4)

Quand les Eglises sont vides, Dieu est mort.


(1) Occasion de rappeler qu’on reconnaît une révolution à ce qu’elle va jusqu’à révolutionner le langage.

Saturday, June 27, 2009

Citation du 28 juin 2009

On m'a rapporté qu'un jour Malraux interrogea un vieux prêtre, pour savoir ce qu'il retenait de toute une vie de confesseur, quelle leçon il tirait de cette longue familiarité avec le secret des âmes... Le vieux prêtre lui répondit : "Je vous dirai deux choses : la première, c'est que les gens sont beaucoup plus malheureux qu'on ne le croit ; la seconde, c'est qu'il n'y a pas de grandes personnes." C'est beau, non ? Le secret, c'est qu'il n'y a pas de secret. Nous sommes ces petits enfants égoïstes et malheureux, pleins de peur et de colère...

Comte-Sponville – L'amour la solitude

Permettez-moi, avec mon commentaire de cette citation de me livrer à un petit jeu de miroir : car la phrase de Comte-Sponville est déjà un commentaire d’une citation de Malraux.

Peut-on commenter un commentaire ? Vouloir décrire le reflet d’un miroir, est-ce autre chose que d’ajouter un reflet supplémentaire ? Et pourquoi un de plus ?

Mais aussi fait-on jamais autre chose ? Je ne sais plus qui disait que tous les philosophes n’ont jamais rien écrit d’autre que des gloses dans les marges des ouvrages de Platon…

Toutefois, on voit dans ce petit texte que Comte-Sponville ne cherche pas à nous donner une explication de la citation de Malraux. Cela, il admet justement que ce n’en est pas la peine, que nous l’avons tous comprise aussi bien que lui. Par contre, ce qu’il veut nous communiquer, c’est la lumière qu’elle allume en lui.

Le secret, c'est qu'il n'y a pas de secret. Il n’y a pas de secret de la confession, car elle ne révèle rien qu’on ne sache déjà.

Maintenant, armés de cette vérité, libre à nous de tracer notre route : soit nous contestons sa conclusion, soit nous la tenons pour une incitation à nous éveiller à la vie adulte. En tout cas nous irons ailleurs que là où il nous a conduit, ailleurs parce qu’il nous plante là : à toi de tailler la route, mon fils.

Mais ce n’est pas toujours sans risque : Deleuze disait : Quand j’ai commencé à commenter Nietzsche, je voulais lui faire un enfant. Mais c’est lui qui m’en a fait un.

Est-ce plus mal ?

Friday, June 26, 2009

Citation du 27 juin 2009

Il ne faut pas dire qu'un acte froisse la conscience commune parce qu'il est criminel, mais qu'il est criminel parce qu'il froisse la conscience commune.

Emile Durkheim – De la division du travail social

Terrible sociologie… S’il est vrai que rien ne préexiste au groupe social, alors oui, il faut dire qu’un acte est criminel parce qu'il froisse la conscience commune – et non l’inverse.

La justice est à la fois une institution et un sentiment ; mais elle est un sentiment presque avant d’être une institution, et en tout cas on pourrait dire que la conscience commune qui la constitue est plus proche du sentiment que de l’institution.

Je sais… Vous allez me dire que ce n’est pas parce qu’on a toléré pendant des siècles le viol et la pédophilie que ces actes n’étaient pas criminels. Mais qui êtes vous donc pour en juger ? Le Bon Dieu ? La Raison Universelle ? Ne vaudrait-il pas mieux se placer au point de vues des romains, des ostrogoths ou des burgondes ?

…..

J’ai mieux comme exemple : le téléchargement illégal.

Peut-on dire qu’il froisse la conscience commune ? Ça se saurait. Est-il malgré tout illégal ?

Si la loi le dit, alors, n’est-ce pas… Mais voyez-vous, les difficultés sans nombre que le gouvernement, pourtant appuyé sur une fidèle majorité, rencontre avec sa loi Hadopi me donnent à penser que Durkheim n’a peut-être pas tort.

En tout cas, il est intéressant de pointer que c’est la pénalisation du téléchargement illégal qui fait problème. On admettra peut-être qu’il met en danger certaines industrie ou certains créateurs, et qu’il faut donc quelque chose pour les protéger, ou les dédommager. Mais ce qui ne passe pas, c’est que l’on pose comme un véritable vol ce qui n’est ressenti que comme un acte banal voire même normal par ceux qui le font.

Alors, on contestera que les voleurs n’existent pas ailleurs que dans les récriminations des volés. Mais ici, on a affaire à la conscience commune, ce qui est un peu différent.

Thursday, June 25, 2009

Citation du 26 juin 2009

Je suis pour le partage des tâches ménagères. A la maison, par exemple, c'est moi qui passe l'aspirateur – à ma femme.

Philippe Geluck – Le Chat à Malibu

- Philippe, j’te dérange ?

- Je bosse Régis.

- Merci… Oh ! Des p’tits Lu, ceux que je préfère !

- Et à moins 50% avec la carte Leclerc !

Tout le monde je suppose a les oreilles rebattues par les pubs de ce genre. Je veux dire : des publicités où les hommes prennent la place des femmes pour vanter des produits d’entretien quotidien de la maison. Des « ménagers » qui supplantent la ménagère de moins de 50 ans.

Mais alors que cette inversion des rôles était une manière de stimuler la curiosité des consommateurs il y a encore quelques années, aujourd’hui on n’y fait même plus attention : le Philippe, c’est lui qui fait les courses chez Leclerc, et moi qui vous parle, moi qui fait de même chez Cora, je peux vous dire qu’il y en a de plus en plus – alors qu’il y a 20 ans les mecs attendaient leur ménagère dans l’auto sur le parking, qu’il y a 10 ans ils allaient avec elle le samedi matin dans les rayons bazar pour passer le temps en bavant d’envie devant les Télés, les voici aujourd’hui qui vont acheter tout seuls, comme des grands les couches culottes du dernier né, et surveiller les bonnes affaires qui vont épater madame quand elle sera rentrée du travail.

Voilà donc deux bonnes raisons d’abandonner la formule « ménagère de moins de 50 ans » pour désigner les personnes qui décident des achats domestiques quotidiens. D’abord, c’est super-ringard : qui donc a envie de se compter au nombre des ménagères de etc… ?

Et puis c’est faussé car si la pub Leclerc dure depuis si longtemps, c’est que la cible masculine était plutôt un bon choix.

D’ailleurs, je vous quitte : aujourd’hui j’ai 10% de remise avec ma carte Malin sur tous le produits Cora. A ne pas manquer !

Wednesday, June 24, 2009

Citation du 25 juin 2009

En vérité, ce serait folie que de laisser fille monter au trône ! Voyez-vous dame ou donzelle commander les armées, impure chaque mois, grosse chaque année ? Et tenir tête aux vassaux, alors qu’elles ne sont point capables de faire taire les chaleurs de leur nature ?

Non, moi je ne vois point cela, et je vous le dis, la France est trop noble royaume pour tomber en quenouille et être remis à femelle.

Les lis ne filent pas !

Gaucher V de Châtillon, connétable de France– Discours au conseil de régence de juillet 1316

On peut lire ici de détail des circonstances dans les quelles ces phrases furent prononcées. En tout cas elles avaient clairement pour but d’écarter les femmes du trône de France (loi salique).

Pourquoi reprendre cette citation aujourd’hui, alors que je suis sûr de donner des aigreurs d’estomacs à bon nombre de mes lecteurs ?

Comparons la misogynie de la tradition à celle qui pourrait bien avoir encore cours aujourd’hui.

Gaucher de Châtillon énumère 3 imperfections qui destitue les femmes de l’exercice du pouvoir :

- elles sont impures une fois par mois ;

- elles sont grosses une fois par an ;

- elles ne dominent pas leurs chaleurs.

Et aujourd’hui ? Il faudrait demander aux femmes qui sont à la recherche d’un emploi comment se passent les choses quand elles sont en concurrence avec des hommes.

Laissons de côté l’impureté menstruelle, qui décidément fait partie des fantasmes abandonnés par notre civilisation (mais, c’est vrai, sûrement pas par toutes).

Par contre combien s’entendent demander par le DRH si elles ont des enfants, si elles désirent en avoir, etc… Même s’il ne s’agit pas de mettre armure et de monter à cheval pour bouter l’anglais hors de nos frontières, la question de la disponibilité physique des femmes dans l’entreprise reste un motif de leur mise à l’écart.

Et leurs émotions au contact des hommes ?

- Alors c’est vrai, les rudes chevaliers du 14ème siècle comme Gaucher de Châtillon avaient sûrement un pouvoir de séduction que nous n’avons plus: car aujourd’hui, reconnaissons qu’il est rare qu’on fasse tant d’effet sur une femme ; et admettons que, par contre, ce sont elles en réalité qui bien souvent nous « émeuvent ».

Et donc les DRH qui recherchent des commerciaux ou des hôtesses d’accueil savent bien qu’un affriolant décolleté ou des hanches épanouies peuvent constituer un atout dans les négociations.

Tuesday, June 23, 2009

Citation du 24 juin 2009

Dans cette société du théâtre des apparences, le paraître prime sur l'être. Chacun le sait, mais tout le monde y cède. La débauche de communication masque l'ignorance, l'incompétence ou le manque de pouvoir. On donne l'illusion de traiter des choses. Mais la désillusion est totale, et le discrédit des politiques s'accroît.

Nicolas Hulot – L'An I de l’ère écologique et dialogue avec Nicolas Hulot, p.113

Fichtre ! L’autre Nicolas, quand il se met à philosopher, il ne fait pas les choses à moitié.

Et en plus il balance – dur !

La critique politique est aujourd’hui plus dure à mener que dans les époques où elle devait se faufiler entre les mailles de la censure. Car ce qui fait obstacle à la critique du pouvoir aujourd’hui, c’est qu’elle ne peut dénigrer ses ennemis politiques sans s’inscrire dans les mêmes tromperies. Opposer la dénonciation à l’autosatisfaction, c’est opposer discours à discours.

Car, pour tous ceux qui oeuvrent dans le registre de la politique, le paraître prime sur l'être. (1)

Et pourquoi ? Parce que les hommes politiques se distinguent par :

- l’ignorance

- l’incompétence,

- le manque de pouvoir.

Et si l’ignorance et l’incompétence peuvent se rattraper, le manque de pouvoir est en politique avant tout un manque de volonté. Et ça, ça ne se rattrape pas.

Passons. Dans ce petit texte de Nicolas Hulot, il y en a pour tout le monde, et donc aussi pour nous.

Car ce qui compense ces carences, c’est la débauche de communication.

Or, voyez-vous cette débauche ne peut compenser la nullité des politiques que parce que nous, les citoyens nous le voulons bien. Parce que nous croyons aux annonces qu’on nous fait, et que nous aimons croire aux discours politiques – que ce soient ceux du pouvoir en place ou ceux de l’opposition – plus qu’aux faits eux mêmes.

Comme le disait La Boétie, nous sommes complices de nos oppresseurs.


(1) A noter que nous sommes bien toujours dans le registre de la sophistique (voir le paragraphe consacré aux sophistes selon Platon ici).

Monday, June 22, 2009

Citation du 23 juin 2009

La peur de la mort qui est naturelle à tous les hommes, […] n'est pas un frémissement d'horreur devant le fait de périr, mais comme le dit justement Montaigne, devant la pensée d'avoir péri (d'être mort) ; cette pensée, le candidat au suicide s'imagine l'avoir encore après la mort, puisque le cadavre qui n'est plus lui, il le pense comme soi-même plongé dans l'obscurité de la tombe ou n'importe où ailleurs.

Kant, Anthropologie du point de vue pragmatique, § 27 (lire la suite ici)

Ce n’est pas la mort qui nous fait horreur, mais sa représentation. Et en se représentant notre mort, nous avons la pensée d'avoir péri.

Et en pensant que nous avons péri, nous nous pensons comme plongés dans l'obscurité de la tombe.

L’horreur éprouvée devant la représentation de notre mort tient au fait qu’on s’imagine encore vivant dans la tombe, en tout cas suffisamment vivant pour en être conscient. Nous sommes si peu capables de penser la mort – notre mort – que nous faisons comme si la seule différence entre les vivants et les morts tenait à cet enferment des morts dans leur tombeau. Et que nous n’ayons plus qu’un désir, c’est d’en sortir.

Ajoutez à ça les fantasmes de culpabilité que les vivants éprouvent par rapport aux morts, et vous obtenez les histoires de fantômes et de morts vivants qui reviennent hanter notre monde, dévorer notre chair et boire notre sang. Déjà, Homère racontait qu’Ulysse pour rencontrer Tirésias qui est confiné dans le royaume des morts, doit l’inviter à boire le sang des animaux sacrifiés à cette intention (1).

De profundis clamavi (2)… Bon, c’est vrai le mort ne clame pas contre les survivants. Mais on ne sait jamais.

Tenez, regardez ce monument funéraire, photographié dans le cimetière de Nice : ce mort qui soulève le couvercle de son tombeau nous fait frissonner. Heureusement que l’Ange est là, qui veille pour lui indiquer qu’il doit aller aux cieux et ne pas venir tirer les pieds des vivants.


(1) Odyssée, chant XI – Lire la traduction de Leconte de Lisle ici

(2) Du fond de l’abîme je crie vers toi, Yahweh…Psaume 130

Sunday, June 21, 2009

Citation du 22 juin 2009

Qu'il faut qu'un galant homme ait toujours grand empire / Sur les démangeaisons qui nous prennent d'écrire

Molière – Le Misanthrope (1)

Voilà : en lisant ça, on se dit que depuis Molière peu de choses ont changé dans les manies désastreuses de nos semblables ; en particulier celle d’écrire ce qui leur vient à l’esprit ; et – hélas – de le faire lire.

Idée étrange, mais très commune. Il n’est pour s’en persuader que de parcourir quelques uns des innombrables blogs dont regorge le Net – Blogs qui d’ailleurs sont directement issus du désir de publier et de faire lire nos écrits intimes, en balançant sur la Toile le produit de la décoction de nos neurones ; encore faut-il dire que les victimes sont désormais consentantes et que celles à qui ça casse les pieds peuvent ne pas les lire.

Bon, tout ça c’est bien connu. Elevons le débat.

- Aujourd’hui, précisément, ceux qui ne savent pas écrire proprement mais qui veulent publier quand même ont droit à l’assistance d’un rewriter – entendez : d’un nègre. Si votre nom fait vendre, et si votre existence intéresse, alors embauchez quelqu’un qui sache rédiger et racontez-lui votre histoire. Il saura la tourner galamment et vous pourrez vous en attribuer le mérite puisqu’on ne mettra pas son nom sur la couverture du livre. Si on l’appelle « nègre », c’est bien parce qu’il travaille sans gloire pour les autres, et donc qu’il reste dans l’ombre…

- Mais au fait, dites moi, on n’a pas dit que Molière lui-même avait un nègre pour écrire certaines de ses pièces ? Un nègre qui s’appelait comment déjà ? Corneille ???


(1) Voici la citation dans son contexte :

Monsieur, cette manière est toujours délicate, / Et sur le bel esprit nous aimons qu'on nous flatte. / Mais un jour, à quelqu'un, dont je tairai le nom, / Je disais, en voyant des vers de sa façon, / Qu'il faut qu'un galant homme ait toujours grand empire / Sur les démangeaisons qui nous prennent d'écrire ; / Qu'il doit tenir la bride aux grands empressements / Qu'on a de faire éclat de tels amusements ; / Et que, par la chaleur de montrer ses ouvrages, / On s'expose à jouer de mauvais personnages.

Saturday, June 20, 2009

Citation du 21 juin 2009

La raison est la plus grande des prostituées du diable… Par sa nature et ses procédés, elle est une prostituée nuisible, une prostituée mangée par la gale et la lèpre… Il faut lui jeter de la m… à la face afin de la rendre plus laide encore

Luther – Œuvres, édition de Weimar, tome LI, p. 126-129

La raison est la plus grande des prostituées du diable… Ça c’est de la haine ou je ne m’y connais pas : la haine de la raison, ce qu’on appelle depuis Platon la misologie (1).

Pourquoi tant de haine ? L’homme que les anciens définissaient dans leur sagesse comme « animal raisonnable », devrait-il pousser l’autodérision jusqu’à considérer que ce qui le caractérise le met en fait non pas au-dessus mais en dessous des animaux ?

Depuis longtemps, bien longtemps avant Luther, la révélation fut considérée par les Pères de l’Eglise comme le moyen, donné aux hommes par Dieu, de connaître ce que leur raison était impuissante à découvrir, et qui pourtant était nécessaire à leur salut.

Mais bien sûr, il fallait encore que la raison s’incline devant la révélation, qu’elle admette sa faiblesse et son incompétence.

Le domaine d’incompétence de la raison, selon Luther, est le domaine des fins dernières de la création, la valeur absolue pour la quelle le monde et l’homme ont été créés ; et c’est cela précisément que Dieu révèle à l’Homme. La raison ne peut quant à elle atteindre qu’au relatif, c'est-à-dire au comment et non au pourquoi. La misologie est alors l’attitude de l’homme religieux face à la présomption de la raison de parvenir à l’absolu, le dispensant de recourir à la Révélation ; présomption qui détourne l’homme de l’adoration de Dieu, et qui le précipite dans le péché – d’orgueil, mais pas seulement.

Il ne s’agit pas de vieilles histoires qui remontent au déluge. La question des fins dernières et celle du pourquoi des choses est bel et bien au cœur de nos problèmes.

Voyez la nature : nous savons qu’elle existe mais pas pourquoi elle existe. Ignorant le pourquoi, connaissant le comment on peut la mettre à sac sans vergogne : on ne va pas contre une valeur transcendante : puisqu’on ne la connaît pas, on peut faire comme si elle n’existait pas.

C’est ça la raison : la Dame Nature ne lui dit pas merci !


(1) Il ne peut rien arriver de pire à un homme que prendre en haine les raisonnements. Et la misologie vient de la même source que la misanthropie. Platon – Phédon, 89d

- Platon : la misologie est une erreur, une généralisation abusive, qui conclut de l’erreur de certains raisonnement à une incapacité générale de la raison à connaître. C’est alors qu’elle est une illusion identique à la misanthropie qui conclut de la corruption de quelques hommes à celle de l’humanité.

Tiens, la cadeau du dimanche : une référence à Kant. Dont voici un extrait :

En fait nous remarquons que, plus une raison cultivée s’occupe de poursuivre la jouissance de la vie et du bonheur, plus l’homme s’éloigne du vrai contentement. Voilà pour pourquoi, chez beaucoup […], il se produit pourvu qu’ils soient assez sincères pour l’avouer, un certain degré de misologie, c’est à dire de haine de la raison. Kant – Fondements de la métaphysique des mœurs, 1ère section.

- Kant : la misologie est une illusion naturaliste qui consiste à croire que le bon sens spontané est plus efficace que les raisonnements sophistiqués, du moins pour la poursuite du bonheur. La misologie consiste alors à solliciter la connivence entre les opinions.

Friday, June 19, 2009

Citation du 20 juin 2009

Tout créateur sort de la norme. Toute innovation est anormale.

Boris Cyrulnik – L'Ensorcellement du monde

- Dites donc, les Parents, votre gamin, là, il serait pas surdoué par hasard ?

- Lui ? Comment pouvez-vous dire une chose pareille ? A l’école, on fait comme s’il n’existait pas ; il est toujours seul et il ne joue jamais avec les autres dans la cour de récréation. Et puis en classe, c’est un rêveur qui n’écoute pas ; ou bien, il fait autre chose que ce qu’on lui demande.

Mais qu’est-ce qu’on va pouvoir faire de lui ?

- Rassurez-vous, chers parents : les surdoués ne sont pas seulement ceux qui battent leur père aux échecs à 6 ans ou qui savent jouer Jésus que ma joie demeure à 2 ans et 8 mois (1).

Car, voyez-vous, les plus doués de nos contemporains sont de deux ordres : il y a ceux qui font marcher ce que d’autres ont inventé – ou qui inventent ce qu’on voudrait voir fonctionner. Et puis il y a ceux qui créent ce à quoi on n’avait jamais pensé, des ingénieurs de génie ou des artistes. J’ai toujours été déçu qu’Einstein ait été impliqué dans le projet Manhattan : non pas que ce fut un projet criminel, mais parce que le génial inventeur de la Relativité ne pouvait être aussi le technicien qui applique ses découvertes à une réalisation aussi prosaïque que la Bombe.

Revenons à nos bambins : voyez ce petit garçon. C’est bientôt Noël, et sa grand-mère lui dessine un paysage de neige avec des sapins sur une feuille pendant qu’il la regarde. Le dessin est terminé : il prend une gomme, efface les sapins et redessine par-dessus ceux qu’il préférait imaginer.

C’était pas le mieux pour recevoir de beaux cadeaux à Noël, mais ça permet d’espérer de devenir quelqu’un d’intéressant plus tard…


(1) Le surdoué de l’année il s’appelle Edwin, et son histoire est racontée ici

Thursday, June 18, 2009

Citation du 19 juin 2009

[...] le principal organe de la vision, c'est la pensée. On voit avec nos idées...

Boris Cyrulnik – Dialogue sur la nature humaine (avec E. Morin)

Mise à l’épreuve de l’affirmation de Cyrulnik : regardez cette image (commentée sur ce blog)



Que dit notre blogueur?

- si, si, toutes les lignes sont parallèles!

Que répond Boris ?

- On voit avec nos idées...

Bravo, Boris, bien répondu. Ne changez pas de lunettes, et n’incriminez pas votre écran d’ordinateur. Ce ne sont pas vos yeux qui vous jouent des tours, mais votre cerveau.

Justement que dit Sirine qui commente cette image sur le même blog ?

- je croi a ses illusion mai la quetion se pose pk le servaeu ne nous laisse pas voir l'image comme elle est reillement (Sirine le 04/06/2009) (1)
Ça, c’est la question qui tue. Parce que, si mon cerveau ne se fatiguait pas à rajouter des choses qu’il ne voit pas, ça ne serait pas plus mal…

Hein, Boris, qu’est-ce que vous répondez à ça ?

… Lui, je ne sais pas, mais moi, je dirai que cette erreur est le prix à payer pour la rapidité et le confort habituel de nos perceptions. Nous percevons les choses non pas point par point comme notre scanner qui analyse l’image à copier, mais par ensembles signifiants. Les psychologies de la forme (gestalt-théorie) nous l’ont expliqué il y a bien longtemps : le tout est plus que la somme des parties, et c’est ce tout que nous percevons… Même quand il n’est pas là, nous le voyons quand même par habitude, et parce que cette habitude est la condition de la vision courante.

En toute rigueur, on devrait douter que les maisons dans la rue soient des vraies maisons, plutôt que des façades pour un décor de cinéma. Mais là, nous serions comme ces fous dont nous parle Descartes (2)…

(1) Traduisons : Pourquoi le cerveau ne nous laisse pas voir l’image comme elle est réellement ?

(2) « …ces insensés de qui le cerveau est tellement troublé et offusqué par les noires vapeurs de la bile qu'ils assurent constamment qu'ils sont des rois lorsqu'ils sont très pauvres; qu'ils sont vêtus d'or et de pourpre lorsqu'ils sont tout nus; ou s'imaginent être des cruches ou avoir un corps de verre. Mais quoi ? ce sont des fous, et je ne serais pas moins extravagant si je me réglais sur leurs exemples. » (Méditation première)




Wednesday, June 17, 2009

Citation du 18 juin 2009

Au petit matin devant un crème / Nous pourrons parler de notre vie / Laissons au tableau tous nos problèmes / Mais oui Mais oui l'école est finie.

L'école est finie by Sheila (Texte + vidéo)

Petit message de réconfort à tous les candidats du bac – L’école a ça de bien : c’est que ça peut finir. Et que, quand ça finit, c’est les vacances, la plage, les filles (ou les garçons) et tout ça…

Oui, vous qui ouvrez ce message en sortant de l’épreuve de philo, rassurez-vous : tous vos problèmes resteront dans l’école, et lorsque vous en sortirez, ils y resteront, prisonniers du tableau.

Oui, mais me direz-vous tout ça, c’est vieux, très vieux. C’est ringard, très ringard. Les choses ont bien changé depuis l’époque de Sheila…

Par exemple, Notre-Président milite pour que les établissements scolaires restent ouverts pendant les vacances pour que les jeunes continuent d’y trouver les salles pour se réunir, un préau pour faire de la musique, un gymnase pour le sport. Bref : il veut que les établissements scolaires deviennent un lieu de vie. Que les jeunes se l’approprient pour leurs loisirs aussi.

Faire la teuf au bahut ? Vous y croyez vous ?

Pour me renseigner j’ai bien cherché sur le Net, et j’ai trouvé ça.

Alors, oui, les jeunes américains commencent en faisant la fête dans leur highscool. Mais comme vous le constatez ça dégénère vite.

Là aussi, l’école est finie.

Tuesday, June 16, 2009

Citation du 17 juin 2009

Votre souhait n’est-il pas de vous fondre le plus possible l’un avec l’autre en un même être, de façon de ne vous quitter l’un l’autre ni le jour ni la nuit ?

Platon – Le banquet (192d)

Fusion – Confusion

Miss.Tic




Nous ne reviendrons pas sur le platonisme missticien, par contre nous souhai-terions discuter la conjonction entre la fusion et la confusion.

Que l’amour soit fusionnel, qui en douterait ? Et même le soin pris par Platon d’attribuer à Héphaïstos, le Dieu forgeron, la proposition d’unir les amants par fusion (et non soudure, notez-le) donne à cette union le caractère d’une révélation.

Oui, mais cette fusion est-elle confusionnelle ?

1 - Et d’abord, quand cette fusion s’opère-t-elle ?

Héphaïstos nous donne une indication : il s’agit de l’amour fusionnel, c'est-à-dire d’un stade du sentiment amoureux.

Mais bien sûr, le pochoir de Miss.Tic donne à penser autre chose…

Vous l’avez compris : la fusion amoureuse est avant tout orgasmique.

Pour nous en convaincre (à supposer qu’il y ait des incrédules ???), il n’est que de lire le livre de Michel Koch, Piété pour la chair (1) : « L’effusion inaugure la fusion, l’institue. L’explosion de l’orgasme s’épanouit en éblouissement, efface les limites »

Donc, fusion = confusion par effacement des limites ?

Pas si vite ! L’auteur poursuit : « Fulgurant, radieux, éphémère, cet effacement singulier ne conduit pas les êtres à la perte irréversible de leur singularité mais, dans les limites de sa localisation temporelle, il consomme la fusion. »

Pour lui, ce n’est pas la fusion qui est confuse, mais la notion.

2 - Car : qu’est-ce que la fusion fusionne ?

Notre auteur nous en avertit : il convient de ne pas confondre la fusion des amants et la fusion des gamètes – qui peut s’opérer en même temps.

J’ai comme le sentiment que la fusion missticienne n’est pas la fusion des gamètes…


(1) Si vous cherchez une lecture torride pour l’été, je vous recommande cet ouvrage. Il est édité par lignes. On se réfère ici au passage intitulé justement Fusion, p. 296-299. Même en ne lisant que les citations rapportées ici, on aura compris que l’auteur est un disciple de Bataille.

Monday, June 15, 2009

Citation du 16 juin 2009

Si on n'annonce pas de désastre, personne n'écoutera

Sir John Houghton, premier président du GIEC (et 95 citations sur le réchauffement climatique)

Aussitôt après la tribulation de ces jours-là, le soleil s'obscurcira, la lune ne donnera plus sa lumière, les étoiles tomberont du ciel, et les puissances des cieux seront ébranlées.

Et alors apparaîtra dans le ciel le signe du Fils de l'homme ; et alors toutes les races de la terre se frapperont la poitrine ; et l'on verra le Fils de l'homme venant sur les nuées du ciel avec puissance et grande gloire.

Evangile de Matthieu 24,29-30

Alors voilà : après avoir fait crever les pandas, on fait crever les ours blancs. Quant à l’ours brun des Pyrénées, je vous en parle même pas. Et les baleines à bosse ? ET…

Séquence aveu : oui, je l’avoue, les prophéties de Yann Arthus Bertrand (1) me cassent les pieds, avec sa façon de nous dire : De toutes façon, c’est trop tard pour sauver la planète, mais faites quand même quelque chose – Vite !

L’évangile de Matthieu éclaire notre lanterne : pour annoncer le Messie, il faut d’abord créer le chaos. La catastrophe doit être là pour que l’attente du Sauveur soit à son comble.

Voyez les campagnes électorales, voyez comme les alarmes pleuvent de tous cotés : la France court à sa perte, seul le candidat Machin-Truc-Muche peut redresser la situation…

Il y a en effet quelque chose de salvateur dans les discours des cassandres de l’écologie (et je ne mets pas dans le lot notre cher Dany – Da-ny ! Da-ny !) : c’est qu’ils nous permettent de fixer quelque part nos fantasmes de culpabilité. On est toujours coupable, vous savez :

- coupables d’avoir déçus nos maman-papa

- coupables d’avoir fait mourir le petit Jésus par nos péchés

- coupables d’avoir oublié de refermer le robinet pendant qu’on se lavait les dents.

- coupable – vous surtout ! – d’avoir laissé tourner le moteur de votre 4x4 plus d’un quart d’heure, juste sous ma fenêtre.

Va falloir que ça change…


(1) Cliquez ici pour voir le film

Sunday, June 14, 2009

Citation du 15 juin 2009

Je ne crois pas qu'une grande chose puisse être faite sans une certaine forme d'intuition. On ne construit pas une maison en entassant des pierres au hasard. De même on ne construit pas une théorie scientifique par une succession d'opérations logiques élémentaires choisies au hasard. Il faut bien qu'il y ait une idée directrice, un plan initial.

Paul Lévy - Quelques aspects de la pensée d'un mathématicien

Parler du rôle de l’intuition dans la découverte scientifique…voilà un sujet bien austère mais qui doit vous rappeler quelque chose…

Réfléchissez bien ?

Et ça ? Ça ne vous dit rien ?

Mais, oui, bien sûr : le pommier ! Newton !

Si Newton n’avait pas eu un pommier sous les yeux – à ce qu’on dit, au bout de son jardin – il n’eut pas su trouver la théorie de la gravitation (1)

Bon, soyons un peu sérieux.

Et être sérieux en l’occurrence, c’est prendre au sérieux cette anecdote comme étant un peu plus qu’une anecdote.

Supposons qu’en effet la chute d’une pomme soit une observation suffisante pour déclencher le processus de réflexion décrit fort plaisamment ici.

Faut-il pour autant considérer que notre auteur (Paul Lévy) ait raison en disant que cette intuition est utile – voire même nécessaire – pour comprendre la théorie achevée ? Ça se saurait.

Et s’il s’agit de dire que Newton avait déjà à l’état d’éléments disparates ce qui va constituer sa théorie de la gravitation, et que leur mise en ordre vient d’une observation de la nature, alors il faudra m’expliquer pourquoi en recevant la pomme sur la tête il se demande pourquoi ce n’est pas la lune qui lui est tombée dessus…

On se rappelle peut-être que définissant le génie, Kant disait que l’artiste seul avait du génie parce qu’on était incapable de reproduire son œuvre, quand bien même on aurait tous les éléments qui lui ont servi. Et qu’en revanche, le scientifique, fut-il aussi important que Newton ne pourrait être un génie parce qu’on est capable de refaire le cheminement de sa théorie dès lors qu’il l’a publiée.

En réalité, il faudrait diviser le jugement de Kant : certes la théorie de la gravitation achevée peut être comprise et recalculée par quiconque s’y applique. Mais par contre le processus de l’invention, celui qui consiste à passer des phénomènes terrestres – la chute de la pomme – à ceux qui opèrent dans l’espace – l’orbe de la lune – relève du génie, puisqu’on peut tant qu’on veut se farcir des coups sur la tête, ce n’est pas pour autant qu’on va inventer quelque chose de nouveau.


(1) Voici le récit dans Wikipedia.

« Voici un témoignage venu bien plus tard, en 1752, de son ami William Stukeley citant une rencontre d'avril 1726 avec Newton: "Après souper, le temps clément nous incita à prendre le thé au jardin, à l'ombre de quelques pommiers. Entre autres sujets de conversation, il me dit qu'il se trouvait dans une situation analogue lorsque lui était venue l'idée de la gravitation. Celle-ci avait été suggérée par la chute d'une pomme un jour que, d'une humeur contemplative, il étais assis dans son jardin." »

Et plus sérieusement ici

Et Gotlieb ? Ici.

Saturday, June 13, 2009

Citation du 14 juin 2009

Une guerre est juste quand elle est nécessaire.

Machiavel

Le bac de philo pointe son nez à l’horizon, et je n’ai même pas trouvé de revue donnant les sujets qui vont tomber : faut-il que la philosophie ait cessé d’intéresser les jeunes…

Je vous propose tout de même pour vous préparer à l’examen, un des poncifs de la philosophie-au-bac, un des sujets de dissert archi convenu en philosophie morale et politique :

- Y a-t-il des guerres justes ?

Il pourrait bien tomber celui-là ? Vous croyez pas ?

…. Bof….

Je vois que ça ne vous passionne pas plus que ça.

Alors, tient, tant qu’on y est, je vous propose le sujet tel qu’on pourrait l’imaginer si – invraisemblable ! – on en venait à réformer l’épreuve de philosophie du bac !

- Vous répondrez en 750 mots à la question « Y a-t-il des guerres justes ? » en vous appuyant sur le jugement de Machiavel : «Une guerre est juste quand elle est nécessaire. »

Voilà, je vous souhaite bon courage et je ramasse les copies dans 2 heures.

Friday, June 12, 2009

Citation du 13 juin 2009

Pour prévoir l'avenir, il faut connaître le passé, car les événements de ce monde ont en tout temps des liens aux temps qui les ont précédés. Créés par les hommes animés des mêmes passions, ces événements doivent nécessairement avoir les mêmes résultats.

Machiavel

Encore Machiavel, mais cette fois pour montrer comment les idées évoluent.

On a récemment évoqué le maillon manquant dans l’évolution des primates entre les singes et les lémuriens. Hé bien ici on a un texte qui est le maillon manquant entre la conception anhistorique de la destinée des hommes et la conception historique de l’évolution des sociétés humaines.

Et voici comment :

- Que les évènements qui surviennent soient issus du passé et non pas fondés par l’action des grands ancêtres tels que décrits pas les mythes, voilà à coup sûr une idée moderne, bien dans une conception humaniste.

- Mais que l’histoire ne soit qu’un répertoire d’exemples répétables d’actes illustres et de leurs conséquences inéluctables, voilà qui contredit cette modernité en nous renvoyant à une lointaine mythologie.

Car les historiens sont les premiers à dire que le passé ne se répète pas, et que tel évènement qui revient cycliquement produira à chaque nouvelle occurrence des effets différents, parce que situé dans un contexte lui-même différent. La crise de subsistance de 1788 est une crise appartenant au cycle des crises d’ancien régime. Oui mais, alors que d’autres crises semblables n’avaient engendré que quelques jacqueries, celle-ci fut l’un des détonateurs de la révolution de 89.

Pourtant nous sommes bien tentés de faire la même réflexion que Machiavel : notre crise n’est elle pas une réplique de la crise de 29 ? On a cru tellement à sa réitération possible que nos gouvernants se sont précipités pour renflouer le système bancaire afin d’éviter le krach qui eut lieu à cette époque.

C’est sûr que, si l’on doit donner raison à Machiavel, c’est bien dans le domaine des sciences humaines là où la prévision est possible. Et l’économie entre évidemment dans ce cadre. Mais ça s’arrête là : dès qu’on entre dans le contexte social ou politique, les conséquences des évènements économiques cessent d’être prévisibles.

Et tant mieux.

Car ça veut dire que l’avenir nous appartient.

Thursday, June 11, 2009

Citation du 12 juin 2009

Gouverner, c'est faire croire.

Machiavel

Merveille des citations… (1) Tout dire en quatre mots, être capable depuis ce lointain 15ème siècle de prédire la société du spectacle, le bling-bling, les discours au 20 heures et les descentes tonitruantes dans les quartiers avec 20 caméras et une forêt de micros…

Gouverner, c'est faire croire. Oui, mais faire croire à quoi ?

Question naïve, que nous devrions rougir d’avoir posée : sa réponse est en effet la suivante : croire à tout ce à quoi nous croyons quand nous apportons notre assentiment à un homme politique.

Et bien sûr, ce n’est pas forcément nocif : la sage décision, la prudente gouvernance, la réforme hardie mais indispensable doit s’accompagner de l’assentiment du peuple et pour cela il vaut mieux lui faire croire que c’est pour son bien plutôt que d’employer la force.

Mais on pourrait aussi dire que si l’on fait le bien du peuple, on ne voit pas pourquoi il faudrait de la rhétorique et du spectacle. Augmentez le SMIC et les retraites, assurez la véritable gratuité des soins, la pérennité du service public, et je vous garantis que les discours et l’argumentation seront tout à fait superflus.

Ce que pense Machiavel, c’est que cet idéal de gouvernance ne tient pas, parce que les hommes sont insatiables – ils n’auront jamais assez – et que les gouvernants le sont aussi à leur manière – ils veulent avec avidité toujours plus de pouvoir et pour plus longtemps. En sorte que le conflit entre gouvernant et gouverné rebondit en permanence, et que l’art politique est en effet un art du semblant, parce que dans l’imagination, tout et permis, même l’avenir radieux.


(1) En vérité je ne suis pas tout à fait sûr que Machiavel ait réellement dit ça: le Net colporte cette phrase en la lui attribuant, mais ça ressemble plutôt à un résumé de sa doctrine qu'à un extrait véritable. Là encore, si quelque a la référence je suis preneur.

Wednesday, June 10, 2009

Citation du 11 juin 2009

Le bonheur n'est pas de chercher le bonheur, mais d'éviter l'ennui. C'est faisable avec de l'entêtement.

Gustave Flaubert - Lettre à Louise Colet - 31 Août 1846 (1)

Voilà encore une leçon de pessimisme comme nous les affectionnons à La Citation du jour : le bonheur n’existe pas, seul existe un moindre malheur.

Et encore un des poncifs de la même Citation du jour : l’ennui doit être pris au sérieux – ici : parce qu’il fait obstacle à un certain confort de vie.

Reste la question : comment éviter l’ennui ?

Si, comme nous l’avons déjà expliqué, l’ennui est un sentiment métaphysique, éprouvé dans le face à face avec soi-même, alors tout ce qui nous détourne de nous-mêmes est de ce point de vue profitable.

On peut consulter Kant là-dessus : L’homme doit être occupé de telle manière qu’il soit rempli par le but qu’il a devant les yeux, si bien qu’il ne se sente plus lui-même et que le meilleur repos soit pour lui celui qui suit le travail.

Travaillez : si ce n’est pas pour gagner plus ce sera pour vous ennuyer moins. D’ailleurs la prison n’est-elle pas une punition, non seulement parce qu’on est privé de liberté, mais encore condamné à l’inaction ?

Le seul souci, c’est qu’on est en plein dans le divertissement que condamnait Pascal : c’est là où le bât blesse. Le travail si vertueux aurait malgré tout un côté vicieux ?

Il est vrai que les moines – du moins certains d’entre eux – ne travaillaient pas et que la prière était leur seule activité.


(1) J’ai relu la lettre de Flaubert, et je n’y ai pas trouvé trace de cette phrase, pourtant répertoriée dans de nombreux sites sous cette date. Quelqu’un aurait-il la référence exacte ?

Tuesday, June 09, 2009

Citation du 10 juin 2009

Sur les flots, sur les grands chemins, nous poursuivons le bonheur. Mais il est ici, le bonheur.

Horace - Epîtres

Matisse – Le bonheur de vivre (Fondation Barnes – Philadelphie)

Il est ici, le bonheur nous dit Horace : il aurait pu dire en même temps où il était quand il a écrit ça ; ça nous aurait rendu service.

Heureusement, on a Matisse :

- De la musique, de la danse, de l’amour… et des femmes !

Et puis, vivre nus. Le vrai bonheur pour Matisse, exclut le vêtement, même si certains pisse-froid considèrent la nudité comme signe de bestialité (1).

Je laisse à chacun le soin de faire son petit marché du bonheur là-dedans : je prends ça, je laisse ça, etc..

Je remarquerai qu’il n’y a pas une silhouette de ces gens heureux qui semble travailler : par de gai forgeron qui fasse tinter son marteau sur l’enclume, par un maçon qui maçonne en chantant, pas un laboureur qui fasse vibrer l’air de ses appels pour stimuler l’attelage.

- Si nous étions Matisse, quel tableau ferions-nous aujourd’hui ?

Un terrain de camping (naturiste évidemment) ? Une plage vue d’un peu plus près que dans le tableau avec ses parasols et les fesses bronzées fumant sous le soleil ? Une belle décapotable ? Une terrasse de café à l’heure du pastis ?

Mais non. Aujourd’hui, Matisse n’aurait plus besoin de nous expliquer ce que c’est que le vrai bonheur : les pubs Loto sont là pour ça.

Voyez ici – Et si ça ne suffit pas, ici aussi.


(1) La nudité, c'est pire qu'indécent, c'est bestial ! Le vêtement, c'est l'âme humaine.

Michel Tournier – Le fétichiste (Le Coq de bruyère). Voir commentaire