Saturday, April 30, 2016

Citation du 1er mai 201

La commission de contrôle des blogs, ayant noté que la-citation-du-jour
a fait très récemment l’éloge de la paresse,
impose en ce 1er mai qu’on fasse ici l’éloge du travail.

« L'homme est le seul animal qui soit voué au travail. Il lui faut d’abord beaucoup de préparation pour en venir à jouir de ce qui est nécessaire à sa conservation. La question de savoir si le Ciel ne se serait pas montré beaucoup plus bienveillant à notre égard, en nous offrant toutes choses déjà préparées, de telle sorte que nous n'aurions pas besoin de travailler, cette question doit certainement être résolue négativement, car il faut à l'homme des occupations, même de celles qui supposent une certaine contrainte. Il est tout aussi faux de s'imaginer que, si Adam et Eve étaient restés dans le paradis, il n'eussent fait autre chose que demeurer assis ensemble, chanter des chants pastoraux et contempler la beauté de la nature. L'oisiveté eût fait leur tourment tout aussi bien que celui des autres hommes. Il faut que l'homme soit occupé de telle sorte que, tout rempli du but qu'il a devant les yeux, il ne se sente pas lui-même, et le meilleur repos pour lui est celui qui suit le travail. »

KANT, Traité de pédagogie

Friday, April 29, 2016

Citation du 30 avril 2016

Je pense que je suis. Pourtant je ne suis pas ce que je pense... Vous me suivez ?
Yvan Audouard – Pensées provisoirement définitives
Descartes aurait dû recevoir le prix de l’humour pour son fameux cogito. Combien d’« humoristes » (sic) se sont fait applaudir pour des jeux de mots sur son « je pense, donc je suis »  (décliné en je scie, j’essuie… j’en passe et des pires). Balivernes qui pourtant soulignent le rôle fondateur, dans la représentation populaire de la philosophie, joué par la vérité première du cartésianisme.
Alors, certes Yvan Audouard aurait dû lire Descartes avant de parler : car c’est précisément sur le caractère « formel » de la découverte du cogito que Descartes insiste. Au fond dit-il, je sais que j’existe, mais je ne sais pas ce que je suis pour autant, à part une chose qui pense.
- Mais tout de même notre écrivain journaliste n’a pas si mal vu le problème… du lecteur. En témoigne l’objection faite par Hobbes : « Car ce raisonnement ne me semble pas bien déduit, de dire : je suis pensant ; donc je suis une pensée ; ou bien  je suis intelligent, donc je suis un entendement. Car de la même façon je pourrais dire : je suis promenant, donc je suis une promenade. »
S’agit-il d’humour british ? Descartes ne le pense pas, du moins il répond très sérieusement : « …il n’y a point ici de convenance entre la promenade et la pensée, parce que la promenade n’est jamais prise autrement que pour l’action même, alors que la pensée se prend quelquefois pour l’action, quelquefois pour la faculté, et quelquefois pour la chose en laquelle réside cette faculté. »

Donc, même si je pense que je me promène, ça ne veut pas dire que je me promène vraiment (puisque je peux tout aussi bien être entrain de rêver que je me promène). Ça veut dire qu’il existe une pensée de la promenade qui est ma pensée, et non celle de qui on voudra.

Thursday, April 28, 2016

Citation du 29 avril 2016

Une naïveté de perdue, dix de retrouvée.
André Glucksmann – Descartes c’est la France (p.29)

Dans ce passage, André Glucksmann dézingue l’information, coupable selon lui de nous faire croire – par exemple – qu’un abominable dictateur qui vient d’être renversé sera remplacé par des forces démocratiques. Ce livre date de 1988, et Glucksmann pensait sans doute aux dictateurs sud-américains (ou peut-être déjà soviétiques).
Bref, la croyance naïve du téléspectateur dénoncée dans ce livre a-t-elle disparue ? 27 ans plus tard, avec tous les bouleversements que les médias ont connus, les choses ont-elles changées ?
La naïveté n’est-elle pas plutôt un effet de la crédulité et du coup, ne risque-t-elle pas d’obéir au besoin de croire, ce que le philosophe cartésien ne manquera pas de dénoncer (1). Il est alors tentant de se dire qu’aujourd’hui, un quart de siècle plus tard, rien n’a changé parce que nous, nous n’avons pas changé.
…Sauf qu’il semble bien que ce soit pire aujourd’hui car l’information, c’est nous qui la fabriquons – nous avec nos réseaux sociaux, ces Posts, ces Tweets, repris par tous ces followers. Alors, certes, ces naïvetés dénoncées c’est nous qui  les avons dénoncées ; mais ces naïvetés nouvelles, c’est nous qui les affirmons. Ça ne vous dit rien ? Mais oui ! Voilà la théorie du complot qui apparaît.
Ce que l’on appelle le « complotisme » est en effet exactement cela : on est prié de reconnaitre qu’on est des gros naïfs de gober l’info-intox de pouvoir. Et nous voilà obligés de croire que des affirmations encore plus invraisemblables – et justement parce qu’elle le sont – sont la vérité qu’on nous cache. (2)
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(1) «  Ne recevoir jamais aucune chose pour vraie que je ne la connusse évidemment être telle » Descartes – Discours de la méthode, Seconde partie

(2) Les Illuminatis ne sont pas loin….

Wednesday, April 27, 2016

Citation du 28 avril 2016

Une affaire est une affaire, et c'est toujours une victoire pour l'une des deux parties.
 Willem Elsschot – La glu

Alors vous avez lu ? Oui : La France a réussi le contrat du siècle en vendant 12 sous-marins à l’Australie ! OUI : la France !!!

Pourquoi pas ? Seulement, ce grincheux de Elsschot susurre : ça ne peut pas être une bonne affaire pour les deux parties. Si la France a gagné, l’Australie s’est faite entuber.
Revenons à l’information : déjà, écartons les observations cocardières à propos de la supériorité des techniciens français sur les japonais ou les allemands avec les quels on était en compétition : bien d’autres considérations étaient en jeu, comme par exemple la maitrise des chantiers à l’étranger.
- « Chantiers à l’étrangers » avez-vous dit ? Qu’est-ce que ça veut dire ?
- Eh bien, ça veut dire que si nous les français nous avons gagné le marché, c’est déjà parce que nous avons consenti des transferts de technologies telles qu’une partie de la construction des sous-marins en question se fera en Australie et pas à Cherbourg. 
- Bon, et alors ? Ce qui compte, c’est qu’on empoche le contrat et les sous qui vont avec.
- Vous avez tout à fait raison. Quoique… Les capitaux engagés sont en effet colossaux (34 milliards d’euros!) mais tout ça, c’est l’argent déboursé par le gouvernement australien, mais il n’ira pas forcément dans la poche des français : pour le moment on ne sait pas encore, parce que le contrat n’est pas finalisé.
- Quoi ? On nous aurait menti ? Ce contrat du siècle ne serait pas définitivement signé ?
- Ce que nous avons signé, c’est l’exclusivité pour la phase finale de la négociation : de ce point de vue, oui, nos concurrents sont écartés. Mais la répartition définitive des travaux et donc le montant des gains  réalisés restent encore à négocier, et donc, même si on a déjà avancé, le principal reste à faire : rédiger le document et mettre deux signatures en bas.
Tout cela me fait penser aux Rafales qu'on a annoncés vendus au moins 10 fois à l’Inde, et dont on dit que finalement la négociation est toujours en cours…

Avouez qu’il n’est pas encore tout à fait sûr que les Australiens aient à regretter leur signature.

Tuesday, April 26, 2016

Citation du 27 avril 2016

Les hommes éminents ont la terre entière pour tombeau.
Thucydide – Histoire de la guerre du Péloponnèse, II, 35-43 (Oraison funèbre prononcée par Périclès, XLIII.)
Cette phrase n’est pas sans rapport avec l’évocation des héros faite par Malraux (cf. Post d’hier) – et peut-être a-t-il fait à Thucydide l’hommage d’un emprunt silencieux.
Ainsi donc, la véritable immortalité n’est autre que le souvenir glorieux laissé dans le cœur des hommes ; et pour devenir plus grand, ce souvenir doit être porté par l’humanité toute entière. Telle est l’immortalité dont les héros grecs peuvent jouir, étant entendu que l’immortalité surnaturelle, dans le domaine d’Hadès, est selon Homère fort peu enviable (1). Il va de soi que cette immortalité suppose aussi la transmission à travers l’histoire, que les exploits de ces personnages ne sont immortels qu’autant qu’on se les rappelle : d’où les stèles gravées dans la pierre pour rappeler les victoires héroïques des Pharaons sur leurs ennemis.
… D’où aussi la responsabilité qui est la nôtre devant l’évolution de notre culture, qui abandonne le grec et les héros qui vont avec, pour  la culture subordonnée à l’usage de l’anglais contemporain. Nos héros ne s’appellent plus Ulysse ni Achille, ils s’appellent Spiderman et Captain America.
Imaginons leur affrontement : qui, selon vous, l’emporterait ?


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(1) Voir ici la description du voyage d’Ulysse au royaume des morts (pour lire le texte Odyssée chant XI, cliquer ici)