Friday, June 30, 2017

Citation du 1er juillet 2017

Vous êtes de la merde dans un bas de soie.
Napoléon s’adresse à Talleyrand, lors du conseil qui devait le  juger pour trahison en faveur du Tsar Alexandre 1er en 1808 (1)
La dureté de l’insulte devrait être comparée à la relative clémence du jugement. Car Talleyrand aurait pu mourir pendu ou – mieux sans doute – pourrir dans un cul-de-basse-fosse jusqu’à la fin de ses jours. Au lieu de cela il est ménagé, preuve sans doute que sa compétence était sans égal.
Maintenant, qu’est-ce qui nous conduit à retenir cette citation ? Sans doute la grossièreté du mot, non seulement parce qu’il appartient à un langage populaire, qu’on ne s’attend pas à trouver dans la bouche de l’Empereur des français, mais aussi parce qu’on évoque sans détour l’excrément humain, chose la plus vile et la plus repoussante qui soit.
Mais aussi, on est frappé par le réalisme de cette phrase : car en effet on suppose que monsieur de Talleyrand porte bien des bas de soie. Et du coup le réalisme devenant contagieux, on pense qu’en effet, il doit bien aussi être « de la merde ».
Alors, en quoi consiste cette insulte ? On l’a dit, la « merde », cet excrément répugnant sert à qualifier ce qui choque tous les sens à qui elle est présentée. Mais surtout il représente la dernière étape de la déchéance, lorsque tout ce qui pourrait être utile et appréciable a été retiré, la merde est le déchet ultime, celui après le quel il n’y aura plus rien de nouveau. 
Dire d’un homme qu’il est « de la merde », c’est dire qu’il est l’être le plus abjecte qui puisse exister, et là est en effet la plus grande insulte.
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(1) Citation complète : "Vous mériteriez que je vous brisasse comme un verre, j'en ai le pouvoir mais je vous méprise trop pour en prendre la peine. Pourquoi ne vous ai-je pas fait pendre aux grilles du Carrousel ? Mais il en est bien temps encore. Tenez, vous êtes de la merde dans un bas de soie !" (voir ici)

Thursday, June 29, 2017

Citation du 30 juin 2017

Tous mes jours sont des adieux
Chateaubriand
Nous voici, avec Chateaubriand, dans la posture romantique, faite de regret et de mélancolie pour les jours enfuis, emportant ce qu’il y a en nous de meilleur et ne laissant à la place que soupirs et nostalgie.
Et pourquoi pas « Tous mes jours sont des bonjours » (valable aussi en 2 mots) ? Pourquoi ne pas se réjouir même de voir disparaître quelque chose de nous avec le temps qui passe ? Oui, pourquoi ne pas espérer que l’avenir nous délivre de nous-mêmes ? Si l’on est effectivement au fond du désespoir, on devrait espérer que ce couvercle de plomb qui écrase notre horizon et nous prive de tout avenir se soulève, qu’on puisse enfin lui dire adieu ?
Seulement voilà : en fait de romantisme, cette pensée-là est une pensée dépressive. On l’a expliqué  en disant que les romantiques étaient en réalité de jeunes aristocrates spoliés de leurs biens, ou privés de l’aventure révolutionnaire, ou encore des ambitieux venus après l’épopée napoléonienne. Des jeunes gens qui auraient voulu être plus vieux pour pouvoir vivre l’époque où tout basculait, et où le renouveau surgissait de partout. Bref : l’avenir est alors celui d’une décadence, parce qu’on s’éloigne toujours d’avantage d’un âge d’or définitivement révolu.

De nos jours cette phrase pourrait être prononcée dans deux cas possibles :
- soit il s’agit d’un vieillard qui regrette les jours passés et qui chaque matin a perdu un peu plus ce qui faisait de lui un être conquérant et heureux de l’être.

- soit il s’agit d’un être jeune mais qui se comporte comme un vieillard – entendez qu’il se définit seulement par rapport au passé porté par les anciens, et non comme un jeune héros qui prend l’avenir à plein bras pour le modeler selon ses désirs.

Wednesday, June 28, 2017

Citation du 29 juin 2017

Il n’y a pas besoin d’être grosse pour se penser grosse.
Anonyme
Un aveu : j’ai complètement oublié d’où provient cette citation lue récemment, sans doute dans un article consacré aux régimes de début d’été chargés d’éliminer les kilos-en-trop, réels ou fictifs. Oubli de peu d’importance, tant cette phrase est banale.
Banale et pourtant elle mérite un instant de réflexion. Car se « penser grosse » c’est se détester, refuser de voir sa propre image supposée hideuse dans le miroir ; mais en même temps rappelons-nous aussi tous ces hommes et ces femmes gras qui ont jadis été admirés pour cela justement (1). On se rappellera qu’à l’époque paléolithique la femme était  faite de rondeurs - on pense en particulier à la "Vénus de Willendorf" -  et que ce sont celles-ci que le sculpteur a voulu conserver dans sa statuette. On imagine qu’à l’époque du  paléolithique on consolait les femmes qui se jugeaient disgraciées : « Il n’y a pas besoin d’être maigres pour se penser maigres. »
Et on peut aussi, revenant à l’époque actuelle leur dire, citant Régine : « On sort avec les maigres, on rentre avec les grosses. » tant il est vrai que les hommes n’ont pas un point de vue identique sur les femmes selon les circonstances. Si l’obsession des rondeurs féminines habite les hommes aussi bien que les femmes, cela n’a pas toujours avec la même signification.
o-o-o
Bon. - Maintenant passons aux choses (plus) sérieuses. Il s’agit de l’image du corps, qui est un schème intériorisé depuis la prime enfance. Il s’agit pour notre sujet du jour de rappeler que notre corps nous apparaît d’abord vécu de l’intérieur, en relation avec notre environnement matériel, puis dans sa relation avec les attitudes que les autres ont par rapport à nous. Autrement dit, « se penser grosse » ne vient pas forcément seulement du ressenti  de son propre corps ; le regard des autres y est peut-être aussi pour beaucoup.
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(1) On pourra se reporter à mes quelques Posts consacrés au sujet - je regrette à présent qu’on n’y parle que des femmes, alors que les hommes ont également été appréciés bien dodus.

 Happy Bouddha

Tuesday, June 27, 2017

Citation du 28 juin 2017

Nous continuons à vivre ensemble, mais ça fait bien longtemps qu’on ne s’aime plus
Xavier Bertrand (interview au JDD du 25 juin 2017)
Ces paroles désabusées ont été prononcées à propos du parti Les Républicains à l’occasion des dissensions qui accompagnent leurs échecs répétés aux différentes élections : les électeurs sont partis ailleurs et certains « militants » qui se disent prêts à prendre la tête du parti sont des amants volages qui dans le même temps envoient des billets doux au parti de Marine Le Pen – à moins que ce ne soit à Edouard Philippe..
… Qu’on se rassure : je ne vais pas entrer dans un débat concernant la droite française et ses nouveaux avatars libéraux. Je me contenterai de prendre au premier degré notre Citation-du-jour : oui, il y a des couples qui vivent ensemble mais qui ne s’aiment plus depuis longtemps.
Et alors ? A quel moment devrait-on s’arrêter et dire : « Stop ! Nous n’avons toi et moi plus rien en commun : il est temps de nous séparer » ? Comment savoir où l’on en est ? Où se situe le Rubicon de la séparation ?
Et bien, c’est très simple : sortez la carte de tendre et regardez où vous en êtes :

Carte de Tendre – « Représentation topographique et allégorique » des différentes étapes de la vie amoureuse selon les Précieuses du 17ème siècle
Etes-vous sur l’itinéraire : Négligence–tiédeur–oubli ?  Alors, attention !  Vous allez droit au Lac d’indifférence, et si vous tombez dedans plus d’espoir d’en sortir.
Mais quoi ? Je vous vois retournant la carte dans tous les sens incapable que vous êtes de vous situer quelque part là dessus.

Ah !... Vous réclamez un GPS d’amour pour vous situer sur la carte de Tendre… Pourquoi pas ? Mais méfiez-vous : ça risque bien d’être une charlatanerie de plus.

Monday, June 26, 2017

Citation du 27 juin 2017

A la langue d'ambre et de verre frottés / Ma femme à la langue d'hostie poignardée / A la langue de poupée qui ouvre et ferme les yeux / A la langue de pierre incroyable
André Breton - L'Union Libre

On se rappelle peut-être ce recueil de poèmes du 16ème intitulé « Blasons anatomiques du corps féminin » (en ligne ici) : voici qu’André Breton, à son tour, détaille le corps de sa femme toujours en recherchant son essence poétique. On en donne ici un exemple, mais c’est l’ensemble qu’il faut saisir d’un seul élan.
… Ça ne vous fait pas sursauter ? Peut-être que quelques autres blasons de la même encre vous conviendraient mieux ? Voyez par exemple :
Ma femme aux fesses de grès et d'amiante / Ma femme aux fesses de dos de cygne / Ma femme aux fesses de printemps / Au sexe de glaïeul / Ma femme au sexe de placer et d'ornithorynque / Ma femme au sexe d'algue et de bonbons anciens / Ma femme au sexe de miroir
Là : je vous sens un peu plus motivé. Je vous devine, messieurs, faisant la cour à votre nouvelle conquête et découvrant le premier soir avec des exclamations ingénues ses « fesses de printemps » et son « sexe de miroir » : la dame va être transportée par la grâce de votre propos.
o-o-o
Comme d’habitude, ne comptez pas sur moi pour vous fournir une quelconque « clé » pour déchiffrer ces images. Je sais que vous y parvenez très bien tout seul, et je n’ai pas l’intention de faire avec vous une compétition de serrurier. En revanche, je peux quand même dire ce qui me surprend dans cette lecture.
Et d’abord ceci : Breton qui affectionne si souvent un langage châtié, recherché, en vrai dandy de la rhétorique qu’il fut, ose ici de formules très prosaïques (« de poupée-qui-ouvre-et-qui-ferme-les-yeux » : n’est-ce pas très lourd ?), voire même carrément gauches (« aux-fesses-de-dos-de-cygne »). Comme si la précision de l’expression, modelée sur une pensée qui surgit comme ça, sans être passée par le moule du langage, l’emportait sur l’élégance.
Oui, n’est-ce pas : ce surgissement de l’émotion qui emporte avec elle des bouts de phrases ou de simples mots, sans même qu’une élaboration ne soit venue prendre en charge la mise en forme de l’idée, c’est cela même l’émotion poétique.

Alors, parfois cette émotion devant la beauté de la femme prend un chemin déjà balisé, un chemin devenu une autoroute pour les pauvres-en-imagination, qui vont dire : « Chérie, t’es belle comme un camion ! »  Pour eux aucun espoir, sauf à consommer quelque substance hallucinogène et à se laisser aller.

Sunday, June 25, 2017

Citation du 26 juin 2017

… je tiens impossible de connaître les parties sans connaître le tout, non plus que de connaître le tout sans connaître particulièrement les parties
Pascal Pensées (Les deux infinis) – Voir citation complète en annexe
Voilà un texte très souvent lu et commenté de Pascal  – et en même temps le sujet le plus controversé à l’origine de la science moderne. Car il s’agit de savoir si la connaissance des phénomènes naturels est possible, sachant que jamais nous ne parviendrons à connaître le tout de l’univers. Ici Pascal pose le problème dans les termes même du mécanisme cher à Descartes : puisque tout dans l’univers résulte de mouvements opérés par contact, alors il faudrait savoir ce qui se passe à l’autre extrémité du monde pour comprendre ce qui se passe sous nos yeux. Moyennant quoi, à l’aide de la métaphore des deux infinis, Pascal affirme que pour l’homme la science absolue est impossible et que seule la foi nous donnera la vérité. – On sait que Descartes pensait exactement l’inverse, raison pour la quelle Pascal le jugeait « intitule et incertain ».
On laissera de côté la question de l’universalité du savoir, encore que depuis la science ait toujours cherché comme un graal l’équation ultime récapitulant en elle seule tout le savoir accessible sur la nature entière. Mais réfléchissons un peu à l’idée qui se dégage du conflit Descartes/Pascal quant à l’idée de monde. Chez Descartes, pas de secret, pas de mystère. Tout se passe par « figure et mouvement », un peu comme l’atomisme d’Epicure.
Par contre, Pascal frissonnait le soir à sa fenêtre en regardant l’insondable immensité du ciel :
Le silence éternel de ces espaces infinis m'effraie. Si un caillou qui tombe obéit aux mêmes lois qu’un corpuscule qui en percute un autre dans le grand collisionneur du CERN, alors pas de mystère. Mais si ces lois ne sont pas les mêmes, si elles sont irrémédiablement différentes, alors la Nature est scindée en deux : celle qui suit les lois relativistes et celle qui obéit aux principes quantiques. Elles ne parlent pas le même langage, mais contrairement à ce que pouvait penser Pascal, leurs langages sont également incompréhensible pour ceux qui, comme nous n’entendent que le bruit du caillou qui tombe
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Annexe – « Donc, toutes choses étant causées et causantes, aidées et aidantes, médiates et immédiates, et toutes s’entretenant par un lien naturel et insensible qui lie les plus éloignées et les plus différentes, je tiens impossible de connaître les parties sans connaître le tout, non plus que de connaître le tout sans connaître particulièrement les parties »