Thursday, May 31, 2012

Citation du 1er juin 2012


Elles [les aubépines] m'offraient indéfiniment le même charme avec une profusion inépuisable, mais sans me laisser approfondir davantage, comme ces mélodies qu'on rejoue cent fois de suite sans descendre plus avant dans leur secret.
Proust – Du côté de chez Swann
La musique révèle le sens du sens, qui est charme, en le soustrayant. Telle est cette divine éternité d'un quart d'heure qui s'appelle la Ballade en Fa dièse de Gabriel Fauré; (...) : de cette œuvre de charme et d'inexistence, de ce sortilège bergamasque (...), de ce presque-rien surnaturel, en « balbutiant », ...
Jankélévitch – Le Je-ne-sais-quoi et le presque-rien

Charme – Définition II
Ici le romancier et le philosophe sont d’accord : le charme n’est pas le secret ; simplement il protège – ou recouvre – un secret.
Mais, s’ils sont d’accord, c’est parce qu’ils pensent à la même chose : c’est de la musique qu’émane le charme.
Entre l’aubépine et la mélodie (peut-être la sonate de Vinteuil) le narrateur suggère que le charme, qu’il soit celui d’un parfum ou de la musique, nous retient sur le bord du secret, à moins que ce ne soit ce même charme qui en dessine les contours. Je ne sais – d’ailleurs il ne faut pas en savoir plus : la musique agit sur notre sensibilité par accès direct, sans passer par « l’interface » de l’intelligence et du langage. C’est pour cela que certains se méfient de la musique : c’est une traitresse parce qu’elle nous foudroie d’émotion avant même qu’on ait pu y consentir, un peu comme ces airs d’accordéons, canailles et populos qui nous mettent en larmes alors même qu’on hausse les épaules devant leur vulgarité.
Mais c’est à notre philosophe musicien qu’il revient de dire complètement les choses : si le charme est le sens de la musique, c’est parce qu’il se manifeste en évinçant le sens « verbalisable ». Dites un peu ce qui vous vient à l’esprit en écoutant la ballade en fa dièse majeur de Fauré (1) : en même temps que vous le faites, vous avez la certitude qu’il y a, derrière ça, une foultitude d’autres histoires à raconter, dont certaines surgiront la prochaine fois – et les autres plus tard … ou jamais !.
Le charme de la musique, c’est ce qui reste quand on a donné congé au sens – ou du moins à tous les autres sens.
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(1) A écouter ici : ça dure 10’50, mais à coup sûr, après l’avoir écouté vous saurez que vous n’aviez rien de plus important à faire (même si la prise de son est mauvaise). Au fait, Janké dit que ça dure un quart d’heure, alors que Yuja Wang boucle l’affaire en 10’50. Il y a un mystère en plus du secret…
P.S. On peut préférer la version de Jean Doyen, mais elle n’est pas complète.

Wednesday, May 30, 2012

Citation du 31 mai 2012


Elle avait serré ses charmes dans un corset majestueux.
P.J. Jouve – La Scène capitale
Jupiter [dans le tableau du Titien], qui a pris les oreilles et les pieds du satyre, lève le voile de la dormeuse [Antiope] et en contemple les charmes d'un œil avide.
Théophile Gautier – Guide de l'amateur au Musée du Louvre, 1872
Charme – Définition I
Le mot « charme » appliqué aux femmes peut être dit au singulier – le charme féminin ; ou bien il peut s’entendre au pluriel : les charmes de Josette (ou de qui vous voudrez)
Subtilité de la langue française : au singulier il est indéfinissable. Au pluriel il désigne les attraits physiques d'une femme (TLF). Simple.
Quoique… Prenons donc l’exemple de Jupiter transformé en Satyre (histoire de bien montrer quelles sont ses intentions) qui soulève le voile d’Antiope endormie pour contempler ses charmes. A quelle partie du corps féminin ces charmes font-ils allusion ?
S’agit-il de ceux-ci ?

Titien – Jupiter et Antiope
Ou bien de ceux-là ?

Marinali – Jupiter et Antiope
On comprend mieux pourquoi la définition du mot charme, même au pluriel est si imprécise : c’est qu’il s’agit d’évoquer ce qui n’existe qu’en fantasme – et ça, ça ne se codifie pas.
Au cas où vous en douteriez, demandez-vous, si vous étiez Jupiter, quel coin du voile d’Antiope vous auriez soulevé – et demandez à vos amis s’ils partagent votre choix.

Tuesday, May 29, 2012

Citation du 30 mai 2012


La vieillesse est une voyageuse de nuit : la terre lui est cachée ; elle ne découvre plus que le ciel. 
Chateaubriand  (Vie de Rancé)
Les vieux et nous II
Voilà : j’espère que cette citation va réconforter tous les vieux qui – suite à notre citation d’hier assimilant la vieillesse à un naufrage – ont été l’objet des moqueries de leurs petits enfants :
- Hé ! Papy, fais attention : tu coules !
- Non, mon petit : je marche en contemplant le ciel ! 
- Oui, mais du coup tu ne vois plus où tu mets les pieds.
Tu sais Papy, il y avait autrefois un astronome – philosophe ou  je ne sais quoi – qui marchait la nuit en regardant le ciel. Eh bien, il est tombé dans un puits. Plouf !
- Arrête ! Tu deviens insolent : nous, les vieux, nous n’avons plus à produire ni à travailler. Nous n’avons plus qu’à méditer sur la vie grâce au loisir de la retraite et à l’expérience que nous avons accumulée.
Les jeunes comme toi feraient d’ailleurs bien de nous écouter un peu plus.
- Bon, te fâche pas Papy. Tu es gentil toi. C’est pas comme notre voisine, cette vieille vache, qui est sourde comme un pot et qui met sa télé à brailler au moment des publicités. On tape au mur et du coup elle la met encore plus fort…
… Dis-donc Papy, tu n’es peut-être pas tombé dans un puits, mais je vois que tu as mouillé ta culotte.
Ça me rappelle que la pub de la télé de la voisine, elle a parlé de Téna contre les fuites urinaires. Tu devrais regarder ça.



Monday, May 28, 2012

Citation du 29 mai 2012


La vieillesse est un naufrage, les vieux sont des épaves !
Chateaubriand
La vieillesse est un naufrage. Pour que rien ne nous fût épargné, la vieillesse du maréchal Pétain allait s'identifier avec le naufrage de la France.
 Charles De Gaulle
Les vieux et nous I
La plupart de ceux qui citent cette phrase de Chateaubriand, le font après la référence à De gaulle (1), qui pourtant détourna notre regard du naufrage de la vieillesse, pour nous alerter à propos  des méfaits et de l’incompétence des vieillards séniles.
- Méfiez-vous des vieux, nous dit De Gaulle, car, ainsi que le montre le cas de Philippe Pétain,  leur naufrage est contagieux.
Il est vrai qu’en politique la vieillesse est habituellement porteuse de confiance : après tout Pétain fut aussi considéré comme le bon grand-père – ou mieux : l’ancêtre tutélaire et protecteur, celui dont la sagesse est garante du cap choisi. Or, voici qu’avec Pétain ce cap est précisément celui qui nous a menés sur les brisants. Les débris qui en résultèrent ne furent pas seulement ceux de sa vieillesse, mais aussi ceux de notre pauvre Patrie fracassée. (2)
Les pauvres petits vieux ! Les voici non seulement ridiculisés et discrédités, mais en plus on nous suggère de ne jamais les écouter, si ce n’est pour faire le contraire de ce qu’ils nous conseillent.
La vie politique de notre époque a bien confirmé ceci – du moins dans sa dimension humaine : voyez la campagne électorale américaine de 2008 : Barak Obama arrive en meeting en bondissant sur l’estrade, tel un félin, tandis que John Mc Cain y traine sa vieille carcasse aux articulations cliquetantes. (3)
J’avoue que je ne sais trop quoi dire pour consoler ceux qui arrivent au seuil de la sénilité : comme c’est Chateaubriand qui a allumé la mèche, il ne nous reste plus qu’à espérer qu’il va l’éteindre avec la citation de demain. A suivre, donc.
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(1) Ainsi de Simone de Beauvoir : « La vieillesse est un naufrage » écrivit Chateaubriand avant d’être plagié par le général de Gaulle, qui en avait après Pétain. » Simone de Beauvoir – La vieillesse
(2) La campagne électorale qui s’est achevée récemment a été riche en métaphores maritimes : du Capitaine-Courage au Capitaine-de-pédalo, le choix a été large. Reste que le Capitaine-de-pédalo, lui, ne risquait pas de nous entrainer sur des récifs comme un Capitaine-Bling-Bling tel celui du Concordia.
(3) Le récit des blessures de John Mc Cain au Viêt-Nam remplirait des pages entières. Voici un bref extrait (source : Wikipédia)
« Le 26 octobre 1967, au cours de sa 23e mission de bombardement au-dessus du Nord-Viêt Nam où son objectif est la centrale électrique d'Hanoi, son avion est abattu par un missile sol-air SAM-2 ...
Récupéré par les soldats nord-vietnamiens, un garde transperce son épaule avec la baïonnette de son fusil tandis qu'un autre lui perce la cheville. Il en gardera des séquelles physiques toute la vie comme une cicatrice sur la tempe, un bras gauche qui ne se lève plus, une jambe qui traîne un peu et une démarche assez raide. »

Sunday, May 27, 2012

Citation du 28 mai 2012


Alors Hérode, voyant qu'il avait été joué par les mages, se mit dans une grande colère, et il envoya tuer tous les enfants de deux ans et au-dessous qui étaient à Bethléhem et dans tout son territoire, selon la date dont il s'était soigneusement enquis auprès des mages. Alors s'accomplit ce qui avait été annoncé par le prophèteJérémie..." (1)
Évangile selon Matthieu, chap. 2, versets 16-18

Nicolas Poussin – Le massacre des innocents (1625-1629 – Musée Condé de Chantilly)

A l’heure où l’armée et la police de Bachar el-Assad torturent et tuent des enfants, nous reviennent les images terribles illustrant l’épisode du Massacre des innocents relaté dans l’Evangile de Matthieu.
Ces tableaux montrent habituellement des soldats poignardant des petits enfants que leur mère tente de protéger en le serrant contre leur poitrine. Mais Nicolas Poussin choisit de nous montrer le soldat levant son épée sur un petit – encore un nourrisson – qu’il coince au sol sous son pied : rien d’aussi horrible n’a jamais été imaginé.
Mais alors que le tableau de Poussin focalise l’attention sur la mère dont le visage occupe le centre de la composition (cf. l’analyse l’œuvre ici), notre émotion devant les atrocités syriennes est avant tout due à l’image d’un petit enfant, innocent et sans défense qu’on va tuer comme ça, alors que rien ne permet de dire qu’il représente le moindre danger.
Hélas ! Il y a pire : tout comme les soldats de Hérode, les SS nazis ont tués des nourrissons ; mais la police syrienne ne s’en contente pas : elle va jusqu’à torturer des enfants de 10 ans. Ça, au cours de l’histoire, aucun tableau, aucune gravure n’a jamais fixé une telle scène. Non pas qu’on ne sache pas le faire : les représentations de l’enfer et des supplices réservés aux damnés sont bien éloquentes. Mais les tortures des enfants, ça c’est strictement inimaginable. Seuls nos cauchemars les plus épouvantable nous l’ont donné à voir.
Vous en avez cauchemardé ?  Bachar l’a fait.
Reste que le sous-sol Syrien ne contient pas de pétrole : dommage pour les petits enfants de là-bas. On ne bougera donc pas.
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(1) Dans le livre de Jérémie (31:15), on trouve : "Ainsi parle l'Éternel : On entend des cris à Rama, des lamentations, des larmes amères ; Rachel pleure ses enfants ; elle refuse d'être consolée sur ses enfants, car ils ne sont plus." (lire ici)

Saturday, May 26, 2012

Citation du 27 mai 2012


Les enfants s'ennuient le dimanche. / Le dimanche, les enfants s'ennuient. / En knickerbockers ou en robes blanches, / Le dimanche, les enfants s'ennuient.
Vienne vienne / La semaine, / Lundi mardi jeudi, / Car la rue est toujours pleine / De lumière et de bruit!
Charles Trenet – Les enfants s’ennuient le dimanche. Chanson
Le dimanche à Bamako, C’est le jour de mariage.
Amadou et Mariam - Dimanche à Bamako
A quoi reconnait-on qu’on est dimanche ? Est-ce le jour du Seigneur ? Sans doute, mais sous nos latitudes ce n’est plus un signe bien visible.
La chanson de Trenet affirme que le dimanche on … s’endimanche, c’est-à-dire qu’on ne travaille pas et qu’on met des vêtements forts incommodes qui en plus nous empêchent de jouer.
Tout cela a bien changé, mais on retrouve quand même l’idée qu’on s’ennuie le dimanche – aussi bien quand on est enfant que quand on est parent.
Qu’est-ce qu’on regrette, quand on est dimanche ? Selon la chanson, c’est non pas le travail mais l’animation des rues. La ville s’endort le dimanche, et on ferait bien d’en faire autant.
A moins qu’on puisse quand même faire les magasins ! Ouvrez, ouvrez-nous les Grandes surfaces ! Permettez qu’on arpente les allées de Carrefour et qu’on suive le parcours fléché d’Ikéa ! Faites taire tous ces syndicats qui protestent que le dimanche c’est fait pour la vie en famille ! Est-ce à eux de nous dire ce qu’on doit faire ? Et si les hôtesses d’Auchan préfèrent sortir de chez elles – où elles s’ennuient –  pour aller à la rencontre de leur gentille clientèle, qu’est-ce donc qu’on a à y redire ?
A moins qu’on ne fasse autre chose. Comme à Bamako.

Friday, May 25, 2012

Citation du 26 mai 2012


Un homme peut en cacher un autre.
Miss.Tic (Exposition Secret d'atelier - un homme, à la Galerie Lélia Murdoch du 1er juin au 13 juillet 2012)



Attention ! Ambiguïté !
Si un Pochoir de Miss.Tic vous parait énoncer une évidence, s’il affirme directement et en pleine clarté une vérité sans ombre – ombre qui cacherait bien sûr une autre vérité – alors vous avez dû rater une marche.
Ainsi : quel est l’homme que cache ce Beau-Mec ? Peut-être sa carrure d’athlète est-elle en train d’occulter le mari de la Belle-Dame, un mari musclé comme Woody Allen avec en prime le Q.I. d’un supporter du PSG. ?
Facile. On devine évidemment que, devant les abdos de ce type, la dame va sans attendre déposer son glamour à ses pieds.
Oui, mais serait-il possible de lire aussi un avertissement. ? Du genre : « Attention ce type n’est pas « Beau-Mec » de part en part. Ce n’est qu’une façade, et derrière il y a le comportement d’un salaud de macho, ou au contraire d’un enfant névrosé qui va vous demander de remplacer sa maman. »
Méfiance donc : rien n’est sans sa part d’ombre et même quand on croit que tout n’est que lumière et volupté, se cache, tapi dans les ténèbres quelque bête malfaisante.
Alors évidemment, vous pouvez mesdames profiter du beau mec en vous disant que c’est toujours ça de pris, et que vous savez courir vite quand il le faut.
Moi, ce que  j’en dis c’est pour vous être agréable, et si ça ne vous intéresse pas, alors tant pis pour les Moches-Mecs.

Thursday, May 24, 2012

Citation du 25 mai 2012


J'ai pour me guérir du jugement des autres toute la distance qui me sépare de moi.
Antonin Artaud, Correspondance avec Jacques Rivière, 1924
On sait combien la schizophrénie dont souffrait Antonin Artaud l’a torturé. On trouve dans sa correspondance avec Jacques Rivière les déchirements de son humanité et l’expression de sa douleur – comme d’une amputation à vif.
Ce que la schizophrénie fait éprouver à Artaud est relativement simple à décrire : Artaud souffre d’une déperdition de son être. Il sent ses facultés lui échapper, et en même temps sa conscience, au lieu d’en être diminuée ou obscurcie, reste parfaitement lucide et aiguë. Ce moi misérable, qui lui semble si éloigné de ce qu’il est – ou du moins de ce qu’il veut être – c’est bel et bien son moi réel, non seulement tel que les autres le voient – mais (peut-être plus encore si on en croit Jacques Rivière) tel qu’il le ressent.
Cette souffrance témoigne de l’existence au sein même de la personne d’un être qui ne s’identifie pas à cette épave morale et psychique ; et elle permet aussi de relativiser le jugement des autres : ils n’ont pas le pouvoir d’anéantir cet être qui de l’intérieur se juge et souffre.
Si nous ne sommes pas schizophrènes, nous ne pouvons faire l’expérience de cette souffrance. Par contre nous pouvons tenter de comprendre ce que le jugement des autres sur nous nous apprend de ce dédoublement.
L’idée qu’on peut en tirer est d’abord que, quand on nous juge, on se demande d’abord de qui on parle :
- Est-ce de moi ? Je ne m’y reconnais pas.
- Est-ce d’un individu qui passe par là et qu’on interpelle tout en me parlant ?
- Mais non : c’est bien de moi qu’il s’agit et je dois admettre que moi, vu de l’extérieur, c’est précisément ce type que je ne connais pas – et surtout dans lequel  je ne me reconnais pas.
C’est non seulement une blessure narcissique – encore que le jugement d’autrui puisse être extrêmement laudateur – mais surtout c’est l’expérience d’un dédoublement de soi-même (1), qui recoupe celle qu’éprouvent les schizophrènes.
Reste que nous ne sommes pas schizophrènes et qu’on ne peut donc expérimenter le dédoublement de notre être à partir de nous-mêmes. Il faut donc que nous l’expérimentions à partir de la présence des autres -  présence qui peut n’être accompagnée d’ailleurs d’aucun jugement, si l’on en croit l’analyse de Jean-Paul Sartre.
Sartre décrit ce dédoublement est comme l’expérience de la honte : le moi-sujet se découvre moi-objet sous le regard d’autrui. Ici, nulle pathologie dans le dédoublement. Par contre autrui est devenu l’indispensable médiateur entre moi-même et moi.
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(1) Je est un autre, dit Rimbaud (Lettre du Voyant – à lire ici) : encore un poète…

Wednesday, May 23, 2012

Citation du 24 mai 2012


Aujourd'hui encore je n'attends rien que de ma seule disponibilité, que de cette soif d'errer à la rencontre de tout, dont je m'assure qu'elle me maintient en communication mystérieuse avec les autres êtres disponibles, comme si nous étions appelés à nous réunir soudain. J'aimerais que ma vie ne laissât après elle d'autre murmure que celui d'une chanson de guetteur, d'une chanson pour tromper l'attente.
Indépendamment de ce qui arrive, n'arrive pas, c'est l'attente qui est magnifique.
André Breton – L'Amour fou

Indépendamment de ce qui arrive, n'arrive pas, c'est l'attente qui est magnifique.
J’ai failli m’en tenir à cette seule phrase, mais je n’ai pu m’y résoudre : les volutes de la pensée de Breton ont bloqué ma souris au moment de cliquer sur « Delete »…
Si cette pensée me ravit c’est que j’y vois comme une métaphore de mon vagabondage sur le Net, à la recherche d’on ne sait quoi, mais qui est tellement précis que je sais que je l’ai trouvé dès que je le rencontre.
Ami(e)s blogeurs-blogeuses, n’est-ce pas cette errance-là qui vous pousse comme moi à rechercher ici ou là, comme en musardant, le message qui va sembler vous être destiné – à vous et à personne d’autre ? Et, au-delà des messages, les rencontres (même virtuelles) avec les messagers ne sont-elles pas la récompense de vos efforts ? Quel réconfort ! À force de les désirer, enfin, elles arrivent…
Mais André Breton remonte un cran plus haut : c’est qu’avant la communication réelle, il y a l’attente, qui crée une communication mystérieuse avec les autres – communication non pas virtuelle, mais « super-virtuelle » - et c’est elle qui rend la vie magnifique. Que ma vie soit remplie par la chanson de guetteur,  voilà ce qui devrait me suffire.
Comment comprendre cela sinon en affirmant que seul le désir est grand, bien plus que son assouvissement ? Breton c’est l’homme qui disait, dans Nadja, que la beauté est convulsive, comme une locomotive qui bondirait sur place dans la gare de … (j’ai oublié son nom).
On comprend ici qu’il ne faut pas interpréter cette image comme un fantasme orgasmique, mais bien comme ce qui annonce littéralement le voyage : ce qui est magnifique, c’est l’attente du voyage et non le voyage lui-même.
L’attente, comme le désir est un concentré d’énergie ; c’est pour cela qu’elle rend belle la vie.
Héhé… Mais dites donc : ne serait-ce pas un éloge de l’abstinence ça ?