Sunday, September 30, 2012

Citation du 1er octobre 2012



Quand on veut gouverner les hommes, il ne faut pas les chasser devant soi. Il faut les faire suivre.
Montesquieu – Mes pensées
Commentaire I
Voilà un avertissement dont il faudrait bien se rappeler : méfiez-vous de ces leaders d’opinion, de ces tribuns, de ces chefs potentiels qui vous disent : « Je sais comment nous sortir de ce mauvais pas où est engagé notre pays. Suivez-moi, je vous promets des jours meilleurs ! ». En réalité, il ne veut pas vous aider mais vous gouverner.
Oui, pour gouverner les hommes, il faut les faire suivre… C’est ce que chaque élection nous apprend, et nous marchons … derrière notre nouveau chef, sans trop savoir où nous allons – à quoi bon d’ailleurs ? Il suffit que lui le sache. Un peu comme pour les convois militaires : seul le véhicule de tête connait le chemin, tous les autres le suivent. Il suffit de nous persuader que nous sommes, comme disait Kant, trop sots pour savoir nous diriger nous-mêmes.
Même si nous n’avons pas vraiment confiance, nous suivons quand même le chef, mûs par un obscur désir d’abdiquer notre liberté pour le confort de l’obéissance – comme l’affirmait La Boétie (1).
Mais, si nous laissons de côté les grégaires compulsifs et les esprits trop facilement impressionnables, ne peut-on pas dire que pour tous les autres, l’avertissement de Montesquieu est devenu inutile ? Que nous savons bien ce qu’il en est des politiques, et que la compétence que nous leur attribuons est à la hauteur de notre naïveté ?
Raison pour laquelle, les plus malins d’entre eux nous disent : « Je ne vais pas vous conduire, je vais vous suivre. Parce que moi, je suis déterminé à faire ce que vous voulez, et je sais à quoi vous êtes prêts pour l’obtenir. Votez pour moi, et je serai toujours à l’écoute de votre volonté. »
Quand on veut gouverner les  hommes, il faut leur faire croire qu’on les suit.
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(1) Cf. La Boétie – Discours de la servitude volontaire (à lire ici)

Saturday, September 29, 2012

Citation du 30 septembre 2012



La diligente abeille n’a pas de temps pour la tristesse.
William Blake
L’homme doit être occupé de telle manière qu’il soit rempli par le but qu’il a devant les yeux, si bien qu’il ne se sente plus lui-même et que le meilleur repos soit pour lui celui qui suit le travail.
E. Kant – Réflexions sur l’éducation
Métaphore de l’abeille (suite)
Après l’abeille alchimiste (ici) et l’abeille productiviste (), voici l’abeille joyeuse – du moins, l’abeille qui n’a pas de temps pour la tristesse. L’abeille nous enseigne donc comment faire pour éviter la dépression et l’amertume : travailler sans relâche.
- Vous êtes chômeur et on vous plaint : non pas que vous soyez menacé de crever de faim, vous, votre femme et vos enfants – après tout il est toujours possible d’aller aux Restos du cœur.
On vous plaint parce que, de toute la journée vous n’avez rien qui vous détourne du souci de vous-même et vous évite les ruminations mentales.
--> Tentez le bénévolat : ça ne vous enrichira pas, mais au moins vous serez occupé – et éventuellement utile aux autres.
- Vous êtes retraité, et vous déprimez dur : vous vous sentez inutile, et les quelques occupations de la journée sont devenues des rituels dérisoires. Vous en êtes même à regretter vos anciens collègues et le manager-crétin que vous deviez supporter ?
--> Là aussi il vous faut, comme l’abeille industrieuse, retrouver le chemin du travail, prendre une activité complémentaire (ça va arrondir votre pension maigrelette) – ou bien vous aussi tentez le bénévolat : vous porterez les boites de petits pois aux Restos du Cœur : vous y rencontrerez des chômeurs et vous serez content de voir des gens plus malheureux que vous.
- Vous êtes prisonnier, désœuvré dans une cellule de 12 m2 avec trois autres détenus qui sentent des pieds et une vieille télé toute pourrie qui diffuse TF1 à longueur de journée. Ah… Si seulement on vous donnait un travail… Mais non : c’est justement ça votre punition.

Friday, September 28, 2012

Citation du 29 septembre 2012



De Démocrite : les gens parcimonieux (= avares) connaissent le sort misérable des abeilles : ils travaillent comme s’ils allaient vivre toujours.
Stobée - Florilège, III, XVI, 17)
Métaphore de l’abeille (suite)
Il appartenait à l’antiquité grecque de déprécier le travail de l’abeille en le comparant au travail d’un être vicieux et  absurde : l’avare.
Qu’est-ce que l’abeille et l’avare ont en commun ? De travailler comme s’ils devaient vivre éternellement. Tous deux amassent par leur travail beaucoup plus qu’ils ne devraient pour satisfaire simplement leurs besoins. 
Et c’est vrai : pourquoi les abeilles font-elles tant de miel ? Je veux dire que si nous pouvons leur en prendre tant – et nous ne sommes pas les seuls : les ours le font depuis la nuit des temps – c’est bien parce qu’elles en ont fabriqué beaucoup plus qu’il n’en fallait pour se nourrir.
C’est un mystère pour moi qui ne suis ni entomologiste ni apiculteur ; et c’est un mystère également pour la pensée grecque pour laquelle les insectes n’agissent que poussés par la nature. Or, comme le disait Aristote : « la nature ne fait rien en vain » : donc pas de travail qui ne soit justifié ; et quelle justification pour le travail sinon les besoins à satisfaire ?
Travailler sans besoin, ou au-delà des besoins, sans y être contraint comme l’esclave, c’est aller contre une loi de la nature, et c’est donc bien une perversion.
On voit que Rousseau se trompait qui considérait que seul l’homme peut être un animal dépravé (1) : l’abeille l’est également et ici la métaphore éclairante s’inverse : c’est l’homme (= l’avare) qui éclaire la nature de l’abeille et non le contraire.
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(1) « L’homme qui médite est un animal dépravé. »  – Discours sur l’origine de l’inégalité

Thursday, September 27, 2012

Citation du 28 septembre 2012



L'âme humaine est comme l'abeille qui puise son miel même de l'amertume des fleurs.
Henryk Sienkiewicz – Sans dogme (1891)
Métaphore de l’abeille.
On attribue aux abeilles toutes sortes de vertus, comme ici de transmuter l’amertume en sucre.
Belle histoire mais qui est fausse et surtout qui nous fait perdre de vue l’essentiel : les fleurs fabriquent du nectar qui ne leur sert à rien (directement), mais qui attire les abeilles, qui vont les féconder. Les abeilles fécondent les fleurs en y pénétrant  ce qui ne leur sert à rien non plus sauf qu’elles font cela pour récolter le nectar (1).
--> La métaphore utile est donc celle-ci : les échanges doivent être gagnant-gagnant et pour cela il faut accepter de faire aussi ce qui ne nous est pas directement utile. On ne peut tout gagner et ne jamais rien perdre, et l’art de la négociation doit forcément intégrer ce paramètre.
On voit qu’il s’agit d’une situation qui fait la part belle à la théorie des jeux – sauf que contrairement au postulat de la théorie des jeux (2), ni la fleur, ni l’abeille ne calculent leur profit. Et pourtant ça marche : la fleur en fabriquant le nectar produit ce qui ne lui sert à rien dans le processus de reproduction – du moins directement : le nectar n’est pas une étamine, et il n’est pas non plus un pistil. Mais comme tout cela  ne fonctionne qu’à condition d’être fécondé, alors il faut bien que quelqu’un s’en charge, et c’est l’abeille qui va faire le petit facteur en portant le pollen mâle dans le pistil femelle. D’où le profit de la plante : c’est une partie de billard à trois bandes. Et c’est le même schéma qui explique comment l’abeille, en butinant pour son propre bénéfice, fournit à la fleur ce qu’elle attendait.
La métaphore de Sienkiewicz bien qu’elle soit en toute rigueur fausse n’en n’est pas moins riche d’une intuition importante : le miel est un produit que la fleur ne contenait pas, qui est élaboré par l’abeille au cours d’un processus fait d’ingurgitation et de régurgitation successifs, afin de le mêler à des sucs digestifs variés.
… Reste que si mon âme doit faire la même chose pour transfigurer ses états d’amertume en pensées lumineuses, moi j’hésite. Rien qu’à savoir ce que l’abeille doit faire pour fabriquer du miel, je sens que mes tartines de miel ne passent pas.
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(1) Bien sûr, c’est la même chose qui se passe pour la sexualité humaine.
(2) « La théorie des jeux est un ensemble d'outils pour analyser les situations dans lesquelles ce qu'il est optimal de faire pour un agent (personne physique, entreprise, animal, ...) dépend des anticipations qu'il forme sur ce qu'un ou plusieurs autres agents vont faire » Wikipédia

Wednesday, September 26, 2012

Citation du 27 septembre 2012



La fonction de l'artiste est fort claire : il doit ouvrir un atelier, et y prendre en réparation le monde, par fragments, comme il lui vient.
Francis Ponge
Cette formule de Ponge me revenait à l’esprit l’autre jour, alors qu’une dame me disait combien la société actuelle révélait de décadence, d’échecs et de ruines, et ajoutait « il n’y a que l’art qui puisse encore nous sauver. »
L’art, c’est ce qui reste quand tout a raté. Déjà c’est ce que pensaient Schopenhauer et Nietzsche.
Seulement comme on admet généralement ça sans discussion, ni surtout sans savoir pourquoi  on le dit, ça ne nous éclaire pas beaucoup. Car, avant d’opiner ou de se récrier, il faudrait savoir ce que ça veut dire. Lourde tâche : je commence et je laisserai des points de suspension pour tous ceux qui voudront poursuivre le travail.
- D’abord, l’artiste c’est un type tout seul dans son atelier, pieds nus sur le carrelage, torse nu et pantalon de toile tâché de peinture. Ou alors un guitariste, le joint au coin des lèvres et le cheveu hirsute. Bref, l’artiste est un créateur solitaire. Et s’il peut quelque chose c’est essentiellement pour lui. Ne lui demandons pas de sauver la société, ni de nous montrer le chemin. Encore heureux si en le suivant on retrouve chacun pour soi ce qu’il a découvert.
- Ensuite, si on demande à l’artiste la voie du salut – à l’artiste et pas au curé, par au rabbin, pas à l’imam etc… –  c’est que la transcendance à laquelle on croit, c’est celle de notre propre imagination. Rien n’est caché derrière l’horizon et les cieux sont vides. Mais nous sommes capables de construire pour nous même ce que Baudelaire appelait des paradis artificiels – sachant que l’artifice c’est ce qui nous reste à vivre quand tout le reste fait défaut.
- Pour nous donner ce que la réalité nous refuse, l’art doit créer autre chose que du réel – ne lui demandons donc pas d’embellir la réalité. Le bonheur d’écouter de la musique ou de contempler un tableau nous entraine loin du réel, mais non pas en le distordant. Simplement parce que ce n’est pas le même monde.
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