Monday, January 30, 2006

Citation du 31 janvier 2006

La nuit est destinée au sommeil, le jour au repos et l'âne au travail.

Proverbe afghan

L’homme n’est pas destiné au travail mais au farniente.

Travailler, c’est digne de l’animal, et encore, pas n’importe lequel : l’âne dont on ne sait si on doit le plaindre, le mépriser, ou se moquer de lui.

Bref : l’homme travaille, il ne peut faire autrement, mais il n’est pas destiné à cela.

A quoi est-il donc destiné ? Au bonheur. Détail des opérations.

La nuit est destinée au sommeil. Il ne s’agit pas du sommeil réparateur, sanctifié par la nécessité de reconstituer ses forces laborieuses, mais du sommeil jouisseur, de celui qui apporte le plaisir du rêve, et pour les connaisseur, le plaisir …de dormir.

La journée est destinée au repos ; non pas le dimanche, non pas les jours fériés ou en vacances, mais tous les jours. Pas de concession !

La question: « que faire lorsqu’on ne travaille pas ? » est réglée La réponse : on se repose. Seulement c’est un peu court comme réponse. Pas de repos sans fatigue, mais il n’y a que l’âne pour se fatiguer.

Je crois que là encore, c’est Epicure qui détient la solution : le repos, c’est le moment où nous pouvons être attentifs à tout ce qui peut faire plaisir ; indéfiniment plaisir. Le plaisir qui peut occuper la vie sans cesse, c’est la pure jouissance de vivre, de respirer, de sentir son cœur battre, de voir le ciel bleu. Surtout ne pas s’agiter car c’est source d’inquiétude, de souci et donc de souffrance. Voilà pourquoi le repos, qui est le contraire de l’agitation, mène au bonheur.

Le bonheur est dans le pré.

Cours-y vite, cours-y vite.

Le bonheur est dans le pré.

Cours-y vite. Il va filer

(Lire le poème de Paul Fort ici)

Paul Fort est dans l’erreur la plus totale : ne pas courir, ne pas s’inquiéter de rater l’occasion. Si le bonheur est dans le pré, c’est que j’y suis déjà.

Encore deux citations pour le prix d’une ; les soldes ne sont pas finis

Sunday, January 29, 2006

Citation du 30 janvier 2006

Je suis homme et rien de ce qui est humain ne m'est étranger

Terence - Le bourreau de soi-même (début de l'acte I)

Voilà, c’est évident, comme le loup comprend le hurlement du loup, les hommes se comprennent aussi entre eux. Et s'ils se comprennent, c'est évidemment qu'ils ont ce quelque chose en commun : comme on dit "le semblable connaît le semblable".

Mais du coup ça devient très gênant. Car si on y pense un peu, on voit bien que nous sommes contraints à nous retrouver nous mêmes dans tout ce que les hommes ont fait, dans ce qu’ils font et dans ce qu’ils feront. Et nous voilà obligés de dire : « je ne suis pas étranger aux camps de la mort, à l’esclavage, aux viols et autres abominations commises par les hommes, mes semblables. »

Pour m’en sortir, je peux évidemment refuser l’humanité à ces bourreaux : ce sont des monstres, des bêtes féroces, les détruire est un devoir.

Du coup je vais limiter l’humain à ce qui relève des créations de son génie, non pas à ses basses oeuvres mais à ses plus hautes. C’est ainsi que Hegel appliquait cette devise à l’art qui aurait selon lui pour rôle de révéler les richesses qui se cachent dans l’esprit humain

Facile. Trop facile. Je préfère Hannah Arendt : dans son « reportage » Eichmann à Jérusalem, elle évoque la banalité du mal. Je ne veux pas parler de la complicité des victimes avec leurs bourreaux. Je veux dire que les bourreaux sont aussi parmi nous, que nous mêmes aurions pu l’être si les circonstances nous y avaient portés, à supposer que nous n’ayons pas eu la force de lutter contre elles. On sait ce qui s’est passé pendant la guerre d’Algérie.

Rien de ce qui m’est humain ne m’est étranger, mais tout ce qui est humain ne doit pas être assumé pour autant.

Citation du 29 janvier 2006

- Quoi ?

- Rien

Dialogues de la vie quotidienne, T. 2

Voici le dialogue d’un couple quelconque (mari et femme, amis, compagnons de travail) quand il a beaucoup vécu.

C’est peu de chose, et pourtant il en dit déjà beaucoup.

D’abord, on y trouve l’espoir de faire naître ce dialogue et que ce soit l’autre qui le prenne en charge. On sollicite la conversation, et en même temps se défausse de la responsabilité de l’entretenir : voilà l’indice de la difficulté de la tâche, à moins que ce soit la preuve du peu d’intérêt qu’on y porte.

Et du coup, c’est l’échec ; déjà, parce qu'on n'a plus vraiment envie de parler à celui-là : celui qui est en face n’est plus l’interlocuteur désiré, à qui on a envie de raconter sa journée, à moins que tout simplement il n’excite plus l’imagination ni l’intelligence.

Peut-être aussi que c’est l’échec parce qu’on n’a plus rien à se dire : tout ce qu’on aurait à dire, l’autre le sait déjà ; à quoi bon parler si c’est pour s’entendre répondre : « Je sais… ». Le dialogue se nourrit de cette contradiction : il faut avoir quelque chose en commun avec l’autre (un vécu, une connaissance, une action…) et en même temps avoir autre chose à dire, autre chose qu’il ne sache pas déjà.

Certes il n’y a pas que les vieux couples qui ne se parlent pas. Il y aussi les amoureux ; eux ils se parlent « avec les yeux », comme on dit. Mais dans notre citation, on n’est pas dans le silence complice, où la compréhension se passe de mots ; on est dans le vide où la pensée ne peut plus se développer.

Ce silence est éloquent parce qu’il n’a rien à dire.

Thursday, January 26, 2006

Citation du 28 janvier 2006

«Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens!»

Pierre Amaury, 22 juillet 1209

Injonction prêtée à Pierre Amaury, légat du pape Innocent III, avant la mise à sac de Béziers par les Croisés venus du Nord (22.000 victimes). Il s’agit de la Croisade des Albigeois, durant la quelle les barons du nord, chrétiens, ont massacré les hérétiques cathares.

Ce cri terrifiant a-t-il cessé de retentir ? A-t-on cessé de massacrer au nom de Dieu ? N’y a-t-il plus d’innocents sacrifiés en toute connaissance de cause dans un combat ou une guerre ?
Bien sûr, rien de tout cela n’a cessé. C’est devenu « normal », on a même fabriqué une théorie pour en rendre compte. Les militaires ont intégré le massacre des innocents dans leurs calculs, c’est devenu un « risque » qu’ils appellent : « dommages collatéraux ».

Le légat du Pape est passé à la postérité comme un exemple d’aveuglement fanatique et furieux pour des « dommages collatéraux », quelques milliers de morts non désirés, condition de l’extirpation de l’hérésie à Béziers. Nous avons fait beaucoup mieux depuis, en toute bonne conscience, sans même avoir l’excuse de croire que ces innocentes victimes auront, comme compensation d’aller au Paradis un peu plus tôt.

Citation du 27 janvier 2006

« Parle et je te baptise »

Cardinal de Polignac

Cette injonction du Cardinal de Polignac s’adressait à un orang-outang rencontré dans le jardin du roi. C’est Diderot qui rapporte l’anecdote dans l’Entretien avec d’Alembert. Le langage est le propre de l’homme et si ce singe parle, alors il devient un homme digne d’être baptisé.

Commence-t-on à être un homme en parlant ? Cesse-t-on d’être un singe en accédant au discours ? On se rappelle l’inénarrable scène de la Fiancée de Tarzan : Jane rencontre Tarzan l’homme-singe pour la première fois et que fait-elle ? Elle lui apprend à parler. L’homme-singe est donc sorti grâce à cela de l’animalité pour entrer dans l’humanité, et c’est pourquoi sans doute il était si urgent de le « démutiser ».

Ce que je remarque, c’est qu’aujourd’hui ces croyances nous étonnent : la frontière entre l’homme et l’animal nous paraît plus imperméable qu’au Cardinal de Polignac, et même le langage ne suffirait pas à nous persuader du contraire. Nous ne sommes même pas troublés d’apprendre qu’une guenon a appris le langage de signes (par gestes) ; un singe est un singe et un homme est un homme. On n’en démord pas.

Mais a-t-on réalisé que l’inverse a été cru et cela il n’y a pas si longtemps. Qui donc a affirmé que la frontière qui sépare l’homme de l’animal passe à l’intérieur de l’espèce humaine ? Les nazis. Ce sont eux qui affirmaient qu’il y a des races de sous-hommes, c’est à dire des êtres qu’on ne reconnaît pas comme nos semblables, mais qui pourtant sont bien biologiquement (j’allais dire « zoologiquement ») des hommes. Etant de la même espèce, ils peuvent donc se métisser avec l’homme « véritable » : la haine et la peur des juifs était pour les nazis la conséquence de cette menace de « contamination ».

C’est là pour les nazis une raison suffisante pour justifier l’Holocauste.

Wednesday, January 25, 2006

Citation du 26 janvier 2006

« Qu'ils me haïssent pourvu qu'ils me craignent »

Caligula

Caligula le débauché et le frère incestueux (il prétendait être Jupiter (incarné) et il en tirait prétexte pour coucher avec de nombreuses femmes et tout particulièrement avec ses sœurs), a servi d’anti-modèle moral. Mais sa devise est restée célèbre comme principe politique, jusque chez Machiavel (Le Prince, ch. XVII). Le Prince doit savoir se faire craindre pour conserver le pouvoir, rusé comme le renard, il doit se transformer en lion terrifiant quand la situation le justifie.

Nos politiciens ont-ils appris à l’ENA qu’il fallait au contraire se faire aimer ? Leur aurait-on expliqué que la démocratie fonctionne en gouvernant l’opinion publique plus qu’en choisissant les orientations politiques ? Sans doute, car on voit avec quel soin ils essaient de faire oublier qu’ils exercent un pouvoir et comment ils s’efforcent de nous faire croire qu’en gouvernant ils ne font qu’exécuter nos propres volontés. Ce qui serait en principe suffisant pour se faire aimer, mais leur insistance à en rajouter (dans le genre politicien sympa, toujours près des vrais gens, dans leurs banlieues ou dans leur poste de Télé), montre que ce n'est pas si facile. Machiavel disait qu’il valait mieux chercher à être craint qu’à être aimé, parce que la crainte est facile à inspirer, alors que l’amour ne se commande pas. Nous savons que non seulement on peut échouer à se faire aimer quand on gouverne, mais qu’en plus on est alors facilement méprisé.

Tuesday, January 24, 2006

Citation du 25 janvier 2006

Mieux vaut de rire que de larmes écrire

Pour ce que le rire est le propre de l’homme

Rabelais - Gargantua - (Aux lecteurs)

Quant Rabelais écrit que le rire est « le propre » de l’homme il veut dire qu’il lui appartient exclusivement. Ce qui veut dire que l’animal ne rit pas. Admettons.

Dirait-on que les larmes sont aussi « le propre » de l’homme ? Non, car on racontait, du temps de la chasse à courre, que le cerf au moment de l’hallali pleurait sous le couteau du chasseur. Du moins Rabelais dans sa dédicace au lecteur précise bien qu’il ne parle pas de « deuil » (= chagrin) parce que c’est le rire qui seul est propre à l’homme.

Reste à dire s’il faut rire pour être vraiment un homme, si le mélancolique, le bilieux, le furieux, à supposer qu’ils ne rient jamais, manquent de perfection humaine.

Et là d’un coup on retrouve toutes sortes d’objections bien connues : l’homme qui s’amuse n’a aucune valeur; l’homme sérieux, quant à lui, ne rit pas. Rabelais lui-même dans sa dédicace présente le comique de son oeuvre comme ce qui pourrait scandaliser, comme le futile qui ne se soucie pas de la morale. On se rappelle aussi le roman d’Umberto Eco : le Nom de la rose a pour argument une dispute médiévale entre ceux qui croient que le Christ pouvait rire et ceux qui considéraient comme impie une telle affirmation.

Inutile de multiplier les exemples : s’il ne manque à l’animal que le rire pour être un homme, il ne lui manque que peu de choses. A part le bonheur.

Monday, January 23, 2006

Citation du 24 janvier 2006

Aux armes, citoyens !
La Marseillaise
Un professeur de droit constitutionnel, interrogé sur la citoyenneté, utilisait cette citation pour expliquer pourquoi les femmes avaient été si longtemps privées du droit de vote : être un citoyen, ça veut dire porter les armes pour protéger la République. C’est exactement l’argument utilisé par les lobbies des armuriers américains pour justifier la vente libre des armes.
Ne peut-on constituer une nation que contre les autres ? Grave problème qu’on ne traitera sûrement pas ici. Dans son Projet de paix perpétuelle, Kant ne misait pas sur la bonté des hommes, mais sur l’intérêt bien senti de chaque peuple de commercer avec ses voisins. Il faisait l’impasse sur le pillage des ressources des pays pauvres, moyen encore plus rapide de s’enrichir - mais sûrement pas le plus pacifique.
Un autre qui ne mise pas sur la bonté des hommes, et qui considère que les citoyens ne sont pas prêts de déposer les armes, c’est Freud. Voici ce qu’il dit « Il est toujours possible d'unir les uns aux autres par des liens d'amour une plus grande masse possible d'hommes, à la seule condition qu'il en reste d'autres en dehors d'elle pour recevoir les coups » C’est dans Malaise dans la culture, et on ne saurait mieux dire.
Encore deux citations pour le prix d’une.

Sunday, January 22, 2006

Citation du 23 Janvier 2006

« A tout homme qui a, on donnera et il sera dans la surabondance ; mais à celui qui n’a pas, même ce qu’il a lui sera retiré. »

Evangile de Matthieu, XXV-29

Pour qui ne connaît pas la Parabole des Talents, la surprise doit être de taille : Jésus (oui, c’est bien Lui qui rapporte les Paraboles chargées d’édifier les fidèles et les Apôtres) vient nous dire - en gros - « prenez aux pauvres pour donner aux riches » !

Si vous ne me croyez pas allez lire : un maître qui doit quitter son domaine pour un voyage confie de l’argent à 3 de ses serviteurs. A son retour les deux premiers qui ont fait fructifier cette somme la lui rendent, intérêt et capital. Ils sont félicités. Le troisième l’a enterrée au lieu de la faire fructifier ; c’est à lui que s’applique cette condamnation.

Bien sûr, si c’est une parabole, c’est que le sens littéral n’est là que pour éveiller les consciences au sens caché derrière. Le « Talent », qui est d’ailleurs passé dans le langage commun, évoque l’aptitude à développer les capacités qui sont en nous. Jésus nous dit en substance : « Le Seigneur vous a créé avec les dons qui sont en vous. Vous êtes à vous mêmes le capital qu’il faut faire fructifier, et au jour du Jugement Dernier, vous aurez des comptes à rendre sur ce que vous en aurez fait durant votre vie. » Fin du sermon. Il est très beau.

Mais il n’a pas empêché qu’on comprenne cette parabole au premier degré : faire de l’argent peut servir à montrer sa vertu, et on peut gagner le Paradis en s’enrichissant. En tout cas les Protestants en auraient fait le support éthique du Capitalisme Américain si on en croit Max Weber.

La Paradis ? Là où est l’Ecureuil !

Saturday, January 21, 2006

Citation du 22 janvier 2006

Il est très malaisé de parler beaucoup sans dire quelque chose de trop.

Louis XIV

Je me demande si c’est vraiment Louis XIV qui a dit une pareille chose; j’en douterais, même si c’était garanti par Saint-Simon, tellement je suis persuadé que c’est moi qui suis l’auteur véritable de cette sentence. Et pour moi, il va de soi que « dire quelque chose de trop » ce n’est pas trahir un secret, même si Louis XIV n’est pas d’accord, c’est dire une bêtise dont on rougira quand on y repensera.

Il faut dire que notre époque nous abreuve de personnes qui parlent beaucoup, il suffit d’ouvrir sa radio ou sa télé pour constater un : que ça parle tout le temps ; deux : que c’est toujours les mêmes qui parlent ; et trois : qu’ils finissent toujours par dire des stupidités. Oui, des stupidités, même les envoyés spéciaux, même les brillants éditorialistes, mêmes les professeurs de l’Institut des Hautes-Etudes convoqués comme experts, tous.

Pourquoi ?

Parce que parler c’est produire un matelas douillet de paroles qui nous isole progressivement de la réalité et se substitue à elle, parce que à trop parler on oublie d’observer, parce qu’on ne voit plus la réalité – ou les autres – nous démentir.

Je dis « nous », parce que moi aussi, je pourrais trop parler si je ne me rationnais pas.
Ici par exemple.

Friday, January 20, 2006

Citation du 21 janvier 2006


« L’enfant est le père de l’homme » Wordsworth (Arc-en-ciel)

Curieux destin que celui de cette citation connue (lorsqu’elle l’est) plus parce que Freud l’a utilisée dans un de ses articles ("Das Kind ist der Vater des Mannes »), que comme référence à l’œuvre du poète. Si l’enfant est le père de l’homme, alors ce que nous sommes étant adulte est déterminé par ce que nous avons été étant enfant.

Il faut dire qu’elle colle parfaitement à la théorie oedipienne de la personnalité, sauf que là il faut bien qu’il y ait un père devant l’enfant pour que celui-ci noue son Œdipe.

Car il y a un petit coté poule-œuf ici ; si l’enfant est le père de l’homme, qui donc est le père de l’enfant ?

Mais je trouve que c’est du coté de la tragédie grecque que cette phrase prend tout son sens. Œdipe est victime de la malédiction qui frappe son père et son malheureux destin résulte de ce qu’ont fait les générations antérieures à la sienne. Il est à la fois coupable et innocent; coupable pour avoir fait ce qu'il a fait ; innocent parce qu'il ne savait pas ce qu'il faisait ; puni parce que solidaire de son lignage.
De la même façon, pour Freud,
l’adulte vit aussi un destin dont il ne faut pas attendre grand chose de bien. Mais ce destin est la conséquence de sa propre enfance, il en est l’auteur et - en partie du moins - le responsable : à la différence de l'histoire d'Oedipe, le père est innocent : il n’est qu’une icône, il est simplement celui qui, parce qu’il est là, va endosser le rôle du castrateur.

N’accusons donc plus nos parents de nous avoir faits comme nous sommes, car c’est nous les vrais responsables.

Self-made man.

Thursday, January 19, 2006

Citation du 20 janvier 2006

Je n'arrive plus à souhaiter aux gens une heureuse année. Pas quand je songe à ce qui les rendrait vraiment heureux.

Gerald F. Lieberman

Qu’est-ce qui attire dans ce genre de citation ? Son coté désabusé qui se veut lucide en même temps ? Le fait qu’elle exprime tout haut ce qu’on pense tout bas ? Sa méchanceté qui dédommage de la bien-pensance ?

Bref, elle nous vengerait de tous ces individus à qui on souhaite la bonne année sans en penser un traître mot, les collègues, les vieux parents, la boulangère, la voisine de pallier…

Pour moi, ce qui m’attire plus que tout ceci, c’est qu’on affirme que le bonheur des gens n’est pas si propre qu’on voudrait le croire, et que le monde blanc-bleu ou règnent bonheur, harmonie, gentillesse, c’est bon pour ceux qui vont chez Disney pour danser avec Mickey.

En réalité, ce qu’on nous dit ici, c’est qu’il y a un bonheur d’être méchant, que c’est peut-être même la seule façon d’être heureux. Il ne s’agit même pas de prendre aux autres ce qui les rendrait heureux pour en jouir (« le bonheur des uns fait le malheur des autres »). Les autres, peut-être qu’ils n’existent même pas pour nous, en tout cas nous n’y pensons même pas ; c’est la morale qui est la grande perdante dans la course au bonheur. La seule façon d’agir moralement, c’est d’agir par devoir. Point final. Aucun rapport avec le bonheru. Et c’est Kant qui a raison.

Par contre, pour celui qui veut être heureux, le chemin du bonheur va des Infortunes de la vertu aux Prospérités du vices .

Sade n’avait donc pas tort ?

Wednesday, January 18, 2006

Citation du 19 janvier 2006

Les richesses sont un tort que l'on a à réparer, et l'on pourrait dire : "Excusez-moi si je suis riche!"

Montesquieu, 1689-1755, Mes pensées.

Voilà une citation un peu plate en apparence, surtout venant d’un penseur de la puissance de Montesquieu, mais en fait plus féconde qu’il n’y paraît au premier regard.

L’idée, c’est que les riches font du tort au pauvre. Banal. Mais quel tort ?

- De redoubler leur malheur en exhibant les richesses qu’ils pourraient avoir et dont ils n’auraient même pas l’idée sans cela ? Sans doute.

- De ne pas songer à leur faire l’aumône quant ils les rencontrent, ou bien de le faire parcimonieusement, juste de quoi perpétuer leur misérable existence ? Pourquoi pas.

- De jouir avec orgueil de leur privilège de riche en se pavanant dans des fêtes de charités qui seraient alors faites plus pour eux que pour ces malheureux ?

- De ne posséder comme richesse que les ressources dont ils ont dépouillé les pauvres, en sorte que chaque riche fait dix pauvres ? Voilà plutôt l’idée je ne dis pas seulement être de Montesquieu mais aussi des penseurs de l’égalité, tel Rousseau : l’inégalité n’est pas naturelle, les riches et les pauvres sont les partenaires d’un jeu ignoble, les uns comme gagnants les autres comme perdants. Toute cette tradition va se perpétuer, jusqu’au slogan du P.C. qui dans les années 80 (?) était : « Faites payer les riches ».
Il ne suffit donc plus de dire « Oh ! Excusez-moi. »

Citation du 18 janvier 2006

Pourquoi vivre à deux si c'est pour vivre à moitié ?

Anonyme.


L'Anonyme a encore frappé !
Individualistes de tous les pays, unissez-vous ! Luttez contre la tentation de vous accoupler pour que deux êtres n'en fasse plus qu'un, car il n'y a pas de place pour votre réalité unique dans ce mélange.
Il faudrait donc ne pas s'aimer soi-même pour désirer se fondre ainsi dans la couple fusionnel. C'est ce que laissait entendre Aristophane dans le mythe que Platon lui fait raconter dans le Banquet : les Androgynes étaient des individus à part entière lorsque la colère de Zeus les a coupés en deux. Chaque moitié s'est désolée de cette mutilation et s'est efforcée de retrouver sa moitié perdue : l'amour était né.
Belle histoire, mais que disent ceux qui n'ont pas été mutilés ?
Comme le dit Schopenhauer, "chacun fuira, supportera ou chérira la solitude en proportion exacte de la valeur de son propre moi."
Deux citations pour le prix d'une.

Tuesday, January 17, 2006

Citation du 17 janvier 2006

Tout désordre n'est qu'un ordre différent
Bergson

Il n'est pas besoin de souligner que cette citation - presque une sentence - fait la joie des désordonnés en tout genre: l'ado à la chambre bordélique, le travailleur dont le bureau croule sous les dossiers et la paperasse, le bricoleur dont l'atelier ne peut être pénétré que muni d'une pelle et d'une brouette.
A chaque fois, c'est la même affirmation : moi, je m'y retrouve, si on range mon désordre alors c'est là que je ne trouve plus rien, et surtout : je suis bien comme ça, si ça dérange les autres qu'ils aillent voir ailleurs, mais pas chez moi.
Bref Bergson aurait une grosse responsabilité dans ce vice (si c'est est un). En réalité il s'interrogeait sur l'objectivité du désordre, et il en faisait une simple attitude affective: le désordre n'est que la déception devant un ordre qui n'est pas celui qu'on attendait; sous-entendu : le désordre absolu (capharnaüm, tohu-bohu, chaos) n'est pas de l'ordre de l'existence, c'est une image, pas une réalité; rien ne peut être sans un certain ordre.
Je conserve de l'interprétation courante qu'on vient de décrire une idée qui m'est chère : la vie ça crée du désordre (provisoire, ordre différent, peu importe), ça dérange. L'ordre du désordre, c'est ça : créer le terreau fertile où la vie peut s'enraciner. L'ordre qui serait immuable, répétiton de lui-même, chaque jour, c'est la mort.
Mais peut-être que le désordre peut lui aussi être le même chaque jour...

Sunday, January 15, 2006

Citation du 16 janvier 2006

Quand j'ai été kidnappé, mes parents ont réagi très vite; ils ont loué ma chambre.

(When I was kidnapped my parents snapped into action; they rented out my room.)

Woody Allen,

Cette citation pour dire qu’on peut rire de tout. Quoi de moins risible que le kidnapping ? C’est au mieux de mauvais goût, plus sûrement odieux.

Que fait Woody Allen ?

D’abord il parle à la première personne : il a donc le droit de rire de lui-même. De plus comme il parle de lui-même, c’est qu’il en est sorti vivant.

Mais il ne décharge pas trop la situation de son caractère tragique : on peut supposer si que les parents ont renoncé à retrouver leur enfant, c’est qu’il a disparu pour de bon. Ils sont donc eux aussi victimes ; du moins ils devraient l'être

Seulement ce sont eux qui sont monstrueux, eux qui ne voient dans l’enlèvement de leur enfant que l’avantage qu’il a pour eux. Du coup on oublie les kidnappeurs. Pour un peu, ils auraient rendu service, comme dans je ne sais plus quel film-comédie où ils ne parviennent ni à obtenir une rançon, ni à supporter le gamin turbulent. La situation a changé : il n'y aurait à la limite plus de victime autre que les criminels eux mêmes.
Voilà donc l’équilibre à respecter pour rire d’une situation tragique : la déformer pour qu’elle soit moins tragique en grossissant le trait pour qu’ils soit moins réaliste; ensuite y mettre des personnages odieux en guise de victimes.

Mais il faut que ça reste un petit peu choquant ; il s’agit quand même d’un rire de transgression.

Citation du 15 janvier 2006

On dit que les nouvelles générations seront difficiles à gouverner. Je l'espère bien.

Alain, Propos sur l'éducation.

Alain devait écrire ceci aux environs de la Grande Guerre, soit juste avant, soit juste après. Ajoutons qu’Alain n’était pas un anarchiste, il se définissait plutôt comme étant lié aux radicaux.

La crise des Banlieues n’est donc pas son horizon et sa méfiance envers les gouvernants a un tout autre sens ; elle est la règle de la démocratie. Je dirai même que pour lui, si le suffrage est l’essentiel de la démocratie, c’est qu’il permet de censurer les gouvernants ; les choisir n’est pas si important que de pouvoir les chasser s’ils ont failli. Mieux : qu’ils sachent qu’ils seront chassés s’ils faillissent. On ne peut empêcher les politiciens d’avoir la passion du pouvoir (cf. Machiavel) ; mais on peut aussi les tenir par là.

On voit la différence avec les nouvelles générations ; difficiles à gouverner, ça oui ! Mais veulent-elles chasser les gouvernants ? Où sont leurs revendications, leurs banderoles, leurs slogans ? Quels meneurs veulent-ils pousser vers le pouvoir ?

La citation d’Alain fonctionnait encore assez bien en mai 68. Pas aujourd’hui.

Saturday, January 14, 2006

Citation du 14 janvier 2006

Toutes les grandes vérités commencent par être des blasphèmes.
George Bernard Shaw, 1856-1950
«Et pourtant, elle tourne... » Voilà à quoi on pense spontanément devant cette citation. Le progrès du savoir dérange l’ordre établi par la religion qui ne souffre pas que des hommes puissent connaître par leur propre force le monde et l’univers.
Ce qui veut dire aussi que Dieu défend aux hommes de chercher à connaître la vérité : c’est rébellion orgueil et impiété.
Encore faut-il que ces vérités soient « grandes » : leur force dépend des bouleversements qu’elles imposent à la représentation de l’univers établie par le pouvoir.
Mais aujourd’hui, pourrions-nous dire la même chose ? Nous aspirons au changement, à l’évènement qui bouleverse ; c’est la stabilité qui dérange plus que l’instabilité. Ainsi des soit disant découvertes scientifiques les plus farfelues qui sont applaudies avant même qu’on se soit donné la peine de vérifier.
Rappelons-nous la « mémoire de l’eau » qui pour le coup remettait en cause pas mal de « lois de l’univers ». Le sacrilège a eu lieu, c’est vrai ; mais il l'était contre l’esprit scientifique, et non pas comme abus de confiance du public. 
Car il ne demandait qu'à être abusé - à condition d'être étonné.

Thursday, January 12, 2006

Citation du 13 janvier 2006

Le raciste, c’est celui qui dit : « Je veux bien que Mouloud y soit mon frère. Ah, mais pas mon beau-frère, hein ! »

Attribué à Coluche


La fraternité, tout le monde croit que c’est dans la Déclaration des Droits de l’homme. C’est dire si tout le monde la considère aussi comme une valeur acquise et indiscutable.

Au point que ça ne dérange pas du tout de reconnaître que tous les hommes sont frères. Seulement voilà ; il suffit de regarder autour de soi pour constater que le fraternité universelle ça n’existe pas, ni dans les faits, ni dans les comportements. Et que de surcroît, ça ne risque pas d’arriver, même dans mille ans (car depuis mille ans, on n’a guère progressé dans cette direction ; on aurait peut-être même régressé…).

Ca ne coûte donc rien de dire « Mouloud il est mon frère », qu’est-ce que ça change ? C’est comme de dire « Moi, je ne suis pas raciste ». Seulement celui qui dit ça ajoute aussitôt : « mais...»

Car il y a toujours un : « mais ». Ici – classiquement - c’est le père - ou le frère - qui dit à la jeune fille : « oui, on est tous frères, mais ne me ramène par un noir ( – un arabe – un chinois – - un juif - un étranger – un musulman - une lesbienne - etc..) à la maison.

Car là, ce n’est pas de pure forme. C’est du concret.

Wednesday, January 11, 2006

Citation du 12 janvier 2006


« Il n'y a pas de vacances à l'amour [...] , ça n'existe pas. L'amour, il faut le vivre complètement
avec son ennui et tout, il n'y a pas de vacances possibles à ça. »
Marguerite Duras - Hiroshima mon amour.
Voilà deux pensées pour le prix d’une seule … citation (car deux pensées en une = pas de pensée du tout).
Première pensée : l’amour c’est la passion ; et la passion ça n’a pas de limites autres que celles de son propre épuisement. Qui donc pourrait dire « je t’aime ma chérie, mais ce soir je te laisse pour aller au match de foot ; ne te vexe pas, je t’aime plus que tout, mais entre 20h et 22h, je mets mon amour pour toi en congé : je suis donc libre de mon temps. »
Deuxième pensée (et celle-là elle m’intéresse d’avantage) : l’amour c’est tout ce qui va avec, y compris l’ennui. C’est exactement ce que dit Nietzsche avec l’éternel retour : qui aime la vie doit souhaiter la voir revenir indéfiniment identique à elle-même, y compris avec ses inévitables souffrances. Non pas comme un passager résigné qui prend le bateau malgré le mal de mer en ne pensant qu’à la destination finale ; mais comme le mélomane passionné qui attend la symphonie avec ses divines longueurs.
Alors, l’amour donc c’est aussi de l’ennui ; non seulement parce que l’autre n’est pas exactement comme on veut ; mais surtout parce qu’il est toujours le même, et que, même si nous aimons ses particularités, l’envie pourrait nous prendre d’aller voir ailleurs si l’herbe est plus verte. Mais ça, c’est de la sensualité, de la passion si on veut. Mais l’amour c’est dans la durée qu’il s’éprouve, et la durée c’est aussi l’usure de la patience, de l’attention.
Surmonter les obstacles de la durée, voilà la recette de l’éternité.

Tuesday, January 10, 2006

Citation du 11 janvier 2006

« Un homme seul est toujours en mauvaise compagnie »

Paul Valéry


Citation passe-partout, qui attire par sa dénonciation de la solitude et suscite dans les Forums des déclarations à l’emporte-pièce sur les bienfaits/méfaits de la solitude.
Et si Valéry disait en réalité : seule l’absence existe, la solitude quant à elle n’existe pas, puisque je suis en compagnie – de qui ? –

La mauvaise compagnie, on a déjà compris que c’était avec soi-même, puisqu’elle n’apparaît que dans l’absence des autres, lorsque rien ne vient me distraire de la pensée de moi-même. Dès lors s’ouvrent plusieurs interprétations :

- On peut penser que la solitude c’est le moment de la rumination stérile, lorsque nous grattons toutes nos blessures (narcissiques). Déjà, Kant disait que le travail est nécessaire pour nous éviter ce genre de macération. Notez : le travail, pas autre chose. Nietzsche de son côté, dénonce la mémoire rumination, celle qui suscite le ressentiment, qui nous rend haineux à la pensée humiliations endurées.

- On peut aussi se dire que nous sommes mauvais compagnons pour nous-mêmes, mais qu’après tout tant pis pour nous, c’est comme ça. Nous sommes comme ça, pas de faux fuyant, regardons-nous en face et reconnaissons nos faiblesses et nos turpitudes. Alors ça, c’est Pascal et sa dénonciation du divertissement ; la vie mondaine, le jeu, la chasse (exemples d’activités (sic !) des oisifs), sont autant de façon de nous oublier nous-mêmes, de nous détourner du miroir que la solitude nous impose.

J’aime bien la lucidité, et Pascal a raison. Sauf que pour lui, un homme seul est toujours en compagnie de Dieu. Pas facile à remplacer.

Sunday, January 08, 2006

Citation du 10 janvier 2006

Les petites filles aiment les poupées

Les petits garçons aiment les soldats

Les grandes filles aiment les soldats

Les grands garçons aiment les poupées

Anonyme

Astucieux, l’Anonyme ! Avec ce chassé-croisé – disons plutôt ce chiasme ça fera mieux – on a d’abord l’impression que garçons et filles, après s’être ignorés dans l’enfance, se trouvent ensuite, devenus grands, à s’aimer.

Mais si on y réfléchit un peu plus, on s’aperçoit que si les garçons aiment les poupées, rien ne dit qu’elles soient incarnées par les-filles-qui-aiment-les-poupées ; d’ailleurs on joue un peu sur le mot : les « poupées » des garçons relèvent de l’argot, alors que celle des filles sont du langage courant.

Quand aux soldats qu’aiment les filles, s’agit-il de ceux dont rêvaient les garçons, à supposer qu'ils le soient devenus en grandissant : sont-il devenus les soldats qu’ils ont aimés ?

Car enfin, devient-on ce que l’on aime ?

D’ailleurs, inutile de s’interroger ce qu‘on aime : car c’est toujours soi-même.

Saturday, January 07, 2006

Citation du 9 janvier 2006

L'optimiste rit pour oublier; le pessimiste oublie de rire.

Anonyme

Ca, c’est une pensée à l’usage des pessimistes qui veulent se sentir supérieurs aux autres : eux au moins, ils sont lucides.

Mais c’est aussi un jugement sur le rire : il ne serait pas sérieux puisqu’il accompagne l’oubli : ce n’est pas le rire dominateur qui anéantit les obstacles, mais le rire – peut-être idiot – de l’insouciant qui se met en chemin sans se soucier des nuages qui s’amoncellent à l’horizon.

A moins qu’il ne soit justement sérieux d’oublier, c'est l’optimiste qui est réaliste, c’est lui qui tient compte de la situation : "il n'y a que cette vie qui soit réelle, alors vivons" (et buvons comme dit le proverbe qui remplace fort logiquement l’étourdissement du rire par l’ivresse du vin).

Que pouvons nous espérer de mieux ? Je me rappelle d’une phrase de Chateaubriand dans les Mémoires d’outre-tombe où il est dit que seul le désespoir est grand (citation approximative, j’ai égaré la référence).
Alors voilà : choisis ton camps, camarade !

Citation du 8 janvier 2006

Les fonctionnaires sont comme les livres d'une bibliothèque: les plus haut placés sont ceux qui servent le moins.

Alphonse Karr, 1808-1890, journaliste et écrivain français

La critique des fonctionnaires est un sport très français. Je ne cite cette phrase que parce que je la trouve riche de toutes sortes de sens ; et aussi parce qu’étant moi-même fonctionnaire, il faut bien avoir un peu d’humour.

On sent que se rejoignent 3 idées :

- d’abord bien sûr, l’inefficacité des fonctionnaires qui, peut-être en raison de la sécurité de l’emploi sont réputés (!) pour leur manque d’empressement au travail ;

- ensuite quelque chose comme « le principe de Peter », selon lequel tout employé monte dans la hiérarchie jusqu’à ce qu’il ait atteint son « niveau d’incompétence » et y reste définitivement accroché. Les plus hauts gradés sont donc presque nécessairement des incapables.

- Enfin la revanche des petits et des faibles sur les grands et les puissants ; ce sont eux, les moins gradés qui font « marcher la boutique »

Reste aussi l’humour des bibliothèques : on lit un livre non pas parce qu’il est intéressant, mais parce qu’il est à portée de la main. Ca en dit long sur la motivation du lecteur