Sunday, April 30, 2006

Citation du 1er mai 2006

En raison de la fête du travail, La Citation du jour se limitera à un avertissement de circonstance et vous dit " A demain, si vous le voulez bien."

Saturday, April 29, 2006

Citation du 30 avril 2006

« Etre grand est une excellente condition pour n'être pas compris. »

Emerson

Bien sûr la question est de savoir si la réciproque est vraie. Trop de poètes ratés (et pas seulement des poètes) se sont justifiés avec cette excuse que leur œuvre visionnaire les avait isolés du public, qu’ils étaient des incompris et non des ratés, et qu’ils étaient des génies puisqu’ils étaient incompris.

Nous n’entrerons pas dans ce débat ; en revanche il me semble que pour produire une œuvre un créateur ne peut rester isolé ; et même qu’il existe une contradiction entre produire une œuvre et rester isolé. Je ne veux pas dire qu’il ne faut pas s’isoler matériellement pour produire. Je dis simplement que celui qui est isolé parce qu’incompris a bien peu de chances de créer quoi que ce soit. On cite volontiers l’œuvre posthume de Spinoza, l’Ethique, restée dans son tiroir de son vivant. Mais c’était l’effet de la censure religieuse et politique, et Spinoza n’a pas manqué de lire son ouvrage à ses amis. Il me semble que la condition même de la création soit en jeu ici : comment créer quoique ce soit qui ne serait pas adressé ? Adressée à quelques uns ou même à un seul - l’être chéri auquel est dédicacé le poème - adressée à l’âme d’un peuple même s’il n’est qu’une abstraction, toujours cette œuvre comporte une ouverture, une route, un pont qui en livre l’accès aux esprits humains pour les quels elle est faite.

C’est Kant qui, réfléchissant sur la liberté de penser, souligne qu’elle s’accompagne de la liberté de communiquer ses pensées ; penser seul, c’est selon lui penser mal, faute de rencontrer la pensée de l’autre, épreuve que doit affronter toute pensée.

Mais bien sûr, il ne s'agit pas pour autant de se ranger sous la banière de l'opinion commune. On peut dire en effet que la recherche du consensus n'aboutit qu'à l’affaiblissement de la pensée (« Un corps fait d'une multitude d'hommes n'a jamais qu'une toute petite tête » dira Alain). Epouser la pensée unique, être « bien-pensant », c’est donc aussi mal penser.

Friday, April 28, 2006

Citation du 29 avril 2006

« J’ai pris grand soin de ne pas tourner en dérision les actions humaines, de ne pas les déplorer ni les maudire, mais de les comprendre. »

Spinoza - Traité de l'autorité politique ch. 1, § 4

Devant les actions des hommes, mêmes celles qui nous paraissent les plus folles, plutôt que de porter un jugement de valeur ou de se laisser aller à l’émotion, évitons tout préjugé et étudions ce à quoi on a affaire. « Ne pas rire » des coutumes étranges des peuples lointains ; « ne pas pleurer » devant leur barbarie. D’abord les comprendre, et pour cela avoir l’attitude du botaniste en présence de la plante inconnue, ou de l’entomologiste qui découvre un nouvel insecte : savoir comment il fait pour vivre, pour se reproduire, dans quel biotope il se développe.

Pour le scientifique, la précaution à prendre c’est de considérer que tout ce que font les hommes a une fonction et que celle-ci n’est pas forcément celle qu’on croit. Pour le moraliste, il s’agit de considérer la vie sociale des hommes à travers sa diversité comme étant liée à la nécessité de vivre ensemble, dans une société dont le lien social peut fort bien être enraciné dans des pratiques opposées aux nôtres. Pour le politique, l’indispensable est de comprendre les peurs et les ambitions de ses concitoyens en les interprétants selon leur milieu social et non selon des schémas idéologiques ou économiques préconçus…

Et pour Spinoza ? Le réalisme qu’il prône n’est pas seulement une leçon de tolérance, ni une précaution méthodologique : pour lui, rien de ce qui existe n’est contre-nature, tout ce qui est naturel est de ce fait bon. « Les comprendre », c’est simplement la condition pour savoir en apprécier la valeur.

Voyez l’ethnologue observant les rites d’initiation des adolescents(1) : il s’agit de véritables supplices destinés à confirmer la valeur de futurs guerriers. Que fait-il ? Il note, il dessine les scènes qu’il observe, comme un simple phénomène naturel - le combat entre deux insectes par exemple - afin d’en saisir le sens et la fonction.

Ce qui signifie que la pathologie n’existe pas au niveau de l’action humaine. Oui. Mais imaginez un ethnologue martien débarquant à Buchenwald en 1943 … « ne pas déplorer ni maudire »…

(1) En Amazonie. Par exemple, Pierre Clastres.

Thursday, April 27, 2006

Citation du 28 avril 2006

« Je ne cherche pas, je trouve. »
Pablo Picasso
- Dis M’man, tu sais où il est mon tee-shirt « Fuck the Police » ?
- Ton quoi ???
- Mon tee-shirt que c’est marqué « Fuck-the-Police » dessus.
- Ah oui ? C’est celui-là que tu cherches ? Je ne sais pas, moi. Il est là où tu l’as mis.
- Mais je le retrouve pas. Et puis je suis en retard. Tu peux m’aider à le chercher ?
- Bon, je vais venir, mais c’est toi qui l’as rangé, et gare à toi si je le retrouve là où tu aurais dû le trouver toi-même. […]
Tiens, je l’ai trouvé ; regarde où il était.
- Sous mon lit ? Ben ça alors… J’y aurais pas pensé.
- Ecoute, Kevin, écoute bien ce que je vais te dire. Tu ne ranges pas tes affaires, tu les laisses là où elles tombent; avec un peu de logique tu devrais les retrouver : il te suffit de te demander où tu les avais laissées la veille. Mais non. Tu n’essaies même pas de les chercher, tu fais comme si les objets devaient t’obéir, et venir quand tu les appelles. Eh bien rappelle-toi que les objets sont inanimés ; ils ne se déplacent pas tout seuls, ni pour se cacher, ni pour te répondre. Seulement il est plus simple de faire comme si ils pouvaient t’obéir. Et c’est là que ça ne va plus.
Parce que, puisqu’ils ne peuvent t’obéir, il faut que ce soit moi qui t’obéisse et qui fasse ce que tu aurais dû faire toi-même. Il faut que je sois ton esclave (1).
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(1) La maman se rappelle en effet ses cours de philo où le prof disait que pour Aristote, « l’esclave est un instrument animé ».

Wednesday, April 26, 2006

Citation du 27 avril 2006

Le temps s'en va, le temps s'en va Madame
Las ! le temps non, mais nous nous en allons,
Pierre de Ronsard
- Tu vois comme c’est simple : Ronsard a tout dit. Dans le temps, nous vivons, nous vieillissons et puis nous mourons. Ce ne sont pas les choses qui s’abîment, ni les autres qui changent, mais c’est nous.
- Holà ! Tu nous fait déprimer avec ton Ronsard et son histoire débile. Ronsard qui c’est d’abord ? Tout ce qu’il dit, c’est des bêtises. Et puis il y a rien à y comprendre.
- Mais si. Tu vois, c’est comme le train quand il est arrêté à côté d’un autre. Lorsque tu repars, tu crois que c’est l’autre qui s’en va et que c’est toi qui restes. Tu vois les autres vieillir, alors que c’est toi qui vieillis. C’est pareil.
- Qu’est-ce qu’il faut faire alors ?
- Eh bien, pour Ronsard, le vieillissement c’est l’expérience de l’irréversibilité. Il dit à son amie « Cueillez, cueillez vostre jeunesse » avant que la vieillesse l'ait tarie, et que seul le regret ne lui survive. Il lui fait même dire : « Ronsard me célébrait du temps que j'étais belle »…
- «Ronsard me célébrait »… Ouais, alors là c’est trop nul ! tout ce qu’il veut, ton Ronsard, c’est tringler un bon coup sa gonzesse, voilà tout.
- Mais non, tu n’y es pas. La preuve, lorsqu’il écrit un poème à sa « ribaude » (1) il se plaint justement de son ardeur inextinguible :
Et lui voulant vaincre le cul,
Moi-même je me suis vaincu.
- Ah bon ? Peut-être que je vais préférer les poètes aux philosophes alors !
(1) Ça s’appelle « Tu te moques, jeune ribaude », et c’est une Ode

Tuesday, April 25, 2006

Citation du 26 avril 2006

« Pactes sans sabres, ne sont que palabres » [Covenants, without the sword, are but words]

Hobbes - Léviathan,II, XVII

Autrement dit, la diplomatie ne sert à peu près à rien, sauf à mettre au point les Traités qui seront de toute façon imposés par la force. Mais alors, à quoi bon négocier, si à l’arrivée on voit le plus fort imposer sa volonté par la force justement ? On serait dans le cas d’un procès stalinien où l’accusé ne peut que s’imposer à lui-même la sentence que le Tribunal va prononcer contre lui.

Notons toutefois que Hobbes ne dit pas que la force doit être toute du même côté ; on peut admettre que chaque signataire impose à l’autre par la force le respect de sa signature. Dans ce cas c’est l’équilibre de la terreur qui va garantir la paix, comme on l’a bien vu pendant la Guerre Froide : chaque partie n’agit que conformément à son intérêt bien pesé, et respecte sa signature lorsqu’elle considère qu’il y a plus d’inconvénients que d’avantage à violer le pacte.

En revanche Hobbes montre à quel point la morale (le respect de la parole donnée) est étrangère à la politique internationale (et nationale ?). Seul le résultat immédiat est garanti, car il est estimé par chaque partie pour ce qu’il vaut au moment où il est signé. Exemple : le pacte Germano-Soviétique, qui permet aux nazis d’envahir la Pologne sans crainte d’être attaqués par les soviétiques, les quels sont assurés en retour, par une clause secrète, de recevoir une partie du territoire de celle-ci. La clause de non-agression durant 10 ans restera soumise, quant à elle, à la règle énoncée ici : elle n’est que palabre dès lors que l’un des deux signataire à intérêt à la violer.

Epargnons-nous les discussions stériles sur la moralité des Etats - et cessons de parler d’« Etats voyous » - car ce qui vaut pour les rapports entre les individus ne vaut pas entre les Etats. Qu’est-ce donc qu’un Etat, s’il n’est pas un individu comme vous et moi ? Là encore, c’est Hobbes qui répond. L’Etat, dit-il est un « Dieu mortel » (« auquel nous devons, sous le Dieu immortel, notre paix et notre protection. »).

Monday, April 24, 2006

Citation du 25 avril 2006

« Je vais t'apprendre la politesse, p'tit con »

Jean-Louis Fournier (dans l’ouvrage du même titre)

S’il faut apprendre la politesse aux « p’tits cons », c’est :

Primo, parce qu’elle n’est pas naturelle, mais qu’elle relève des coutumes ;

Secundo, parce qu’elle implique un écart entre les générations : les « anciens » sont sensés être l’objet de la déférences des plus jeunes ;

Tertio, parce que, sans la politesse, ceux-ci ne sont que des « p’tits cons ». Qu’est-ce à dire ?

La politesse est l’objet d’analyses très contrastées : pour les uns elle est une pure hypocrisie : pour être supportables les uns aux autres, il faut masquer nos vrais sentiments à leur égard, (mais sans aller jusqu’à la flatterie qui risquerait de n’être qu’une manœuvre intéressée). Il y aurait alors une « vertueuse » impolitesse, par exemple Alceste, le Misanthrope de Molière, qui refuse de masquer la déception que lui cause le genre humain par exigence de sincérité.

Pour d’autres, la politesse est le seul moyen de supporter nos semblables : c’est une vertu sociale. Exemple : la Fable des hérissons de Schopenhauer. Une bande de hérissons grelotte de froid dans l’hiver ; ils voudraient bien se réchauffer les uns auprès des autres, mais leurs piquants rendent cette solution impossible. Ils sont donc obligés de se rapprocher autant que faire se peut, pour se tenir chaud, tout en se tenant écartés suffisamment pour éviter leurs piqûres. La politesse est l’art de la distance.

Pour d’autres encore, la politesse est d’abord un exercice de contrôle de soi qui, au-delà des marques de respect pour autrui, est un effort pour limiter les passions que suscitent en nous nos semblables. Il ne s’agit pas simplement de rendre la vie sociale supportable, mais aussi de dominer nos sentiments pour écouter notre raison et voir la réalité. Exemple : le flegme britannique qui est souvent associé à la politesse des « gentlemen ».

N’allons pas plus loin (pour aujourd’hui) : ce que les « p’tits cons » apprendront avec la politesse, c’est à se rendre supportables aux autres. Et c’est un senior qui vous le dit.

Citation du 24 avril 2006

« A force d'expliquer l'inexplicable, notre pays en est venu à excuser l'inexcusable. »

Nicolas Sarkozy Ministre de l’intérieur - 2ème séance du mardi 8 novembre 2005

Règle numéro un : se méfier des belles formules. Elles ne sont pas forcément fausses ; mais elles ne sont pas vraies simplement parce qu’elles sont belles.

Application : doit on croire qu’expliquer ce qui ne peut l’être conduit à excuser ce qui ne doit pas l’être ? Ceci ne fonctionne que si on admet qu’expliquer c’est excuser, et que comprendre les causes d’un acte, c’est du même coup pardonner la faute qu’on a commise.

Mais on est dans deux registres différents : d’un côté on est dans la causalité mécanique (j’ai glissé, je suis tombé, entraînant dans ma chute celle du vase qui s’est brisé) ; de l’autre on est dans celui de la responsabilité liée à la volonté donc au choix libre. Ainsi, la faute m’incombe en tant que j’ai voulu le mal que j’ai fait. A la rigueur on peut dire que je suis responsable de l’accident que j’ai produit (cassé la vase), parce que j’aurais dû le prévoir et donc vouloir l’éviter (l’enfant a cassé le vase, parce qu’il courait trop vite ; il savait bien pourtant, on lui avait dit mille fois de ne pas courir en traversant le salon ciré).

On objectera peut-être que c’est le ressort habituel de la plaidoirie des avocats que d’excuser leur client en faisant état de leur enfance maltraitée, ou des misères qu’une société injuste leur a infligées. Sans doute. Mais c’est que justement, ils plaident l’irresponsabilité, qui consiste à déplacer l’origine de la faute de celui qui a agi sur ce qui a déterminé à agir. Alors, ce n’est absolument pas une excuse, sauf à admettre qu’elle ne constitue pas un pardon : pardonner, ça veut dire : « continuons à vivre ensemble » ; excuser voudrait dire : « tu n’es qu’on pauvre irresponsable, il va falloir te soigner si tu veux continuer à vivre avec nous. »

Mais après tout c’est peut-être cela que voulait dire le ministre.

Sunday, April 23, 2006

Citation du 23 avril 2006

« To be, or not to be. That is the question.”

William Shakespeare, The Tragedy of Hamlet, Prince of Denmark, III, 1


- Vous pouvez répéter la question?

Oui, il serait lucide de ne pas saisir cette question : je vis, et puis je meure ; voici un fait et puis un autre fait. Où trouver la place pour une question ? Il faut se reporter au texte : Hamlet se demande comment il se peut que, subissant les souffrances innombrables de la vie, les hommes ne se suppriment pas : je continue ou j’arrête, c’est comme prendre à gauche ou à droite au carrefour. Tout simplement. « Etre ou ne pas être », ce n’est donc qu’une alternative. La question véritable, c’est « pourquoi tous les hommes font-ils le choix de vivre ? ». Et Hamlet répond : ils choisissent de vivre parce qu’ils ont peur non pas de mourir mais de ce qu’ils trouveront après la mort.

Ici, le poids de la réponse doit être envisagé sous l’angle épicurien. C’est Epicure qui a évoqué ce problème, et c’est lui qui l’a aussi résolu, comme Hamlet, mais avec plus de précision. Il s’agit du Tétrapharmakon (1) :

- d’abord, il n’y a donc pas de place pour la mort dans la vie : « to be or not to be », voilà la juste alternative si on comprend que les deux ne peuvent de mêler, car tantôt je vis, tantôt je suis mort, ou plutôt ; je ne suis plus. La mort n’est rien pour nous ; elle n’est que notre anéantissement, et la souffrance ici n’est rien d’autre que l’inquiétude liée à l’ignorance de cette réalité.

- En suite, les Dieux ne sont pas redoutables, car ils ne se préoccupent pas de nous : ils ont mieux à faire.

- Et la souffrance dont parle Hamlet, celle de la faim, du froid de la cruauté des hommes ? Nous ne devons pas nous en soucier, car ou bien elle ne dure pas, ou bien elle entraîne la mort qui nous en délivrera. Dès lors, vivons et buvons…avec modération.

- Vous pouvez répéter la réponse ?

(1) Tétrapharmakon : quadruple remède à l’inquiétude, source de souffrance : - Dieu n'est pas à craindre - la mort n'est pas objet de suspicion - le bien est d'acquisition aisée - la douleur est facile à supporter.

Saturday, April 22, 2006

Citation du 22 avril 2006

Polonius: What do you read, my lord?

Hamlet: Words, words, words.

William Shakespeare, The Tragedy of Hamlet, Prince of Denmark, II.2


On laisse de côté ici l’interprétation habituelle de cette citation : « Cause toujours mon lapin, je vais pas croire tes bonnes paroles, parce que les promesses, tu sais, elles n’engagent que ceux qui y croient… ». Elle n’est pas, je crois le sens du contexte.

Et en effet, moins connue peut-être que “To be, or not to be” (attendez, c’est pour demain...), moins Kitsch que son décalque Dalida-Delonnien (1), mais tout aussi désespérée, la répartie d’Hamlet prince du Danemark nous frappe là où nos habitudes font mal : la lecture de quelque chose qui, dans cette réplique, pourrait bien correspondre à notre presse poeple, puisqu’il s’agit de la description malveillante (dans cette scène il s’agit des vieillards), mais c’est la calomnie en général qui soulève l’indignation d’Hamlet.

Selon Hamlet, il y a des vérités qu’on connaît, qu’on pense, mais qu’on n’imprime point car elles deviennent alors des calomnies. Ce sont les mots, propagés par l’écriture, qui ont un pouvoir que n’a pas la réalité, que n’ont même pas à elles seules les pensées, parce que ces mots volent partout portés par la feuille imprimée, qu’ils prennent tous les sens imaginables au gré de l’imagination de chacun, parce qu’ils ne sont pas tenus par l’objectivité de la chose. Leur pouvoir d’évocation va de paire avec leur immatérialité : une image serait moins trompeuse. Un portrait par exemple, ressemble ou non à son modèle, mais la description verbale possède par l’écriture le pouvoir de se diffuser, de se déformer, de se reformer, en passant d’esprit en esprit.

Platon, dans le Phèdre récuse l’usage de l’écriture, coupable selon lui de livrer à n’importe quel ignorant des vérités qui devraient être réservées à ceux qui sont capables d’en user avec sagesse. Il y reviendra dans sa Lettre VII, preuve que l’ésotérisme a pour lui une importance capitale. On voit ici que la critique du langage ne se fait pas seulement sur son pouvoir d’illusionner, mais bien d’informer.

Oui, mais pour Platon ce sont des vérités fondamentales, comme l’origine de l’être ou la compréhension de la condition humaine qui sont les enjeux de l’écriture. Pour nous c’est la vie privée des starlettes. A chacun ses indiscrétions : ce sont elles qui nous définissent ; et voilà Voici .

(1) Les plus de vingt trente ans se rappelleront, n’est-ce pas ? « Paroles, paroles, paroles… »
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N.B. J’assistai récemment à une représentation mise en scène et traduite par Daniel Mesquich. Hamlet y disait: " Des mot,des épées, des mots...", jouant sur l'assonance Word/ Sword.

Thursday, April 20, 2006

Citation du 21 avril 2006

« Une étrange folie possède les classes ouvrières des nations où règne la civilisation capitaliste. Cette folie traîne à sa suite des misères individuelles et sociales qui, depuis des siècles, torturent la triste humanité. Cette folie est l'amour du travail, la passion moribonde du travail, poussée jusqu'à l'épuisement des forces vitales de l'individu et de sa progéniture. »

Paul LAFARGUE Le droit à la paresse

Je n’apprendrai rien aux paresseux : Lafargue (socialiste français), plus connu comme ayant été le gendre de Karl Marx, a écrit un « Droit à la paresse » dans les années 1860. Ce pamphlet ironise sur l’exorbitante quantité de travail que réalise la classe ouvrière, présentée comme coupable de ces excès alors que les honnêtes capitalistes s’épuisent à écouler la surproduction qui en résulte.

Ce qu’on oublie en revanche parfois, c’est qu’ici la paresse n’est pas revendiquée comme repos, ni comme vertu faisant pièce à la « morale du travail ». Non, elle est l’espace dégagé pour la consommation. C’est une morale hédoniste, faite de jouissance et de dépense. Le prolétaire doit consommer ce qu’il produit, c’est là que se discerne le progrès de l’humanité. Après, que cela libère l’homme de la bête de somme qu’il a été jusqu’à présent, c’est évident. Mais c’est par l’usage des plaisirs « matérialistes » que l’humanité avancera vers son avenir radieux.

Qu’en pensent aujourd’hui nos penseurs ? Qui donc serait comme dans les années 68-70 près à s’exiler dans le Larzac pour vivre au milieu de ses chèvres sans sa téloche et sans son Palm (ou sa Game-Boy ) ? C’était l’époque où le Club de Rome enflammait l’enthousiasme des citoyens en prônant la croissance Zéro (1). Donc : à bas la société de consommation, le plaisir n’est pas proportionnel aux bien matériels mais à la façon de consommer.

Nul doute que nous serions bien en peine d’argumenter là-dessus. Sauf pour prôner la protection de la planète, mais c’est l’argument hypocrite pas excellence : il suffit en effet d’un progrès technique pour que tout redémarre de plus belle. Vivement la fission atomique : on fabriquera de l’énergie avec de l’eau de mer ; et alors, que la paresse commence !


(1) Pour les petits jeunes, rappelons que le « Club de Rome » était un groupe de «conjoncturistes » qui ont établi que le développement de la production mondiale devait être stoppé. Dès 1976, on découvrait que croissance zéro = chômage, et tout cela a vite été oublié. On pourrait considérer qu’on retrouve dans l’alter mondialisme actuel une émanation de cette position.

Wednesday, April 19, 2006

Citation du 20 avril 2006

Plus l'homme cultive les arts, moins il bande.
Il se fait un divorce de plus en plus sensible entre l'esprit et la brute.
La brute seule bande bien, et la fouterie est le lyrisme du peuple.
Charles BAUDELAIRE - Mon coeur mis à nu
Baudelaire, mon poète adoré, capable de transfigurer la boue en or par le miracle de sa puissance poétique… et qui le prouve ici.
Amis intellos, camarades philosophes, juristes, sociologues et autres science-de-l’hommistes, vous qui, bardés de diplômes fiévreusement accumulés, passez vos loisirs dans les bibliothèques, ou dans les librairies universitaire : ce message est pour vous, et il est signé Charles Baudelaire.
Que dire qui ne soit l’évidence même ?
La brute seule bande bien. L’instinct de la bête, le rut animal, ne se fait évidemment que dans la concentration de toute l’énergie vitale sur la proie sexuelle.
Plus l'homme cultive les arts, moins il bande. Egalement connue, et sans doute plus proche de la pensée de Baudelaire, la théorie freudienne de la sublimation : reconversion de l’énergie sexuelle en travail (artistique en particulier), mais avec cette différence que la jouissance qui est au rendez-vous est désexualisée, malheureusement !
La fouterie est le lyrisme du peuple. Ce qui signifie que l’homme qui cultive l’art n’aurait pas besoin de la fouterie pour jouir. Mais on peut également dire que le peuple n’a pas besoin de poésie pour accéder au lyrisme : une franche copulation lui suffit. Si l’on continue dans cette voie, alors on arrive à l’équivalence art-fouterie : au nom de quoi, je vous le demande, devrais-je préférer être un artiste plutôt qu’une brute ? Et si mon lyrisme à moi, homme du peuple, spasmodique et orgasmique, valait mieux que vos extases cérébrales (que d’aucuns appellent « masturbation intellectuelles » ) ? Si le poète fait la grandeur d’une nation, le « fouteur » fait celle de l’humanité : seriez-vous entrain de me lire si vos aïeux n’avaient préféré faire des galipettes dans la meule de foin plutôt que de se pâmer avec Mademoiselle de Scudéry !

Mais je m’égare…Que vaudrait cette idée si elle n’était soutenue par la cadence envoûtante de la phrase baudelairienne ?

Citation du 19 avril 2006

« Si un artisan était sûr de rêver toutes les nuits douze heures durant qu’il est roi, je crois qu’il serait presque aussi heureux qu’un roi qui rêverait toutes les nuits douze heures durant qu’il serait artisan. »

Pascal – Les Pensées (Fragment 662 ed. Le Guern)

Le rêve est-il plus beau que la réalité ? La réalité est-elle plus solide que le rêve ? Pascal récuse l’opposition réalité-rêve : ils sont parfaitement équivalents, puisqu’on n’aurait aucune raison de préférer être un artisan qui rêve qu’il est roi que l’inverse. La seule différence est dans la durée : la réalité dure, le rêve passe comme un fugitif : « la vie est un songe un peu moins inconstant. ».

Mais quoi ? La maçon avec ses mains calleuses et son échine brisée par les sacs de ciment, mais qui rêve chaque nuit qu’il couche avec la reine, aurait un destin équivalent à celui du roi qui rêverait (on se demande pourquoi) qu’il a ses blanches mains calleuse et sa royale échine brisée par des sacs de ciment ? Et Pascal, génial souffreteux qui écrit du fond de son lit, pourrait-il rêver qu’il est coiffeur ou boucher, rien que pour dire que son coiffeur ou son boucher ont le même sort que le sien ? Supposons un instant que cela lui arrive : alors je prétends qu’au lieu de souffrir des fatigues du métier il en éprouvera le plaisir, peut-être sans rapport avec la réalité, mais néanmoins parfaitement et authentiquement vécu ; oui, car le rêve au lieu de redoubler inutilement la réalité, nous la donne à vivre sur le mode de la jouissance. Le rêve suit la ligne de crête de la jouissance, il est fait pour cela, même si comme l’admet Freud, s’agissant du refoulement du désir, cette jouissance est durement ressentie lorsqu’elle déjoue la censure.

Et vous même ? Vous prenez vos rêves pour la réalité ? Oui, du moins comme le pensait Descartes la temps que vous rêvez. Mais le contenu du rêve, il n’est pas pétri de ce qui fait le quotidien. Ce contenu est produit par la représentation de l’assouvissement du désir, et c’est justement ce qui explique sa rupture avec le réel.

Vous ne me croyez pas ? Racontez-moi donc vos rêves, bandes de fripons !

Tuesday, April 18, 2006

Citation du 18 avril 2006

« Si ma tante en avait on l'appellerait mon oncle, et si mon oncle en était on l'appellerait ma tante. »

Pierre Dac - Les pensées

(Vous avez remarqué, n’est-ce pas ? Il n’y a pas que Blaise Pascal qui pense, il y aussi Pierre Dac.)

Challenge du jour : que peut-on dire d’intelligent là dessus ?

1ère possibilité : le chiasme ! Figure rhétorique qui consiste à répéter une séquence de deux termes (ici : « tante »-« oncle », faut-il le dire ?) en les inversant (A-B/B-A). Elégant, n’est-ce pas ?

2ème possibilité : la puissance du sous-entendu. Imaginez un seul instant que l’Auteur nous dise en toute objectivité ce qui manque à sa tante ; et qu’il en fasse autant pour expliquer de quel groupe ferait partie son oncle. Ridicule, n’est-ce pas ?

3ème possibilité : le jeu sur la répétition et sur la polysémie. Car, c’est bien le même oncle qui apparaît dans les deux occurrences du mot ; en revanche ce n’est pas avec le même sens que le mot « tante » revient deux fois. Subtile, n’est-ce pas ?

4ème possibilité (ma préférée) : mise en évidence du rôle des limites du concept. Application :

- si ma tante avait ce qui lui manque elle ne répondrait plus au concept de tante, mais à celui d’oncle. Elle franchirait ainsi la frontière qui sépare le concept-masculin du concept-fémin. Bref, l’Auteur fait allusion à ce qu’on appelle la différence spécifique.

- si mon oncle changeait d’environnement, tout en restant mon oncle, il porterait un autre nom : « une tante ». La frontière est ici sociologique, la limite du concept est donc celle du statut social.

Allez, à vous de jouer : commentez la citation suivante :

« O Marie ! Vous qui avez conçu sans pécher, faites moi la grâce de pécher sans concevoir. » Jean-Louis-Auguste COMMERSON - Pensées d'un Emballeur

Et ne venez pas me dire que c’est celle-là que j’aurais dû commenter, sinon je vous raye de la liste de mes lecteurs.

Monday, April 17, 2006

Citation du 17 avril 2006

« Le passé et le présent sont nos moyens ; le seul avenir est notre fin. Ainsi nous ne vivons jamais, mais nous espérons de vivre, et nous disposant toujours à être heureux il est inévitable que nous ne le soyons jamais. »
Pascal – Les Pensées (Fragment 43 ed. Le Guern)
- Qu’est-ce que tu veux faire, quand tu seras grand ?
- Je serai polytechnicien, comme tonton Albert.
- Pourquoi faire polytechnicien ?
- Parce que j’aurai un bel uniforme et une chouette épée ! Je l’ai vu sur la photo, dans la chambre de Mémé.
- Bon, mais en attendant, qu’est-ce que tu veux faire, là maintenant ?
- Je veux jouer à la guerre avec mes copains.
- Bien, voilà. Ça au moins ça va t’occuper pour l’après-midi.
- Ben non, eux ils veulent pas jouer avec moi.
- Et pourquoi ?
- Parce que ils ont des sabres laser, et moi j’en ai pas.
- T’en as pas ??
- Ben oui, papa y voulait m’en acheter un, mais moi j’y ai dit que je voulais l’épée de l’oncle Albert.
- Et alors.
- Alors papa y m’a dit d’attendre de faire polytechnique, et que là on m’en donnerait une…

Sunday, April 16, 2006

Citation du 16 avril 2006

1 - On ne peut sonner les cloches et aller à la procession.

Proverbe français

2 - Qui n'entend qu'une cloche n'entend qu'un son.

Proverbe français

3 - La cloche du sot est vite sonnée.

Anonyme

4 - Faut pas chier sur le clocher.

Proverbe québécois

5 - De même qu'une cloche ne tinte pas sans être ébranlée, de même l'homme n'est pas vertueux sans exhortations.

Proverbe chinois

6 - Il ne faut pas clocher devant les boiteux.

Proverbe français

7 - A conseil de fou, cloche de bois.

Proverbe français

8 - La cloche appelle l'église mais elle-même n'y va pas.

Proverbe alsacien

Aujourd’hui, jour de Pâques, La citation du jour fait relâche.

Toutefois pour ne pas vous laisser dans le désarroi d’un jour sans citation, j’ai décidé de vous offrir un florilège de proverbes relativement peu connus concernant cloches (et clocher), provenant de différents pays.

J’en ai oublié ? Dans ce cas envoyez-moi votre proverbe à l’adresse indiquée dans « Mon profil », et je vous promets de le publier pour Pâques 2007.

Saturday, April 15, 2006

Citation du 15 avril 2006

« Je crois en Dieu....... un plus un égale un. Y'a Jean-Claude, y'a Dieu, dans le même corps. Si on peut s'unifier, on devient ce qu'on appelle les miracles, et chaque personne a le seigneur en soi. We're all one. Je crois VRAIMENT en Seigneur. »

Jean-Claude Van Damme


Je l’ai fait ! Pour vous servir, pour satisfaire vos besoins, j’ai exploité tous les trésors du Web. J’ai été jusqu’à hanter les sites de citations de Jean-Claude van Damme. Tant pis pour les conséquences sur mon brain. En cette veille de Pâques, il faut que vous soyez aware again.

Mais je me rends compte que celui qui est le plus en danger, c’est Jean-Claude. Permettez que je m’adresse d’abord à lui.

Jean-Claude, mon petit, tu m’inquiètes. Tu pense que Dieu est uni à toi, non pas comme les deux doigt de la même main, mais comme le whisky et le soda dans ton verre. Tu crois que tu ES un miracle. Alors regarde-toi dans la glace (oui, même de face…) : tu crois vraiment que le Seigneur te ressemble ? Que dis-je ? Qu’il A un corps qui EST ton corps ? Comment ? Tu dis que je ne t’ai pas compris, que vous êtes tous les deux dans ton corps, qu’il n’est que l’enveloppe (comme « le biscuit est l’enveloppe du lait de la farine et de l’œuf » - tu vois je t’ai lu avec attention). Mais que dis-tu, Jean-Claude ? Tu es face à Dieu ? Tu peux jouer au poker avec lui ? Tu es en Dieu ? Mais alors comment est-il aussi en toi ? Il n’y a qu’une façon d’en sortir, et tu le sais : c’est de dire : « Dieu, c’est moi ». Sais-tu qu’on en a brûlé pour moins que ça ? Les philosophes partis en fumée il y en a eu, et pas des moindres. Parce que, vois-tu, si tu as le seigneur en toi, le Pape, à quoi il sert ? Et si le Pape ne sert à rien, l’Eglise, le curé, et tout ça ne servent à rien non plus. Et là, ça craint. Grave même.

Alors le Pape, il va te dire ceci : « Mon fils, sais-tu pourquoi le Christ est mort sur la croix ? Pour racheter tes péchés et non pour que tu puisses en commettre d’autres bien plus impies encore. Tu identifies Dieu à cette image obscène de l’homme que tu es : ton péché c’est l’orgueil, tu es à toi seul la somme de tous les péchés de l’humanité. C’est donc toi qu’il faut aujourd’hui crucifier. »

Et vous, mes frères, retenez la leçon. Moi qui ai affronté les périls que représente la pensée de Jean-Claude Van Damme, je vous le dis : en vérité cet homme est un hérétique. Si vous l’avez une fois seulement rencontrée (= le pensée) il faut vous purifier. D’urgence. Vous me réciterez demain le tome 1 les œuvres complètes du Cardinal Ratzinger (1). Les autres pour bientôt.

(1) Alias Benoît XVI

Thursday, April 13, 2006

Citation du 14 avril 2006

« Vous n’y comprenez rien et vous ne comprenez pas que c’est votre avantage qu’un seul homme meure pour que la nation ne périsse pas toute entière . »

Evangile selon Jean – 26, 49-50

Le choix du Caïphe, ça vous dit quelque chose ? Non ? Vraiment rien ? Bande de mécréants, alors c’est moi qui doit vous l’expliquer ? On aura tout vu…

Voilà. Jésus fait beaucoup d’adeptes et certains juifs vont trouver les grands prêtres pour leur raconter ce qu’il a fait. Ceux-ci se réunissent en Conseil, et s’inquiètent : si les Romains croient qu’il menace leur autorité, ils risquent de détruire le Temple et même le peuple juif tout entier. C’est alors que le Grand Prêtre, nommé le Caïphe, se lève et déclare qu’il faut sacrifier Jésus en le dénonçant au Romains, pour le bien du peuple. Voir citation.

N’allez pas imaginer que je vous prépare à faire vos Pâques ! Il s’agit en fait d’un dilemme moral : peut-on, en calculant le plus grand bien réalisable, sacrifier un innocent, ou bien la vie d’un seul innocent est-elle sacrée quoiqu’il en coûte en perte d’autres vies innocentes ?

- Si vous faites le premier choix, vous êtes conséquentialiste : vous pensez qu’il faut accroître le bien et diminuer le mal globalement dans le monde ; et donc, dans certains cas il est possible de transgresser l’interdit moral (dénoncer un innocent), dans l’espoir d’en tirer profit pour un plus grand bien pour tous. Je respecte l’interdit « Tu ne tueras point » ; mais je le ferais si je sauve ainsi la vie de nombreux innocents.

- Si vous faites le second choix, vous êtes déontologiste : le devoir de respecter les valeurs est inconditionnel, et il est même inconcevable de faire un calcul rationnel là où la puissance de la valeur s’impose par le respect qu'elle inspire à notre conscience. « Il faut parce qu’il faut » disait Kant. Et donc je refuserai de dénoncer un innocent, même s’il en coûte un massacre des innocents. Car je resterai innocent moi-même.

Vous trouvez très ennuyeux de faire un tel choix ? C’est parce que vous n’êtes pas habitué : la vie morale, ça n’a rien à voir avec la gestion des conflits !

Wednesday, April 12, 2006

Citation du 13 avril 2006

« Aujourd'hui des forfaits impossibles sous les Nérons se commettent sans qu'on puisse accuser personne. Les uns ont demandé, les autres ont proposé, les troisièmes ont rapporté, les quatrièmes ont décidé, les cinquièmes ont confirmé, les sixièmes ont ordonné et les septièmes ont exécuté. »

Tolstoï - Le salut est en vous

C’est pas moi, c’est l’autre… Toujours le même refrain, du Procès de Nuremberg, au petit dernier qui coupé les moustaches du chat comme le copain l’en avait défié (excusez l’exemple, il n’y a bien sûr pas de comparaison). Le rejet des responsabilités est l’excuse universelle.

Tolstoï nous propose une analyse un peu plus fine : il ne s’agit pas simplement de faire douter de l’imputation de la responsabilité, mais plutôt de nier son existence. Il suffit pour cela de diviser l’action en plusieurs segments dont aucun n’est décisif en soi, chacun étant réalisé par un individu différent : tout se passe comme si l’action n’existait plus.

Ce que montre alors l’exemple de Néron, c’est ceci : lui, le plus grand criminel de tous les temps, lui qui aurait fait bien pire si un être humain doué de tous ses pouvoirs en avait été capable, a rencontré la limite de l’horreur. Et ce n’est pas seulement la responsabilité qui est en cause ; c’est la possibilité même de réaliser des crimes qui dépassent par leur ampleur tout ce qu’on pourrait imaginer. Seulement, voilà : ce que Néron n’a pu faire, la bureaucratie moderne l’a fait, car nous le savons à présent : comme le procès d’Eichmann l’a abondamment montré, la bureaucratie nazie a dépassé en efficacité tout ce qu’on aurait cru possible.

Mais en réalité, c’est bien de la bureaucratie en général dont il faut parler, avec ses rouages multiples, avec son impersonnalité, son anonymat et la dilution des responsabilités dans les méandres des services chargés de l’exécution. Pourtant, habituellement, bureaucratie est synonyme d’inefficacité. Et si au contraire, c’était - au moins dans certains cas - la condition d’une plus grande efficacité ? Que chacun fasse son travail de fourmi avec application, qu’il n’ait jamais le souci du tout au quel il contribue, voilà à la fois la rationalité, condition de l’efficacité et l’indifférence condition de l’irresponsabilité. « Le monstre froid » dont parlait Nietzsche à propos de l’Etat, c’est aussi la bureaucratie d’Etat.

Courteline n’avait vraiment rien compris.

Tuesday, April 11, 2006

Citation du 12 avril 2006

"L'œil était dans la tombe et regardait Caïn."
Victor Hugo - La légende des siècles
La premier criminel de l’histoire humaine est en même temps le plus abominable : Caïn (Genèse,4) assassine son frère Abel par jalousie parce que ce dernier était préféré du Seigneur pour ses offrandes.
Le Seigneur va-t-il réduire Caïn en cendres, le foudroyer, le faire frire dans une bassine d’huile bouillante ? Non. Rien de tout cela n’arrive : maudit par Dieu et contraint au bannissement du sol, il clame que sa punition est trop lourde et qu'il risque d'être tué par le premier venu. Dieu, pour lui signifier la gravité de son acte l'a déclaré protégé, le laissant dans sa condition de fugitif jusqu'à sa mort. Ainsi, sa vie se prolonge en une longue fuite devant Dieu, dont le regard accusateur reste fixé sur lui, rappelant l’horreur du crime qu’il a commis. Partout, où qu’il aille, le Regard de l’Eternel le fixera, cet « Œil » de Dieu sera là où il sera. Et Caïn va fuir. C’est là le ressort épique du poème de Victor Hugo, nous décrivant les mille lieux toujours plus retirés où Caïn fuit ce regard et se trouve précédé par cet oeil.
Cet œil de l’Eternel est bien sûr le symbole du remord qui taraude Caïn et c’est du fond de son délire qu’il le retrouve jusqu’au tombeau qu’il s’est fait creuser et dans le quel il s’enferme (L'œil était dans la tombe…). La pire des tortures est celle que nous nous infligeons à nous-mêmes, car nous sommes sûrs qu’elle ne s’arrêtera jamais et surtout qu’elle nous suivra. Partout où nous irons, notre bourreau ira aussi. Et si l’Eternel prend grand soin de protéger le coupable (en le marquant du « signe de Caïn »), ce n’est pas par mansuétude ; c’est pour que son supplice dure plus longtemps.
Baudelaire écrira là dessus un de ses plus beaux poèmes (1) :
Je suis la plaie et le couteau !
Je suis le soufflet et la joue !
Je suis les membres et la roue,
Et la victime et le bourreau
(1) Heautontimoroumenos : l’homme « qui se punit lui-même ».

Monday, April 10, 2006

Citation du 11 avril 2006

« Ah ! Ah ! Monsieur est Persan ? C’est une chose bien extraordinaire ! Comment peut-on être Persan ? »

Montesquieu - Les Lettres persanes (10)

Les étrangers restent étranges, jusque dans leur existence : peut-il seulement exister des êtres différents de nous ? En effet, les Parisiens de Montesquieu ne posent pas une question sur la manière d’être ou de s’habiller du Persan, mais bien sur le fait que des Persans puissent exister. Rica (= nom de l’auteur de cette lettre), raconte que, devant l’émoi soulevé par son accoutrement, il a décidé de s’habiller à la mode de l’époque : tout le monde l’ignore. Pourtant dès qu’il révèle ses origines, c’est là il s’attire la réplique citée : c’est donc bien son existence qui est en cause, pas son apparence.

On connaît le texte de Lévi-Strauss (Race et histoire), qui rapporte que les indigènes des sociétés « traditionnelles » n’ont d’autre nom pour se désigner eux-mêmes que celui d’homme, et qualifient les étrangers « d’œuf de pou » ou de « singe de terre » : « L’humanité - dit Lévi-Strauss - cesse aux frontières du village », là où commencent les ténèbres extérieurs…

Civilisations d’autrefois et sauvages d’aujourd’hui (quand il en reste) se donnent la main : il n’y a pas de place dans l’humanité pour plusieurs genres d’homme : pour eux la frontière qui sépare l’humain de l’inhumain traverse l’humanité, entendue comme espèce.

Mais ne partageons nous pas ces préjugés ? Nous voyons à quel point le concept d’intégration a du mal à être simplement accepté, même à titre de programme. N’y a-t-il pas dans cette notion, comme dans son refus, l’idée d’une distance infranchissable ?

- D’abord, c’est une distance non spatiale (nos « Persans », ce sont nos voisins des cités), qu’il faudrait abolir par une mutation invraisemblable (comme changer de couleur de peau par exemple).

- Et ensuite, d’une distance indivisible, qu’il faudrait franchir d’un seul coup. On ne peut s’en rapprocher petit à petit de génération en génération : les fils, dit-on, sont des « émigrés de la 2ème génération », façon de dire qu’ils sont tout aussi immigrés que leur père.

Comment peut-on être Beur ?

Sunday, April 09, 2006

Citation du 10 avril 2006

"L'amour fait des fous, le mariage des cocus, le patriotisme des imbéciles malfaisants."

Paul Léautaud

Commentaire en trois mouvement :

L'amour fait des fous : ça c’est à André Breton de nous en parler : l’amour fou, c’est lui ; la beauté convulsive, c’est lui ; la femme aimée « aux yeux de fougères », c’est lui qui l’abandonne dans un asile d’aliéné.

Pauvre Nadja (1), y a-t-elle cru à l’amour fou, elle qu’on a cru folle ? En tout cas le message de Breton est clair : ce n’est pas l’amour qui fait les fous, c’est la folie qui fait l’amour.

Le mariage [fait] des cocus : demandez ça à Panurge. Tous le long des trois derniers livres de Rabelais, il est à la recherche de l’oracle de la Dive Bouteille, afin de savoir si à la question : « Dois-je me marier ? » la réponse sera bien : « Vous serez cocu ; vous serez battu ; vous serez volé». En tout cas, qui dit mariage dit possibilité de cocuage : 100 pour 100 des cocus sont des hommes mariés (« Si n’être point cocu vous semble un si grand bien/Ne point vous marier en est le vrai moyen. » Molière - Sganarelle).

Le patriotisme [fait] des imbéciles malfaisants : Hou là ! Danger ! Ironiser sur l’amour : bon ; sur le mariage : passe encore ; mais le patriotisme ! Là non, ça ne va plus. Notez bien que depuis la Grande Guerre, il en avait pris un sacré vieux coup, le patriotisme. Les victimes du patriotisme, les cimetières militaires en sont pleins à craquer. Et Léautaud est sûrement dans cette logique.

C’était sans compter sur notre Premier Ministre (le quel déjà ?) qui a gravement repris à son compte la notion : le patriotisme est à présent économique. Touche pas à mon Danone ! C'est tout de même plus contemporain que « Vous n’aurez pas l’Alsace et la Lorraine », et en plus ça nous permet de savoir où on en est. La France avait le Tour de France ; maintenant elle a le pot de yaourt. On pédale où on peut.

(1) Nadja, de son vrai nom Léona-Camille-Ghislaine D., née en 1902 et morte dans un asile d'aliénés en 1941

Saturday, April 08, 2006

Citation du 9 avril 2006

« Le chèque sans provision est une opération bancaire prévue au Code d'Instruction Criminelle, et c'est justice qu'il soit sévèrement puni. Je serais volontiers partisan d'une identique sévérité à l'égard des provisions sans chèques. L'homme qui thésaurise brise la cadence de la vie en interrompant la circulation monétaire. Il n'en a pas le droit. »

Sacha Guitry - Mémoires d'un tricheur

Là, je dis : Bravo. Voilà un monsieur qui a tout compris, et qui le dit avec netteté : la prison pour excès de frugalité, ça devrait exister. L’homme qui thésaurise (à na pas confondre avec l’investisseur, Marx a écrit des choses définitives là-dessus) « brise la cadence », c’est un trouble fête doublé d’un égoïste, qui se moque éperdument des conséquences qu’aura pour les autres sa parcimonie.

Les sources de cet éloge de la consommation sont à rechercher au XVIIIème siècle, dans la querelle sur le luxe : immoral pour les uns (Rousseau), source de travail, et donc d’honnêtes ressources pour tous, selon les autres (Voltaire par exemple). Bon. Mais nous, en 2006, où en sommes-nous ?

Bien que précurseur, Sacha Guitry est depuis longtemps dépassé. « Le chèque sans provision (…) c'est justice qu'il soit sévèrement puni » : non seulement ce n’est plus vrai mais on vous encourage à en faire. Lisez - si vous en avez le courage - le courrier de votre banquier : il vous dit : « Voici l’encours de votre carte de crédit ; et voilà la somme qui vous reste à dépenser. » Or cette somme vous ne l’avez pas ; c’est une ligne de crédit, et si vous y touchez, alors vous allez savoir ce que c’est qu’un taux usuraire ! Il ne s’agit donc que de vous vendre de l’argent au prix fort et ça s’appelle « crédit revolving » (mais je crois que le nom a été changé tant l’image du revolver évoquait le coup de fusil).

Finalement, Sacha Guitry était un jouisseur naïf : il croyait qu’on ne dépense de l’argent que pour acheter des biens de consommation. En réalité on dépense de l’argent pour acheter de l’argent : ça réduit le circuit de commercial et c’est autant de temps de gagné pour le profit financier. Futés les capitalistes

Friday, April 07, 2006

Citation du 8 avril 2006

« Libre penseur. Penseur suffirait. »

Jules RENARD - Journal 26 juin 1905

Mon dictionnaire habituel (TLF) me dit : « Libre(-)penseur : Qui s'oppose aux croyances installées et en particulier aux dogmatismes religieux, pour ne se fier qu'à ce qui est librement établi et prouvé par la raison ». Voilà qui nous éclaire sur l’opinion de Jules Renard. Pas de pensée à l’ombre des chapelles, quelle que soit l'obédience qu'elles nous imposent ; et pas de pensée sans rationalité.

Sur le premier point : « s’opposer au dogmatisme ». Je comprends bien que la superstition et la bigoterie fassent mauvais ménage avec la pensée, et que la liberté de la pensée par rapport à ces chaînes soit une condition de possibilité évidente de la pensée tout court. Toutefois, je doute que le rejet des croyances religieuses soit la condition pour que la pensée puisse prendre son envol. Je pense bien sûr aux Saints pères de l’Eglise, dont certains ont été d’éminents philosophes (Thomas d’Aquin !) ; mais je pense surtout à Pascal, dont l’œuvre apologétique est portée par la puissante invention d’un esprit que rien n’entrave ; ce qui nous mène au second point.

Sur le second point : ne se fier qu’à ce qui est « librement établi et prouvé par la raison ». Ça, c’est Descartes. Mais à ce compte, n’y a-t-il pas justement contradiction entre la liberté de la pensée et la preuve rationnelle ? Une pensée libre de toute superstition est-elle pour autant exempte de croyance, est-elle dans l'obligation de rejeter tout ce qu'elle ne peut pas démontrer logiquement, tout ce qui n'est pas strictement "rationnel" ? C’est une banalité de dire que les incroyants croient en l’incroyance. « Je crois que Dieu n’existe pas » ; « Je crois que l’âme s’anéantit après la mort ». Si les religieux veulent prendre appui sur cette incapacité de la raison à prouver contre eux l’absurdité de leur foi, ils ne font que jouer le jeu de leur adversaire : qui donc, sinon celui-ci, pourrait commettre l’erreur de vouloir limiter la pensée à ce qui est « rationnellement établi et fondé » ?

Lorsque Nietzsche écrit « Dieu est mort », il dépeint l’effroi de l’homme privé de ses appuis habituels. Mais il décrit aussi - et surtout - l’élan fabuleux de la liberté de l’esprit qui peut enfin créer ses propres valeurs. Et le domaine des valeurs ne s’embarrasse pas de démonstration : on prend celles qui existent, ou bien on en invente des nouvelles ; ça, même Descartes l’a dit.

Libres(-)penseurs, surtout, ne faites pas de la raison une nouvelle idole : ce serait remplacer la croyance en Dieu par une nouvelle forme de bigoterie.

Thursday, April 06, 2006

Citation du 7 avril 2006

« Les culs-de-jatte mettent l'équitation au dernier rang des arts »

Alphonse ALLAIS - Oeuvres posthumes

Voilà ce que j’appelle une évidence doublée d’une malveillance : évidence, parce que les culs-de-jatte n’ont évidemment rien à faire de l’art de l’équitation (encore qu’avec les « handi-sports » on ne s’étonne plus de rien) ; mais surtout malveillant, parce qu’un jugement de valeur ne devrait avoir rien à faire avec l’intérêt personnel. Supposez qu’on dise que la Joconde est un mauvais tableau simplement parce qu’on ne peut aller au Louvre pour le contempler, mais qu’en revanche la croûte qui est au musée du coin est d’une beauté à couper le souffle !

En réalité cette idée est très courante : il s’agit du dénigrement, qui est l’œuvre des ignorants, des impuissants, de tous ceux qui n’ont pas accès à un bien qui ravit tous les autres. Je dirai qu’il ne s’agit pas de jalousie, que la jalousie est au-dessus de ce dénigrement-là, parce qu’elle suppose l’envie du bien qu’on dénigre, et donc la connaissance de ce qu’il est. Le renard de la fable dit : « ils sont trop verts et bons pour des goujats », et il ment car il sait qu’ils sont mûrs à souhait… mais inaccessibles. En revanche le cul-de-jatte n’a aucune idée de ce qu’est l’équitation, on peut donc parfaitement supposer qu’il est de bonne foi. Peut-on lui reprocher d’ignorer les plaisirs de l’équitation ? Non, bien sûr. Simplement, dans la classification générale et universellement valable des arts, il place l’équitation au dernier rang, et ce faisant, il prétend juger aussi pour nous les bipèdes.

Le dénigrement du cul-de-jatte est donc celui d’un ignorant prétentieux. C’est la définition même de la bêtise, n’est-ce pas ?

Comment ? Vous contestez ? Vous dites que je ne connais pas de cul-de-jatte ? Et que mon jugement est bien méprisant ? Attendez un peu que je vous identifie: rayé de la liste des lecteurs !

Wednesday, April 05, 2006

Citation du 6 avril 2006

« Le vaisseau de Thésée était une galère à trente rames, que les Athéniens conservèrent. Ils en ôtaient les vieilles pièces, à mesure qu'elles se gâtaient, et les remplaçaient par des neuves. Les philosophes soutiennent les uns que c'était toujours le même, les autres que c'était un vaisseau différent. »

Plutarque - La vie de Thésée, 23

A partir de quand la remise en état d’une vieillerie produit-elle une copie - moderne - de l’ancien au lieu de sauvegarder l’ancien lui-même ? Exemple de débat stérile ou bien réflexion sur l’identité ?

Nous savons que notre organisme se renouvelle sans cesse : toutes nos cellules se reproduisent et en l’espace de dix ans nous avons complètement changé de corps - sauf nos cellules nerveuses qui ne se renouvelent jamais - Dans le Banquet, Platon évoque ce cas et en profite pour ajouter celui de nos opinions, nos souvenirs, nos sentiments. Ne sont-ils pas toujours renouvelés, et toujours différents ? Qu’est-ce qui ne change pas ? Et quand je dis « moi, je » est-ce que je désigne une réalité permanente, ou bien ne s’agit-il que du sujet du verbe qui va suivre ?

Ce n’est pas si difficile de répondre en partie du moins à cette question. Ouvrez Proust, à la page de « la petite madeleine » (Du côté de chez Swann) : le souvenir de la tante chez qui le petit Marcel goûtait avec ces miettes de gâteau trempées dans du thé, est un souvenir actuel ; rien ne le distingue du présent, dans la mesure où il ne s’agit que d’un sentiment. Certes il revoit la scène, peut-être même entend-il les voix. Mais ce qui apparaît comme toujours là, qui échappe donc à l’affaiblissement du souvenir, c’est le sentiment vécu sur le moment.

Le petit Marcel ne vous branche pas ? Alors, rappelez-vous du slow de l’été dernier, ou du parfum qui accompagnait vos émois. C’est une véritable réminiscence. Rien n’a changé, ces souvenirs sont inusables, indestructibles, même à 90 ans vous les aurez toujours aussi frais. Et vous radoterez en les racontant.

Maintenant, suffisent-ils à faire une identité ? Retour à la case mystère : que chacun réponde pour son propre compte.

Tuesday, April 04, 2006

Citation du 5 avril 2006

« L'histoire est le produit le plus dangereux que la chimie de l'intellect ait élaboré. Il fait rêver, il enivre les peuples, leur engendre de faux souvenirs… »
Paul Valéry
Lorsque Valéry écrit cela, c’est le début des années 30 ; l’Italie fasciste est poussée par Mussolini-Imperator à retrouver les fastes et la puissance de l’Empire romain : l’histoire s’écrit alors avec un « H » majuscule. C’est le passé…
Quand à nous, quel usage faisons-nous de l’histoire ? Il y a de cela plus de vingt ans, lorsque poussé par des universitaires éclairés on prétendit réformer l’enseignement de l’histoire à l’école, supprimer les chronologies au profit d'une histoire thématique : faire l'histoire des transports, de la ville et de la campagne, de la condition des travailleurs, etc., les associations - pas seulement de parents - se sont émues. « Quoi ? Plus de Clovis baptisé par St Rémy (et plus de vase de Soisson) ? Plus de Jeanne d’Arc, emmenant le Gentil Dauphin se faire sacrer à Reims, plus de Louis XIV recevant l’ambassadeur du Grand Turc à Versailles, plus de Napoléon face au soleil d’Austerlitz ? - Intolérable !» On sait que, quoiqu’on fasse, les peuples se retrouvent autour de héros ou d’événements fondateurs : c’est en ce sens qu’on les appelle « nation ».
Alors, demandez un peu autour de vous : A quoi sert l’histoire ? On vous répondra : « A ne pas refaire les mêmes erreurs que dans le passé, c’est même pour cela qu’on a un devoir de mémoire. ». Mais on voit encore mieux que l’enseignement que nous retenons de l’histoire, c’est qu’autrefois on était meilleurs, plus grands, plus beaux, et qu’il faut absolument retrouver cette splendeur dont nous avons été déchus. Rendez-nous l’Alsace et la Lorraine ! Algérie fran-çaise ! Général, nous voilà !
Soyons tous d’irréductibles gaulois, prêts à bouter l’ennemi héréditaire hors de France. Astérix contre Mussolini : quel beau programme.

Monday, April 03, 2006

Citation du 4 avril 2006

« Rien au monde ne peut empêcher l'homme de se sentir né pour la liberté. Jamais, quoi qu'il advienne, il ne peut accepter la servitude; car il pense. »
Simone Weil
Vous avez remarqué ? Simone Weil, avec un w, et non Simone Veil, avec un v : tous ceux qui ont confondu sont priés de revoir leur Encyclopédie habituelle avant de lire ce post (1).
Si vous passez le bac philo cette année, vous devez vous dire qu’une telle citation pourrait constituer un sujet de dissertation bien conventionnel, c’est à dire bien casse pieds. Spinoza, Rousseau, et tous les autres sont au rendez-vous. Ne croyez pas que je vais résumer ici leurs pensées…
Associons librement les idées plutôt, voir ce que ça donne :
1 - Pensée = liberté = homme. Donc, à l’envers : machine = contrainte = pas de pensée.
2 - Vu récemment (DVD), l’opéra d’Offenbach : Les Contes d’Offmann. Là dedans, une femme - nommée Olympia - est en réalité un automate (je me rappelle que Freud, commentant cette nouvelle (L’homme au sable) en tirera son concept d’inquiétante étrangeté - Das Umheimliche).
3 - J’ai été frappé par la chanson d’Olympia : c’est bien elle (cette femme - automate) qui chante. Mais elle parle d’elle à la 3ème personne (« Voilà la chanson d’Olympia… ») : pas de pensée parce que pas de Je pense. Descartes ? Non, car…
4 - … là dessus me revient la citation de Kant : « Le fait que l'homme puisse avoir le Je dans sa représentation, l'élève infiniment au-dessus de tous les autres êtres vivant sur la terre. Par là, il est une personne… ».
5 - Ce qui ne veut pas dire seulement : pas de pensée donc, pas de Je (selon 3). Mais encore : pas de Je donc pas de personne (au sens moral) selon 4. Ce qui s’explique aussi par le fait qu’Olympia est un automate.
Et donc la chaîne Offenbach - Offmann - Freud - Kant, qu’est-ce que ça donne ?
Et bien ça donne un cours de philo… « Libre association » : vous y croyez, vous ?
(1) Simone Weil. Philosophe française (1909-1943). Etc…

Sunday, April 02, 2006

Citation du 3 avril 2006

« Vivre, c'est repousser quelque chose qui veut mourir. »

Nietzsche

« La vie est l'ensemble des forces qui s'opposent à la mort. »

Bichat

L’opération « Deux citations pour le prix d’une » reprend, mais pour aujourd’hui seulement.

C’est vrai que la comparaison est tentante. Ou plutôt leur affrontement. Pour Bichat, la vie est un ensemble de forces qui sont par nature différentes de la matière inanimée – d’où le label de vitalisme qu’on lui attribue – ce qui veut dire qu’entre l’organisme vivant et le cadavre il y a une différence de nature totale ; la vie, c’est cette force qui lutte contre son anéantissement. La mort est bien une réalité, mais elle est celle de l’organique (matière), et non de l’organisme (vivant).

Pour Nietzsche en revanche, si la mort est aussi une réalité, c’est qu’elle est déjà là, en nous, dans la vie. Elle est volonté de néant, de destruction par retournement de son agressivité contre soi-même. La mort, c’est la vie qui s’acharne à détruire la vie. C’est une force mortifère.

Mais ces deux approches sont néanmoins d’accord pour estimer qu’il existe un combat contre la mort et que c’est dans la vie même qu’il s’instaure. Qu’on lutte pour se maintenir en vie, ou qu’on use - comme le veut Nietzsche - d’excitant pour accroître le désir de vivre, c’est toujours au service de la vie que nous oeuvrons. Il n’est pas question de se laisser vivre, car l’ennemi à abattre, c’est thanatos, pulsion fondamentale, pas seulement de mort, mais aussi de destruction.

On retrouve donc Freud dans ce contexte, plus proche il est vrai de Nietzsche (Lou chérie (1) !!!) que de Bichat.


(1) Comme c’est mon jour de bonté (Cf. le début du post), je précise pour ceux qui l’auraient oublié, que Nietzsche et Freud ont fréquenté la même femme : Lou Andréas Salomé. Seul Nietzsche est mort syphilitique : preuve qu’il avait d’autres fréquentations.

Saturday, April 01, 2006

Citation du 2 avril 2006

« L'endroit le plus érotique d'un corps n'est-il pas là où le vêtement bâille ?... Celui de la peau qui scintille entre deux pièces ( le pantalon et le tricot), entre deux bords ( la chemise entrouverte, le gant et la manche) ; c'est ce scintillement même qui séduit, ou encore : la mise en scène d'une apparition-disparition. »

Roland BARTHES – Le plaisir du texte

Les Geishas sont enveloppées dans un incroyable paquet de vêtements. Elles ne montrent que leur nuque ; leur rituel de séduction arrive à une étape ultime lorsqu’elles laissent apercevoir un petit bout de la paume de leur main, entre le gant et la manche, précisément là où on met le parfum. Je ne doute pas que Roland Barthes dont on sait l’admiration pour le Japon (L'empire des signes), ne se soit inspiré de ces rites.

En tout cas, nous voici armés pour affronter la célèbre polémique : « comment distinguer entre l’érotisme et la pornographie ». Des réponses insipides du genre « la pornographie, c’est l’érotisme des autres » sont ainsi renvoyées aux oubliettes. L’érotisme est l’accélérateur du désir et non sa décharge ; il n’est pas non plus dans la suggestion de la transparence, ni dans la réduction du textile (du bikini à la mini-jupe) ; il est dans l’oscillation (le scintillement dit Barthes) entre le montrer et le cacher, l’apparaître et le disparaître. Ici, il ne s’agit pas d’apprivoiser l’angoisse de la disparition (comme dans le jeu du for-da découvert par Freud), mais de stimuler l’excitation dans la concentration du désir au point où son objet se montre dans son éphémérité.

Il y a quelques années, des vieux rabat-joie se sont offusquées parce que des gamines montraient leur nombril ! Entre le pull et le jean, un petite bande de peau, juste de quoi laisser voir l’ombilic (des rêves comme aurait dit Artaud - un peu de culture histoire de ne pas nous endormir). Pas de quoi fouetter un chat. Mais pas de quoi non plus s’extasier sur le raffinement : car ce qui manque ici, c’est bien le « scintillement ». Ça ne vibre pas.

Et le string des gamines de CM1 : ça vibre ?