Monday, October 31, 2011

Citation du 1er novembre 2011


(...) Voici donc pour quelle cause je crois qu’il y a des spectres… parce qu’aussi bien qu’un corps sans âme, il existe une âme sans corps… Je pense donc qu’il y a des esprits de tout genre, sauf peut-être du sexe féminin.
Hugo Boxel – Lettre 53 à Spinoza, du 21 septembre 1674
(Lire l’extrait en annexe – Lire l’ensemble des « lettres sur les fantômes » ici)
Sculpture exposée dans les caves du Champagne Pommery – A voir sur le Site des Grigris de Sophie,
Hugo Boxel répond à Spinoza qui lui demandait si les fantômes ont un sexe, un âge, s’ils sont sages ou insensés etc…
Et voilà donc la réponse : il y a toute sorte de fantômes sauf peut-être du sexe féminin.
Et ça, ça me sidère.
Déjà, avec notre représentation des fantômes on n’imagine même pas se poser la question du sexe, puisque ce sont des squelettes : les os n’ont pas de sexe.
Ensuite en y pensant mieux, on se dit qu’en Ecosse, réputée pour ses revenants, il doit bien y avoir des fantômes de femmes – pauvres âmes tourmentées condamnées à errer dans les couloirs des châteaux la nuit.
Ainsi donc, on se demande pourquoi Boxel, qui croit aux fantômes, ne croit pas qu’il y en ait de féminins. Dans sa lettre il se contente de donner des raisons théologiques : Dieu a créé tout ce qui devait l’être même si ça nous parait incroyable. Donc il faut conclure qu’il n’était pas nécessaire à la Création qu’il y ait des fantômes féminins, c’est-à-dire des esprits féminins séparés des corps féminins. Et c’est là qu’on comprend – ou qu’on croit comprendre – que pour Hugo Boxel la femme ne peut pas devenir fantôme, parce qu’elle ne saurait être un pur esprit. Une femme a nécessairement un corps de femme ; il faut qu’elle le trimbale partout, car sans lui, elle cesse d’être.
- Oui, une femme sans corps n’est plus une femme – elle n’est plus rien du tout.
Si Dieu n’a pas créé des esprits sans corps de sexe féminin, c’est simplement parce qu’il ne le pouvait pas.
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Annexe.
Au très profond philosophe B. de Spinoza Lettre LIII
Monsieur,
(...) Voici donc pour quelle cause je crois qu’il y a des spectres. D’abord parce qu’il importe à la beauté et à la perfection de l’univers qu’il y en ait. En deuxième lieu parce qu’il est vraisemblable que le créateur a créé des êtres qui lui ressemblent plus que des êtres corporels. En troisième lieu, parce qu’aussi bien qu’un corps sans âme, il existe une âme sans corps. En quatrième lieu enfin, parce que je crois que dans les plus hautes régions de l’atmosphère, dans le lieu ou l’espace le plus élevé, il n’y a pas de corps caché qui n’ait ses habitants et conséquemment que l’espace immense compris entre nous et les astres n’est pas vide mais rempli d’habitants spirituels. Peut-être ceux qui sont le plus haut et le plus loin sont les vrais esprits, ceux qui sont plus bas, dans la région inférieure de l’air, des créatures d’une matière très subtile et très ténue, et en outre invisible. Je pense donc qu’il y a des esprits de tout genre, sauf peut-être du sexe féminin.
Hugo Boxel – Le 21 septembre 1674.

Sunday, October 30, 2011

Citation du 31 octobre 2011

Plus les choses sont dures, plus on leur donne des mots faibles.

Christian Bobin, La présence (in : « Vivre quand le corps fout le camp », ouvrage collectif, page 126)

Christian Bobin cite ensuite une liste de noms de « maisons de retraite pour personnes dépendantes » : Lumière d’automne, Le fil d’argent, La rêverie, Les 4 saisons, La rose des vents, Le rayon d’or, L’aube, L’Océane, La roseraie, Les jarrdins de mon plaisir, Chez nous…

La litote et l’euphémisme font suffisamment partie de nos usages pour qu’il ne soit pas nécessaire d’expliquer la pensée de Bobin : simplement on notera que ces procédés sont un signe de la souffrance impliquée par l’évocation ainsi altérée.

Au point qu’il faudrait y trouver un indice de cette « dureté » des choses. Si les aveugles sont simplement des « non-voyants », si les sourds sont des « mal-entendants », si les cancéreux ont une « longue maladie », si les morts nous ont simplement « quittés », c’est que nous ne supportons pas de penser si peu que ce soit à la réalité qui serait évoquée directement par les expressions ad-hoc.

On pourrait donc aussi voir dans ces euphémismes un indice de notre sensibilité telle que nous la manifestons aux autres en leur parlant. Mais comme toujours, le réel est têtu, il fait retour violemment, d’autant plus violemment qu’il a été plus longtemps exclu.

- Dis, Maman, où est-ce qu’il est grand-père ?

- Il est au ciel mon chéri.

- Au ciel ? Et qu’est-ce qu’il fait là-haut ?

- Il nous regarde et il nous aime, mon chéri.

- Mais, Maman, s’il nous aime, pourquoi il ne revient pas nous voir ?

- Si il revient. Mais on ne peut pas le voir.

- Ah… Oui, je comprends… Il sera demain dans le jardin auprès de la Grosse Citrouille !

Saturday, October 29, 2011

Citation du 30 octobre 2011


Après la jouissance vient la tristesse (Post coitum omne animal tristis est)

Voilà un fait qui pourrait en surprendre quelques-uns : le blues post-coïtal était parfaitement connu de Spinoza, au point que la formule si célèbre « Post coitum animal triste » lui est due. Comme quoi, la philosophie a des ressources inespérées.
En réalité, Spinoza a écrit : Sed post illius fruitionem (= jouissance) summa sequitur tristitia (1). Donc, pas de coitum ? Pas d’animal triste ?
Si fait : Spinoza parle ici de volupté (libidinem), et on comprend bien de quoi il s’agit. Ainsi donc, l’esprit de cette citation (sinon sa lettre), est bien que le coït aboutit à un paroxysme qui introduit à la tristesse.
Tristesse : en terme spinoziste, ça veut dire que l’on perd en un instant tout ce qu’on avait gagné – ou cru gagner – immédiatement avant.
--> Et qu’est-ce qu’on avait gagné et qu’on perd immédiatement après l’orgasme ? Les messieurs répondront : une forme avantageuse, ce qui veut dire que le retour de la flaccidité est source de tristesse. Quant aux dames, j’ai lu quelque part qu’elles étaient indifférentes au processus de « blues post-coïtal », sauf quelques australiennes, ce qui mettrait en causes l’éducation… ou les hormones (voir ici). (2)
Bref : voilà un avertissement qui doit faire réfléchir : la sexualité au moment même où elle s’accomplit le plus parfaitement est source de tristesse et non de joie.
Mais quoi ? Spinoza était peut-être triste après l’amour mais est-ce une raison pour s’en passer ? Non, car si on doit rechercher le bien de l’âme ailleurs que là, ça ne veut pas dire qu’on n’en ait pas besoin pour la satisfaction de notre esprit – ou pour sa tranquillité.
Voilà l’idée : si on veut parvenir à une parfaite spiritualité, peut-être faut-il avoir déjà évacué certaines pulsions, et connu donc certaines tristesses – du reste fort temporaires.
Regardez ce qui est arrivé à saint Antoine ; voyez les effroyables hallucinations dont il a été victime du fait de son abstinence – n’aurait-il pas mieux fait de coïter un tout petit peu ? (3)
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(1) Citation complète : Nam quod ad libidinem attinet, ea adeo suspenditur animus, ac si in aliquo bono quiesceret ; quo maxime impeditur, ne de alio cogitet. Sed post illius fruitionem summa sequitur tristitia, quae si non suspendit mentem, tamen perturbat et hebetat. Honores ac divitias prosequendo non parum etiam distrahitur mens, praesertim ubi hae non nisi propter se quaeruntur, quia tum supponuntur summum esse bonum.
[Traduction : La volupté surtout enchaîne l'âme avec tant de puissance qu'elle s'y repose comme en un bien véritable, et c'est ce qui contribue le plus à éloigner d'elle toute autre pensée ; mais après la jouissance vient la tristesse, et si l'âme n'en est pas possédée tout entière, elle en est du moins troublée et comme émoussée. La poursuite des richesses ne divertit pas moins l’esprit, surtout quand on recherche les richesses pour elles-mêmes, car elle fait alors figure de souverain bien.]
(2) Si vous prenez la peine de lire le passage cité de Spinoza (§4) en entier (cf note 1) vous verrez que la poursuite des richesses est presque plus sûre pour atteindre le bien – sauf que le §5 vous avertit que la déception vous guette et qu’alors la tristesse est au rendez-vous. Post krachum, animal triste.
(3) Voir également ici