Saturday, March 31, 2012

Citation du 1er avril 2012


Annie aime les sucettes / Les sucettes à l'anis / Les sucettes à l'anis / D'Annie / Donnent à ses baisers / Un goût ani-/Sé quand elle n'a sur sa langue / Que le petit bâton / Elle prend ses jambes à son corps / Et retourne au drugstore
Gainsbourg – Les sucettes (1966)
Qui a inventé la sucette ? Comme le génial inventeur du fil à couper le beurre, son nom s’est perdu, sans doute à jamais, victime de la négligence et de l’ingratitude de ses contemporains.
Pourtant si y on regarde mieux, on constate une faille dans le dispositif. La sucette est en effet constituée d’un bâtonnet et d’une extrémité délicieuse à sucer. Or, quand celle-ci a fondu sous la langue, il faut alors « prendre ses jambes à son corps / Et retourner au Drugstore ».
Quelle perte de temps ! Notre époque soucieuse d’éviter ces aller et venues au bilan carbone désastreux, a su perfectionner la sucette, et créant la sucette à deux bouts (cf. illustration).
Donc désormais, quand « vous n’aurez sur votre langue / Que le petit bâton », retournez-le, et recommencez comme au début.
Quelle économie de moyens ! Deux fois moins de petits bâtons, et ce sont nos belles forêts qui vont être préservées. Deux fois moins de déplacements, et c’est moins de CO2 dans l’atmosphère : c’est la planète qui va être contente !
Mais, qui donc allons-nous remercier ? On ignore malheureusement aussi le nom de l’inventeur de ce perfectionnement décisif.

Friday, March 30, 2012

Citation du 31 mars 2012

L'autorité de ceux qui enseignent nuit la plupart du temps à ceux qui veulent s'instruire.

Cicéron

L’autorité nuit à l’enseignement : ce principe est aujourd’hui bien connu (encore que souvent contesté). Par contre ce qui surprend c’est de le trouver sous le calame de Cicéron (le « vrai » Cicéron, pas son frère, comme ce fut le cas hier).

--> L’enseignement, comment ça ne marche pas ? Au lieu de nous demander ce qu’il faut faire, commençons par nous demander quelles erreurs il ne faut pas commettre. Parce qu’il nous serait difficile de trouver des exemples de réussite, en revanche pour trouver des cas d’échecs, il n’y a qu’à se baisser pour en ramasser à pleins bras.

Alors, voilà ce que Cicéron nous apprend : ce qui fait obstacle à l’enseignement, c’est précisément ce qui est requis du maitre (= celui qui enseigne) : son autorité morale. D’ailleurs, les deux sont tellement inséparables qu’en latin on les désigne par le même mot : magister.

Et en effet, il semble bien que pour être crédible, le maître doive être chargé de science et de diplômes. Il doit donc du haut de sa chaire surplomber son élève, le quel se sentira sans doute encore plus ignorant et encore plus indigne de son ignorance devant tant de science et de sagesse. Si le maître est l’exemple de ce qu’on doit atteindre, plus haut il sera et plus inaccessible le but de parvenir à sa hauteur.

Faut-il donc un « maître ignorant », comme le réclame Rancière ? (1).

Peut-être ; mais réfléchissons d’abord avec les moyens du bord – c’est-à-dire faisant référence à ce qui se passe aujourd’hui.

Qui enseigne aujourd’hui ? Réponse : les coach(e)s.

Quelle différence entre un coach et un maitre d’école ?

Euh... Je ne sais pas trop parce que des coach(e)s je n’en ai jamais fréquenté. Je suppose – et j’espère – qu’un coach c’est quelqu’un qui ne se plante pas devant son élève en lui disant : « Regardez-moi, et faites comme moi », mais quelqu’un qui se met à ses côtés et qui dit : « nous allons faire ensemble ce que vous devez apprendre : ce que je fais, faites-le en même temps que moi, avec moi – et moi avec vous. »

J’ai entendu dire qu’à l’armée l’instructeur qui inflige à une recrue une série de pompes les fait lui aussi et en même temps.

Après tout, ce n’est pas si ridicule.

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(1) Voir ici

Thursday, March 29, 2012

Citation du 30 mars 2012

Ne refuse rien à personne : quand on fait des promesses, l’échéance est incertaine, éloignée dans le temps. En revanche, en refusant, on est sûr de se faire des ennemis, et en foule.
Quintus Tullius Cicero – Commentariolum Petitionis (Petit manuel du candidat)
[N.B. – Ne pas confondre Quintus Tullius Cicero avec le célèbre orateur-philosophe Marcus Tullius Cicero dont il était le frère.]
Quand on cherche des sources classiques à la vie politique actuelle, on se tourne volontiers vers Machiavel. Mais on aurait tort d’oublier nos auteurs latins, qui eux aussi ont bien vu de quoi était faite la vie politique : celle de leur temps n’était probablement pas très éloignée de celle que nous vivons aujourd’hui.
C’est ainsi qu’on peut résoudre un mystère irritant pour qui n’aurait pas lu Cicéron (le frère) : comment se fait-il que les candidats à la présidence puissent être aussi discrets sur leur programme économique et financier ? Certes, ils annoncent des hausses d’impôts – mais seulement pour les autres, entendez les riches ; et des pénalités pour les méchants fraudeurs qui cachent leurs capitaux en Suisse ; et contre les parachutes dorés, et contre les retraites chapeaux… ; mais jamais des mesures qui pénalisent les retraités, ni qui réduisent les remboursements de santé. Quant aux malheurs qui vont frapper les classes moyennes, mystère et boule de gomme.
Alors bien sûr, c’est la banalité même qu’ils ne le fassent pas, parce que, s’ils annonçaient : « Si je suis élu je vous promets d’augmenter la TVA, de réduire les remboursements sécu, de supprimer des abattements fiscaux dont bénéficient les retraités ; et aussi de réduire les allocations familiales, et de supprimer le quotient familial, et … », personne ne voterait pour eux.
Par contre, ce qui n’est pas banal, c’est que nous, les électeurs, on ne les prenne pas à la gorge en exigeant qu’ils nous disent ce qu’ils vont prendre dans notre portefeuille pour contenter les Marchés. Pourquoi, tout en disant qu’on ne croit plus depuis longtemps aux promesses électorales, ce soit malgré tout sur ces mêmes promesses qu’on se détermine ?
Il y a deux mille ans déjà, Cicéron (le frère) l’avait remarqué : les promesses s’inscrivent dans l’avenir ; les refus dans le présent. Pour nous l’avenir commencera après le 6 mai : ce n’est pas loin, mais c’est déjà une autre époque, une ère nouvelle. Ce qu’on voit bien quand Notre-Président se présente en Candidat sans passé, mais avec un avenir.

Wednesday, March 28, 2012

Citation du 29 mars 2012

Les hommes préfèrent l’incertitude de l’horizon intellectuel, et combien, au fond de leur âme, ils haïssent la vérité à cause de sa précision. — Cela tient-il à ce qu’ils craignent tous secrètement que l’on fasse une fois tomber sur eux-mêmes, avec trop d’intensité, la lumière de la vérité ? … n’est-ce que la crainte d’un jour trop clair, auquel leur âme de chauve-souris crépusculaire et facile à éblouir n’est pas habituée, en sorte qu’il leur faut haïr ce jour ?

Nietzsche – Humain trop humain

Notre besoin de connaître n'est-il pas justement notre besoin de familier ? le désir de trouver, parmi tout ce qui nous est étranger, inhabituel, énigmatique, quelque chose qui ne nous inquiète plus ? Ne serait-ce pas l'instinct de la peur qui nous commanderait de connaître ? Le ravissement qui accompagne l'acquisition de la connaissance ne serait-il pas la volupté de la sécurité retrouvée ?...

NIETZSCHE – Le gai savoir [Aph. 355] (1)

Nosce te ipsum. (Connais-toi toi-même)

A Vézelay, sur le portail d’une auberge

Toute phase commençant par « les hommes » devrait être bannie de notre pensée. Car il y a fort à parier que l’on va se voir opposer une multitude de cas qui infirment ce qu’on avance.

Ainsi en va-t-il de cette pensée de Nietzsche – qui d’ailleurs semble s’être chargé lui-même de la contradiction : en face de la peur de la vérité, il place le besoin de sécurité qui accompagne un savoir acquis et honoré comme vrai.

Et vous ? Avez-vous une âme de chauve-souris qu’effraie le grand soleil de la science, ou bien comme le lapin terrifié par un bruit inconnu, vous réfugiez-vous dans le terrier de l’opinion dominante ?

En réalité, on aurait bien mal lu Nietzsche si on s’en tenait là : car ce qu’il oppose, ce n’est pas l’amour du certain et la peur de la certitude. Il nous permet de comparer la certitude sur le monde qui nous entoure à la certitude sur nous-mêmes.

Et voilà où je voulais en venir : délaissant l’opinion qui nous fait croire que nous savons de quoi la planète sera faite demain, intéressons-nous plutôt à nous-mêmes. Est-ce que nous sommes si désireux de savoir qui nous sommes ? Je veux dire : désireux de savoir ce que vraiment nous sommes ? Ne préférons-nous pas faire comme si cette connaissance était impossible, comme si nous étions une réalité aux contours toujours mouvant, tel jour comme-ci, tel autre comme-ça ?

C’est bien ça qu’il y a dans la philosophie sartrienne : quand Garcin, le « héros » de Huis-clos, tente de faire croire que les mobiles de ses actions sont toujours nobles, Inès le ramène inexorablement à sa triste réalité : tu n’es qu’un lâche, tu as été fusillé comme déserteur, et au moment ultime tu n’es même pas mort dignement.

Reste à dire s’il faut en passer par là pour ne plus fuir notre réalité. Rappelons qu’autre fois il existait dans la vie morale des moments appelés « examen de conscience ». Moments douloureux certes par ce que notre âme de chauve-souris y affronte sa propre réalité. Mais moments où nous n’attendons pas des autres qu’ils nous disent « nos quatre vérités ».

- N’empêche… Au portail d’une auberge de Vézelay, il y avait l’écriteau qu’on voit ci-dessus. J’ai été le premier et le seul client…

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(1) Texte complet : « Les hommes préfèrent l’incertitude de l’horizon intellectuel, et combien, au fond de leur âme, ils haïssent la vérité à cause de sa précision. — Cela tient-il à ce qu’ils craignent tous secrètement que l’on fasse une fois tomber sur eux-mêmes, avec trop d’intensité, la lumière de la vérité ? Ils veulent signifier quelque chose, par conséquent on ne doit pas savoir exactement ce qu’ils sont ? Ou bien n’est-ce que la crainte d’un jour trop clair, auquel leur âme de chauve-souris crépusculaire et facile à éblouir n’est pas habituée, en sorte qu’il leur faut haïr ce jour ? »

Tuesday, March 27, 2012

Citation du 28 mars 2012

Le monde, quelle riche école buissonnière quand on sait comment l'appréhender !

Gaëtan Brulotte – L'emprise (1)

L’étonnement comme le disait Descartes est le premier geste du philosophe.

--> Ici, par exemple, qu’on puisse apprendre dans la vie – dans le monde – aussi bien et même mieux qu’à l’école.

Mais avant cela peut-être faudrait-il s’étonner de cette évidence : l’école buissonnière est déjà – ou encore ? – une école. Que le gamin, qui va courir dans les champs au lieu de prendre le chemin de l’école, fréquente en réalité une autre école, qu’il apprend dans la nature ce qu’il n’aurait pas appris à rester penché sur son cahier, à écrire avec son porte-plume et son encre violette. Ce qu’il apprend ? Que les petits oiseaux font leur nid de telle façon, que les poissons fréquentent les trous sous les rochers ; et que les bergères…

On m’a compris : l’école buissonnière c’était bon du temps de Jules Ferry. Aujourd’hui, qui donc fréquente une telle école ? Quand un gamin ne veut pas aller en classe, il se fait porter malade, et dès que les parents sont partis travailler, il s’installe sur le canapé du salon avec sa PS3. Il est Mark Evans, capitaine et gardien de but de l’équipe Raimon, accompagné d’Axel Blaze, le redoutable attaquant, ils viennent de gagner le Tournoi « Football frontier ». Alors que Mark et son équipe s’apprêtent à recevoir un accueil triomphal lors de leur arrivée à l’école Raimon, ils découvrent leur collège en ruine

Ah bon ? Alors on sèche l’école pour retourner au collège via l’écran de la télé ?

Que nenni ! Il s’agit nous dit la notice, de sauver la planète en gagnant le match : ça a quand même plus de classe – sans jeu de mot, bien sûr.

Alors, oui : on peut regretter le temps de l’école buissonnière, temps précieux puisque, même obligé de rester entre les quatre murs de la classe, l’enfant pouvait s’enfuir avec l’oiseau lyre.

Le rêve est resté, me direz-vous ? Oui, mais l’oiseau lyre s’est envolé, remplacé par Axel Blaze.

Et ça, c’est pas classe.

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(1) Que nos amis québécois me le pardonne, mais je ne sais rien – absolument rien de Gaëtan Brulotte, sauf cette citation péchée sur le net. Si quelqu’un qui lit ce Post en savait un peu plus, merci de le faire connaitre.

Monday, March 26, 2012

Citation du 27 mars 2012

Labor omnia vincit improbus (« Un travail acharné vient à bout de tout »)

Virgile – Géorgiques livre 1

Vu à Genève

Le travail… Depuis quand travaillons-nous, nous les hommes ? Depuis le péché originel, la faute d’Adam et d’Eve ? Oui, bien sûr.

Mais avant ? Nos ancêtres fondateurs ne travaillaient-ils pas, dans leur merveilleux jardin d’Eden ? Certes : ils travaillaient peut-être, mais ils ne connaissaient pas le labeur, celui qui doit vaincre les résistances de la nature, disposée à la stérilité par la volonté de Dieu (Genèse, 3, 17).

- Or, voilà que Virgile, nous le dit également : c’est la volonté de Jupiter qu’il en soit ainsi. « Le Père des dieux lui-même a voulu rendre la culture des champs difficile, et c'est lui qui le premier a fait un art de remuer la terre, en aiguisant par les soucis les cœurs des mortels et en ne souffrant pas que son empire s'engourdît dans une triste indolence. »

On comprend alors que ce n’est pas tout à fait la même chose : alors que dans la Bible, le travail est une triste nécessité destinée à nous faire expier la Faute, chez Virgile, le travail est fait aussi pour transformer le travailleur, pour en faire un homme plus fort, plus intelligent, plus courageux. Chez Virgile, le gai laboureur qui part le matin en chantant n’a rien de commun avec celui de la Bible, penché sur le sillon qu’il arrose de sa sueur – sillon qui ne produira pour lui que l’« épine et le chardon ».

Je retiens que le travail pour ne pas être un labeur digne d’un animal domestique doit produire quelque chose en plus du pain quotidien : il doit produire aussi l’homme.

Entendu comme ça, alors oui : je veux bien travailler, et même au-delà de l’âge de la retraite.

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(1) Maurice Rat traduit : Tous les obstacles furent vaincus par un travail acharné – lire ici.

(Improbus : ce qui est de mauvaise qualité, de mauvaise réputation, malhonnête)